M. Alain Richard, rapporteur. Le seul avis que je puisse donner porte sur la méthode.
M. Masson nous demande d’adopter une question préalable, c’est-à-dire de nous opposer à la mise en débat de ce projet de loi, à dix jours des élections européennes.
Cela me semble d’autant plus malaisé en termes de méthode que la commission des lois, au sein de laquelle M. Masson s’illustre singulièrement, recevra, trois jours après les élections, c’est-à-dire le 29 mai prochain, le médiateur du crédit pour établir un bilan global du fonctionnement de ce système d’accès au crédit.
Si cela lui semblait nécessaire, tout parlementaire, y compris M. Masson, pourrait ensuite déposer un complément législatif à la loi pour la confiance dans la vie politique qui a essayé d’améliorer ce système.
Pour ces raisons, il me semble préférable d’écarter la motion de M. Masson et d’entrer dans le travail législatif pour lequel nous sommes réunis ce matin. Nous lui donnons rendez-vous après l’audition du médiateur du crédit pour écouter ses propositions.
La commission est défavorable à cette motion.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État. Le Gouvernement partage en tout point les propos du rapporteur et émet un avis défavorable sur cette motion.
Mme la présidente. Je mets aux voix la motion n° 18, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
(La motion n’est pas adoptée.)
Discussion générale (suite)
Mme la présidente. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Olivier Cadic. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
M. Olivier Cadic. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, Brexit saison 2 ! Vous avez aimé la saison 1, qui s’est achevée le 29 mars ? Quel suspense, quel épilogue !
Combien d’heures passées à nous réunir pour analyser les échanges quotidiens au Parlement britannique, commenter les propos des hard et soft Brexiters, voter des textes pour nous préparer à l’apocalyptique scénario d’une sortie sans accord dont les parlementaires britanniques avaient pourtant clairement rejeté la perspective. Tout ça pour ça !
Nous voilà donc dans la saison 2 du Brexit, avec une nouvelle échéance fixée au 31 octobre prochain. Theresa refusait de discuter avec David durant la saison 1. Désormais, elle tente de le séduire. Elle lui propose de rester dans une union douanière temporaire jusqu’aux prochaines élections générales afin de créer une majorité pour concrétiser son Brexit.
Mais David hésite. Et voilà une nouvelle échéance dépassée en avril. Le Brexit n’a pas eu lieu. Le Royaume-Uni fait toujours partie de l’Union européenne et les Britanniques sont contraints de convoquer des élections européennes.
Coup de théâtre ! Ils participeront au renouvellement du Parlement européen qui interviendra dans dix jours. Si c’est une surprise pour certains, je voudrais leur rappeler que nous avions souligné, en avril 2018, que le Parlement britannique avait voté les crédits budgétaires pour participer aux élections européennes l’année suivante.
M. Jean Bizet. Tout à fait !
M. Olivier Cadic. Au risque de me répéter, je rappelle ce que j’ai déjà dit en juillet dernier : « En réalité, l’intérêt supérieur du Royaume-Uni n’est pas de quitter l’Union européenne. D’ailleurs, Theresa May préserve cette option. Lors du dernier conseil européen [de juin 2018], elle a remis une lettre destinée à permettre à son pays de participer aux élections européennes de 2019, si le Royaume-Uni n’est pas sorti de l’Union européenne à l’échéance prévue. Voilà pourquoi, aujourd’hui plus encore qu’en juin 2016, moi qui vis au Royaume-Uni depuis plus de vingt ans, je reste convaincu que le Brexit n’aura pas lieu. » Je n’ai pas changé d’avis depuis.
Nous nous apprêtons à examiner un texte particulier. Alors qu’une partie des sièges des eurodéputés britanniques avaient déjà été répartis entre d’autres États membres, dont la France, nous voilà contraints de revenir sur cette décision pour le moins hâtive. Tel est l’objet de ce projet de loi que nous ne pouvons, bien évidemment, que soutenir.
Dans dix jours, cinq candidats français seront entre deux eaux. Si les Britanniques restent dans l’Union européenne, ils ne siégeront pas.
Theresa ne veut pas attendre le 30 octobre. Elle veut sortir avant le 30 juin pour que le Parlement européen nouvellement élu se réunisse sans les Britanniques. Je dois vous confier que la saison 2 lasse les gens. Les ressorts ne fonctionnent plus aussi bien. Le suspense s’essouffle. Personne ne croit, au Royaume-Uni, que la Première ministre britannique pourra convaincre son Parlement, le 4 juin prochain, de voter le texte qu’il n’a pas voulu adopter lors de la saison 1.
