PRÉSIDENCE DE Mme Catherine Troendlé
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
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Transformation de la fonction publique
Suite de la discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. Nous reprenons la discussion du projet de loi de transformation de la fonction publique.
Articles additionnels après l’article 16 bis (suite)
Mme la présidente. Je suis saisie de quatre amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 148 rectifié bis, présenté par MM. Durain, Marie, Kanner et Jacques Bigot, Mme de la Gontrie, M. Fichet, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Leconte, Sueur, Sutour, Tourenne, Montaugé, Temal et Raynal, Mme Monier et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Après l’article 16 bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
La loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires est ainsi modifiée :
1° Le dernier alinéa de l’article 24 est supprimé ;
2° Après l’article 25 septies, il est inséré un article 25 septies… ainsi rédigé :
« Art. 25 septies …. – Tout fonctionnaire dont la formation obligatoire préalable à sa titularisation est rémunérée est soumis à un engagement de servir l’État pendant une durée de quinze ans. Il ne peut être prononcé de disponibilité avant le terme de cette période.
« En cas de rupture de l’engagement avant ce délai le fonctionnaire est soumis à une obligation de remboursement des sommes engagées au titre de sa formation et de ses traitements selon un barème fixé par décret en Conseil d’État.
« Le fonctionnaire et l’autorité hiérarchique dont il relève informent la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique de la rupture anticipée de l’engagement. Celle-ci met en œuvre la procédure de remboursement selon des modalités déterminées par décret en Conseil d’État.
« Dans le cas où la rupture de l’engagement intervient avant dix années de services effectifs, le remboursement est majoré d’une pénalité dont le montant ne peut être inférieur au cumul des traitements nets reçus et du montant des actions de formations entreprises au cours des douze derniers mois.
« Lorsque la rémunération perçue au moment de la rupture de l’engagement de servir ne donne pas lieu au versement d’un traitement, la somme due est calculée par référence à l’indice correspondant à l’échelon détenu dans le corps d’origine.
« Cette obligation n’est, toutefois, opposable ni au fonctionnaire reconnu travailleur handicapé par la commission mentionnée à l’article L. 146-9 du code de l’action sociale et des familles, ni au fonctionnaire radié des cadres par anticipation pour invalidité.
« La rupture anticipée de l’engagement entraîne radiation des cadres et perte de la qualité de fonctionnaire. »
La parole est à M. Jérôme Durain.
M. Jérôme Durain. Le choix de s’engager dans le service public se fait en conscience et l’obligation imposée aux élèves fonctionnaires d’exercer dans l’administration pendant un certain temps est connue de ces derniers lorsqu’ils s’engagent dans la carrière.
Nul n’est obligé de s’engager dans la fonction publique. De moins en moins d’ailleurs, aurais-je tendance à dire, puisque, au terme des dispositions qui ont été adoptées, il n’est même plus nécessaire d’être titulaire pour exercer. Cela étant dit, le pantouflage, le rétropantouflage et leurs excès sont les mamelles qui alimentent les procès faits aux élites, entretenant l’idée dans l’opinion qu’il y a entre la haute fonction publique et les intérêts privés des vases communicants, une forme de perméabilité, voire de connivence et d’opportunisme.
Cet amendement vise donc à durcir la proposition faite par nos collègues du groupe CRCE dans l’amendement que nous avons précédemment examiné.
Il prévoit de renforcer les obligations déontologiques des fonctionnaires qui bénéficient d’une rémunération à l’occasion de la formation obligatoire préalable à leur titularisation : en soumettant l’ensemble de ces fonctionnaires à une obligation de servir l’État pour une durée minimale de quinze ans ; en prohibant toute mise en disponibilité pour convenances personnelles avant le terme de cette période de quinze ans ; en généralisant l’obligation de remboursement en cas de rupture anticipée de cet engagement de servir ; en confiant à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, la HATVP, la mise en œuvre de la procédure de remboursement.
