M. Richard Yung, rapporteur. L’avis que j’émettrai ne sera pas celui de la commission, cette motion venant tout juste de nous être soumise. Je m’en étonne un peu d’ailleurs, alors que cela fait tout de même cinq ou six mois que nous discutons de ce texte. Chacun a disposé du temps nécessaire pour y réfléchir et formuler des propositions. Cela étant dit, ce n’est pas le fond du problème.
À titre personnel, j’émettrai un avis défavorable sur cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité, et ce pour deux raisons.
D’abord, la répartition du nombre de députés, monsieur Masson, fait l’objet d’un autre texte, qui est d’application immédiate. Nous perdons donc notre temps à discuter de ce sujet !
Ensuite, le Conseil constitutionnel français – et non pas la Cour de Karlsruhe, monsieur Masson, je ne prends pas mes exemples en Allemagne – a validé le texte dont nous discutons présentement, à l’exception d’un petit membre de phrase qui n’avait rien à voir avec lui. Je considère donc qu’il est entièrement constitutionnel.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nathalie Loiseau, ministre. Il est savoureux d’entendre M. le sénateur Masson nous lire le traité de Lisbonne ! Il est aussi savoureux de l’entendre s’intéresser au Conseil constitutionnel.
Il est en revanche inacceptable d’entendre que le Gouvernement pratiquerait l’enfumage et le mensonge. Je tenais à réagir à ces propos qui, de mon point de vue, sont totalement inappropriés. Il est vrai qu’une partie de la classe politique, très à droite, s’est habituée depuis quelque temps à l’enfumage et au mensonge, mais le Gouvernement n’a nullement été contaminé.
J’ajoute que les explications données par M. le sénateur Masson sont malheureusement incomplètes. Certes, la proportionnalité dégressive est le principe qui régit la répartition du nombre de députés européens au Parlement européen, mais ce principe est assorti d’un seuil et d’un plafond, chaque État membre comptant six députés au minimum, quatre-vingt-seize au maximum. Ce principe est donc respecté en l’état et il le sera dans l’avenir.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Je trouve moi aussi savoureuse l’argumentation de M. Masson, qui a souvent parlé, lors de l’instauration de la circonscription nationale unique, des « députés européens qui représentent la France » quand ils représentent les citoyens européens vivant en France.
Je trouve également assez savoureux, et d’ailleurs assez positif, qu’il se préoccupe aujourd’hui du poids démographique des différents députés européens. C’est une évolution par rapport à ce que vous disiez au mois de juillet dernier, monsieur Masson. Vous considériez alors que les députés européens représentent les différents États membres. Ils représentent, et c’est dans le texte, les citoyens qui vivent dans chaque pays de l’Union européenne.
La proportionnalité mérite d’être prise en compte, car elle n’est pas encore correctement intégrée dans les traités, mais la démocratisation de l’Union européenne est en route…
M. François Bonhomme. Ce n’est pas flagrant !
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
(La motion n’est pas adoptée.)
Discussion générale (suite)
M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Jean-Claude Requier. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, notre droit électoral, que nous avons récemment complété par la loi du 25 juin 2018 relative à l’élection des représentants au Parlement européen, laquelle a rétabli une circonscription unique, converge vers la décision du Conseil du 13 juillet 2018 modifiant l’acte électoral européen de 1976.
Qu’il s’agisse du seuil minimal obligatoire pour l’attribution des sièges, du délai limite pour le dépôt des candidatures et de la « politisation » du bulletin de vote ou encore du régime de sanction du double vote, la France est dans les clous. Ce texte ne présentant pas de difficultés particulières, il aurait pu emprunter le cheminement discret de la procédure simplifiée.
Aussi, sans entrer davantage dans le détail, le RDSE, qui s’enorgueillit de porter le projet européen dans son appellation même et qui a compté en son sein Maurice Faure, signataire du traité de Rome, approuvera le projet de loi qui nous est soumis aujourd’hui.
