Mme Claudine Thomas. Ma question s’adresse à M. Gérald Darmanin, ministre de l’action et des comptes publics, à la suite de l’annonce faite par le Gouvernement de réduire les niches fiscales en diminuant le plafond global de ces dernières ou en imposant des conditions de ressources pour en bénéficier, afin, dites-vous, monsieur le ministre, qu’elles profitent aux classes moyennes plutôt qu’aux classes les plus aisées.

La fiscalité française est un objet de curiosité qui place la France au premier rang des pays européens dont l’impôt est le plus lourd. Les deux ans que vous avez passés à Bercy n’y auront rien changé. Ce sont ces fameuses niches fiscales qui offrent une bouffée d’oxygène aux contribuables écrasés par l’impôt.

Aujourd’hui, la crise des « gilets jaunes » et le besoin de ressources supplémentaires conduit votre gouvernement à raboter ces niches, l’objectif étant de montrer du doigt ces contribuables qui bénéficient de niches fiscales pour les désigner comme des privilégiés.

Soudain, ces mécanismes dont on vantait l’utilité – emplois à domicile, dons aux associations, investissements dans la transition énergétique – n’auraient plus aucune justification.

Monsieur le ministre, clairement, vous gérez une crise politique née d’un ras-le-bol fiscal en créant tout bonnement une nouvelle hausse d’impôt !

Mme Claudine Thomas. Voilà encore une mesure à l’encontre des classes moyennes ! Quand allez-vous cesser de matraquer ces Français qui travaillent, payent des impôts et assurent la solidarité nationale ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État auprès du ministre de l’action et des comptes publics.

M. Olivier Dussopt, secrétaire dÉtat auprès du ministre de laction et des comptes publics. Madame la sénatrice, vous nous interrogez sur la dépense fiscale et je me dois avant tout d’excuser Gérald Darmanin, ministre de l’action et des comptes publics, qui est retenu par d’autres obligations cet après-midi.

Vous annoncez, dans votre question, que nous aurions décidé de revenir sur certaines niches fiscales. Or il n’en est rien, aucune décision n’ayant été prise. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) En revanche, il est important et intéressant d’ouvrir ce débat.

La dépense fiscale peut être un bon levier pour promouvoir des comportements vertueux ou inciter à tel ou tel investissement en direction de l’emploi ou de diverses politiques publiques.

Toutefois, force est de constater que l’accumulation des niches fiscales dans le temps a conduit au démembrement de pans entiers de notre fiscalité et à une perte de lisibilité de celle-ci. Vous avez vous-même souligné que nous affichons parfois des taux de prélèvement extrêmement élevés et que les niches fiscales servent finalement de soupape de décompression, ce qui nuit à la simplicité et à la lisibilité du système fiscal.

Enfin, il y a aussi un phénomène d’optimisation, la superposition des niches permettant à certains contribuables d’être particulièrement avantagés.

Nous pouvons toutefois noter que, depuis 2008, notamment sur l’initiative de Gilles Carrez et de Didier Migaud, ces niches ont été successivement plafonnées.

Nous allons travailler sur ce sujet avec en tête deux impératifs. Le premier est de continuer ce que nous faisons depuis le début, c’est-à-dire diminuer les prélèvements obligatoires sur les ménages et, en aucun cas, taxer les classes moyennes.

M. Olivier Dussopt, secrétaire dÉtat. Le deuxième vise à renforcer l’égalité. Ainsi, en matière d’impôt sur le revenu, vous savez certainement que 10 % des contribuables les plus aisés bénéficient de 50 % des 14 milliards d’euros de niches propres au seul impôt sur le revenu. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Tous les parlementaires, sur tous les bancs, ont toujours voulu clarifier et simplifier le système des niches fiscales. Madame la sénatrice, dans Les Échos, le 9 janvier dernier, quelqu’un disait qu’il fallait tout remettre à plat en matière de fiscalité. Il dénonçait les 350 impôts et taxes, l’accumulation des niches fiscales et le manque de lisibilité. L’auteur de cette phrase frappée au coin du bon sens n’est autre que Laurent Wauquiez ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – Mme Sophie Taillé-Polian et M. Pierre Louault applaudissent également.)