Mme la présidente. Les deux amendements suivants sont identiques.
L’amendement n° 157 rectifié quater est présenté par MM. Durain, Marie, Kanner et Jacques Bigot, Mme de la Gontrie, M. Fichet, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Leconte, Sueur, Sutour, Tourenne, Antiste et Bérit-Débat, Mme Taillé-Polian, MM. Montaugé, Temal et Raynal, Mme Monier et les membres du groupe socialiste et républicain.
L’amendement n° 450 rectifié ter est présenté par Mmes N. Delattre, M. Carrère et Costes, MM. Collin, Gabouty et Guérini, Mmes Guillotin et Jouve, M. Labbé, Mme Laborde et MM. Léonhardt, Requier, Vall, Castelli et Gold.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Après l’article 16 bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après la première phrase du dernier alinéa de l’article 24 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, est insérée une phrase ainsi rédigée : « Le recouvrement de ces sommes est exécutoire de plein droit. »
La parole est à M. Jérôme Durain, pour présenter l’amendement n° 157 rectifié quater.
M. Jérôme Durain. Cet amendement de repli vise à systématiser la demande de remboursement de la pantoufle et à assurer un suivi de ces demandes.
Il prévoit le recouvrement sans ordonnancement des sommes dues par les fonctionnaires n’ayant pas honoré l’intégralité de leur engagement de servir au terme de leur formation rémunérée.
Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Delattre, pour présenter l’amendement n° 450 rectifié ter.
Mme Nathalie Delattre. Le recouvrement des frais de scolarité et des traitements versés à l’élève fonctionnaire lors de sa scolarité, ce que nous appelons plus ordinairement la « pantoufle », est aujourd’hui sujet à polémique. En effet, faute de procédure de recouvrement clairement définie et de centralisation de la mission de recouvrement, il semblerait que cette obligation soit mise en œuvre de façon très disparate, en cas de départ anticipé de la fonction publique, selon le corps d’origine.
Nous proposons, par cet amendement, de renforcer les dispositions légales, afin de contraindre chaque administration à se saisir de ce problème.
Mme la présidente. L’amendement n° 253, présenté par Mmes Lienemann, Assassi et Benbassa, M. Collombat et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Après l’article 16 bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le dernier alinéa de l’article 24 de la loi 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires est complété par trois phrases ainsi rédigés : « En cas de démission, régulièrement acceptée, le fonctionnaire doit obligatoirement rembourser sous un délai de deux ans la totalité de ses frais de formation. Il peut en être relevé, en tout ou partie, pour des motifs impérieux tirés soit de leur état de santé, soit de nécessités d’ordre familial. Dans ces cas précis, la décision est prise conjointement par le ministre ou l’autorité chargée de la gestion du corps de fonctionnaires concerné et le ministre chargé de la fonction publique. »
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. La « pantoufle » désigne dans le langage courant la somme qu’un ancien élève d’une école de la haute fonction publique doit rembourser, lorsqu’il résilie avant terme son obligation de servir dix ans l’État qui a financé sa formation et l’a rémunéré pendant cette période. On connaît de nombreux exemples de ces pratiques qui conduisent de jeunes hauts fonctionnaires, dont l’ascension a été permise par l’État, à quitter l’administration publique pour aller pantoufler dans de grandes entreprises privées, en espérant de plus grasses rétributions.
À son corps défendant, l’État a donc formé en son sein de futurs cadres stratégiques ou dirigeants du secteur privé qui défendront ensuite, et parfois contre lui, des intérêts financiers contre l’intérêt général. À cette pratique condamnable s’ajoute celle du rétropantouflage : un ancien haut fonctionnaire passé au privé revient dans la haute fonction publique. Ces allers-retours suscitent un trouble sérieux dans l’opinion quant à l’action d’une partie de la haute administration, dont on ne sait plus si certains y défendent l’intérêt général ou l’intérêt de leurs anciens, et peut-être futurs, employeurs privés.
