Mme la présidente. Il faut conclure, mon cher collègue !
M. René Danesi. La France, qui affiche ses ambitions pour une Europe qui protège, est-elle consciente qu’un euro réellement indépendant du dollar serait le meilleur bouclier de l’Europe ? Si tel est le cas, quelles sont les propositions concrètes que la France est prête à faire à ses partenaires pour forger ce bouclier ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Monsieur le sénateur, il n’y a ni puissance ni projet politique sans monnaie. L’euro doit être l’instrument de la puissance politique européenne ; sinon, il n’aura pas d’avenir.
Toute notre discussion d’aujourd’hui montre bien le chemin qu’il faut suivre. Il faut une incarnation : le ministre des finances de la zone euro. Il faut des instruments complémentaires : l’union bancaire, l’union des marchés de capitaux, le budget de la zone euro. Enfin, il faut une ambition – n’ayons pas peur d’employer ce mot –, celle de faire de l’euro, demain, une monnaie de réserve équivalente au dollar. C’est possible ! Nous avons en effet le marché de consommateurs le plus riche de la planète, même si nous avons quelque peu tendance à l’oublier. Les 500 millions de consommateurs européens font le marché le plus riche et le plus attractif du monde.
Nous avons une monnaie solide et stable, l’euro. Il nous appartient seulement, à présent, de prendre un certain nombre de décisions très concrètes.
Premièrement, je proposerais volontiers que les facturations se fassent désormais en euros, et non plus en dollars, pour les entreprises européennes qui exportent. C’est un moyen de faire de l’euro une monnaie de référence sur la scène internationale.
Deuxièmement – nous avons évoqué avec M. Masson les contours de cette proposition –, il faudrait avoir un instrument financier doté de réserves en euro qui nous permettraient de financer les échanges commerciaux, y compris avec des États placés sous sanctions extraterritoriales américaines. L’euro peut être un outil d’autonomie, un outil d’indépendance politique, mais il faut pour cela cette institution financière totalement indépendante.
Troisièmement, il faut être capable de développer le commerce en euro, en ayant conscience de ce qui se passe à travers le monde. Le montant total des investissements de l’Exim Bank chinoise en Afrique est supérieur, depuis deux ans, à celui des investissements de la Banque mondiale. Cela dit bien le renversement de puissance que l’on peut observer aujourd’hui.
Face à cela, notre intérêt est de faire de l’euro une monnaie de référence internationale. La Commission européenne a formulé des propositions en ce sens ; nous les soutenons. J’y ajoute celles que je viens d’avancer : la facturation en euros, l’outil financier indépendant et le développement des échanges commerciaux sur la base de notre monnaie commune.
Mme la présidente. La parole est à M. Yannick Botrel.
M. Yannick Botrel. Lors du Conseil européen du mois de décembre dernier, les vingt-sept États membres se sont accordés sur le principe d’un budget de la zone euro, toutefois éloigné du projet soutenu ces dernières années, tout comme de l’ambition initiale défendue par le Président de la République au début de son mandat. La France a, semble-t-il, reculé sur plusieurs points essentiels, et ce dès la déclaration commune avec l’Allemagne au mois de décembre 2018, loin des déclarations du mois de juin de la même année, à l’occasion du sommet de Meseberg.
Le premier point concerne l’investissement. Un budget à la disposition des États membres de la zone euro devrait favoriser la convergence de ces derniers, afin de réduire les risques de dysfonctionnements économiques. Nous nous en sommes éloignés.
Le deuxième point porte sur l’abandon de la fonction de stabilisation économique que nous n’avons cessé de demander et qui donnerait tout son sens à la dimension budgétaire afin d’en faire un véritable outil de protection en cas de nouvelle crise financière. Or l’idée d’un fonds permettant de résister aux chocs asymétriques et de disposer notamment d’un système d’assurance chômage européen qu’un État membre de la zone euro pourrait activer a littéralement disparu de la position commune franco-allemande.
Le troisième point a trait au financement de ce budget. Celui-ci est réduit à une simple ligne budgétaire du budget général de l’Union européenne. Il court donc le risque de se résumer à un simple fonds européen, très éloigné de ce que l’on aurait pu attendre et de ce qui serait nécessaire.
Vous l’aurez compris, monsieur le ministre, nous sommes préoccupés du tour que prennent aujourd’hui les négociations. Il ne suffit pas d’annoncer un projet, encore faut-il faire en sorte qu’il puisse, une fois adopté, permettre des ambitions.
