M. Jean-François Husson. Bref, c’est un vrai sujet, mais il n’y a pas de solution !
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État. Des mesures opérantes sont envisageables pour assurer la bonne desserte de nos territoires en espèces et autres moyens de paiement, et le Gouvernement est déterminé à avancer dans cette voie.
Premièrement, il me semble prioritaire d’affiner notre diagnostic pour mieux cibler notre action.
Comme vous l’avez noté, la Banque de France a engagé une cartographie de la desserte en espèces sur le territoire national. Ce travail de diagnostic nous permettra d’identifier précisément les zones où notre attention doit se porter prioritairement. Plus largement, nous suivons de près les évolutions de la filière des paiements pour continuer à garantir la disponibilité des espèces partout sur le territoire.
Deuxièmement, il est indispensable de diversifier notre palette d’outils pour permettre une couverture aussi large et efficiente que possible du territoire en solutions de paiement.
C’est à cet effet que le Gouvernement vous a proposé, lors de l’examen du projet de loi ratifiant l’ordonnance portant transposition de la directive concernant les services de paiement dans le marché intérieur, dite « DSP 2 », d’autoriser la faculté d’utiliser le cashback, le « rendu d’espèces » en français. Cette pratique existe chez la plupart de nos voisins. Son principe est très simple : après avoir acheté 10 euros de courses, vous demandez à payer 30 euros et le commerçant vous rend alors 20 euros en espèces. Cet usage revient à effectuer un retrait d’espèces.
Ce service présente de nombreux avantages pour répondre concrètement à la préoccupation qui motive les auteurs de la proposition de loi, à savoir l’isolement des territoires les plus reculés.
Ce nouveau service offre également aux commerçants un moyen de gérer plus efficacement les encours en caisse. Les associations de commerçants ont unanimement souligné leur intérêt pour un tel service. Le décret d’application sera pris avant la fin de l’année, et je ne peux qu’encourager les citoyens et les commerçants à s’en saisir.
Vous avez voté une base législative pour la mise en œuvre de la pratique du cashback en juillet dernier, et je ne peux que m’en féliciter. Je sais qu’il s’agit d’une proposition à laquelle les élus locaux que vous êtes sont très attachés. Nous l’avons vu au premier semestre, à l’occasion des débats sur la transposition de cette directive.
Le Gouvernement finalise actuellement la publication des textes d’application qui permettront le déploiement très rapide de cette solution d’accès aux espèces. Je note que certaines enseignes de la grande distribution ont d’ores et déjà lancé leur offre sur le fondement des dispositions législatives que vous avez votées.
Il existe une autre piste importante que nous devons poursuivre : le développement de solutions de paiement dématérialisées.
Je rappelle que nous avons fortement progressé dans l’équipement des commerces en terminaux de carte bancaire. En France, plus de la moitié des transactions scripturales sont d’ores et déjà réalisées par carte, proportion supérieure à celle des paiements par carte dans la moyenne de l’Union européenne. Ce mouvement est appelé à se poursuivre.
Le paiement sans contact connaît un véritable essor et offre une solution aisée pour le paiement de dépenses de la vie quotidienne d’un montant limité. Nous avons l’ambition d’aller plus loin dans le développement de ces technologies qui facilitent la vie de nos concitoyens et ne sont nullement réservées aux seuls citadins.
Le développement du paiement en ligne ou du paiement par le biais de virements instantanés est également prometteur. Grâce au plan très haut débit et aux engagements du Gouvernement en faveur d’une couverture de téléphonie mobile de qualité, nous nous donnons les moyens de rendre ces technologies innovantes accessibles sur l’ensemble du territoire.
Enfin, le Gouvernement souhaite rappeler son attachement à la pérennisation de la mission d’accessibilité bancaire de la Banque postale sur tout le territoire. J’ai échangé ce matin même avec Philippe Wahl, président-directeur général de La Poste, qui m’a affirmé son engagement constant en faveur de cette mission.
Les engagements réciproques de l’État et de La Poste pour les quatre missions de service public qui sont confiées à cette dernière – service universel postal, contribution à l’aménagement du territoire, transports et distribution de la presse, accessibilité bancaire – font l’objet d’un contrat d’entreprise.
