Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Laurent.
M. Pierre Laurent. Si rien ne change, la zone euro s’approche d’une nouvelle crise économique et financière. Les prévisions de croissance sont mauvaises, vous venez de le dire et de le répéter, monsieur le ministre : elles sont faibles en France, plus mauvaises en Allemagne et davantage encore en Italie. La production industrielle de la zone euro recule, particulièrement en Allemagne.
De surcroît, se pose un grave problème de contenu. Le modèle compétitivité-prix qui domine dégrade le contenu social et écologique de cette croissance, en abîmant nos sociétés, les droits sociaux, le pouvoir d’achat, les services publics et en « creusant les inégalités de revenus », comme le reconnaît l’OCDE.
Les réponses apportées depuis la crise de 2008 sont en plus inefficaces. Le niveau de la dette publique est aujourd’hui supérieur à celui de l’avant-crise.
L’impasse économique et les inégalités dans lesquelles ces politiques enfoncent l’Europe coûtent politiquement de plus en plus cher, comme le montre encore le score alarmant de Vox en Allemagne.
M. Roger Karoutchi. En Espagne !
M. Pierre Laurent. La poussée des extrêmes droites en Europe est l’enfant de la faillite libérale européenne.
Face à cette situation, les gouvernements de la zone euro semblent ne pas réagir, cherchant à achever la zone euro, comme vous venez de le dire, mais sans repenser son contenu. La Banque centrale européenne vient d’ailleurs de confirmer son cap sur la politique déjà menée. Il faut changer de trajectoire, monsieur le ministre ! Pour ce faire, les parlementaires communistes avancent notamment deux propositions précises pour mobiliser autrement l’argent de la zone euro.
Première proposition : changer les critères de la BCE pour cibler les refinancements vers un autre type de développement économique, riche en emplois, relocalisant l’activité industrielle, utile socialement et écologiquement.
Seconde proposition : créer un fonds européen dédié au financement des services publics.
Le Gouvernement est-il prêt à soutenir ces deux propositions ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Monsieur le sénateur Laurent, je suis, comme vous, convaincu de la nécessité d’une réorientation des politiques de la zone euro de manière à tenir compte de ce qu’on constate partout : la montée des populismes et des inquiétudes de peuples qui estiment que la zone euro, telle qu’elle est, ne répond pas à leurs attentes.
La première attente, je tiens à le rappeler, c’est la prospérité. La zone euro doit être une garantie de prospérité pour tous les États membres, mais elle doit également garantir leur protection, face à la Chine, aux États-Unis et aux autres grands ensembles économiques. Cela passe par les décisions que j’ai déjà évoquées : elles permettront de renforcer la zone euro et de la rendre plus prospère.
Le contrat de croissance que je propose répond aussi à votre remarque, qui est juste : personne ne peut se satisfaire du ralentissement présent de la croissance de la zone euro et dire simplement que tout ira mieux demain ! Dans ce cas, ne faisons plus de politique, ne prenons plus de décisions et laissons les marchés décider à notre place ! Mais si ce sont les marchés qui décident de tout, plutôt que nous, c’est toute notre ambition politique qui est réduite à néant.
Pour ma part, je crois à la volonté politique, y compris en matière économique ; si je propose ce contrat de croissance, c’est bien parce que je crois profondément que, lorsqu’il y a un tel ralentissement, qui peut avoir un impact immense sur la vie quotidienne de nos compatriotes, notre responsabilité est de dire : il faut faire autrement !
Quant au contenu, je suis prêt à examiner toutes les propositions, même les plus iconoclastes.
Le Président de la République a proposé un bouclier social. Cette proposition est iconoclaste au sein de la zone euro, mais elle pourrait garantir un minimum à toutes les personnes qui travaillent et qui rencontrent des difficultés dans la zone euro. Cela permettait de montrer que le modèle de développement économique européen n’est pas le dumping social – toujours plus vers le bas – ; notre modèle, c’est la dignité du travail et de sa rémunération.
