Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Madame la présidente, madame la rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens tout d’abord à saluer le travail de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, plus particulièrement celui de sa présidente, et son investissement sur les questions liées au numérique depuis plusieurs années.
Le numérique modifie en profondeur nos activités. Il a changé notre manière de nous informer, d’apprendre, de consommer, d’échanger, de nous divertir. Il est important de porter un regard critique sur ces bouleversements.
Dans votre rapport publié en juin dernier, madame la rapporteur, vous précisez avec justesse qu’il est grand temps de se former, de « prendre en main notre destin numérique », d’assurer la montée en compétence numérique de l’ensemble des citoyens et de les sensibiliser aux enjeux de la digitalisation du monde. À cet égard, et nous vous rejoignons sur ce point, nous nous devons de porter une attention toute particulière aux enfants.
Les effets potentiels d’une surexposition aux écrans des très jeunes enfants sont légitimement une source de questionnement, comme en témoignent des travaux variés sur ce sujet.
Le Gouvernement, madame la rapporteur, partage l’objectif de mieux communiquer sur des repères dans l’usage des outils numériques. Cela a été rappelé lors de l’examen en commission, à partir des recommandations établies par le ministère en 2008, le Conseil supérieur de l’audiovisuel s’est saisi de la question des enfants et des écrans. Nous mesurons aujourd’hui combien cet enjeu demeure plus que jamais d’actualité.
La proposition de loi qui est soumise au vote du Sénat visait initialement à lutter contre la surexposition des jeunes enfants aux écrans en diffusant des messages sanitaires sur les emballages. Après l’examen en commission, vous avez proposé que toute publicité pour des télévisions, des smartphones, des ordinateurs portables, des tablettes et des jeux numériques, quel que soit le support, soit assortie d’un message à caractère sanitaire.
S’il est vrai que les chiffres attestent que le temps passé devant les écrans augmente, il n’y a en revanche pas de consensus sur l’interprétation qu’il faut en faire. Les données manquent sur les conséquences de l’exposition des enfants, en particulier sur le développement psychomoteur de ceux-ci.
Pour les enfants de moins de trois ans, le ministère a récemment réitéré sa recommandation, dans le nouveau carnet de santé, en conseillant aux parents d’éviter, à titre préventif, de laisser leur enfant face à des écrans.
Cependant, eu égard au principe de responsabilité, nous ne pouvons nous permettre d’imposer des messages de santé publique précis sur des produits en circulation s’ils ne sont pas clairement étayés par des analyses scientifiques.
M. Pierre Ouzoulias. C’est irresponsable !
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État. C’est donc bien pour répondre à toutes ces interrogations et aux préoccupations partagées par le Gouvernement que le Haut Conseil de santé publique a été saisi par la ministre des solidarités et de la santé le 1er août dernier. Il lui a été demandé de produire une analyse des risques pour l’enfant et son développement liés à l’usage des écrans, ainsi qu’une étude sur les effets pathologiques et addictifs des écrans. Nous attendons que le Haut Conseil fasse la synthèse des connaissances disponibles et qu’il propose des recommandations, afin de diffuser une information fondée sur des preuves scientifiques.
Cette saisine témoigne, s’il le fallait, que le Gouvernement partage l’ensemble des inquiétudes qui ont été exprimées en commission. (M. Pierre Ouzoulias s’exclame.)
Le plan Priorité prévention présenté en mars dernier par le Premier ministre et Agnès Buzyn prévoit d’ailleurs la création de repères sur les usages des écrans destinés aux proches de jeunes enfants et une campagne d’information sur ces repères et sur les bonnes pratiques en termes de temps passé devant les écrans. Ces repères seront établis sur la base des travaux du Haut Conseil.
Par ailleurs, les États généraux des nouvelles régulations numériques sont un espace de discussion et d’échanges au sein duquel la surexposition des enfants aux écrans a été identifiée. En effet, nous ne sommes pas seuls à nous interroger et à réfléchir sur ces sujets. Le mouvement doit aussi être européen, voire international.
