M. Loïc Hervé, rapporteur pour avis. Quel suspense !
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.
M. Pierre-Yves Collombat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme chaque année, la mission « Relations avec les collectivités territoriales » tient du jeu de bonneteau et de l’exercice de camouflage, auxquels le fractionnement des crédits, les complications ésotériques et les changements de périmètres tiennent lieu de couverture. La bureaucratie de Bercy, qui excelle dans cet art, croit rendre service au Gouvernement en lui permettant d’afficher des propositions plus sympathiques qu’elles ne sont en réalité. En fait, ces pratiques ne font que ronger un peu plus le peu de confiance que les élus territoriaux continuent d’accorder à la parole de l’État.
Parmi les techniques de brouillage, on compte la dispersion des crédits qui intéressent de près ou de loin les collectivités territoriales dans des tiroirs sans communication, les réductions des aides indirectes et le transfert de charges aux autres.
Comme l’a fait remarquer le rapporteur pour avis, la baisse de 800 millions d’euros, après 1 milliard d’euros en 2018, des aides aux contrats aidés et la ponction de 800 millions d’euros dans la caisse des offices d’HLM pour amortir la baisse des APL auront forcément un impact sur les finances communales. Il en va ainsi de la pratique, devenue courante, consistant à faire payer à d’autres une partie du fonctionnement de l’État, les réformes et les actes de solidarité dont il se flatte.
Au final, le prétendu acte III de la décentralisation, la révision générale des politiques publiques, le plan « Préfectures nouvelle génération » et son futur petit frère, le programme Action publique 2022, la disparition de l’ingénierie publique sont-ils autre chose qu’un transfert de charges de l’État aux collectivités ? Vêtu de démagogie candide et du lin blanc de la rigueur, on peut dénoncer le laxisme fiscal des collectivités, mais celles-ci ne peuvent faire autrement.
Ainsi, comme l’ont fait observer les rapporteurs, les mesures positives de la mission « Relations avec les collectivités territoriales » – majoration des crédits de la DGE des départements, création d’une dotation exceptionnelle au bénéfice de la collectivité de Saint-Martin, majoration des crédits de la dotation attribuée en cas de calamités publiques, majoration de la dotation générale de décentralisation pour améliorer le service des bibliothèques – sont-elles financées par une minoration des variables d’ajustement de la DGF, encore une fois mises à contribution.
Plus forte encore est la transformation des crédits finançant le service de tutelle des collectivités territoriales, la direction générale des collectivités locales, ou DGCL, en crédits de soutien à ces collectivités. Ainsi, les crédits relatifs au fonctionnement de la DGCL, qui s’élèvent à 470 000 euros, figurent-ils au titre de l’action n° 02 du programme 122 de la mission. N’est-ce pas un pur chef-d’œuvre ?
Même la DETR, devenue, par absorptions successives de toutes les sources possibles d’aide à l’investissement des communes – jusqu’à la dotation parlementaire, pour partie –, la seule dotation d’investissement sur laquelle les communes rurales peuvent compter, et présentée, depuis sa création, en 2011, comme le « grand œuvre » de ces dernières années de réforme, n’échappe pas à ce mouvement de captation par l’État des concours financiers qu’il est censé accorder aux collectivités.
Ainsi, il ne vous aura pas échappé, mes chers collègues, que, si les opérations prioritairement éligibles à la DETR sont décidées par une commission d’élus, les préfets sont invités à retenir celles qui permettront de financer les politiques engagées par l’État lui-même, qu’elles soient ou non une priorité pour les petites communes. Or celles-ci pensent à boucler leurs plans de financement d’opérations imposées par les nécessités du moment avant de chercher à contribuer au financement de la politique de l’État, aussi grandiose et aussi intéressante soit-elle !