Concernant la Banque centrale européenne, je suis prêt à ce que nous envisagions un engagement de toutes les banques centrales – européenne comme nationales – sur la finance verte.
Mme la présidente. Il faut conclure, monsieur le ministre !
M. Bruno Le Maire, ministre. Je crois à la nécessité d’un financement vert. Je suis prêt à étudier cette possibilité.
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Laurent, pour la réplique.
M. Pierre Laurent. Monsieur le ministre, en matière de propositions iconoclastes, vous pouvez compter sur nous. (Sourires.) Je vous en ai d’ailleurs soumis une, à laquelle vous n’avez pas réagi : la création d’un fonds consacré au développement des services publics. Vous n’ignorez pas que c’est un grand problème dans notre pays, comme dans beaucoup d’autres pays européens. Si nous voulons combler les inégalités en Europe, il y a de quoi faire, notamment en utilisant la finance de la Banque centrale européenne pour rattraper les retards existants.
Nous avons donc beaucoup de propositions iconoclastes, comme vous les appelez, dont la reprise par le Gouvernement serait utile.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Michel Houllegatte.
M. Jean-Michel Houllegatte. L’objectif fondamental de l’Union européenne, mais aussi de l’union économique et monétaire, est de garantir le développement économique et la stabilité, ainsi que le progrès et la prospérité pour tous.
En 2016, Jacques Delors lançait un avertissement clair qui demeure, plus que toujours, d’actualité : « Si l’élaboration des politiques européennes compromet la cohésion et sacrifie des normes sociales, le projet européen n’a aucune chance de recueillir le soutien des citoyens européens. »
Or la création de l’union économique et monétaire s’est accompagnée de règles précises relatives aux dépenses publiques, dans le cadre du pacte de stabilité et de croissance. Il est d’ailleurs à noter que le célèbre économiste Jean Pisani-Ferry, dans une communication très récente, s’interroge sur la pertinence du maintien de ces règles, notamment celle relative aux 3 % de déficit, alors que les conditions ont sensiblement évolué depuis l’entrée en vigueur de ces règles, en 1997.
Sous l’effet de la crise, ces règles ont conduit les États à adopter des politiques d’austérité : réduction drastique des dépenses, donc des services publics, diminution des investissements, baisse des dépenses sociales, augmentation de la flexibilité du marché du travail et gel des salaires visant à améliorer la compétitivité des entreprises. Ainsi, on a contribué à renforcer le camp des eurosceptiques.
Aussi, monsieur le ministre, ma question est double.
D’une part, quel rôle entend jouer la France pour réformer le pacte de stabilité de manière à permettre aux États de profiter des taux bas pour financer des investissements, tels que ceux qui sont liés à la transition vers une économie bas-carbone ?
D’autre part, en vue de la préparation du prochain sommet pour l’avenir de l’Europe, qui se déroulera le 9 mai prochain, quelles initiatives la France souhaite-t-elle prendre pour traduire dans des lois européennes, au moins à l’échelle de la zone euro, les mesures contenues dans le socle européen des droits sociaux et, en particulier, les annonces faites par le Président de la République relatives à un salaire minimum européen et à l’alignement du paiement des cotisations sociales des travailleurs détachés sur le niveau du pays d’accueil ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. On s’écarte un tout petit peu du débat sur la zone euro, mais je veux vous redire, monsieur le sénateur, la détermination du Gouvernement tout entier à mettre en place le socle européen des droits sociaux, notamment le salaire minimum européen et les exigences que vous avez mentionnées concernant la rémunération des travailleurs détachés. Ce sera à Mme la ministre du travail de porter cette ambition ; elle le fait déjà avec beaucoup de détermination.
Cela étant, je partage votre analyse : il ne peut pas y avoir d’Europe sans une dimension de solidarité. L’Europe ne peut pas être une compétition sans fin des États les uns contre les autres. Il faut que nous ayons cette garantie de solidarité.