L’objectif général d’une uniformisation des procédures électorales va dans le bon sens, celui d’une meilleure représentativité des députés européens. Néanmoins, dans le contexte d’une participation aux élections européennes en baisse depuis les tout premiers scrutins, nous pensons aussi que ce texte ne sera pas suffisant pour restaurer le lien entre les citoyens et leurs élus européens.
C’est une difficulté que mon groupe avait déjà soulignée l’année dernière. En effet, nous avions alors soutenu le rétablissement de la circonscription unique, tout en rappelant la nécessité d’entreprendre un important travail de pédagogie sur le rôle croissant du Parlement européen au sein des institutions européennes.
Nous avions déposé des amendements visant notamment à sensibiliser les jeunes Français au projet européen. Je rappelle en effet que les trois quarts d’entre eux ne se sont pas rendus aux urnes lors des derniers scrutins. Et je ne suis pas certain que la présence d’un drapeau européen dans chaque classe suffise véritablement à encourager l’esprit de citoyenneté européenne…
Mme Cécile Cukierman. Certes ! (Sourires.)
M. Jean-Claude Requier. Quant à la proposition de listes transnationales dans le cadre d’une circonscription unique à l’échelle européenne, que le Président de la République soutient, mais qui est pour le moment repoussée, elle suscite chez moi les mêmes inquiétudes que chez certains de mes collègues. Il nous faut, en effet, trouver un système qui garantisse bien le pluralisme et la représentativité de tous les États membres. Je pense en particulier aux plus petits d’entre eux. Nous savons que le groupe de Visegrad, qui regroupe quatre pays d’Europe centrale – la Hongrie, la Pologne, la République tchèque et la Slovaquie – s’est farouchement prononcé contre l’année dernière dans une déclaration commune. C’est cependant un travail de réflexion que nous devrions poursuivre d’ici les élections de 2024.
En attendant, au-delà du processus électoral, c’est sur l’idée même d’Europe que nous devons travailler. Le Président de la République l’avait rappelé en 2017, lors de son fameux discours de la Sorbonne, en invitant à « rendre l’Europe à elle-même et à la rendre aux citoyens européens ».
Quand des crises et des défis se dressent face à l’Europe, il faut voir celle-ci comme un rempart, et non comme un bouc émissaire. Dans le monde ouvert d’aujourd’hui, on sait très bien que c’est l’union qui fait la force. N’oublions pas que seule une réponse collective a permis de gérer la crise de la dette et de traiter la crise migratoire.
L’Europe est non pas la raison des problèmes, mais bien la solution aux grands défis. Le repli sur soi que certains prônent serait suicidaire. Il n’y a qu’à voir nos amis britanniques qui doutaient hier de l’Europe et qui doutent aujourd’hui de la sortie de l’Europe.
On ne peut pas nier, bien sûr, que les institutions européennes connaissent une véritable crise de légitimité. À cet égard, je ne pense pas, compte tenu de la crise que traversent nos propres institutions dans le contexte du mouvement des « gilets jaunes », qu’il soit opportun d’organiser un référendum national le 26 mai prochain, jour des élections européennes. Le RDSE est opposé aux mélanges des genres, ce qui ne fera que diluer les enjeux européens.
Mes chers collègues, pour terminer, je reprendrai les mots de l’ancien président de la Grèce, Constantin Caramanlis, profondément européen : « Aveuglés par les différences de surface, ils n’ont pas su voir l’unité de la profondeur ».
À l’approche de la campagne européenne, nous devons en effet en revenir aux fondamentaux de l’Union européenne, rappeler que la plupart des États membres partagent un socle de valeurs démocratiques et inciter les dirigeants à fixer rapidement un nouveau cap ambitieux et novateur à notre cher et vieux continent. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe Union Centriste.)
M. Richard Yung, rapporteur. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson.
M. Jean Louis Masson. Monsieur le président, madame le ministre, je profiterai de cette intervention pour faire remarquer à notre rapporteur qu’il ferait bien de lire le règlement du Sénat, lequel permet le dépôt d’une motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité comme je viens de le faire.
