M. Roger Karoutchi. Oh ! Il ne faut pas exagérer !
M. Olivier Jacquin. C’est en pleine contradiction avec les propos que vous avez tenus sur France Inter le dimanche suivant votre retour de Davos – je pense même que vous aviez endossé un gilet jaune –, quand vous avez déclaré que le capitalisme « doit mettre fin aux inégalités criantes qui tuent la cohésion de la société », ajoutant que « le capitalisme des inégalités est mort, il ne nous mènera à rien, il est injuste ».
Là, privatiser un monopole, c’est aberrant, c’est créer une inégalité et c’est produire ce capitalisme des inégalités de demain, celui que vous contestez et auquel, comme vous, je m’oppose. Je voterai donc les amendements de suppression. (Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Kanner, sur l’article.
M. Patrick Kanner. Monsieur le ministre, vous avez dit, au sujet des brevets, que les faits étaient têtus. Les chiffres aussi ! Il vous faut 47 milliards d’euros pour financer la dette de la SNCF ; il vous faut 9 milliards d’euros pour l’extension de l’exonération de la taxe d’habitation pour les 20 % des ménages les plus aisés ; il vous faut 11 milliards d’euros pour financer les mesures d’urgence économiques et sociales que nous avons adoptées dans les conditions que vous savez, mes chers collègues, à la fin du mois de décembre. Donc, il vous faut beaucoup de cash, monsieur le ministre, et ces privatisations, qui s’inscrivent dans une période de croissance extrêmement fragile – les chiffres de l’INSEE nous le démontrent – sont finalement une mauvaise illustration d’une gestion aléatoire de notre pays.
Vous voulez d’abord renflouer les caisses asséchées de l’État, mais c’est du one shot, comme l’ont bien relevé les collègues qui se sont exprimés précédemment.
Plutôt que de vendre et d’empocher un chèque d’un montant moindre, nous préconisons de garder publiques, pour continuer d’enregistrer des bénéfices, ces entreprises florissantes. S’il n’y avait pas d’exemple dans le passé, on pourrait vous excuser et croire à l’inexpérience, mais il y a l’exemple rappelé à plusieurs reprises de ces sociétés autoroutières, lesquelles se positionnent aujourd’hui sur les aéroports pour anticiper la future perte de leurs concessions. Mais l’État est-il là pour pallier la perte de ces concessions, alors que beaucoup contestent aujourd’hui la pertinence de ces privatisations ? Est-on obligé, monsieur le ministre, de faire une erreur pour pallier la fin d’une autre erreur ?
Concernant ADP, l’exemple de l’aéroport de Toulouse, qu’a rappelé notre collègue Viviane Artigalas, montre bien que le choix a été aussi aléatoire.
Monsieur le ministre, les infrastructures structurantes de notre pays sont des outils stratégiques que la collectivité publique doit continuer d’administrer pour l’intérêt général, pour la pérennité des investissements, pour ne pas subir les aléas des marchés, pour des questions de sécurité. Aussi, entendez nos arguments, qui proviennent des deux côtés de cet hémicycle, mais aussi de son centre : vous le voyez, votre projet de privatisation ne suscite pas une opposition de principe, mais il soulève de réels problèmes.
Monsieur le ministre, tout cela devrait vous alerter. Vous ne pouvez pas avoir raison tout le temps et contre tout le monde. Écoutez pour une fois le Sénat, ne bradez pas notre patrimoine, le patrimoine des Français. (Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain et sur quelques travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, sur l’article.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, même si beaucoup d’arguments ont déjà été avancés, il n’est pas inutile d’en ajouter quelques autres.
Moi, je ne crois absolument pas à l’alibi de la nécessité de vendre les bijoux de la République pour constituer un pseudo-fonds d’innovation. Ce n’est pas la première fois qu’on nous fait le coup : il serait nécessaire de vendre des entreprises ou des infrastructures pour, soi-disant, préparer l’avenir ! Toujours le même discours ! La réalité, c’est que plus le temps passe, plus les recettes liées au capital public fondent comme neige au soleil. Les recettes budgétaires perçues par l’État en rémunération du capital public ont diminué de près de 50 %. On se prive donc de recettes à moyen et long termes pour du cash à court terme, lequel n’a jamais soutenu ni l’innovation ni la croissance ! Et que l’on ne nous dise pas qu’on ne peut pas trouver de l’argent pour l’innovation en France. Quand on voit les sommes consacrées au crédit d’impôt recherche, dont je ne souhaite pas la suppression, n’allez pas me dire que, sur ces milliards d’euros, on ne peut pas trouver 250 millions par an pour constituer un fonds de soutien à l’innovation et à la recherche !
