compte rendu intégral
Présidence de Mme Catherine Troendlé
vice-présidente
Secrétaires :
Mme Catherine Deroche,
M. Daniel Dubois.
1
Procès-verbal
Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Demande d’inscription à l’ordre du jour d’un projet de loi
Mme la présidente. Mes chers collègues, par lettre en date de ce jour, le Gouvernement demande l’inscription à l’ordre du jour du jeudi 16 mai, à dix heures trente, sous réserve de sa transmission, du projet de loi relatif à l’entrée en fonction des représentants au Parlement européen élus en France aux élections de 2019.
Acte est donné de cette demande.
La commission des lois se réunira pour examiner le rapport et le texte le mercredi 15 mai matin. Le délai limite de dépôt des amendements de séance sur ce texte pourrait être fixé à l’ouverture de la discussion générale, et la réunion de la commission pour l’examen des amendements se tiendrait à l’issue de celle-ci.
Y a-t-il des observations ?…
Il en est ainsi décidé.
3
Candidatures à des commissions mixtes paritaires
Mme la présidente. J’informe le Sénat que des candidatures pour siéger au sein des commissions mixtes paritaires chargées de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi portant diverses dispositions institutionnelles en Polynésie française et du projet de loi organique portant modification du statut d’autonomie de la Polynésie française ont été publiées.
Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
4
Zone euro
Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains, sur la zone euro.
Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
Je rappelle que l’auteur de la demande dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.
Dans le débat, la parole est à M. Jean-François Rapin, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-François Rapin, pour le groupe Les Républicains. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, portée sur les fonts baptismaux le 1er janvier 1999, la monnaie unique fête cette année le vingtième anniversaire d’une existence particulièrement mouvementée. En effet, nous ne pouvons oublier la crise mondiale de 2008-2009 ni, plus encore, la crise des dettes souveraines propre à la zone euro en 2011-2012.
Depuis lors, beaucoup a été fait pour renforcer ce pilier de la construction européenne, y compris grâce à l’action décisive de la BCE, la Banque centrale européenne, dans les moments critiques, et régler certains problèmes structurels grâce à la réforme menée entre 2010 et 2012. Les débats portant sur la légitimité, l’orientation, la cohérence ou la solidité de l’union économique et monétaire n’ont toutefois jamais cessé.
Les leçons de la dernière campagne présidentielle ont été retenues, et le Rassemblement national avance désormais masqué sur son projet de suppression de l’euro, auquel les Français sont, vous le savez, massivement opposés. Si, voilà deux ans à peine, Marine Le Pen ne jurait que par le retour au franc et la dévaluation, l’objectif est aujourd’hui « euphémisé » et renvoyé à un calendrier plus lointain.
Nous le savons tous, la fin de l’euro se traduirait immanquablement par une nouvelle explosion de notre dette, un profond affaiblissement de notre économie et, au final, un appauvrissement général des Français.
M. Jean-François Rapin. De l’autre côté du spectre, le Président de la République – sans doute serez-vous moins d’accord avec moi sur ce point, monsieur le ministre – propose, quant à lui, l’exact inverse, soutenant que l’avenir de la monnaie unique sera fédéral, ou ne sera pas.
M. Jean-François Rapin. Sa proposition phare : créer un budget autonome de la zone euro équivalant à plusieurs points de PIB, soit un montant se chiffrant en centaines de milliards d’euros.
Comme on pouvait s’y attendre, ses ambitions ont été rapidement douchées et ont reçu une fin de non-recevoir cinglante de la part de plusieurs États membres, ainsi qu’un soutien aussi timide qu’ambigu de notre partenaire allemand.
M. Jean-François Rapin. Car, si le principe d’un « instrument budgétaire » spécifique a bel et bien été acté par le Conseil européen, son volume sera sans doute dérisoire par rapport au souhait du Président de la République. Surtout, son rôle devrait se concentrer sur la convergence et la compétitivité, ce qui est essentiel, en excluant toutefois la fonction de stabilisation, qui constituait le cœur de la proposition présidentielle.