Le rapporteur a le droit d’être un européiste, un fédéraliste, de promouvoir des élections globales et non plus nationales,…
M. Richard Yung, rapporteur. Oui, et c’est tout à mon honneur !
M. Jean Louis Masson. … mais il n’a pas à mettre en cause le dépôt d’une motion dans des conditions tout à fait conformes au règlement du Sénat, même si elle ne lui fait pas plaisir.
Cette mise au point étant faite, j’indique que je n’ai pas du tout changé de point de vue, contrairement à ce que certains ont pu dire, depuis l’examen du texte sur le Brexit. J’ai toujours pensé la même chose. Je suis partisan d’une Europe des nations, car l’Europe à tendance fédéraliste que certains veulent mettre en place, c’est l’Europe de la chienlit !
Chacun ici a le droit d’avoir ses opinions. La majorité au Sénat, qui représente théoriquement les Français, n’est pas à l’image du résultat des élections au suffrage universel direct de 2017. Chacun doit respecter l’autre. Je ne vois pas pourquoi, en tant que partisan d’une Europe des nations, je me ferais agresser par les partisans d’une Europe fédéraliste ! Je représente une fraction de la population française digne d’intérêt, qu’on la qualifie de « populiste » ou de « machin chouette »…
Ces termes utilisés de manière péjorative sont d’ailleurs tout à fait discriminatoires de la part de gens qui se veulent des chantres de la démocratie. Quand on est démocrate, on commence par respecter les autres, notamment ceux qui ne partagent pas le même point de vue.
Même si, dans cette enceinte, je suis tout seul à penser ce que je pense, ce n’est pas nécessairement le cas à l’échelon national, comme on le verra lors des prochaines élections européennes !
Cela étant dit, le texte qui nous est soumis prévoit une évolution vers un système ayant pour effet de marginaliser ceux qui ne sont pas partisans d’une Europe fédéraliste. Tout ce qui est fait, y compris la fixation d’un seuil minimum de 3 % pour la représentation…
M. le président. Il faut conclure, cher collègue !
M. Jean Louis Masson. Les non-inscrits n’ont pas beaucoup de temps de parole, mais j’aurai bien l’occasion de revenir vous dire ce que je pense !
M. François Bonhomme. On n’en doute pas !
M. Richard Yung, rapporteur. Mais vous avez eu treize minutes pour parler !
M. le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère.
M. Philippe Bonnecarrère. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons aujourd’hui approuve une décision du Conseil européen modifiant l’acte de 1976 portant élection des députés. Le plus simple, c’est ce qui est écrit dans ce texte ; le plus important, c’est ce qui n’y figure pas.
Le plus simple, ce sont les objectifs louables de l’Union européenne : rendre le processus électoral plus transparent pour les citoyens, consolider les principes communs régissant les élections dans chacun des États afin d’en souligner le caractère européen et, in fine, renforcer la légitimité, la représentativité du Parlement européen.
Vous le savez, Mme la ministre et notre rapporteur l’ont indiqué, notre droit électoral national intègre déjà en quasi-totalité les évolutions prévues par le Conseil européen. Nous ne pouvons qu’approuver ces mesures ou, plutôt, ces garanties.
Vous nous demandez en effet, madame la ministre, d’approuver la convergence, l’harmonisation du mode électoral avec nos vingt-sept ou vingt-six partenaires, suivant que l’on se place ou non après le 29 mars. Cette harmonisation étant nécessaire, pertinente, il n’y a nul suspense sur ce que sera le vote du groupe Union Centriste.
Toutefois, mes chers collègues, le plus important est ailleurs, chacun de nous ayant bien sûr la liberté, comme M. Masson, de s’exprimer.
Le plus important sera bien sûr la participation aux prochaines élections européennes, mais aussi la légitimité des parlements – les parlements nationaux et le Parlement européen – et l’articulation entre leurs rôles, cette question étant moins souvent évoquée.