Ma question est donc double : reste-t-il encore une marge de manœuvre afin de retrouver un budget de la zone euro qui intégrerait plus étroitement les pays partageant la monnaie unique ? À ce stade, la France peut-elle encore défendre le principe d’une fonction de stabilisation pour ce budget ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Monsieur le sénateur Botrel, moi, je ne suis pas très savant, j’écoute ceux qui savent plus que moi. Le FMI, l’OCDE, le président de la Banque centrale européenne : tous disent qu’il faut que le budget de la zone euro ait une fonction de stabilisation. Je l’ai dit et répété : il existe aujourd’hui chez un certain nombre d’États une opposition farouche à toute fonction de stabilisation de la zone euro. Je pense en particulier aux Pays-Bas, qui se sont fortement opposés à toute idée d’une fonction de stabilisation pour le budget de la zone euro.
L’Union européenne se bâtit pas à pas. Dieu sait que j’aimerais parfois qu’elle chausse des bottes de sept lieues, mais nous sommes obligés, pour avancer, de faire de temps en temps des compromis. Les compromis ne doivent jamais être des renoncements.
Aujourd’hui, le principe d’un budget de la zone euro est acquis, ce qui constitue déjà un progrès considérable par rapport à la situation d’il y a deux ans. Nous avons acté la fonction de convergence, c’est-à-dire des investissements supplémentaires pour que les économies convergent, alors qu’aujourd’hui elles sont en train de diverger, ce qui menace l’avenir de la zone euro.
Je ne renonce pas à la fonction de stabilisation de la zone euro. Je le dis avec beaucoup de simplicité, parce que j’y crois et que je considère que, lors de la prochaine crise économique, nous serons bien contents que ces instruments de stabilisation évitent à deux ou trois États de couler et d’être entraînés vers le fond, faute de solidarité. Il ne faut pas avoir peur de ce mot de solidarité entre les États membres de la zone euro : la compétition, oui, mais à condition qu’il y ait aussi de la solidarité !
Enfin, il faut des ressources propres pour le financement du budget de la zone euro. Je pense à la taxe sur les transactions financières, mais on peut aussi imaginer d’affecter une partie des ressources issues de la taxation des géants du numérique.
Je souhaite insister sur un dernier point : la gouvernance de la zone euro doit se faire à dix-neuf. Si les États non membres de la zone euro veulent participer à la décision, ma recommandation, c’est qu’ils adhèrent à la zone euro !
M. Jean Bizet. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme Sylvie Vermeillet.
Mme Sylvie Vermeillet. Le président de la Banque centrale européenne, Mario Draghi, a déclaré voilà quelques semaines : « Les risques liés aux perspectives de croissance de la zone euro sont toujours orientés à la baisse, en raison de la persistance d’incertitudes liées aux facteurs géopolitiques, à la menace du protectionnisme et aux vulnérabilités des marchés émergents. »
Cette baisse de la croissance, qui, au-delà de la zone euro, affecte l’ensemble des économies industrialisées, a conduit la BCE à poursuivre sa politique monétaire dite « accommodante », notamment avec des taux d’intérêt très bas. Cette politique a deux objectifs principaux : d’une part, relancer l’activité économique – force est de constater que les résultats ne sont pas à la hauteur des attentes – ; d’autre part, éviter une augmentation brusque des déficits publics, laquelle entraînerait une hausse de la dette publique.
Concernant ce second aspect, il convient de rappeler que la crise des dettes souveraines européennes, entre 2010 et 2012, a failli conduire à la faillite de l’État grec et à l’éclatement de la zone euro. Éviter que ce scénario ne se reproduise est donc une priorité.
Les pays membres de la zone euro ont d’ores et déjà mis en place des mécanismes de stabilité. Ces réformes bienvenues nous semblent cependant trop partielles, voire incomplètes, au regard des enjeux et des risques que la situation économique actuelle fait peser sur la stabilité de la zone euro et de l’Union européenne dans son ensemble.
Nous pouvons par ailleurs nous demander si c’est bien le rôle de la Banque centrale européenne que de veiller à ce que les États ne se retrouvent pas en faillite. Qui plus est, sa politique monétaire « accommodante » ne pourra se poursuivre éternellement, vous l’avez souligné, monsieur le ministre.
