M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je commencerai par remercier les orateurs qui se sont succédé à cette tribune. Je veux saluer le ton et la très bonne qualité de leurs interventions, sans me faire nullement juge de ce qui a été dit par chacun. J’ai indiqué aux présidents des formations politiques que j’ai reçus lundi dernier à Matignon que je souhaitais l’organisation d’un tel débat à l’Assemblée nationale, où il a eu lieu hier et a été suivi d’un vote, et au Sénat.
Je le souhaitais parce que, dans un moment politique intense, il est indispensable que le débat politique soit organisé à l’Assemblée nationale et au Sénat, que les échanges d’arguments, les mises en cause et les défenses éventuelles aient lieu au Parlement. Je salue donc encore une fois, très sincèrement, le ton et le talent des orateurs qui se sont exprimés.
Plusieurs d’entre vous ont procédé à une mise en perspective internationale, qui montre que cette crise n’est pas seulement française, même si je ne m’exonère d’aucune responsabilité quant à la recherche de sa solution. Il y a quelque chose de saisissant à constater que les crises sociales ou politiques actuelles interviennent environ une dizaine d’années après la crise financière qui a très profondément secoué nos économies et nos systèmes occidentaux.
Comment ne pas voir aussi dans cette crise une forme de « réplique », comparable à celle qui a été vécue en Italie, et qui n’est pas sans lien avec celle qu’ont connue les États-Unis, même si elle s’exprime différemment, car les génies nationaux sont ce qu’ils sont, et c’est heureux !
Je retiens aussi l’invitation à procéder à des réformes structurelles. Bien entendu, vos propositions de réformes ne sont pas toujours convergentes ; c’est normal. En tout état de cause, je veux voir dans cette invitation à des réformes structurelles autre chose que l’appel à un petit réglage fin visant à faire disparaître un problème au jour le jour.
Je ne crois pas une seconde qu’il faille s’exonérer de ses responsabilités en rejetant toute la faute sur le passé, et je ne le fais pas. Je tiens cependant à dire que de telles réformes structurelles ne sont pas intervenues dans notre pays depuis fort longtemps ; vous êtes d’ailleurs nombreux à l’avoir rappelé. Plus exactement, elles sont intervenues dans certains domaines, mais elles n’ont pas permis de régler l’ensemble des problèmes posés à notre pays.
Je voudrais en prendre un exemple que chacun connaît ici et qui a trait à la dette, dont plusieurs d’entre vous ont évoqué l’importance en France.
Au cours des dix dernières années, notre niveau de dette s’est considérablement accru. La dette publique s’élève à peu près à 100 % du PIB, ce qui représente de 30 à 35 points de PIB de dette en plus en dix ans. C’est absolument considérable !
Nous le savons tous ici, mesdames, messieurs les sénateurs, alors même que, pendant ces dix années, notre dette publique augmentait de façon considérable, nous faisions semblant de ne pas voir que, dans plusieurs domaines de l’action publique, nous étions en train d’accumuler une dette qui serait un jour requalifiée en dette publique. Nous préférions, par pudeur peut-être, par prudence aussi et, disons-le, parfois par lâcheté, ne pas la voir.
Songez que, pendant bien plus de dix ans, nous avons demandé à Réseau ferré de France et à la SNCF de s’endetter dans des conditions qu’aucune entreprise n’aurait pu supporter, parce que nous savions que, derrière, il y avait l’État, et que donc, ultimement, cette dette qui juridiquement n’était pas une dette de l’État en était bien une en réalité.
Qui peut dire que ce choix a été fait inconsciemment ? Il a été fait et répété, collectivement, par des gouvernements et des majorités successifs. En conséquence, lorsque nous avons voulu réformer la SNCF, nous avons assumé le fait que cette dette ne pourrait pas être financée dans des conditions normales par la SNCF et qu’il fallait donc la reprendre. Une partie de l’augmentation de la dette publique viendra, il est vrai, de cette reprise, et peut-être certains d’entre vous en feront-ils reproche au Gouvernement…
La vérité, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est qu’en ce domaine, et depuis trop longtemps, nous n’avons pas été à la hauteur des enjeux. Je le dis sans accuser personne, car je ne sais pas ce que j’aurais fait si j’avais été aux responsabilités à cette époque. Mais le dire, c’est aussi, je crois, faire œuvre de lucidité, comme je m’y invitais moi-même précédemment.