En revanche, sur les règles, je vais être très clair avec vous : ce sont toujours les cancres qui contestent les systèmes de notation. Lorsque vous avez de très bons résultats scolaires, vous pouvez dénoncer l’absurdité, la stupidité de la notation ; lorsque vos résultats sont moins bons, vous êtes un petit peu moins fondé à contester le système en vigueur.
Mon exigence, comme ministre des finances, est de faire en sorte que la France apporte à ses partenaires la preuve qu’elle est enfin capable de respecter ses engagements, dont nous sommes tous les dépositaires. C’est important, en premier lieu, pour la règle des 3 % de déficit public. On peut évidemment contester la pertinence du chiffre – pourquoi pas 2 % ou 4 % ? –, mais il faut bien une règle, et la France sera plus crédible pour contester les règles le jour où elle les respectera et les aura respectées plusieurs années d’affilée.
Mme la présidente. La parole est à M. Yvon Collin. (M. André Gattolin applaudit.)
M. Yvon Collin. Dans quelques mois, l’euro fêtera les vingt ans de sa création ; ce sera sans doute l’occasion de dresser un bilan de cette monnaie commune à dix-neuf pays de l’Union européenne. Nous savons déjà que la progression du PIB par habitant a été de 89 % dans la zone euro depuis 2000, tandis qu’elle n’a été que de 58 % pour nos amis Britanniques restés à la livre. L’euro a permis une stabilité des prix et des changes, des taux de crédit relativement bas à la fois pour les ménages et pour les entreprises, ainsi qu’un cadre bénéfique pour la croissance de la zone euro, même si l’on aurait sans doute souhaité faire mieux encore.
Actuellement, comme d’autres monnaies, l’euro est en repli par rapport au dollar ; il est passé sous 1,12 dollar, soit une perte de 2,8 % depuis le mois de janvier dernier. Souvent qualifié de monnaie de confiance, l’euro doit conforter son assise et, ainsi, mieux affirmer sa souveraineté, en particulier par rapport au dollar. Tout cela suppose évidemment la consolidation des instruments économiques que porte la zone euro, ainsi que la stimulation de la croissance, qui est quelque peu léthargique, malgré un léger rebond finalement observé durant ce trimestre. Aussi, parmi les recommandations du Conseil pour les affaires économiques et financières, je retiendrai celles qui consistent à demander aux pays de la zone euro de soutenir l’investissement public et privé, d’alléger le coût du travail et d’assainir les finances publiques.
En réponse au mouvement des « gilets jaunes », le Président de la République a fait un certain nombre d’annonces sur le plan économique et fiscal ; elles pourraient, à certains égards, envoyer des signaux contradictoires. Je pense notamment à la baisse des impôts, très bien perçue par les marchés de change tant qu’elle ne creuse pas notre déficit public. Dans ces conditions, comment la France va-t-elle articuler les exigences qui nous lient à la zone euro et lesdites promesses qui nous engagent vis-à-vis de nos concitoyens ? (M. André Gattolin applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Monsieur le sénateur Yvon Collin, j’entends aujourd’hui beaucoup de contestations de la zone euro. Ces contestations sont parfois artificielles. C’est pourquoi je voudrais rappeler, avec beaucoup de simplicité, les avantages considérables que la zone euro apporte à nos entreprises et à nos concitoyens.
Premièrement, il n’y a plus d’inflation. On peut le regretter, argumenter qu’il en faudrait un tout petit peu, mais il n’y a plus cette inflation massive qui existait il y a quelques décennies encore et qui est un impôt sur les pauvres. Ceux qui perdent le plus lorsqu’il y a une inflation forte, ce sont en effet les ménages les plus modestes. Ne pas avoir d’inflation, c’est une protection pour les plus fragiles de nos compatriotes.