Remarquons, par exemple, que l’État fait financer par la DETR ses politiques de mutualisation de services publics et de revitalisation des centres-bourgs – ces politiques sont très intéressantes, mais ont vocation à être financées par l’État –, de rénovation thermique et de transition énergétique, d’accessibilité aux établissements publics, d’implantation et de rénovation des gendarmeries en milieu rural, d’installation des espaces numériques nécessaires à la réussite de la politique, imposée d’en haut, de dématérialisation des démarches administratives, ou encore de soutien au dédoublement des classes de CP et de CE1, alors qu’il s’agit typiquement d’une mission de l’État.
En un mot, comme les départements, en matière de politique sociale, sont devenus des services extérieurs de l’État à leurs frais, les communes sont chargées de réaliser les investissements qui permettront de donner forme aux politiques de l’État, à leurs frais bien sûr.
Je partage l’analyse de Loïc Hervé : il est grand temps de redonner du sens à la lettre « R » de la DETR, devenue, au fil des restrictions financières et du rôle désormais joué par les intercommunalités dans la gestion de la pénurie, le principal levier de l’investissement des communes rurales.
Ainsi, mon groupe soutiendra les propositions tendant à rapprocher le mode de gestion de la DSIL de celui de la DETR et à réserver une fraction de celle-ci au financement des projets que leur taille fait juger insignifiants vus d’en haut. (Applaudissements sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Éric Gold.
M. Éric Gold. Monsieur le président, monsieur le ministre, messieurs les rapporteurs spéciaux, monsieur le rapporteur pour avis, mes chers collègues, permettez-moi de faire une remarque avant d’aborder les crédits de cette mission : nous savons que le présent projet de loi de finances constitue un dernier replâtrage avant les grands travaux de refonte de la fiscalité locale. Et qui dit « grands travaux », dit « grandes manœuvres » ! Ces dernières ont commencé depuis plusieurs mois déjà.
Pour autant, si de grands chamboulements sont à venir, il serait inexact de dire que le présent projet de loi de finances, à l’image de la présente mission, n’est qu’un texte d’attente.
Cela a été dit, les crédits de la mission « Relations avec les collectivités territoriales » ne représentent que la partie émergée de l’iceberg des relations financières liant l’État aux collectivités, la partie immergée se composant des prélèvements sur recettes, des dégrèvements d’impôts locaux, ou encore de la fiscalité transférée.
Monsieur le ministre, nous savons gré au Gouvernement d’avoir mis un terme à la contribution des collectivités au redressement des finances publiques, via une diminution de la DGF. Nous ne sommes pour autant pas totalement convaincus par le mécanisme qui lui a succédé, même s’il ne concerne que les grandes collectivités, car il repose sur une contractualisation léonine.
Mais revenons à la mission et aux articles qui lui sont rattachés.
Comme les orateurs précédents, je relève la stabilité globale de ses crédits et, plus globalement, des concours de l’État aux collectivités. Cependant, l’affermissement de l’inflation vient quelque peu ternir les éléments de langage gouvernementaux.
Selon les argumentaires développés, notamment dans le bleu budgétaire, trois objectifs sont assignés à la mission : renforcer la péréquation, accompagner l’investissement public local et compenser les charges transférées.
Nous partageons ces ambitions, tant et si bien que mon groupe a déposé des amendements pour les atteindre encore mieux. Ainsi, en matière de péréquation verticale, nous proposerons d’augmenter la DSU et la DSR et, pour ce qui concerne le soutien à l’investissement public local, nous proposerons de remettre la DSIL à son niveau de 2018.
Puisque nous évoquons les actions du programme 119, notons le gel de la DETR et de la dotation politique de la ville, dont les critères d’éligibilité sont d’ailleurs élargis, à l’article 81.
Plusieurs amendements, dont certains ont été déposés par mon groupe, visent à mieux augmenter ces dotations et à en modifier les modalités d’attribution ; je pense notamment à la commission DETR.
