M. le président. La parole est à M. François Bonhomme.

M. François Bonhomme. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ce texte nous donne l’occasion de confirmer notre position sur un sujet qui est loin d’être seulement technique

Je rappelle que, pour tenir compte de la pression migratoire exceptionnelle s’exerçant sur ce département, le délai de saisine du JLD était fixé, jusqu’à la loi Asile et immigration de 2018, à cinq jours à Mayotte par dérogation au délai applicable sur le reste du territoire français. En 2015, l’INSEE nous indiquait que la population de Mayotte s’élevait à plus de 250 000 habitants, dont 41 % d’étrangers, parmi lesquels la moitié, soit 52 000 personnes, était en situation irrégulière. Près de 20 000 reconduites à la frontière sont effectuées chaque année à Mayotte, soit la moitié du total national.

J’ajoute que, lors de la discussion de la loi de 2018, le Sénat, par la voix de son rapporteur François-Noël Buffet, avait regretté que le Gouvernement n’ait pas démontré l’utilité de l’allongement de la durée maximale de rétention à quatre-vingt-dix jours. Nous avions alors regretté une mesure d’affichage, qui ne s’attaquait pas à la cause profonde des taux dérisoires d’éloignement, même s’il faut noter la mauvaise volonté des pays tiers pour accueillir leurs ressortissants et leur délivrer des laissez-passer consulaires. Tout cela est extrêmement coûteux humainement et financièrement, notamment en raison des nouvelles places à créer et des aménagements à réaliser dans des centres totalement inadaptés à de longs séjours.

Nous avions également profondément simplifié le séquençage de la rétention administrative, en réduisant le nombre de possibilités d’intervention du JLD dans la procédure : la première fois au cinquième jour, et non au deuxième jour comme le voulait le Gouvernement, afin de donner le temps à l’administration de constituer des dossiers solides, et une seconde fois au quarante-cinquième jour. Le Sénat avait ainsi porté le délai d’intervention du JLD à cinq jours sur l’ensemble du territoire, alignant en l’espèce le droit national sur le droit mahorais et supprimant par conséquent la dérogation prévue pour Mayotte.

En définitive, l’Assemblée nationale a rétabli le délai de quarante-huit heures pour la métropole, en omettant de rétablir la dérogation applicable à Mayotte qui avait été supprimée, ce qui pose de réelles difficultés aux JLD pour intervenir et permettre la prolongation de la rétention si nécessaire. Cela nous amène aujourd’hui à corriger cette incohérence au regard de la situation mahoraise.

Notre position est limpide et l’a toujours été. Elle répond à quatre objectifs précis : la clarté en matière d’immigration régulière et d’asile ; l’exigence en matière d’intégration ; la fermeté contre l’immigration irrégulière ; l’humanité et la responsabilité en ce qui concerne les mineurs étrangers. C’est pourquoi nous défendons depuis des années un certain nombre de mesures : la définition, par le Parlement, d’objectifs chiffrés concernant l’entrée et le séjour des étrangers en France pour mieux maîtriser et organiser les flux migratoires ; la modification de l’aide médicale de l’État en aide médicale d’urgence réservée aux étrangers en situation irrégulière ; l’information systématique des caisses de sécurité sociale concernant les mesures d’éloignement prononcées par les préfectures afin d’interrompre automatiquement le versement des aides sociales aux étrangers en situation irrégulière. Nous défendons également le renforcement des conditions à remplir pour être admis au regroupement familial et la réévaluation régulière des métiers dits sous tension qui nécessitent l’apport de travailleurs étrangers. Enfin, nous souhaitons développer la lutte contre la présence indue des déboutés du droit d’asile dans les centres d’accueil pour demandeurs d’asile.

Monsieur le secrétaire d’État, j’imagine que vous ne découvrez pas notre position, qui a toujours été claire. Or la réalité reste la même et elle aurait plutôt tendance à s’aggraver… Il y a quelques mois, la Cour des comptes a publié un rapport sur la situation financière du département de Mayotte, qui présentait notamment des projections démographiques : l’île devrait compter 500 000 habitants dans vingt-cinq ans. C’est vous dire combien les problèmes que j’ai évoqués seront encore plus graves et difficiles à maîtriser si nous ne prenons pas les bonnes décisions dès aujourd’hui. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, une erreur de coordination intervenue lors de l’examen de la loi Asile et immigration a harmonisé sur l’ensemble du territoire le délai de saisine de deux jours du juge des libertés et de la détention pour les personnes placées en centre de rétention administrative. Pour une fois, l’impair allait dans le bon sens, puisqu’il mettait fin au délai spécifique inique de cinq jours jusque-là en vigueur à Mayotte.

