M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le vendredi 1er février, Emmanuel Macron recevait les élus des outre-mer dans le cadre du grand débat national. Tous étaient conviés, excepté les représentants des territoires du Pacifique, notamment de Polynésie française. Comment expliquer cet impair du chef de l’État ? Les Polynésiens ne partagent-ils pas les revendications de très nombreux Français en termes de pouvoir d’achat, de lutte contre le dérèglement climatique et d’aspiration à plus de démocratie ?
Bien au contraire, la Polynésie française, avec ses 24 % de chômeurs et ses services publics défaillants, n’échappe malheureusement pas à la pauvreté massive, spécifique aux territoires ultramarins. Et sur les questions de démocratie, le passé colonial de la France a exacerbé l’importance de ces enjeux au sein de ce territoire.
Malgré ce manque de considération de la part du président Macron à l’endroit des Polynésiens, force est de constater que tant le projet de loi organique que le projet de loi dont nous allons débattre vont dans le bon sens.
L’assemblée de la Polynésie française a fait l’objet de consultations, certes à titre indicatif, et a rendu un avis favorable sur les deux textes présentés par l’exécutif.
Sur le fond, les objectifs visés sont de donner davantage d’autonomie aux collectivités locales polynésiennes, d’y introduire plus de démocratie et d’y stimuler la création d’emplois en permettant une approche plus adaptée aux besoins de ces îles.
L’exécutif semble avoir compris un élément essentiel : un territoire aussi spécifique que la Polynésie française ne peut être administré depuis Paris. Ainsi est-il proposé de donner davantage de compétences aux communes et de développer l’intercommunalité, notamment dans les domaines économique, énergétique, infrastructurel et éducatif. Par ce biais, il devrait être possible de réaliser des économies, afin d’investir davantage dans les services publics qui fonctionneront, espérons-le, avec plus d’efficacité. Cette mesure devrait également redynamiser le tissu économique local. Sur le plan démocratique, la réforme prévoit notamment la création de syndicats mixtes en Polynésie, acteurs essentiels du dialogue social et local. Ces éléments doivent évidemment être salués.
Finalement, l’un des écueils de cette réforme tient à la gestion de la question environnementale en Polynésie.
En son article 1er, le projet de loi organique prévoit la reconnaissance de la contribution de ce territoire au développement de la capacité de dissuasion nucléaire française.
Comme le signale le Conseil d’État dans son rapport, cette reconnaissance est un vœu pieux, dépourvu de toute portée normative. Cela est bien évidemment insuffisant.
Après avoir stimulé et accaparé l’économie polynésienne dans les années soixante, la fermeture du Centre d’expérimentation du Pacifique a entraîné une déstabilisation durable du marché de l’emploi local. Sur le plan environnemental, les atolls de la collectivité polynésienne ont été profondément touchés par les pollutions liées aux métaux lourds, aux hydrocarbures et aux radioéléments à longue durée de vie propagés par les essais nucléaires.
Il n’est aucunement proposé dans le projet de loi organique de s’investir davantage pour restaurer les atolls. De même, aucune nouvelle indemnisation n’est prévue pour les victimes ayant été exposées aux rayonnements nucléaires.
Madame la ministre, nous devons être plus ambitieux. Si nous voulons faire de la France la seconde zone économique marine mondiale, la Polynésie française n’est pas dépourvue d’atouts. Pour pallier économiquement et énergétiquement la fin du nucléaire polynésien, n’est-il pas temps d’investir davantage dans les énergies vertes ? Avec leurs nouvelles compétences, les communautés de communes et les syndicats mixtes polynésiens pourront impulser de telles innovations. Le rôle de l’État sera alors d’apporter un concours financier à ces projets.
L’État français a une dette morale et financière envers la Polynésie française. Il est grand temps qu’il se montre à la hauteur des espérances des habitants. Le groupe communiste républicain citoyen et écologiste votera en faveur de ces textes. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Michel Magras.
M. Michel Magras. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, intervenir à la fin de la discussion générale n’est pas évident, car tout ou presque a été dit. Je me limiterai donc à quelques observations générales.
À titre liminaire, je ne peux m’empêcher de souligner que le projet de loi organique et le projet de loi ordinaire que nous examinons sont la traduction du principe de différenciation territoriale, auquel, vous le savez, je suis particulièrement attaché. Ils sont également la preuve de la capacité d’évolution des statuts des collectivités d’outre-mer – je le dis à l’intention de ceux qui en doutent.
Je veux également saluer l’impulsion locale de ces deux textes, issus de travaux et fruits de discussions menés par les élus de Polynésie aussi bien avec l’État qu’avec les instances locales, telles que le Conseil économique, social et culturel, ou encore le syndicat pour la promotion des communes, qui font d’ailleurs l’objet de dispositions. J’en profite pour saluer la présence, dans les tribunes, de nos amis dirigeants, président de l’assemblée et président de la Polynésie française.
Nul doute, dans ce contexte d’élaboration, que les ajustements ainsi proposés visent à répondre à une réalité éprouvée, point de départ d’une différenciation réussie, si je puis dire.
Autre enseignement de ces projets de loi, la souplesse qu’offre le cadre des lois organiques statutaires des collectivités d’outre-mer régies par l’article 74 de la Constitution. Ainsi, loin d’être des carcans, elles sont au contraire un véhicule d’ajustement, d’une part, de la relation entre l’État et la collectivité et, d’autre part, des compétences que celle-ci exerce, permettant une adéquation des outils de la démocratie locale au plus près de la réalité.
Pour résumer, la modification du statut d’autonomie de la Polynésie, avec les dispositions que nous nous apprêtons à examiner, participe de la philosophie du « sur-mesure » qui préside à l’article 74 de la Constitution. Vous me permettrez donc, au moment où nous parlons de manière assez chaotique de réforme constitutionnelle, de dire que je suis extrêmement attaché à cet article, au point de vouloir qu’il soit sanctuarisé.
Après ces considérations d’ordre général, voire militant, j’en viens maintenant aux textes proprement dits.
D’abord, je salue les avancées qu’ils apportent.
Notre collègue, et excellent rapporteur, Mathieu Darnaud l’a fort justement souligné, il s’agit essentiellement d’ajustements techniques, ce qui ne signifie évidemment pas qu’ils soient pour autant mineurs, tant les trois grands objets du projet de loi organique tout comme les mesures d’ajustement du projet de loi ordinaire apportent des précisions qui amélioreront l’articulation des composantes du statut de la Polynésie française. Il ne me semble pas utile de commenter chacun des articles, le rapporteur ayant, comme à son habitude, clairement exposé les enjeux et l’architecture des textes.
Néanmoins, et sans doute à un moment où notre assemblée est si injustement contestée, disons-le franchement, je fais le choix de mettre en évidence les dispositions s’inscrivant dans la continuité des apports du Sénat au cadre statutaire de la Polynésie française.
Ainsi, c’est sur l’initiative de notre ancien collègue Christian Cointat, éminent connaisseur des collectivités territoriales, que le Sénat avait ouvert la voie à la possibilité, pour la Polynésie, d’instituer des autorités administratives indépendantes. De fait, dotée du plus large statut d’autonomie au sein de la République, il est tout à fait salutaire qu’elle puisse se munir d’instruments de régulation de son action locale tant le champ de celle-ci est vaste, en raison de la compétence de principe sur son territoire.
Après l’expérience réussie des autorités administratives indépendantes pour la régulation dans le secteur économique, l’élargissement aux autres domaines relevant de la compétence de la collectivité se place dans une sorte de continuité naturelle dont on ne peut que se féliciter, cela va sans dire.
Il en va de même pour les dispositions en matière de règlement des indivisions concernant le nœud gordien foncier qui s’inspirent des travaux de la délégation sénatoriale aux outre-mer.
Je m’en réjouis et salue de nouveau avec plaisir la richesse des travaux des rapporteurs, dont nos collègues Thani Mohammed Soilihi, rapporteur coordinateur, et Mathieu Darnaud, rapporteur.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Eh oui !
M. Michel Magras. Ces dispositions foncières, introduites conjointement par nos collègues Lana Tetuanui et Thani Mohamed Soilihi, montrent que chaque collectivité peut s’en emparer pour y puiser des solutions en les adaptant.
Ces propos devraient rassurer ceux qui doutent de l’importance de la délégation précitée.
Cela étant, avec l’instauration de la circonscription unique, le Sénat a largement contribué à la stabilité institutionnelle de la collectivité, ce qui explique l’absence de dispositions autres qu’un ajustement précisément de nature à renforcer cette stabilité. Une scorie portant sur les règles de remplacement de sièges qui aurait pu entraver le fonctionnement normal de l’assemblée de la Polynésie française pourra donc être corrigée.
Enfin, j’évoquerai les mesures encourageant la coopération internationale. Dans bien des domaines, cette dernière peut faciliter la mise en œuvre de programmes mutualisés et le dialogue avec des interlocuteurs, souvent indépendants, ayant des intérêts communs avec la Polynésie.
De surcroît, dans le respect de la souveraineté de l’État, cet élargissement du champ d’intervention à l’international me semble en cohérence avec la large autonomie dont bénéficie la Polynésie.
Madame la ministre, mes chers collègues, je m’en tiendrai à ces quelques mots pour vous dire combien ces textes me semblent aller dans le bon sens. J’entends bien que, pour certains, ils ne vont pas suffisamment loin : mais c’est une étape qu’il est bon de franchir ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à M. François Bonhomme. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. François Bonhomme. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour discuter de deux projets de loi complémentaires, l’un organique, l’autre ordinaire, portant sur le statut, les institutions, le droit et les pratiques administratives de la Polynésie française.
Ces projets de loi ont été déposés au mois de décembre dernier après un important travail de concertation et de préparation. Ce dernier s’appuyait à la fois sur la consultation des élus polynésiens, notamment ceux de l’assemblée de Polynésie, sur l’expertise des services du ministère des outre-mer, naturellement, et sur les résultats des travaux des assemblées. À cet égard, je tiens à mentionner tout particulièrement le rapport remis en décembre 2017 par nos collègues Catherine Troendlé et Mathieu Darnaud – une fois de plus – et intitulé La Polynésie française : allier autonomie dans la République et subsidiarité dans la collectivité.
Cet intitulé résumait bien les enjeux dont nous traitons aujourd’hui : en effet, la situation de la Polynésie française est éminemment singulière et reflète les héritages tant historiques, géographiques que culturels qui lui sont propres. Ce territoire est un magnifique condensé de France, éparpillé sous forme d’une myriade d’îles dans le Pacifique Sud, le tout sur une surface équivalente à une bonne partie de l’Europe.
Dès lors, afin de prendre en compte ces particularités, la Constitution et la loi attribuent à la collectivité polynésienne un large niveau d’autonomie.
Il est forcément compliqué d’édifier le cadre juridique d’une organisation efficace et respectueuse de l’autonomie d’un territoire ultramarin comme la Polynésie française. La loi organique du 27 février 2004 portant statut d’autonomie de la Polynésie française a constitué un grand pas en avant, mais elle n’est pas pour autant parfaite : l’instabilité politique et les difficultés administratives ont vite rendu des ajustements nécessaires.
En outre, même si la question de l’instabilité politique semble résolue depuis 2007, le Parlement demeure attentif à la situation de la Polynésie française. Il convient de parfaire le statut et le fonctionnement du territoire, sans toutefois les bouleverser.
C’est dans cette démarche que s’est inscrit l’examen par le Sénat de ces deux projets de loi.
Tout d’abord, sur le plan institutionnel, le projet de loi organique procède à divers ajustements, qu’il s’agisse des règles de fonctionnement de l’assemblée de Polynésie ou des dispositions relatives aux délégations de signature des plus hautes autorités du pays. Ce texte organique élargit également les compétences de la collectivité, par exemple en lui permettant de participer, comme membre associé ou observateur, à des organisations internationales situées en dehors de la région Pacifique, ou encore en explicitant la compétence territoriale de fixation des règles d’exploitation des terres rares. Ces dernières constituent un enjeu économique majeur, que nous ne pouvions laisser dans l’incertitude juridique.