Pour ce qui concerne le programme 122, je m’étonne que l’augmentation du fonds exceptionnel d’aide à Saint-Martin, à hauteur de 50 millions d’euros, soit financée au sein de l’enveloppe des concours de l’État. Comme l’a rappelé M. le rapporteur pour avis de la commission des lois, en la matière, c’est la solidarité des collectivités qui remplace la solidarité nationale.
MM. Claude Raynal et Loïc Hervé, rapporteur spécial et rapporteur pour avis. Eh oui !
M. Éric Gold. Venant à l’examen des articles rattachés, comme souvent nombreux, je mentionnerai tout d’abord la réforme de la dotation d’intercommunalité.
De l’avis de tous, le système actuel, reposant sur autant d’enveloppes que de catégories d’EPCI, était à bout de souffle. Les travaux amenant à la nouvelle mouture ont associé le comité des finances locales. La principale innovation, outre la fusion des enveloppes, consiste en l’ajout du critère de revenu par habitant. Les simulations semblent indiquer que ce sont les communautés de communes qui bénéficieraient le plus de cette donne.
Toujours à l’article 79, nous défendrons deux amendements visant à mieux prendre en compte les résidents secondaires dans les petites communes touristiques peu riches pour le calcul de la « population DGF ».
S’agissant de l’article 79 bis, relatif à l’information des collectivités quant aux évolutions de la DGF, l’année 2018 a été marquée par d’importantes incompréhensions lors de la notification des montants aux communes et EPCI, malgré la stabilité de l’enveloppe globale. Les variations, dues notamment à la refonte de la carte intercommunale, ont eu un effet désastreux dans les territoires.
Si, comme vous l’avez dit, monsieur le ministre, la DGF est une dotation « vivante », ce qui est souhaitable, nous constatons aussi qu’elle est illisible, ce qui est regrettable. Nous souscrivons donc à l’engagement, pris par le Président de la République devant les maires, d’« ouvrir le chantier de la réforme des règles de la DGF ».
Pour terminer, je veux évoquer les finances des départements. Nous notons la volonté des rapporteurs spéciaux de revenir sur la transformation de la DGE en une dotation de soutien à l’investissement départemental, ou DSID.
Nous prenons aussi acte de la traduction législative de l’accord trouvé entre l’Assemblée des départements de France et le Gouvernement sur un énième plan d’urgence. La pérennisation du fonds de 115 millions d’euros sur trois ans permet de donner un peu de visibilité. S’y ajoute un mécanisme de péréquation horizontale, qui fait l’objet d’un amendement du Gouvernement. Mais, disons-le, un tel plan ne répond pas de façon pérenne à l’enjeu du financement des dépenses sociales, notamment des allocations individuelles de solidarité, les AIS.
Nous serons donc particulièrement attentifs au sort des amendements déposés, notamment par le groupe du RDSE. Il conditionnera notre vote sur les crédits de la mission et sur les articles rattachés. Nous les accueillons, a priori, avec une certaine bienveillance. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Indépendants – République et Territoires – M. Alain Richard applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Françoise Gatel. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
Mme Françoise Gatel. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, messieurs les rapporteurs spéciaux, monsieur le rapporteur pour avis, mes chers collègues, la mission « Relations avec les collectivités territoriales » que nous examinons aujourd’hui est particulièrement singulière en ce qu’elle ne regroupe qu’une très faible partie des concours financiers de l’État en faveur des collectivités – nous sommes loin des 10 %.
Plusieurs années de réformes territoriales brouillonnes couplées à une baisse sans précédent des dotations, de l’ordre de 11 milliards d’euros entre 2014 et 2017, ont quelque peu essoré les collectivités territoriales.
Le budget qui nous est présenté est stable. Nous nous en réjouissons sincèrement.
