compte rendu intégral
Présidence de M. Vincent Delahaye
vice-président
Secrétaires :
M. Joël Guerriau,
M. Michel Raison.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Modification de l’ordre du jour
M. le président. Par lettre en date du 13 février 2019, M. Hervé Marseille, président du groupe Union Centriste, a demandé l’interversion de l’ordre d’examen des deux propositions de loi inscrites à l’ordre du jour de l’espace réservé à son groupe du jeudi 21 février 2019.
Acte est donné de cette demande.
3
Accord de coopération entre l’Union européenne et l’Afghanistan
Adoption en procédure d’examen simplifié d’un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle l’examen d’un projet de loi tendant à autoriser la ratification ou l’approbation de conventions internationales.
Pour ce projet de loi, la conférence des présidents a retenu la procédure d’examen simplifié.
projet de loi autorisant la ratification de l’accord de coopération en matière de partenariat et de développement entre l’union européenne et ses états membres, d’une part, et la république islamique d’afghanistan, d’autre part
Article unique
Est autorisée la ratification de l’accord de coopération en matière de partenariat et de développement entre l’Union européenne et ses États membres, d’une part, et la République islamique d’Afghanistan, d’autre part, signé à Munich le 18 février 2017, et dont le texte est annexé à la présente loi.
M. le président. Je mets aux voix le texte adopté par la commission sur le projet de loi autorisant la ratification de l’accord de coopération en matière de partenariat et de développement entre l’Union européenne et ses États membres, d’une part, et la République islamique d’Afghanistan, d’autre part (projet n° 158, texte de la commission n° 296, rapport n° 295).
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées est favorable à l’adoption de ce texte.
(Le projet de loi est adopté.)
4
Élection des membres du Parlement européen
Adoption définitive en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant l’approbation de la décision (UE, EURATOM) 2018/994 du Conseil du 13 juillet 2018 modifiant l’acte portant élection des membres du Parlement européen au suffrage universel direct (projet n° 227, texte de la commission n° 298, rapport n° 297).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, les élections européennes sont un moment clé de la vie démocratique européenne. Pourtant, comme vous le savez et comme vous avez pu en faire l’expérience dans vos territoires, le niveau de participation des citoyens de l’Union européenne a connu une érosion systématique à chacune de ces élections,…
M. François Bonhomme. Eh oui ! Faut-il s’en étonner ?
M. François Bonhomme. Et ce n’est pas fini !
Mme Nathalie Loiseau, ministre. Inverser cette tendance lors des élections européennes qui se tiendront entre le 23 mai et le 26 mai prochain dans les États membres, et le 26 mai en France, est un enjeu démocratique majeur. C’est aussi un enjeu politique essentiel au regard du fonctionnement même du Parlement européen. En effet, sur quelle majorité au Parlement européen le prochain président de la Commission européenne pourra-t-il par exemple s’appuyer ?
C’est à chaque citoyen européen d’en décider et je sais que, légitimement, les opinions sont partagées dans cet hémicycle, mais je gage que nous nous réunirons au moins sur un point : personne ne peut se satisfaire de ce que nous avons trop souvent connu dans le passé, une campagne politique peu mobilisatrice et au fond bien plus nationale qu’européenne, une participation faible et une forme de cogestion entre les principaux groupes politiques du Parlement européen qui n’a peut-être pas été très stimulante pour les électeurs.
Vous le savez, le Président de la République a souhaité redynamiser le projet européen. Cela passe par un renforcement de la légitimité, de la représentativité – sujet souvent débattu ces dernières semaines – et de la visibilité du Parlement européen. C’est dans cet esprit que la loi française du 7 juillet 1977 relative à l’élection des représentants au Parlement européen a été modifiée au mois de juin 2018, notamment afin de rétablir une circonscription électorale unique.