Vous ne pouvez pas nous dire non plus que sur les 21 milliards d’euros du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE, il n’est pas possible d’en orienter une petite part vers l’innovation et la recherche !
Par ailleurs, un aéroport, ce n’est pas n’importe quoi. En particulier, Aéroports de Paris, c’est le grand hub d’Air France, c’est l’entrée sur notre territoire. Or chacun sait que si les aéroports ne sont pas organisés de telle manière qu’ils permettent à notre compagnie Air France d’exercer aisément son activité, dans des conditions correctes et pour un prix honorable, son activité peut s’en trouver fragilisée. J’ai eu souvent l’occasion de rappeler que la performance de KLM est pour une part liée à l’abaissement des frais aéroportuaires décidé par l’aéroport de Schiphol. Nous-mêmes, en France, nous n’avons pas mis en œuvre une stratégie globale permettant, non pas de manière déloyale, mais dans des conditions correctes, d’accueillir Air France. Et si, pour améliorer sa profitabilité, il est dans l’intérêt de l’entreprise privée gestionnaire de faciliter l’accès des compagnies du Golfe plutôt que celui d’Air France parce qu’elles rémunèrent davantage, parce qu’elles offriront des facilités, croyez-moi, l’intérêt national passera derrière les dividendes.
Il faut donc s’assurer que l’écosystème aéroportuaire soit une aide pour notre compagnie, garantisse la sécurité. (Marques d’impatience sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. Il faut conclure, madame Lienemann.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Personne mieux que l’État et la puissance publique ne peut y veiller. (Mme Laurence Cohen et plusieurs sénateurs du groupe socialiste et républicain applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à M. David Assouline, sur l’article.
M. David Assouline. Ce débat, au-delà de son aspect économique et des arguments qui ont été échangés, est très politique. Nous parlons de la porte d’entrée de la France, nous parlons de notre principale frontière, par laquelle transitent chaque année 100 millions de personnes. Alors même que nous avons effacé les frontières européennes, nous en savons l’importance pour notre pays, pour notre souveraineté et en termes de sécurité nationale, dans le contexte que nous connaissons d’insécurité internationale.
Nous sommes donc au cœur d’un sujet éminemment politique, qu’on ne peut réduire à une question strictement économique, même si, sur cet aspect des choses précisément, des arguments ont été échangés de façon assez convaincante. Il n’y a pas eu de réponse de votre part, monsieur le ministre, et on ne comprend pas cet entêtement.
Pour Paris et pour le tourisme, pour notre rayonnement, c’est aussi une question politique, et non pas seulement économique. L’État doit continuer à en avoir la maîtrise. Dans ce moment politique, la privatisation d’ADP est un très mauvais signal dans un monde incertain, incertitude notamment sur les marchés financiers, comme cela a été justement souligné.
Très franchement, alors que tout le monde nous dit que l’on va quasi certainement entrer dans une crise financière dont l’ampleur pourrait dépasser celle de 2008 – à moins qu’on n’y soit déjà entré –, comment pouvez-vous nous donner de telles assurances ? Contrairement à M. Gay, je ne vous confierais pas mon PEL ! Ce n’est pas très sérieux.
Les risques d’une privatisation sont connus : gestion à l’économie, hausse des taxes aéroportuaires, pression sur les pouvoirs publics pour réduire les exigences environnementales et autoriser davantage de vols de nuit. Le contrôle renforcé ne suffira pas, parce que le bras de fer tourne rarement à notre avantage quand on a cédé ce type de patrimoine au privé.
Nous vous exhortons à en finir avec une certaine religion du libéralisme, et ce alors même que certains de ses partisans, dans cet hémicycle, ont insisté sur la nécessité d’abandonner ce dogme. Il s’agit d’une question de souveraineté et d’une question éminemment politique. (Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Laurence Cohen applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Richard Yung, sur l’article.
M. Richard Yung. Il est intéressant de voir ce débat sur les privatisations revenir. Ce n’est donc pas la première fois que nous l’avons.
Mme Cécile Cukierman. Malheureusement !
