Mme la présidente. La parole est à M. Laurent Duplomb. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Laurent Duplomb. Monsieur le secrétaire d’État, avec le CETA, vous mettez de nouveau en œuvre le « en même temps » catastrophique de la politique gouvernementale, en démontrant son incohérence.
L’incohérence, c’est de faire voter, voilà quelques mois, la loi ÉGALIM, qui stigmatise dramatiquement l’agriculture française. Avec ce texte, il faudrait changer notre modèle agricole pour un modèle moins intensif, moins polluant, plus vertueux, plus bobo, quoi ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe La République En Marche.)
C’est aussi la multitude de contraintes supplémentaires pour nos agriculteurs. Je pense à l’interdiction des rabais, ristournes et remises sur les produits phytosanitaires, à l’interdiction des néonicotinoïdes, à l’interdiction du cumul du conseil et de la vente des produits phytosanitaires.
Dans le même temps, vous préparez le CETA, avec, en toile de fond, pour l’agriculture canadienne, la possibilité d’exporter en Europe des denrées agricoles telles que la viande porcine et la viande bovine, alors que les conditions d’élevage sont radicalement différentes des nôtres.
Toujours en toile de fond, on trouve des céréales produites avec des matières actives issues de quarante-deux pesticides interdits en France, tels que l’atrazine, prohibée dans notre pays depuis plus de dix ans!
C’est ce même « en même temps » scandaleux que vous promouvez en déclarant qu’il n’est pas question « d’ouvrir nos frontières aux produits alimentaires avec des pesticides jugés toxiques chez nous ».
C’est raté, monsieur le secrétaire d’État, car c’est exactement le résultat de cet accord commercial : les Canadiens pourront nous vendre ces produits, et sans taxe ! La compétitivité de leurs produits sera ainsi accrue, au détriment des produits agricoles français.
En outre, cela fait un an jour pour jour que les produits canadiens entrent en Europe et en France, alors que l’accord n’a pas encore été ratifié par le Parlement.
Monsieur le secrétaire d’État, comment pouvez-vous faire cela à nos agriculteurs et, surtout, aux consommateurs français ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Monsieur le sénateur, vous parlez d’incohérence. Or la cohérence, c’est de vous rappeler que cet accord entre l’Union européenne et le Canada a été engagé par un certain Nicolas Sarkozy, …
M. Laurent Duplomb. C’était avant la loi ÉGALIM !
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État. … à un moment où un homme politique de votre département participait au Gouvernement. Il aurait pu légitimement s’émouvoir des craintes que vous aviez.
La cohérence, c’est de se dire que, dans cette mondialisation, nos filières agricoles ont beaucoup à gagner. Nous sommes en effet une puissance exportatrice agricole. Nos produits agricoles et agroalimentaires contribuent positivement à la balance commerciale.
Permettez-moi, monsieur le sénateur, de me référer à vos activités passées ou récentes. Vous avez été président de l’Union du Massif central de Sodiaal. Or Sodiaal, ce n’est pas la PME du coin, c’est une entreprise classée au seizième rang mondial.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Une petite coopérative ! (Sourires.)
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État. Elle pèse 5,4 milliards d’euros. C’est donc un groupe qui bénéficie à plein d’un certain nombre d’opportunités créées par cet accord. Les produits laitiers et fromagers sont en augmentation en termes d’exportation.
Je vous incite donc, monsieur le sénateur, au nom de la cohérence, à considérer également l’ensemble de ces éléments.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je partage un grand nombre des réserves et des inquiétudes qui ont été exprimées, en particulier sur la manière dont les négociations ont été engagées. Il y a probablement eu un manque de définition claire de nos intérêts au début de la négociation. Il convient désormais d’exercer notre vigilance sur des exigences environnementales de plus en plus aiguës.
Toutefois, je veux affirmer une conviction. Face au monde selon Trump, le fait que deux espaces économiques importants de la planète, possédant des valeurs communes, puissent se mettre ensemble pour essayer d’établir une norme face au règne du rapport de force est une bonne chose. Nous devons essayer d’aller le plus possible dans cette direction, tout en veillant à nos intérêts.
Je veux aussi rappeler à quel point les gouvernements français précédents, sous l’impulsion, notamment, de Matthias Fekl, ont fait avancer un certain nombre de points s’agissant du règlement des différends en matière d’investissements et de protection de certaines appellations d’origine protégée.