Toutefois, deux éléments de contexte oubliés nuancent quelque peu notre satisfaction : l’inflation, dont le taux avoisinerait 2 % l’an prochain, et la diminution d’autres crédits qui affectent directement les territoires – je pense à la baisse du nombre de contrats aidés et du budget des agences de l’eau, ou encore au fait que les offices d’HLM soient priés de compenser la diminution des APL.
De manière plus générale, ce budget nous laisse en arrière-goût un sentiment de tentation recentralisatrice.
D’abord, le principe de la contractualisation léonine proposé par l’État aux grandes collectivités donne aux élus l’impression de se voir imposer un budget, au risque d’une sanction financière.
Certes, monsieur le ministre, nous préférons très largement la contractualisation au coup de rabot de ces dernières années. L’idée est fort intéressante, mais elle suppose une réelle capacité de négociation, fondée sur une vraie relation partenariale et la prise en compte de l’inflation et du coût des dépenses obligatoires imposées en particulier aux départements, avec notamment la hausse des dépenses liées aux mineurs non accompagnés et le surcoût de normes. Cette contractualisation nécessite, vous le savez, une évaluation et une clause de revoyure.
Ensuite, le texte prévoit de remplacer la DGE des départements par une dotation de soutien à l’investissement départemental. Or ce nouveau système de subvention s’apparente à une sorte de tutelle, contraire à l’esprit de décentralisation et de libre administration des collectivités.
Cette tentation recentralisatrice toujours présente, nous la retrouvons également dans les modalités d’affectation de la DETR et de la DSIL. S’agissant de la DETR, la commission d’élus donne un simple avis consultatif et n’a pas de vision globale sur toutes les demandes de subventions adressées au préfet. Quant à la DSIL, les élus ne sont pas associés à la décision, laquelle est d’ailleurs prise à l’échelon régional.
Aussi, le groupe centriste soutiendra la proposition du rapporteur pour avis d’étendre les prérogatives de la commission DETR, afin que les parlementaires soient associés à la décision, et de déconcentrer une partie de la DSIL au niveau départemental, les préfets de département, interlocuteurs privilégiés des élus locaux, ayant une meilleure connaissance des territoires que les préfets régionaux.
Par ailleurs, la commission des lois propose de réserver une partie de la DETR au financement des projets des petites communes. On se rend compte, en effet, que les petites communes font souvent les frais de la suppression de la réserve parlementaire, mais également des orientations dans l’affectation de la DETR, qui privilégie trop souvent de gros projets.
Concernant la dotation d’intercommunalité, je salue, monsieur le ministre, la volonté du Gouvernement de simplifier sa répartition et de veiller à une certaine égalité dans la « valeur » des habitants, que ceux-ci habitent les campagnes ou les villes, en créant une enveloppe unique, au lieu des cinq enveloppes existantes, et en complétant également les critères de répartition.
Toutefois, cette refonte reste quelque peu au milieu du gué. Elle ne peut être qu’une étape transitoire, s’inscrivant dans une réforme plus globale des dotations de l’État et des outils de péréquation.
À ce titre, je veux évoquer le FPIC, qui doit impérativement être revu. La nécessaire solidarité entre les territoires a justifié la création de ce fonds, dans un contexte particulier, mais l’équation compliquée de son mécanisme a été totalement bouleversée par la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, la loi NOTRe, et la refonte de l’intercommunalité. L’État a maintenu le montant global du prélèvement, alors que les recompositions d’intercommunalités ont fait disparaître un grand nombre de contributeurs importants au FPIC. De ce fait, les contributeurs restants ont vu leur contribution augmenter de manière considérable, voire insupportable, sans que leurs ressources aient évolué. À titre d’exemple, je veux citer une communauté de communes de 25 000 habitants dont la contribution au FPIC est passée, en quelques années, de 35 000 euros à 750 000euros !
Le modèle existant au moment de la création du FPIC a considérablement évolué. L’équation, d’un autre temps, n’est plus tenable. Si la taxe d’habitation a été déclarée injuste, le FPIC l’est également devenu.
