Mme la présidente. La séance est reprise.

Article additionnel après l'article 5 - Amendement n° 29 rectifié (début)
Dossier législatif : proposition de loi en faveur de l'engagement associatif
 

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Dossier législatif : proposition de loi pour la protection des activités agricoles et des cultures marines en zone littorale
Discussion générale (suite)

Protection des activités agricoles et des cultures marines en zone littorale

Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi pour la protection des activités agricoles et des cultures marines en zone littorale
Article 1er (Texte non modifié par la commission)

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe La République En Marche, de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, pour la protection des activités agricoles et des cultures marines en zone littorale (proposition n° 169, texte de la commission n° 328, rapport n° 327).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.

M. Didier Guillaume, ministre de lagriculture et de lalimentation. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, dans le temps qui vous est imparti, vous allez examiner en première lecture une proposition de loi votée à l’unanimité à l’Assemblée nationale. C’est assez rare pour être souligné, et je voudrais féliciter le député Jimmy Pahun, d’ailleurs présent dans les tribunes du Sénat, d’avoir présenté ce texte très important, ainsi que M. Philippe Le Gal, le président du Comité national de la conchyliculture.

Le Gouvernement souhaite que cette proposition de loi soit votée dans le temps restant pour cette niche, à savoir dans l’heure et demie à venir. Aussi, je serai très bref. Il est, je crois, dans l’intérêt de tous que nous allions à l’essentiel et que ce texte indispensable soit adopté. D’ailleurs, si les députés à l’Assemblée nationale l’ont voté à l’unanimité, c’est bien qu’il porte des mesures importantes.

De quoi s’agit-il ? Tout simplement de reconnaître le poids de la filière conchylicole dans nos territoires, la réalité de la pression foncière qui s’exerce sur l’espace français, particulièrement dans les zones littorales, et d’entériner le constat, clair, qui a été dressé, celui d’une régression de la surface agricole utile.

Telles sont les raisons pour lesquelles le Gouvernement soutient cette proposition de loi, visant à permettre aux sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural, les Safer, de préempter tout bien ayant connu une activité de culture marine dans les vingt ans précédant son aliénation. Cette modification nous semble essentielle.

D’une façon générale, l’exécutif accorde de l’intérêt à la question du foncier, et j’aurai l’honneur, dans les prochaines semaines, de présenter un projet de loi portant sur ce sujet.

Pour l’heure, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je vous invite à débattre dans les meilleures conditions et à voter la proposition de loi qui vous est présentée. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. André Reichardt. Effectivement, ce fut court !

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Daniel Gremillet, rapporteur de la commission des affaires économiques. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je vais également raccourcir mon propos et ne pas utiliser les dix minutes de temps de parole qui me sont accordées. (Marques dapprobation sur les travées du groupe Les Républicains.)

La proposition de loi que nous nous apprêtons à examiner est le fruit d’un travail mené par Jimmy Pahun, député du Morbihan, en association avec les producteurs de coquillages, représentés par leur président, Philippe Le Gal ; tous deux sont d’ailleurs présents dans nos tribunes. Je tiens à saluer ce travail, qui a abouti, après quelques aménagements, à une adoption de ce texte par l’Assemblée nationale à l’unanimité, lors de la séance du 29 novembre dernier.

Les conchyliculteurs, comme les agriculteurs des zones littorales, nous ont alertés sur la pression foncière dont ils sont victimes. Dans les communes littorales, le prix de vente d’un bâtiment à usage agricole à un non-professionnel peut être jusqu’à dix fois supérieur au prix de vente à un professionnel. Pour des exploitants arrivant à la retraite, dont les conditions de travail ont souvent été dénoncées ici, le fruit de cette vente, c’est la rétribution du travail de toute une vie !

Toutefois, chacune des cessions à un non-professionnel est irréversible. Chacune d’entre elles fait disparaître une activité agricole de nos espaces littoraux, alors que ces activités sont nécessaires à leur survie. Elles font vivre économiquement et culturellement nos communes littorales, tout au long de l’année, tout en étant favorables à l’environnement. Il est donc essentiel de préserver ces activités agricoles. Des dispositions législatives et réglementaires ont déjà été prises à cette fin, mais certaines sont contournées.

La présente proposition de loi entend limiter le contournement très spécifique du droit de préemption des Safer dans ces communes littorales.