Enfin, je dirai un mot sur un aspect important à mes yeux, je veux parler du rôle des parents.
Nous avons souvent l’occasion de le souligner dans le cadre des actions de soutien à la parentalité : être parent est une mission difficile, aujourd’hui certainement plus qu’hier. S’agissant des écrans, la situation est très différente de celle que connaissaient les générations précédentes.
Les écrans se sont démultipliés dans les foyers et il faut désormais surveiller non seulement le poste de télévision du salon, mais également les téléphones, l’ordinateur, les tablettes, les jeux vidéo… Limiter l’accès des enfants aux écrans ne se résume plus à une surveillance intransigeante de la télécommande. Cela peut être une véritable bataille quotidienne.
Protéger d’abord les jeunes enfants : tel est le sens de la stratégie « Dessine-moi un parent » présentée cet été par le Gouvernement, dont l’un des axes est la sensibilisation des parents et la formation des professionnels aux risques de surexposition des jeunes enfants aux écrans interactifs. Nous avons besoin d’évaluer le poids de l’éducation, ainsi que le rôle des adultes référents dans les usages excessifs des écrans et leur régulation.
La question de l’usage des écrans au quotidien fait partie des difficultés qui conduisent de nombreux parents à demander de l’information et de l’accompagnement auprès des associations de soutien à la parentalité.
Le réseau des Écoles des parents et des éducateurs propose notamment des animations collectives sous forme de groupes d’échanges entre parents, des ateliers de sensibilisation aux technologies numériques ou des conférences-débats qui facilitent la prise de conscience et la parole des parents sur les pratiques numériques de leurs enfants, sans les stigmatiser ou les rendre coupables.
Je pense également au rôle de la protection maternelle infantile, dont les missions sont en cours d’évaluation et de mise à jour.
Enfin, le passage à l’instruction obligatoire dès l’âge de trois ans doit permettre à tous les enfants, sans exception, l’apprentissage de la vie en collectivité, l’interaction avec les autres, l’ouverture sur leur environnement extérieur.
Mesdames, messieurs les sénateurs, il n’est nullement question de reporter toute action ou de minimiser cette question. Notre souhait commun est bien d’agir. La seule nuance est que le Gouvernement souhaite d’abord renforcer les constats scientifiques qui doivent le guider concernant l’usage des écrans chez les enfants.
Or, à ce jour, nous estimons que les données des études que vous mentionnez sont encore trop partielles pour imposer un message sanitaire indiscutable. Nous avons besoin qu’une instance d’expertise se prononce pour pouvoir, sur cette base, mener les actions pertinentes, à la hauteur de l’enjeu pour nos enfants.
Dans ce contexte, et pour les raisons que j’ai évoquées, nous ne pouvons soutenir cette proposition de loi aujourd’hui, même si nous en partageons l’objectif.
Mme la présidente. La parole est à Mme Sylvie Robert, pour explication de vote.
Mme Sylvie Robert. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, dans un entretien à un célèbre hebdomadaire français, l’écrivain américain Philip Roth expliquait : « Face à l’écran et à son pouvoir hypnotique, la lecture est un art désormais mourant. La forme romanesque, comme vecteur d’informations sur le monde et l’expérience humaine, et comme plaisir, est devenue obsolète. »
Sans s’enferrer dans une vision manichéenne, où le numérique ne ferait que rapetisser l’Homme, je pense que les propos de cet écrivain, étendus à d’autres domaines que la lecture, sont éclairants sur les risques inhérents à une exposition massive aux écrans. Il est question « d’informations sur le monde », d’« expérience humaine », de « plaisir », en somme de réflexions et d’interactions avec le monde et avec les autres.
