M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Annick Girardin, ministre des outre-mer. La réforme de l’écosystème économique des territoires d’outre-mer est globale, elle forme un tout.
Sur le quinquennat, le Gouvernement prévoit d’engager 400 millions d’euros pour le développement économique des outre-mer. Ce montant est issu du redéploiement intégral d’un ancien dispositif, la TVA NPR – non perçue récupérable –, qui était très opaque.
Sur cette même période, il consacrera également 280 millions d’euros supplémentaires à l’investissement public, grâce aux marges de manœuvre dégagées via une mesure de justice sociale relative à l’impôt sur le revenu, à savoir la prolongation de la défiscalisation en outre-mer jusqu’en 2025. Par ailleurs, les zones franches d’activité seront mieux ciblées et dopées, puisqu’elles permettront aux entreprises des secteurs éligibles de bénéficier d’un taux d’impôt sur les sociétés de 6 %, ce qui est une première.
Je tenais à rappeler le contexte général, mais nous sommes bien sûr aussi là pour évoquer la réforme des dispositifs d’allégement du coût du travail : il s’agit d’une réforme qui nous oblige, puisqu’elle s’appliquera à l’échelon national au 1er janvier 2019 et qu’elle concerne également l’outre-mer.
Deux objectifs ont été assignés à cette réforme.
Le premier est de réduire massivement le coût du travail pour les salaires proches du SMIC, en ramenant à zéro les charges patronales dans les zones les plus intenses en matière d’emploi. Favoriser l’emploi, en particulier dans les territoires d’outre-mer, là où le taux de chômage est plus élevé que partout ailleurs, notamment chez les jeunes, c’est le combat de ce gouvernement. J’assume ce choix de réduire le coût du travail pour les plus bas salaires, car il s’agit aussi d’un moyen de lutter contre le travail illégal et le travail dissimulé. Je l’assume d’autant plus que 53 % des salariés ultramarins gagnent moins de 1,4 fois le SMIC et 85 % moins de 2,5 fois le SMIC. Vous le voyez, nous proposons là une réponse adaptée à la situation de tous ces jeunes peu formés que nous rencontrons dans les territoires d’outre-mer.
Le second objectif est de réaliser cette réforme à coûts constants. Les engagements du Gouvernement ne seront pas inférieurs en 2019 à ce qu’ils ont été en 2018.
Mme Laurence Cohen. Il en faudrait davantage !
Mme Annick Girardin, ministre. Les secteurs de production locale que sont le BTP, la pêche, l’industrie ou le tourisme seront les grands gagnants de la réforme.
Cette réforme me semble juste, mais elle inquiète ; nous l’avons entendu. Les chiffres du Gouvernement, issus des travaux qu’il a menés avec l’ACOSS, l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale, sont mis en question, car ils sont parfois différents de ceux que produisent les socioprofessionnels des différents territoires. J’ai pris l’engagement de rouvrir le dialogue et annoncé, à l’Assemblée nationale, que nous apporterions des réponses, ici au Sénat, si nous étions en mesure de le faire.
Nous répondrons ainsi à propos de la Guyane, monsieur le sénateur Patient, et de Mayotte. La décision a été prise d’exclure Mayotte du champ de la réforme, les dispositifs s’y appliquant en matière de cotisations sociales n’ayant rien à voir avec ceux qui en vigueur dans les autres territoires d’outre-mer.
À l’Assemblée nationale, nous avons déjà apporté certaines réponses en renforçant les dispositifs d’exonération de charges applicables aux secteurs de la presse, de l’audiovisuel, du transport maritime et aérien, afin de les rendre plus compétitifs. Nous apporterons également un certain nombre de réponses aujourd’hui. Néanmoins, il nous reste un important travail à faire avec les entreprises ; nous nous y attellerons dans les dix jours qui viennent.
Il est important que nous puissions bien identifier ensemble les gagnants et les perdants de cette réforme et disposer de chiffres justes sur lesquels s’accordent les milieux économiques et le Gouvernement.
Nous avons le souci d’écouter les acteurs et d’agir en toute transparence. C’est pourquoi, avec Gérald Darmanin et ses services, nous continuerons d’approfondir la réflexion pendant les dix jours qui nous séparent d’un nouvel examen du texte à l’Assemblée nationale.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Delattre, sur l’article.
Mme Nathalie Delattre. Madame, monsieur les ministres, vous connaissez la tempérance qui est la nôtre dans cet hémicycle. Pourtant, nous nous mobilisons avec force et conviction à propos de l’article 8 et des TO-DE, les travailleurs occasionnels et demandeurs d’emploi. C’est la preuve qu’il s’agit là d’un sujet majeur.
J’étais aux côtés de Didier Guillaume quand celui-ci, alors sénateur, alertait le gouvernement sur le danger que recelait le projet de mettre fin à l’exonération de cotisations patronales pour l’emploi de main-d’œuvre saisonnière agricole. Il disait que mettre fin à cette exonération, ce serait mettre fin à l’agriculture.
Le 23 octobre dernier, dans cet hémicycle, Didier Guillaume m’annonçait, en tant que ministre cette fois-ci, vouloir trouver un compromis. Mais quand on fait le calcul, le compromis ne satisfait personne, car il n’est pas à la hauteur des enjeux.
