Mme la présidente. La parole est à Mme Brigitte Lherbier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)

Mme Brigitte Lherbier. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les violences subies par les enfants m’ont toujours interpellée. En tant qu’universitaire, ma thèse de droit portait sur le placement des enfants en souffrance intrafamiliale. Adjointe à la sécurité et à la prévention de Tourcoing, j’ai pu à maintes reprises constater que la frontière entre le tolérable et l’inadmissible des violences exercées sur les enfants par la famille était très fragile. Je me réjouis donc que ce sujet de l’interdiction des violences éducatives ordinaires soit débattu aujourd’hui dans notre Haute Assemblée. Je ne doute pas une seconde qu’une telle proposition de loi visant à les interdire sera aisément adoptée.

Il y a de cela quelques décennies, il semblait normal de frapper ou d’humilier des enfants au sein des familles ou des établissements scolaires. Quand j’étais écolière, certains de nos maîtres, considérant que nous étions trop bruyants – ou pas assez, au choix –, nous faisaient venir au tableau pour nous frapper le bout des doigts avec des règles en bois. Je m’en souviens encore ! D’autres, pour nous punir de bêtises d’enfants, avaient pris l’habitude de nous faire courir autour de la cour de l’école avec les mains sur la tête pour nous humilier aux yeux de tous. Je ne doute pas que vous vous en souveniez aussi, des années et des années après. Personne, à l’époque, n’y trouvait rien à redire et les parents doublaient souvent la punition au retour de l’écolier dans le foyer. C’était monnaie courante.

Que de chemin parcouru ! Aucun parent aujourd’hui n’accepterait de telles violences « ordinaires » à l’école. Ces pratiques sont aujourd’hui considérées comme inadmissibles. Je m’en réjouis, comme vous tous, mais ne crions pas victoire trop vite : beaucoup de travail reste à faire, notamment pour faire cesser ces violences éducatives ordinaires dans les familles.

Pourtant, la France s’est engagée depuis maintenant des décennies dans la protection de l’enfant. Les violences ordinaires peuvent prendre plusieurs formes : psychologiques, lorsque l’enfant est victime de chantage, de menaces, de culpabilisations en tous genres ; physiques, lorsque l’enfant est victime de fessées, de gifles, de projections et la liste est encore longue ; et même verbales, lorsque l’enfant est victime d’injures, d’humiliations ou de moqueries. Ces pratiques, transmises de génération en génération, ne permettent pas d’inculquer aux enfants un bon comportement, bien au contraire. C’est même l’inverse qui se produit.

De nombreuses études ont en effet prouvé qu’un enfant exposé à des violences « ordinaires » – j’ai horreur de ce mot – a plus de chances de reproduire ce cercle vicieux en grandissant. La seule conclusion qu’il peut tirer de telles méthodes « éducatives », c’est que seule la violence de la loi du plus fort peut faire force de loi. Nous ne pouvons pas accepter aujourd’hui que des enfants, nos futurs citoyens, des êtres humains égaux en droit, puissent être les victimes invisibles de violences inutiles et dégradantes qui les pénaliseront dans leur vie future et dans leur rapport à l’autre.

Le droit français interdit les violences envers les enfants dans son article 222-13 du code pénal et aggrave les sanctions lorsqu’elles sont commises par des ascendants légitimes. La France est signataire depuis 1990 de la convention internationale des droits de l’enfant de 1989. Et pourtant, ces violences subsistent. Cette proposition de loi qui vise à interdire les violences éducatives ordinaires est donc bel et bien d’actualité.

Son article 1er, qui rappelle que l’« autorité parentale s’exerce sans violences physiques ou psychologiques », est à mes yeux essentiel. C’est donc avec une grande joie que je voterai ce texte, comme l’unanimité de mes collègues présents dans cet hémicycle. Le bien-être de nos compatriotes les plus vulnérables ne saurait être victime d’oppositions partisanes. Comme le disait Jacques Chirac dans un discours en 2000 : « Le temps de l’enfance est court. Il ne se rattrape pas. » Alors, mettons tous les moyens en œuvre pour que les violences ordinaires ne privent pas nos concitoyens les plus jeunes de ce temps si précieux pour leur épanouissement. Nous comptons sur vous tous, notamment sur vous, monsieur le secrétaire d’État, pour que la protection de l’enfance soit assurée en France. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Rossignol.