Je retiens de vos interventions l’appel ferme à la concertation et à l’exécution des mesures, le soutien unanime aux forces de l’ordre et l’invitation à la fermeté, le souci de la préservation de la sécurité des personnes, qui est une doctrine constante dans l’emploi des forces de l’ordre. Je retiens aussi le souci d’apaisement et l’appel à la responsabilité formulé sur toutes vos travées.
Je ne m’exonère, je l’ai dit, d’aucune responsabilité, d’abord parce que, pour le dire trivialement, ce n’est pas le genre de la maison, ensuite parce que ce n’est de toute façon pas possible lorsque l’on est Premier ministre.
J’essaie de m’exprimer avec calme et nuance, en ne cherchant jamais à simplifier ou à caricaturer, ce qui, selon les canons du débat public actuel, n’est pas toujours spectaculaire, il faut bien le reconnaître
Je n’ai jamais hésité à assumer des mesures que je savais impopulaires mais que je croyais bonnes. On a le droit de ne pas être d’accord avec ces mesures, mais assumer des mesures que l’on sait impopulaires a, me semble-t-il, une vertu démocratique.
Le président Marseille m’a interrogé sur notre ligne. Je crois avoir dit dans mon propos introductif combien le Gouvernement s’estimait tenu par les engagements pris par le Président de la République devant les Français et par les parlementaires de la majorité au moment des élections législatives. Notre objectif est de tenir le cap qui a été fixé à la majorité et au Gouvernement, en composant avec la réalité et en améliorant s’il le faut un certain nombre de mesures, mais sans renoncer à l’équilibre des finances publiques.
Les conditions du débat sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale et le projet de loi de finances permettront d’avancer dans cette voie. Beaucoup de mesures ont été proposées ici. Parfois, on dépense beaucoup d’argent public en peu de mots ! Mais, souvent, on peine à déterminer où trouver les ressources qu’il conviendrait de mettre en face de ces mots…
Nous devrons donc veiller collectivement à assurer l’équilibre des finances publiques, pour éviter que la dette n’explose et que nous continuions à reporter sur les gouvernements, les majorités, les générations qui nous suivront une charge dont nul, in fine, ne pourra s’exonérer.
Mesdames, messieurs les sénateurs, apaisement, débat, appel à la responsabilité et détermination à assurer la sécurité des Français : tel est le sens des mesures que j’ai annoncées et de la déclaration que j’ai faite. Je vous remercie très sincèrement de la qualité de ce débat. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et sur quelques travées du groupe Les Républicains. – MM. Hervé Marseille, Bernard Delcros et Jean-Michel Houllegatte applaudissent également.)
M. le président. Merci, monsieur le Premier ministre.
Nous en avons terminé avec le débat sur la déclaration du Gouvernement.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures trente, est reprise à seize heures quarante-cinq, sous la présidence de Mme Hélène Conway-Mouret.)
PRÉSIDENCE DE Mme Hélène Conway-Mouret
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
4
Loi de finances pour 2019
Suite de la discussion d’un projet de loi
Mme la présidente. Nous reprenons la discussion du projet de loi de finances pour 2019, adopté par l’Assemblée nationale.
Nous poursuivons l’examen, au sein de la seconde partie du projet de loi de finances, des crédits de la mission « Santé » (et articles 81 quater et 81 quinquies).
SECONDE PARTIE (suite)
MOYENS DES POLITIQUES PUBLIQUES ET DISPOSITIONS SPÉCIALES
Santé (suite)
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des affaires sociales, madame, monsieur les rapporteurs, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, après ce moment très dense, républicain, nous reprenons l’examen des crédits de la mission « Santé » inscrits au projet de loi de finances pour 2019.
Ce budget s’inscrit dans la continuité de celui de 2018 en ce qui concerne la structuration de la mission et le montant des crédits alloués.
Ces derniers sont en augmentation de 3,5 % et atteindront plus de 1,4 milliard d’euros en 2019. Ils ne représentent toutefois, vous le savez, qu’une petite partie des financements que les pouvoirs publics consacrent à la politique de santé et qui sont, pour l’essentiel, discutés dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Il m’apparaît donc nécessaire de conserver à l’esprit, lors de l’examen de ces crédits, le champ plus vaste dans lequel ils s’inscrivent.
Je commencerai par évoquer le programme 204, consacré à la prévention, à la sécurité sanitaire et à l’offre de soins.