Je réunirai vendredi prochain le comité de suivi de haut niveau de ce contrat d’entreprise avec l’ensemble des parties prenantes, dont le PDG de La Poste et les sénateurs Yvon Collin et Patrick Chaize. Nous aborderons à cette occasion la question du rôle de La Poste et de la Banque postale en faveur de l’accessibilité et de l’inclusion bancaires, puisqu’il s’agit de la thématique qui a été retenue pour cette réunion.
Nous demeurerons très vigilants sur ce point dans le cadre du projet de rapprochement entre la Caisse des dépôts et consignations et la Banque postale, rapprochement proposé par le Gouvernement dans le cadre du projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises, dit PACTE, qui sera prochainement examiné dans cet hémicycle.
Au-delà de la création d’un grand pôle financier public, le rapprochement de La Poste avec la Caisse des dépôts et consignations permettra à ces deux groupes de combiner leurs forces pour assurer leur mission de service public en matière d’aménagement du territoire, ainsi que leurs interventions pour le développement économique territorial.
Aussi, vous l’avez compris, je ne serai pas en mesure de donner un avis favorable à la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui.
Je propose en revanche de substituer au dispositif prévu à l’article 1er la conduite d’un diagnostic approfondi, qui prendrait la forme d’un rapport du Gouvernement (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste et du groupe socialiste et républicain.)…
M. François Bonhomme. Un rapport !
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État. … portant sur la couverture effective du territoire en solutions de paiement et d’accès aux espèces, et qui ferait le point sur la mise en œuvre des différentes réponses que j’ai évoquées.
Tel est le sens de l’amendement que je déposerai à l’article 1er.
Nous apporterons par ailleurs notre soutien aux amendements de suppression des articles 2 et 3.
M. François Bonhomme. Quelle fertilité !
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État. En conclusion, je veux rappeler l’importance pour le Gouvernement de la question de l’accessibilité des moyens de paiement et vous proposer d’approfondir nos travaux sur ce sujet que vous avez – à juste titre – mis à l’ordre du jour, même si cela doit passer par des moyens différents de ceux qui figurent dans ce texte.
M. Jean-François Husson. Bon sujet, mauvaise réponse !
Mme la présidente. La parole est à M. Joël Guerriau.
M. Joël Guerriau. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, madame la rapporteur, mes chers collègues, nous le savons tous, l’ADN de la France est étroitement lié aux espaces ruraux et à la ruralité, tant sur le plan de sa géographie que de son histoire. La ruralité, ce sont de nombreuses petites communes qui présentent des situations très diverses, mais qui doivent toutes faire face à de nouveaux défis pour maintenir leur population et surtout leur activité économique.
La revitalisation des centres-bourgs est un sujet fondamental sur lequel la puissance publique doit se pencher plus que jamais aujourd’hui, comme le Sénat l’a récemment fait pour enrayer la désertification des territoires ruraux.
Cela doit passer par de nombreuses actions : faire disparaître les zones blanches en assurant l’égalité numérique de tous les territoires, maintenir et développer les réseaux de transport en commun, lutter contre les déserts médicaux en développant les maisons de santé pluridisciplinaires, préserver les dotations des communes rurales pour leur permettre d’investir dans des projets structurants, maintenir des services publics ouverts pour répondre aux demandes des usagers, inciter les entreprises et les artisans à s’installer dans les zones rurales.
Lutter contre la désertification des territoires ruraux passe aussi par le maintien de commerces de proximité, véritables acteurs du maillage territorial et du dynamisme de la ruralité. Pour les préserver, des politiques publiques incitatives peuvent et doivent être mises en place. La lutte contre la désertification bancaire en fait partie.
En effet, la disparition des agences bancaires en zone rurale marque l’accélération de cette désertification. Cette tendance trouve sa source à la croisée de plusieurs phénomènes.
Tout d’abord, nombreux sont les clients qui fréquentent de moins en moins leur agence, notamment avec le développement des services en ligne.
Or le déplacement qu’un client est prêt à effectuer est d’autant plus long que ses besoins sont importants. On parle de « proximité graduée ». En fait, s’il s’agit d’un besoin de liquidité, le client attend une réponse au plus près de chez lui, s’il s’agit en revanche de besoins plus complexes, comme un conseil patrimonial, il n’hésitera pas à faire quelques kilomètres, voire une plus longue distance encore.