Comme l’ont démontré nombre de psychiatres et de pédopsychiatres – je ne reviendrai pas sur les études mentionnées par la présidente Catherine Morin-Desailly –, ces découvertes de la vie, ces contacts humains sont encore plus déterminants pour les enfants, en particulier entre zéro et trois ans. Ils permettent tout à la fois l’apprentissage du langage, de la communication verbale et corporelle. Ils améliorent les capacités motrices, d’attention et de concentration. Ils sont donc des moments vitaux dans la construction de l’enfant en tant qu’individu.
Or, sans diaboliser les objets numériques, qui peuvent être parfois d’une grande utilité pour l’apprentissage et la diffusion des connaissances, par exemple, il faut reconnaître que leur utilisation immodérée, voire frénétique, pose de plus en plus problème et peut être clairement dangereuse pour les enfants. Il convient donc de veiller à ne pas en arriver à une situation où ce seraient ces objets qui prendraient possession de l’être humain, bien plus que celui-ci en contrôlerait l’usage et l’évolution.
Sur ce point, je crois que nous sommes entrés dans une phase de transition. Après l’euphorie liée à la démocratisation d’internet et au développement « hypersonique » des moyens de communication, l’envers du décor est apparu.
Collectivement, nous avons pris conscience que l’entrée dans la « troisième révolution industrielle », selon l’expression de Jeremy Rifkin, s’accompagnait d’enjeux modernes auxquels il est impératif de réfléchir et d’apporter des réponses satisfaisantes.
En d’autres termes, cette phase de transition est une nouvelle phase de régulation, consécutive aux progrès exponentiels en matière numérique. Il s’agit de préserver les équilibres sociaux et de maintenir un rapport harmonieux entre la société et le déploiement des nouvelles technologies.
C’est dans ce cadre global que s’inscrit la présente proposition de loi, qui est, à mon sens, importante. Elle est une première étape en vue de concilier au mieux le développement psychologique et moteur des enfants avec l’usage des objets numériques. Ainsi, les dispositions visant à avertir des dangers des écrans pour le développement des enfants de moins de trois ans et à mener des campagnes pour sensibiliser tout un chacun sur le sujet sont des propositions très importantes.
À l’avenir, il serait pertinent de faire preuve d’encore plus de pédagogie, sans chercher à prononcer des injonctions qui ne seraient que contre-productives, car l’éducation des enfants aux écrans passe obligatoirement par l’éducation des parents à ces mêmes écrans. Ces derniers ont tellement imprégné notre quotidien, sont devenus tellement indispensables dans les sphères professionnelle et privée que les adultes peuvent aussi acquérir des réflexes négatifs et oublier que leur propre exposition prolongée peut être pernicieuse et constituer un mauvais exemple pour leurs enfants. Il est donc impératif de prendre ses distances avec les écrans, tout en ayant conscience qu’il serait bien sûr vain et inutile de s’en priver.
Par ailleurs, il est important de souligner que les actions de prévention prévues dans le présent texte, eu égard à leur objectif de santé publique, nécessitent de véritables moyens financiers, d’autant plus que les progrès du numérique et de l’intelligence artificielle sont amenés à s’intensifier, et, partant, les dérives liées à la surexposition aux écrans. Peut-être faudra-t-il inévitablement prévoir, dans les années à venir, un vaste plan de prévention, sachant que cette surexposition peut entraîner des problématiques de santé publique liées à la sédentarité.
Enfin, comme ne manqueront pas de le dire, je l’imagine, mes collègues qui interviendront après moi, je tiens à faire part de ma surprise, pour ne pas dire de mon incompréhension, face à la position que le Gouvernement a exprimée en commission et encore aujourd’hui. Cette proposition de loi, mes chers collègues, est de bon sens, pour ne pas dire essentielle. Elle est aussi la première pierre d’un édifice, car il nous faudra aborder ensuite la question des contenus et de l’éducation au numérique. Son rejet par l’exécutif, sans véritable motif, n’est nullement encourageant. Il nous laisse surtout très perplexes.