C’est également dans cet esprit que les États membres ont entrepris, un an avant les élections européennes, de finaliser les négociations sur la modification de l’acte électoral de 1976, qui avait été lancée en 2015 par le Parlement européen. L’objectif de cette réforme était de rendre le processus électoral plus transparent pour les citoyens, mais aussi plus « européen », en renforçant les principes communs qui régissent les élections au Parlement européen.
En effet, comment expliquer à nos concitoyens que les élections européennes obéissent à des règles aussi différentes d’un État membre à l’autre ?
Dans son rapport d’initiative législative adopté le 11 novembre 2015, le Parlement européen a formulé des propositions ambitieuses pour renforcer les principes communs pour les élections européennes. Cela n’allait pas de soi, si l’on considère la grande diversité de traditions électorales au sein des États membres, tout comme la forte sensibilité de ces questions. De fait, les négociations au Conseil ont été difficiles et plusieurs propositions du Parlement européen particulièrement parlantes ont été rejetées, telles que l’instauration d’une date commune pour la tenue du scrutin ou la mise en place de mesures visant à permettre à l’ensemble des citoyens européens résidant à l’étranger de participer aux élections européennes.
Les négociations au Conseil ont toutefois repris, après que les débats sur l’avenir de l’Union ont mis en lumière l’urgence de donner un nouvel élan démocratique à l’Union européenne. Elles ont permis d’aboutir à un accord entre le Conseil et le Parlement européen au mois de juin dernier. La décision modifiant l’acte électoral de 1976 a été adoptée par le Conseil des ministres le 13 juillet dernier, à Bruxelles.
Il revient à présent aux États membres d’approuver cette décision selon leurs procédures constitutionnelles respectives.
Cette réforme de l’acte électoral prévoit des modifications qui visent à renforcer les principes communs régissant l’élection au suffrage universel direct des membres du Parlement européen. Je précise, puisque c’est aussi une actualité européenne particulièrement brûlante, que même un Brexit sans accord serait sans incidence sur ces dispositions communes à tous les États membres.
Je regrouperai les modifications apportées par l’acte électoral, de façon à distinguer d’abord ce qui concerne les députés européens eux-mêmes, ensuite ce qui touche à la préparation et aux modalités du vote, enfin ce qui relève d’un meilleur contrôle.
S’agissant des députés européens eux-mêmes, l’article 1er de l’acte électoral est remplacé par un nouveau texte, qui précise que les membres du Parlement européen sont élus « représentants des citoyens de l’Union ». Cette modification, qui reprend les termes du traité de Lisbonne et s’inspire des parlements nationaux, vise à souligner la légitimité des membres du Parlement européen, qui représentent les citoyens de l’ensemble de l’Union européenne et non les citoyens du seul État membre dans lequel ils sont élus.
Les États membres sont encouragés, dans un nouvel article 3 ter, à prendre des mesures pour que l’affiliation des candidats à un parti politique européen puisse apparaître sur les bulletins de vote, ce qui est d’ores et déjà possible en droit français, même si cette disposition n’a pas de caractère obligatoire. Là encore, il s’agit d’aider le citoyen à faire le lien entre son vote et l’action européenne de ses députés au Parlement européen.
L’article 3 de l’acte électoral est également modifié, afin de rendre obligatoire la mise en place d’un seuil électoral dans les circonscriptions de plus de 35 sièges, compris entre 2 % et 5 % des suffrages exprimés – ce sujet a fait l’objet de discussions au sein de votre commission. Comme vous le savez, ce seuil permet de favoriser l’émergence de groupes politiques d’une taille significative et de faciliter ainsi le processus législatif au Parlement européen.
Cette obligation doit intervenir pour les élections au Parlement européen de 2024, si la décision entre en vigueur avant les élections du mois de mai 2019. Je rappelle cependant qu’en France la loi du 7 juillet 1977 fixe d’ores et déjà le seuil électoral à 5 % des suffrages exprimés.