M. Claude Kern. Tout à fait !
Mme Françoise Gatel. Il en est de même de l’évolution de la DSR dans le cadre des communes nouvelles et des nouveaux périmètres d’intercommunalité. Il est urgent de reprendre ces éléments.
Monsieur le ministre, ce projet de loi de finances s’inscrit dans un contexte de relations compliquées entre l’État et les collectivités territoriales. Nous espérons tous que ces relations sont amenées à se réchauffer.
L’année 2019 sera marquée par deux temps forts : la réforme constitutionnelle, qui reconnaît le droit à la différenciation territoriale, que nous appelons de nos vœux, et la réforme de la fiscalité locale. Cette dernière est une impérieuse nécessité devant tant de complexité ! Il est d’ailleurs regrettable que la suppression de la taxe d’habitation n’ait pas été pensée dans un cadre global. Les maires réclament la capacité à agir, l’autonomie financière et fiscale et une indispensable prévisibilité. Ils doivent connaître l’issue du chemin pour définir le meilleur trajet à emprunter.
Monsieur le ministre, vous le savez, les élus locaux sont les vigies de la démocratie et de la solidarité. Ménagez-les, écoutez-les, car ils sont, au quotidien, les inventeurs des possibles. Ce sont de grands serviteurs de l’intérêt général. Ils sont la solution, et non le problème.
L’avenir de notre pays viendra des territoires, qui sont d’indispensables espaces de proximité, de synergie et de cohésion, qui rassemblent. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. Loïc Hervé, rapporteur pour avis. Très bien dit !
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Boyer. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Marc Boyer. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après le honteux hashtag #BalanceTonMaire, il serait temps que le Gouvernement lance le hashtag #EntendsLesTerritoires. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste.)
En effet, il n’est un secret pour personne que ses relations avec les collectivités territoriales ne sont pas au beau fixe.
Il n’est non plus un secret pour personne que nos collectivités font des efforts pour réduire leur déficit, ce qui n’est pas le cas de l’État.
Aussi, la Cour des comptes salue les efforts de gestion des collectivités locales, qui ont ralenti leurs dépenses en 2018. En outre, le niveau de leur épargne s’est redressé par rapport à celui de 2013.
Pour autant, monsieur le ministre, votre gouvernement continue à étrangler financièrement les collectivités, avec, notamment, la suppression de la taxe d’habitation.
D’ailleurs, vous n’avez toujours pas éclairci la question cruciale de la compensation du produit de cette taxe, qui représente 20 % des recettes de fonctionnement des communes et intercommunalités. Vous portez ainsi clairement atteinte à l’autonomie de nos collectivités. Vous amoindrissez le lien entre les contribuables et nos communes, que vous affaiblissez, particulièrement en milieu rural. Le découragement de nos maires en est le triste résultat.
Espérons que votre réforme prochaine de la fiscalité locale ne sera pas la grosse cerise sur le gâteau qui étouffera nos collectivités !
La mission « Relations avec les collectivités territoriales », dont nous discutons aujourd’hui, est révélatrice de votre soutien limité à nos collectivités locales.
Nous constatons tout d’abord une baisse des dotations de soutien à l’investissement du bloc communal. Par rapport à 2018, les autorisations d’engagement, à ce titre, sont en diminution de 45 millions d’euros.
En outre, même si les subventions d’investissement aux collectivités territoriales sont pérennisées en 2019, 40 millions d’euros de crédits prévus au titre de la défunte réserve parlementaire n’ont pas été redéployés en faveur de la DETR et de la DSIL. Aussi, je soutiens la position des rapporteurs spéciaux, qui veulent créer un prélèvement sur les recettes de l’État de 85 millions d’euros, afin de garantir une stabilité des dotations d’investissement du bloc communal.