M. Richard Yung. Nous l’avons eu sur les nationalisations et, à de nombreuses reprises, sur les privatisations.
Laissez-moi vous rappeler deux ou trois faits de notre récente politique économique : sous le gouvernement Jospin, on avait privatisé Air France en partie, Autoroutes du Sud, Crédit Lyonnais, France Télécom, Eramet, GAN (Exclamations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.) – c’est la vérité, et évidemment, cela vous gêne ! (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.) –, Thomson Multimédia, CIC, EADS (Mme Marie-Noëlle Lienemann s’exclame.) ; sous le gouvernement Villepin, en partie EDF, et en partie ADP – déjà ; sous le gouvernement Ayrault, Safran, EADS, ADP partiellement ;…
Mme Éliane Assassi. Trop, c’est trop !
M. Richard Yung. … sous le gouvernement Valls, trois aéroports de province. (Mme Cécile Cukierman s’exclame.)
Un sénateur. Et Macron ?
M. Richard Yung. Alors, j’ai du mal à comprendre la logique de tout cela, (Protestations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – Rires ironiques sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. François Bonhomme. Ah, elle est belle, la sainte famille !
M. Richard Yung. J’ai du mal à la comprendre, mais peut-être le débat va-t-il nous éclairer. (Nouvelles protestations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.) Ce n’est pas la peine de crier, on débat gentiment ! D’ailleurs, je vous rappelle juste des faits que vous connaissez, ils sont historiques.
La raison qui emporte mon adhésion, c’est le financement des activités futures d’ADP.
Aéroport de Paris a de très gros besoins de financement – tout le monde le comprend. Or l’État actionnaire, excusez-moi de le dire, monsieur le ministre, n’est pas si pécunieux que cela et il ne peut pas trop apporter au pot. Il nous faut donc disposer des moyens permettant de développer les fonds propres d’ADP, il faut faire face à l’internationalisation, qui est déjà très engagée et dans laquelle ADP joue d’ailleurs un rôle important.
J’ajoute que l’État, me semble-t-il, garde les moyens de contrôle, notamment la fixation du prix des péages et leur révision non pas ad libitum, comme cela a été le cas à mauvais escient pour les autoroutes, mais tous les cinq ans.
Enfin, s’il y a évidemment un monopole en apparence, déplacer les activités de Roissy à Schiphol ou à Bruxelles, ce n’est pas très difficile. Pensez-y !
Mme la présidente. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian, sur l’article.
Mme Sophie Taillé-Polian. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, beaucoup l’ont dit, les arguments sur le financement de l’innovation ne tiennent pas, puisque les dividendes suffiraient, suffiront, je l’espère, à financer l’innovation dans notre pays.
Non, l’unique but de ces privatisations, et de celle-là, c’est effectivement un désendettement de façade relativement artificiel de notre pays, pour ne pas continuer à frôler la barre des 100 % du PIB. Là est l’unique souci. Mais pour ce faire, faut-il vendre, cela a été dit, un actif stratégique ?
Monsieur le ministre, nous débattons aujourd’hui de ce texte au Sénat, avant qu’il revienne à l’Assemblée nationale. Mais, je vous le dis, les Français ne sont pas d’accord avec cette privatisation. Les Français ne sont pas d’accord avec ces privatisations, car ils en ont vu, s’agissant des autoroutes, les conséquences. Ils voient aujourd’hui ce que nous faisons, et ils ne sont pas d’accord. Vous n’avez pas le droit politique – le droit juridique, vous l’avez –, pas plus que le droit moral de nous soumettre aujourd’hui cette question.
Monsieur le ministre, le Président Macron cherche une question pour un référendum. Eh bien, suggérez-lui celle-ci : Voulez-vous, Françaises, Français, privatiser nos aéroports ?
M. Charles Revet. Bonne question !
Mme Sophie Taillé-Polian. Allez-y ! Allons-y, parce que cela entre dans le cadre du grand débat national, à savoir l’organisation de l’État et du service public. Nous sommes bien là au cœur du sujet. Vous disiez précédemment, monsieur le ministre, que cette question était extérieure au cadre fixé par le grand débat national, pour justifier le fait d’avancer sur ce point. Là, nous y sommes, nous y sommes en plein : actifs stratégiques, missions de service public, souveraineté de la France. Alors, faites-le, plutôt que ce débat ici, qui sera au demeurant fort utile car il éclairera les Français sur l’ensemble des éléments qui ont déjà été donnés.