Contrairement aux ordonnances que nous avons votées en début d’année pour amortir les effets d’une sortie sans accord du Royaume-Uni, il y a de fortes chances que le texte que nous votons aujourd’hui soit utile.
Le Royaume-Uni est désormais profondément divisé. Une mauvaise ambiance s’est installée. Si le suspense s’estompe, la pagaille persiste. Les Européens qui vivent outre-Manche ont été invités à s’inscrire pour participer aux élections européennes en votant pour des listes britanniques. Il leur faut alors renvoyer par courrier postal un formulaire d’inscription sans qu’ils reçoivent d’accusé de réception. Pour surmonter cet obstacle administratif, deux ONG ont mis en place une procédure en ligne afin de faciliter la participation des Européens. Leur action a été stoppée par les autorités britanniques.
Derrière le discours officiel, qui garantit aux citoyens européens le maintien de leurs droits existants, se cachent des faits, des chiffres révélés cette semaine par le quotidien The Independent. Entre le premier trimestre de 2017 et le premier trimestre de 2016, les expulsions forcées d’Européens au Royaume-Uni auraient augmenté de 26 %. Près de 5 000 Européens ont été expulsés lors des douze derniers mois.
Ces données proviennent d’un rapport ayant fuité du Home Office et qui prévoit de restreindre significativement l’immigration d’Européens sur l’île dès la sortie effective du Royaume-Uni de l’Union européenne.
À la suite de cet article, j’aurais été heureux de lire une réaction de la France pour savoir comment le Gouvernement britannique justifie ses actions, alors que le droit européen est toujours applicable au Royaume-Uni.
Je remercie de son action l’association the3million, qui défend les droits des 3 millions d’Européens du Royaume-Uni. Les chiffres divulgués par The Independent justifient le bien-fondé de cette action.
Je vous l’ai dit, le climat n’est pas bon, et cela se ressent à la lecture des premiers sondages. Nigel Farage, celui qui a juré de faire sortir le Royaume-Uni de l’Union européenne, puis de détruire l’Union européenne, caracolerait en tête.
Il dit haïr l’Europe, mais il n’hésite pas à siéger dans ses institutions et à toucher des indemnités. Quelle différence avec le comportement du Sinn Fein, qui fait élire à chaque élection, depuis 1921, des députés en Irlande du Nord qui ne siègent pas à Londres et refusent de percevoir toute indemnité parlementaire ! Mais M. Farage est tout sauf un idéaliste. Il fait partie de la catégorie des nationalistes cyniques : prompt à dénoncer, invisible pour proposer des solutions.
C’est donc pour ce personnage, et pour quelques-uns de ses amis, que nous devons prévoir de faire de la place. S’il est bien une évidence qui s’impose devant le spectacle qui nous est infligé depuis bientôt trois ans, c’est que l’Europe doit revoir la formulation de l’article 50 du traité sur l’Union européenne et réformer son mode de fonctionnement. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe La République En Marche et du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Colette Mélot.
Mme Colette Mélot. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, « les institutions peuvent, si elles sont bien construites, accumuler et transmettre la sagesse des générations successives » : tels étaient les propos de Jean Monnet.
Au moment où la campagne européenne est lancée et les candidats connus, il est important de rappeler les apports considérables, mais aussi les limites, d’une institution trop méconnue et politiquement sous-estimée.
En effet, le Parlement européen, élu au suffrage universel direct depuis quarante ans, n’a cessé, au fil des années, de s’affirmer et de prendre du poids face aux autres institutions et particulièrement face aux États membres.
Il est devenu le lieu d’expression démocratique de l’Union européenne et ses pouvoirs se sont renforcés progressivement : il est maintenant colégislateur dans quatre-vingt-cinq domaines de compétence allant du marché intérieur à l’environnement, en passant par l’énergie, les transports ou la politique agricole.
Le Parlement européen est plus puissant que beaucoup de parlements nationaux et est indépendant de l’exécutif. Il dispose également d’un pouvoir budgétaire non négligeable, même s’il demeure sans compétence sur les recettes.
C’est aussi lui, une fois installé, qui investit la Commission européenne et qui auditionne les commissaires européens avant leur prise de fonction officielle. Cela serait inimaginable en France.