Les grandes masses de ce programme, doté de près de 500 millions d’euros, sont relativement stables. Plus des deux tiers des crédits sont consacrés aux quatre agences sanitaires financées par ce budget, c’est-à-dire l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, l’ANSM, l’Agence nationale de santé publique, l’ANSP, l’Institut national du cancer, l’INCa, et l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, l’ANSES.
Ces crédits progressent en 2019 de 2,4 millions d’euros, ce qui permet de consolider les moyens de ces quatre structures.
Le périmètre des opérateurs concernés n’a pas évolué, la loi de finances de 2018 ayant mis en œuvre les dernières opérations de décroisement des crédits de l’État et de l’assurance maladie, avec le transfert à l’assurance maladie des dotations de l’Agence de la biomédecine et de l’École des hautes études en santé publique.
J’ai senti une certaine réserve, au travers de vos propos, sur les crédits de prévention du programme 204. Ils s’élèvent à 89 millions d’euros ; en légère progression, ils sont consacrés, pour l’essentiel, à la dotation de l’Agence nationale de santé publique.
Il faut toutefois, pour apprécier l’évolution des moyens que nous consacrons à la prévention, considérer l’ensemble des financements disponibles, quel qu’en soit le support. On constate alors que ces moyens augmentent de façon significative. Toutes les décisions que j’ai prises vont en effet dans le sens d’une progression des crédits consacrés à la prévention.
Ainsi, les crédits du Fonds national de prévention, d’éducation et d’information sanitaire, le FNPEIS, gérés par la CNAM, vont augmenter de 20 % par rapport à la période précédente dans le cadre de la convention d’objectifs et de gestion 2018-2022, pour s’établir à 379 millions d’euros.
Les crédits du Fonds de lutte contre le tabac, alimenté par la taxe sur les distributeurs, se sont élevés à 100 millions d’euros en 2018, contre 30 millions d’euros en 2017. Ils vont maintenant couvrir d’autres addictions que le seul tabac.
Les crédits du fonds d’intervention régional, le FIR, qui porte notamment les actions de prévention menées par les agences régionales de santé, s’élevaient à 515 millions d’euros en 2017. Ils ont augmenté de 3,3 % en 2018 et augmenteront encore de 4,8 % en 2019.
Enfin, les crédits du Fonds national de prévention des accidents du travail, consacrés à des aides incitatives à la prévention pour les entreprises, vont doubler, passant de 50 millions à 100 millions d’euros dans le cadre de la convention d’objectifs et de gestion 2018-2022.
Vous l’aurez compris, tous ces crédits sont au service des priorités de la politique de prévention telles que définies dans le plan national de santé publique présenté par le Premier ministre le 26 mars dernier, que nous avons appelé « plan Priorité prévention ».
La mise en œuvre de cette politique sera soutenue par le déploiement, d’ores et déjà en cours, du service sanitaire : 47 000 étudiants consacreront ainsi une partie de leur temps de formation à des actions de prévention dans tous les milieux, notamment auprès des jeunes. C’est l’occasion à la fois d’ancrer la culture de prévention chez ces futurs professionnels de santé et de démultiplier, au plus près du terrain, l’impact de l’éducation à la santé.
Le programme 204 porte également les dépenses d’indemnisation des victimes de la dépakine. Comme vous le savez, ce dispositif d’indemnisation est conduit par l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, l’ONIAM.
Les deux instances d’expertise – le collège d’experts et le comité d’indemnisation – ont achevé de mettre en place leurs outils et méthodes de travail. Les premiers avis d’indemnisation pourront ainsi être rendus avant la fin de l’année 2018, et le nombre de décisions au bénéfice des victimes progressera de façon très significative en 2019.
Les crédits inscrits à ce budget et les reports d’un exercice sur l’autre qui interviendront à hauteur de plus de 30 millions d’euros garantiront un financement de l’ONIAM cohérent avec les demandes d’indemnisation.
Le Gouvernement soutiendra l’amendement des sénateurs du groupe La République En Marche, qui ont par ailleurs souhaité vous proposer d’améliorer le dispositif d’indemnisation en permettant le réexamen des demandes d’indemnisation ayant fait l’objet d’un rejet lorsque l’évolution des connaissances scientifiques le justifie.
Le deuxième programme de la mission, le programme 183, est consacré pour l’essentiel à l’aide médicale de l’État, l’AME.