Nous devons sortir de cette situation inconfortable. Où en sont donc les propositions de la France en faveur d’une intégration politique plus poussée des pays membres de la zone euro ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Madame la sénatrice, les divergences actuelles de situations économiques entre les États membres de la zone euro ne sont pas tenables. Je le redis avec beaucoup de gravité : vous ne pouvez pas avoir une union monétaire et des divergences croissantes entre les États membres de cette zone monétaire.
M. Jean Bizet. Exact !
M. Bruno Le Maire, ministre. La faiblesse de la croissance de la zone euro n’est pas non plus tenable sur le long terme. Je partage donc l’appréciation du président de la Banque centrale européenne : il est urgent de réagir.
Certaines responsabilités sont nationales, je le martèle. Je pense à la poursuite des transformations pour gagner en compétitivité et réussir davantage économiquement. Toutefois, il faut également que l’Union européenne et la zone euro soient capables de faire preuve de plus de solidarité – je l’ai dit à M. Botrel. Vous ne pouvez pas, d’un côté, exiger des réformes structurelles, le rétablissement des finances publiques et, de l’autre, ne rien proposer en contrepartie ; ce n’est pas possible. La contrepartie, c’est de la solidarité, la garantie des dépôts bancaires et un instrument budgétaire permettant aussi de faire de la stabilisation.
Enfin, puisque vous avez beaucoup cité la Banque centrale européenne, je tiens à rendre hommage à son président, Mario Draghi, qui, en pleine crise des dettes souveraines, à un moment où les spreads entre l’Italie, la Grèce et l’Allemagne pouvaient atteindre 300, 400, 600 points de base et où la zone euro était menacée d’éclater, a eu le courage de dire devant la presse et l’opinion publique européenne : « Nous prendrons toutes les décisions nécessaires pour rétablir la situation. » Souvenez-vous de sa fameuse expression : « whatever it takes ».
Moi, j’aime l’Europe quand, à la tête de l’une de ses institutions, on trouve un homme qui a le courage et la lucidité de prendre les décisions qui s’imposent. Or je veux dire à tous mes homologues européens que nous sommes aujourd’hui dans une situation analogue.
Mme la présidente. La parole est à Mme Christine Lavarde.
Mme Christine Lavarde. Le 15 décembre 2018, le sommet de la zone euro a demandé à l’Eurogroupe d’élaborer, d’ici à la fin du mois de juin prochain, une proposition détaillée pour un instrument budgétaire spécifique à la zone euro. Selon le mandat donné aux ministres des finances par les chefs d’État ou de gouvernement, cet instrument se concentrera uniquement sur le soutien à la convergence et à la compétitivité.
La Commission européenne a proposé au mois de mai dernier un outil de stabilisation reposant sur un système de prêts, proposition déjà en retrait par rapport à celle qui avait été formulée par le Président de la République. Toutefois, aucun consensus n’a pu émerger pour soutenir cette idée, qui a donc été exclue du mandat adopté au mois de décembre 2018.
Malgré cette première clarification, les divergences d’appréciation semblent toujours très fortes entre les États membres et de nombreuses questions demeurent en suspens sur les principaux aspects de cette capacité budgétaire, notamment sur la nature et la finalité de ses dépenses, sur sa base juridique, sa gouvernance, son lien avec le semestre européen et, surtout, l’origine et le montant de ses recettes. La France et l’Allemagne ont notamment proposé que ce fonds soit alimenté par des ressources propres issues de nouvelles taxes, par des contributions nationales et par des financements européens. À ce titre, la Commission européenne a proposé, dans son projet de cadre financier pluriannuel 2021-2027, un programme doté de 25 milliards d’euros sur sept ans pour financer un outil d’aide à la mise en place de réformes structurelles ainsi qu’un mécanisme de convergence.
Monsieur le ministre, même si les négociations sur le volume financier de l’instrument budgétaire pour la zone euro sont toujours en cours, pouvez-vous nous indiquer sur quelle base travaillent la Commission européenne et les États membres ?
Par ailleurs, les difficultés rencontrées par la taxe sur les services numériques ou la taxe sur les transactions financières semblent indiquer que ce fonds ne sera pas financé, dans un horizon prévisible, par de nouvelles ressources propres, mais le sera essentiellement par des contributions budgétaires nationales. Pouvez-vous dès lors nous préciser le montant attendu de la participation française et son impact sur nos finances publiques ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Madame la sénatrice, pour qu’il y ait un accord sur le budget de la zone euro, d’abord un accord avec l’Allemagne, puis un accord à dix-neuf, nous avons accepté des compromis.