Cet échec annoncé était largement prévisible. Emmanuel Macron pouvait-il en effet ignorer que la crise de la zone euro, en grande partie nourrie par les politiques irresponsables conduites dans certains États membres, avait laissé des marques profondes et que, dans ce contexte, les solutions appelant à une mutualisation des risques financiers étaient vouées à l’échec sans ce préalable indispensable qu’est le retour de la confiance mutuelle entre partenaires ?
M. Jean-François Rapin. Or la politique menée par le Gouvernement depuis deux ans, en ne restaurant pas la crédibilité économique de la France, ne saurait permettre le rétablissement de cette confiance. Les réformes structurelles nécessaires à la remise en ordre de notre économie ont certes été promises, mais n’ont pas été entreprises ou ont été conduites a minima.
De surcroît, notre trajectoire budgétaire, comme celle d’ailleurs de l’Italie, demeure le plus puissant des arguments contre toute union de transfert. Le Gouvernement a ainsi déjà fait une croix sur son objectif de retour à l’équilibre en 2022, à rebours de la quasi-totalité de nos partenaires de la zone euro, qui l’ont déjà atteint ou s’en rapprochent rapidement.
Alors que le déficit moyen de la zone euro devrait s’établir aux alentours de 0,6 % du PIB pour l’année 2018, celui de la France reste encalminé à 2,5 % et devrait même atteindre 3,1 % l’année prochaine. Quant à notre déficit structurel et à notre dette, ils n’enregistrent aucune baisse.
M. André Gattolin. Merci Sarkozy !
M. Jean-François Rapin. Dans le même temps, la dépense publique continue de croître inexorablement. Avec un niveau de 56 % du PIB, elle reste supérieure de 12 points à la moyenne des autres membres de la zone euro.
Cette voie n’est pas soutenable. Elle ne fait qu’accroître au niveau national les risques que le Président de la République entend mutualiser au niveau européen. Et, face à l’aléa moral qu’il représente, le fédéralisme budgétaire prôné par Emmanuel Macron s’apparentera, pour un temps sans doute encore long, à une impasse politique !
D’autres moyens, plus pragmatiques, doivent donc être mis en œuvre pour renforcer la résilience de la zone euro et la convergence en son sein. La première des clés reste nationale. L’Europe n’a pas vocation à se substituer aux États pour régler leurs problèmes économiques à leur place ; c’est à chacun d’entre eux qu’il appartient de prendre ses responsabilités.
Cette orientation générale, dont le maître mot est non pas l’austérité, mais l’équilibre, servirait en outre l’objectif d’une plus forte coordination économique d’ensemble et pourrait, par exemple, inciter davantage les États excédentaires à dépasser leurs réticences et à mobiliser leurs marges de manœuvre pour soutenir leur propre croissance et celle de la zone euro.
D’un point de vue institutionnel, le directoire politique, aujourd’hui organisé de manière temporaire ou à l’échelle des ministres et non des chefs d’État, doit pouvoir être pérennisé afin d’œuvrer davantage au pilotage économique de la zone euro. Dans cette optique, il est nécessaire d’impliquer les parlements nationaux dans le cadre de ces discussions.
Les conditions seront alors réunies pour que la coordination économique de la zone euro se penche également sur la nécessaire mise en place d’un mécanisme de convergence des règles relatives aux marchés du travail et aux systèmes sociaux, ainsi qu’aux systèmes fiscaux appliqués aux entreprises. Les avancées dans ces domaines ne se feront sans doute pas d’emblée à dix-neuf. N’hésitons pas alors à mener ce travail avec un groupe peut-être plus restreint d’États membres. Le récent traité d’Aix-la-Chapelle a affiché de hautes ambitions en la matière ; nous attendons maintenant la concrétisation de celles-ci.
Gardons enfin à l’esprit que les mécanismes privés de partage des risques, qui passent par l’intégration des marchés bancaires et financiers nationaux, sont aussi importants et efficaces que les mécanismes publics en cours de discussion, qu’il s’agisse du budget de la zone euro ou des évolutions bienvenues du mécanisme européen de stabilité.