Je suis, vous le savez, très attachée à la préservation de ce dispositif, qui est à la fois un dispositif humanitaire, conforme à nos valeurs républicaines, et un dispositif sanitaire nécessaire, répondant à un intérêt de santé publique pour tous nos concitoyens. Les crédits qui y sont consacrés augmentent ; ils s’élèveront, en ce qui concerne l’AME de droit commun, à 893 millions d’euros en 2019, en ligne avec la progression attendue des effectifs, même si, en la matière, la prévision demeure très complexe.
Il n’est pas inutile de le préciser une nouvelle fois, ces crédits servent à financer des prestations de santé dispensées, pour l’essentiel, par les hôpitaux de notre pays et permettent donc d’éviter que les établissements de santé ne supportent seuls la charge correspondante. Toute diminution de ces crédits, comme proposée par votre commission des finances à travers un amendement, se traduirait par un report de charge sur les hôpitaux.
Comme j’ai eu l’occasion de l’indiquer lors de l’examen du projet de loi de règlement de 2017, nous devons encore progresser en matière de connaissance des dépenses et des bénéficiaires de l’AME. C’est une de mes priorités. J’ai ainsi demandé à la CNAM de développer la qualité des remontées d’information. Ces données nous permettront de mieux analyser les flux et d’améliorer la prévision. La centralisation, en 2019, de l’instruction des demandes d’AME dans trois caisses – celles de Bobigny, de Paris et de Marseille – contribuera aussi à la connaissance plus fine du dispositif.
Je souhaite, pour terminer, évoquer le Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante, le FIVA, qui relève également du programme 183.
Les crédits du budget de l’État destinés à doter ce fonds sont reconduits. Cette dotation intervient au titre de l’État employeur, mais correspond également à l’exercice d’une solidarité nationale à l’égard des victimes non professionnelles, qu’elles soient environnementales ou familiales, par exemple. Il s’agit bien évidemment d’une contribution annexe pour le FIVA, lequel est financé principalement, au titre de l’exposition professionnelle, par la branche accidents du travail-maladies professionnelles de la sécurité sociale. À cet égard, le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 prévoit de doter le fonds de 260 millions d’euros, ce qui permettra de lui assurer sans difficulté un niveau prudentiel suffisant.
Tels sont, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, les principaux axes d’un budget dont vous aurez compris qu’il se caractérise par sa stabilité et la continuité des programmes qu’il soutient. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
Mme la présidente. Nous allons procéder à l’examen des crédits de la mission « Santé », figurant à l’état B.
ÉTAT B
(En euros) |
||
Mission |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
Santé |
1 420 161 592 |
1 421 461 592 |
Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins |
477 270 813 |
478 570 813 |
Dont titre 2 |
1 442 239 |
1 442 239 |
Protection maladie |
942 890 779 |
942 890 779 |
Mme la présidente. L’amendement n° II-35, présenté par M. Joyandet, au nom de la commission des finances, est ainsi libellé :
Modifier ainsi les crédits des programmes :
(En euros) |
||||
Programmes |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
||
+ |
- |
+ |
- |
|
Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins |
||||
Protection maladie |
300 000 000 |
300 000 000 |
||
TOTAL |
300 000 000 |
300 000 000 |
||
SOLDE |
- 300 000 000 |
- 300 000 000 |
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Alain Joyandet, rapporteur spécial de la commission des finances. Cet amendement vise à diminuer de 300 millions d’euros les crédits de l’aide médicale de l’État.
Nous ne sommes pas les horribles méchants qui ne veulent pas que l’on soigne les immigrés en situation irrégulière et font courir à notre pays des risques épidémiologiques, comme j’ai pu l’entendre dire.
M. Yves Daudigny. Quand même !
M. Alain Joyandet, rapporteur spécial. Il s’agit simplement d’essayer de trouver une cote mal taillée pour revenir à des inscriptions budgétaires cohérentes.
Mes chers collègues, il ne peut y avoir un programme dont l’augmentation des crédits échapperait à tout débat. Or il en est ainsi depuis 2012 pour les crédits destinés à l’AME, qui, cette année, augmentent encore de 50 millions d’euros.