Toutefois, on constate aujourd’hui que le CETA possède deux parties : la première a été négociée par l’Union européenne, dans le cadre de ses compétences exclusives et propres. Elle représente 90 % de l’accord et a été mise en œuvre depuis septembre, après sa ratification, en février 2017, par le Parlement européen.
La seconde partie représente environ 10 % du traité. Elle concerne l’investissement et les services financiers qui figurent respectivement aux chapitres 8 et 13. Elle attend sa ratification par l’ensemble des vingt-sept États européens, puisque le Canada a réalisé cette étape. En réalité, trente-sept parlements nationaux ou régionaux doivent la ratifier.
Monsieur le secrétaire d’État, ma question est simple. Nous le savons, la Belgique a saisi la Cour de justice de l’Union européenne. Il pourrait être logique d’attendre la décision de cette instance sur cet accord et les compétences partagées. Cependant, dans la mesure où vous semblez défendre le CETA, je voudrais savoir à quel moment le Gouvernement assumera le fait de demander une ratification par le Parlement français.
Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Jean-Yves Leconte. Cela interviendra-t-il après les élections européennes, après la décision de la Cour de justice de l’Union européenne, ou bien beaucoup plus tard ? Comment gérerez-vous l’annonce d’un refus de ratification par l’Italie ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Vous avez raison, monsieur le sénateur, le monde selon Trump ressemble beaucoup à la loi du plus fort, d’où l’intérêt de renforcer le multilatéralisme, véritable chantier qui, je l’espère, sera doté d’une boussole dans quelques jours, à l’issue du G20. En effet, il serait bon d’avoir un calendrier s’agissant des réformes et de la modernisation de l’OMC.
Vous avez également raison, un dialogue entre deux blocs tels que l’Union européenne et le Canada en matière réglementaire est une chose positive. Si d’aventure la Chine et les États-Unis se mettaient d’accord sur des normes, le marché est tel que celles-ci s’imposeraient assez vite à tous.
Il est donc particulièrement important d’imposer, de façon offensive, nos propres normes, par exemple nos IGP, dans le cadre d’un accord de juste échange, afin de garder la main.
Vous avez évoqué le rôle de Matthias Fekl, et je reconnais bien volontiers avec vous sa contribution positive pour améliorer le dispositif en matière d’arbitrage.
Cet accord a été engagé sous un Président de la République issu de la droite ; il a été poursuivi sous un Président de la République issu du parti socialiste. Chacun a donc eu vocation à le perfectionner, pour répondre à un certain nombre de craintes.
Par ailleurs, nous souhaitons soumettre le texte à ratification dès lors qu’il y aura une étude d’impact répondant aux attentes fortes exprimées par le Parlement. Je veux parler d’une estimation des effets macroéconomiques plus approfondie qu’un simple copier-coller de l’étude d’impact de la Commission européenne. Nous avons donc missionné le CEPII, un organisme de recherche et d’expertise sur l’économie mondiale, ainsi qu’un certain nombre d’inspections pour évaluer l’incidence du CETA sur des filières sensibles de type agricole.
Une fois que tous ces éléments, qui permettront de vous éclairer complètement, seront enfin disponibles, nous déposerons un projet de loi de ratification. Ce travail est en cours, puisque pas plus tard qu’aujourd’hui j’étais en réunion avec des représentants des commissions et des experts, pour examiner si la méthodologie retenue pour l’étude d’impact était bien celle qui convenait au Parlement.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Il faut un moratoire !
Mme la présidente. La parole est à M. François Bonhomme.
M. François Bonhomme. Monsieur le secrétaire d’État, je souhaite aborder la question de la filière bovine, notamment celle des éventuels soutiens budgétaires qui pourraient lui être accordés, dès lors que les quotas à droit nul seront totalement ouverts.
Je le rappelle, pour la filière bovine, les contingents d’importation à droit nul concédés au Canada ont été fixés à plus de 45 000 tonnes, soit 0,6 % de la consommation européenne.
Certes, le CETA prévoit que l’Union européenne puisse activer une « clause de sauvegarde », afin de réduire temporairement les quotas canadiens en cas de soudain « déséquilibre du marché d’un produit agricole ».
Force est de le constater, la déstabilisation de la filière bovine risque de se révéler lente et progressive, dès lors que l’ouverture des contingents à droit nul ne sera complète qu’au bout de sept ans.
Aussi la déstabilisation de la filière bovine ne devrait-elle pas, a priori, permettre l’activation de la clause de sauvegarde prévue par le CETA, celle-ci ne pouvant intervenir qu’en cas de déstabilisation soudaine et importante du marché.
