Mme la présidente. La parole est à Mme Frédérique Espagnac. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme Frédérique Espagnac. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission spéciale, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, lorsqu’un gouvernement a l’ambition de « relever un défi majeur, celui de la croissance des entreprises, pour renouer avec l’esprit de conquête économique », on ne peut que saluer cette volonté. On se dit même que l’on va enfin pouvoir débattre de la place de l’entreprise française dans l’économie nationale et mondiale.
Force est de constater que ce texte arrive très tard, vous l’avez dit vous-même, monsieur le ministre. On peut imaginer que, s’il avait été voté il y a quelques mois, il vous aurait permis d’acquérir, par exemple, des outils pour contrer plus tôt la décision de Ford à Blanquefort.
Aujourd’hui, il arrive finalement presque trop tôt, puisqu’il ne permettra pas de prendre en compte les propositions qui émergeront du débat national qui commence.
Monsieur le ministre, vous avez indiqué hier que vous souhaitiez « construire un capitalisme nouveau, capable de lutter contre les inégalités, et mettre fin à des excès qui ont compromis son succès et son efficacité. »
Après avoir lu, étudié et décortiqué ce texte, mes trois co-chefs de file – Bernard Lalande, Martial Bourquin et Jean-Louis Tourenne – et moi-même avons constaté que celui-ci était davantage dans le registre du « dénouer » que dans celui du « renouer », du « défaire » plutôt que du « faire », du « démantèlement » plutôt que de la vision d’un État stratège.
Selon nous, un système économique ne peut s’affranchir de la justice sociale, ni même d’une équitable répartition des richesses entre le patron, l’ouvrier et la puissance publique. L’État a un rôle à jouer en donnant les outils nécessaires pour que les entrepreneurs se sentent libres et en sécurité de créer et/ou d’investir dans une TPE-PME et que les salariés obtiennent une juste reconnaissance de leur activité, par le biais d’un salaire décent ou d’une association à la prise de décision.
Pourtant, ce texte dit « PACTE » m’interpelle sur le manque de vision de l’État dans cette période. Un texte de loi ne saurait, certes, régler tous les problèmes ; pour autant, celui qui nous est soumis ne donne pas l’impression d’aborder les réelles questions qui traversent notre société du XXIe siècle et qui façonneront les années à venir : quel projet économique voulons-nous pour notre société demain ? Quel lien dresser entre la société et l’appareil productif ? Comment est associée et valorisée la force de production du salarié dans le cadre de ce développement économique ? Quels outils de développement économique apporter à l’économie de proximité ?
Aujourd’hui, le débat s’attache principalement à la financiarisation des entreprises plutôt qu’à leur capacité d’innovation et d’investissement, comme il y a maintenant trente ans. Nous considérons pourtant que c’est cette dernière qui permet de créer de la valeur économique.
Ce projet de loi PACTE, qui devait être un des textes majeurs de ce quinquennat, apparaît comme un ensemble de dispositions très éparses, peut-être parce que, précisément, la vision qui sous-tend ses ambitions économiques n’est pas claire.
Les 200 articles, ou presque, qui le composent revêtent une importance inégale. Les grandes entreprises sont considérées, quand les tissus économiques locaux et régionaux de notre pays sont abîmés. La pérennité de l’État stratège est mise à mal. Que devient notre rôle dans la fixation du cap économique à donner à la France ?
Les obligations des entreprises, très souvent appelées, sans doute parfois à tort, « contraintes », sont largement allégées, alors que la prise en compte du salarié est timidement accrue.
Je voudrais revenir sur certaines dispositions du texte qui témoignent du sophisme induit par un terme que vous utilisez souvent : « liberté ».
Est-ce redonner de la liberté aux entrepreneurs que de leur supprimer le stage de préparation à l’installation, lorsque l’on sait que, si la France crée beaucoup d’entreprises, peu nombreuses sont celles qui passent le cap de la première année d’existence ? Est-ce aider nos TPE et nos PME que de vider les CCI de leur mission de service public plutôt que de leur suggérer des plans de restructuration et des outils de développement en matière d’export, peut-être avec le concours de Business France et de Bpifrance ?
Pensez-vous que, au regard de l’actualité et de la demande urgente de formation, d’accompagnement et d’emploi au plus près des territoires que les citoyens ont exprimée, il soit pertinent de mutualiser les moyens accordés aux CCI, dont on sait que les premières à disparaître seront celles des territoires ruraux ?