La participation est le talon d’Achille de l’élection européenne : comment favoriser la participation de nos concitoyens le 26 mai et, plus largement, celle de l’ensemble de nos concitoyens européens ?
Cette question nous conduit à nous interroger sur le rôle de l’Union européenne, sur ce qu’on en comprend, sur la perception que nous avons des effets de ses politiques centrales sur notre vie quotidienne, en bref sur ce qu’est une pédagogie de l’Europe, sur les ambitions que l’Europe peut porter, sur le réalisme de ses propositions et peut-être également, ce qui est plus délicat dans notre société, sur une vision de long terme tant l’Europe se construit dans un temps long.
Comment finalement surmonter, chers collègues, le paradoxe d’une Europe qui doute d’elle-même, alors qu’elle a franchi de nombreuses étapes ? Je rappelle qu’elle a créé un marché unique, une monnaie unique, défini une charte des droits fondamentaux, développé l’espace Schengen, qu’elle s’est ouverte à des pays qui, pour les uns, ont pu y trouver la démocratie et, pour les autres, les conditions de l’indépendance et de la liberté, après l’effondrement du bloc soviétique. L’Europe a encore tant de chantiers devant elle, que ce soit dans le domaine social, économique, de la défense, des migrations, de la lutte contre le terrorisme ou dans le secteur agricole – objet, en début de matinée, d’une réunion commune à la commission des affaires européennes et à la commission des affaires économiques – et plus généralement dans le domaine des relations internationales.
Cette question nous confronte aussi, chers collègues, à la crise démocratique, à la crise de légitimité que traduisent nombre de prises de parole dans nos départements, dans le cadre du grand débat national. C’est une manière peut-être de vous dire, ou de nous dire, que tout est dans tout : à la fois la difficulté que nous avons à faire de la pédagogie sur les élections européennes, les débats, les contestations sur les éléments de la légitimité nationale et sur la manière dont, aujourd’hui, on structure celle-ci, la façon dont on concilie démocratie participative et démocratie représentative, sujet cher au président du Sénat, nous le savons.
La pédagogie sur l’Europe, pour reprendre la formule de M. Yung il y a quelques instants, ne devra pas s’arrêter le 26 mai, date des élections. C’est un exercice qui doit bien sûr s’inscrire dans la durée, car c’est la seule voie possible pour ceux qui souhaitent plus que jamais construire l’Union européenne.
Pour terminer, j’aborderai rapidement la question du rôle des parlements nationaux et du Parlement européen, sujet peu évoqué.
D’abord, je pense que nos parlements, et en particulier le Sénat, devraient reprendre ce que l’on avait appelé à l’époque le « paquet Tusk » – c’était avant le Brexit. Une discussion avait été engagée avec le Premier ministre britannique sur une revalorisation du rôle des parlements nationaux dans le processus de construction européenne. Ce sujet demeure d’actualité.
Ensuite, je pense à la question du sort des propositions de résolutions européennes, que vous viendrez évoquer devant la commission des affaires européennes dans quelques jours, madame la ministre. C’est un sujet auquel nous sommes attentifs.
Peut-être pourrons-nous également réfléchir à ces questions lors de l’éventuelle révision constitutionnelle ? L’article 88-6 en particulier soulève une question assez intéressante, dont nous parlerons, afin de faciliter le recours du Sénat ou du Parlement devant la Cour de justice de l’Union européenne. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot.
Mme Colette Mélot. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, « L’Europe, c’est l’espoir. Choisissez votre Europe » : tel était le slogan de la campagne pour les premières élections européennes au suffrage universel direct en 1979. C’était il y a quarante ans et, depuis, le Parlement européen n’a cessé de jouer un rôle de plus en plus important dans l’équilibre institutionnel de l’Union européenne, suggérant une progression irrésistible de la démocratie européenne.
Pourtant, dans le même temps, la participation aux élections a connu une érosion progressive et systématique, pour atteindre des taux très faibles en 2009 et en 2014, respectivement 40,6 % et 42,4 %. La désaffection croissante des citoyens européens pour ces échéances électorales a atténué la portée de ces progrès démocratiques.