Je conclurai, monsieur le ministre, par cette formule : « Nous privatisons, mais pour soixante-dix ans ». Gardons la main sur ces actifs qui non seulement sont stratégiques, mais ont aussi des répercussions économiques, car, on le sait, le transport aérien fait partie des éléments qui polluent le plus. C’est l’un des plus grands consommateurs d’énergies fossiles qui, dans soixante-dix ans, ne seront peut-être plus aussi faciles à obtenir et qui polluent notre planète. Qu’en sera-t-il dans soixante-dix ans, quand il faudra peut-être revoir les choses à la baisse, retravailler les modes de déplacement, ainsi que notre empreinte écologique, car il y aura plus qu’urgence, l’urgence étant déjà là ? Que ferons-nous alors, puisque l’État aura perdu la main ?
Pour anticiper et pour respecter la grande demande de démocratie des Français, il ne faut surtout pas privatiser ADP. (Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas, sur l’article.
M. Vincent Capo-Canellas. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de cession fait débat. Ce débat était attendu, il est bien sûr légitime.
Je souhaiterais simplement revenir, en tant que rapporteur spécial de la commission des finances sur une partie des crédits en question, sur un certain nombre de considérations qui ont trait à la gestion aéroportuaire – c’est tout de même de cela que nous parlons.
Qu’attendent les passagers ? Ils attendent de nous que nous soyons capables de promouvoir un système aéroportuaire efficace permettant la connectivité, la qualité de service et des prix raisonnables.
Qu’attendent les compagnies qui nous regardent ? Que le Sénat soit capable aussi d’apporter sa pierre pour un développement du transport aérien. La France est une grande nation aérienne, elle a besoin de conforter cette place. On peut le faire en privatisant, on pourrait le faire en restant en gestion publique, mais maintenant que le Gouvernement a engagé ce processus, maintenant que l’Assemblée nationale s’est mise dans ses pas, il s’agit de voir dans quelles conditions nous pouvons agir et ce que le Sénat peut apporter pour contraindre le dispositif, pour le renforcer et y faire figurer un certain nombre de précautions qui seront utiles pour garantir les intérêts de l’État et ceux du transport aérien. Je crois que c’est cela, pour nous, faire œuvre de législateur.
Premier point, je voudrais rappeler que les deux modes de gestion, privée et publique, existent dans le monde entier. La question est de savoir comment les exercer et assurer un certain nombre de garanties. Il est des privatisations qui sont bien menées et d’autres qui sont mal menées. La gauche a mal mené Toulouse, c’est clair…
M. Martial Bourquin. C’était Macron !
M. Vincent Capo-Canellas. … – c’était un projet de M. Montebourg. (Exclamations sur des travées du groupe socialiste et républicain.) Le texte était d’abord un texte de M. Montebourg ! Lyon et Nice, qui sont des projets de M. Macron, se sont bien déroulés et ne posent pas de problème particulier aujourd’hui.
Deuxième point, le secteur aéroportuaire est quand même ouvert à la concurrence, on fait mine de l’oublier. Les passagers choisissent notamment d’aller vers des hubs où les prix sont compétitifs, le niveau de service et la connexion, satisfaisants. Concernant le marché primaire – en gros, trois heures autour de l’aéroport Paris-CDG –, on peut effectivement parler de monopole. Pour le reste, la notion de monopole est tout de même très relative, car les passagers regardent sur internet et iront à Londres, à Fraport ou à Schiphol, en fonction des meilleurs tarifs et connexions.
Troisième point, la qualité aéroportuaire et les installations ont été un sujet majeur. ADP s’est beaucoup transformé et modernisé lors de l’ouverture partielle du capital en 2006, qui a porté ce processus jusqu’à aujourd’hui.
Dernier point, et je m’en tiendrai là, les compagnies se plaignent du niveau des redevances et nous demandent de porter notre attention sur ce point, de créer un régulateur – Jean-François Husson l’a proposé au nom de la commission spéciale. À mes yeux, il s’agit d’un élément majeur pour favoriser la transparence et éviter les surprofits. Tel doit être, me semble-t-il, l’apport du Sénat dans ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et sur quelques travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi, sur l’article.
Mme Éliane Assassi. J’aurai l’occasion de revenir sur les raisons de notre opposition à cette privatisation lors de l’examen des amendements. Pour l’heure, je souhaiterais, mes chers collègues, revenir sur un événement tout récent : alors que nous examinons le projet de loi PACTE qui vise notamment à entériner la privatisation d’Aéroports de Paris, Mme la maire de Mitry-Mory voit déjà arriver des engins et des camions de chantier sur le territoire communal, à l’endroit du site retenu pour le Charles-de-Gaulle Express, en vue du commencement des travaux. Ce projet, je le rappelle, a pour objet de relier l’aéroport de Roissy, exploité par ADP, à la gare de l’Est, sans escale et pour un montant exorbitant. Aujourd’hui, il est largement contesté par la population et nombre d’élus, qui souhaitent voir priorisés les transports du quotidien, notamment la ligne B du RER.