Néanmoins, lorsque ces quotas seront pleinement ouverts, nous avons de bonnes raisons de croire qu’ils deviendront véritablement attractifs pour la filière canadienne, qui se révélera dès lors structurellement plus compétitive que la filière française.
En effet, si les contingents à droit nul devraient dans un premier temps rester limités et peu attractifs, de nombreux observateurs considèrent qu’une fois que les contingents de cette nature offerts au Canada auront atteint leur rythme de croisière, ils deviendront plus attrayants pour les exportateurs canadiens.
J’ai donc deux questions à vous poser, monsieur le secrétaire d’État.
Tout d’abord, que prévoit le Gouvernement pour accompagner les éleveurs une fois que tous les quotas seront totalement ouverts et que la filière canadienne sera complètement attractive ?
Ensuite, quelles compensations financières pourraient être apportées à nos éleveurs face à ce qui s’apparente à un déséquilibre compétitif ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Monsieur Bonhomme, accompagner les éleveurs, c’est leur ouvrir des marchés extérieurs. Nous sommes donc au rendez-vous ! Je reviendrai tout à l’heure sur les quotas octroyés au Canada.
Le marché chinois s’ouvre de nouveau au bœuf français et européen. L’accord signé avec le Japon est également porteur d’opportunités considérables, tant pour le bœuf que pour le porc. C’est la même chose pour l’accord qui a été conclu avec le Vietnam.
Certes, tout le monde peut se barricader ! Dès lors, nos propres productions ne pourraient plus s’exporter. Selon moi, le meilleur accompagnement, c’est l’ouverture de nouveaux marchés offrant de nouveaux débouchés.
Le quota de 45 000 tonnes que vous évoquiez est d’ores et déjà mis en place. Vous le disiez vous-même, et je vous remercie d’ailleurs de ce chiffre révélateur, cela correspond à 0,6 % du marché européen. En réalité, il représente aujourd’hui moins de 500 tonnes, soit 1 % de 0,6 %. L’impact de la mesure est donc extrêmement limité.
Vous le disiez également, nous veillons à introduire un certain nombre de clauses de sauvegarde, car il est important que nous puissions reprendre le contrôle en cas de déstabilisation. De la même façon, nous avons besoin, dans les négociations à venir, de tenir compte des concessions passées. C’est le fameux mécanisme dit Single Pocket, qui permet d’avoir cette vision globale. Nous sommes un certain nombre à œuvrer en faveur d’une telle disposition. Nous avons enfin obtenu une telle référence, qui est un point d’accroche intéressant, dans le cadre du mandat de négociation avec l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Nous resterons donc mobilisés aux côtés des éleveurs.
Mme la présidente. La parole est à M. Christophe Priou.
M. Christophe Priou. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je souhaite évoquer ici deux thèmes, à savoir l’environnement et le maritime.
Tout d’abord, le principe de précaution n’est pas suffisamment explicite. Permettez-moi de vous le rappeler, tel qu’il a été formulé dans la déclaration de Rio : « En cas de risque de dommages graves ou irréversibles, l’absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l’adoption de mesures effectives visant à prévenir la dégradation de l’environnement. »
À ce stade, je pense utile de faire référence à la procédure d’équivalence, qui permettra aux Européens et aux Canadiens d’harmoniser certaines normes équivalentes, notamment en termes de protection de l’environnement.
S’il n’y a pas actuellement de convergence des instruments de lutte contre le réchauffement climatique, il n’y a pas non plus d’engagement contraignant sur la sécurité maritime, quarante ans après le naufrage de l’Amoco Cadiz et vingt ans après celui de l’Erika. Il était nécessaire de travailler sur la généralisation de certaines normes de sécurité pour les navires. Je pense par exemple aux paquets européens Erika I, II et III.
Au mois de juillet 2011, dans le cadre de la mission parlementaire chargée d’analyser le fonctionnement du Fonds d’indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures, nous avions préconisé d’améliorer le fonctionnement du régime international d’indemnisation, en accélérant le traitement des demandes d’indemnisation en cas de sinistre de grande ampleur. Cela me semble utile pour favoriser la future coopération réglementaire et limiter la divergence des normes futures. Le CETA fait explicitement mention de la création d’un « forum de coopération réglementaire ». Comment ce nouveau dispositif fonctionnera-t-il ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Monsieur le sénateur, vous m’interrogez sur l’environnement. Comme j’ai eu l’occasion de le préciser, dans notre politique commerciale, nous insistons sur le respect de l’accord de Paris, qui est pour nous une boussole. Certes, à l’époque de la conclusion du CETA, le processus de ratification de l’accord de Paris n’était pas encore aussi avancé qu’aujourd’hui. Lors de la dernière réunion du comité conjoint entre l’Union européenne et le Canada, nous avons veillé à faire en sorte que les parties fassent explicitement référence à cet accord, afin d’afficher clairement notre ambition environnementale.