Depuis 2014, les Safer peuvent préempter les biens, situés principalement dans les zones agricoles ou naturelles, ayant fait l’objet de l’exercice d’une activité agricole dans les cinq années précédant leur vente. Les Safer de Bretagne, auxquelles je rends hommage, ont constaté que des propriétaires attendaient cinq ans sans affecter le bâtiment à des activités agricoles ou des cultures marines, afin d’échapper à ce droit de préemption.

La proposition de loi tend à les dissuader de procéder à ce genre de détournements, en augmentant le délai de non-affectation du bâtiment permettant d’échapper au droit de préemption des Safer de cinq à vingt ans.

Une garantie importante est apportée aux propriétaires par l’encadrement du mécanisme de révision du prix des Safer, uniquement possible si le changement de destination a été réalisé de manière illégale.

Sous l’autorité de sa présidente, Sophie Primas, la commission des affaires économiques a considéré, à l’unanimité, que le mécanisme proposé était équilibré. C’est pourquoi elle n’y a apporté aucune modification.

En revanche, lors de ses débats, elle a constaté que la proposition de loi ne concernait pas les bâtiments salicoles, pourtant soumis à la même pression foncière que les autres.

Pourquoi ? Simplement parce que les activités salicoles ne répondent pas aux critères définissant une activité agricole dans le code rural et de la pêche maritime.

La commission a donc souhaité que la saliculture réalisée dans les marais salants de l’Atlantique ou de la Méditerranée soit officiellement reconnue comme une activité agricole à part entière. L’extension du droit de préemption des Safer prévue par la proposition de loi leur sera donc, comme autres dispositions, applicable.

Cette modification unique de la proposition de loi ne retarde en rien le processus. Si les quatre premiers articles étaient adoptés en l’état, les députés n’auraient plus qu’à discuter du sujet consensuel de la reconnaissance de la saliculture comme activité agricole, reconnaissance à laquelle le Gouvernement s’est déclaré favorable.

Ainsi, avant l’été, grâce à la mobilisation du rapporteur Jimmy Pahun et à celle du ministre – que je tiens à remercier –, le texte pourrait être adopté définitivement, en ayant traité deux problèmes importants pour les espaces agricoles de nos communes littorales.

Nous aurons alors démontré que le Parlement peut élaborer la loi rapidement, en cherchant un consensus profitable à nos citoyens et, surtout, en trouvant une rédaction qui n’oublie personne au bord de la route… ou plutôt de la mer ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Cartron.

Mme Françoise Cartron. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la loi d’orientation agricole, adoptée voilà près de soixante ans maintenant, a créé les Sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural, les fameuses Safer, qui jouent un rôle majeur dans l’aménagement du territoire.

Chargées de missions d’intérêt général, celles-ci ont connu au fil du temps de fortes évolutions, face à l’essor du développement durable dans l’agriculture et à une urbanisation galopante. Elles participent désormais à la protection de l’environnement, des paysages, des ressources naturelles telles que l’eau. Elles accompagnent les collectivités territoriales dans leurs projets fonciers.

C’est en soutien à cette logique visant à adapter continument l’outil aux nouveaux enjeux que nous avons choisi, avec mes collègues du groupe La République En Marche, d’inscrire ce texte dans notre espace réservé.

M. Didier Guillaume, ministre. Très bien !

Mme Françoise Cartron. Présentée par plusieurs députés membres du groupe du Mouvement démocrate et apparentés le 17 octobre dernier, puis adoptée à l’Assemblée nationale en séance publique le 29 novembre, dans le cadre de la « niche » du groupe Modem, cette proposition de loi porte une idée-force : moderniser le droit de préemption des Safer, afin de le rendre à même d’empêcher les changements de destination des chantiers conchylicoles ou les ventes de biens immobiliers affectés à une activité agricole dans les communes littorales.

Comme l’a justement rappelé M. Jimmy Pahun, auteur et rapporteur du texte à l’Assemblée nationale, aujourd’hui présent en tribune – je salue son travail –, la pollution littorale, les modifications d’occupation, ainsi que les pressions démographiques, touristiques et foncières qui en résultent endommagent ces territoires. Aussi le législateur doit jouer son rôle.

Ce texte pour la protection des activités agricoles et des cultures marines en zone littorale, adopté, comme M. le ministre l’a souligné, à l’unanimité de nos collègues députés, propose un dispositif simple, compréhensible, afin d’apporter une réponse concrète à une problématique reconnue.