Dans ce contexte, les agences bancaires font le choix de se recentrer sur les zones urbaines, puisqu’elles considèrent que la proximité géographique n’est plus nécessaire.
Clairement, les petites villes sont directement affectées par les conséquences du phénomène de raréfaction, voire de disparition des distributeurs automatiques de billets. La Banque centrale européenne estime que, entre 2008 et 2014, la France a perdu plus de 1 100 agences, soit une diminution de 2,8 % de son parc. Notre pays est passé sous la barre des 37 000 agences en 2016. Sia Partners prévoit que les banques passeront même à 34 000 agences en 2020.
Pour autant, la France enregistre le plus faible taux de décroissance du nombre de ses agences bancaires comparé à l’ensemble des pays européens, alors même que la densité de leur réseau bancaire était très inférieure à celle de la France.
Les banques mutualistes ont une emprise locale forte et garantissent une proximité avec leurs clients locaux et les pouvoirs publics. Cette présence est un avantage contre la désertification et le redimensionnement bancaires. En effet, il est difficile de fermer des agences dans une commune lorsque ces banques financent la communauté de communes, le conseil départemental ou le conseil régional. Ces banques mutualistes constituent une particularité française, leur présence explique peut-être pourquoi nous subissons moins que les autres cette désertification.
Cependant, la baisse de fréquentation que l’on constate dans ces petites agences, leur coût de fonctionnement et les contraintes qui leur incombent pousseront également les banques mutualistes à fermer certaines d’entre elles.
Ces raisons font de la Banque postale un acteur de poids qui pourrait changer la donne. La Banque postale porte une part importante des coûts du réseau des bureaux de poste. Elle compte plus de 17 000 points de vente, soit le double de ceux des banques LCL, Société générale et BNP Paribas réunies. Une réduction du maillage de cette banque aurait donc un effet très significatif sur le nombre total d’agences en France.
Nombre de communes se trouvent confrontées à cette situation, qui suscite beaucoup d’incompréhension. Une fois encore, les élus locaux sont sollicités pour tenter de résoudre des problèmes qui ne sont pas de leur ressort, mais qui ont un fort impact sur la vitalité des centres-bourgs.
À l’heure où les usages automobiles sont remis en cause, est-il cohérent de pousser les habitants à se rendre dans les villes moyennes pour s’approvisionner en liquidités ? Est-il normal que les maires des petites communes soient sollicités pour financer le maintien d’un DAB dans leur ville ? Je discutais aujourd’hui encore avec des maires qui m’expliquaient qu’on leur avait demandé d’installer un DAB dans leur commune à leurs frais, soit 15 000 euros ! Il s’agit pourtant de toutes petites communes : est-ce normal ? Il faut manifestement les aider. Dans les villages, en effet, la majorité des achats se font en liquide dans les petits commerces et sur les marchés locaux.
S’il existe aujourd’hui des alternatives aux DAB,…
Mme la présidente. Il faut conclure, mon cher collègue !
M. Joël Guerriau. … comme la technique du cashback ou du paiement sans contact, celles-ci représentent un investissement que tous les petits commerces ne peuvent pas se permettre. Une directive européenne sur les services de paiement est d’ailleurs entrée en vigueur cette année, mais demeure encore peu pratiquée.
Nous pensons que cette proposition de loi est de bon aloi. C’est donc avec enthousiasme que notre groupe soutiendra le texte de notre collègue Éric Gold ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe socialiste et républicain – Mme Françoise Gatel et M. René Danesi applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Pascale Gruny. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Pascale Gruny. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, madame la rapporteur, mes chers collègues, 92 % des Français plébiscitent aujourd’hui la carte bancaire pour leurs achats quotidiens. Le déclin du nombre de retraits par carte aux distributeurs depuis dix ans en est la conséquence directe. Pour les banques, maintenir un automate en activité n’est rentable que si celui-ci est utilisé.
La proposition de loi que nous examinons entend pérenniser la présence de distributeurs automatiques de billets dans les communes victimes de désertification bancaire.