Voilà seulement quelques années, l’AME était dotée de moins de 600 millions d’euros. Que je sache, les personnes concernées étaient soignées. Peut-être faisait-on simplement un peu plus attention… Présidant bénévolement depuis vingt-trois ans un hôpital départemental, je ne pense pas avoir de leçons à recevoir en matière de générosité, d’accueil ou d’humanisme. Me faire un tel procès serait injuste.
Nous sommes dans une discussion budgétaire. L’actualité le montre, un certain nombre de nos concitoyens peinent à boucler leurs fins de mois… Il ne s’agit pas d’opposer les uns aux autres, mais tout se passe comme s’il n’y avait pas de limite budgétaire pour l’AME, alors même que l’on rabote tous les ans les dotations du programme 204, consacrées aux agences nationales. (Mme la ministre le conteste.)
Mes chers collègues, nous avons hésité à proposer le rejet des crédits en raison de cette augmentation totalement démesurée. Nous avons finalement préféré présenter un amendement raisonnable, qui permettra d’assurer une aide médicale de l’État fidèle à la tradition française, tout en appelant l’attention du Gouvernement sur la nécessité d’une refonte du dispositif de l’AME.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Agnès Buzyn, ministre. Le Gouvernement est défavorable à cet amendement, mais je voudrais donner quelques éclaircissements à l’adresse de nos concitoyens, qui entendent assez souvent un tel discours, au Sénat comme à l’Assemblée nationale.
Le panier de soins couvert par l’AME est beaucoup plus restreint que celui de la CMU-C, par exemple. Contrairement à ce que j’ai entendu dire, aucun soin de confort n’est pris en charge par l’AME. En particulier, les médicaments faisant l’objet d’un remboursement à hauteur de 15 % ne sont pas pris en charge. Seuls le sont les médicaments remboursés à 30 % ou à 60 % par l’assurance maladie, c’est-à-dire les plus indispensables. Il s’agit donc du panier de soins le plus réduit de tous ceux couverts par la sécurité sociale.
J’entends l’argument selon lequel il faudrait réserver l’aide médicale de l’État aux soins les plus urgents et au traitement des pathologies les plus graves. En tant que médecin, je ne connais pas de maladie dont le traitement coûte moins cher quand le patient est soigné en urgence, après que son état clinique s’est dégradé. Si votre proposition devait être adoptée, cela aboutirait à une augmentation des dépenses, pour assurer la prise en charge de patients en réanimation, qui auront besoin de traitements plus longs, plus lourds. Cela signifierait faire fi de toute la politique de prévention des risques que nous menons. Or la prévention coûte moins cher que les soins. Médicalement, l’argument ne tient pas.
M. Alain Joyandet, rapporteur spécial. Je ne l’ai pas avancé, madame la ministre !
Mme Agnès Buzyn, ministre. Bien évidemment, je comprends votre volonté de réduire les coûts. Nous essayons de rationaliser les dépenses, de mieux connaître les bénéficiaires de l’AME, d’avoir un meilleur pilotage du dispositif. Nous avons ainsi décidé de centraliser sa gestion sur trois caisses et nous nous efforçons d’obtenir des remontées d’information très robustes, mais réserver cette enveloppe aux soins urgents reviendrait, en définitive, à augmenter le coût global pour nos hôpitaux.
Pour ces raisons, je ne peux qu’être défavorable à cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.
M. Roger Karoutchi. Bien évidemment, je voterai cet amendement.
Madame la ministre, pendant des années, j’ai été rapporteur spécial de la mission « Immigration, asile et intégration ». J’ai souvenir d’un débat en commission des finances avec Marisol Touraine, voilà maintenant cinq ans. Quand je lui ai expliqué que, au rythme où il progressait, le coût de l’AME s’approcherait du milliard d’euros à un horizon de cinq années, elle a poussé des hurlements en réponse, m’accusant d’alarmisme et m’assurant qu’elle allait prendre des mesures de rationalisation, tout en maintenant à peu près les mêmes prestations.
Finalement, il ne s’est rien passé. Les crédits ont continué d’augmenter systématiquement, tous les ans, pour les excellentes raisons que vous avez rappelées. Certes, il est préférable de soigner au fil de l’eau qu’en urgence.