M. Loïc Hervé. Les grands auteurs !

M. le président. La parole est à Mme Claudine Thomas, pour la réplique.

Mme Claudine Thomas. Monsieur le secrétaire d’État, j’entends vos arguments, mais je vous répondrai malgré tout par quelques chiffres sur l’action de votre gouvernement.

Le déficit commercial de la France devrait battre un record en 2019, à hauteur de 65 milliards d’euros. Le déficit public, qui devait être contenu sous la barre des 3 %, est annoncé à 3,3 % en 2019. Quant au taux de prélèvements obligatoires, que vous estimiez à 44,3 % dans la loi de programmation, il atteindra 45 % du PIB.

Il n’y a pas de quoi pavoiser, monsieur le secrétaire d’État ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

programmation pluriannuelle de la recherche

M. le président. La parole est à M. André Gattolin, pour le groupe La République En Marche.

M. André Gattolin. Ma question s’adresse à Mme la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation.

Madame la ministre, dans un monde en pleine transformation technologique, l’investissement dans la recherche constitue plus que jamais un enjeu capital pour notre pays.

Malgré une légère amélioration, la France, qui, avec les autres pays de l’Union européenne, s’était fixé pour 2020 un objectif de recherche globale de 3 % de son PIB, peinait en 2017 à atteindre 2,2 %, tout juste. Nous demeurons loin derrière l’Allemagne, les États-Unis et les pays scandinaves.

Aussi, et même si aucun chiffre précis n’a encore été avancé, l’annonce par M. le Premier ministre, voilà quatre jours, d’une future loi de programmation pluriannuelle pour la recherche est déjà, en soi, une excellente nouvelle. Elle souligne la volonté de notre pays de passer à la vitesse supérieure dans ce domaine à l’horizon de 2021, année qui marquera également le début du prochain cadre pluriannuel financier européen, accroissant de manière considérable les moyens de la recherche, avec le plan Europe 2020.

Face au leadership américain et à la montée en puissance de la Chine, la mise en œuvre d’une politique volontariste dans ce domaine par la France, et aux côtés de l’Union européenne, ne peut qu’être favorable au renouveau de nos industries, à la compétitivité de notre économie, ainsi qu’à notre souveraineté numérique.

Madame la ministre, pourriez-vous aujourd’hui nous préciser quelles seront les priorités de cette programmation et comment elles seront articulées avec les mesures du prochain cadre pluriannuel financier européen, couvrant les années 2021 à 2027 ? Enfin, dans la phase de concertation et de préparation de la future loi qui va s’ouvrir, comment entendez-vous mobiliser au mieux la communauté scientifique, les industriels et l’ensemble de la communauté nationale sur ce sujet ? (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation.

Mme Frédérique Vidal, ministre de lenseignement supérieur, de la recherche et de linnovation. Monsieur le sénateur Gattolin, effectivement, vendredi dernier, à l’occasion du quatre-vingtième anniversaire du Centre national de la recherche scientifique, le CNRS, le Premier ministre a souhaité annoncer cette future loi de programmation pluriannuelle de la recherche. Cela faisait longtemps, bien longtemps, trop longtemps même, qu’un chef de gouvernement n’avait pas souhaité réaffirmer, devant la communauté scientifique, combien nous lui faisons confiance pour améliorer l’avenir de notre pays, en continuant à produire une connaissance qui est à la base de toute innovation, source de croissance et d’emplois.

C’est une décision d’importance qui a été annoncée, puisque, au cours des quarante dernières années, seules trois lois de programmation ont été votées pour la recherche.