L’objet de la proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui vise justement à réinstaurer cette rupture d’uniformité du droit sur le sol français, en réintroduisant ce délai de cinq jours à Mayotte. Mes chers collègues, ce texte n’a qu’un seul objectif, celui d’éloigner de leur juge les personnes enfermées et de les priver d’un contrôle judiciaire, ce qui aboutit à violer l’article 66 de la Constitution…

M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. C’est exagéré !

Mme Esther Benbassa. … que je souhaite rappeler ici : « Nul ne peut être arbitrairement détenu ».

Le motif de la pression migratoire est l’argument principal utilisé pour justifier cette différence de traitement et de droit dans le département de Mayotte. Certes, elle est très importante, nous le reconnaissons. Toutefois, c’est au nom de l’ordre public que le rôle du JLD est entravé. Ce recours ne devrait pourtant pas être une option, mais bien une obligation constitutionnelle et un droit effectif.

De mes dernières visites dans des centres de rétention administrative en Île-de-France, notamment à celui du Mesnil-Amelot il y a quinze jours, je retiens le constat de conditions matérielles indignes, de l’existence de mutineries et de mutilations et d’une gestion administrative très autoritaire qui laisse les personnes retenues sous-alimentées et sans suivi médical digne de ce nom. Dès lors, et du fait de la pression migratoire qui est celle de Mayotte, je n’ose imaginer les conditions de rétention dans lesquelles se trouvent les étrangers qui atteignent le sol mahorais. Ce département représente à lui seul 43 % des placements en rétention en France. Parmi eux, plus de 4 000 enfants sont chaque année enfermés et expulsés dans des conditions qui ne permettent même pas aux agents de vérifier leur véritable pays d’origine et leur identité réelle. Le placement systématique des personnes arrivant dans les centres de rétention et la soustraction à leurs droits légitimes constituent une préoccupation partagée tant par Adeline Hazan que par la CNCDH.

Nous le savons, le maillage rudimentaire des services publics et la pauvreté des infrastructures dans ce département constituent un frein à l’accueil des personnes étrangères. Bien plus grave encore, les populations immigrées de Mayotte ont une très faible connaissance de leurs droits : la Contrôleur général des lieux de privation de liberté, Adeline Hazan, a rapporté que la possibilité d’effectuer une demande d’asile ne leur était même pas notifiée par les agents mahorais. Comment justifier le rallongement inscrit dans cette proposition de loi, alors que les conditions de détention à Mayotte sont inhumaines et dégradantes ?

Les principes de la République ont été suffisamment mis à mal par la suppression du droit du sol à Mayotte – des personnes se retrouvent étrangères dans leur pays natal ! – pour ne pas avoir à créer une spécificité supplémentaire dans cette île. Nous demandons donc à ce que la politique migratoire en outre-mer soit respectueuse des droits de l’homme et ne déroge pas aux règles élémentaires qui devraient bénéficier à tout être humain, à savoir des garanties procédurales contre les mesures privatives de liberté afin de limiter les éventuels agissements arbitraires d’une administration qui se croit parfois surpuissante pour décider du sort et de l’avenir des personnes migrantes.

Rappelons également que les alternatives à la rétention existent et qu’elles sont prévues par le CESEDA et par la directive Retour du 16 décembre 2008.

Mes chers collègues, ne laissons pas Mayotte seule et isolée face à la gestion d’un flux migratoire si important ! L’État doit renforcer les moyens et mobiliser du personnel de justice dans ce territoire au lieu d’instaurer un droit à géométrie variable. Ce choix n’est pas digne de notre République et je m’y oppose avec force, ainsi que le groupe CRCE. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – M. Jean-Yves Leconte applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.

M. Jean-Yves Leconte. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis juin 2017, aucun Français n’ignore ce qu’est un kwassa-kwassa, mais je n’aurai pas la cruauté de rappeler la phrase du Président de la République…

Ce débat, je le trouve indigne. Nous ne pouvons pas considérer qu’une loi est une erreur ! Sa rédaction résulte de la volonté du législateur, et, si nous estimons qu’il faut changer certaines choses, nous devrions débattre, monsieur le rapporteur, de tout ce qu’il conviendrait de changer dans cette loi, qui a été votée il y a seulement six mois.