Par ailleurs, on constate que le Gouvernement élargit les possibilités de financement de la DETR dans le cadre d’un contrat passé entre l’État et les collectivités territoriales. Attention à ne pas utiliser cette dotation pour financer toutes les politiques partenariales engagées par l’État ! Cela réduirait le soutien à des projets répondant à des besoins locaux identifiés en dehors de ce cadre.
Déjà, face à un manque cruel de financement, nos élus locaux demandent la mise en place d’une dotation parlementaire pour accompagner leurs projets communaux et associatifs, alors qu’il existe une dotation ministérielle. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Monsieur le ministre, le spectre de l’État central omniprésent plane toujours et réduit encore la libre administration des collectivités locales.
À ce sujet, je dénonce la consultation purement formelle des parlementaires pour ce qui concerne l’attribution de la DETR. Quelle est votre conception du mot « consultation » ? Est-ce celle que l’on vit sur le terrain, qui consiste à informer les parlementaires des projets des collectivités locales déjà sélectionnés par le préfet ? Ce procédé traduit la défiance du pouvoir central actuel à notre égard. Nous, les élus, connaissons les besoins de nos territoires et de nos communes ! Cette recentralisation des crédits, notamment ceux de la DETR, nous éloigne encore plus de la proximité tant réclamée aujourd’hui par nos élus et nos concitoyens.
Je souhaite ainsi que les parlementaires soient intégrés à ce processus décisionnel, comme nous l’avons toujours réclamé, car nous sommes les élus de la Nation et de nos territoires.
M. Yvon Collin. Très bien !
M. Jean-Marc Boyer. Une autre disposition de la mission est essentielle pour nos communes rurales : la DSR, plus particulièrement la sortie de communes de la DSR « cible ».
Au nom de nos territoires, je soutiens une sortie en sifflet plus progressive que celle que prévoit le projet actuel. En effet, la DSR « cible » est destinée aux communes les plus défavorisées parmi celles qui sont éligibles à la DSR – en somme, les plus défavorisées des défavorisées. Une sortie en sifflet sur trois ans, voire cinq ans, est donc plus adaptée aux réalités.
Monsieur le ministre, le son du sifflet aime se faire entendre lorsque vous perdez un soutien ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Valérie Létard applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Didier Marie. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Didier Marie. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur général, messieurs les rapporteurs spéciaux, monsieur le rapporteur pour avis, mes chers collègues, l’examen des crédits de cette mission pourrait presque paraître anecdotique au regard du volume budgétaire de celle-ci qui ne représente qu’un faible pourcentage des concours de l’État aux collectivités.
Il s’effectue cependant dans un contexte de crise sociale et politique qui doit nous conduire à nous interroger lors de la prise de chacune de nos décisions, alors que les symboles de la République, des préfectures aux perceptions, en passant par les gendarmeries, jusqu’à l’Arc de Triomphe, sont incendiés, attaqués, tagués, que la défiance envers les responsables politiques ne cesse d’augmenter et que le consentement à l’impôt est remis en cause.
Certes, nos concitoyens, qui manifestent majoritairement dans le calme, revendiquent l’annulation de la hausse des taxes sur le carburant et une amélioration de leur pouvoir d’achat, mais ils réclament aussi le droit de vivre paisiblement dans leurs communes, souvent rurales.
Jusqu’à présent, ils font massivement confiance à leurs maires, ils sont attachés à leur territoire, mais ils constatent, et cela contribue aussi à leur colère, que les services publics y sont de moins en moins présents et qu’il est difficile de s’y faire soigner. Ils s’inquiètent désormais que le conseil municipal éprouve des difficultés à boucler un budget pour répondre à leurs attentes.
Vous me direz, monsieur le ministre, reprenant un des arguments développés par votre majorité ces derniers temps, que c’est le résultat de plus de trente ans de politiques publiques et que les responsabilités sont partagées. J’en conviens aisément, d’autant que je n’ai jamais été un fervent partisan de la baisse des dotations aux collectivités, même si les conditions de l’époque et l’état des finances du pays pouvaient le justifier. Cela étant, aujourd’hui, c’est vous qui êtes aux responsabilités, c’est votre deuxième budget et il n’est pas bon.