En conséquence, le Parlement européen est en quête constante de légitimité et de reconnaissance. Alors qu’il est l’un des plus transparents dans ses décisions, le sentiment d’opacité est total, parce que les débats qui s’y déroulent échappent trop souvent aux populations.
Il convient donc, à l’occasion de ces élections européennes, et sur la base des règles électorales en vigueur, de s’interroger sur ce désintérêt des citoyens. Trop souvent, nos concitoyens considèrent l’Europe comme illisible, obscure, éloignée, loin de leurs préoccupations du quotidien.
Dans cent jours à peine, les Européens iront voter dans un contexte différent des scrutins précédents. Les questions d’immigration, du Brexit et de cybersécurité changent fortement le rapport des citoyens à l’Union européenne.
Ces élections européennes doivent donc être, plus que jamais, une occasion de répondre à leurs attentes, qui sont fortes et nombreuses : les citoyens veulent une Europe qui les protège, une Europe sociale et solidaire, une Europe qui s’occupe des grands enjeux internationaux.
Ces élections doivent être un moment fort de nos démocraties européennes, un moment clé pour l’avenir de l’Europe et pour ses citoyens, un moment qui doit mobiliser élus, citoyens, médias. Elles doivent être une occasion de répondre aux attentes des citoyens et de démontrer toute la légitimité du Parlement européen.
Elles doivent être aussi l’occasion de dénoncer, comme vous le faites chaque jour, madame la ministre, les fake news qui envahissent les réseaux sociaux pour décrédibiliser l’Union européenne.
Si l’harmonisation de la procédure d’élection des députés peut être une réponse, elle ne saurait à l’évidence être suffisante pour faire face au déficit démocratique de l’Union. Il s’agit néanmoins d’un chantier utile pour renforcer l’unité du corps électoral européen.
Ainsi, après trois ans de négociations, les États membres et le Parlement européen sont parvenus à se mettre d’accord sur quelques critères énoncés dans la décision du 13 juillet 2018, sur laquelle nous nous prononçons aujourd’hui. Cette avancée est pour le moins modeste : les critères retenus changent assez peu la situation existante et sont, pour certains, non contraignants. Cela illustre aussi toute la difficulté de ces négociations, qui requièrent beaucoup de patience et de constance dans l’effort.
Mais cette décision, même modeste, montre aussi, et avant tout, une volonté d’avancer et de faire du Parlement européen le cœur de la démocratie européenne. Elle va dans le même sens que le rétablissement de la circonscription unique. Il s’agit de renforcer la lisibilité de ces élections et de permettre un véritable débat national.
Cette harmonisation de la procédure électorale dans les États membres, cette modernisation destinée à la fois à rendre cette procédure plus européenne, à renforcer la visibilité du Parlement européen et à renouer le lien entre l’électeur et le député européen, doit être saluée.
Mes chers collègues, madame la ministre, il nous revient de faire des élections européennes ce grand moment de vie démocratique dont l’Union a besoin, et de faire du Parlement européen le cœur battant d’un projet européen porté par les peuples.
Permettez-moi, pour conclure, de rendre hommage à celle qui fut la première présidente du Parlement européen, incarnation du courage et de la dignité, Européenne convaincue et dont l’image vient d’être honteusement vandalisée : Simone Veil.
M. Jean-Claude Requier. C’est vrai !
Mme Colette Mélot. Elle déclarait : « Se fixant de grandes ambitions, l’Europe pourra faire entendre sa voix et défendre des valeurs fortes : la paix, la défense des droits de l’homme, davantage de solidarité entre les riches et les pauvres. L’Europe, c’est le grand dessein du XXIe siècle. »
Soyons à la hauteur des paroles de Simone Veil et ne ratons pas le rendez-vous du 26 mai prochain ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe La République En Marche et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. le président. La parole est à M. François Bonhomme. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. François Bonhomme. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de loi qui nous est soumis aujourd’hui autorise l’approbation de la décision du Conseil de l’Union européenne modifiant l’acte électoral de 1976, lequel définit les grands principes d’organisation des élections européennes dans chaque État membre.