Est-ce aider les petits entrepreneurs que de relever le seuil de certification des comptes ? On augmente le risque que ceux-ci se trouvent en irrégularité, alors que l’on sait que ce sont eux qui ont le plus besoin de l’appui de l’État pour effectuer les démarches administratives, car ils n’ont pas les moyens financiers de payer quelqu’un pour le faire ; alors que l’on sait, également, que les territoires ruraux ou d’outre-mer sont ceux dans lesquels on trouve le plus grand nombre de TPE et de PME qui maillent le territoire.
Tout cela correspond non pas à la définition de « libérer », mais plutôt à celle de « libéraliser », ce qui revient à demander aux Françaises et aux Français qui souhaitent devenir entrepreneurs de construire une maison sans outils ni matériaux.
Le projet de loi PACTE passe à côté de l’objectif affiché de mieux partager la valeur dans les entreprises. Au-delà de l’épargne salariale, les vrais enjeux résident dans les écarts de rémunération, dans le partage entre dividendes et salaires ainsi que dans la participation des salariés à la vie et aux décisions de l’entreprise. Ces points sont pourtant totalement oubliés du texte gouvernemental.
À l’heure où le mouvement des « gilets jaunes » a rappelé au Gouvernement les attentes des Français en matière de justice sociale et de lutte contre les inégalités, nous regrettons l’absence de propositions du Gouvernement sur ces questions.
Le groupe socialiste, au travers de ses amendements, présente un dispositif global comprenant un rééquilibrage entre dividendes et salaires au profit des travailleurs ainsi que des mesures sur les écarts de salaires et sur la démocratisation des entreprises. C’est indispensable pour atteindre l’objectif de partager la valeur et de rendre les entreprises plus justes. C’est ainsi seulement que l’on repensera véritablement leur place dans la société. Nous proposons une vraie implication des salariés dans la vie et dans la gestion des entreprises.
En outre, nous entendons protéger les entreprises contre les dérives de la financiarisation de l’économie, en faisant primer l’emploi et le long terme sur le cours de la bourse, en leur interdisant de s’endetter pour verser des dividendes aux actionnaires – comme le fit l’entreprise privatisée GRDF en 2017, en offrant 1 milliard d’euros de dividendes pour un résultat de 150 millions d’euros –, en leur interdisant de prévoir des dividendes en cas de licenciements – pendant que GRDF trouvait des milliards pour les actionnaires, 10 000 de ses emplois ont été supprimés en trois ans.
En France, l’écart entre les plus hautes rémunérations et le salaire moyen est de 1 à 77, quand, dans les pays scandinaves, il ne peut pas dépasser 1 à 20. Une telle amplitude est de moins en moins admise et nous proposons d’agir de manière volontariste sur ce sujet et sur le traitement des plus hauts dirigeants, grâce, notamment, à une fiscalisation significative des rémunérations différées que sont les parachutes dorés et les stock-options.
Dans la dernière partie de mon propos, je m’attacherai à questionner sérieusement la politique de privatisation que souhaite engager l’État via ce projet de loi, que nous jugeons irresponsable.
À cette heure, nous ne disposons d’aucune donnée claire ni d’information sérieuse quant aux conditions de cette privatisation. La privatisation d’entreprises stratégiques et rentables, telles qu’Engie, la Française des jeux et Aéroports de Paris, ainsi que leur alignement sur le modèle privé, se fera au détriment des recettes de l’État, affaiblira le service public offert à nos concitoyens et se traduira, pour ces derniers, par une baisse de pouvoir d’achat.
Les privatisations engagées voilà une quinzaine d’années dans le domaine autoroutier attestent avec une grande clarté des résultats obtenus : ceux-ci sont négatifs, puisqu’ils coûtent à l’État aujourd’hui 1,5 milliard d’euros de dividendes par an ; c’est énorme ! Les sénateurs socialistes affirment avec force que le secteur public n’est pas moins performant que le secteur privé, bien au contraire. Vous devez ainsi garder en main les outils de structuration de la politique économique et, plus encore, renforcer des filières stratégiques, qui sont la garantie de l’indépendance de notre pays.