Vous avez d’ailleurs dû constater, comme nous, lors du récent congrès des maires, que ces derniers étaient mécontents. Ils l’expriment fortement, et nous pouvons tous et toutes en témoigner.
L’épisode du hashtag #BalanceTonMaire a, à cet égard, particulièrement marqué les esprits, alors que 85 % des communes ont maintenu le taux de leur taxe d’habitation et que le nombre de celles qui l’ont augmenté est inférieur à 2017.
Vous avez décidé de supprimer la taxe d’habitation pour 80 % des contributeurs. Le Conseil constitutionnel vous a indiqué que cette mesure devait concerner 100 % des ménages, ce qui représente 10 milliards d’euros de plus à financer.
M. Philippe Dallier. Eh oui !
M. Didier Marie. Nous sommes impatients d’en connaître les modalités.
Monsieur le ministre, les élus sont inquiets des conditions de compensation. Vous parlez de dégrèvement. Soit, mais l’expérience de la suppression de la taxe professionnelle et l’histoire des évolutions des compensations invitent, a minima, à la plus grande prudence.
La relation entre le Gouvernement et les collectivités est tendue. Comme l’a lucidement souligné le Premier ministre, vous devez rétablir la confiance avec les élus locaux et, pour cela, répondre à leurs interrogations et leur garantir des moyens financiers suffisants pour conduire les affaires communales, départementales et régionales.
Or, monsieur le ministre, la trajectoire retenue pour ce budget est dans la droite ligne de la loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022, qui prévoit une baisse de 13 milliards d’euros, en tendance, des dépenses des collectivités.
En présentant ce projet de budget, vous nous annoncez qu’il est construit sur trois piliers : la stabilité des dotations, l’augmentation des dotations d’investissement et l’amélioration de la péréquation. Nous n’avons pas dû examiner les mêmes documents ; permettez-moi de ne pas être en phase avec cette présentation.
Si la DGF reste au même niveau qu’en 2018 en euros courants, il ne s’agit pas de stabilité, mais il s’agit d’un gel duquel il faut déduire l’inflation. Fin 2017, la Banque de France l’estimait à 1,4 % ; fin octobre, elle s’établissait à 2,2 %. Ajoutez à cela l’augmentation des prix de l’énergie, du carburant, l’évolution du glissement vieillissement technicité, le GVT, et vous obtenez une augmentation du panier du maire de l’ordre de 2,5 %.
En outre, il faut mettre en regard de l’évolution des dotations l’incidence des baisses de crédits de politiques publiques destinées aux territoires et que les collectivités doivent en partie compenser. Je pense à la diminution drastique du nombre de contrats aidés qui touche particulièrement les associations, aux clubs sportifs dont les subventions baissent, à la politique du logement, aux moyens des agences de l’eau.
Nous avons demandé lors de l’examen de la première partie du projet de loi de finances un ajustement de DGF du niveau de l’inflation pour 2017. Vous vous y êtes opposé, ce que nous regrettons.
En ce qui concerne les dotations d’investissement, plusieurs remarques permettent de contredire le Gouvernement.
Pour ce qui est de la DETR, le nombre d’établissements de coopération intercommunale éligibles va augmenter en raison de l’introduction d’un critère de densité de population.
Pour la dotation politique de la ville, la DPV, c’est le pourcentage d’habitants des quartiers politique de la ville ramené à la population totale qui évolue.
En bref, pour ces deux dotations, c’est autant qu’en 2017, mais divisé par plus de communes : c’est donc moins pour chacune.