Mme Laurence Rossignol. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, c’est un moment très réjouissant que nous vivons aujourd’hui au Sénat ! Nous nous apprêtons en effet à adopter une proposition de loi, issue de l’Assemblée nationale, visant à exclure les punitions corporelles de l’éducation des enfants.

Je remercie Marie-Pierre de la Gontrie, rapporteure de ce texte. Elle l’est d’ailleurs presque pour la deuxième fois, puisqu’elle l’avait déjà été pour la proposition de loi sénatoriale. À ceux de nos collègues qui s’émeuvent du mode de fonctionnement de nos institutions, je réponds que ce n’est pas si grave. C’est un peu comme si nous avions procédé à deux lectures, ce qui est la règle ordinaire, comme chacun sait… (Sourires.)

Je remercie également Maud Petit, dont je salue la présence en tribunes. Elle a su imposer l’examen du texte dans une niche parlementaire à l’Assemblée nationale et le faire adopter ; elle a permis aussi que nous discutions aujourd’hui du même texte que les députés. Je suis heureuse que son texte soit adopté. Le mien aurait pu l’être également, mais c’est le résultat qui compte, et nous ressentons collectivement un grand bonheur.

Je remercie aussi le président de la commission des lois – je charge Mme la vice-présidente de lui transmettre nos remerciements –, qui s’est engagé pour que le Sénat adopte ce texte.

Je remercie M. le secrétaire d’État du soutien qu’il a apporté à ces propositions de loi.

Je remercie les membres des associations et les personnalités qui ont assisté à nos débats cet après-midi. La loi qu’elles ont portée depuis tant d’années est sur le point d’être adoptée, et elles vont être bien désœuvrées à présent…

Je rends hommage à Edwige Antier, qui, rappelons-le, fut la première à déposer une proposition de loi pour interdire les violences éducatives.

Nous n’en avons pas forcément conscience aujourd’hui, mais ce texte est historique. Quand on regarde la sociologie de l’éducation, l’histoire des droits de l’enfant, il y a quelques lois qui comptent, et celle-ci en fera partie, tout comme la première, au IVe siècle après Jésus-Christ, qui mit fin au droit de vie et de mort du pater familias sur ses enfants, ou encore celle de 1841, qui interdit le travail des enfants. Autant de grands bonds dans l’histoire…

Nous votons cette loi au Sénat cent ans après la création, par la Société des Nations, du Comité des droits de l’enfant, qui élabora ensuite la première déclaration des droits de l’enfant. C’est une belle façon de célébrer cet anniversaire et je voudrais rendre hommage à Janusz Korczak, dont les travaux furent consacrés à la dignité des enfants et qui a inspiré toutes les politiques de protection de l’enfance. N’oublions pas non plus qu’il accompagna volontairement les enfants dont il s’occupait jusqu’au camp d’extermination.

Selon le préambule de la Déclaration de Genève de 1924, « l’humanité doit donner à l’enfant ce qu’elle a de meilleur ». Aux termes de l’article 5 de ce même texte, « l’enfant doit être élevé dans le sentiment que ses meilleures qualités doivent être mises au service de ses frères ». La proposition de loi qui nous est présentée aujourd’hui s’inscrit dans la filiation de ces très beaux articles.

Je voudrais aussi rassurer certains de nos collègues. Ce n’est pas la première fois que nous votons des restrictions, des limites, des contraintes à la liberté éducative. Le code Napoléon autorisait un père à faire emprisonner son enfant pendant un mois sans justification ; il suffisait qu’il en fasse la demande au président du tribunal. Tel était, à l’époque, le visage de la liberté éducative. Heureusement, nous y avons mis fin !

Le devoir d’instruction, la protection des enfants et l’apprentissage de la dignité constituent d’autres limites à la liberté éducative.

Tout à l’heure, une collègue s’inquiétait que nous passions beaucoup de temps à parler de la fessée, un sujet guère intéressant, alors que nous n’agissions pas contre la « vraie » violence.

Arrêtons de dire que nous ne faisons rien contre la vraie violence. Nous ne faisons sans doute pas suffisamment, mais nous ne laissons pas les enfants abandonnés sans aucune protection. Les lois sur la protection de l’enfance sont là, les services sociaux sont là et tous nos collègues élus dans des départements savent que nous agissons pour protéger nos enfants.