Il s’agit de travailler sur trois axes fondamentaux…

M. Éric Kerrouche. Pas de chercheurs ! Pas de chercheurs ! Pas de chercheurs !

Mme Frédérique Vidal, ministre. … et de sortir des principales contradictions qui, souvent, nous ont empêchés d’avancer sur les questions de recherche, notamment les oppositions stériles entre la recherche publique et la recherche privée – partout dans le monde, on parle de recherche – et la compétition stérile entre les financements compétitifs et les financements récurrents – partout dans le monde, on considère que l’essentiel est de soutenir le financement de la recherche.

M. Pierre-Yves Collombat. Et les conflits d’intérêts, cela n’existe pas ?

Mme Frédérique Vidal, ministre. Trois groupes de travail seront mis en place, comprenant des parlementaires, des scientifiques, des chefs d’établissement, des industriels. Ils traiteront respectivement les questions suivantes : comment finance-t-on, au mieux, les activités de recherche de base, celles des laboratoires, et une recherche compétitive de qualité, sans risque d’exclure certains excellents projets ? Comment retrouve-t-on une attractivité des carrières scientifiques ? Comment soutient-on la recherche partenariale ?

Il importe que nous remettions la recherche au cœur des priorités, car elle est au cœur de notre avenir ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)

décentralisation

M. le président. La parole est à M. André Reichardt, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. André Reichardt. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre, s’il veut bien me répondre.

Monsieur le Premier ministre, les conseils départementaux du Bas-Rhin et du Haut-Rhin ont voté hier la même délibération, demandant la création d’une nouvelle collectivité territoriale : la « collectivité européenne d’Alsace ».

C’est un nouveau chapitre qui s’ouvre, celui de l’entrée dans un processus législatif qui pourrait conduire, je l’espère, à la renaissance de la région Alsace. Ce sont aussi des nouvelles questions qui se posent : quelles compétences seront en définitive dévolues à cette collectivité ?

En effet, dans l’état actuel de nos connaissances, le projet de loi qui doit en préciser les termes reste largement insatisfaisant. Non seulement il ne décline pas entièrement les compétences figurant dans la déclaration de Matignon du mois d’octobre dernier, mais il ne dit rien de celles qui pourraient être transférées de la région Grand Est.

Je voudrais rappeler, ici, que 84 %, puis 83 % des Alsaciens ont indiqué, dans deux sondages successifs, vouloir retrouver une collectivité régionale alsacienne de plein exercice. Pouvez-vous, monsieur le Premier ministre, nous éclairer ?

Cependant, mes chers collègues, le choix des Alsaciens illustre une question plus générale, que les maires ont posée de façon récurrente au Président de la République. Ces derniers en ont assez de la recentralisation rampante ; ils en ont assez des contraintes ; ils veulent plus de liberté, de souplesse ; ils souhaitent que les périmètres des collectivités ne soient plus déconnectés des réalités économiques, sociales et culturelles des territoires. La loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, la loi NOTRe, ne satisfait personne !

Porté par ce flot de contestations, le Président de la République a infléchi son discours et s’est dit « prêt à rouvrir la loi NOTRe ». Bien que celles-ci soient floues, il ouvre tout de même des perspectives !

La démocratie participative peut parfois être une réponse, mais, dans ce domaine de la réforme territoriale, on doit pouvoir faire confiance à la démocratie représentative.

Mme Sophie Primas. Très bien !

M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue !

M. André Reichardt. Sur ces travées, à plusieurs reprises, nous avons alerté sur la grogne des maires. Le Sénat, chambre des territoires par excellence, a des propositions.