ADP est peut-être l’entreprise la plus stratégique pour l’État, qui en détient 50,6 % des parts. Elle constitue un service public national au sens constitutionnel ; il serait donc souhaitable qu’elle demeure une propriété de la collectivité. En outre, elle a rapporté 258 millions d’euros de dividendes en 2016 au budget de l’État.
Brader ADP reviendrait donc à sacrifier notre politique d’aménagement du territoire et des mobilités sur l’autel d’un fonds de liquidités qui sera écoulé en trois ou quatre ans. Une telle décision ne reflète pas la vision d’un État stratège, alors que la Chine, elle, lance son plan « Made in China 2025 » pour le renforcement stratégique de ses filières, notamment en matière d’infrastructures de transport. Face à cela, notre décision, c’est de vendre !
Cela mettrait également la France dans une situation inédite : en Europe comme dans le reste du monde, à l’exception de l’Australie, les États sont au capital de leurs sociétés d’aéroports, sans doute parce qu’ils y voient un intérêt économique, politique et stratégique. Sommes-nous plus visionnaires que les autres ? En aucun cas !
La situation de l’aéroport de Toulouse ne vous aura pas échappé et le rapport de la Cour des comptes qui « tacle » sa privatisation devrait, plus que jamais, vous alerter : pas d’investissements, contrairement à ce qui avait été promis, un pillage des réserves et, maintenant, une vente en perspective, avec une plus-value de 192 millions d’euros pour le consortium chinois acquéreur. Voilà un bel exemple de spéculation financière sur des outils de mobilité stratégiques pour notre pays !
Monsieur le ministre, vous disiez il y a quelques minutes que certains d’entre nous faisaient peur aux Français. Dans un entretien à La Dépêche du 4 décembre 2014, on retrouve ces propos dans une autre bouche, au sujet de l’aéroport de Toulouse : « Je tiens à préciser qu’il ne s’agit pas d’une privatisation, mais bien d’une ouverture de capital […] On ne vend pas l’aéroport, on ne vend pas les pistes ni les bâtiments, qui restent propriété de l’État. » C’est mot pour mot ce que vous venez de dire ! « Nous avons cédé cette participation pour un montant de 308 millions d’euros. » Plus loin, le même ajoute : « Celles et ceux, que j’ai pu entendre, qui s’indignent de cette cession minoritaire de la société de gestion de l’aéroport de Toulouse ont pour profession, d’une part, d’invectiver le Gouvernement et, d’autre part, d’inquiéter les Français. »
Non, monsieur le ministre, nous ne sommes pas là pour inquiéter les Français, nous entendons défendre leurs intérêts.
Air France pâtira également de cette privatisation, ainsi que son président nous l’a confirmé. De ce fait, il vous alerte et il serait de bon ton de l’entendre.
S’agissant de la Française des jeux, nous connaissons tous les risques liés aux addictions et leur nécessaire régulation par l’État. Les jeux ne sont pas des marchandises comme les autres et cette privatisation serait, là encore, une erreur. Nous connaissons en outre tous, ici, le rôle que joue cette entreprise dans le financement du sport dans nos territoires, par le biais du Centre national pour le développement du sport, le CNDS. Un désengagement serait catastrophique pour nos territoires.
Enfin, concernant la privatisation d’Engie, outre le risque de recul en matière de sécurité de l’approvisionnement énergétique de la France, une telle orientation se traduira par un renchérissement probable du prix de l’électricité et du gaz pour nos concitoyens.
Pour ces raisons, les sénateurs socialistes s’opposeront à ces privatisations ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty.
M. Jean-Marc Gabouty. Monsieur le ministre, vous présentez le projet de loi PACTE comme « un nouveau modèle économique ». C’est ambitieux, mais cette définition est peut-être un peu excessive : s’il s’agit incontestablement d’un texte intéressant, dont on ne peut qu’approuver les orientations générales, il contient cependant des dispositions assez disparates, allant de la suppression du stage à l’installation des artisans à la privatisation de trois grands groupes publics, en passant par la possibilité de définir une « raison d’être » de l’entreprise.
Je qualifierais plutôt ce texte d’étape importante dans l’adaptation à la transformation de notre économie. Il met en place des conditions favorables à la création et au développement des entreprises et essaie de mieux associer les salariés à cette démarche.