Nous avons d’abord accepté qu’il y ait un lien entre le budget de la zone euro et les perspectives financières pour l’Union européenne pour les années à venir, alors que l’on aurait pu très bien imaginer une indépendance totale.
Nous avons également accepté – cela a été souligné par beaucoup d’entre vous – que ce soit un budget de convergence et non un budget de stabilisation, qui privilégie l’investissement, mais qui ne permet pas de réagir en cas de crise économique.
Nous n’irons pas plus loin dans les concessions. Nous devons désormais prendre un certain nombre de décisions au mois de juin prochain. Je le redis : la gouvernance doit se faire à dix-neuf, et la France n’acceptera pas que la gouvernance de la zone euro se fasse par des États qui n’en sont pas membres. Je ne vois pas pourquoi ceux qui ont abandonné leur souveraineté monétaire pour avoir une monnaie commune se verraient dicter l’avenir de la zone euro par ceux qui n’ont pas renoncé à leur souveraineté monétaire.
M. Jean Bizet. C’est essentiel !
M. Bruno Le Maire, ministre. Là-dessus, que les choses soient bien claires : nous voulons une gouvernance à dix-neuf.
M. André Gattolin. Absolument !
M. Yvon Collin. Oui !
M. Bruno Le Maire, ministre. Il faut aussi des ressources propres. La taxe sur les transactions financières, à propos de laquelle nous ne sommes pas loin d’un accord, peut être une ressource propre pour la zone euro.
Enfin, et je veux y insister, en réponse à votre question, madame la sénatrice, il s’agit là d’un point de départ et non d’un point d’arrivée. Je continue à considérer qu’il faudra, à un moment ou un autre, une fonction de stabilisation au budget de la zone euro, et je préfère qu’on le décide en dehors d’une période de crise plutôt que, comme à chaque fois, commencer par dire non et dire oui quand la crise survient. Il serait plus raisonnable de dire oui tout de suite. (M. André Gattolin applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. Rachid Temal.
M. Rachid Temal. L’Europe ne produit plus d’Européens. Ce constat est terrible, mais bien réel dans cette aire géopolitique qu’est l’Union européenne, la première pourtant à s’être bâtie sur la base du choix des États et non pas sous le joug de telle ou telle armée.
L’une des plus grandes réussites de l’Union européenne, c’est l’euro. Toutefois, alors que l’euro a été initialement pensé comme un outil au service de l’Union européenne, comme un instrument de protection et de développement des économies, tant en interne qu’en externe, nous devons aujourd’hui dresser un constat d’échec quant à son rôle au sein de l’Union européenne.
Aujourd’hui, au-delà de cette monnaie que nous partageons, qu’est-ce qui compose l’Union européenne ? Une gouvernance démocratique ? Pas vraiment. Une convergence fiscale ? Pas davantage. Une convergence sociale ? Encore moins. En effet, dans cet ensemble, plusieurs États censés coopérer se livrent à une véritable concurrence, parfois fiscale – de ce point de vue, la France a, récemment encore, apporté sa pierre à l’édifice avec la flat tax ou la suppression de l’exit tax.
Nous aurions souhaité que le budget de la zone euro soit orienté non seulement vers le développement économique, mais également vers une politique sociale digne de ce nom, digne de la puissance économique qu’est l’Europe. Je pense bien évidemment au mécanisme européen d’assurance chômage, à la sécurité sociale européenne, en passant par le droit à la formation, mais aussi un salaire minimum européen – dans le débat préalable aux élections européennes, certains ont tenté d’en parler, mais se sont pris les pieds dans le tapis – ou à l’intégration des indicateurs sociaux dans le processus de semestre européen. À ce titre, la directive des travailleurs détachés est un contre-exemple.
Aussi, monsieur le ministre, comment comptez-vous peser dorénavant dans les discussions à l’échelon européen par des actions concrètes pour que le budget de la zone euro soit réellement un outil au service de la croissance, mais surtout de la convergence sociale dans l’Union européenne – sujet qui nourrit aujourd’hui beaucoup d’extrémisme ? Comment faire en sorte qu’il y ait une véritable direction et une véritable gouvernance politique de la zone euro à dix-neuf ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Monsieur le sénateur Temal, l’une des conditions de la convergence sociale, c’est la convergence fiscale, car celle-ci permet d’éviter ce qui peut, à mon avis, profondément déstabiliser la zone euro, le dumping fiscal. Le dumping fiscal est une plaie dont il ne sortira rien de bon : ni croissance, ni emploi, ni capacité de résistance face aux États-Unis ou à la Chine.