L’acte électoral révisé précise les dispositions à retenir pour la préparation et les modalités mêmes du vote. Il permet d’abord de mieux harmoniser le calendrier du dépôt des candidatures dans les États membres en prévoyant, dans un nouvel article 3 bis, une date limite pour le dépôt des candidatures, pour autant que la législation de l’État membre en prévoie une, au plus tard trois semaines avant le début de la période électorale. Cette disposition est donc cohérente avec ce que nous faisons en France, puisque la loi du 7 juillet 1977 fixe la date limite pour le dépôt des candidatures au quatrième vendredi précédant le jour du scrutin.
Les États membres sont également encouragés à prévoir le vote par correspondance, le vote électronique ou le vote par internet aux élections européennes, ainsi que le prévoit l’article 4 bis, et à mettre en place des mesures destinées à permettre à leurs citoyens résidant dans un pays tiers de participer à ces élections, comme le précise l’article 9 ter. En France, la loi du 7 juillet 1977 permet déjà aux citoyens français résidant à l’étranger de voter, lors des élections européennes, par procuration ou dans des bureaux de vote installés dans le réseau diplomatique et consulaire.
Enfin, la décision qui vous est présentée prévoit, à l’article 9, que les sanctions contre le double vote seront renforcées, afin de s’assurer que les citoyens européens ne puissent pas voter dans plusieurs États membres à la fois. Les États membres devront par ailleurs, aux termes de l’article 9 ter, désigner une autorité chargée des échanges sur les données relatives aux électeurs et aux candidats, afin de faciliter l’échange d’informations entre les États membres. En France, le décret du 28 février 1979 charge l’Institut national de la statistique et des études économiques et le ministère de l’intérieur de transmettre aux autres États membres les informations relatives respectivement aux électeurs et aux candidats. La France prévoit par ailleurs, en cas de vote multiple, des peines qui peuvent aller jusqu’à deux ans d’emprisonnement et une amende de 15 000 euros.
Je formulerai un regret, celui que le Parlement européen n’ait pas donné suite à la proposition qu’il avait initialement exprimée dans son avis du mois de novembre 2015, proposant la création d’une « circonscription électorale commune » dans laquelle les candidats auraient été élus sur la base de listes transnationales de chaque famille politique. La France avait défendu cette idée, qui aurait pu être mise en œuvre pour un nombre limité de sièges et qui aurait contribué à une approche plus européenne de ces élections, ce qui est indispensable de notre point de vue. Le Conseil européen a dû faire le constat que cette idée ne pouvait être mise en œuvre dès 2019. Il a néanmoins souhaité que les travaux se poursuivent dans la perspective des élections européennes de 2024. La France reste mobilisée et continuera à défendre cette idée.
Telles sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les grandes lignes de la révision de l’acte électoral. Elle représente au total une avancée européenne et une harmonisation progressive par le haut, qui entrera en vigueur lorsque l’ensemble des États membres l’auront autorisée. Je souligne que, compte tenu des normes dont nous disposons en droit français, l’approbation de la décision du Conseil n’appelle pas de modification des règles applicables aux prochaines élections européennes dans notre droit interne.
La France, comme l’ensemble des États membres, est fermement attachée à ce que cette décision puisse entrer en vigueur avant les prochaines élections européennes. C’est pourquoi je vous demande d’autoriser l’approbation de la décision du Conseil du 13 juillet 2018. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe Union Centriste, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Richard Yung, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes amenés à nous prononcer par un vote sur la décision du Conseil du 13 juillet 2018 modifiant l’acte portant élection des membres du Parlement européen au suffrage universel direct. Dans le monde difficile qui est le nôtre, l’Union européenne reste la seule voie possible si nous souhaitons conserver notre présence et notre capacité d’influence, à l’heure du retour des États-puissances et de l’affaiblissement de l’ordre international multilatéral.
Pour avancer, le projet européen a plus que jamais besoin d’un nouvel élan, d’un nouveau souffle, et la légitimité démocratique de l’Union européenne en est le préalable. Pour asseoir la légitimité des députés européens, il faut d’abord apporter une réponse à la lente érosion du taux de participation aux élections européennes, qu’a évoquée Mme la ministre.