Madame la secrétaire d’État, vous avez argué de la nécessité de mener des études d’impact – on vous a entendue – avant de légiférer sur cette question. Je vous rappellerai simplement, comme l’a dit Mme la rapporteur, et comme je l’ai déjà indiqué en commission, que lorsqu’il s’est agi d’interdire les téléphones portables à l’école, vous n’avez nullement attendu de bénéficier de telles analyses.
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteur. Tout à fait !
Mme Sylvie Robert. Au contraire, il y avait urgence, et la précipitation était de rigueur ! On avait alors fait confiance au Gouvernement. Je formule donc le vœu que, à l’avenir, les avis du Gouvernement soient étayés par de véritables arguments et qu’ils ne soient pas simplement des postures sélectives.
En conclusion, en cette Journée internationale des droits de l’enfant, écoutons le Défenseur des droits, qui a évoqué ces questions. Cette proposition de loi, que bien sûr nous voterons, traite de prévention, mais aussi d’éducation, en bref de la construction des adultes de demain, tout simplement. (Bravo ! et applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Laborde, pour explication de vote.
Mme Françoise Laborde. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, madame la rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi dont nous débattons a été examinée selon la procédure de législation en commission et adoptée à l’unanimité, tant son objet est d’intérêt majeur pour la santé de nos futures générations.
Les scientifiques le démontrent avec constance depuis plusieurs années, l’exposition précoce des enfants aux écrans est délétère pour leur développement et constitue un risque important de santé publique.
Certes, la responsabilité d’exercer une vigilance de chaque instant sur l’usage des écrans numériques qui est fait par les enfants incombe d’abord aux parents, lesquels doivent protéger leurs enfants de toute surexposition, mais surtout donner l’exemple d’une utilisation raisonnée et raisonnable. Toute action de prévention passe nécessairement par ces derniers, et par l’entourage socio-éducatif des enfants.
L’impact des écrans sur nos vies est fort, car cet usage allie la facilité du virtuel et la force de l’émotionnel, le plus souvent en huis clos. Dans ce contexte, plus l’enfant sera accompagné par des adultes, mieux il sera outillé pour tirer les bénéfices des écrans, plutôt que d’en subir tous les risques. Pour réussir, il est préconisé d’appliquer une règle de précaution simple, celle du 3-6-9-12 : pas d’écran avant 3 ans, pas de console de jeux avant 6 ans, pas d’internet avant 9 ans, pas de réseau social avant 12 ans.
Selon l’étude Junior Connect’ de 2017, les enfants âgés de un à six ans passent en moyenne quatre heures et trente-sept minutes par semaine devant un écran, soit cinquante-cinq minutes de plus qu’en 2015. Or les conséquences d’une exposition prolongée sont dramatiques : problèmes de langage, de repères dans l’espace et de sommeil, perte d’habileté motrice ou d’attention liée à trop de sédentarité et de passivité, voire vision du monde à plat.
J’ai la conviction que la politique de prévention des risques associée à ces mésusages doit être renforcée, et je félicite ma collègue Catherine Morin-Desailly d’avoir œuvré en ce sens, même s’il reste des pistes d’amélioration. En commission, nous avons adopté un texte obligeant les fabricants, dans les conditions fixées par arrêté, à indiquer sur l’emballage des outils numériques que leur utilisation peut nuire au développement psychomoteur des enfants de moins de trois ans et prévoyant qu’un message similaire apparaisse dans les publicités, comme cela est le cas pour ce qui concerne les aliments gras, par exemple.
Cette multiplication des supports de diffusion du message, fruit du travail de la commission, est nécessaire pour que la mesure de prévention ait un effet réel. Plusieurs amendements visant à élargir la portée du message ont d’ailleurs été déposés par mon groupe.