En effet, la fragmentation persistante du secteur bancaire et financier pose des inconvénients majeurs qui sont au cœur des débats sur la zone euro. Elle atténue la transmission de la politique monétaire à l’économie réelle. Elle alimente le cercle vicieux de la contagion entre risque bancaire et risque souverain. Elle renforce la polarisation des activités économiques, ce qui entrave le processus de convergence. Elle freine la mobilité des capitaux et le recyclage de l’excédent d’épargne des pays du Nord – 340 milliards d’euros en 2018 – en investissements dans ceux du Sud. Enfin, elle empêche la diversification des risques privés, qui joue pourtant un rôle essentiel dans l’absorption des chocs asymétriques. On estime en effet qu’aux États-Unis ce type de choc est amorti aux trois quarts par le crédit bancaire et les marchés de capitaux, ce qui diminue d’autant la nécessité d’opérer des transferts budgétaires fédéraux.
Finaliser l’architecture de l’union bancaire et de l’union des marchés de capitaux et avancer plus vite sur leur contenu technique doit donc, à l’évidence, constituer une priorité. Malgré des difficultés, comme, par exemple, celles qui concernent le fonds unique de garantie des dépôts, ce chantier a surtout l’avantage de faire l’objet d’un consensus politique de principe exempt de graves clivages de doctrine, ce qui est loin d’être le cas du fédéralisme budgétaire.
Pour finir, je dirai qu’affirmer le rôle international de l’euro est devenu un objectif incontournable. L’euro est la deuxième monnaie mondiale, mais il ne concurrence pas suffisamment le dollar, qui reste la devise de référence et constitue un formidable instrument de la puissance américaine, notamment lorsqu’il s’agit pour les États-Unis d’imposer leurs lois extraterritoriales. Pour s’affirmer dans la mondialisation, l’Europe doit désormais penser sa monnaie comme un outil stratégique et plus simplement comme un instrument facilitant le fonctionnement de l’économie.
M. Jean Bizet. Très juste !
M. Jean-François Rapin. Monsieur le ministre, mes chers collègues, les nuages de tous types s’amoncellent sur la croissance mondiale et européenne. À cet égard, après avoir mené une politique monétaire accommodante et décisive pour soutenir l’activité économique en Europe, la BCE voit aujourd’hui ses capacités d’action fortement amoindries.
La mobilisation doit rester forte face aux défis de l’euro. Si c’est avant tout dans les États membres que se joue l’avenir de l’économie européenne et de la monnaie unique, des voies d’action collective existent, mais elles ne pourront être empruntées qu’à une seule condition : celle d’être avant tout pragmatiques. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean Bizet. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux tout d’abord vous remercier d’être venus nombreux pour ce débat fondamental sur la zone euro.
Je veux dire d’emblée au sénateur Jean-François Rapin que je partage son constat de départ et son ambition conclusive, mais un peu moins certains propos au milieu de son intervention, mais c’est de bonne guerre, je le reconnais bien volontiers. (Sourires.)
Je partage son constat de départ : oui, la zone euro est inachevée et elle est donc fragile face au risque de nouvelles crises économiques ou financières ! Nous sommes au milieu du gué. Or il n’y a pas situation plus défavorable. Soit on est sur une rive, soit on est sur l’autre, mais rester au milieu des courants les plus puissants, ceux d’une zone euro qui n’a pas tiré toutes les conséquences de la crise financière de 2008, qui ne s’est pas dotée de tous les instruments de nature à lui permettre de résister à une nouvelle crise financière, ni d’un budget indispensable pour renforcer la convergence des États membres, serait une erreur profonde. Il n’y a pas de statu quo possible pour la zone euro. Soit nous avançons, soit nous y renonçons, mais le statu quo ne peut pas être une solution. D’ailleurs, ni les marchés ni nos concurrents ne nous en laisseront le loisir.
Je partage également votre ambition, monsieur le sénateur Rapin – vous l’avez parfaitement formulée à la fin de votre intervention –, de faire en sorte que l’euro devienne une monnaie de référence. Entre la monnaie chinoise, qui s’affirme de plus en plus, et le dollar, qui est une monnaie de référence sur les marchés internationaux, l’euro doit bien entendu devenir une monnaie de référence internationale, parce qu’il nous donnera une puissance politique considérable pour peser sur le cours des affaires du monde, notamment sur les questions commerciales. Comment peut-on y arriver ? C’est sur ce point que nos avis vont légèrement diverger.