Il porte sur un objet bien identifié – nous en reparlerons. Enfin, il est le fruit d’un long travail parlementaire de réflexion, conduit avec divers acteurs engagés dans la préservation de l’agriculture littorale, notamment avec les conchyliculteurs. J’ai, pour ma part, longuement échangé voilà deux semaines avec le Président de la Fédération nationale des Safer.

Bref, il s’agit là d’un modèle du genre, et nous tenions à le souligner. Depuis quelques années déjà, nous partageons toutes et tous un même constat : les activités agricoles en zone littorale, la conchyliculture en particulier, voient leur pérennité menacée.

Les pressions évoquées précédemment, particulièrement fortes dans les territoires côtiers, conduisent à la transformation de nombreux bâtiments à usage agricole en habitations résidentielles, en restaurants ou encore en résidences secondaires. Le taux d’artificialisation des communes littorales est 2,5 fois plus élevé que le taux observé sur le reste du territoire.

De même, au cours des quarante dernières années, le taux de disparition des terres agricoles a été, dans ces zones, deux fois plus élevé que la moyenne du territoire métropolitain.

Afin de les sauvegarder, un outil technique a été retenu dans cette proposition de loi : le renforcement du droit de préemption des Safer.

Rappelons son fonctionnement. Les sociétés qui acquièrent des biens agricoles – terrains ou bâtiments – les rétrocèdent aux personnes capables d’en assurer la gestion, la mise en valeur ou la préservation, donc, le plus souvent, à des exploitants agricoles.

En 2016, les Safer ont ainsi revendu 34 400 hectares afin de permettre l’installation d’agriculteurs, dont 6 500 hectares pour la Safer Aquitaine Atlantique.

Toutefois, les Safer ne peuvent aujourd’hui préempter des bâtiments ayant eu un usage agricole, seulement si cette activité agricole a été exercée au cours des cinq années précédant l’aliénation.

Concrètement, afin d’éviter de voir leur bien faire l’objet d’une préemption par les Safer, les propriétaires de bâtiments agricoles peuvent attendre cinq ans avant de le mettre en vente, souvent au profit d’un non-professionnel. Ce délai est jugé trop peu dissuasif – nous partageons cette position –, et il encourage la spéculation foncière.

Les trois premiers articles du texte visent, par conséquent, un même objectif : permettre l’exercice du droit de préemption des Safer sur des bâtiments ayant perdu leur usage agricole voilà plus de cinq ans. Mais la proposition de loi se veut équilibrée, tant dans la solution technique proposée que dans l’objectif retenu.

Tout d’abord, si le champ de préemption des Safer est quelque peu élargi, les autres modalités du droit de préemption restent, elles, inchangées. Son efficacité réside avant tout dans son effet dissuasif sur les deux parties : les particuliers, d’un côté, qui ne seront plus tentés d’acheter un bâtiment agricole, et les propriétaires, de l’autre.

Les Safer ne pourront ensuite préempter que les bâtiments qui auront été utilisés pour certaines activités agricoles au cours des vingt années précédant l’aliénation. Ce délai de vingt ans permet de limiter la spéculation foncière, tout en respectant le droit de chacun à la libre disposition de ses biens.

Par ailleurs, l’objectif est de parvenir au plus juste équilibre possible entre la préservation des activités littorales, la nécessaire valorisation du travail des agriculteurs, l’établissement des plus jeunes et le développement du tourisme. La conchyliculture et les cultures marines assurent effectivement, d’une part, le maintien d’une activité économique durable toute l’année, hors période touristique, et, d’autre part, l’entretien de la faune et la flore de nos régions côtières.

Par ailleurs, et c’est l’objet d’une précision importante dans ce texte, la conchyliculture ne peut se développer n’importe où en bord de mer. Elle nécessite, par exemple, une certaine qualité microbiologique des zones de production. Il est donc nécessaire de conserver, autant que possible, l’activité conchylicole dans les chantiers existants.

Étant élue de la région Aquitaine, plus spécifiquement de la Gironde, j’ai à cœur de défendre ce texte, qui, comme l’a indiqué M. le ministre, est très attendu. Mon groupe le votera.

Néanmoins, puisqu’il y a urgence, puisqu’il faut avancer rapidement, je souhaiterais que le vote au Sénat soit conforme à celui de l’Assemblée nationale. Cela nous permettrait de gagner du temps, et ce d’autant que des députés se sont déjà saisis du sujet de la saliculture, qui fait l’objet d’un amendement, et sont en train de préparer un texte de loi sur la question, en y associant bien sûr la problématique des pêcheurs professionnels.