La France a déjà du mal à recruter des personnes qualifiées, de la main-d’œuvre saisonnière locale issue du bassin d’emploi. Ce n’est pas en renchérissant le coût du travail saisonnier agricole, l’un des plus élevés en Europe, que nous parviendrons à répondre à ces problématiques d’emploi.
Mon territoire, en Gironde, comme l’ensemble des territoires agricoles et viticoles, n’échappe pas aux difficultés économiques qui sont devenues structurelles dans notre pays. Ce sont nos petits exploitants, le terreau de notre économie, qui sont à nouveau touchés de plein fouet !
Je prendrai un seul exemple, pas forcément le plus connu, celui des pépiniéristes viticoles français. Nos 600 pépiniéristes sont redevenus les leaders mondiaux cette année, devant l’Italie, avec 232 millions de plants greffés. Si la réforme était mise en œuvre, ces 600 pépiniéristes devraient faire face à une charge supplémentaire de 5 millions d’euros, soit plus de 8 000 euros par pépinière !
Avec l’exonération totale de charges pour les salaires jusqu’à 1,15 fois le SMIC prévue pour 2019 par ce projet de loi de financement de la sécurité sociale, le compte n’y est pas. Avec l’abaissement du plafond de salaire à 1,1 fois le SMIC en 2020, puis la suppression totale du dispositif d’exonération en 2021, le compte n’y est pas du tout !
Cette réforme ne trace aucune perspective positive pour nos filières ; elle ne fait que créer une instabilité législative de plus, une instabilité fiscale de plus. La France rurale grogne. J’ai bien peur qu’elle ne se mette sérieusement à gronder. Alors, je vous le demande purement et simplement : maintenez le dispositif existant en l’état, c’est la seule voie vers une sortie de crise !
M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre Monier, sur l’article.
Mme Marie-Pierre Monier. En première lecture à l’Assemblée nationale, la suppression du dispositif TO-DE a été adoptée.
Devant la mobilisation des agriculteurs contre ce renchérissement des coûts de production, les députés ont adopté une mesure de sortie progressive du dispositif, afin de laisser deux ans aux employeurs de saisonniers agricoles pour s’adapter.
Cette disposition constitue une avancée significative, nous le mesurons. Cependant, elle ne répond pas à l’exigence de rattrapage des distorsions de concurrence subies par les productions agricoles françaises et le plafond de l’exonération dégressive reste inférieur à ce qu’il est dans le dispositif actuel, à savoir 1,25 fois le SMIC. Elle ne permettra donc pas de compenser totalement la suppression du dispositif TO-DE.
Maraîchage, horticulture, arboriculture, viticulture : pour l’ensemble de ces secteurs agricoles, les pertes sont estimées à 39 millions d’euros pour les employeurs de saisonniers. Pour la viticulture, premier employeur de main-d’œuvre saisonnière, avec environ 45 % des contrats saisonniers agricoles chaque année, les pertes s’élèveraient à près de 13 millions d’euros. Dans mon département, la Drôme, les emplois saisonniers sont nombreux : on y a compté 31 175 contrats à durée déterminée, contre 6 012 contrats à durée indéterminée, en 2016. Le dispositif TO-DE concerne 29 623 de ces contrats à durée déterminée, ce qui représente près de 6 millions d’heures travaillées, dans plus de 2 000 établissements drômois.
Vous nous avez dit, madame la ministre, qu’il fallait faire les comptes de la réforme et déterminer les gagnants et les perdants. Eh bien, dans la Drôme, cette réforme accroîtra le coût du travail de 50 euros par salarié et par mois ! Il s’agit donc d’une catastrophe pour l’économie agricole drômoise, qui a fait le choix de privilégier des exploitations de taille moyenne et le recrutement de saisonniers locaux.
C’est pourquoi le groupe socialiste et républicain présentera un amendement visant à revenir au dispositif TO-DE tel qu’il existe actuellement, avec compensation intégrale et pérenne des six points de CICE, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi.
Dans un contexte de concurrence accrue avec les autres pays européens, notamment l’Italie, l’Espagne, la Pologne et l’Allemagne, chaque euro compte, et un alourdissement des charges est inenvisageable sauf à mettre en péril la survie de nombreuses exploitations agricoles.
Mes chers collègues, j’espère que vous adopterez ce dispositif de compensation intégrale pour nos producteurs, pour notre agriculture et pour nos territoires ! (Mme Michelle Meunier applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Victorin Lurel, sur l’article.
M. Victorin Lurel. Je voudrais évoquer la méthode du Gouvernement. Madame la ministre, exprimer un point de vue différent ne constitue pas une déclaration d’hostilité. Écouter les parlementaires, ne pas les mépriser, ce n’est pas une infamie ! (M. Roger Karoutchi rit.) En outre, respecter sa propre majorité me semble être de bonne et sage politique.
Jusqu’à présent, on a eu l’impression que toute expression d’une différence était ressentie par le Gouvernement comme une agression. C’est comme s’il attendait des parlementaires qu’ils se sabordent.
Je soutiendrai l’amendement de mon collègue Georges Patient, qui appartient désormais au groupe La République En Marche. