M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Le texte que vous nous présentez, madame la ministre, a pour objet de traduire dans les faits l’accord pour le développement de la Polynésie française, qui a été signé le 17 mars 2017 par François Hollande, alors Président de la République, et Édouard Fritch, président de la Polynésie française.
François Hollande avait alors déclaré : « C’est un accord d’abord politique, qui met la Polynésie pleinement dans la République. Cette place ne doit jamais être remise en cause. »
Madame la ministre, vous qui êtes un symbole de la continuité, je pense que vous êtes satisfaite de voir que le président Emmanuel Macron a pris l’engagement de respecter scrupuleusement cet accord, vous confiant le soin, avec M. le Premier ministre, de porter ces projets de loi.
Tout cela s’est donc passé dans de bonnes conditions, ce dont nous nous réjouissons. Aussi, le groupe socialiste et républicain apportera son soutien à ces textes.
Cet accord est important pour la Polynésie française, non seulement pour des questions institutionnelles et en raison des révisions qui s’y attachent, mais aussi pour des raisons de fond qui tiennent au nécessaire développement économique de ce territoire.
La Polynésie dispose de nombreux atouts. Je pense en particulier aux ressources minérales marines profondes, qu’il faut exploiter naturellement dans le respect de l’environnement – chacun en conviendra –, mais aussi avec le souci de faire vivre dans de meilleures conditions l’ensemble des Polynésiens grâce à un développement économique maîtrisé.
Se pose la question de la continuité territoriale. Chère madame Tetuanui, la Polynésie, dont vous êtes la sénatrice, est certes la France, mais elle est tout de même située à une certaine distance de la métropole ! Il faut tirer les conséquences de cette réalité que vous et vos compatriotes vivez.
Se posent aussi la question si importante du désenclavement à la fois aérien et numérique, celle du développement touristique, un tourisme, selon l’idée qu’on s’en fait, qui permette de faire connaître en profondeur la richesse de la Polynésie et tout ce qu’elle peut apporter sur le plan de l’humanisme, de la philosophie, de la rencontre entre les êtres humains et les cultures.
Se pose enfin la question de la place de la Polynésie au regard des autres entités du Pacifique avec lesquelles elle est amenée à être en lien, bien entendu dans le cadre de la République.
Ma chère collègue, je me souviens que vous aviez déposé voilà quelques mois une proposition de loi visant à prendre considération la situation de certains maires de la Polynésie, qui doivent parfois parcourir plusieurs centaines de kilomètres, voire plusieurs milliers de kilomètres, pour aller d’un bout à l’autre de leur commune, répartie sur plusieurs îles. Ce sont là des conditions particulières.
Les présents textes n’appellent pas d’autres remarques de ma part. Il n’en reste pas moins que je souhaite revenir sur ce que j’appellerai « la dette nucléaire ». En effet, et vous l’avez dit, madame la ministre, la loi Morin de 2010 a été considérée comme un progrès. Ayant moi-même participé à des réunions organisées par les associations de victimes, je dois bien dire que celles-ci ont connu quelques déconvenues. Certes, vingt et une maladies induites ont été définies, mais si l’on s’en tient à la proportion de dossiers, qui, sur les 1245 qui ont été déposés entre 2010 et 2017, a abouti à un dédommagement financier, on en arrive à 11 %. Vous ne me démentirez pas, madame la ministre. Et encore, je ne suis pas sûr que ce pourcentage ne soit pas un peu surestimé !
Vous nous avez annoncé à l’instant que, en 2018, soixante-quinze dossiers avaient été pris en compte. Il faudra que ce rythme s’accélère. Comme cela avait été convenu avec le président Hollande et comme cela a été confirmé par le président Macron, la dette nucléaire doit devenir en quelque sorte une dotation globale d’autonomie, facteur important pour le développement du territoire, mais aussi pour dédommager tous les habitants qui doivent l’être.
Nous appelons de nos vœux une traduction très concrète dans les faits, parce que c’est un point très important pour la Polynésie. Je sais que vous serez vigilante à cet égard, madame la ministre.