À cet égard, la loi du 25 juin dernier a réinstauré une circonscription électorale unique en France – comme c’est le cas dans la quasi-totalité des États membres – et supprimé les huit circonscriptions régionales, dont on connaissait assez mal les limites et pour lesquelles il était assez difficile de nommer les députés élus. La décision du Conseil soumise à notre approbation poursuit cet effort d’harmonisation. Mme la ministre en a rappelé les principales dispositions : instauration d’un seuil d’éligibilité minimal commun à toutes les grandes circonscriptions, mise en place d’une date limite commune pour le dépôt des candidatures, plusieurs possibilités ouvertes aux États membres comme la faculté d’autoriser le vote en ligne, sous réserve d’assurer la confidentialité du scrutin.
En tant que sénateur représentant les Français établis hors de France, je regrette que le scrutin par internet ne soit ni prévu ni envisagé pour nos compatriotes résidant dans un État tiers de l’Union européenne, et ce pour des raisons de cybersécurité. Lorsque l’on habite le Panama, il n’est pas évident de participer aux élections européennes.
M. Roger Karoutchi. Oui !
M. Richard Yung, rapporteur. J’évoque le Panama, mais le monde est vaste ! (Sourires.)
Vu de France, ce texte peut donc paraître modeste, puisque les dispositions obligatoires qu’il contient sont déjà intégrées dans notre droit interne et n’emporteront aucune conséquence juridique nouvelle. Cependant, tel n’est pas le cas pour l’ensemble de nos voisins européens !
Les modalités de scrutin étaient visiblement trop disparates entre les États membres pour permettre une véritable harmonisation dès les élections du mois de mai prochain. En effet, le poids des traditions électorales étant encore très présent, il était inenvisageable de prévoir une date unique de scrutin, ce qui aurait pourtant un sens politique fort, car certains pays comme l’Irlande ou les Pays-Bas sont habitués à voter en semaine – le Royaume-Uni vote le mardi, c’est une règle sacrée –, alors que nous votons pour notre part le dimanche. Par ailleurs, une vingtaine d’États membres pratiquent le vote préférentiel, ce qui semble exclu en France et en Allemagne où le scrutin de liste bloquée est institué depuis très longtemps.
La méthode retenue pour l’harmonisation des scrutins est donc celle, bien connue, des « petits pas » – Jean Monnet ! (Sourires) –, c’est-à-dire celle qui a prévalu pour la construction de l’Union européenne. Avec cette décision, les États membres franchissent un pas supplémentaire. Les négociations ne sont pas terminées pour autant ; elles seront relancées au cours de la prochaine législature en prévision des élections de 2024. Il faut espérer que la prochaine révision de l’acte électoral sera alors plus ambitieuse.
À titre personnel – car la commission ne s’est pas prononcée sur ce point –, j’espère qu’un consensus se dégagera sur des sujets importants, tels que la parité ou l’instauration des listes transnationales, qu’a mentionnée Mme la ministre. L’idée des listes transnationales figurait pourtant dans le rapport d’initiative législative adopté par le Parlement européen au mois de novembre 2015, avant d’être finalement retirée de la décision définitive du Conseil, faute d’accord. J’y suis pour ma part favorable : je pense que cela resserrerait le lien entre les citoyens et les institutions européennes et favoriserait le renforcement de la citoyenneté européenne.
Cette initiative est soutenue par certains États membres, l’Irlande, l’Espagne ou encore l’Allemagne – à cet égard, je vous renvoie à la déclaration de Meseberg du mois de juin dernier. L’opposition est surtout venue du groupe de Visegrad, qui regroupe entre autres la Hongrie, la Pologne et la République tchèque. J’exprime à ce titre une position personnelle, dans la mesure où le Sénat s’est prononcé contre cette initiative par une résolution en date du 16 avril 2016. Il n’en reste pas moins qu’il faut faire progresser les idées.