Je connais votre engagement en faveur de la sécurité maritime, hier comme député et aujourd’hui comme sénateur, au regard du drame qu’a connu la côte atlantique. Le sujet ne relève pas de la politique commerciale. Il est traité dans un certain nombre d’enceintes. Pour ma part, je suis à l’écoute des propositions qui pourraient être issues de vos rapports ou de vos travaux, si d’aventure nous pouvions les défendre à l’échelon européen. La sécurité maritime doit être pleinement prise en compte lors des discussions sur les transports : nous avons besoin de protéger nos littoraux.
Mme la présidente. La parole est à M. Christophe Priou, pour la réplique.
M. Christophe Priou. Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie de votre réponse. Les échanges transatlantiques doivent effectivement être des échanges protégés. Et n’oublions pas que de nouvelles routes maritimes – cela concerne l’Amérique du Nord et, en particulier, le Canada – vont être ouvertes.
Mme la présidente. La parole est à M. Damien Regnard.
M. Damien Regnard. Le Canada est le dixième partenaire commercial de l’Union européenne. Cette année, avec le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Italie, la France et les Pays-Bas, ce pays compte cinq pays européens parmi ses dix premiers partenaires économiques.
L’accord économique et commercial global, qui est entré en vigueur le 21 septembre 2017, permet la suppression progressive des barrières douanières entre l’Union européenne et le Canada, afin de faciliter l’accès des entreprises canadiennes et européennes aux marchés de la zone partenaire et de stimuler l’investissement des deux côtés de l’Atlantique.
Ces échanges commerciaux sont particulièrement significatifs. Ils s’élèvent aujourd’hui à près de 60 milliards d’euros par an. À terme, l’accord pourrait permettre d’augmenter le volume global de ces échanges de 25 %, soit 12 milliards d’euros supplémentaires par an pour le PIB de l’Union européenne.
En un an, la France a déjà bénéficié du CETA, avec une croissance de la valeur de ses exportations d’environ 5 %, notamment dans le secteur agroalimentaire ; par exemple, l’augmentation est de 8 % pour les fromages et produits laitiers et de 14 % pour les vins.
Nos deux pays partagent des valeurs communes, notamment la libre circulation des biens, des services et des personnes. En un an, la France réalise le même volume d’échanges commerciaux avec le Canada qu’en une semaine avec l’Allemagne. Et le Canada fait annuellement avec la France ce qu’il réalise en trois jours avec les États-Unis ! Réduction des coûts des marchandises, mobilité accrue des personnes, création d’emplois, croissance… : il me paraît essentiel de soutenir cet accord, afin que les entreprises françaises puissent continuer à en tirer profit dans les années à venir.
Je tiens à le rappeler ici : loin des fantasmes véhiculés par quelques adeptes du repli sur soi, le CETA ne modifie en rien les règles sanitaires propres à chaque État. Les verrous institutionnels appliqués aux mécanismes de coopération réglementaire permettront de préserver la souveraineté des deux partenaires, leurs modèles sociaux et leurs réglementations environnementales.
Encore une fois, cet accord offre de véritables chances pour notre pays, notre économie et nos entreprises. C’est pourquoi je souhaite vivement que le Gouvernement lui apporte un soutien déterminé, à l’instar des douze États membres de l’Union européenne qui l’ont déjà ratifié.
Je rentre tout juste du Canada, où les autorités que j’ai pu rencontrer, notamment la ministre des relations internationales du Québec, Mme Nadine Girault, s’inquiètent et s’interrogent devant tant de réticences !
Quand le Gouvernement affichera-t-il son soutien en proposant à la représentation nationale de ratifier le CETA ?
M. Fabien Gay. On attend la réponse avec impatience !
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Monsieur le sénateur, notre soutien est clair et ferme. Nous estimons qu’il s’agit d’un bon accord. De surcroît, nous avons obtenu un certain nombre d’engagements du Canada pour le compléter. Il n’y a donc aucune ambiguïté de notre part ; je crois que les autorités fédérales et provinciales le savent.