Nous demandons, en outre, le remboursement automatique de la pantoufle.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Loïc Hervé, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. L’adoption de l’amendement n° 148 rectifié bis aurait pour conséquence d’empêcher toute disponibilité pour convenances personnelles pendant quinze ans. Or je rappelle que ces disponibilités ne sont pas seulement prises pour rejoindre le secteur privé : elles sont parfois justifiées par des motifs familiaux.
De même, c’est non pas à la HATVP de vérifier le remboursement de la pantoufle, mais bien à l’administration ! L’avis est donc défavorable.
Les amendements identiques nos 157 rectifié quater et 450 rectifié ter visent à recouvrer la pantoufle de plein droit, sans qu’il soit besoin d’émettre un titre de créance. Il s’agit d’une simplification utile.
Ces amendements ayant été rectifiés à la demande de la commission, ce dont je remercie leurs auteurs, la commission émet un avis favorable.
L’amendement n° 253 est satisfait par le droit en vigueur : le remboursement de la pantoufle est d’ores et déjà obligatoire. L’avis est donc défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État auprès du ministre de l’action et des comptes publics. Sur l’amendement n° 148 rectifié bis, l’avis est défavorable.
Pour ce qui concerne les amendements nos 157 rectifié quater et 450 rectifié ter, je ne partage pas l’appréciation de la commission.
Nous considérons en effet que le décret du 14 novembre 2014 relatif à la rupture de l’engagement de servir des anciens élèves de l’École nationale d’administration, qui s’applique par homologie à une soixantaine de corps de fonctionnaires de la fonction publique d’État, permet l’établissement d’un titre de perception avec un caractère exécutoire. Ces amendements identiques étant satisfaits par le droit existant, l’avis est défavorable.
L’avis est également défavorable sur l’amendement n° 253, pour le même motif.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 148 rectifié bis.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 157 rectifié quater et 450 rectifié ter.
(Les amendements sont adoptés.)
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 16 bis, et l’amendement n° 253 n’a plus d’objet.
L’amendement n° 448 rectifié bis, présenté par Mmes N. Delattre, M. Carrère et Costes, MM. Collin, Gabouty et Guérini, Mme Jouve, M. Labbé, Mme Laborde et MM. Léonhardt, Requier, Roux, Vall, Castelli et Gold, est ainsi libellé :
Après l’article 16 bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le Gouvernement remet au Parlement, dans un délai de douze mois à compter de la promulgation de la présente loi, un rapport présentant les mesures mises en œuvre pour obtenir le remboursement du montant des traitements et indemnités perçues lors de leur scolarité par les anciens élèves de l’École normale supérieure, l’École nationale d’administration et l’École polytechnique bénéficiant d’une mise en disponibilité et n’ayant pas souscrit à l’engagement de rester au service de l’État pendant la durée minimale prévue par décret.
La parole est à Mme Nathalie Delattre.
Mme Nathalie Delattre. Lors de l’examen du projet de loi pour la confiance dans la vie politique, à l’été 2017, le Sénat avait adopté un amendement visant à demander au Gouvernement de remettre au Parlement un rapport relatif au recouvrement de la pantoufle. En effet, nous disposons actuellement de bien peu de données sur la question. Mais cette demande s’est perdue dans les méandres législatifs.
Cet amendement vise à réitérer cette demande, car un tel rapport permettrait également d’amorcer une réflexion au sein de la direction générale de l’administration et de la fonction publique, la DGAFP, en vue d’une harmonisation des régimes de recouvrement de la pantoufle entre les corps.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Loïc Hervé, rapporteur. Cet amendement prévoit la remise d’un rapport sur le remboursement de la pantoufle.
Le Sénat, et en particulier sa commission des lois, est assez peu enclin à accepter les rapports. Toutefois, nous avions déjà adopté cette demande de rapport lors de l’examen du projet de loi pour la confiance dans la vie politique.