Alors que Mme la ministre chargée des transports, sous la houlette de M. le préfet de la région d’Ile-de-France, a lancé une grande concertation sur l’opportunité de la réalisation de cette infrastructure, et que celle-ci n’est pas terminée, les faits témoignent d’une volonté d’avancer à marche forcée et en catimini. La coïncidence du calendrier nous interpelle, tout comme le comportement du Gouvernement à l’égard des élus et des populations locales dans ce dossier.
Personne ne peut ignorer le lien entre le Charles-de-Gaulle Express et la privatisation d’ADP. D’un côté, l’État brade aux intérêts privés Aéroports de Paris et, de l’autre, il s’engage à hauteur de 1,7 milliard d’euros, dans le cadre du projet Charles-de-Gaulle Express, pour équiper gratuitement le futur repreneur de l’aéroport de Roissy : un État schizophrène qui organise donc sa propre impuissance en bradant ses intérêts.
Il s’agit, pour nous, mais pas seulement pour nous, d’un coup de force inacceptable, et ce à plusieurs titres. Inacceptable, d’abord, pour les millions d’usagers du RER B et de la ligne K, qui vivent régulièrement l’enfer – je suis là pour en témoigner –, faute de courage politique nécessaire pour la révision des lignes. Inacceptable, ensuite, pour les élus et les associations engagés dans le processus de concertation. Inacceptable, enfin, pour l’ensemble de nos concitoyens, car ceux-ci devront, par leurs impôts, financer un équipement qui bénéficiera exclusivement à une société privatisée.
Donc, en toute cohérence, nous continuons à demander la suspension du projet Charles-de-Gaulle Express, et nous portons dans cet hémicycle la voix de la préservation des intérêts de notre pays en refusant la privatisation d’ADP. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – Mme Nadine Grelet-Certenais, ainsi que MM. Jérôme Durain et Martial Bourquin applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Yves Daudigny, sur l’article.
M. Yves Daudigny. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi en discussion abat les restrictions à l’ouverture du capital de trois fleurons de l’économie française : Aéroports de Paris, la Française des jeux et ENGIE.
Je veux dire ici mon opposition frontale à ces privatisations et, d’abord, à celle d’Aéroports de Paris.
Le premier argument avancé, le financement du fonds consacré à l’innovation, a déjà été démonté dans l’intervention précédente, au regard des dividendes perçus chaque année par l’État.
Le deuxième argument, selon lequel les privatisations amélioreront la gestion de ces entreprises en leur appliquant les bonnes pratiques des groupes privés, n’est qu’une pétition de principe teintée d’idéologie sans aucun fondement. Dans le cas d’un monopole comme ADP, le confier au secteur privé revient à lui remettre une forme de rente que rien ne justifie (M. Gérard Longuet s’exclame.), à l’image de la privatisation des autoroutes, dont pâtissent les Français.
Le troisième argument, l’amenuisement de la dette publique, ne convainc pas davantage.
ADP possède un caractère stratégique incontestable. Première porte d’entrée en France, il joue un rôle touristique majeur, mais aussi un rôle clé en matière sécuritaire. Il a réalisé, l’an passé, un chiffre d’affaires de 3,6 milliards d’euros, accueilli plus de 100 millions de passagers. Les locations d’espaces aux grandes marques de luxe et de restauration représentent désormais un tiers du chiffre d’affaires.
Pourquoi, mes chers collègues, priver l’action publique et l’intérêt général d’un avenir qui est annoncé prometteur ? Une folie ultralibérale en matière aéroportuaire conduit, mes chers collègues, à une aberration économique, à une erreur stratégique, à une faute politique majeure, alors que, dans le même temps – cela a déjà été évoqué –, la Cour des comptes, dans son rapport d’octobre 2018, relève que l’arrivée d’acteurs privés ne s’est pas accompagnée d’inflexions majeures en matière de gestion et d’orientation stratégique des trois aéroports concernés : Toulouse, Lyon et Nice. (Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à M. François Bonhomme, sur l’article.