Il s’agit d’une désertification qui se traduit souvent, comme l’explique d’ailleurs le texte de nos collègues, par une baisse du chiffre d’affaires des commerces locaux, voire une fermeture de ces commerces au profit des grandes surfaces en périphérie et du commerce sur internet.
Si nous partageons ce constat, nous divergeons sur les moyens à mettre en œuvre pour répondre à cette question.
Il aurait été opportun, me semble-t-il, que cette proposition de loi soit plus précise sur les différentes causes à l’origine de la diminution du nombre de DAB dans l’Hexagone ainsi, d’ailleurs, que dans le reste de la zone euro. J’ai déjà évoqué la diminution du nombre des retraits bancaires. Je pourrais aussi parler de la digitalisation de l’activité bancaire sur internet et via des applications mobiles.
L’usage croissant de la carte bancaire rend également les pièces et les billets plus rares dans les porte-monnaie, surtout depuis l’arrivée du paiement sans contact et de l’abaissement progressif du seuil d’acceptation de la carte bancaire par les commerçants, qui est désormais de 1 euro.
En outre, les banques proposent ou expérimentent désormais des partenariats avec des magasins pour permettre à leurs clients d’avoir accès au cash sans avoir besoin d’un automate.
Je citerai en exemple le Compte-Nickel, proposé par 3 800 buralistes, ou encore le cashback, service de retrait d’argent liquide à la caisse des magasins, légalisé en France depuis la loi du 3 août dernier.
En définitive, il ressort de ces observations que les moyens de paiement sont plus diversifiés que par le passé et ne reposent plus uniquement sur le réseau bancaire.
Il n’en demeure pas moins que l’utilisation des espèces demeure essentielle, en particulier pour certaines transactions quotidiennes et de proximité. Ajoutons que les nouveaux usages ne concernent pas l’ensemble de la population : pour certains de nos concitoyens peu familiers des usages digitaux, le recours aux espèces reste vital.
Quelles solutions peut-on dès lors envisager pour garantir la délivrance d’espèces sur tout le territoire ?
Plutôt que de subventionner les communes pour qu’elles conservent ou créent leurs DAB, comme le suggèrent les auteurs de cette proposition de loi, nous soutenons la proposition de la rapporteur Sylvie Vermeillet visant à financer par le FISAC, dont le Sénat propose le rétablissement des crédits, l’installation de DAB dans les commerces de proximité situés dans les communes non couvertes par un réseau de radiocommunication mobile.
Dans ces communes, les terminaux de paiement par carte bancaire ne peuvent pas fonctionner correctement, ce qui exclut le recours au cashback, d’où l’importance de prévoir un accès aux espèces pour les habitants qui y vivent.
L’instauration d’un critère de distance minimale des bureaux de La Poste comportant un DAB, prévue à l’article 2, nous semble compliquée à mettre en œuvre, car elle soulève d’importantes difficultés techniques, pratiques, juridiques, voire des difficultés en termes de sécurité.
D’abord, La Poste assure déjà un service de mise à disposition d’espèces dans ses différents points de contact, qui suffisent à couvrir les besoins quotidiens.
Ensuite, une extension de la mission d’aménagement du territoire assurée par La Poste nécessiterait de prévoir une compensation complémentaire, soumise au cadre européen relatif aux aides d’État, dont le principe actuel a été validé en avril dernier par la Commission européenne, et ce jusqu’en 2022. Compléter cette mission reviendrait donc à ouvrir la boîte de Pandore et à remettre en cause la sécurisation juridique de cette compensation.
Enfin, cette compensation consiste en un allégement de fiscalité locale, non compensé par l’État. Le dispositif proposé serait donc supporté par les collectivités territoriales, alors que celles-ci ont déjà du mal à faire face à leurs obligations en raison du désengagement financier de l’État.
Pour toutes ces raisons, notre groupe votera cette proposition de loi telle qu’elle a été modifiée par Mme la rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Cartron.
Mme Françoise Cartron. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, madame la rapporteur, mes chers collègues, lutter contre la désertification bancaire dans les territoires ruraux est un objectif que nous partageons tous dans cet hémicycle.
Aujourd’hui, quel est le constat ? Éric Gold et les membres du groupe du RDSE déplorent – à juste titre – les multiples fermetures de distributeurs automatiques de billets en zone rurale.
Plusieurs raisons expliquent ce recul.