Deuxièmement, c’est un élément décisif, la zone euro permet aux entreprises de bénéficier d’une liberté de circulation. On a la même monnaie : cela facilite le commerce. Or le commerce intra-européen représente 60 % des échanges commerciaux français. C’est donc un avantage considérable pour le développement et la compétitivité de nos entreprises. Quand elles exportent vers Rome, Berlin ou Madrid, elles n’ont pas à payer de frais de change.
Troisièmement, la solidité de cette monnaie nous garantit des capacités d’exportation. Une monnaie forte facilite les échanges commerciaux extérieurs.
Ces trois avantages décisifs de la zone euro doivent être mis en avant sans relâche.
Il demeure une faiblesse, que vous avez parfaitement soulignée : il n’y a pas assez de convergence au sein de la zone euro. Malheureusement, certains États ont davantage bénéficié que d’autres, objectivement, de cette zone. C’est pourquoi le Président de la République et le Gouvernement ont proposé le budget de la zone euro : notre but est d’amener plus de convergence là où, au cours des dernières années, il y a eu trop de divergences.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Louis Masson.
M. Jean Louis Masson. Quand on a créé l’euro, on nous a expliqué qu’il ferait contrepoids au dollar et qu’il serait une force pour l’Europe en général, et donc pour la France, en matière de commerce international. Or je suis absolument scandalisé de constater la nullité de la zone euro quand il s’agit de résister aux pressions de M. Trump, qui essaie par exemple de nous empêcher de commercer avec l’Iran.
S’il y a bien un domaine où l’euro aurait pu être utile, ç’aurait bien été pour résister à la mainmise et à la domination du dollar. Or notre politique étrangère actuelle est asservie : nous sommes à genoux devant le dollar de M. Trump, qui nous impose les pays avec lesquels nous pouvons commercer et ceux avec qui nous n’avons pas le droit d’être en relations économiques.
Je le dis sans détour, monsieur le ministre : c’est scandaleux ! C’est le fait de la nullité intégrale des gouvernements qui s’occupent de l’euro.
M. Jean Bizet. C’est malheureusement exact !
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Heureusement, monsieur le sénateur, vous avez mis en cause les gouvernements, et non pas la France, sinon je vous aurais invité à participer à mes entretiens, à Washington, avec l’administration américaine ; vous auriez pu constater qu’ils sont musclés. On nous reproche quelque chose qu’en bon gaulliste je soutiens fortement : l’indépendance et la souveraineté française.
Quand le Président de la République refuse de s’engager dans une négociation commerciale avec les États-Unis parce qu’ils sont sortis des Accords de Paris, la réponse est musclée.
Quand nous taxons les géants du numérique, parce que nous estimons que c’est une question de justice fiscale, la réponse est musclée également.
En revanche, je vous rejoins totalement sur la nécessité de résister aux sanctions extraterritoriales américaines. Les États-Unis n’ont pas à être le gendarme de la planète ! Le dollar n’a pas à être l’étalon de l’ensemble du commerce mondial !
Ainsi, lorsque les États-Unis ont décidé de mettre en place des sanctions extraterritoriales contre l’Iran, alors même que ce dernier est toujours membre de l’accord que nous avons signé à Vienne, nous avons mis en place, avec le Royaume-Uni et l’Allemagne, un instrument spécifique afin de continuer à commercer avec l’Iran en dépit des sanctions extraterritoriales américaines. S’il n’y avait pas eu cette réaction européenne, j’aurais admis que nous n’avions pas été à la hauteur. Or je constate que les Européens ont eu le courage de mettre en place cet instrument.
Cela dit, je connais suffisamment le manque de détermination de certains face aux États-Unis pour savoir que c’est au pied du mur qu’on verra le maçon. (Sourires.) C’est donc au pied de cette institution financière que nous verrons la détermination des États européens à résister aux États-Unis d’Amérique.