Entre 2014 et 2018, plus de 2 100 textes ont été adoptés, dont 708 textes législatifs. Et même si la quantité n’est pas gage de qualité, cela démontre indéniablement le dynamisme et le rôle prépondérant du Parlement européen.
Il est souvent précurseur pour faire avancer des dossiers importants comme le paquet climat-énergie, les droits d’auteur ou le règlement général sur la protection des données, avec des positions beaucoup plus ambitieuses que les États. C’est aussi une assemblée qui protège les citoyens, comme ce fut le cas lors de la révision de la directive sur les travailleurs détachés ou sur la mise en place d’instruments de défense commerciale pour faire face aux distorsions de concurrence.
Pourtant, et on peut le regretter, trop peu de nos concitoyens ont conscience du poids croissant du Parlement européen et trop peu s’intéressent au choix des députés européens, alors même qu’ils doivent traiter d’enjeux fondamentaux.
Le taux très élevé d’abstention en Europe et en France – environ 60 % –, notamment chez les plus jeunes – trois sur quatre –, doit nous interroger.
Il y a pourtant du choix pour les 41 millions d’électeurs français qui sont appelés aux urnes le 26 mai prochain avec 34 listes de 79 candidats officiellement enregistrées.
Pourquoi ce Parlement européen reste-t-il si méconnu, quand il n’est pas parfois considéré comme illégitime ? Faut-il y voir une défiance des citoyens européens ? Le système électoral appliqué est-il pertinent ?
Les causes sont multiples et interdépendantes : crise générale de la démocratie représentative, pouvoirs proprement politiques de l’Union insuffisants, image lointaine, complexe et technocrate de l’Europe collant à la peau du Parlement, manque de relais locaux et nationaux, absence de pouvoir d’initiative parlementaire…
Et finalement, alors que les chefs d’État et de gouvernement se sont réunis la semaine dernière, à Sibiu, pour parler, sans le Royaume-Uni, de l’avenir de l’Europe et des grandes priorités européennes pour les années à venir, l’ombre du Brexit continue de planer sur les élections européennes et sur l’Europe.
Avec le report du Brexit, de grandes incertitudes sur leur rôle et sur la durée de leur présence vont peser sur les députés européens britanniques qui seront élus.
Selon un récent sondage, le parti de l’eurosceptique Nigel Farage est crédité de 34 % des intentions de vote, loin devant le parti travailliste, en deuxième position avec 21 %, soit une majorité d’eurosceptiques qui pourraient être tentés de perturber le travail et le bon fonctionnement du Parlement européen.
Ce report du Brexit emporte également des conséquences directes sur les treize États membres qui se voyaient attribuer des représentants supplémentaires, mais qui vont devoir patienter et prévoir des règles transitoires.
La France, qui devait gagner cinq sièges supplémentaires, compte tenu de son évolution démographique, passant ainsi de 74 à 79 représentants, a dû préparer ce projet de loi pour sécuriser et clarifier leur statut en précisant la méthode et le mode de leur désignation.
Ce report compromet le renforcement de sa présence dans l’hémicycle européen et la prise en compte de l’évolution démographique de notre pays. On ne peut que le regretter. L’influence française s’en trouvera sûrement affaiblie, même si elle dépend aussi beaucoup de la présence de nos futurs eurodéputés français et de leur implication dans les différentes instances du Parlement européen. Espérons qu’ils auront à cœur de s’impliquer pour faire entendre la voix de la France.
La complexité du fonctionnement des institutions européennes, la longueur et la difficulté d’approche des traités institutionnels, ainsi que la sous-médiatisation des enjeux communautaires, rendent difficile la démocratie européenne, même si nous ne devons pas oublier que l’Union européenne est garante de la paix en Europe depuis plus soixante ans.
Ce déficit démocratique est un problème. Une réflexion de fond s’impose aux citoyens européens et à nos dirigeants actuels et futurs.
Le Parlement européen doit être une institution dynamique et un pilier de cette démocratie européenne. Les modalités d’élection des députés européens, qui ont évolué au fil des campagnes électorales, doivent être aussi une piste d’action à l’avenir pour renforcer la légitimité de l’Union européenne.
Le groupe Les Indépendants soutient ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Bizet.