La question des autorités administratives indépendantes a beaucoup retenu l’attention du Sénat. Je vais vous parler franchement. Le projet de loi organique reprend les dispositions excellentes issues du travail considérable réalisé en commun par René Dosière et Catherine Tasca au sujet de la Nouvelle-Calédonie. Mon groupe a pensé que c’était sans doute la voie de la sagesse : quand vous présentez un projet de loi, vous vous efforcez, madame la ministre, je le sais bien, de l’écrire avec sagesse. Certes, il existe des conditions particulières, que nos amis polynésiens connaissent. Mais faisons quand même attention à conserver la rigueur nécessaire, quelles que soient ces conditions particulières. C’est pourquoi nous avons déposé un amendement tendant à revenir au texte du Gouvernement. Et je ne doute pas, madame la ministre, que cet amendement suscitera votre intérêt.
Par ailleurs, nous sommes sensibles à la question des sociétés publiques locales. Il nous a été exposé – nous sommes là pour écouter nos compatriotes de Polynésie – qu’il était nécessaire que ces sociétés publiques locales n’aient qu’un seul actionnaire, de manière à offrir utilement de la souplesse dans la gestion. Simplement, très soucieux de rigueur, nous sommes très attachés en particulier à ce que ces sociétés ne puissent œuvrer que dans le domaine public, puisqu’elles n’auraient qu’un seul actionnaire, à savoir la Polynésie française.
Enfin, nous serons également attentifs aux règles concernant les agents publics, de telle manière que le principe d’égalité soit strictement respecté.
Nous reviendrons au cours du débat sur ces quelques remarques. Pour l’essentiel, madame la ministre, je vous assure de notre soutien, et nous sommes totalement solidaires de nos compatriotes polynésiens pour que ce nouveau pas en avant soit un pas positif pour le développement de la Polynésie française. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe La République En Marche et du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à M. Guillaume Arnell.
M. Guillaume Arnell. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, je suis à la fois heureux et fier de défendre la position du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen sur ces textes importants pour la Polynésie française. J’espère bien sûr pouvoir, dans un avenir proche, également porter la voix de mon territoire Saint-Martin, lui aussi régi par l’article 74 de la Constitution.
L’année 2019 pourrait être une année déterminante pour les territoires ultramarins : les assises de l’outre-mer qui se sont tenues en 2018 ont permis de rassembler des propositions au sein du Livre bleu définissant la stratégie globale du Gouvernement. Dans le cadre de la révision constitutionnelle, a été évoquée une possible réforme du régime de l’article 73.
Dans le même temps, et c’est l’objet des textes examinés aujourd’hui, les territoires ultramarins régis par l’article 74, dont la Polynésie française, entrent dans une phase de normalisation de leurs rapports avec la métropole.
Cette normalisation est d’abord le fruit du temps : quinze ans se sont écoulés depuis l’adoption du statut de 2004.
Cela a permis à la vie politique polynésienne de s’apaiser, mais également à la République de s’interroger sur les conséquences de l’élaboration de ses outils de dissuasion nucléaire dans la zone Pacifique.
Les déclarations du président François Hollande en 2016 reconnaissant les conséquences sanitaires et environnementales de ces essais, vingt ans après leur abandon par la France, ont marqué l’aboutissement de ce long cheminement réciproque.
Les déclarations de reconnaissance symboliques sont nécessaires. Le poète Édouard Glissant écrivait : « Chacun de nous a besoin de la mémoire de l’autre, parce qu’il n’y va pas d’une vertu de compassion ou de charité, mais d’une lucidité nouvelle dans un processus de la relation. »
M. Jean-Pierre Sueur. Vive Édouard Glissant !
M. Guillaume Arnell. C’est pourquoi, bien que de faible portée normative, l’article 1er du projet de loi organique, très attendu par les Polynésiens, doit être maintenu dans le texte en l’état.
La normalisation que j’évoquais est enfin le produit d’une construction institutionnelle, celle du statut qui unit les Polynésiens à la République depuis 2004. D’abord nécessaire pour contenir la grande instabilité gouvernementale de l’archipel, la rigidité de ce statut apparaît aujourd’hui comme fort contraignante.
Certes, la faculté de voter des lois du pays offre de la liberté. Mais, faute de mention explicite dans le statut, ce système comporte également une certaine insécurité juridique.
Réinventer la relation entre la Polynésie et la métropole, libérer les initiatives polynésiennes, procéder à quelques rééquilibrages institutionnels : tels sont les enjeux de ces projets de loi que nous examinons aujourd’hui.