D’abord, il faut retrouver une crédibilité nationale. Je partage là aussi la nécessité absolue que la France soit crédible auprès de ses partenaires européens. Mais, monsieur Rapin, vous reconnaîtrez tout de même que nous avons réussi à sortir la France de la procédure de déficit public excessif dans laquelle elle était engluée depuis dix ans.
M. Laurent Duplomb. C’est faux !
M. Bruno Le Maire, ministre. Pour la première fois depuis des années, nous respectons enfin la règle de 3 % de déficit public – nous sommes en dessous –,…
M. Laurent Duplomb. Ce ne sera pas le cas en 2019 !
M. Bruno Le Maire, ministre. … et nous allons tenir cet engagement sur la durée du quinquennat. Seule l’année 2019 fera figure d’exception, parce que nous transformons le CICE en allégement de charges définitif. Hormis cet événement exceptionnel, sur la durée du quinquennat, pour la première fois depuis dix ans, la France sera sous la barre des 3 % de déficit public et elle sera sortie de la procédure de déficit public excessif. (MM. André Gattolin et Richard Yung applaudissent.) J’ai entendu « c’est faux ! », mais les faits sont têtus !
Le deuxième élément de nature à garantir la crédibilité nationale, c’est la poursuite des réformes de structure, qui sont d’ailleurs saluées par nos partenaires européens.
Nous avons engagé une réforme de la fiscalité du capital, en l’allégeant : suppression de l’ISF, prélèvement forfaitaire unique, réduction du taux de l’impôt sur les sociétés, qui va être ramené de 33,33 % à 25 % d’ici à 2022. À cet égard, je rappelle que le Président de la République a confirmé avec courage toutes ces orientations fiscales pour la durée du quinquennat.
Nous avons réformé le marché du travail. Nous avons réformé le statut de la SNCF. Nous allons désormais ouvrir le chantier de l’assurance chômage, pour plus de justice et pour permettre à tous ceux qui cherchent un emploi d’en retrouver un plus facilement. Nous allons engager la réforme de la fonction publique, ainsi qu’une réforme sans précédent du régime de retraite, pour avoir un système plus juste, plus équitable et transparent, un système par points, afin de mettre fin aux différences existant entre les agents du service public et ceux du secteur privé, des différences que nous regrettons tous.
Vous le voyez, les réformes structurelles qui garantissent la crédibilité de la France sont bien au rendez-vous.
Une fois que nous sommes d’accord sur l’objectif final – et nous le sommes ! –, sur le risque pesant sur la zone euro – nous le sommes également – et dès lors que la France a retrouvé sa crédibilité nationale, pour quoi doit-elle plaider ? Elle ne doit en aucun cas plaider pour un fédéralisme budgétaire. À cet égard, relisez attentivement les déclarations et les discours du Président de la République : jamais le Président de la République n’a employé le mot « fédéralisme » ! (M. Jean-François Rapin se montre dubitatif.) Ce n’est pas notre projet. Notre projet – je vous invite à lire toutes mes déclarations sur le sujet – vise à créer des États-nations qui travaillent plus étroitement ensemble en vue de rassembler leurs forces et garantir l’efficacité de la zone euro.
M. Yvon Collin. Très bien !
M. Bruno Le Maire, ministre. Le premier objectif, c’est l’union bancaire. Je ne développerai pas longuement ce point, car vous l’avez parfaitement fait. Permettez-moi simplement de dire une chose.
À force de reporter les décisions concernant l’union bancaire pour toutes sortes de prétextes qui ne tiennent absolument pas la route, que se passe-t-il ? Nous ouvrons tout grand le marché unique à nos concurrents américains. Les grandes banques américaines, des banques solides, à succès, sont passées de 43 % à 47 % du marché unique européen en l’espace de quelques années. On peut continuer comme cela et faire du marché unique européen le terrain de jeu des banques américaines. Pour ma part, je préférerais que ce soit le terrain de jeu des banques européennes.