Il est très difficile – M. Collombat ne me démentira pas sur ce point… – d’obtenir des chiffres précis et centralisés. Les deux commissions d’enquête sur la haute fonction publique, celle de l’Assemblée comme celle du Sénat, ont rencontré nombre de difficultés pour se faire une vision globale du problème.
L’avis est donc favorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État. Au risque de tenir des propos désagréables à l’oreille de Mme Delattre, je rappelle la position de principe du Gouvernement sur les demandes de rapport, même s’il y a des interrogations que nous pouvons partager.
Nous confirmons que le décret de 2014 renforçant le contrôle pour les fonctionnaires sortis de Polytechnique et de l’École nationale d’administration, l’ÉNA, prévoit non pas seulement une possibilité, mais une obligation de perception, avec titre exécutoire. À notre sens, sauf cas impérieux précisé par le décret, il ne doit pas y avoir de perte en ligne en cas de non-remboursement de la fameuse pantoufle.
Nous procéderons à ces vérifications, nonobstant l’avis défavorable de principe que j’émets sur cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.
M. Pierre-Yves Collombat. Le Gouvernement trouve que tout va bien ! Telle n’est pas notre impression, mais peut-être a-t-il des renseignements dont nous ne disposons pas…
Mme Lebranchu, qui fut l’un de vos prédécesseurs, monsieur le secrétaire d’État, n’avait quant à elle pas réussi à obtenir ce type de renseignements, même ceux qui sont relatifs aux salaires et aux rémunérations. Je me félicite donc de ce progrès substantiel, et que ce gouvernement sache tout ce qui se passe dans la haute fonction publique !
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 16 bis.
Je suis saisie de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 252, présenté par Mmes Assassi et Benbassa, M. Collombat et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Après l’article 16 bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l’article 25 decies de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, sont insérés deux articles ainsi rédigés :
« Art. 25 …. – Il est interdit à tout ancien fonctionnaire ou agent public d’exercer une activité de conseil qui a trait directement ou indirectement aux missions de service public attachées à ses anciennes fonctions pendant un délai de trois ans.
« Art. 25 …. – Il est interdit à tout ancien fonctionnaire ou agent public en disponibilité et ayant exercé des fonctions pour le compte d’une entreprise publique ou privée ou pour une société de conseil d’occuper une fonction impliquant une mission de service public ou l’exercice de prérogatives de puissance publique directement ou indirectement liés aux secteurs d’activités dans lesquels il est intervenu pendant un délai de trois ans. »
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Cet amendement a pour objectif de lutter contre les conflits d’intérêts dans la fonction publique, en interdisant à tout ancien fonctionnaire ou agent public d’exercer une activité de conseil qui a trait directement ou indirectement aux missions de service public attachées à ses anciennes fonctions pendant un délai de trois ans.
Il interdit également à tout ancien fonctionnaire ou agent public en disponibilité et ayant exercé des fonctions pour le compte d’une entreprise publique ou privée, ou pour une société de conseil, d’occuper une fonction impliquant une mission de service public ou l’exercice de prérogatives de puissance publique directement ou indirectement liées aux secteurs d’activité dans lesquels il est intervenu pendant un délai de trois ans.
Nous considérons que cette mesure est tout à fait indispensable, particulièrement dans le cadre de ce projet de loi qui accentue la contractualisation de la fonction publique, ce qui aura inévitablement pour effet d’entraîner une confusion entre les intérêts publics et privés.
Cet effet est déjà à l’œuvre avec le pantouflage, lequel crée un phénomène de porosité entre les élites administratives et les élites économiques, ce qui nuit gravement au respect de l’intérêt général, indispensable au bon déroulement de l’action publique. De nombreux exemples attestent de ce dysfonctionnement structurel, lequel s’avère être particulièrement nuisible à la vitalité de notre démocratie.