Comme aux Antilles où, pour d’autres raisons, l’histoire commune partagée avec la métropole est teintée d’amertume, les Français de Polynésie sont déterminés à réinventer cette relation sur de nouvelles bases. Que demandent-ils à Paris ? De réparer les corps affectés par les essais nucléaires et de leur permettre d’organiser les leviers de croissance qui prépareront leur indépendance économique.
De son côté, la métropole a tout intérêt à encourager ce mouvement, pour consolider la présence française dans la région Pacifique. On a vu l’engagement renouvelé des grandes puissances pour les organisations régionales comme l’APEC dans la zone. Faut-il pour autant laisser les territoires ultramarins conduire seuls une politique étrangère avec leurs partenaires environnants ? Quelle serait la marge de manœuvre acceptable ?
Il faudrait également que la politique étrangère française devienne plus proactive dans la défense des intérêts économiques et écologiques de ces Français, les plus exposés aux risques climatiques. L’exploitation des terres rares polynésiennes n’a d’ailleurs pas suscité d’inquiétudes de la part de nos collègues écologistes.
Compte tenu des enjeux politiques, je veux féliciter le rapporteur, Mathieu Darnaud, pour son travail conduit en coordination avec le Gouvernement et vous-même, madame la ministre, et évidemment ma collègue Lana Tetuanui, nos collègues polynésiens, qui, par leurs propositions, apportent des solutions concrètes aux problématiques polynésiennes, en particulier à la question foncière.
La Polynésie n’avait pas bénéficié des clarifications apportées par la loi Letchimy, adoptée l’an dernier.
Nous n’avons évidemment pas l’intention de faire obstacle à ce fort consensus ni à cette formidable opportunité pour les Polynésiens d’améliorer leur statut. Cependant, parce que nous légiférons pour l’avenir, nous nous interrogeons sur la pérennité de certaines dispositions, à la lumière de l’expérience métropolitaine.
C’est le cas pour ce qui concerne le développement des autorités administratives indépendantes ou des sociétés publiques locales unipersonnelles. Nous aurons l’occasion de nous en expliquer.
Nous nous interrogeons également sur le risque d’insécurité juridique qui pourrait, à notre sens, découler des nouvelles modalités d’exercice du contrôle juridictionnel du Conseil d’État sur les lois du pays. Une promulgation tacite ne comporte-t-elle pas un risque trop grand d’insécurité juridique ?
Plus généralement, en dehors de ces périodes de tractations intenses qui entourent la renégociation d’un statut, nous devrions nous réserver un temps pour réfléchir au mouvement global de ces évolutions. Jusqu’où pousser la logique d’adaptation du droit aux spécificités locales sans affaiblir le principe d’égalité entre nos concitoyens, où qu’ils vivent ? (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe La République En Marche, du groupe socialiste et républicain, du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à Mme Lana Tetuanui. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe La République En Marche.)
Mme Lana Tetuanui. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ia ora na !
Notre nouveau calendrier parlementaire a permis une inscription avancée du projet de loi organique portant modification du statut d’autonomie de la Polynésie française et du projet de loi portant diverses dispositions institutionnelles en Polynésie française.
Aussi, mon collègue Nuihau Laurey, l’ensemble de la délégation des autorités polynésiennes présente en tribune officielle – je veux saluer le président de la Polynésie française, le président de l’assemblée de la Polynésie française et les députés qui l’accompagnent – et moi-même tenons à remercier avant tout le président du Sénat, Gérard Larcher, et à saluer le président de mon groupe, Hervé Marseille, ainsi que l’ensemble des présidents de groupe du Sénat de leur écoute attentive lors de nos différentes rencontres.
Mes chers collègues, vous avez pu mesurer toute l’importance que ces nouvelles dispositions législatives revêtent pour le bon fonctionnement de nos institutions en Polynésie française, collectivité d’outre-mer régie par l’article 74 de la Constitution.
Je tiens également à saluer et à remercier tout particulièrement le président et l’ensemble de mes collègues de la commission des lois, ainsi que les administrateurs, et bien sûr notre éminent rapporteur, Mathieu Darnaud, de l’excellence de leurs travaux et de toutes les heures de travail qu’ils ont bien voulu consacrer à l’étude de ces deux projets de loi.