Il eût été beaucoup plus sage d’attendre cette proposition de loi à l’Assemblée nationale et de garder intact le présent texte, afin de raccourcir au maximum les délais. N’ouvrons pas la voie à des échanges qui repousseraient d’autant une décision attendue depuis déjà trop longtemps ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Christine Prunaud.

Mme Christine Prunaud. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, à l’origine, la présente proposition de loi couplait les activités agricoles du littoral et de la montagne.

L’Assemblée nationale a largement adopté ce texte en ôtant la partie montagne. L’argument avancé est que la loi du 9 janvier 1985 relative au développement et à la protection de la montagne, la loi Montagne, révisée en 2016, prend déjà en compte cette question en des termes identiques et apporte des solutions de même nature. Il reste donc dans la proposition de loi les activités agricoles et marines en zone littorale, d’où ma prise de parole devant vous aujourd’hui. Je suis élue en Bretagne, dans une zone où la question du littoral est importante.

Le constat est unanimement partagé : le foncier et l’immobilier agricoles participent pleinement à la pérennité de notre agriculture et du modèle familial que nous voulons préserver. Ce foncier fait l’objet d’une spéculation féroce, en particulier dans les zones littorales. Cela nuit au maintien de l’activité agricole et accélère l’artificialisation des sols.

Comme l’a souligné ma collègue Françoise Cartron, le taux d’artificialisation des communes littorales est de plus en plus élevé par rapport au reste du territoire. De même, au cours de ces quarante dernières années, la disparition des terres agricoles a été deux fois plus élevée que la moyenne métropolitaine.

Or l’agriculture occupe près de la moitié de la surface des communes littorales métropolitaines. Elle gère des espaces ouverts qui contribuent à la diversité des milieux naturels et à l’attrait des paysages. Mais, là aussi, notre vigilance s’impose. Dans mon département, les Côtes-d’Armor, la fréquence des algues vertes est, certes, moins visible, mais c’est parce que celles-ci sont ramassées plus souvent. Les dégâts écologiques persistent.

Cette attention aux milieux naturels permet le maintien d’une population permanente sur des territoires marqués par une forte fréquentation saisonnière.

C’est pourquoi la présente proposition de loi, qui a pour ambition de défendre l’économie agricole contre une économie résidentielle ou de tourisme, est bienvenue. Il faut éviter que ces bâtiments conchylicoles et les zones de marais salants ne se transforment en résidences secondaires « les pieds dans l’eau ». En effet, aujourd’hui, comme cela est souligné dans le rapport, le prix de vente d’un bâtiment à usage agricole à un privé peut être jusqu’à dix fois supérieur au prix de vente à un professionnel.

En l’absence de dispositifs juridiques et financiers de régulation, nous assistons à la disparition progressive du littoral naturel ou agricole. Les prix d’achat des terrains à bâtir plus élevés écartent les usages agricoles.

Il est nécessaire de porter le droit de préemption des sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural, les Safer, à vingt ans, contre cinq ans actuellement, pour éviter que les bâtiments ayant eu un usage agricole ne soient transformés en maisons d’habitation particulières. Seule la constitution de réserves foncières permettra de préserver ces espaces, alors même que la question de la transmission et de l’installation des entreprises est devenue un enjeu fort pour la filière conchylicole.

Des situations similaires ont pu être observées en zone de montagne, ces espaces étant soumis à des pressions touristiques et foncières de forte intensité. C’est pourquoi je regrette que l’extension de ce mécanisme à la montagne n’ait pas été retenue.

Toutefois, avec mes collègues du groupe CRCE, je voterai pour cette proposition de loi, qui constitue une avancée dans la lutte contre l’artificialisation des sols. Elle apporte un premier élément de réponse sans rouvrir, pour les connaisseurs, le fameux débat sur les dents creuses. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain.)

Mme la présidente. La parole est à M. Henri Cabanel. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. Henri Cabanel. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui traite d’un sujet éminemment important en agriculture : le foncier. En effet, on ne peut pas préserver l’agriculture sans préserver le foncier !

D’ailleurs, les récents travaux de la mission parlementaire d’information sur le foncier agricole font état de la nécessité de travailler sur le sujet. Monsieur le ministre, nous attendons avec impatience le dépôt et l’inscription à l’ordre du jour du projet de loi annoncé. Peut-être pourrez-vous nous en informer.