Par ailleurs, je ne connais pas la différence entre la « vraie » violence et la « moindre » violence quand il s’agit d’enfants. Frapper un enfant, c’est abuser de la force physique de l’adulte. Le rapport de force est tellement disproportionné que tout geste pouvant être considéré comme une petite violence entre adultes représente en réalité une grande violence pour un enfant.

Nous avons mis plusieurs années à faire adopter cette loi, mais, en fin de compte, je me dis que ce ne fut pas du temps perdu. L’opinion a évolué, le Sénat également et, aujourd’hui, ce texte ne provoque plus les ricanements ni les quolibets qu’il suscitait à l’époque. Il intervient à un moment où le pays est prêt à le porter et le faire appliquer. Il nous reste à accompagner les parents pour que l’esprit de cette loi, civile et non pénale, soit partagé par tous. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à M. Marc Laménie.

M. Marc Laménie. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en ma qualité de dernier intervenant dans la discussion générale de ce texte important relatif à l’interdiction des violences éducatives ordinaires, je m’associe pleinement aux propos de mes collègues, majoritairement féminines – huit oratrices sur dix ! –, qui m’ont précédé.

Je salue le travail effectué au sein de la commission des lois par mes collègues et par le personnel de notre institution et je rappelle la préoccupation fondamentale qu’est pour nous l’intérêt de l’enfant.

Je remercie aussi la députée Maud Petit, Laurence Rossignol et plusieurs de nos collègues parlementaires.

Outre le droit des enfants, j’établirai aussi un lien entre ce texte et les travaux de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, en tant que modeste membre de cette instance.

Il convient de responsabiliser les parents, la mère en premier lieu, mais également le père. Monsieur le secrétaire d’État, vous avez insisté fort justement sur la nécessité de mieux accompagner les parents : un travail considérable de pédagogie et de soutien à la parentalité doit être mené. Je soutiens votre passeport des mille premiers jours, même si je n’oublie pas, non plus, que l’on apprend un peu tous les jours…

Comme cela a été rappelé, la priorité doit être accordée à la protection maternelle et infantile. Il y a toujours, au départ, des engagements humains, mais le volet financier est également déterminant, qu’il s’agisse du budget de l’État ou de celui de la sécurité sociale.

Partenaires sociaux, éducation nationale, assistantes maternelles, personnels des conseils départementaux : beaucoup de personnes travaillent dans l’ombre, avec cœur et passion, et il convient de les aider.

La commission des lois a été saisie au fond, car le code civil est modifié. Mais toutes les commissions, qu’il s’agisse des affaires sociales, de l’éducation et des finances, sont concernées collectivement.

Ne tombons pas non plus dans la banalisation de la violence, car nous assistons régulièrement à des drames humains touchant des femmes et des enfants, et n’oublions pas l’article 371-1 du code civil. Maire d’un petit village de 160 habitants de 2001 à 2017, j’ai eu l’occasion de rappeler cet article du code lors des quelques mariages que j’ai célébrés !

La protection de l’enfant est une priorité. La journée internationale des droits de l’enfant le rappelle, mais ce doit être aussi un combat de tous les jours. Il faut sensibiliser et associer tous les partenaires à cet enjeu, y compris les services de gendarmerie et de police.

Le groupe Les Républicains votera ce texte conforme. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

proposition de loi relative à l’interdiction des violences éducatives ordinaires

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi relative à l'interdiction des violences éducatives ordinaires
Article 1er bis

Article 1er

(Non modifié)

Après le deuxième alinéa de l’article 371-1 du code civil, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« L’autorité parentale s’exerce sans violences physiques ou psychologiques. »

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Paccaud, sur l’article.

M. Olivier Paccaud. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il est des « habitudes éducatives » qui font mal, au sens propre comme au sens figuré. Il est des coups, des brimades, des insultes qui semblent ne pas laisser de traces, mais qui peuvent faire des ravages.

Tous les spécialistes et neuroscientifiques le confirment : fessées et « petites » gifles ne sont pas anodines pour la santé et le développement psychologique de nombreux enfants. Elles favorisent l’agressivité, fragilisent l’estime de soi, peuvent avoir une incidence sur les performances scolaires et compliquer la socialisation. Elles sont aussi, parfois, le terreau de châtiments plus graves.