M. le président. Il faut vraiment conclure !

M. André Reichardt. Êtes-vous disposé, monsieur le Premier ministre, à y prêter réellement intérêt et à engager avec notre assemblée l’acte III de la décentralisation ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Monsieur le sénateur, vous m’interrogez sur une question particulière, portant sur le processus engagé dans les départements du Haut-Rhin et du Bas-Rhin pour la constitution d’une nouvelle collectivité territoriale. Vous l’élargissez, ensuite, pour évoquer les limites du dispositif issu de la loi NOTRe et les correctifs qui pourraient y être apportés. Ce faisant, vous vous faites l’avocat de la démocratie représentative et de la nécessaire écoute des élus.

S’il y a un sujet sur lequel cette préoccupation est partagée avec le Gouvernement, monsieur le sénateur, c’est bien la question de l’Alsace !

Que s’est-il passé ? Nous avons entendu l’expression qui a été celle des parlementaires, des élus locaux, mais aussi, singulièrement, des présidents des conseils départementaux…

M. Jean-Marie Bockel. C’est vrai !

M. Édouard Philippe, Premier ministre. … à propos de l’insatisfaction découlant de l’organisation telle qu’elle résultait de décisions ayant d’ailleurs été prises bien avant la nomination de ce gouvernement.

Ayant entendu ces interrogations, ayant d’emblée fixé une limite, formulée par le Président de la République durant la campagne présidentielle, de non-remise en cause des périmètres régionaux tels qu’ils avaient été décidés, nous avons essayé de travailler, dans la plus grande intelligence possible,…

M. Jean-Marie Bockel. Effectivement !

M. Édouard Philippe, Premier ministre. … avec les élus locaux et les parlementaires.

C’est d’ailleurs parce que nous avons réussi à travailler dans ces bonnes conditions…

M. Jean-Marie Bockel. C’est vrai !

M. Édouard Philippe, Premier ministre. … – je voudrais saluer, à cette occasion, le remarquable travail effectué par Jacqueline Gourault –…

M. Jean-Marie Bockel. Effectivement !

M. Édouard Philippe, Premier ministre. … que nous sommes parvenus à une déclaration commune avec le président du conseil régional, avec les deux présidents des conseils départementaux, avec de très nombreux parlementaires.

Cette déclaration commune, signée à Matignon, a engagé le processus qui a donné lieu, hier, au vote précité. Disons un mot sur les conditions de ce dernier : sur les 80 conseillers que représentent les deux conseils départementaux du Haut-Rhin et du Bas-Rhin regroupés, on a dénombré 74 votes positifs.

On peut donc dire, me semble-t-il – et je suis certain que vous allez vous en réjouir, monsieur le sénateur –, que nous avons su, en cette matière, écouter, discuter, et que nous avons permis à des collectivités territoriales de s’entendre.

Ce processus va maintenant se poursuivre là où il doit se poursuivre, c’est-à-dire au sein du Parlement. Celui-ci aura l’occasion de se prononcer sur un très bel exemple de coopération intelligente entre les élus locaux, les parlementaires et le Gouvernement.

Je ne prétends pas que tout est réglé par cette déclaration commune. Certains – peut-être est-ce votre cas ? –, vous l’avez dit vous-même, monsieur le sénateur, veulent aller plus loin, d’autres veulent aller beaucoup moins loin. Mais je pense que nous avons progressé, et ce en écoutant et en inscrivant dans le dispositif juridique quelque chose qui peut faire consensus.

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Partant de cette méthode, qui n’est pas propre à l’Alsace, car nous l’avons reproduite dans d’autres territoires, vous estimez qu’il convient de modifier ce que l’on appelle parfois les « inconvénients » de la loi NOTRe, parfois ses « irritants ».

Il en existe, on le sait bien, et vous les avez souvent dénoncés sur ces travées, mesdames, messieurs les sénateurs, comme moi-même, d’ailleurs, je les ai dénoncés, n’ayant jamais été un grand admirateur de l’ensemble des dispositions de cette loi.