La DSIL est, elle, amputée de 45 millions d’euros, ce que vous justifiez par la fin des contrats de ruralité ; mais la fin des contrats ne signifie pas la fin des besoins. Au total, en deux ans, la DSIL aura baissé de 266 millions d’euros.
Enfin, la dotation de soutien à l’investissement des départements, l’ex-DGD, serait attribuée à 77 % sous forme d’appel à projets, passant ainsi d’une dotation à un système de subvention. Les départements perdent de la sorte une nouvelle parcelle de liberté.
Pour la DETR et la DSIL, vous noterez, monsieur le ministre, la volonté largement partagée d’une meilleure information et d’une plus grande association des élus à leur répartition, ainsi que d’une moindre captation pour financer les priorités de l’État. Nous souhaitons, par ailleurs, qu’une enveloppe de la DETR soit clairement réservée pour les petits projets des petites communes qui bénéficiaient antérieurement de la réserve parlementaire et qui éprouvent aujourd’hui des difficultés pour faire valoir leur besoin d’accompagnement, qu’il s’agisse de l’achat d’un tracteur ou de la réfection d’une salle de classe.
Enfin, le Gouvernement nous annonce une amélioration de la péréquation. En fait, nous assistons à l’inversion de la trajectoire des fonds de péréquation.
Les variables d’ajustement diminuent, ce qui se traduit par une nouvelle baisse du fonds départemental de péréquation de la taxe professionnelle, le FDPTP, qui touchera plus particulièrement les communes rurales des départements industrialisés comme la Seine-Maritime, dont je suis l’élu.
Le fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales, le FPIC, sera quant à lui gelé pour la quatrième année consécutive. Certes, il a des défauts, mais il a permis aussi de resserrer les écarts de richesse entre EPCI. Néanmoins, ces écarts restent importants.
Quant à DSU et à la DSR, elles avaient connu une progression significative sous le quinquennat précédent à raison de 180 millions d’euros chacune en 2016 et en 2017. L’an dernier, vous aviez ramené cette évolution à 110 millions d’euros. Cette année, vous la ramenez à 90 millions d’euros, renonçant ainsi à combler les écarts entre communes riches et communes pauvres.
Quant à la dotation d’intercommunalité, elle augmente de 30 millions d’euros, comme l’a proposé le comité des finances locales, le CFL. Néanmoins, le Gouvernement n’a pas suivi la totalité des préconisations du CFL puisque vous faites supporter l’intégralité du financement par les collectivités en refusant que l’État en prenne en charge la moitié. Cette augmentation n’exclut pas la nécessité profonde d’une réforme de cette dotation qui a aujourd’hui atteint ses limites, comme le soulignait Claude Raynal, rapporteur spécial.
Dans la même veine, monsieur le ministre, il est intolérable que l’État fasse discrètement prendre en charge par les collectivités le financement du fonds d’urgence de 50 millions d’euros absolument nécessaire, par ailleurs, à la collectivité de Saint-Martin. Nous regrettons que ce fonds ne soit pas financé directement par l’État, conformément à l’engagement pris par le Président de la République le 17 septembre dernier.
Monsieur le ministre, nous aurons l’occasion de revenir lors de l’examen des articles sur ces sujets puisque nous avons déposé plusieurs amendements, qui, je l’espère, vous convaincront.
Nos collègues élus ont besoin de lisibilité, de solidarité. Ces dimensions devront conduire la réflexion que vous avez décidé d’engager sur la fiscalité locale au premier trimestre de 2019. Mais il n’est pas concevable de réformer celle-ci sans remettre à plat notre système de dotation aujourd’hui totalement bloqué.
Les élus veulent que l’esprit de la décentralisation soit garanti, ils veulent retrouver de la liberté et de la capacité à agir. C’est à ce prix que vous rétablirez la confiance avec eux et, par leur intermédiaire, avec l’ensemble des Françaises et des Français. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Claude Raynal, rapporteur spécial, et M. le rapporteur pour avis applaudissent également.)