Les kwassa-kwassa, ce sont 10 000 morts en vingt ans !

Mayotte fait face à une situation particulièrement terrible en raison de sa situation géographique, de son histoire et de ses liens avec les Comores – la faiblesse de la coopération avec ce pays, notamment sur le plan sanitaire, explique d’ailleurs que ses habitants soient tellement tentés d’aller à Mayotte. Il faut évidemment comprendre cette situation, mais il est indigne d’entendre, dans cet hémicycle, des paroles d’archevêque ! Comment comprendre que certaines des personnes qui sont en situation régulière à Mayotte n’aient même pas le droit de se rendre dans l’Hexagone ?

Alors, oui, la situation migratoire terrible, la pression, l’embolie vont être déplorées, mais on préfère laisser les Mahorais s’occuper des étrangers, même ceux en situation régulière, plutôt que d’autoriser ceux-ci à venir dans l’Hexagone. Monsieur le rapporteur, vous n’avez pas évoqué ce problème.

M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur. Parce que ce n’est pas le sujet !

M. Jean-Yves Leconte. Pourtant, vous aviez déposé des amendements concernant cette situation lors de l’examen de la loi Collomb. L’usage abusif de l’article 45 ne vous permettra pas de vous prononcer cette fois-ci sur ce sujet…

Nous ne pourrons pas résoudre ce problème avec le niveau d’hypocrisie qui existe aujourd’hui dans cet hémicycle. Ce n’est pas possible ! Nous avons des devoirs en termes de dignité et de respect du droit.

Pourquoi est-ce que passer de deux à cinq jours est si fondamental ? Vous avez dit vous-même, monsieur le rapporteur, que ces trois jours représentent deux JLD en plus. Est-ce un effort si impossible à accomplir pour la République ?

En fait, si ce délai de cinq jours a été décidé, c’est parce qu’on veut renvoyer les gens avant qu’ils ne soient présentés devant le JLD ! Finalement, on ne fait que participer à un carrousel permanent, où les kwassa-kwassa amènent des gens qui, avant même d’être présentés devant un JLD, repartent. Pendant ce temps, la dignité n’est pas respectée et des gens meurent !

C’est bien pour pouvoir éloigner les gens avant leur présentation devant un JLD que vous voulez fixer le délai à cinq jours ! Mais le nombre de personnes à présenter au JLD devrait de toute façon être le même, car, mathématiquement, c’est juste trois jours de « stock » – je suis vraiment désolé d’utiliser ce type d’expression.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Personne ne vous y oblige !

M. Jean-Yves Leconte. En réalité, si vous le faites, c’est parce que vous savez qu’en cinq jours on expulse davantage et sans que le JLD puisse procéder à une quelconque vérification ! C’est bien pour cela qu’une telle décision est prise, ainsi que pour augmenter – là encore, je suis désolé d’utiliser cette expression – la vitesse du carrousel, carrousel qui entraîne les morts dont je parlais auparavant. Cette mesure ne résout donc rien !

De la même manière, nous ne pouvons pas en rester à la situation actuelle en ce qui concerne le droit des personnes en situation régulière à se rendre dans l’Hexagone.

Ce débat ressemble à celui que nous avons eu l’année dernière sur la question de la nationalité à Mayotte. Certains ont fait croire aux gens qu’en France il y avait un droit du sol. Ce n’est pas exact ! Il existe en fait un double droit du sol avec la possibilité, à partir de treize ans et quand on est né en France et qu’on y réside, d’acquérir la nationalité. Ce n’est pas la même chose !

En faisant croire cela, on fragilise d’autres situations. En tant que sénateur des Français de l’étranger, je vois les difficultés que rencontrent nombre de personnes qui sont nées en Algérie dans les années 1950 et 1960 pour prouver leur nationalité.

Monsieur le rapporteur, dans quarante ans, les habitants de votre territoire se souviendront de votre proposition et vous maudiront quand il faudra qu’ils présentent comme preuve les titres de séjour de leurs ancêtres s’ils veulent obtenir un certificat de nationalité française !

M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur. J’assume !

M. Jean-Yves Leconte. Vous assumez, mais je peux vous dire, pour constater les difficultés d’un certain nombre de personnes nées dans les territoires qui étaient alors des colonies françaises, combien tout cela est difficile. Il faut parfois qu’ils remontent jusqu’à Napoléon III pour défendre leur droit à la nationalité française ! Pourtant, on a fait croire que la France appliquait le droit du sol.