La convergence fiscale est au cœur de l’accord de Meseberg. Je le redis : cet accord entre la Chancelière allemande et le Président de la République est historique. Il prévoit la convergence fiscale sur l’impôt sur les sociétés. Nous la construisons, notamment en rapprochant les droits des faillites français et allemand. Tout cela avance, et je souhaite que les autres États membres de la zone euro nous suivent dans cette voie.
Si nous voulons véritablement une convergence, je vais vous dire le fond de ma pensée, il faut passer de l’unanimité à la majorité qualifiée en matière fiscale.
M. Roger Karoutchi. Évidemment !
M. Jean Bizet. Tout à fait !
M. Bruno Le Maire, ministre. C’est la seule façon d’avancer. Regardez ce qui s’est passé sur la taxation des géants du numérique ! Nous étions seuls au départ, puis cinq. Ensuite, vingt-trois États européens se sont totalement mobilisés là-dessus. La Commission européenne a proposé un texte solide, convaincant, même s’il n’est pas parfait. Malheureusement, quatre États, qui se mettent systématiquement en posture d’opposition à la taxation du numérique, ont bloqué cette décision, et c’est l’Union européenne tout entière qui est fragilisée.
Si nous voulons véritablement la convergence, ayons du courage et passons de l’unanimité à la majorité qualifiée en matière fiscale ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à M. Serge Babary.
M. Serge Babary. Monsieur le ministre, vous venez de proposer à nos partenaires européens « un nouveau contrat de croissance pour la zone euro ». Ce nouveau contrat est justifié par le constat d’un ralentissement de la croissance mondiale. Il repose sur quatre piliers, notamment l’accélération de la transformation de la zone euro, avec un budget disponible pour le mois de juin prochain, et une union bancaire réalisée d’ici à la fin de 2019.
La zone euro a déjà connu plusieurs réformes qui lui ont permis de surmonter les crises. Je pense ici aux prémices de cette union bancaire, au renforcement de la gouvernance économique ou encore à la création d’un mécanisme de sauvetage permanent qui peut mobiliser jusqu’à 700 milliards d’euros.
La zone euro se réinvente grâce aux crises. Ces réformes, à l’écart desquelles les peuples ont été tenus, ont cependant eu un prix démocratique : le Brexit, l’émergence d’eurosceptiques, voire d’europhobes, en témoignent.
Aussi, ce contrat est un premier pas, mais il ne remplacera pas la réforme d’envergure qui est attendue et qui conditionnera l’avenir de la zone euro. S’il est indispensable de renforcer le pilotage exécutif de la zone euro en se posant la question du contrôle démocratique, de la place des parlements nationaux, l’enjeu démocratique n’est pas qu’institutionnel.
La zone euro a été mise en place, mais les politiques budgétaires, économiques, fiscales et sociales sont restées indépendantes. C’est l’existence d’une Union européenne à vingt-sept et d’une union monétaire à dix-neuf sans aucune convergence des législations qui pose aujourd’hui problème. L’Europe est perçue par les peuples de la zone euro comme celle qui entrave et qui admet le déséquilibre. Si un État est exigeant, s’il s’impose des normes de qualité, il sera confronté, au sein même de la zone euro, à la concurrence de produits émanant d’autres États fabriqués à un moindre coût et de moindre qualité.
Il est urgent de renforcer la confiance des peuples dans l’Europe. Redonner confiance, c’est d’abord créer une Europe et une union monétaire intelligibles. C’est aussi, à mon sens, créer les conditions d’un marché structuré.
Le choix est simple : se contente-t-on d’administrer et de réfléchir à une gouvernance ou crée-t-on les conditions d’un marché structuré au sein de l’union monétaire, en renforçant l’équilibre, l’équité, la concurrence loyale entre États de l’Union par une convergence économique, fiscale et sociale ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Monsieur le sénateur Babary, vous le savez : qui aime bien châtie bien ! Si je suis parfois sévère envers l’Union européenne, c’est parce que je l’aime profondément et que je crois profondément au destin français en Europe et au destin européen.