La simplification, la réduction des délais, l’allégement des contraintes et la dématérialisation y sont très souvent mis en avant. Attention, toutefois : entre les mots et la réalité concrète de la vie de l’entreprise, il y a parfois des écarts qui, lorsqu’ils sont trop flagrants, peuvent provoquer des frustrations et des déceptions. Il arrive que la complexification coure plus vite que la simplification !
Sauf à faire un examen exhaustif des différentes mesures, je vais rapidement évoquer celles qui me paraissent les plus satisfaisantes, celles qui mériteraient d’être améliorées ou enrichies et celles, enfin, qui ne nous ont pas convaincus.
Parmi les satisfactions, il y a, bien entendu, la simplification des procédures de création, de transmission et de reprise d’entreprise. Une anecdote à ce sujet : j’étais hier matin dans une PME de mon département qui a fait l’objet d’une transmission familiale. Le fondateur, qui est toujours le principal actionnaire, se trouvait dans l’entreprise et apportait son concours à son fils dans différentes tâches. Il y a peu, il est redevenu directeur général, parce qu’un contrôle lui avait fait remarquer qu’il se trouvait en situation de travail dissimulé. Pour éviter la sanction, il a donc fallu le nommer de nouveau à des fonctions dans l’entreprise. Vous voyez, monsieur le ministre, qu’il y a encore des terrains à explorer en matière de simplification !
Il y a, aussi, la rationalisation du nombre de seuils existants, en privilégiant les seuils de 11, 50 et 250 salariés – nous parlerons plus tard du seuil de 100 –, ainsi que les souplesses importantes introduites en termes de franchissement desdits seuils.
Il y a, encore, l’allégement de certaines contraintes pour les PME : relèvement du seuil d’obligation de certification des comptes ; augmentation du nombre d’administrateurs salariés dans les conseils d’administration ou de surveillance ; réforme de l’épargne, avec notamment la promotion du PEA-PME et un meilleur fléchage de l’assurance vie en direction de l’actionnariat, donc des entreprises ; protection des entreprises stratégiques, avec le renforcement de la procédure d’autorisation préalable d’investissement.
Il y a, enfin, la suppression du forfait social sur l’intéressement pour les entreprises de moins de 250 salariés et sur la participation pour les entreprises de moins de 50 salariés.
Sur ce dernier point, monsieur le ministre, je vous ferai une proposition, ainsi que nous en avons déjà parlé, consistant à étendre le champ d’application obligatoire de l’intéressement à toutes les entreprises à partir de 11 salariés, dès lors qu’elles n’ont pas institué de participation. C’est dans l’intérêt des entreprises, en termes de motivation du personnel, comme dans celui des salariés, dans l’optique d’une meilleure répartition des richesses et d’une amélioration du pouvoir d’achat. Dans le contexte actuel, cette disposition ne pourrait que contribuer à crédibiliser la démarche du Gouvernement dans le cadre du grand débat national. Ne laissez pas passer cette opportunité !
Parmi les sujets qui soulèvent certaines difficultés, il y a, bien entendu, la restructuration des réseaux consulaires. Si nous sommes favorables à des contraintes de mutualisation, nous ne sommes pas pour autant convaincus par la régionalisation des chambres de métiers, qui se traduira nécessairement, à terme, par une nouvelle perte de proximité pour les structures départementales.
Par ailleurs, le stage d’accompagnement à l’installation, à condition de le cibler strictement sur les aspects relatifs à la gestion, mérite d’être maintenu pour les candidats n’ayant aucune notion dans ce domaine ; les autres en sont déjà exonérés. Sa suppression offre, certes, un affichage de simplification, mais elle ne rendrait pas service aux artisans.
Je m’interroge également sur l’absence dans ce texte de propositions d’amélioration significative du droit des sociétés ou encore de solutions aux freins existants pour les entreprises dans l’accès au crédit, qui n’est traité que par le biais de la commande publique – de manière positive, d’ailleurs – et de l’orientation des capitaux, ce qui, en pratique, ne répond pas totalement aux besoins exprimés par les PME pour financer leurs investissements et leur fonds de roulement. Le secteur bancaire, qui n’est pratiquement pas évoqué en dehors de la Caisse des dépôts et de La Poste, demeure extrêmement frileux dans ce domaine.
Nous nous interrogeons également sur les conditions de privatisation de trois grands groupes et sur le contrôle que l’État doit conserver sur la mise en œuvre des missions dont ceux-ci ont la charge.