Disons-le d’emblée, l’impact de ces modifications techniques sur notre droit électoral et sur l’organisation des prochaines élections européennes dans notre pays sera pour ainsi dire nul.
Toutes les prescriptions formulées dans ce texte, qu’elles portent sur le seuil minimal pour l’attribution des sièges, sur les échanges d’informations avec les autres États membres, sur le délai de dépôt des candidatures ou sur les mesures à prendre contre la pratique du double vote, ont d’ores et déjà trouvé leur traduction dans le droit national. Quant aux autres dispositions, elles demeurent optionnelles et, à l’exception notable du recours au vote électronique pour les Français de l’étranger, elles sont déjà appliquées.
Dans ces conditions, le groupe Les Républicains ne voit pas de raison fondamentale de faire obstacle à ce projet de loi, qu’il votera donc.
Mais davantage que le contenu de ces propositions, ce sont les objectifs qui leur sont assignés qui retiennent l’attention. Selon l’exposé des motifs du projet de loi, c’est animés de la volonté de « redynamiser le projet européen » et de lutter contre « l’érosion progressive et systématique » de la participation aux élections européennes que les États membres ont entrepris l’élaboration de ce texte suggéré par le Parlement européen.
Au vu du contexte européen actuel, pour le moins tumultueux, de l’ampleur des défis auxquels l’Europe doit répondre, mais aussi de la désaffection croissante des citoyens pour le scrutin européen, ces objectifs apparaissent particulièrement pertinents. Il est toutefois très difficile d’imaginer, même avec la meilleure volonté du monde, que ces propositions permettront d’atteindre ces objectifs.
De manière plus pragmatique, il convient sans doute de se contenter avec ce texte de viser une finalité plus modeste, à savoir le renforcement des « principes communs qui régissent les élections au Parlement européen, afin d’en souligner le caractère européen ».
Il est en effet normal que les modalités d’organisation des élections européennes reflètent dans une certaine mesure le fait qu’il s’agit d’un scrutin à dimension continentale. À cet égard, je tiens à souligner le profond paradoxe qu’il y aurait à soutenir cette logique tout en accolant à ces élections la tenue d’un référendum. Dans une telle hypothèse, les enjeux européens ne pourraient que s’effacer derrière des enjeux nationaux de sortie de crise, ce qui serait une bien curieuse façon de souligner le caractère européen de la journée du 26 mai.
Pour autant, je n’estime pas que le renforcement des principes communs qui régissent les élections européennes doive nécessairement aller jusqu’à l’instauration de l’éventuelle « procédure uniforme dans tous les États membres » qui est mentionnée dans le traité.
Ériger cette notion en totem, comme le font certains, me semble à la fois vain et contre-productif. L’essentiel pour susciter l’adhésion des citoyens au projet européen ne réside absolument pas dans la standardisation de toutes les procédures électorales ou des jours de vote.
Et si des règles communes à tous les États membres sont évidemment essentielles, elles ne doivent pas conduire à ignorer les traditions, les particularités et les sensibilités nationales, auxquelles les citoyens se révèlent parfois très attachés.
Dans le domaine électoral comme dans les autres, l’Union européenne doit avant tout trouver la bonne distance et laisser aux démocraties nationales d’indispensables espaces de respiration. Évitons ce réflexe pavlovien qui consiste en matière européenne à confondre harmonisation et uniformisation.
Et si cela est vrai en termes de procédures, cela l’est évidemment encore plus en termes politiques. Je fais ici référence à l’une des propositions phares du Président de la République dans son discours de la Sorbonne, à savoir l’élection d’une partie des députés européens sur des listes transnationales.