M. Jean-Paul Émorine. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour la réplique.
M. Jean Louis Masson. Monsieur le ministre, à la limite, vous me donnez raison, mais on constate tout de même que nos échanges commerciaux avec l’Iran ont diminué de plus de moitié. Franchement, on ne peut pas s’en satisfaire !
Les dirigeants de l’euro et, de manière générale, les pays qui font partie de la zone euro sont totalement nuls. On baisse les bras face aux États-Unis. J’estime que c’est scandaleux : si l’on continue à se laisser faire ainsi, c’est toute notre politique étrangère et tous nos échanges commerciaux internationaux qui, bientôt, seront aux ordres des États-Unis.
J’insiste, monsieur le ministre : il serait temps de mettre un vrai blocage au sein de la zone euro tant que cette affaire n’est pas réglée.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Longeot.
M. Jean-François Longeot. « Un petit bout d’Europe entre nos mains », c’est ainsi que l’ancien président de la Commission européenne Romano Prodi qualifiait l’euro en 2002. La zone euro est en effet au cœur de l’Europe et représente une étape essentielle de l’achèvement du marché intérieur et de l’intégration économique et financière du continent.
Utilisé par près de 340 millions de citoyens à travers dix-neuf États membres, l’euro constitue la réalisation la plus concrète de l’intégration européenne. Toutefois, il souffre d’un manque d’incarnation politique et peine à avancer en raison de l’obstruction de pays plus eurosceptiques que d’autres. Or le renforcement de l’union économique et monétaire doit être la première des priorités. Dix-neuf États ont choisi de partager une monnaie commune et, ainsi, de mettre en commun leur souveraineté. Il faut à présent aller plus loin et accepter une Europe en cercles concentriques, dont le cœur sera la zone euro, avec un marché du travail beaucoup plus intégré et une convergence sociale assumée.
Une meilleure coordination des politiques économiques et budgétaires permettra de consolider ce cœur de l’Europe. Il est toutefois primordial qu’un instrument budgétaire commun puisse s’articuler avec une politique monétaire par définition communautarisée. Les règles de coordination et de convergence des politiques économiques nationales ne sauront masquer le manque criant d’un outil budgétaire commun qui permettra de facto de limiter les divergences économiques.
Enfin, malgré sa technicité, l’union bancaire lancée en pleine crise des dettes souveraines et européennes doit être achevée. Les deux premiers piliers, à savoir la supervision commune des banques et le mécanisme de résolution des crises et de gestion des faillites bancaires, doivent être approfondis ; le troisième, un système de garantie commune des dépôts bancaires, reste à construire.
Monsieur le ministre, quelles sont les priorités françaises sur ces points en vue de la prochaine réunion de l’Eurogroupe le 16 mai prochain ? Quelles sont les priorités du Gouvernement pour relancer l’Union européenne dans son cœur, alors que le gouverneur de la Banque de France, M. François Villeroy de Galhau, met en garde contre tout attentisme au sein de la zone euro ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Le propos de M. le sénateur Longeot soulève de nombreuses questions.
Il existe une supervision de la zone euro ; il faut une supervision plus solide des banques européennes. Ce qui vient de se passer avec la Danske Bank le montre très clairement : il est indispensable de renforcer la supervision bancaire de l’Union européenne.
Ce sont souvent les mêmes qui nous font des leçons de morale, en nous accusant de ne pas respecter ceci ou cela : eh bien, qu’ils respectent déjà les règles bancaires européennes et qu’ils se conforment aux règles instaurées contre le blanchiment ! On ne peut pas demander de renforcer les règles pour certains et non pour soi-même. Je souhaite donc que nous ayons une supervision bancaire européenne plus solide.
Sur l’incarnation, je vous rejoins là aussi totalement, monsieur le sénateur. Je veux croire que nous aurons mis en place tous ces instruments – union bancaire, union des marchés de capitaux, budget de la zone euro, budget de convergence – d’ici à la fin de 2019 ; si ce n’est pas le cas, c’est que les États membres de la zone euro n’auront pas été à la hauteur de leurs responsabilités historiques.