Si la destination de ces cessions de participations publiques permet la constitution d’un fonds pour l’innovation et l’industrie – une excellente utilisation ! –, on ne peut cependant réprimer certaines craintes au vu des expériences passées, comme celle des sociétés d’autoroutes ou encore de l’aéroport de Toulouse-Blagnac, au sujet desquelles on a bien constaté que les plus-values potentielles d’exploitation étaient plus facilement captées par les opérateurs privés, bien meilleurs que l’État dans ce domaine.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Eh oui !
M. Jean-Marc Gabouty. Pour être complet, j’ajouterai quelques mots sur l’aspiration à placer la responsabilité sociale de l’entreprise au cœur de sa stratégie et à consacrer ce concept de manière presque philosophique en donnant la possibilité d’introduire dans les statuts la notion même de « raison d’être de l’entreprise ». En tant que créateur et chef d’entreprise durant plusieurs décennies, je vous avoue que cette approche me laisse perplexe. Je ne doute cependant pas qu’un certain nombre de groupes pourraient s’emparer de ce concept dans un objectif de marketing sociétal, sans pour autant se soucier que leurs démarches dans d’autres domaines soient aussi vertueuses.
En conclusion, le groupe du RDSE émettra un avis très majoritairement favorable sur ce texte, en espérant que des améliorations puissent intervenir au cours de l’examen que nous engageons ce jour. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Adnot.
M. Philippe Adnot. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission spéciale, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, je souhaite en premier lieu remercier le Gouvernement d’avoir mis ce texte à l’ordre du jour. Il m’arrive parfois d’être assez critique, mais il n’y a pas de raison de l’être systématiquement !
Bien sûr, on peut regretter que ce texte contienne des propositions assez disparates qui nuisent à la cohérence de l’ensemble ; on peut regretter que la privatisation d’ADP ou de la Française des jeux n’ait pas fait l’objet d’un texte séparé ; mais nous devons nous réjouir de l’occasion qui nous est donnée de pouvoir enfin légiférer sur les effets de seuil et autres simplifications administratives. Je dois avouer que j’approuve la position de la commission spéciale sur ce sujet. Je pourrais presque dire que ce projet de loi vaudrait la peine d’être voté sur ce seul point !
J’en profite pour souligner la qualité du travail accompli par la commission spéciale sous votre autorité, madame la présidente, ainsi que le travail précis des rapporteurs et de l’administration du Sénat.
Comme aurait dit un autre orateur, ne disposant que de 180 secondes, je ne traiterai donc pas de tous les sujets.
J’ai parfois quelques désaccords sur certains aspects de ce texte, et j’aurai l’occasion de présenter des amendements en espérant que vous serez sensible à mes arguments. J’évoquerai surtout l’article 42 bis. Je considère qu’un amendement de suppression de l’article n’est pas bienvenu, car son adoption remettrait en cause notre capacité à aider les start-up et les jeunes entreprises à ne pas être étouffées sous la masse des dépôts de brevets effectués par les grands groupes. J’y reviendrai.
Je suis globalement d’accord avec le texte de la commission spéciale et je voudrais indiquer au Gouvernement que, compte tenu des expériences vécues précédemment, il me paraît indispensable que l’État reste majoritaire dans ADP, ou, en tout état de cause, qu’il conserve une capacité d’intervention très forte. Les privatisations doivent être envisagées sous l’angle d’un meilleur fonctionnement ou d’un désendettement, sinon elles ne sont que des remèdes à court terme.
J’ai bien entendu vos explications, monsieur le ministre. Elles me montrent que je n’ai peut-être pas fait le tour de la question et que celle-ci mérite d’y réfléchir encore. Mais je souhaite que l’on tienne compte de l’expérience acquise avec la privatisation des autoroutes. En outre, les innovations sont déjà prises en compte dans le grand emprunt et des fonds extrêmement importants consacrés à ce sujet ne sont pas encore consommés. Ce point mérite donc peut-être une réflexion complémentaire.
Je remercie une fois encore le Gouvernement de nous permettre d’aborder tous ces sujets importants. J’espère simplement avoir l’occasion de le remercier également après qu’il aura accepté les propositions que le Sénat va lui faire ! (Sourires. – Mmes Françoise Gatel, Brigitte Lherbier et Sonia de la Provôté applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à M. Emmanuel Capus.