M. François Bonhomme. Monsieur le ministre, je crois que vous ne pouvez plus ignorer que cette question de la privatisation d’Aéroports de Paris occupe désormais une place particulière dans nos débats. Au demeurant, je trouve que cette question, qui vient au débotté dans ce projet de loi fourre-tout, aurait mérité un texte à part.
De nombreuses critiques mettent en avant le risque de bradage d’un emblème national et d’une infrastructure stratégique au profit du secteur privé. Vous affirmez, de votre côté, votre volonté de voir l’intérêt public préservé, mais cela ne suffit pas à nous rassurer, puisque nous sommes tous conscients ici des risques que cette privatisation, d’un monopole de surcroît, représente.
Le parallèle avec la privatisation des autoroutes a été fait à de nombreuses reprises ici, notamment au regard du principal intéressé, pour le rachat d’ADP.
Il y a bien un risque, effectivement, qu’un groupe, déjà actionnaire à hauteur de 8 %, détienne alors un monopole à la fois sur les autoroutes et sur les aéroports, deux secteurs stratégiques indispensables au bon fonctionnement de notre pays.
Je dois vous le dire, monsieur le ministre, vos propos à la fois sur le cahier des charges, les redevances, les investissements, le statut des personnels ou encore le contrôle des frontières, ne sont pas de nature à nous rassurer.
Enfin, le précédent fâcheux de la privatisation de l’aéroport de Toulouse, décidé en 2015 par le gouvernement d’alors, devrait nous alerter un peu plus sur les risques d’une telle décision. Les investisseurs chinois qui ont racheté en 2015 l’aéroport de Toulouse cherchent aujourd’hui à le revendre, en faisant une confortable plus-value de 200 millions d’euros en quatre ans seulement.
Encore une fois, monsieur le ministre, nous ne pouvons pas minimiser ou évacuer le risque réel que représente cette privatisation de nos infrastructures stratégiques en les laissant à la merci des actionnaires, et, plus encore, des pratiques douteuses qu’a révélées dernièrement la Cour des comptes lors d’un précédent rapport.
En conclusion, je ne voterai pas cette privatisation, et donc je voterai les amendements tendant à sa suppression, car je ne peux pas, monsieur le ministre, vous suivre dans cette voie qui nous amène assurément dans une zone de turbulences dont l’issue serait grave pour notre pays.
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Dominati, sur l’article.
M. Philippe Dominati. Monsieur le ministre, votre tâche est difficile.
Premièrement, je suis un libéral et j’estime que ce projet n’a rien à rien à voir avec le libéralisme,…
M. Charles Revet. Bien sûr !
M. Philippe Dominati. … dans la mesure où il s’agit de la cession des bénéfices d’une entreprise et, en revanche, du paiement, par le contribuable, de tous les équipements autour de cette entreprise, pour les soixante-dix années qui viennent. Donc, c’est la cession d’un monopole.
Deuxièmement, au niveau national, comme cela a été évoqué par mon collègue, les acteurs potentiels de cette privatisation se trouvent dans une situation dominante. Peut-on posséder 50 % du parc d’autoroutes, 50 % des parkings municipaux, la ligne TGV Paris-Lyon et, éventuellement, deux aéroports sur le plan national ? Cela ne répond pas à une vision libérale des choses.
Troisièmement, dans le pays le plus libéral au monde, les États-Unis, la souveraineté existe et les aéroports restent dans le domaine public.
Je dirai que je suis libéral parce que, vous l’avez dit vous-même, l’État défend mal ses intérêts. Dans ce dossier, ce constat est particulièrement vrai, et la démonstration est flagrante.
D’abord, il y a le prix, que l’on ne connaît pas vraiment dans ce débat. On peut l’estimer, mais lorsque nous avons auditionné le président d’Aéroports de Paris, il a parlé d’une forte valorisation en bourse avec un PER de 30. Par conséquent, même sans pouvoir parler de la durée dans ce débat puisque les amendements afférents sont irrecevables, on peut tout de même relever que l’investissement initial serait remboursé sur trente ans, alors que vous parlez d’une concession de soixante-dix ans.
Malgré ce déséquilibre, qui semble flagrant sur la dévalorisation, on ne parle qu’à situation constante, c’est-à-dire aujourd’hui et pas dans soixante-dix ans. Or M. le rapporteur nous dit que le trafic va exploser dans les prochaines décennies. Et vous n’avez même pas prévu de clause de révision du prix, ce que l’on appelle un earn out dans le monde des affaires. Sur une durée aussi longue, on aurait pourtant pu s’attendre à une révision du prix.