Malgré le revers considérable subi au Parlement européen lors des discussions sur l’affectation des sièges bientôt laissés vacants par le Royaume-Uni, le Gouvernement laisse entendre dans l’exposé des motifs du projet de loi que ce projet serait la suite logique, voire « naturelle », du processus d’harmonisation des procédures électorales.
Je souhaite réaffirmer notre opposition à de telles listes, car elles reposent sur une illusion, celle qu’il existerait un peuple européen. En outre, imaginer, comme Guy Verhofstadt l’a soutenu l’année dernière, que des listes transnationales pourraient et même devraient contribuer à le faire advenir relève tout simplement de la billevesée ou de la pensée totémique.
Si les différents peuples qui composent l’Union européenne se sentent à l’évidence liés par une profonde communauté de destin – c’est d’ailleurs le sens même de la construction européenne–, ils ont avant tout pour cadre de référence la communauté nationale ou l’État-nation.
Qu’on le veuille ou non, c’est au sein de cet espace public national que doivent s’organiser la vie et le débat politiques. Il demeure le creuset de la légitimité et de l’exercice de la démocratie, et ce ne sont pas les grandes envolées lyriques aux accents fédéralistes sur la « souveraineté européenne » qui changeront quoi que ce soit à cet état de fait. C’est une réalité tenace que l’on ne veut pas voir.
À la différence d’une capacité d’action accrue des parlements nationaux dans le débat et le processus législatifs européens, par exemple via l’instauration d’un droit d’initiative, voire d’un droit de veto, les listes transnationales ne seront en aucun cas capables de rapprocher l’Europe des citoyens et d’apporter une réponse au déficit démocratique de l’Union européenne. Il y a là une chimère aux couleurs européennes.
Bien au contraire, de telles listes ne feraient que favoriser l’élection de députés européens « hors sol », et je dirais même « hors peuple », sans aucune prise avec les réalités du terrain ni aucun ancrage territorial, en d’autres termes, sans aucun lien avec les électeurs.
Mais peut-être s’agit-il là, après tout, du véritable projet recherché par le Gouvernement, puisque c’est exactement la voie qu’il a suivie au niveau national en imposant le recours à une circonscription unique. On attend avec impatience l’afflux électoral qu’on nous a promis le 26 mai prochain.
Il faut certes convenir que les huit circonscriptions interrégionales, trop étendues et ne correspondant à aucune réalité administrative, économique ou historique, étaient complètement vides de sens. Il faut aussi admettre que les députés européens élus dans ces conditions souffrent nécessairement d’un déficit démocratique et d’un déficit d’identification lié notamment à leur absence d’assise territoriale.
Toutefois, la conclusion logique qui s’imposait face à ce constat aurait dû être l’introduction de davantage de proximité, par exemple en redécoupant les circonscriptions pour les faire coïncider avec des délimitations territoriales et électorales cohérentes. On a finalement choisi de mettre en œuvre une politique de Gribouille, consistant, pour ne pas se mouiller, à se jeter à l’eau, en passant de circonscriptions interrégionales à une circonscription nationale, ce qui pose un problème d’identification.
On aurait pu aussi, dans l’idéal, élire nos députés européens au scrutin majoritaire dans 74, et bientôt 79 circonscriptions électorales. Certes, on nous oppose comme argument que l’acte électoral de 1976 impose un scrutin de type proportionnel – n’est-ce pas finalement le défaut originel de l’élection au Parlement européen ?
Ce serait pourtant, de loin, la meilleure solution si l’on considère que tout élu se doit d’être « à portée d’engueulade » de ses électeurs.
Au lieu de cela, le Gouvernement et sa majorité ont pris une direction diamétralement opposée. Nous voici donc revenus à la circonscription nationale, qui souffrira nécessairement des mêmes maux, en pire, que les circonscriptions interrégionales.
J’entends déjà les déplorations vertueuses, le soir du scrutin, où l’on s’interrogera doctement sur le niveau de participation.
Les mêmes causes produisant les mêmes effets, l’argument selon lequel cette réforme permettrait de réduire l’abstention n’est que pure fantaisie.