Il n’est pas acceptable que des dérogations aussi énormes au droit et des inégalités aussi importantes existent aujourd’hui – je dis bien « aujourd’hui », et non pas du temps des colonies ! – sur le territoire de la République.

Nous sommes convaincus que la situation dramatique de Mayotte ne pourra pas être résolue avec de fausses mesures, comme celle qui nous est proposée, qui ne respecte pas la dignité humaine. La proposition qui nous est soumise est tout simplement hypocrite et nous nous y opposons !

En outre, nous regrettons l’usage abusif de l’article 45, car il conduit à éviter des débats sur des sujets qui ont été traités par la même loi que celle que vous voulez corriger.

Fidèles à la loi Cazeneuve de 2016 et combattants d’une République égale pour tous, nous voterons contre cette proposition de loi ! (Mme Esther Benbassa applaudit.)

M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à treize heures, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)

PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher

M. le président. La séance est reprise.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi relative au délai d'intervention du juge des libertés et de la détention en rétention administrative à Mayotte
Discussion générale (suite)

8

Questions d’actualité au Gouvernement

M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.

Je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat, sur le site internet du Sénat et sur Facebook.

Au nom du bureau du Sénat, j’invite chacun à veiller à la courtoisie, au respect des uns et des autres et au respect du temps de parole.

actes antisémites

M. le président. La parole est à M. Dominique de Legge, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Dominique de Legge. Cette semaine, des violences à l’encontre des juifs et la promotion de la barbarie nazie ont marqué l’actualité, provoquant la condamnation et l’indignation de tous. Ces actes succèdent à des profanations d’édifices catholiques – sept ont été recensées la première semaine de février.

Tout se passe comme si, à la crise sociale, à la crise territoriale, s’ajoutait une crise encore plus grave. Plus grave, parce que c’est celle du cœur, qui touche à l’essence même de notre humanité, à l’intimité de chacun de nous, à notre histoire personnelle et collective. La République, parce qu’elle est laïque, se doit de garantir à tous la liberté de croire ou de ne pas croire.

L’heure est grave, monsieur le Premier ministre. Que resterait-il d’une société où tout ce qui relève de la pensée et de la spiritualité ne serait pas garanti ? Quelles dispositions comptez-vous prendre pour que chaque citoyen puisse aspirer à une spiritualité apaisée et que la France reste le pays de la liberté, des Lumières et ne devienne pas celui de la barbarie et de l’obscurantisme ? Ne pensez-vous pas que le moment est venu de nommer les fauteurs de troubles ? (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Monsieur le sénateur, vous m’interrogez sur la multiplication des actes antisémites, sur la multiplication des actes de profanation de lieux de culte catholiques ou juifs, sur le climat nauséabond qui se développe dans notre pays. Vous me posez cette question avec beaucoup de gravité, marquant votre indignation et soulignant que vous ne pouvez pas vous contenter de cette indignation. Vous me dites souhaiter qu’en réponse à ces actes des politiques publiques et des réactions effectives puissent intervenir. Je voudrais vous assurer que nous sommes, de ce point de vue, parfaitement sur la même ligne.

Oui, nous constatons depuis quelques semaines – malheureusement, ces actes ne datent pas d’il y a quelques semaines ; ils ne se sont jamais complètement arrêtés dans notre pays – une multiplication des actes antisémites, inacceptables, répugnants, qui prennent des formes extrêmement variées : des menaces contre les personnes, des tags, des atteintes contre les symboles. Vous avez vu, comme moi, et je sais que nous aurons l’occasion au cours de cette séance de questions d’évoquer ce sujet, l’atteinte faite à la mémoire d’Ilan Halimi à Sainte-Geneviève-des-Bois.

Face à cette multiplication d’actes antisémites ou anticatholiques visant des églises et des cimetières, vous faites bien de rappeler que la République respecte le sacré. En France, dans notre République, nous avons le droit de croire ou de ne pas croire et, lorsque nous croyons, nous devons être respectés parce que nous croyons.