Dans un second temps, j’espère parvenir à convaincre nos partenaires qu’un instrument de stabilisation est absolument indispensable, mais chacun sait qu’on est aujourd’hui bloqué sur ce point.
Il faudra en tout cas, dans une perspective de long terme, une incarnation. Ce sera le ministre des finances de la zone euro, qui sera un primus inter pares. On rejoint la construction politique que nous vous proposons : plutôt qu’une fédération, des États-nations qui travaillent plus ensemble.
Prenons l’exemple de la Banque centrale européenne, qui fonctionne remarquablement bien : il y a un primus inter pares, Mario Draghi, son président, qui prend ses responsabilités quand cela est nécessaire, mais tous les présidents de banques centrales membres de la zone euro sont également présents autour de la table, donnent leur avis et apportent leur regard sur la situation. C’est à mon avis le bon modèle pour la zone euro de demain.
Mme la présidente. La parole est à M. Joël Guerriau.
M. Joël Guerriau. La création de l’euro incarne la réussite la plus palpable de l’Union européenne. Avec près de 75 % du PIB de l’Union européenne, la zone euro constitue la troisième puissance économique mondiale. Elle représente le noyau dur de l’Union européenne.
L’euro a délivré deux promesses fondatrices : la stabilité des prix, avec une inflation moyenne de 1,7 % par an en Europe depuis sa création, soit trois fois moins qu’au cours des vingt années précédentes. Les récentes crises ont démontré la solidité de cette monnaie et sa capacité à protéger les économies des États membres. Pourtant, il faut encore progresser et relever les défis qui se présentent à nous : l’achèvement de l’union bancaire, la convergence des réformes économiques nationales, le renforcement et la souveraineté de l’union économique et monétaire, et la défense du rôle international de l’euro.
Les États les plus performants contribuent à la croissance de la zone euro, mais chaque État doit faire preuve de sérieux budgétaire. L’idée d’un contrat de croissance est de bon aloi. Ces avancées sont d’autant plus nécessaires dans un contexte de concurrence accrue, de tensions commerciales et internationales et d’incertitudes liées au Brexit. Il est donc indispensable d’engager des réformes évitant toute divergence entre les politiques menées par les États membres et, surtout, permettant à l’Europe de peser face à de grandes puissances comme les États-Unis ou la Chine.
La zone euro renforce nos positions sur les marchés mondiaux. Alors que la dette européenne baisse globalement et que la croissance semble se maintenir dans la zone euro, l’Italie, qui mène une politique expansionniste, voit sa dette augmenter sans reprise de sa croissance. Les décisions budgétaires que ce pays prend peuvent avoir des répercussions très négatives sur ses voisins, qui font les efforts budgétaires demandés, alors même que ces efforts ne sont pas toujours populaires auprès de leurs citoyens.
Monsieur le ministre, alors même que la Commission doit refaire un point de la situation budgétaire en juin prochain, comment éviter que certains États, comme l’Italie, mènent des politiques économiques allant à l’encontre des autres États membres ? Que compte faire la France pour faire avancer concrètement ces réformes indispensables de la zone euro, pour en convaincre nos partenaires et, notamment, pour développer le soft power de la zone euro ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Je ne suis pas satisfait du niveau de croissance de la zone euro. D’autres orateurs l’ont dit dans ce débat : si l’on se satisfait de ce niveau de croissance, il ne faudra pas s’étonner de la montée des populismes partout en Europe. On nous dira : « Votre euro est bien sympathique, mais si c’est pour avoir 0,2 ou 0,5 point de croissance et être à la traîne alors que d’autres grandes nations, comme les États-Unis, ont de meilleurs résultats que nous, c’est qu’il ne marche pas ! »
Il est temps que nous prenions nos responsabilités. C’est le contrat de croissance que j’ai proposé : d’un côté, des réformes pour ceux qui en ont besoin, dont la France ; de l’autre, plus d’investissements pour ceux qui en ont la capacité budgétaire, dont l’Allemagne. Certes, celle-ci dépense plus qu’elle ne le faisait auparavant, mais elle peut dépenser plus encore pour financer des investissements qui bénéficieront à l’ensemble de la zone euro. Voilà le contrat que je propose.