M. Emmanuel Capus. Madame la présidente, madame la présidente de la commission spéciale, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui le projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises. Il s’agit d’un texte important, décisif, même, pour le projet politique porté par le Gouvernement et le Président de la République, conformément au souhait exprimé par les Français voilà maintenant dix-huit mois.
Le Gouvernement a fait le choix d’une procédure accélérée pour l’examen de ce projet. Cette décision, toujours dommageable pour la qualité de nos débats, répond à l’impatience de nos concitoyens de voir levés nombre des obstacles qui brident leur volonté d’entreprendre.
Le Gouvernement, qui avait annoncé l’élaboration du projet de loi dès les premiers mois du quinquennat, a aussi fait le choix de consulter assez largement en amont pour coconstruire le texte avec la société civile, afin de dresser un diagnostic aussi complet que possible de ces obstacles et d’y apporter des réponses pragmatiques.
Cette méthode ne me semble pas la moins bien adaptée face à l’ampleur de l’enjeu. Elle a cependant aussi ses inconvénients : le texte contient de très nombreuses mesures, au risque de l’éparpillement, voire, parfois, de la confusion.
Le groupe Les Indépendants veillera autant que faire se peut à ce que le projet conserve une cohérence conforme à son ambition initiale : faire grandir les entreprises et mieux partager la valeur.
Ce texte va très clairement dans le bon sens. En levant les freins à la création d’entreprise, il favorise la liberté d’entreprendre qui se trouve au fondement de nos valeurs. Nous soutiendrons donc les mesures qui facilitent la prise d’initiative, comme la simplification et l’harmonisation des seuils d’effectifs ou la création du guichet unique pour les entrepreneurs.
Lever ces freins à l’initiative individuelle contribuera à rendre notre économie plus inclusive, mais cela ne suffira pas : il faut également travailler à aligner les intérêts des salariés sur ceux de l’entreprise. C’est pourquoi nous soutiendrons également la suppression partielle du forfait social sur la participation et l’intéressement. Nous proposons même d’aller plus loin, en étendant cette mesure aux ETI qui concluent des accords de participation au-delà de leur obligation légale. Cela emporterait des effets concrets pour les PME et les ETI qui investissent et créent des emplois au cœur de nos territoires.
Pour changer la place de l’entreprise dans notre société, nous croyons davantage à ce type de mesures concrètes et pragmatiques qu’aux grandes déclarations de principes. À cet égard, nous ne vous cachons pas notre réserve à l’égard de la modification de l’objet social de l’entreprise, qui risque de constituer une atteinte à la liberté d’entreprendre et, surtout, une source d’insécurité juridique permanente.
Mes chers collègues, gardons à l’esprit un principe : la transformation de notre économie ne se décrète pas, elle échoit aux entreprises qui se développent. Tâchons de mettre à leur disposition les bons outils pour accélérer leur croissance. C’est ainsi qu’elles continueront d’investir et d’innover pour se transformer et s’adapter aux évolutions de l’économie, c’est ainsi qu’elles inventeront un nouveau modèle d’entreprise qui façonnera l’avenir d’un capitalisme plus humain.
Un chapitre entier du projet de loi est consacré aux entreprises plus innovantes ; en son sein, un volet important porte sur la seule question du financement. Dans ce domaine aussi, des actions très concrètes devraient permettre de rendre notre environnement réglementaire plus attractif pour les entrepreneurs qui innovent en France.
Le Gouvernement a d’ailleurs fait le choix de se désengager du capital de certaines entreprises pour contribuer au financement de l’innovation. Je ne partage pas un certain nombre de critiques caricaturant cette démarche. Celle-ci, en effet, conforte l’État dans ses rôles régaliens et dans son rôle de soutien à la transformation, plutôt que de gestion.
Il nous semble que la question est : qu’est-ce qui relève du régalien et qu’est-ce qui n’en relève pas ? Puis, pour ce qui ne relève pas du régalien : est-ce mieux géré par le secteur privé ou par l’État ?
Mme Éliane Assassi. C’est un peu court…
M. Emmanuel Capus. À cet égard, monsieur le ministre, je partage votre opinion selon laquelle les boutiques de luxe des aéroports n’ont pas à être gérées par l’État, dont ce n’est pas le métier.