Ce texte procède également à des simplifications et ajustements de la norme applicable à la Polynésie française, pour ce qui concerne, par exemple, le droit de la fonction publique, ou encore l’établissement et le fonctionnement des sociétés publiques locales et des syndicats mixtes.
Enfin, l’article 1er du texte organique a pour objet les essais nucléaires.
Les près de deux cents essais nucléaires menés à Mururoa et Fangataufa ont contribué à la construction de la dissuasion nucléaire française. Disons-le : ils ont également laissé des traces sur ce territoire et ses habitants. La France l’a enfin reconnu en 2010, à travers la loi Morin, et a prévu l’indemnisation des victimes de ces essais.
À cet égard, nul doute n’est possible : il est essentiel de reconnaître le fait nucléaire en Polynésie. C’est l’obligation morale de l’État, et c’est l’honneur de la France !
Je relève toutefois que ces dispositions ne se rattachent normalement pas aux règles qui, selon l’article 74 de la Constitution, peuvent être fixées par la loi organique, comme le Conseil d’État l’a d’ailleurs souligné dans son avis. La volonté d’affirmer la spécificité du fait nucléaire en Polynésie française dans la loi organique régissant ce territoire est donc compréhensible, mais juridiquement peu satisfaisante.
Le projet de loi ordinaire a, quant à lui, été considérablement amendé en commission. Ses dispositions initiales visaient à simplifier la situation des communes et intercommunalités polynésiennes, qui souffrent parfois du fonctionnement complexe du droit des collectivités territoriales en Polynésie, alors même que l’insularité et les distances leur imposent des contraintes fortes.
Le travail accompli par notre commission a enrichi le projet de loi initial d’autres dispositions : sur l’initiative de notre collègue Lana Tetuanui, notamment, certaines d’entre elles sont issues des travaux accomplis par le Sénat au printemps de 2018, au titre de la proposition de loi visant à faciliter la sortie de l’indivision successorale en outre-mer. Ces éléments viendront utilement répondre aux formes proprement polynésiennes que prennent les problématiques successorales, foncières et locatives.
Il s’agit donc de deux textes importants pour l’avenir de la Polynésie française. Ils n’ont pas vocation à bouleverser l’organisation de ce territoire, mais bien au contraire à l’affiner, à l’améliorer, ce que seul le législateur peut faire. Ils comprennent également diverses dispositions répondant aux besoins qu’expriment, sur le terrain, les élus et les agents publics, au service des habitants.
Enfin, ces projets de loi ont été améliorés par le Sénat : toutes les raisons sont donc réunies pour que mes collègues du groupe Les Républicains et moi-même les votions ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe La République En Marche.)
M. le président. La discussion générale commune est close.
Nous passons à l’examen, dans le texte de la commission, du projet de loi organique portant modification du statut d’autonomie de la Polynésie française.
projet de loi organique portant modification du statut d’autonomie de la polynésie française
Article 1er
Le titre Ier de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d’autonomie de la Polynésie française est ainsi modifié :
1° Au début, est ajoutée une section 1 intitulée : « Dispositions générales » qui comprend les articles 1er à 6 ;
2° Après la section 1, telle qu’elle résulte du 1°, est insérée une section 2 ainsi rédigée :
« Section 2
« De la reconnaissance de la Nation
« Art. 6-1. – La République reconnaît la contribution de la Polynésie française à la construction de la capacité de dissuasion nucléaire et à la défense de la Nation.
« Les conditions d’indemnisation des personnes souffrant de maladies radio-induites résultant d’une exposition aux rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français sont fixées conformément à la loi.
« L’État assure l’entretien et la surveillance des sites concernés des atolls de Mururoa et Fangataufa.
« L’État accompagne la reconversion de l’économie polynésienne consécutivement à la cessation des essais nucléaires.
« Art. 6-2. – L’État informe chaque année l’assemblée de la Polynésie française des actions mises en œuvre au titre de la présente section. »
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, sur l’article.
Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, cet article reconnaît la contribution de la Polynésie au développement de la capacité de dissuasion nucléaire française : nous ne pouvons que nous féliciter d’une telle mesure. Néanmoins, sa dimension purement déclarative et dépourvue de tout aspect coercitif nous laisse quelque peu pensifs. En effet, il n’est pas prévu de permettre une meilleure indemnisation des Polynésiens qui ont pu être affectés par les radiations des essais nucléaires effectués entre 1966 et 1996.
Il semble pourtant évident que le droit en vigueur n’est pas assez protecteur : si les populations habitant à proximité des atolls de Mururoa et Fangataufa bénéficient d’un suivi médical gratuit depuis 2007, les réglementations en matière d’indemnisation ne sont pas optimales.
Une loi de 2010 a permis d’ouvrir un droit à l’indemnité pour les victimes polynésiennes. Cet accès a été assoupli par la loi du 28 février 2017 de programmation relative à l’égalité réelle outre-mer, mais force est de constater que ces mesures ne sont pas suffisantes : en atteste notamment le fait que, entre 2010 et 2017, seules 42 indemnisations ont été accordées pour 1 245 dossiers déposés.
Nous demandons, ainsi, la levée totale des obstacles majeurs aux demandes d’indemnisation. Une commission extraparlementaire issue de la loi de 2017 devrait prochainement remettre un rapport à l’exécutif sur ce sujet. Nous espérons que ses conclusions iront dans ce sens.
M. le président. La parole est à M. Antoine Karam, sur l’article.
M. Antoine Karam. Avant que nous n’entrions plus avant dans l’examen de ce texte, je tiens, avec Georges Patient, à exprimer mon soutien total à mes collègues polynésiens.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Très bien !
M. Antoine Karam. Pour certains, ce projet de loi organique se réduit à des modifications mineures ; mais il porte en lui la volonté des Polynésiens et, à mon sens, il envoie un signal extrêmement positif aux territoires ultramarins désireux d’évoluer vers une autonomie accrue.
Outre-mer, le débat statutaire a toujours opposé les rêves des uns aux peurs des autres, souvent au profit d’un statu quo qui, en vérité, ne satisfait personne. Or ce texte nous démontre que la place de nos territoires au sein de la République n’a rien de figé ; que le droit à la différenciation, que nous défendons depuis tant d’années, et que l’autonomie à laquelle nous aspirons ne sont pas des fins en soi.
L’évolution statutaire est un processus, un chemin vers plus d’efficacité. Au terme d’un important travail entre Paris et Papeete, ce texte nous propose précisément, avec quelques clarifications, de rendre plus efficient et plus cohérent le statut de la Polynésie.
Le Guyanais que je suis voit là un encouragement de plus à soutenir mon territoire dans son processus statutaire, non pas en quête d’un Graal symbolique, mais dans la recherche permanente de cohérence et d’efficacité, vers un statut adapté à sa situation géographique, en Amérique du Sud.
Enfin, m’exprimant sur cet article 1er, je ne saurais terminer mon propos sans aborder le fait nucléaire. Étant donné les incidences majeures des essais nucléaires sur nos concitoyens polynésiens, il y a lieu d’inscrire la reconnaissance par la Nation du fait nucléaire dans le statut de la collectivité. D’ailleurs, chère Lana Tetuanui, personne ici n’oublie votre combat, qui est aussi le nôtre, en faveur de l’indemnisation des victimes.
Chers collègues sénateurs de la Polynésie, je tenais à vous apporter, comme à la délégation polynésienne ici présente, mon soutien plein et entier. Mon collègue Georges Patient et moi-même voterons tous les amendements que vous avez présentés ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain, du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, sur l’article.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en février 2016, lors de sa venue en Polynésie, le président François Hollande a déclaré : « Sans la Polynésie française, la France ne serait pas dotée de l’arme nucléaire, et donc de la force de dissuasion. La France serait toujours une nation respectée dans le monde, serait toujours membre du Conseil permanent de sécurité, mais n’aurait pas, par cette force de la dissuasion, la capacité d’être une nation pleinement indépendante, capable de se faire entendre partout, de pouvoir sanctuariser son territoire et de pouvoir aussi, grâce à la force de dissuasion, contribuer à la paix. »
Cette déclaration importante montre quelle est notre dette à l’égard de la Polynésie.
Lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2019, le Sénat a adopté un amendement du Gouvernement, par lequel 2,5 millions d’euros de crédits supplémentaires vont être déployés pour allonger « les délais de recours des ayants droit auprès du comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires » et « faciliter le réexamen d’une demande rejetée ». Madame la ministre, ce sont les paroles de votre collègue M. Marc Fesneau.
Pouvez-vous nous apporter davantage de précisions pour ce qui concerne l’examen et le traitement des dossiers ? Nous espérons que ces 2,5 millions d’euros permettront une juste indemnisation dans les années qui viennent. Or, à ce titre, la loi Morin s’est révélée très décevante : entre 2010 et 2017, le niveau des réparations est resté très faible. Je vous remercie par avance de votre réponse !
M. le président. La parole est à M. Robert Laufoaulu, sur l’article.
M. Robert Laufoaulu. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, « à partir de 1960, comme l’avait voulu le général de Gaulle, et jusqu’en 1996, le Centre d’expérimentation du Pacifique a permis à notre pays de préserver sa souveraineté et son indépendance dans un monde de plus en plus dangereux. Sans la Polynésie, la France ne serait pas la grande puissance qu’elle est aujourd’hui, capable d’exprimer, dans le concert des nations, une position autonome, indépendante et respectée. » Ces paroles ont été prononcées par le président Jacques Chirac, à Papeete, le 26 juillet 2003, lors du premier sommet France-Océanie.
À l’époque de la recherche de sites nucléaires, les dirigeants français ont fait le choix de la Polynésie française après avoir étudié d’autres possibilités moins intéressantes en termes d’espace et de densité de population.
Rétrospectivement, la désignation de la « victime » a sans doute entraîné des soupirs de soulagement chez les autres candidats désignés. Ces derniers, parce qu’ils étaient directement concernés, nous tous, en tant que citoyens français, et la France, comme l’a reconnu le président Chirac, avons pour la Polynésie française une reconnaissance, que traduit à son tour l’inscription du fait nucléaire dans le présent texte.
Chez nous, quand on rencontre une personne avec une fleur de tiaré à l’oreille, on se dit instinctivement : « C’est un Tahitien, un Polynésien. » Inscrire le fait nucléaire à l’article 1er du projet de loi organique, c’est orner l’oreille de Marianne de la fleur de tiaré ; mais quelle oreille, la gauche ou la droite ? C’est à voir ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, ainsi que sur des travées du groupe La République En Marche, du groupe Union Centriste et du groupe socialiste et républicain. – M. Michel Magras applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Annick Girardin, ministre. J’ai été, à deux reprises, interrogée sur l’indemnisation des victimes, et notamment sur le système en vigueur.
Madame Benbassa, pour la clarté de nos débats – je pense non seulement aux personnes présentes dans cet hémicycle, mais aussi, et surtout, à tous ceux qui nous écoutent ! –, je rappelle que ce système a été entièrement rénové. Les quelques exemples que vous avez cités sont antérieurs au rapport déposé par Mme Tetuanui, dont les conclusions ont trouvé, pour la plupart, une traduction en loi de finances.
Monsieur Sueur, j’ai indiqué que, en 2018, soixante-quinze personnes avaient été indemnisées. Vous me demandez si l’on va passer à la vitesse supérieure : oui, bien sûr ! Tout d’abord – vous le soulignez vous-même –, nous avons augmenté le budget en question : c’est bien la preuve que nous prévoyons, pour l’avenir, un nombre de cas traités beaucoup plus élevé. Agnès Buzyn l’a également signalé, en présidant, lundi dernier, le comité de suivi.
J’en suis persuadée, le traitement de ces dossiers va atteindre le niveau de rapidité que tout le monde espère, notamment en Polynésie française ; et j’y veillerai personnellement !