Vous avez également évoqué la situation italienne, monsieur le sénateur. Je répète toujours à nos partenaires italiens que nous sommes tous dans le même bateau : nous avons abandonné notre souveraineté monétaire.
J’entends certains affirmer, à l’occasion de la campagne pour les élections européennes, qu’il n’y a pas de souveraineté européenne. Dans ce cas, c’est qu’ils ont abandonné l’euro, qui est un instrument de cette souveraineté. Sans souveraineté européenne, il n’y a pas d’euro ! La nier, c’est de facto renoncer à l’euro et à la zone euro.
Dès lors que nous avons partagé cette souveraineté et que nous avons une monnaie commune, il faut que chacun suive les règles. C’est trop facile d’aller voir sa propre population et de lui déclarer : « Nous sommes complètement libres, nous faisons ce que nous voulons, nous sommes indépendants et nous nous moquons de ce que diront l’Allemagne, la France, l’Espagne et les autres ! » C’est notre cohésion qui fait notre force ; les règles que nous respectons tous font la force de notre zone commune. Personne ne peut s’abstraire de règles qu’il a librement et souverainement choisies : elles le protègent et protègent la zone euro dans son ensemble.
Mme la présidente. La parole est à M. René Danesi.
M. René Danesi. Le dollar est la monnaie la plus utilisée pour les échanges internationaux de biens et de services, mais aussi pour les réserves de change dans le monde. Cette supériorité du dollar permet aux États-Unis de pratiquer une politique extérieure agressive, au point de faire condamner à de lourdes amendes les entreprises non américaines qui ont utilisé le dollar pour des transactions avec des pays que les États-Unis boycottent.
Avec son internationalisation, le yuan chinois est intégré aux réserves de change de plusieurs États, dont la Russie. Certes, le FMI estime à moins de 2 % la part du yuan dans le total des réserves de change des 149 pays suivis par cet organisme, mais la part de cette devise a quasiment doublé dans ces pays entre 2017 et 2018. La valeur du yuan et la volonté de la Chine d’en faire progressivement une monnaie concurrente du dollar deviennent le sujet central dans les vifs débats entre la Chine et les États-Unis.
Il n’en est pas de même pour l’euro, dont la position, pourtant bien plus forte, n’inquiète guère les États-Unis, et pour cause ! En effet, l’euro remplit gentiment un rôle d’intermédiaire des échanges internationaux, à hauteur de 36 %, contre 40 % pour le dollar. D’une part, plus de 80 % des importations d’hydrocarbures des pays de l’Union européenne sont payées en dollars ; d’autre part, seulement 22 % des réserves mondiales de change sont détenues en euros, contre 60 % en dollars.
Dans son rapport annuel de 2018, la Banque centrale européenne juge que la place de l’euro dans le monde n’a jamais été aussi réduite. Selon la BCE, l’euro a perdu 3 points dans les réserves mondiales de change entre 2008 et 2017. Certes, la fiabilité économique de l’euro est rassurante, mais sa crédibilité géopolitique n’est pas à la hauteur de la puissance économique que l’Union européenne pourrait être, si elle en avait la volonté politique.
L’alignement des principaux pays de l’Union européenne sur la politique étrangère agressive des États-Unis, comme c’est le cas vis-à-vis de la Russie, ou leur incapacité à s’y soustraire efficacement, comme c’est le cas vis-à-vis de l’Iran, ne permettra pas à l’euro de trouver cette crédibilité géopolitique qui lui manque.