Je salue aussi vos efforts et votre implication personnelle et sans relâche, madame la ministre, pendant tous les échanges que nous avons eus. Je remercie également, à travers vous, la garde des sceaux, Mme Belloubet, les ministres Gérald Darmanin et Sébastien Lecornu.
Bien sûr, je veux faire un focus sur les contributions des collaborateurs de tous les ministères, qui n’ont surtout pas ménagé leurs efforts pour pouvoir aboutir à un texte assez équilibré, mais plus ou moins satisfaisant.
Oui, madame la ministre, nous nous sentons quand même un peu frustrés…
« C’est aller fort de café », me dira-t-on peut-être. Certes !
Je m’attellerai tout d’abord à reconnaître les avancées positives pour notre collectivité, conformément aux vœux de nos élus, toutes institutions confondues : le gouvernement, l’assemblée, le Conseil économique, social et culturel, et bien sûr nos communes. Que chacun d’entre vous en soit remercié. Mais à quel prix ?
Alors, il me semble opportun de profiter de cette tribune – nous faisons tous de la politique et nous aurons des comptes à rendre à tous ceux qui nous ont fait confiance là-bas, au pays – pour dénoncer ici quelques prises de position du gouvernement central que nous n’arrivons toujours pas à comprendre.
On nous a souvent brandi le chiffon noir de l’article 40, voire le contexte national actuel. (Signes de dénégation de Mme la ministre.) Et je sais de quoi je parle !
Permettez-moi de rappeler que notre marche vers l’autonomie est ancienne. Cette volonté de gestion de nos propres affaires se justifie amplement, car décider ce qui serait bon pour la Polynésie française à 16 000 kilomètres, de Paris, n’était pas bien adapté à nos spécificités et réalités géographiques et culturelles.
De 1977, date de notre première autonomie de gestion, à nos jours, ce sont quarante-deux ans d’expérience et de prise de responsabilité pour l’une des collectivités les plus paisibles – pour ne pas dire pacifiques – de la République. Et l’autonomie y contribue d’une manière déterminante, car nous nous gouvernons librement et démocratiquement. Nous assumons nos propres réussites, mais aussi nos propres échecs. Nous ne mettons jamais nos déboires sur le dos de l’État.
Cette loi statutaire est un bel outil au service du développement de notre pays. Il était important, près de quinze années après le vote du statut de 2004, de toiletter ce texte et de l’améliorer, car nous étions confrontés à de nombreuses difficultés d’application et contraintes de gestion.
Nous sollicitons non pas de nouvelles compétences, mais des clarifications, des adaptations à nos spécificités géographiques, un réajustement dans le partage de nos compétences avec les communes, une stabilité et un meilleur fonctionnement de nos institutions, un dispositif spécifique à notre collectivité pour enfin favoriser la sortie de l’indivision, indivision qui touche tant de familles polynésiennes, un dispositif qui contribuera, à terme, à un développement durable de notre collectivité.
Cependant, nous tenons tout particulièrement à l’inscription, dans notre loi statutaire, de notre contribution à la puissance nucléaire de la France – ne vous en déplaise, madame la ministre, je vous ai écoutée religieusement lors de votre intervention –, et à l’instauration de garanties financières qui ne peut, hélas, être inscrite dans un projet de loi organique. Il ne s’agit pas de créer une nouvelle charge pour vous, mais de conforter la volonté de nos élus d’inscrire dans le marbre le respect des engagements financiers de l’État. Nous souhaitons sanctuariser et globaliser la dette nucléaire de l’État, et ce au titre d’une véritable autonomie de gestion de cette dotation.
Nous sollicitons en conséquence, madame la ministre, des garanties de la part du Gouvernement au titre du prochain projet de loi de finances pour 2020, afin de singulariser et consolider cette dette.
La dotation liée au fait nucléaire dans son ensemble doit être pérenne. Elle correspond à un engagement pris par le Président de la République Jacques Chirac – on l’appelait alors la dotation globale de développement économique, la DGDE –, pour environ 150 millions d’euros, soit 18 milliards de francs Pacifique. Elle doit être respectée.