Mais je sais aussi, pour l’avoir vécu en tant que chef de gouvernement, que, s’il est simple de dénoncer les irritants de la loi NOTRe, il est un peu plus compliqué de les corriger. En effet, des équilibres se sont dessinés et des intérêts contradictoires s’expriment parfois entre collectivités territoriales. Lorsqu’on modifie les habitudes acquises, on aboutit dans certains territoires à un très bon résultat ; dans d’autres, on défait des dispositifs qui ont commencé à se construire et fonctionnent bien. C’est la réalité, vous le savez, c’est la complexité de la vie politique et administrative française, notamment dans sa composante territoriale.

J’attire donc votre attention, monsieur Reichardt, sur ce fait : oui, nous devons corriger les fameux irritants de la loi NOTRe, améliorer les dispositions de cette loi, mais nous devons le faire en ayant soin de ne pas satisfaire un appétit de « match retour », au détriment de ce qui aurait pu se construire dans de bonnes conditions dans certains territoires.

C’est un équilibre délicat, qui exigera beaucoup de finesse et de travail. Je suis certain que le Sénat et le Gouvernement travailleront dans d’excellentes conditions, ensemble, sur le sujet. (M. Arnaud de Belenet ainsi que des sénateurs du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen applaudissent.)

perquisition dans les locaux de mediapart

M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain.)

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Notre pays traverse une période troublée, qui alerte sur la fragilité de notre démocratie. Pourtant, depuis dix-huit mois, monsieur le Premier ministre, vous en attaquez les fondements constitutionnels : le bicamérisme tout d’abord – nous sommes au Sénat –, que le Président de la République a mis en cause ouvertement dans sa lettre aux Français, mais aussi la liberté d’aller et venir, et le droit de manifester désormais sous une chape préfectorale par votre loi « anticasseurs ».

Vous vous attaquez également, depuis des mois, à la liberté de l’information, avec la loi sur le secret des affaires, puis la loi sur les fake news fragilisant le travail des journalistes, la protection des sources et les lanceurs d’alerte.

Le Président de la République voudrait aujourd’hui créer des structures subventionnées devant veiller à la neutralité de l’information, au parfum de Pravda ou d’ORTF !

Ces mesures, ces déclarations font système ensemble et doivent nous alerter.

Hier, c’était une tentative de perquisition dans les locaux de Mediapart à laquelle nous avons assisté, inédite et inquiétante parce qu’elle touche à la protection des sources. Cet événement éclaire d’un jour édifiant votre attention particulière à la nomination de procureur de Paris et votre refus de l’indépendance du parquet.

Monsieur le Premier ministre, votre majorité joue un jeu dangereux ! On ne joue pas avec les libertés publiques ! Le paysage démocratique qui se dessine sous nos yeux inquiète, y compris dans les rangs de cette majorité – il suffit de voir le score du vote sur la loi anticasseurs.

Quand allez-vous cesser de fragiliser nos libertés fondamentales ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Je vous ai évidemment écoutée avec beaucoup d’attention, madame la sénatrice de la Gontrie, mais je ne partage pas l’analyse que vous faites (Exclamations sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain.) d’un « système », comme vous l’appelez, portant atteinte à la liberté d’expression et au respect des sources.

Je voudrais d’abord rappeler ce que vous savez déjà, mesdames, messieurs les sénateurs : en tant que garde des sceaux, il ne m’appartient pas de commenter des procédures judiciaires. Je m’y astreins de manière extrêmement stricte, précisément parce que je suis attachée à l’indépendance de la justice et au respect des lois. Or ces lois m’interdisent d’intervenir dans les affaires individuelles, et je souhaitais ici le rappeler.

Je vais donc, sur l’affaire évoquée, vous livrer quelques éléments rendus publics.

Le parquet de Paris a ouvert une enquête préliminaire portant sur des infractions d’atteinte à la vie privée. Deux magistrats de ce parquet se sont donc rendus au journal Mediapart pour se faire remettre les enregistrements sonores de conversations qui seraient intervenues entre MM. Benalla et Crase.