En conclusion, à l’heure où le populisme fait une percée aussi importante qu’inquiétante partout en Europe, tant au sein des parlements nationaux qu’au sein des exécutifs, il est de notre responsabilité d’apporter des solutions solides et fortes au lien qui s’est distendu entre les peuples européens et leurs représentants. La question des modalités électorales y participe.
À cette fin, tous les pas vers une Europe plus souveraine, plus forte et plus juste sont les bienvenus. Je vous invite donc, mes chers collègues, à voter ce texte à la portée certes très limitée, mais qui est soutenu par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
Exception d’irrecevabilité
M. le président. Je suis saisi, par M. Masson, d’une motion n° 1.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 2, du Règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi autorisant l’approbation de la décision (UE, EURATOM) 2018/994 du Conseil du 13 juillet 2018 modifiant l’acte portant élection des membres du Parlement européen au suffrage universel direct, annexé à la décision 76/787/CECA, CEE, Euratom du Conseil du 20 septembre 1976 (n° 298, 2018-2019).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8 du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Jean Louis Masson, pour la motion.
M. Jean Louis Masson. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, l’enjeu de ce projet de loi est très important, puisqu’il s’agit de la représentation de la France au sein du Parlement européen. Dans ces conditions, il est particulièrement regrettable que le Sénat ait initialement décidé de retenir la procédure d’examen simplifié pour ce texte. De ce fait, il ne devait y avoir ni amendement ni même explication de vote. La seule possibilité consistait à présenter une motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité, solution pour laquelle j’ai opté. Cette façon d’agir, malgré les protestations que j’avais pu adresser à la commission des affaires étrangères, au président du Sénat et à différentes autres autorités de notre assemblée, caractérise un incontestable manque de transparence démocratique.
Je remercie donc tout particulièrement Mme Assassi, présidente du groupe CRCE, d’avoir refusé cette procédure pour le moins accélérée – seuls les présidents de groupes peuvent en effet le faire –, ce qui nous permet d’avoir aujourd’hui un débat.
Le choix initial du Sénat est d’autant plus regrettable que la ratification de la décision du Conseil du 13 juillet 2018 est indissociable d’une autre décision de la même instance en date du 28 juillet 2018, laquelle répartit les sièges de députés entre les États membres, que l’on prend soin de ne pas même évoquer dans les débats parlementaires, puisque le Parlement ne sera même pas consulté. Or le vice de constitutionnalité de l’une rejaillit sur l’autre.
L’article 14 du traité de Lisbonne prévoit que chaque État doit avoir un nombre de députés européens « dégressivement proportionnel à sa population ». Comme l’indiquait la décision du Conseil du 28 juin 2013, qui a arrêté la répartition des sièges pour l’actuelle mandature, « chaque député du Parlement européen d’un État membre plus peuplé doit donc représenter davantage de citoyens que chaque député d’un État membre moins peuplé ».
Or la répartition actuelle des sièges montre une violation flagrante de cette disposition, puisqu’un député européen allemand représente actuellement 852 000 habitants contre 883 000 habitants pour un député européen français, alors même que l’Allemagne est plus peuplée que la France. Notre Constitution prévoit l’obligation de respecter les traités et cette violation du traité de Lisbonne vicie toute la procédure.
En 2018, lorsqu’il a fait ses propositions au Conseil des ministres pour la nouvelle répartition des sièges, qui sera mise en œuvre au mois de mai prochain, le Parlement européen a lui-même reconnu que « la répartition actuelle des sièges ne respecte pas le principe de proportionnalité dégressive ». En d’autres termes, même le Parlement européen reconnaît cette violation du traité de Lisbonne !
Sur ce fondement, la décision prise le 28 juin 2018 par le Conseil a prévu que, si le Royaume-Uni quittait l’Union européenne, la France aurait cinq sièges supplémentaires. Le passage de 74 à 79 sièges respecterait alors l’obligation de proportionnalité dégressive.