Le premier tendait à élargir le périmètre de diffusion du message sanitaire aux sites de e-commerce qui mettent en vente des outils et des jeux numériques avec écran. Cette discussion devra être menée à l’échelon européen, dans le cadre de la renégociation de la directive e-commerce.
Il est également nécessaire, à mon sens, d’élargir ce message aux plateformes qui fournissent des contenus audiovisuels, afin notamment d’alerter les parents sur les effets du visionnage par les très jeunes enfants des vidéos qui leur sont expressément destinées, comme celles de comptines enfantines disponibles en ligne. La future loi sur l’audiovisuel, qui sera examinée au second semestre 2019, sera l’occasion d’en débattre.
Enfin, les décrets d’application devront associer aux « actions d’information et d’éducation institutionnelle » tous les services sanitaires et socio-éducatifs entourant les jeunes enfants : les services de santé, bien sûr, mais aussi ceux de la petite enfance. Nous considérons en effet que les agents de ces services doivent réellement être formés à la problématique de l’impact des écrans sur les enfants, afin qu’ils puissent eux aussi être acteurs de la prévention, surtout dans la mesure où ces services disposent d’écrans mis à la disposition des enfants, à l’instar des médiathèques.
Si la commission de la culture a fait preuve de bon sens en adoptant à l’unanimité cette proposition de loi, mon incompréhension a cependant été totale à l’annonce de la position défavorable du Gouvernement. Il vous semble urgent d’attendre, madame la secrétaire d’État. Il nous paraît au contraire que nous devons nous fier aux recherches scientifiques, toutes concordantes, qui estiment qu’il est urgent d’agir.
La procédure de législation en commission a limité l’approfondissement du travail parlementaire sur ce texte, et nous le regrettons. Nous estimons toutefois que la politique de prévention sur l’usage précoce des écrans, qui doit être transversale, mérite d’être accélérée et amplifiée. C’est pourquoi le groupe du RDSE votera en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Colette Mélot, pour explication de vote.
Mme Colette Mélot. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission, rapporteur, mes chers collègues, à l’heure où l’âge moyen de possession d’un premier téléphone portable est de dix ans, l’exposition des enfants aux écrans est devenue un enjeu de santé publique.
En mai 2017, une tribune parue dans le journal Le Monde dénonçait les « graves effets d’une exposition précoce des bébés et des jeunes enfants à tous types d’écrans ». Les experts qui s’exprimaient s’alarmaient du manque de réactivité des enfants de trois ans dont les parents avaient remplacé les jeux d’éveil traditionnels par des écrans. Ils ne sont pas les seuls. Chamath Palihapitiya, ancien vice-président de Facebook chargé de la croissance et de l’audience, a interdit à ses enfants d’utiliser le réseau social et limité drastiquement l’usage des écrans. Même philosophie pour Sean Parker, Bill Gates et Steve Jobs.
En septembre dernier, une étude canadienne menée sur plus de 4 500 enfants de huit à onze ans aux États-Unis indiquait un appauvrissement du développement cognitif des enfants qui passent plus de deux heures par jour sur des écrans.
En effet, les experts s’accordent à dire que la surexposition des enfants aux écrans les expose à un ensemble de risques sanitaires et psychosociaux auxquels nous devons être attentifs : risque de dépendance, myopie, troubles de l’attention, de la mémoire et du comportement, difficultés d’apprentissage, retard de la parole, isolement social, risque d’exposition aux contenus violents ou pornographiques et au cyber-harcèlement… La liste est longue, comme en témoignent les mises en garde communiquées par l’Agence nationale de sécurité sanitaire.
Le groupe Les Indépendants – République et Territoires est particulièrement sensible à cette problématique et salue une initiative législative qui vise à sensibiliser la société dans son ensemble aux effets néfastes de la surexposition ou de l’exposition précoce aux écrans. Nous soutenons cette démarche, qui apporte des compléments utiles aux campagnes de sensibilisation que mène le CSA, le Conseil supérieur de l’audiovisuel, chaque année depuis dix ans.