Nous souhaitons simplement nous assurer que la mise en œuvre de l’accord sera exemplaire. Je partage votre sentiment sur le fait qu’il y a là matière à renforcer considérablement les échanges.
Je me souviens d’un rapport de Jacques Attali sur la francophonie économique. Nous avons souvent eu des débats sur la francophonie, y compris dans cet hémicycle. D’aucuns déplorent que la francophonie économique n’avance pas assez vite. Mais en voilà un exemple très concret : le Canada est un espace francophone. Le fait d’avoir une langue en partage facilite clairement la compréhension mutuelle, les échanges, la vie… Je crois que nous devrons pleinement nous en saisir, afin que nos entreprises puissent faire de même. Vous l’avez dit, celles et ceux qui ont utilisé cette possibilité ont vu une hausse significative de leur chiffre d’affaires.
Nous sommes totalement engagés et déterminés. Nous allons mettre la feuille de route en œuvre, sous votre regard vigilant. Cela fait partie de la transparence que nous voulons introduire dans les procédures de négociation et de suivi d’accords. Comme la négociation est menée par Bruxelles, il est important pour nous d’avoir de tels échanges en amont, au sein des commissions et dans l’hémicycle. Je salue le fait que la première proposition de résolution concernant le mandat de négociation avec l’Australie et la Nouvelle-Zélande à propos d’un accord à venir ait été adoptée au Sénat. Une fois de plus, la Haute Assemblée était en avance !
Mme la présidente. La parole est à M. Cyril Pellevat.
M. Cyril Pellevat. Ma question concerne la communication autour du CETA.
J’évoquerai tout d’abord la communication destinée au grand public. On a entendu beaucoup de contre-vérités sur le CETA. On a écouté les opposants, mais peu de voix se sont élevées pour le défendre. Il y a peu d’informations ; elles sont difficiles à trouver. Monsieur le secrétaire d’État, vous venez de rappeler votre attachement à la francophonie ; or nombre de documents sont en anglais. Du coup, il y a beaucoup de mauvaises interprétations. Nous avons souvent soulevé ce point au sein de la commission des affaires européennes.
Comment vulgariser les accords économiques et commerciaux et redonner confiance à la population ? Par exemple, nous ne sommes pas informés sur les conséquences d’une absence de ratification parlementaire. Qu’en est-il ?
Où en est le Gouvernement dans son plan d’action aujourd’hui ? Une plus grande transparence et un effort d’information me semblent nécessaires.
J’en viens à la communication en direction des entreprises. Les entreprises européennes, en particulier les entreprises françaises, sous-estiment les possibilités que pourraient leur offrir les accords de libre-échange signés par l’Union européenne.
Au mois de septembre, seulement 258 entreprises exportatrices françaises s’étaient enregistrées pour s’ouvrir sur le marché canadien, contre 410 en Belgique, 1 200 en Allemagne et 12 000 au Royaume-Uni ! Nos entreprises ne bénéficient pas suffisamment des clauses ouvertes par le CETA. Comment le Gouvernement compte-t-il aider les sociétés françaises à profiter de cet accord ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Monsieur le sénateur, je partage totalement votre diagnostic selon lequel nous devons apporter beaucoup d’explications au grand public et aux entreprises. Une cinquantaine de réunions ont d’ores et déjà été organisées par les chambres de commerce sur les territoires. Il faut continuer et amplifier ce mouvement.
Il me semble important de pouvoir faire part de toutes les « histoires à succès » qui naissent grâce à cet accord. Il faut dédramatiser. Beaucoup de choses ont été affirmées ; certaines idées ont la vie dure, y compris lorsqu’elles se fondent sur des éléments factuellement faux. La quête d’une information fiable est un combat de tous les instants. Vous l’avez souligné, un certain nombre de documents doivent être accessibles en français.
En cas de non-ratification par un parlement – trente-sept parlements nationaux ou régionaux doivent se prononcer –, l’accord tombe de fait si le refus est notifié. La conséquence n’est donc pas infime. Chaque parlement devra se prononcer en son âme et conscience. Nous travaillons sur une étude d’impact.
Nous mettons à jour très régulièrement un suivi du plan d’action, à peu près tous les quatre mois. La dernière version, celle du mois de septembre, est en ligne ; elle est accessible au plus grand nombre. Le suivi doit pouvoir s’effectuer point par point, de manière très détaillée. Il y a toute une batterie d’actions.
Conclusion du débat
Mme la présidente. En conclusion de ce débat, la parole est à M. Fabien Gay, pour le groupe auteur de la demande.