Les magistrats agissaient, je tiens à le préciser ici, dans le cadre non coercitif de l’enquête préliminaire, et ne pouvaient pas procéder à une saisie sans l’assentiment du représentant légal de l’entreprise de presse. Mediapart a, dans un premier temps, refusé de remettre ces enregistrements, puis les a donnés à la justice, ce qui permettra de faire toute la lumière sur cette affaire.

Comme l’ensemble du Gouvernement, je suis attachée et à la liberté de la presse et à la protection du secret des sources des journalistes, considérant que ce sont les pierres angulaires de notre démocratie.

Je suis également très attachée à ce que la justice ne fasse pas l’objet d’attaques incessantes,…

M. le président. Il faut conclure, madame le garde des sceaux.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. … qui paralysent son fonctionnement. C’est, je crois aussi, un élément indispensable pour que celui-ci se déroule dans la sérénité. Cela correspond, en tout cas, à ma conception de la justice, partagée par le Gouvernement, et je puis vous assurer que je suis tout à fait encline, disposée et volontaire pour continuer à œuvrer en ce sens. (Applaudissements sur des travées du groupe La République En Marche et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie, pour la réplique.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Je voudrais d’abord dire mon regret que le Premier ministre n’ait pas souhaité s’exprimer sur un sujet qui va bien au-delà des compétences de la garde des sceaux. En effet, je ne l’ai pas interrogé sur une affaire judiciaire, même si, madame la garde des sceaux, après la tribune que vous avez commise au mois de septembre afin de tenter de faire en sorte que la commission d’enquête du Sénat n’auditionne pas M. Benalla, je pense que votre conception en matière de séparation des pouvoirs est assez variable. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, ainsi que sur quelques travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. C’est faux !

M. le président. Il faut vraiment conclure, madame la sénatrice.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. J’ajouterai une phrase, madame la garde des sceaux, que je vous suggère de méditer car vous en êtes l’auteur : « Toute privauté prise avec les principes essentiels de notre République ne peut que contribuer au discrédit de l’action publique ». Voilà ce que nous vous demandons, madame, et ce que nous demandons au gouvernement auquel vous appartenez ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, ainsi que sur quelques travées du groupe Les Républicains.)

utilisation de gaz hilarant par les adolescents

M. le président. La parole est à Mme Valérie Létard, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste. – Mmes Claudine Thomas et Anne Chain-Larché applaudissent également.)

Mme Valérie Létard. Ma question s’adresse à Mme la ministre des solidarités et de la santé, Agnès Buzyn, et à son secrétaire d’État, M. Adrien Taquet.

Le protoxyde d’azote est devenu le troisième produit psychoactif le plus consommé chez les étudiants français, selon une récente étude de la mutuelle SMEREP.

Dans nombre de villes du Nord, par exemple, le sol des espaces publics est aujourd’hui jonché de ces capsules grises de ballons éclatés, qui laissent à penser à une véritable banalisation de l’usage de ce produit par le détournement de son usage conventionnel, que ce soit par le biais de cartouches de gaz pour siphon à chantilly ou de bonbonnes médicales dédiées aux anesthésies.

Nouvelle drogue tendance et récréative, le protoxyde d’azote, gaz hilarant, fait donc fureur chez les jeunes, avec une véritable dépendance à l’effet euphorisant, et ce d’autant qu’il est en vente libre, à un coût très modique et sans restriction. Aucun visuel ou pictogramme sur l’emballage n’alerte sur les dangers d’inhalation de ce produit.

Bénéficiant d’une réputation de gaz récréatif non addictif, de drogue bon marché ayant une nocivité négligeable, ce produit a donc tout pour plaire !

Pourtant, ses dangers sont bien réels. Le protoxyde d’azote n’étant pas métabolisé par l’organisme, ses utilisateurs se sentent souvent parfaitement normaux dans les deux minutes suivant l’inhalation, ce qui les conduit à poursuivre leur consommation. Mais vertiges, maux de tête, vision floue, malaises, crise de panique, problèmes cardiaques peuvent survenir.