Vous l’avez parfaitement dit, l’Europe ne se réforme qu’en situation de crise. Cependant, nous pouvions nous permettre cela jusqu’au Brexit, jusqu’à l’émergence des partis extrémistes partout en Europe. Maintenant que nous voyons le danger, tous ceux qui croient dans la démocratie libérale et dans la nécessité de garder un système démocratique comme celui que nous avons devraient se dire qu’il y a urgence à décider, à faire progresser la zone euro, à mettre en place les instruments dont nous avons parlé.
Je le dis très simplement : je pense qu’aujourd’hui l’organisation institutionnelle de la zone euro n’est pas satisfaisante, que tout est fait pour que l’on ne puisse pas décider.
La politique, c’est très concret. Vous qui êtes tous des élus et des responsables politiques chevronnés, vous savez que les formats et les quorums sont décisifs. Autour de la table se trouvent réunis non seulement les dix-neuf ministres des finances de la zone euro, la Commission européenne, le vice-président de la Banque centrale européenne, le représentant du mécanisme européen de stabilité, le représentant du service légal de la Commission européenne, mais aussi les États non membres de la zone euro, parce qu’il faut bien qu’ils participent à la discussion… On pourrait aussi inviter tous les États étrangers à venir assister à nos réunions pour savoir ce qui s’y passe ! Tout est fait et organisé pour que l’on ne décide pas. Ça suffit !
Je le dis avec beaucoup de gravité : il faut passer à autre chose. Il existe d’autres modèles de gouvernance qui seraient mille fois plus efficaces. Il faut être capable d’anticiper le jour où se trouveront autour de la table les dix-neuf ministres des finances et un primus inter pares ministre des finances de la zone euro qui aura la voix décisive supplémentaire pour dire : « Voilà où nous allons ! Certains ne sont pas d’accord ? Certains ont des réticences ? Ce n’est pas grave. Avançons dans cette direction, parce que c’est comme cela que nous serons tous ensemble plus forts. » Nous aurons alors franchi le cap décisif qui nous manque aujourd’hui. Monsieur le sénateur Babary, je préfère le faire dans une période calme plutôt qu’en période de crise.
Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Duranton.
Mme Nicole Duranton. Le temps a passé depuis la signature de la déclaration de Meseberg au mois de juin 2018 et la signature du traité d’Aix-la-Chapelle au mois de janvier dernier.
Le premier texte nous engageait à réaliser des progrès décisifs vers une union des marchés de capitaux et à créer un budget de la zone euro, dont le but serait de promouvoir la compétitivité, la convergence et la stabilisation dans ladite zone. Le second texte affichait plusieurs projets prioritaires, dont le suivi serait assuré par le conseil des ministres franco-allemand, avec une volonté de coopération au sein de l’Union européenne dans le domaine des services et des marchés financiers.
La Chancelière Angela Merkel, puis les pays nordiques groupés derrière le chef du gouvernement néerlandais ont largement minoré l’ambition et les objectifs de ce projet de budget. Ils refusent que ce budget joue un rôle de stabilisateur en cas de choc économique – à juste titre, compte tenu de la situation économique et financière de la France. Nous ne pouvons pas convaincre nos partenaires européens sans leur apporter la preuve que nous pouvons restaurer nos comptes publics, au risque de donner l’image d’un projet déresponsabilisant les États, qui, quelle que soit leur gestion, seront de toute façon sauvés par ce fonds. Ce dernier n’aura que peu de réserves en raison de la mauvaise santé économique de ses contributeurs.
Plus récemment, la tribune intitulée « Pour une Renaissance européenne », que le Président de la République a publiée au mois de mars dernier, n’évoque pas une seule fois la zone euro. Voilà qui est très significatif d’un renoncement à réformer en profondeur l’union économique et monétaire au profit d’un repositionnement sur les questions de liberté et de sécurité.
L’accord entre la France et l’Allemagne est fragile, car il ne semble pas vouloir aller pour l’instant au-delà des bonnes intentions.
Monsieur le ministre, vous avez répondu en partie à mes questions sur les intentions de la France pour maintenir ses finances publiques et rassurer nos partenaires européens. Reste que la trajectoire d’ici à 2022 est loin de celle de ses partenaires de la zone euro. Pouvez-vous me préciser qu’en matière de convergence il y aura une concrétisation de ses ambitions ? Quelles sont les pistes et les discussions du mois de juin prochain ? Nos concitoyens et nos partenaires européens ont besoin d’être rassurés sur l’engagement de la France.