Les banques avancent notamment que les coûts de gestion et de sécurité sont trop élevés. Il en résulte un coût social et économique lui-même élevé pour les résidents de ces zones, ainsi que pour les communes désertées en tant que telles, avec les conséquences que l’on connaît pour leur attractivité.
Aujourd’hui, le contexte dans lequel s’inscrit cette problématique est bien celui d’une révolution des usages bancaires, avec l’essor de nouvelles technologies et un recours plus fréquent à la carte pour des achats directs, comme le paiement sans contact.
C’est pourquoi ce phénomène dépasse largement nos frontières. Je donnerai deux exemples : en trois ans, plus de 2 800 agences bancaires ont fermé outre-Manche – 60 agences par mois – affectant 2,7 millions de personnes. En Franconie, région située au nord de la Bavière, la Sparkasse a lancé en 2015 un concept d’agence itinérante, afin de maintenir un service de proximité.
Il est clair que les équipements bancaires, quels qu’ils soient, leur présence même ou leur maintien en état de bon fonctionnement participent de la vitalité économique des centres-bourgs.
Cette question nous anime évidemment et continûment ici au Sénat, car cette désertification fait courir plusieurs risques.
Une partie des usagers fera le choix d’une consommation extérieure à leur lieu de résidence, et ce pour des consommations courantes qui auraient pu rester locales. Ce sont les grandes surfaces en périphérie et en entrée de ville qui en bénéficieront alors, ou les acteurs du e-commerce.
Autre risque : une partie des clients, ceux-là mêmes pour lesquels les déplacements sont rendus difficiles ou impossibles du fait de leur âge, par exemple, se sentiront légitimement marginalisés en raison d’un accès limité à ce type de service.
C’est pourquoi le texte que vous défendez aujourd’hui dans l’hémicycle vise à maintenir ou à créer ces distributeurs dans les communes qui souffrent de ce que vous appelez la « désertification bancaire ».
Afin de renforcer le maillage territorial des bureaux postaux avec les DAB, il est envisagé de créer un fonds spécial géré par la Caisse des dépôts et consignations, ciblé sur les territoires les plus en difficulté, c’est-à-dire les territoires dont les populations sont peu familières avec les nouveaux usages ou ceux dont la couverture numérique n’est pas assurée.
La proposition de loi fixe aussi un critère de distance minimale des bureaux de La Poste comportant un distributeur automatique de billets.
Derrière ce dispositif se pose la question, qui ne se limite pas aux DAB, du recours aux espèces et de leur disponibilité.
Alors que l’utilisation de la monnaie demeure encore essentielle, ce texte nous donne l’occasion de débattre – et c’est important – des conditions d’accès aux espèces, notamment des accès alternatifs. Il existe ainsi un accès auprès des commerçants dans le cadre de ce que l’on appelle les points relais ; il existe également un accès par la délivrance d’espèces à l’occasion d’une opération de paiement pour l’achat de biens et services, connue sous le terme de cashback. Celle-ci est désormais prévue par le code monétaire et financier. Il faudra mesurer l’impact de cette mesure dans les territoires les moins bien pourvus.
Enfin, nous sommes sensibles aux arguments de Mme la rapporteur. En premier lieu, le risque existe qu’un décalage se crée entre la solution globale proposée et les multiples réalités locales existantes, justement en fonction des pratiques ou des dispositifs alternatifs existants ou à venir ; en second lieu, le risque existe d’un désengagement des opérateurs privés du maillage territorial en distributeurs automatiques de billets. Cette substitution doit rester l’exception.
Le comité de pilotage de la filière fiduciaire, animé par la Banque de France, a mandaté un groupe de travail sur l’accessibilité aux espèces. Celui-ci devrait rendre ses conclusions d’ici peu, notamment sur la détermination des territoires les plus affectés par ces difficultés.
Ce constat exhaustif et fiable des situations de défaillance avérée dans l’accès aux espèces sera important, afin de déterminer les critères géographiques, démographiques ou économiques, qui pourraient déclencher l’éventuel octroi d’une aide.
Si le groupe La République En Marche salue la problématique exposée ici par le groupe du RDSE,…
M. François Bonhomme. Il est trop bon !
Mme Françoise Cartron. … il sera attentif aux débats de cet après-midi avant de se prononcer en toute lucidité sur cette question. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste. – Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
Mme la présidente. La parole est à M. Éric Bocquet.