Aujourd’hui, le mouvement politique conduit par notre président Édouard Fritch et auquel nous sommes fiers d’appartenir est désormais le seul mouvement autonomiste polynésien, loyal et respectueux de notre attachement à la République française. Aussi, le respect des engagements de l’État est un acte de confiance envers ceux qui, comme nous, défendent la République française, même à la tribune de l’ONU.
L’accord de l’Élysée pour le développement de la Polynésie française signé le 17 mars 2017 a permis de renouveler un véritable pacte républicain entre l’État et la Polynésie française, et nous sommes restés malgré tout, et aujourd’hui encore, toujours très confiants. D’ailleurs, lors de nos diverses rencontres, il est un mot que vous avez toujours prononcé : « confiance ».
Madame la ministre, croyez en notre capacité à nous développer en toute responsabilité, avec toutes les compétences acquises, au fil de notre histoire, avec ce modèle de statut d’autonomie.
En tout état de cause, je puis vous réaffirmer que cette modification statutaire doit maintenir les bonnes relations entre la Polynésie française et la République.
Chers collègues, avant de conclure, je vous remercie de votre écoute. Je sais pouvoir compter sur vos soutiens respectifs lors du vote solennel pour l’adoption du projet de loi organique et du projet de loi ordinaire relatifs à la Polynésie française. Mauruuru ! (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Robert Laufoaulu.
M. Robert Laufoaulu. Ia ora na à l’ensemble de la délégation de Tahiti et de Polynésie !
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je vous fais part, au nom du groupe Les Indépendants – République et Territoires, de nos réflexions sur les deux textes que nous examinons cet après-midi, relatifs au statut d’autonomie de la Polynésie française.
Ainsi qu’il a été rappelé, les dispositions que nous étudions sont, dans une certaine mesure, techniques, mais l’une d’entre elles est très symbolique.
Je ne reviendrai pas dans le détail sur les modernisations et adaptations proposées par ces textes. Nous tenons à saluer à cet égard le travail accompli par le rapporteur, notre collègue Mathieu Darnaud. Son rapport fait ressortir avec justesse la nécessité d’adopter ces deux projets de loi.
Nous souhaitons également remercier notre collègue Lana Tetuanui de ses apports importants aux textes, ainsi que de son éclairage. Nos remerciements vont aussi à la délégation polynésienne, qui est venue échanger avec nous il y a peu.
Le statut polynésien a besoin d’être modernisé, afin que soient mieux prises en compte les particularités de ce territoire. À ce titre, il nous semble que l’évolution, contenue dans ce projet de loi organique et ce projet de loi ordinaire, vers plus de compétences données aux communes, est une bonne chose, et pourrait – pourquoi pas, chers collègues ? – inspirer une nécessaire relance de la décentralisation en métropole et, je l’espère, l’évolution du statut que j’appelle de mes vœux à Wallis-et-Futuna. Donner plus de compétences aux communes est d’autant plus judicieux lorsqu’il est question de la Polynésie française, composée d’archipels répartis sur un espace aussi grand que le continent européen.
Il est ainsi indispensable de développer la coopération entre le gouvernement du pays et les communes, mais aussi entre les communes elles-mêmes, en favorisant l’intercommunalité. Nous pensons également que des adaptations devraient être apportées pour permettre un fonctionnement plus pragmatique des différents outils que sont les autorités administratives indépendantes, les syndicats mixtes ouverts et les sociétés publiques.
Dans ce même souci de pragmatisme, et afin de répondre au mieux à la situation de ce territoire, les dispositions touchant au fonctionnement de l’assemblée de la Polynésie française, renforçant sa stabilité et son efficacité, sont des mesures de bon sens qu’il nous faut adopter.
Le projet de loi organique tel qu’il a été amendé a su prendre en compte les spécificités polynésiennes, notamment la complexité de la question foncière de ces archipels.
Ces textes contiennent donc des avancées certaines. Pour autant, nous pensons que les mesures proposées ne vont pas assez loin dans la reconnaissance de la dette de la France à l’égard de la Polynésie française.
L’article 1er du projet de loi organique reconnaît en effet la contribution de la Polynésie à la construction de la capacité de dissuasion nucléaire de la Nation. Mais affirmer cela, c’est bien peu dire. De l’avis même du Conseil d’État, les dispositions de l’article 1er sont largement dépourvues de valeur normative. Nous comprenons cependant la nécessité d’une telle inscription.