Un long travail mené entre l’auteur de ce texte, le député Jimmy Pahun, que je salue, et la filière conchylicole a montré l’urgence d’intervenir sur le sujet. Cette unanimité témoigne d’enjeux primordiaux : la préservation des bâtiments agricoles et l’installation des jeunes sont deux d’entre eux. En effet, beaucoup de territoires littoraux connaissent une situation tendue à cause de la spéculation sur le foncier qui y est constatée.

Cette proposition de loi vise à la fois à résoudre l’augmentation du prix du foncier pour favoriser l’installation et à empêcher le détournement de destination.

En cet instant, mes chers collègues, je veux appeler votre attention sur les sentiments contradictoires que nourrissent les professionnels face à nos travaux. Ils constatent une importante augmentation de déclarations d’intention d’aliéner depuis la communication sur cette initiative législative.

Ce que nous voulons prévenir, à savoir la transformation de nombreux bâtiments agricoles en résidences secondaires ou en restaurants, est momentanément accéléré par ceux qui veulent éviter les effets que nous visons en légiférant. Or, si le texte de l’Assemblée nationale n’est pas voté conforme, il devra y repartir, et un temps précieux sera perdu.

En commission, la volonté du rapporteur a été d’introduire un article pour pouvoir faire reconnaître l’exploitation du sel des marais salants comme une activité agricole. De même, un amendement du Gouvernement a été déposé hier soir, certainement avec l’accord du rapporteur.

Sur le fond, je comprends tout l’intérêt d’une telle disposition ; nous l’avons d’ailleurs votée en commission. Mais est-ce urgent à ce point ? Nous devrons prendre nos responsabilités. Le Sénat aura l’occasion de revoter cette disposition utile dès l’examen du projet de loi sur le foncier agricole.

Ce danger m’a été particulièrement souligné par les nombreux contacts que j’ai eus depuis notre réunion de commission. Je pense d’abord au président du comité régional de conchyliculture de Méditerranée, l’Héraultais Patrice Lafont, ainsi qu’au Comité national de la conchyliculture. Ils comprennent ce nouvel article, mais ils craignent, si le texte n’est pas conforme, que des situations irréversibles ne se créent.

C’est pour cela que j’ai déposé, au nom du groupe socialiste, un amendement de suppression du nouvel article, afin de voter le texte conforme et de répondre ainsi au souhait des professionnels. Car qui connaît mieux qu’eux la réalité des situations sur les territoires ? À l’heure du grand débat, pour écouter les citoyens, nous ferions le contraire ?

Pour autant, je peux comprendre les augmentations de déclaration d’aliéner, car les agriculteurs ont besoin d’un complément à leurs modiques retraites. Je tiens une nouvelle fois à insister sur les montants dérisoires et scandaleux des retraites que perçoivent les paysans. De ce point de vue, leur souhait de vendre le plus cher possible leurs bâtiments pour s’assurer de quoi vivre dignement est compréhensible.

L’objectif d’un agriculteur est de transmettre son outil, car le dur labeur de toute une vie mérite mieux qu’une cessation d’activité. Monsieur le ministre, il faudra donc être vigilant, pour que la future réforme des retraites permette à tous les agriculteurs de bénéficier d’une pension leur garantissant de vivre dignement après avoir arrêté leur activité.

Ce texte s’inscrit parfaitement dans la préservation des bâtiments d’exploitations de cultures marines. Il permettra de freiner l’artificialisation, qui grignote au fur et à mesure l’agriculture.

Dans mon département, l’Hérault, ce sont 25 % des surfaces agricoles utiles qui ont disparu durant les trente dernières années. Vient s’ajouter à cela, dans les communes littorales, la « cabanisation », qui sévit aussi et qui capte les terres agricoles. Les maires de ces communes littorales ont beaucoup de mal à faire respecter leur droit de police. Comment constater les infractions sans pouvoir entrer dans les propriétés ?

Par exemple, Mme la maire de Bouzigues, au bord du bassin de Thau, a refusé un permis de construire à un propriétaire qui a tout de même réalisé des travaux pour transformer un mas en restaurant. Depuis lors, une procédure est ouverte ; elle coûte de l’argent à la commune et risque d’être très longue. Pendant ce temps, le restaurant continue de fonctionner…

De nombreux maires m’ont dit que les travaux effectués pour les changements de destination se faisaient souvent les week-ends. Mes chers collègues, vous imaginez bien la difficulté pour s’opposer aux contrevenants !