Mme la présidente. L’amendement n° 149 rectifié bis, présenté par MM. Durain, Marie, Kanner et Jacques Bigot, Mme de la Gontrie, M. Fichet, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Leconte, Sueur, Sutour, Tourenne, Antiste, Bérit-Débat, Montaugé, Temal et Raynal, Mme Monier et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Après l’article 16 bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l’article 25 sexies de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, il est inséré un article 25 sexies … ainsi rédigé :
« Art. 25 sexies …. – Il est interdit à tout agent public qui quitte la fonction publique d’exercer pendant un délai de trois ans une activité de conseil qui a trait directement ou indirectement aux missions de service public attachées à ses anciennes fonctions. »
La parole est à M. Didier Marie.
M. Didier Marie. Cet amendement prévoit d’interdire à tout agent public quittant la fonction publique d’exercer pendant un délai de trois ans une activité de conseil qui a trait directement ou indirectement aux missions de service public attachées à ses anciennes fonctions.
Un millier de fonctionnaires d’État seraient concernés chaque année par le pantouflage, c’est-à-dire par le fait de passer du secteur public au secteur privé. Jadis pratiqué en fin de carrière, ce système s’est généralisé et les risques de conflit d’intérêts n’ont ainsi jamais été aussi nombreux.
Par ailleurs, le pantouflage fonctionne aussi dans l’autre sens ; c’est que l’on appelle le rétropantouflage. De plus en plus de hauts fonctionnaires partis dans le privé reviennent vers le public.
Il s’agit d’un problème structurel à notre pays, qui est le seul à connaître une telle perméabilité entre les intérêts privés et les intérêts publics. L’Organisation de coopération et de développement économiques, l’OCDE, elle-même, s’en est inquiétée il y a quelques années dans un rapport.
Selon elle, « les relations proches entre, d’un côté, les régulateurs et le pouvoir politique et, de l’autre, l’industrie de la finance et ses lobbyistes, sont alimentées par le recyclage régulier de personnel entre ces deux univers » et « s’attaquer aux portes tournantes constitue le début d’un processus indispensable afin de restaurer la confiance des citoyens dans le système politique et le fonctionnement des marchés financiers ».
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Loïc Hervé, rapporteur. Ces amendements visent à interdire pendant trois ans à un agent public d’exercer une activité de conseil en lien avec ses anciennes fonctions.
Ces amendements me semblent en grande partie satisfaits par l’article 16 ter AA, que nous avons adopté en commission sur l’initiative de leurs auteurs, interdisant, pendant trois ans, à un fonctionnaire d’exercer une fonction de représentant d’intérêts auprès de son ancienne administration. Les avis d’incompatibilité ou de compatibilité avec réserves qui seront émis par la HATVP vont dans le même sens. À l’article 16, nous avons d’ailleurs substantiellement renforcé la portée de ces avis.
En outre, les termes employés dans les amendements, notamment sur les liens « directs ou indirects » avec l’ancienne fonction, nous paraissent trop larges.
Commençons par préserver l’article 16 ter AA, que le Gouvernement souhaite supprimer.
L’avis est donc défavorable sur les deux amendements.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 149 rectifié bis.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Mme la présidente. L’amendement n° 156 rectifié bis, présenté par Mme Taillé-Polian, MM. Sueur, Durain, Marie, Kanner et Jacques Bigot, Mme de la Gontrie, M. Fichet, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Leconte, Sutour, Tourenne, Antiste, Bérit-Débat, Montaugé, Temal et Raynal, Mme Monier et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Après l’article 16 bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l’article 25 decies de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, il est inséré un article 25 … ainsi rédigé :
« Art. 25… – Les personnels relevant de la direction générale des finances publiques appartenant à la catégorie A ne peuvent cesser leurs fonctions pour exercer une activité, salariée ou non, dans les établissements de crédit et les sociétés de financement définis aux articles L. 511-1 du code monétaire et financier. »
La parole est à M. Jérôme Durain.