M. Fabien Gay, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste. Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie de vos réponses. Je connais vos engagements. Nous pouvons avoir des divergences, mais, au moins, nous avons eu un débat ce soir, ce dont je me félicite.
Vous avez insisté dans votre propos liminaire sur les « bienfaits » de l’accord pour nos exportations : une augmentation de 11 % pour les vins pétillants, de 34 % pour le chocolat. On pourrait également mentionner la pharmaceutique ou la machinerie. Mais vous n’avez pas parlé des importations !
M. Fabien Gay. Elles sont effectivement plutôt dynamiques : en hausse de 206 % pour l’aluminium – ce n’est pas rien ! –, de 78 % pour la chimie, de 45 % pour le pétrole et les combustibles. Sur ce dernier point, je note qu’il y a une petite incohérence à mettre fin aux hydrocarbures sur notre sol national et à augmenter, dès la première année, les importations !
Mme Sophie Primas. Merci !
M. Fabien Gay. Vous ne nous avez pas répondu sur la date de ratification. Pourtant, mon collègue Damien Regnard et moi-même vous avons sondé sur ce point. Vous ne pourrez pas esquiver la question très longtemps.
M. Fabien Gay. Un peu quand même… D’ailleurs, votre réponse à mon collègue était un numéro d’équilibriste que j’avais rarement vu auparavant. Je m’incline ; je n’aurais pas su en faire autant !
Vous allez tout de même devoir nous informer de la date du débat de ratification. Nous devions l’avoir au mois de septembre ; nous ne l’avons toujours pas. Est-ce lié au fait que le gouvernement italien ne veut pas de cet accord et qu’il y a une pression de l’Union européenne ?
M. Fabien Gay. Moi aussi, j’ai mes informations. Nos parlementaires européens sont très reconnus pour leur travail. Je pourrais évoquer Patrick Le Hyaric, qui est un ami personnel ; c’est quelqu’un d’assez sérieux… J’ai échangé tout le week-end avec lui. Nous sommes plutôt d’accord.
J’aurais aimé que nous puissions échanger sur ce point, monsieur le secrétaire d’État. Cela n’a pas pu être le cas. Je vous adresserai donc demain une question écrite ; j’espère que j’aurai plus de chance avec vous qu’avec certains de vos collègues.
Il y a d’autres débats. Vous ne dites rien sur l’environnement ! Et à qui va profiter le CETA ? À mon sens, ce sera aux multinationales, c’est-à-dire à celles et ceux qui auront les moyens de nous attaquer devant les tribunaux arbitraux ! Vous n’avez pas dit un mot sur nos PME, qui devront faire face à la concurrence.
Avec ce traité de nouvelle génération, vous avez un problème : il y a les barrières tarifaires et les barrières non tarifaires. Nous devons avoir un débat sur les services publics, sur l’environnement et sur les conséquences sur la santé. Que nous soyons d’accord ou pas, les faits sont les faits : cela change nos législations européennes et nationales. C’est pour cela que le processus tarde. Nous avons du mal à avancer et à procéder à une harmonisation vers le haut, comme vous le souhaitez. S’il s’agit d’harmoniser vers le haut – vous avez cité un certain nombre d’AOC –, nous serons toujours à vos côtés. Mais, vous le savez, nous avons eu un débat sur le glyphosate. Comme il est utilisé au Canada, nous avons un peu de mal à nous engager fermement ici…
Personne ne fera la différence entre un saumon nourri aux OGM et un autre saumon ; c’est impossible à étiqueter ! Nos collègues qui sont agriculteurs vous diront qu’il est même impossible d’étiqueter le bœuf.
Enfin, nous avons un vrai problème démocratique sur les tribunaux arbitraux. D’ailleurs, vous le savez, puisque vous êtes en train de changer votre fusil d’épaule s’agissant des traités qui sont aujourd’hui sur la table, comme l’accord de libre-échange entre le Japon et l’Union européenne, ou JEFTA. Vous prétendez vouloir encadrer l’application du CETA. Mais je rappelle que la société Vermilion a exercé des pressions, par exemple, lors de l’examen du texte sur les hydrocarbures. Et il pourrait y avoir d’autres cas comme celui-là.
Encore une fois, j’espère que, malgré nos désaccords, nous saurons nous réunir lorsque nous connaîtrons la date d’examen du projet de loi autorisant la ratification du traité.
Quoi qu’il en soit, je vous remercie de ce débat, qui, je pense, a été de bonne qualité et de bonne tenue. (Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit.)