Ce texte vient donc à la fois en appui aux élus et aux professionnels pour combler les manquements actuels. Il fait remonter à vingt ans, au lieu de cinq ans, la période prise en compte avant l’aliénation pendant laquelle si une activité agricole a été exercée, la Safer peut préempter. Il permet également à celle-ci de demander une révision du prix à la baisse en cas de changement illégal de destination lors de la période considérée, afin de ramener celui-ci à un niveau raisonnable correspondant à l’activité qu’il s’agit de préserver.

Pour autant, rien dans ce texte n’est prévu en cas de succession. Nous aurons l’occasion de l’évoquer pendant la discussion.

Je voudrais aborder une nouvelle fois dans cet hémicycle le financement des Safer. Car qui dit préemption dit budget. Les Safer sont là pour installer et conforter les exploitations. Or la plupart d’entre elles n’ont que très peu de stock. Il est indispensable qu’elles aient les moyens nécessaires pour constituer un stock convenable et, donc, pour réussir l’implantation de nouvelles générations. C’est leur mission première.

La Fédération nationale des Safer, que nous avons auditionnée, nous a assurés que des conventions étaient passées avec les établissements publics fonciers et les collectivités territoriales, communes, départements et régions. L’objectif est d’assurer un financement.

Toutefois, je ne crois pas que ce soit le rôle des collectivités de financer. Certaines ont déjà du mal à assumer le financement de leurs compétences, dans un contexte de baisse de dotations. Il est indispensable qu’elles soient associées. Mais il faudrait pour cela, par exemple, leur donner un peu plus de représentation dans les conseils d’administration des Safer. À ce sujet, je vous recommande la lecture de l’excellent rapport de nos collègues François Pillet, René Vandierendonck, Yvon Collin et Philippe Dallier, Les outils fonciers des collectivités locales : comment renforcer des dispositifs encore trop méconnus ?, publié en 2013.

En revanche, les établissements publics fonciers, les EPF, ont pour compétence le « recyclage foncier », c’est-à-dire l’achat, le portage, la gestion de l’ensemble des études utiles à cette maîtrise foncière. Ils ont une capacité de financement hors pair, notamment grâce aux ressources liées à la taxe d’équipement, qui peut aller jusqu’à vingt euros par habitant et par an. Actuellement, la moyenne est de six euros. Et les EPF ont bien sûr évidemment la capacité d’emprunt, qui en fait un outil bien armé. Je vous le rappelle, une fois les biens acquis pour les collectivités, et après une période de portage foncier, ils revendent aux collectivités. Cela leur apporte des ressources supplémentaires non négligeables.

Pour pouvoir donner de l’autonomie aux Safer et leur permettre de faire perdurer une activité agricole, de préserver ainsi une activité économique et de l’emploi et de penser une stratégie d’aménagement de territoire, pourquoi ne pas flécher une partie de la taxe d’équipement vers les Safer ? Cela leur permettrait d’assurer leur mission en toute sécurité.

Aujourd’hui, certaines font entre 60 % et 70 % de leur chiffre d’affaires grâce à l’acquisition et à la revente de biens très importants, qui, pour la plupart, ne sont pas dédiés à des agriculteurs, car les prix sont prohibitifs.

Ce n’est pas la première fois que je formule cette proposition. Je ne doute pas que nous en discuterons lors de l’examen du futur projet de loi sur le foncier. Nous aurons à résoudre la question du droit de préemption pour les sociétés lors de la vente d’une partie des parts.

Comme chaque année, le Salon de l’agriculture a connu un grand succès, à la fois par le nombre de visiteurs, mais aussi par le nombre de collectivités et d’élus présents. Le monde politique a l’habitude de s’y montrer et d’y montrer ses bonnes intentions. Il est temps, après la communication, de faire preuve d’actes plus concrets.

En votant ce texte conforme, nous nous engageons à préserver nos espaces littoraux, à la fois idylliques et fragiles, et à maintenir une activité économique des cultures marines. Les professionnels s’efforcent de les protéger en produisant des huîtres et des moules, qui, cette année encore, ont été pour beaucoup récompensées au concours général de l’agriculture.

Cette proposition de loi est essentielle pour eux, pour préserver non seulement leur outil de travail, mais aussi leur avenir. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Françoise Cartron applaudit également.)