La consommation excessive de ce produit a des effets graves sur la santé. Elle a déjà fait de nombreuses victimes en Grande-Bretagne puisque, entre 2006 et 2012, 17 personnes en sont décédées, et 2 cas sont déjà connus en France.

L’Observatoire français des drogues et des toxicomanies souligne que l’utilisation prolongée du protoxyde d’azote à des doses élevées peut avoir des effets graves et engendrer des séquelles pour la moelle osseuse et le système nerveux, entraînant des risques de troubles respiratoires.

M. le président. Votre question !

Mme Valérie Létard. Cela nécessite, madame la ministre, que nous prenions très rapidement des dispositions. Quelles sont-elles ? Que comptez-vous faire ? Des questions et des propositions de loi sont actuellement déposées au Parlement, que ce soit à l’Assemblée nationale ou au Sénat. Allez-vous agir ? (Applaudissements sur des travées du groupe Union Centriste et sur quelques travées du groupe Les Républicains. – Mme Patricia Schillinger applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé.

M. Adrien Taquet, secrétaire dÉtat auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Permettez-moi de vous répondre, madame la sénatrice, car, bien que nous faisant le plaisir de sa présence, Mme la ministre des solidarités et de la santé est aujourd’hui aphone. (Exclamations.)

Je vous remercie de votre question. Nous avons bien connaissance et conscience des problèmes sanitaires qui se posent dans votre territoire depuis plusieurs mois, du fait de l’utilisation de ces produits, et je comprends votre malaise et, parfois, votre sentiment d’impuissance.

Le protoxyde d’azote, vous l’avez rappelé, est un gaz à usage médical, employé, par exemple, pour les anesthésies, mais aussi à usage commercial, notamment dans les bombes à chantilly. Pour sa finalité médicale, il est déjà soumis à la réglementation des produits stupéfiants. Pour son usage commercial d’aérosol, la réglementation est celle des produits de consommation courante.

Compte tenu de l’usage détourné de ces produits de consommation courante, il nous apparaît vain de chercher à modifier la loi, pour chacun d’entre eux, afin de mettre un terme à ces pratiques. Seules des approches de prévention globale auprès des jeunes pourront, nous semble-t-il, porter leurs fruits, même si, et nous le reconnaissons, nous ne pourrons prétendre à éradiquer complètement certaines pratiques de nos jeunes.

Sur l’interdiction de vente aux mineurs, qui pourrait être une autre solution, nous comprenons le souhait partagé par plusieurs parlementaires d’y avoir recours. Malheureusement, cette solution nous paraît assez peu efficace. Tout d’abord, c’est l’inhalation d’un produit n’ayant pas cette finalité qui pose problème, et non le produit lui-même. Par ailleurs, les intoxications graves ne se limitent pas aux seuls mineurs ; elles concernent aussi – vous le savez, car je pense que c’est le cas dans votre territoire – les jeunes adultes et les étudiants. Enfin, les interdictions de vente aux mineurs s’avèrent insuffisamment respectées.

En définitive, la meilleure chose à faire est probablement de mieux communiquer sur les usages et les pratiques à risques auprès des jeunes. C’est tout l’enjeu de l’accroissement de la prévention, et ce dès le plus jeune âge, et vous savez à quel point la prévention est au cœur de la politique de ce ministère.

Soyez convaincue que nous sommes pleinement engagés pour lutter à vos côtés, aux côtés de tous les élus locaux contre ce phénomène. Nous devons mettre en œuvre les actions les plus pertinentes, et ces actions passent sûrement, en priorité, par l’école, par les universités, par les acteurs en proximité des jeunes et aussi, peut-être, par les étudiants du service sanitaire – ils sont 47 000 depuis cette rentrée à agir auprès de nos jeunes.