M. Jean Bizet. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, dans une tribune publiée le 16 mars dernier, Theresa May affirmait : « L’idée que les Britanniques se rendent aux urnes pour élire des députés européens, trois ans après avoir voté pour quitter l’Union européenne, est à peine supportable. Il ne saurait y avoir de symbole plus fort de l’échec politique collectif du Parlement. » On ne peut être plus clair…
Deux mois après cette déclaration de la Première ministre britannique, l’échec politique contre lequel elle mettait en garde la Chambre des communes est pourtant bel et bien consommé et il est désormais acquis que nous assisterons, le 23 mai prochain, à l’organisation ubuesque d’élections européennes outre-Manche.
En effet, malgré la voix dissonante, mais isolée, de la France, les chefs d’État et de gouvernement des Vingt-Sept se sont entendus, le 10 avril dernier, pour reporter de nouveau le Brexit. Après l’échéance initiale du 29 mars, repoussée une première fois au 12 avril, c’est donc désormais le 31 octobre prochain, au plus tard, que le Royaume-Uni quittera finalement l’Union européenne.
Si l’on peut naturellement se féliciter qu’un certain réalisme politique ait prévalu afin d’écarter provisoirement le spectre du scénario catastrophe d’un no deal, la durée de cette prolongation ne peut, en revanche, nous satisfaire.
D’une part, elle allonge de six mois les incertitudes liées au Brexit, ce qui est dommageable d’un point de vue tant économique, en empêchant les entreprises de prendre des décisions fondées sur un horizon clair, que politique, en détournant l’Union européenne d’une tâche ô combien plus urgente, celle de son indispensable refondation face aux nombreux défis qui se posent à elle.
D’autre part, ce nouveau calendrier non seulement vient parasiter le déroulement d’élections européennes particulièrement décisives, mais il risque également de perturber le bon fonctionnement des institutions européennes au moment même où des décisions structurantes devront être prises.
Certes, le Gouvernement britannique s’est engagé, d’ici au Brexit effectif, à faire preuve de coopération loyale, c’est-à-dire à s’abstenir de prises de position qui pourraient entraver l’autonomie décisionnelle de l’Union européenne comme, par exemple, l’utilisation de son droit de veto pour bloquer l’adoption du cadre financier pluriannuel ou pour compliquer la désignation du prochain collège des commissaires.
Toutefois, rien d’autre que cet engagement moral n’empêchera le Royaume-Uni de voter comme il l’entend au Conseil, car il en restera membre de plein droit. En outre, ce principe de coopération loyale ne s’appliquera en rien aux députés européens britanniques, et c’est là qu’est le problème.
On peut sérieusement douter que derniers, et en particulier les élus du Brexit party, la nouvelle formation créée par Nigel Farage donnée largement en tête des intentions de vote, se sentent liés par l’engagement de Mme May et qu’ils acceptent de s’y soumettre. Je souscris malheureusement pleinement au portrait que vient d’en dresser notre collègue Olivier Cadic.
Plus largement, il ne saurait être question de restreindre de quelque manière que ce soit la capacité des députés britanniques régulièrement élus à participer pleinement aux travaux du Parlement européen, mais on ne peut que s’interroger sur le rôle et le type d’influence qu’ils pourraient y exercer, a fortiori dans une institution où les réunions en « format article 50 » n’existent pas.
Dès lors, si les dirigeants européens ont jusqu’ici fait preuve d’une grande patience vis-à-vis des atermoiements du Royaume-Uni, celle-ci ne saurait être sans limites. D’autant que la patience des électeurs britanniques semble, elle, avoir atteint les siennes. Leur exaspération s’est ainsi traduite lors des récentes élections locales par la lourde sanction qu’ils ont infligée aux deux grands partis traditionnels, qu’ils tiennent – à juste titre – pour responsables des blocages sur le Brexit.
Espérons que cet avertissement incite Theresa May et Jeremy Corbyn à accélérer les discussions bipartisanes qu’ils conduisent actuellement et dont on se demande d’ailleurs pourquoi elles n’ont pas été lancées plus tôt.
La semaine dernière, les députés britanniques que j’ai rencontrés à Londres puis à Édimbourg, avec le président Cambon, ne nous ont pas fait mystère qu’ils ne voteraient pas les orientations proposées, et ce même si leurs chefs de parti devaient parvenir à s’entendre.
M. Philippe Dallier. Nous voilà bien avancés !
M. Jean Bizet. Espérons que cet avertissement incite Theresa May et Jeremy Corbyn à accélérer les discussions sur ce point.