Plus de 90 % des essais nucléaires français ont été réalisés à Mururoa et à Fangataufa. Au total, c’est environ 700 fois la puissance de la bombe d’Hiroshima qui a été libérée dans le ciel et dans le sol de Polynésie durant une trentaine d’années. Malgré cela, nous avons assisté ces dernières années à des mesures de tâtonnement qui ne sont pas à la hauteur des enjeux ni de l’histoire. Il ne faut pas minimiser les conséquences de ces essais à la fois sur la population, mais aussi sur l’environnement. Il faut une juste reconnaissance, un juste accompagnement et une juste indemnisation.
Cela dit, il faut regarder ensemble vers l’avenir et mettre notre cœur à l’ouvrage pour développer la Polynésie française et la rendre durablement prospère.
Nous réaffirmons notre conviction : la Polynésie française a toute sa place au sein de la République et doit bénéficier d’une politique différenciée. Cette remarque vaut pour tous les outre-mer, qui recouvrent une grande diversité de situations. Sénateur des îles Wallis et Futuna je serai particulièrement attentif aux mesures foncières qui pourraient nous être proposées par le Gouvernement. Cette question est très délicate, et rien ne devra être décidé sans concertation avec les autorités de Wallis-et-Futuna.
Les outre-mer ne sont pas une charge comme on l’entend dire parfois ; ils sont au contraire une chance extraordinaire pour la France.
La France est présente dans tous les océans du monde grâce à ses outre-mer, et elle bénéficie de la deuxième zone économique exclusive : plus de 10 millions de kilomètres carrés qui pourraient et devraient être mieux mis à profit. Les outre-mer sont une vraie richesse pour la France ; ils sont des atouts économiques, naturels, géographiques, culturels et stratégiques. Quelle autre nation peut en dire autant ?
La Polynésie française, comme d’ailleurs la Nouvelle-Calédonie et Wallis-et-Futuna, incarne la République française à plus de 20 000 kilomètres de Paris. Nous considérons que l’on pourrait faire bien plus pour dynamiser ce pays d’outre-mer et utiliser ses forces. En effet, le taux de chômage y atteint 24 % et le quart de la population au moins vit sous le seuil de pauvreté. Il faut que les choses changent ! Les sacrifices que la Polynésie française a consentis pour la mère patrie ne justifient-ils pas, a fortiori, que l’État l’aide à sortir du marasme ?
Madame la ministre, mon groupe votera en faveur de ces projets de loi et restera vigilant quant à l’action de l’État dans ce territoire. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe La République En Marche, du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.
M. Thani Mohamed Soilihi. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le projet de loi organique portant modification du statut d’autonomie de la Polynésie française et le projet de loi ordinaire portant diverses dispositions institutionnelles dans ce territoire examinés aujourd’hui dans le cadre d’une discussion commune par notre assemblée, sont issus d’une importante concertation avec les élus de cette collectivité.
Le Gouvernement a soumis l’intégralité du projet de loi organique à la consultation de l’assemblée de la Polynésie française. De nombreuses rencontres ont également eu lieu avec le président de la Polynésie française. À mon tour, je salue la présence du président Édouard Fritch, dont la venue au pouvoir coïncide avec le regain de stabilité en Polynésie française – ce constat émane d’un autre territoire d’outre-mer –, et du président de l’assemblée, Gaston Tong Sang.
Ces échanges, qui ont préfiguré la rédaction de ces deux textes, ont été constructifs, car fondés sur l’écoute, le respect mutuel et la bonne compréhension des enjeux de l’archipel. Par la suite, vous avez également, monsieur le rapporteur, cher Mathieu Darnaud, travaillé sur ces textes en parfaite intelligence avec les représentants du territoire polynésien et avec le Gouvernement.
Au risque de radoter, je veux souligner de nouveau l’exceptionnelle richesse des modèles institutionnels de nos territoires d’outre-mer et particulièrement celui de cet ancien territoire d’outre-mer, dont plusieurs lois ont consacré une autonomie grandissante.
La loi organique du 27 février 2004 portant statut d’autonomie de la Polynésie française l’a érigée en collectivité d’outre-mer disposant de l’autonomie, régie par l’article 74 de la Constitution. Ce statut a par la suite été révisé en 2007 et en 2011, afin de mettre un terme à l’instabilité politique des institutions.