Toujours en France et toujours sous la République, on a respecté les églises, les cimetières, les lieux de culte. Il est impératif de rappeler qu’il doit toujours en être ainsi. Cela ne suffit pas de le dire, j’en ai parfaitement conscience, mais vous savez comme moi que le jour où nous ne le dirions plus, alors, tout serait perdu ! Nous devons donc rappeler la norme, qui est que, en France, on respecte les lieux sacrés, symboles de la République, les lieux de culte, les lieux où reposent les morts. C’est un impératif qui s’impose à tous et qu’il convient systématiquement de rappeler.

Cela ne suffit pas, vous avez raison ; il faut aller plus loin. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement – ces sujets s’inscrivent, au fond, dans un continuum d’actions – souhaite agir dans plusieurs domaines.

En matière de formation d’abord, car nous devons faire en sorte que ces actes antisémites ou anticultuels, si j’ose dire, scandaleux soient mieux décelés et retranscrits par les forces de l’ordre afin qu’ils puissent faire l’objet d’instructions plus complètes par les services de la justice et de sanctions, à mon sens, plus sévères prononcées par la magistrature. Ces efforts de formation, nous les avons engagés auprès des forces de police et de gendarmerie, comme auprès des magistrats : ils sont indispensables.

En matière d’éducation ensuite, car c’est un combat, ancien, permanent, qu’il faut livrer contre l’ignorance et l’obscurantisme – l’obscurantisme est un terme encore faible, parce qu’il est presque bienveillant… Nous devons livrer ce combat à l’école, partout, et nous savons qu’il est difficile.

Je me souviens, monsieur le président, que l’expression « hussards noirs » désignait autant la couleur dont étaient revêtus les instituteurs que la logique de combat qui les inspirait : le combat contre l’obscurantisme. Il faut que nous retrouvions, d’une certaine façon, cette logique et que nous livrions absolument partout et en tous lieux ce combat contre l’obscurantisme, contre la haine, contre les préjugés, contre la bêtise la plus crasse, contre la méchanceté la plus vive.

Éducation, formation, dénonciation et sanctions – des sanctions sévères, car les faits sont inacceptables – sont donc indispensables.

Il nous faut aussi transformer notre droit. Nous aurons l’occasion, au cours de l’année 2019, de soumettre à l’Assemblée nationale et au Sénat des dispositions législatives qui permettront de le faire évoluer. Je pense notamment à la possibilité d’engager la responsabilité de ceux qui gèrent les réseaux sociaux. Aujourd’hui, ils s’abritent derrière le fait qu’ils sont des hébergeurs et non des éditeurs, ce qui les dédouanerait de toute responsabilité à l’égard de ce qui se dit sur leurs réseaux. Ce discours est inacceptable ! Il nous faut donc changer le droit. Pour faire évoluer le droit communautaire, nous avons engagé une discussion avec nos partenaires européens. Déterminés à modifier le droit national sans attendre, nous saisirons le Parlement au cours de l’année 2019.

Enfin, nous devons nommer tous les auteurs de ces actes, qui trouvent leurs racines dans un vieil antisémitisme français – cet antisémitisme n’a jamais été, je le dis, car ce serait trop simple, l’apanage d’une famille politique ; il s’est déployé dans de très nombreuses familles politiques, a imprégné de très nombreux aspects de la société française, parfois très vivement, parfois très discrètement – ou qui sont liés à un antisémitisme résurgent qui se nourrit du conflit israélo-palestinien ou d’une radicalisation ou d’un radicalisme islamiste.

Tous ces éléments, toutes ces constituantes de l’antisémitisme qui se développent dans notre pays doivent être combattus et nommés, avec une indéfectible détermination. Je voudrais assurer le Sénat, que je sais attaché à cette cause, de l’indéfectible détermination de l’ensemble des membres du Gouvernement sur ce sujet. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Dominique de Legge, pour la réplique.

M. Dominique de Legge. Merci, monsieur le Premier ministre, de cette réponse, mais je crois, et vous l’avez souligné, qu’il faut avoir le courage de nommer les auteurs.

Les auteurs, on les connaît, c’est l’extrême gauche antisioniste, c’est l’islam radical qui veut imposer la charia (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.), c’est le nazisme et c’est l’extrême droite, qui regrette cette période de la France.

Alors, permettez-moi de vous inviter très respectueusement à méditer cette belle phrase d’Albert Camus : « Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde. » (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe La République En Marche.)

rétablissement de l’ordre républicain

M. le président. La parole est à M. Olivier Cadic, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)

M. Olivier Cadic. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’intérieur.

Au nom du groupe Union Centriste, j’exprime notre plus vive indignation contre les récentes profanations et les inscriptions antisémites qui ont notamment visé des personnalités emblématiques, telles que Simone Veil ou Ilan Halimi. Révulsés et affligés, nous affichons notre solidarité à l’égard de la communauté juive et nous condamnons avec force les insupportables profanations de tous les lieux de culte qui se multiplient dans les églises, synagogues et mosquées. Cela doit cesser !