Un accord majoritaire concernant la relation future entre Londres et le continent ouvrirait la voie à une ratification du traité de retrait par la Chambre des communes. Et si un tel dénouement ne permet pas d’éviter la tenue des élections européennes au Royaume-Uni, il n’est pas totalement interdit d’espérer qu’il puisse intervenir suffisamment tôt, c’est-à-dire d’ici à la mi-juin, pour que les élus britanniques n’aient jamais à siéger au Parlement européen, dont la séance inaugurale – je vous le rappelle – se tiendra le 2 juillet.
Néanmoins, le contexte politique qui prévaut actuellement au Royaume-Uni vient modérer cet optimisme, tant il demeure marqué par une confusion et une conflictualité extrêmement fortes. Tout compromis solide sur le Brexit reste ainsi particulièrement difficile à atteindre.
Le gouvernement britannique a bien proposé aux travaillistes une solution consistant en un « arrangement douanier » avec l’Union européenne et en un « alignement dynamique » des droits des travailleurs britanniques sur ceux de leurs homologues européens.
Mais si un accord devait être scellé sur cette base entre Mme May et M. Corbyn, il serait inévitablement combattu à la fois par les hard Brexiters conservateurs, qui y voient notamment la trahison de la promesse d’une politique commerciale autonome, mais aussi par les Remainers travaillistes, qui sont nombreux à militer en faveur d’un second référendum.
À ce stade, tout porte donc à croire que le projet de loi que nous étudions aujourd’hui, et auquel le groupe Les Républicains apportera son soutien, sera bel et bien nécessaire.
Voilà, mes chers collègues, ce que je tenais à vous dire en la matière. Je pourrais continuer, mais nous sommes, comme l’ensemble des vingt-sept États membres, pris en otage par nos amis britanniques, alors qu’il s’agit de régler un problème purement domestique.
Monsieur le secrétaire d’État, espérons que la paralysie britannique ne se double pas d’une paralysie européenne durable. Souhaitons que le report du Brexit accordé le 10 avril soit le dernier, à moins que le Royaume-Uni ne prenne la décision de révoquer unilatéralement la notification visée à l’article 50, comme la décision de la Cour de justice de l’Union européenne du 10 décembre dernier le lui permet. Cela nous permettrait, le cas échéant, de mener une autre réflexion, portant, cette fois, sur l’avenir de l’Union européenne, sujet beaucoup plus important – vous me l’accorderez. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Laurent.
M. Pierre Laurent. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, à quelques jours de l’élection européenne, permettez-moi pour commencer de rappeler les propos tenus par le président Emmanuel Macron lors de son discours d’Athènes : « En 2005, une page s’est tournée et nous ne l’avons pas vu tout de suite. C’est que l’Europe ne peut plus avancer à part des peuples. Elle ne peut continuer son destin que si elle est choisie, voulue. »
Quel fossé entre cette déclaration, dont nous partageons le constat, et ce qui se passe aujourd’hui ! Non seulement aucune conséquence n’est tirée de ce diagnostic dans les politiques menées, dont le cours libéral continue à marche forcée, mais que constatons-nous, une fois de plus, avec l’organisation des élections européennes ? L’incurie démocratique et la médiocre qualité du débat des élections européennes demeurent la règle.
Nous pourrions certes appréhender le présent projet de loi comme un simple détail technique. Il est vrai que les circonstances du Brexit obligent juridiquement, mais également politiquement, à conserver des représentants britanniques au sein de l’assemblée européenne jusqu’à ce que le retrait du Royaume-Uni soit effectif et définitif. Nous ne nous opposerons donc pas au projet technique présenté.
Pourtant, force est de constater que cette situation, qui nous conduit à revoir in extremis les conditions de l’élection de nos représentants européens sans que les électeurs français saisissent rien, est révélatrice d’une Union européenne à bout de souffle démocratiquement.
Les dirigeants britanniques et européens se sont jusqu’à présent montrés incapables de mettre en œuvre une sortie pérenne et organisée du Royaume-Uni, quoi qu’on en pense sur le fond. Le Brexit a été un terrible aveu d’échec, et l’un des nombreux signaux d’une distanciation toujours plus forte des peuples vis-à-vis de l’Union européenne.