Toutefois, la même décision du 28 juin 2018 a prévu que, si le Royaume-Uni était toujours membre de l’Union européenne au moment des élections, l’ancienne répartition des sièges continuerait à s’appliquer jusqu’au départ effectif du Royaume-Uni. Dans ces conditions, si le Royaume-Uni partait dans six mois, dans un an ou dans dix ans, on serait dans une situation évidente de violation du traité de Lisbonne.
Madame le ministre, je vous ai interrogée sur cette problématique par une question écrite n° 7142 au mois de novembre 2018. Vous m’avez répondu, « si le Royaume-Uni renonçait à sa demande de retrait, la décision du Conseil du 28 juin 2018 deviendrait caduque ». Madame le ministre, c’est de l’enfumage total et un mensonge à un double titre. (Marques de désapprobation. – Mme la ministre proteste.)
M. Roger Karoutchi. Oh !
M. Jean Louis Masson. Oui, c’est faux !
Tout d’abord, rien n’indique dans la décision du Conseil du 28 juin 2018 que celle-ci deviendrait caduque en cas d’abandon du Brexit. Par ailleurs, les négociations avec le Royaume-Uni peuvent s’éterniser et durer pendant un an, deux ans ou plus : pendant toute cette période, nous continuerions à être dans une situation de violation du traité de Lisbonne.
Pour toutes ces raisons et compte tenu des principes constitutionnels français, il me semble que les décisions du Conseil relatives aux élections européennes s’inscrivent dans une logique de violation du traité de Lisbonne et, indirectement, de notre Constitution. C’est pourquoi elles doivent être repoussées tant que la répartition des sièges entre les États membres n’a pas été définie dans un respect total, et non partiel, des termes du traité de Lisbonne.
Je profite de cette intervention pour évoquer le fameux article 14 du traité de Lisbonne, qui pose un certain nombre de problèmes d’un point de vue démocratique : manifestement, la façon de concevoir la représentation dégressivement proportionnelle devient complètement abusive. Cet article prévoit explicitement que chaque État doit être représenté « de façon dégressivement proportionnelle » par rapport à sa population. En application de cette disposition, pour la législature 2014-2019 du Parlement européen, c’est une décision du Conseil du 28 juin 2013 qui a fixé le nombre des députés attribués à chaque État membre. Or force est de constater que cette répartition a été surtout dégressive et fort peu proportionnelle. En effet, on constate une véritable discrimination à l’égard des grands États, puisque Malte, qui a obtenu six députés européens, se trouve nettement plus favorisée que la France, l’écart de représentativité étant d’un rapport de 1 à 12,7.
Ainsi que l’indique un arrêt du 30 juin 2009 de la Cour constitutionnelle fédérale d’Allemagne, dite Cour de Karlsruhe, le principe démocratique d’égalité entre les citoyens – un homme-une voix – n’est à l’évidence pas respecté au sein du Parlement européen. De ce fait et en l’absence de correctif, il n’est manifestement pas pertinent de continuer à transférer des compétences nationales très importantes au profit d’une Union européenne qui, selon la Cour de Karlsruhe, n’a absolument aucune légitimité démocratique.
Le tableau de la répartition des sièges pour la prochaine législature révèle un certain nombre d’anomalies. Ainsi, un député européen de Malte représente environ 60 000 habitants contre près de 900 000 habitants pour un député européen français. L’écart est énorme !
Dans ces conditions, on ne voit donc pas pourquoi le Conseil constitutionnel pose des problèmes et empêche la Lozère ou tel département d’avoir plus d’un seul sénateur, pour prévenir tout écart de plus de 20 %, alors que l’on admet par ailleurs un écart de 1 à 12, ce qui représente un écart de 1 100 % ! C’est complètement fou.
Il est donc absolument impératif de résoudre cette problématique : l’article 14 du traité de Lisbonne n’est pas acceptable. Ce qui est plus inacceptable encore, c’est que l’on ne respecte pas cet article et que l’on fasse pire que ce qu’il prévoit !