Par ce texte, il ne s’agit pas de se donner « bonne conscience », ni de multiplier les procureurs vertueux stigmatisant certains parents qui auront eu un geste regrettable ou une parole inappropriée. Que celui qui n’a jamais péché jette la première pierre…

Le métier de parents est ô combien difficile. Les violences sont souvent synonymes de faiblesse, d’échec. Elles interviennent lorsqu’on n’a pas eu la patience, lorsqu’on n’a pas su trouver les mots.

Mais il est aisé, confortablement installé dans ce bel hémicycle, de donner des leçons de morale, de prôner la pédagogie par l’explication, la compréhension, l’affection.

Le cœur de cette proposition de loi, sa raison d’être, ce qu’elle peut et doit apporter, c’est une prise de conscience : la violence n’est jamais la solution, ce qui n’exclut pas la sanction.

Depuis des années, certaines de nos collègues, d’Edwige Antier à Laurence Rossignol, ont mené ce combat, avec le succès relatif que l’on sait. Espérons que leur persévérance soit récompensée.

Néanmoins, soyons bien conscients des lacunes et des limites de cette proposition de loi. Si un coup ou une insulte peut blesser profondément et pour longtemps un enfant, il est une maltraitance sournoise, parfois plus dangereuse et plus destructrice : l’indifférence. Les coups sont condamnables, mais les silences s’ignorent.

Certes, la loi ne peut pas tout. Mais toutes les graines de bienveillance qu’elle aura pu semer seront toujours des victoires et des progrès.

Pour conclure, permettez-moi, monsieur le secrétaire d’État, de revenir sur votre double référence à Jean-Jacques Rousseau : il a peut-être bien écrit, mais il a bien mal agi ! L’auteur de l’Émile a abandonné ses enfants ! Il n’est pas inutile de le rappeler. À chacun ses modèles et ses guides spirituels !

Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 1er.

(Larticle 1er est adopté.)

Article 1er (Texte non modifié par la commission)
Dossier législatif : proposition de loi relative à l'interdiction des violences éducatives ordinaires
Article 2 (début)

Article 1er bis

(Non modifié)

Au deuxième alinéa de l’article L. 421-14 du code de l’action sociale et des familles, après le mot : « secourisme », sont insérés les mots : « , à la prévention des violences éducatives ordinaires ». – (Adopté.)

Article 1er bis
Dossier législatif : proposition de loi relative à l'interdiction des violences éducatives ordinaires
Article 2 (fin)

Article 2

(Non modifié)

Le Gouvernement remet au Parlement, avant le 1er septembre 2019, un rapport présentant un état des lieux des violences éducatives en France et évaluant les besoins et moyens nécessaires au renforcement de la politique de sensibilisation, d’accompagnement et de soutien à la parentalité à destination des parents ainsi que de formation des professionnels concernés. – (Adopté.)

Vote sur l’ensemble

Mme la présidente. Personne ne demande la parole ?…

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’ensemble de la proposition de loi.

(La proposition de loi est définitivement adoptée.) – (Applaudissements.)

Article 2 (début)
Dossier législatif : proposition de loi relative à l'interdiction des violences éducatives ordinaires
 

12

Ordre du jour

Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, mercredi 3 juillet 2019, à quatorze heures trente et le soir :

Projet de loi autorisant la ratification du traité entre la République française et la République fédérale d’Allemagne sur la coopération et l’intégration franco-allemandes (procédure accélérée ; texte de la commission n° 608, 2018-2019) ;

Deuxième lecture de la proposition de loi modifiée par l’Assemblée nationale en première lecture, tendant à créer un droit voisin au profit des agences de presse et des éditeurs de presse (texte de la commission n° 582, 2018-2019).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures cinquante.)

 

nomination de membres dune commission mixte paritaire

La liste des candidats désignés par la commission des lois pour faire partie de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif aux compétences de la Collectivité européenne dAlsace a été publiée conformément à larticle 12 du règlement.

Aucune opposition ne sétant manifestée dans le délai dune heure prévu par larticle 9 du règlement, cette liste est ratifiée. Les représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire sont :

Titulaires : M. Philippe Bas, Mmes Agnès Canayer, Catherine Troendlé, Françoise Gatel, Laurence Harribey, M. Jacques Bigot et Mme Patricia Schillinger ;

Suppléants : Mme Maryse Carrère, M. Pierre-Yves Collombat, Mme Catherine Di Folco, M. Loïc Hervé, Mme Marie Mercier, M. Jean-Pierre Sueur et Mme Claudine Thomas.

 

Direction des comptes rendus

ÉTIENNE BOULENGER