Nous avions proposé des dispositions complémentaires lors de l’examen au Sénat de la proposition de loi relative à l’encadrement de l’utilisation du téléphone portable dans les établissements d’enseignement scolaire. Le premier dispositif visait à équiper les écrans de filtres à lumière bleue, afin de protéger la rétine des plus sensibles. Le second tendait à encadrer la durée d’utilisation pédagogique des écrans par classe d’âge.
Si ces amendements n’ont pas été retenus l’été dernier, leur pertinence nous a été confirmée cet automne par les experts que nous avons interrogés pour préparer l’examen de cette proposition de loi. Serge Tisseron, psychiatre spécialisé dans les rapports aux nouvelles technologies, a attesté l’effet néfaste de la lumière bleue émise par les LED, notamment pour les jeunes enfants. Le cristallin de ceux-ci n’étant pas encore suffisamment opaque pour filtrer naturellement ce type de lumière, la conséquence est un risque accru de développer plus tard une dégénérescence maculaire liée à l’âge.
Par ailleurs, la lumière bleue émise par les écrans perturbe notre horloge biologique en inhibant la sécrétion de mélatonine, et cela quelle que soit la classe d’âge.
Madame la secrétaire d’État, nous avons déposé de nouveau ces amendements lors de l’examen en commission de la proposition de loi et sommes convenus d’une application de ces mesures par voie réglementaire. Nous serons vigilants sur ce point.
Mes chers collègues, si le numérique représente une source inépuisable de savoir et une rupture technologique au moins aussi importante que l’invention de l’imprimerie, nous ne maîtrisons pas encore la révolution qu’il opère dans nos vies et dans le développement cognitif des plus jeunes. Aussi devons-nous rester attentifs aux signaux envoyés par les communautés scientifiques et éducatives, pour réguler et limiter les effets néfastes qu’ils nous signalent.
Cette proposition de loi va dans le bon sens, et c’est pourquoi mon groupe la soutiendra. (Applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Laure Darcos, pour explication de vote. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Laure Darcos. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de saluer le remarquable travail de fond réalisé par Catherine Morin-Desailly, dont la détermination se concrétise avec la proposition de loi que la Haute Assemblée examine aujourd’hui.
Le contexte, vous le connaissez. Il est préoccupant, voire alarmant : tous les spécialistes auditionnés par la commission de la culture, de l’éducation et de la communication ont souligné les dangers qui découlent de l’exposition des tout-petits aux écrans.
Retard dans le développement moteur de l’enfant, apparition tardive du langage, difficultés majeures dans l’apprentissage de l’attention et de la concentration, socialisation imparfaite : les conséquences de cette surexposition des moins de trois ans sont parfaitement identifiées. Elles sont désastreuses et peuvent contrarier la capacité de ces enfants à devenir des adultes structurés, autonomes et équilibrés.
La proposition de loi qui nous est soumise s’adresse d’abord aux industriels : ils sont incités à mieux prendre en compte dans leur activité ces préoccupations psychologiques et sociologiques. Il y va de leur responsabilité sociétale.
Loin de moi l’idée que les fabricants fassent peu de cas du problème de santé humaine qui nous préoccupe ici, mais il me paraît indispensable qu’ils ne se limitent pas à reproduire les messages d’alerte et de prévention imposés par la réglementation. Ils doivent, dès à présent, reconsidérer la conception même de leurs produits et évaluer a priori les conséquences de ces derniers en cas d’usage déraisonnable, excessif ou incontrôlé.
Cette autorégulation est possible, comme le montre l’exemple de l’industrie agroalimentaire, qui s’est efforcée de réduire les teneurs en sucre, sel et graisse des produits qu’elle met sur le marché, tout en diffusant des messages de prévention pour inciter à modérer la consommation et à pratiquer le sport. Il peut en aller de même pour les fabricants de jouets, de terminaux, de contenus numériques et, plus largement, de produits connectés.