La présente réforme statutaire, entreprise par le projet de loi organique, ne constitue pas une nouvelle révision du statut. Elle comporte une mise à jour de la loi organique de 2004, conformément à ce qui avait été convenu dans le cadre de l’accord pour le développement de la Polynésie française du 17 mars 2017, dit « accord de l’Élysée ».
Répondant tout d’abord à une revendication ancienne et légitime des Polynésiens, le projet de loi organique prévoit notamment la reconnaissance, par l’État, de la contribution de la Polynésie au développement de notre capacité de dissuasion nucléaire.
Elle rappelle, d’une part, la nécessaire indemnisation des conséquences sanitaires, et, d’autre part, l’indispensable accompagnement de la reconversion de l’économie polynésienne à la suite de la cessation des essais nucléaires en 1996.
Mais ce projet de loi vient également corriger des dispositions du statut qui, dans la pratique, posaient de réelles difficultés dans le fonctionnement des institutions polynésiennes. Je pense en particulier aux types de conventions soumises à l’assemblée et aux délégations de signature. L’objectif visé est, là aussi, de garantir la stabilité des institutions.
Dans son volet organique toujours, le texte clarifie le partage des compétences entre l’État et le pays, en lui conférant la possibilité de créer des sociétés publiques locales, de participer à des syndicats mixtes ouverts et de constituer une autorité administrative indépendante de régulation, dans un champ relevant de ses compétences.
La Polynésie française pourra également adhérer à un plus grand nombre d’organisations internationales.
Afin de favoriser la création de communautés de communes et de syndicats mixtes en Polynésie française, le projet de loi ordinaire modifie, de son côté, des dispositions du code général des collectivités territoriales.
Les ajouts auxquels la commission des lois a procédé sur votre proposition, monsieur le rapporteur, vont dans le bon sens. Je pense notamment aux dispositions relatives au développement de l’intercommunalité.
Mon groupe a également déposé des amendements, identiques à ceux de nos collègues polynésiens, Mme Lana Tetuanui et M. Nuihau Laurey, sur le projet de loi ordinaire, qui ont été accueillis favorablement et qui, à notre sens, contribuent à enrichir le texte.
Issus du rapport d’information du 23 juin 2016, fait au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer, sur la sécurisation des droits fonciers dans les outre-mer, dont nous étions, M. Laufoaulu, M. le rapporteur et moi-même, les coauteurs, ces amendements ont pour objet de faciliter la sortie de l’indivision, qui stérilise une grande partie du foncier disponible en Polynésie où celui-ci est déjà rare. Nous avions, en accord avec les parlementaires polynésiens, fait le choix de les retirer de la proposition de loi visant à faciliter la sortie de l’indivision successorale et à relancer la politique du logement en outre-mer, sur laquelle j’étais rapporteur, afin de les renvoyer aux présents textes.
S’ils sont adoptés, ces amendements permettront donc d’attribuer préférentiellement le bien d’habitation à un héritier qui l’a occupé de façon continue, paisible et publique pendant dix années, sans exiger que l’habitation ait été effective au jour du décès.
Ils permettront également d’instaurer un droit de retour légal des frères et sœurs pour les biens en indivision reçus de leurs ascendants.
Ils permettront aussi de consacrer la possibilité de procéder à un partage du bien par souche, quand le partage par tête est impossible.
Ils permettront, par ailleurs, d’adapter le dispositif issu de la loi du 27 décembre 2018 visant à établir un partage amiable des successions à une majorité de plus de la moitié des indivisaires.
Ils permettront enfin d’exclure, pour l’héritier omis, l’annulation du partage, afin d’éviter une remise en cause trop importante des partages jugés, d’autant que ces derniers interviennent souvent au terme de procédures très longues et très coûteuses.
En conclusion, les membres du groupe La République En Marche estiment que ces textes sont porteurs de véritables avancées pour la Polynésie française. Ils marquent votre attachement, madame la ministre, et celui du Gouvernement à ce territoire et à son statut d’autonomie dans la République. C’est la raison pour laquelle nous voterons en faveur de ces deux projets de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe socialiste et républicain et sur des travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe Union Centriste.)