M. Éric Bocquet. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de regretter que le Président de la République n’ait pas cru nécessaire de devoir tenir sa promesse de visiter le Congrès des maires de France cette semaine (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, du groupe socialiste et républicain, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.),…
M. Philippe Dallier. Oui !
M. François Bonhomme. Bravo !
M. Éric Bocquet. … alors même que les maires sont particulièrement sensibles aux questions qui intéressent le Sénat cet après-midi.
Évidemment, le débat qui nous occupe aujourd’hui présente un lien assez étroit avec les préoccupations exprimées par nombre de nos collègues élus locaux à l’occasion de ce congrès.
Le sujet qui nous intéresse est pour le moins important. Une partie de la France doit-elle, dans les faits, être privée d’entrer dans le XXIe siècle ? Les établissements de crédit agréés n’ont-ils pas quelques missions de service public et d’aménagement du territoire à accomplir ? L’accessibilité bancaire est-elle un mythe et un rêve quasi inaccessible ?
Ces questions sont au cœur de la proposition de loi déposée par notre collègue Éric Gold, que nous ne pouvons évidemment que soutenir par principe, et qui mérite analyse.
Ce que soulignent les auteurs de ce texte, et qui dépasse largement la question de la présence physique des distributeurs automatiques de billets de banque, c’est qu’une large partie du territoire national n’est, encore une fois, pas placée dans les meilleures conditions pour participer à la vie sociale et économique du pays.
Cette France rurale, « périphérique » dit-on aujourd’hui, de moins en moins tournée vers l’agriculture et de plus en plus transformée en villégiature pour ménages de salariés des grandes agglomérations, nous la connaissons tous très bien.
Je suis moi-même élu d’une petite commune du Nord, dont la population a pourtant crû de près d’un tiers en vingt ans. J’ai été confronté, comme beaucoup d’entre vous, au refus obstiné des établissements financiers, à commencer par La Poste, d’améliorer leur qualité de service dans ma commune. Celle-ci se situe pourtant dans le périmètre de la métropole européenne de Lille.
Notre collègue Éric Gold, dans sa communauté de communes proche de Clermont-Ferrand, sait très bien lui aussi ce que signifie cette lente et sûre progression de sa population. Cela veut dire que l’étalement urbain progresse et que, de manière diffuse, émergent des territoires de plus en plus liés à l’agglomération principale la plus proche, sans pour autant que ceux-ci puissent disposer des réponses en termes de service public que réclame cette évolution.
Nous ne pouvons accepter une telle situation dans notre République, car elle met en cause l’égalité entre les territoires, lesquels sont les victimes d’une version abrupte de la concurrence libre et non faussée qui exclut ainsi, peu à peu, les lieux et les habitants de la périphérie pour ne s’intéresser qu’aux positions centrales.
Le mode de résolution du problème qui est prévu par la proposition de loi est-il le plus efficient ? Nous allons en débattre, mais nous pouvons cependant en douter.
Le rapport l’évoque d’ailleurs clairement, puisqu’il souligne le caractère systémique de l’inégalité bancaire. Il rappelle également la position de la Cour des comptes selon laquelle « la question de la disponibilité des services bancaires sur le territoire et de l’inégal accès à ces services doit être examinée au regard de la diminution des services de guichet. […] Seule La Banque postale, en raison des contraintes de présence territoriale imposées à La Poste, fait figure d’exception ».
La Banque postale, justement : cela fait quelque temps que La Poste est, de manière historique, l’opérateur de référence pour l’accessibilité bancaire, tenu de permettre à toute personne qui le souhaite d’ouvrir un compte d’épargne ou un compte chèque. En foi de quoi, sur présentation du compte retraçant ces obligations de service public, La Poste se trouve ainsi rémunérée.
Mais les banques ordinaires dans tout cela ? N’ont-elles aucune obligation ? Ne sont-elles pas obligées de participer aux missions de service public, de prendre en compte l’aménagement du territoire ?
Au fond, mes chers collègues, la question est la suivante : faut-il vraiment laisser au seul marché le soin d’aménager le territoire ? (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)