Le chaos politique s’aggrave au Royaume-Uni, où le dangereux Nigel Farage pourrait rafler la mise de cet incroyable imbroglio. Quant à l’Union européenne dans son ensemble, cet épisode, après d’autres, révèle à quel point les dirigeants de cette Europe conçue seulement pour les marchés ne savent jamais quoi faire quand des peuples émettent des votes contraires à leurs intentions.
En vérité, rien n’est jamais prévu pour qu’il soit tenu compte du vote desdits peuples. Nous en avons nous-mêmes déjà fait l’expérience, avec le refus de respecter la souveraineté populaire qui s’était exprimée à l’occasion des référendums danois, irlandais, néerlandais et français – il n’était pourtant pas question, à l’époque, de sortie, mais de refus de constitutionnaliser le cours libéral de l’Union européenne et la transformation de son sens.
Le traitement politique des conditions de l’élection européenne est lui aussi révélateur de cette incurie démocratique. Cet événement devait être un grand moment de débat démocratique. Or rien n’est réellement fait pour mobiliser l’intérêt de nos concitoyens.
Les conditions de cette élection ont d’ailleurs, depuis l’origine, fait débat. Je rappelle que la loi fixant les modalités de la première élection des parlementaires au suffrage universel direct, en 1977, fut le premier cas, dans notre histoire constitutionnelle, d’utilisation de l’article 49-3 de la Constitution dans un domaine lié à nos relations extérieures.
La participation aux élections européennes risque, cette année encore, de dépasser tous les records d’abstention ; elle avait déjà baissé de 20 points, en 2014, par rapport à 1979. La déception profonde causée par les politiques menées, leur rejet désormais majoritaire dans toute l’Union et l’opacité des processus de décision en sont les causes fondamentales.
Et puisque ce projet nous donne l’occasion de revenir sur les conditions d’organisation de la campagne électorale, je veux redire notre colère sur trois points qui conduisent directement à alimenter la situation que je viens de décrire, faite d’asphyxie démocratique et de méfiance populaire.
Je redis que le seuil électoral, fixé en France à 5 %, est une grave distorsion démocratique.
M. François Bonhomme. C’est ça, nous manquons de listes !
M. Pierre Laurent. Souvent prompts à plagier l’Allemagne, nous faisons, en l’occurrence, le contraire de ce qu’elle fait, en tordant gravement la représentation proportionnelle. Parmi les électeurs qui s’apprêtent à s’exprimer, ceux qui risquent de se voir priver de représentation au Parlement européen n’auront probablement jamais été aussi nombreux. Le niveau d’abstention et le seuil électoral vont, combinant leurs effets, dégrader gravement la représentation démocratique française.
Je redis, par ailleurs, que la répartition du temps de parole, issue du projet de loi dont nous avions dénoncé ici les travers, est un véritable scandale. Non seulement l’égalité du temps de parole n’est plus qu’un rêve, mais la répartition prévue par la loi aboutit à une caricature.
Chacun de nous, mes chers collègues, pèse royalement sept secondes de temps de parole par candidat ; et que donne concrètement ce tripatouillage législatif voté ici sans broncher l’an dernier ? La République En Marche se voit attribuer un temps de diffusion des clips officiels supérieur à celui des listes communiste, France insoumise, Europe Écologie Les Verts et Génération.s réunies ! Le Front national se taille une part de lion, concentrant plus de temps d’antenne que Les Républicains et l’UDI réunis.
Mme Éliane Assassi. Eh oui !
M. Pierre Laurent. Le Gouvernement souhaitait favoriser indûment la polarisation entre La République en marche et le Rassemblement national ; la loi a exaucé ses vœux. C’est un choix dangereux pour la démocratie et l’avenir de l’Union européenne.
Enfin, mes chers collègues, permettez-nous, à nous qui défendons ici si souvent le service public de France Télévisions contre les attaques dont il est l’objet, d’élever une protestation sur la manière dont France 2 organise le débat entre les listes présentées.
Une première fois mise en échec, la chaîne publique recommence à vouloir écarter plusieurs d’entre elles, dont certaines sont représentées au Parlement européen – celle qui est conduite par Ian Brossat en fait partie –, du principal débat. (Mme Françoise Gatel applaudit vivement.) Les journalistes de France 2 réalisent bien souvent – je le sais – un travail sérieux et instructif dans des conditions difficiles. Ce ne sont pas eux que je mets en cause. Mais j’invite la direction de France Télévisions à revoir sa copie pour accorder un traitement juste et équitable à l’ensemble des listes.