Je veux ensuite insister sur la responsabilité personnelle des parents et rappeler que l’éducation aux écrans est un devoir de tous les instants, qui ne souffre aucun relâchement.
Mais comment peut-on dissuader les enfants de recourir aux écrans si on leur donne soi-même l’exemple d’un usage immodéré des terminaux connectés, tablettes ou smartphones ? Ce serait abdiquer ses responsabilités éducatives de laisser son enfant seul face à un écran, sous prétexte qu’on est soi-même débordé, ou pour avoir la paix.
Nous le savons tous : le rôle parental suppose, sur ce sujet comme sur tous les autres, de poser des règles, de donner l’exemple, de n’accepter aucune habitude addictive.
C’est l’intérêt supérieur de nos enfants qui est en l’occurrence en jeu. Pour résister à la fascination de l’écran, il ne suffit pas d’interdire. Il faut aussi s’investir dans les activités de l’enfant, en interaction, pour qu’il sorte d’une dépendance passive, grâce à un environnement familial et social qui puisse éveiller son attention, sa curiosité, son envie d’agir. Ainsi l’aidera-t-on à construire sa personnalité.
Au-delà de la cellule familiale, essentielle en matière de prévention, il me semble que cette mission relève aussi des lieux de socialisation. Je pense évidemment au rôle décisif des structures d’accueil et des acteurs de la petite enfance : crèches, assistantes maternelles, professionnels de la protection maternelle et infantile. Mais, plus largement, il faut solliciter les professionnels de santé, notamment les pédiatres, et toute la communauté éducative.
Ces professionnels en ont bien conscience, d’ailleurs. L’engagement doit être collectif. Tous ceux qui sont en contact avec les plus jeunes peuvent prendre une part de responsabilité dans la prévention de ce comportement à risque, omniprésent et nocif.
Il convient donc que tous les professionnels qui sont en contact direct avec les enfants soient eux-mêmes formés et informés, afin de nouer avec les parents un dialogue constructif lorsque les troubles de comportement sont constatés.
Je propose également que la règle énoncée par le psychiatre Serge Tisseron, auditionné par notre commission, soit rappelée avec constance : aucune exposition aux écrans entre zéro et trois ans, en vertu du principe que le temps passé par un enfant de moins de trois ans devant un écran est préjudiciable à son développement ; pas de console de jeux portable avant six ans ; pas d’internet avant neuf ans, et seulement un internet accompagné jusqu’à l’entrée en collège ; enfin, internet seul à partir de douze ans, mais avec prudence.
Pour mobiliser les consciences, je suggère, premièrement, l’instauration d’une journée sans écran, qui permettrait aux familles de se retrouver et de faire une pause avec l’environnement numérique qui accapare toute l’attention au détriment d’autres activités favorisant le partage et l’interactivité. Je pense que cette piste mérite d’être étudiée, et je connais quelques familles qui ont renoué avec de vraies relations intrafamiliales grâce à cette pratique.
Je propose, deuxièmement, de réfléchir à la mise en place d’ateliers obligatoires pour les parents à la maternité, dans les crèches et les écoles, mais aussi, et surtout, dans les centres de PMI, même si tous ces professionnels sensibilisent déjà beaucoup les familles.
Je sais bien qu’interdire les outils numériques et leurs usages est illusoire. C’est donc bien en matière de prévention qu’il nous faut agir.
La proposition de loi de notre collègue Catherine Morin-Desailly pose les bases indispensables à la régulation de l’usage des écrans. Elle fait œuvre utile. Le groupe Les Républicains, par ma voix, la soutient donc avec conviction.
Madame la secrétaire d’État, en cette Journée internationale des droits de l’enfant, il aurait été symbolique que votre gouvernement approuve notre texte de loi. Nous sommes tous convaincus qu’il va dans le bon sens. (Applaudissements.)