Mais le vrai sujet, madame la ministre, c’est que le nombre de sans-papiers, d’étrangers en situation irrégulière augmentant, la charge de l’AME augmente de facto. D’un côté, la ministre de la santé nous dit qu’il faut bien les soigner, puisqu’ils sont présents sur notre sol ; de l’autre, le ministre de l’intérieur, interrogé sur la faiblesse du taux de reconduites à la frontière effectives et sur le nombre croissant d’immigrés en situation irrégulière, nous répond que peu de moyens sont consacrés à l’exécution des décisions de justice. La représentation nationale se trouve dès lors en quelque sorte prise en étau : en somme, il nous faut accepter que, année après année, les dépenses continuent d’augmenter à ce rythme…
Je voterai cet amendement d’appel, sans me faire aucune illusion sur le sort qui lui sera réservé à l’Assemblée nationale. Il s’agit de demander au Gouvernement de faire preuve d’un peu de cohérence. Il est bien de faire des efforts de rationalisation ; poursuivez-les.
Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Henno, pour explication de vote.
M. Olivier Henno. Monsieur le rapporteur, votre amendement est équilibré. Je n’en critique nullement le fondement. Il ne s’agit pas d’opposer les questions budgétaires aux sentiments humains.
Cela étant dit, nous sommes partagés sur ce sujet. Pour en avoir discuté avec le directeur de l’agence régionale de santé des Hauts-de-France, je dois bien admettre qu’il existe des risques d’épidémie liés à l’immigration illégale, à la concentration de clandestins dans ce que l’on a pu appeler la « jungle ».
La vraie question, ce n’est pas l’AME, mais l’immigration illégale. Je comprends bien la portée symbolique de cet amendement, mais comprenez de votre côté que l’on puisse être légitimement partagé sur ce sujet.
Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Jomier, pour explication de vote.
M. Bernard Jomier. Un amendement d’appel n’est pas fait pour être voté. (Sourires.)
M. Roger Karoutchi. Bien sûr que si ! L’Assemblée nationale le supprimera.
M. Bernard Jomier. Un amendement d’appel, c’est fait pour être discuté !
M. Roger Karoutchi. Pas du tout !
M. Bernard Jomier. Si, monsieur Karoutchi. C’en est même la définition. Cet amendement est d’autant moins destiné à être adopté que cela conduirait à une insincérité budgétaire.
M. Roger Karoutchi. Pourquoi ?
M. Bernard Jomier. Si vous voulez réduire la charge financière de l’AME, il faut revoir le contenu du panier de soins. Or, comme la ministre l’a souligné, les soins dits de confort en sont déjà exclus. Si vous restreignez le panier de soins de l’AME, nous le paierons par la suite, en termes à la fois budgétaires et de santé publique. Faites un peu confiance à la commission des affaires sociales, je vous prie ! On ne peut traiter de la question du coût budgétaire de l’AME sans discuter du périmètre des soins couverts. Ouvrons le débat sur ce point et je vous garantis que, comme vous êtes de bonne foi, vous serez convaincus.
Il n’y a pas, d’un côté, ceux qui se préoccupent seulement de santé publique, et, de l’autre, ceux qui se préoccupent uniquement de la bonne gestion de l’argent public : celle-ci nous importe tout autant qu’à vous, monsieur le rapporteur spécial. Votre amendement soulève une question tout à fait légitime, mais ce n’est pas par là qu’il faut commencer. On ne peut pas, en responsabilité, l’adopter en se disant que l’Assemblée nationale remettra de toute façon les choses en ordre ; ce n’est pas la conception que je me fais de notre travail.
Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Chaque année, nous avons le même débat, et chaque année, nous votons par scrutin public sur un tel amendement.
Je fais partie de ceux qui sont opposés à la réduction des crédits de l’aide médicale de l’État, pour mille et une raisons, dont celles que vous avez évoquées, madame la ministre. Notre groupe est partagé : certains d’entre nous voteront pour son adoption, d’autres contre et d’autres encore s’abstiendront.
Je le redis chaque année, on recense 1,8 million de faux numéros INSEE, engendrant une fraude documentaire de 14 milliards d’euros via le logiciel SANDIA – Service administratif national d’immatriculation des assurés. Cet argent serait beaucoup plus à sa place dans votre budget, madame la ministre… Le constat est posé depuis au moins cinq ans, mais rien, absolument rien, n’a été fait. Votre prédécesseur m’avait annoncé la suppression de 5 000 faux numéros, sur 1,8 million : vous en conviendrez avec moi, le compte n’y est pas ! Cet argent doit revenir dans les caisses de votre ministère : nous pourrons alors discuter de l’aide médicale de l’État de façon beaucoup plus sereine.