Sans faire d’amalgame, il n’échappe à personne que le mouvement des « gilets jaunes » est aussi générateur d’appels à la haine. Chaque samedi, ces défilés entretiennent en France un climat nauséabond fait de populisme et d’antiparlementarisme. (Applaudissements sur des travées du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe La République En Marche et du groupe Les Indépendants – République et Territoires.) Pourtant, il ne s’agit plus que d’une poignée de Français, dont une partie d’extrémistes, et qui ne représentent qu’eux-mêmes ! Dans une démocratie, les représentants doivent être élus, dois-je le rappeler ici ?

Vous recevez comme moi, chers collègues, des courriers insensés qui nous appellent, entre autres choses, à la destitution du Président Macron. Au diable l’État de droit et le résultat des élections ! Peu importent aussi les conséquences économiques et les salariés mis au chômage technique !

Vous n’êtes pas sans savoir, monsieur le ministre, que les commerçants expriment de plus en plus fort leur ras-le-bol, quand ils ne descendent pas, eux aussi, dans la rue, comme à Toulouse. Cette exaspération gagne désormais les élus municipaux, qui sollicitent le Gouvernement auquel ils demandent une indemnisation pour les villes touchées par les dégradations à l’issue des manifestations.

L’agitation de rue doit cesser ! S’ils veulent manifester, très bien, mais selon les règles républicaines : pas n’importe où, pas n’importe comment ! Le mandat d’Emmanuel Macron s’achèvera dans 166 semaines. Au train où vont les choses, peut-on imaginer qu’il y aura un acte LCXVI des « gilets jaunes » ?

Monsieur le ministre, ma question est simple : quand comptez-vous faire rétablir l’ordre républicain ? (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe La République En Marche et du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur.

M. Laurent Nunez, secrétaire dÉtat auprès du ministre de lintérieur. Monsieur le sénateur Cadic, vous avez raison de souligner que le mouvement dit « des gilets jaunes » a pris une tournure désormais réduite à des manifestations de voie publique. Ces manifestations se déroulent tous les samedis après-midi et, dans bon nombre de villes, elles dégénèrent, parfois au début, parfois à la fin. Quand je dis qu’elles « dégénèrent », c’est un euphémisme : quelques centaines d’individus s’en prennent à nos institutions, aux mairies, aux préfectures, aux forces de l’ordre, aux parlementaires, de manière extrêmement violente et agressive, ce qui nous conduit à déployer des dispositifs policiers partout en France pour chaque manifestation.

Convenez que ce mouvement est totalement inédit. Nous n’avons pas connu cela depuis plusieurs dizaines d’années, avec des manifestations jamais déclarées, infiltrées, vous avez raison de le souligner, par les milieux de l’ultra-gauche, parfois par les milieux de l’ultra-droite, avec des « gilets jaunes » radicalisés et qui, quand ils manifestent sur la voie publique et font dégénérer ces manifestations, ne représentent plus maintenant qu’eux-mêmes.

J’étais encore hier soir à Dijon pour saluer le courage et l’abnégation des fonctionnaires de police et des militaires de la gendarmerie nationale qui font face à ce mouvement. Tous les samedis, nous déployons, avec Christophe Castaner, des effectifs de voie publique qui encadrent ces manifestations et interviennent chaque fois qu’elles dégénèrent, procédant à des interpellations pour mettre un terme aux exactions. Depuis le 17 novembre dernier, nous avons, au total, interpellé 8 400 personnes sur lesquelles 7 500 ont été mises en garde à vue et 1 800 ont été condamnées.

Comptez bien sur notre détermination pour poursuivre cette action sur la voie publique et ces investigations judiciaires ultérieures qui permettent de confondre de nombreux casseurs plusieurs jours, voire plusieurs semaines après les actes. Soyez assuré que nous sommes totalement déterminés à mettre un terme à ces exactions. Sachez-le, nous attendons beaucoup des dispositions législatives que nous souhaitons voir adoptées et qui nous permettront d’écarter les casseurs des manifestations. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)

prélèvement à la source