M. Jérôme Durain. Nous proposons, au travers de cet amendement, de mettre un terme à un type de pantouflage qui, depuis la crise financière de 2008, laisse planer un doute sur l’impartialité d’une partie des hauts cadres de la fonction publique.
On ne peut être chargé de surveiller un système bancaire qui a créé une des plus grandes crises depuis celle de 1929 et envisager de poursuivre sa carrière professionnelle dans une des banques faisant l’objet de cette surveillance.
On ne peut conseiller les décideurs politiques sur les conséquences de la mise en œuvre de contraintes supplémentaires en matière de gestion du risque systémique du secteur bancaire et penser pouvoir aider ultérieurement une banque à s’émanciper de ces contraintes.
On ne peut mettre en œuvre la surveillance fiscale des flux financiers et imaginer conseiller, dans le futur, une des institutions surveillées.
En clair, nous devons définitivement lever le doute sur l’impartialité de hauts fonctionnaires du ministère des finances qui pourraient envisager de monnayer leurs compétences dans un secteur d’activité qui reste un secteur à risque pour notre économie.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Loïc Hervé, rapporteur. Cet amendement tend à interdire à un fonctionnaire de catégorie A de la DGFiP de travailler dans le milieu bancaire. En suivant cette logique, pourquoi se concentrer sur la DGFiP ?
M. Pierre-Yves Collombat. On peut commencer par là !
M. Loïc Hervé, rapporteur. Il faudrait également évoquer les inspecteurs des finances, la direction générale du budget, la direction générale du Trésor, pour rester dans le strict périmètre de Bercy, du ministère des finances. Je le répète, pourquoi cette direction générale, et pas d’autres ?
Surtout, nous préférons l’examen des situations au cas par cas par la HATVP, avec la possibilité d’émettre des avis d’incompatibilité ou de compatibilité avec réserves. Nous avons d’ailleurs significativement amélioré le suivi des réserves de la HATVP.
Notre avis est défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État. L’avis est défavorable. J’ajoute, en reprenant les arguments du rapporteur, que l’article 423-13 du code pénal interdit à tout agent public d’exercer une activité au sein d’une entreprise dont il a assuré la surveillance ou le contrôle, ou avec laquelle il a conclu des contrats au cours des trois dernières années.
Sur le fond, l’amendement me semble donc satisfait. J’estime dommageable – le rapporteur l’a dit – que cet amendement ne cible que la DGFiP. La supervision du secteur bancaire relève principalement de la direction générale du Trésor, de l’Autorité des marchés financiers et de la Banque de France. La DGFiP assure une mission en matière de fiscalité, mais elle n’est pas la seule. Je le redis, il me semble regrettable de la cibler, au risque de la stigmatiser.
Par ailleurs, à la place qui est la mienne aujourd’hui, je peux témoigner à la fois de l’engagement, de la loyauté et du grand sens de l’État des agents de cette direction. Il me paraît dommageable que l’amendement, dans la rédaction proposée qui ne cible qu’une direction, soit parcellaire, au risque d’être partial.
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.
M. Pierre-Yves Collombat. Il y a mille raisons, au moins une en tout cas, de faire un sort particulier aux inspecteurs des finances : ils pantouflent à 70 % !
M. Loïc Hervé, rapporteur. Non !
M. Pierre-Yves Collombat. Si, je vous assure, à 70 % !
M. Loïc Hervé, rapporteur. On parle de la DGFiP, pas de l’IGF !
M. Pierre-Yves Collombat. Il y a tout de même un petit problème… Alors je veux bien, monsieur le secrétaire d’État, que vous soyez très gentil avec tous ces braves gens qui se sacrifient – c’est clair… – pour le service public. (M. le secrétaire d’État auprès du ministre de l’action et des comptes publics s’agace.) Mais je crois que ce qui se passe précisément à la direction des finances pose légèrement problème.