M. André Gattolin. Très bien !
M. Richard Yung. Bravo !
M. Bruno Le Maire, ministre. Mais, pour cela, il nous faut l’union bancaire.
L’union des marchés de capitaux est aussi une nécessité absolue, vous avez eu raison de le rappeler. Sans union des marchés de capitaux, il n’y a pas d’investissements, et, sans investissements, il n’y a pas de champions mondiaux. N’allez pas chercher ailleurs notre incapacité à faire émerger des géants du numérique !
Si l’on considère le nombre de start-up, quel est aujourd’hui le premier État en Europe en termes de créativité technologique ? C’est la France ! Et nous pouvons en être fiers ! Mais qu’est-ce qui pèche ensuite ? C’est la taille de ses entreprises, notre capacité à grandir. Nous n’arrivons pas à faire émerger, au niveau européen, des champions du numérique de taille identique à Google, Facebook, Amazon ou d’autres, parce que nous n’avons pas un marché unique de capitaux efficace. Qui plus est, les montants investis dans le capital-risque en 2018 s’élevaient à 100 milliards de dollars aux États-Unis, 80 milliards de dollars en Chine, contre 20 milliards en Europe. Penser petit n’est pas à la hauteur des circonstances ni du projet politique européen que nous portons.
Enfin, le troisième instrument, c’est le budget, avec deux objectifs : la convergence et la stabilisation. Là non plus, je ne reviendrai pas sur les propos de M. Rapin. J’ai en revanche un point de divergence.
Nous avons obtenu un accord historique entre la Chancelière Angela Merkel et le Président de la République française à Meseberg. Nous y avons travaillé pendant des mois avec mon homologue, le vice-chancelier, ministre fédéral des finances, Olaf Scholz ; nous y avons passé des nuits blanches. Pourquoi ?
Il y a deux ans, quand j’ai été nommé ministre des finances, je ne pouvais même pas prononcer le terme « budget » de la zone euro quand je me rendais en Allemagne. On parlait d’« instrument monétaire », d’« instrument de convergence », mais surtout pas de « budget ». Deux ans après, à Meseberg, la Chancelière allemande et le Président de la République française ont signé un accord en vertu duquel il est écrit : « Nous allons mettre en place un budget de la zone euro pour favoriser la convergence entre les États membres de la zone euro. »
En juin prochain, dans quasiment un mois, nous disposerons de tous les éléments pour mettre en place ce budget de la zone euro. En deux ans, nous avons accompli ce que le Président de la République avait promis aux Français et à la Nation française.
M. Richard Yung. Bravo !
M. Bruno Le Maire, ministre. En revanche, c’est vrai, pour ce qui concerne la stabilisation, je regrette que nous n’ayons pas davantage progressé. Mais le problème n’est pas franco-allemand. J’entends beaucoup dire ici que se poseraient des difficultés entre la France et l’Allemagne. Or, depuis deux ans, les réalisations sont importantes.
Ce n’est pas l’Allemagne qui s’est opposée à la stabilisation. Olaf Scholz lui-même avait proposé un instrument de stabilisation, un instrument d’assurance chômage, que j’estime tout à fait pertinent : si jamais un État membre de la zone euro était en difficulté et voyait son taux de chômage exploser, mais avait, dans le même temps, respecté ses engagements budgétaires et fait tous les efforts de compétitivité nécessaires, nous aurions payé à sa place les allocations chômage supplémentaires. En effet, nous préférons que celui-ci continue à investir, à innover, à financer ses entreprises plutôt qu’à financer l’indemnisation du chômage. C’était un mécanisme vertueux, et je persiste à penser que, au-delà de l’indispensable convergence, il faut aussi un instrument de stabilisation.
Telles sont les quelques remarques que je tenais à formuler ; j’aurai l’occasion d’intervenir dans le débat interactif. Je me félicite de la qualité du débat que Jean-François Rapin a ouvert avec son intervention, et je vous remercie, une fois encore, d’être venus aussi nombreux débattre d’un sujet ardu qui ne suscite pas toujours l’enthousiasme des foules, alors qu’il est décisif pour l’avenir de nos compatriotes. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
Débat interactif
Mme la présidente. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question, avec une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.
Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.
Dans le débat interactif, la parole est à M. André Gattolin.
M. André Gattolin. Les prochains mois seront sans doute déterminants pour l’état de santé de l’Union européenne, en particulier de la zone euro. En effet, le niveau global d’endettement public, qui avait légèrement décru en 2018, semble reprendre sa course en avant, notamment en Grèce et en Italie, où il atteignait plus de 132 % du PIB en 2018.
Dans son dernier bulletin économique, la BCE souligne les risques pesant sur les perspectives de croissance de la zone euro. Là encore, la situation italienne a de quoi préoccuper, puisque le Gouvernement vient d’abaisser ses prévisions de croissance pour 2019 à 0,1 % du PIB, bien loin des espoirs qu’il nourrissait initialement.
Dans un climat déjà des plus atones en raison du Brexit et de la guerre commerciale sino-américaine, cette faiblesse de l’Italie menace aujourd’hui la stabilité de la zone euro, d’autant que l’Allemagne, déjà peu encline à la mansuétude à l’endroit de l’Italie, voit cette année sa croissance connaître un net ralentissement et s’inquiète de l’important déséquilibre des soldes respectifs de leur banque centrale et de celle de l’Italie auprès de la BCE.
Dans ce contexte et dans la perspective de la future réforme de la zone euro, quelles sont les mesures préconisées par le Gouvernement pour éviter que cette situation inquiétante n’influe trop négativement sur la résilience tant attendue de la zone euro ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Monsieur le sénateur Gattolin, je partage votre préoccupation. Il faut peut-être à un moment donné que l’on ouvre les yeux. On peut toujours dire « Tout va très bien, madame la marquise », mais des tensions commerciales fortes conduisent à un ralentissement très marqué de la croissance dans la zone euro, avec une situation de récession en Italie et un niveau de croissance estimé pour 2019 à 0,5 % en l’Allemagne, pays censé être la locomotive de la zone euro. Quand la locomotive est à 0,5 % de croissance, les wagons peuvent s’inquiéter.
Pour ce qui nous concerne, nous enregistrons, je le rappelle, 0,3 point de croissance au premier trimestre de 2019. Il appartient aussi à la France de formuler des propositions pour éviter le marasme. Nous n’y sommes pas encore, mais nous pouvons y tomber. L’art de la politique est non pas de rester scotché à la vitre, mais d’anticiper. C’est pourquoi j’ai proposé à nos partenaires européens – je profite de ce débat pour le rappeler – un contrat de croissance, auquel je crois profondément.
Je ne suis pas le ministre des finances français qui, comme d’habitude, va dire à nos amis Allemands : « Investissez plus, investissez plus, investissez plus ! » Je leur propose un contrat, aux termes duquel la France s’engage à poursuivre ses transformations économiques de fond pour gagner en compétitivité. C’est le premier pilier.
Deuxième pilier : accélérons tous ensemble les décisions nécessaires, qui ont été parfaitement rappelées par M. Rapin, quant à l’achèvement de la zone euro : union bancaire, union des marchés de capitaux, budget de la zone euro. Tout cela doit pouvoir être clos à la fin de l’année 2019. Ce n’est qu’une question de volonté politique. Tous les éléments techniques sont sur la table, et nous les connaissons par cœur. Alors, un peu de volonté politique et un peu de courage !
Troisième pilier de ce contrat de croissance : profitons de la politique accommodante de la BCE, qui ne durera pas éternellement. Utilisons cette fenêtre d’opportunité pour mettre en œuvre le contrat de croissance que je propose : que les États qui doivent encore le faire engagent des réformes – c’est le cas de la France, je le reconnais avec sincérité et honnêteté – ; que ceux qui peuvent se le permettre réalisent plus d’investissements – je pense à l’Allemagne, aux Pays-Bas et à d’autres États qui ont une situation budgétaire meilleure – ; procédons à l’achèvement des décisions nécessaires sur la zone euro,…
Mme la présidente. Monsieur le ministre, il faut conclure !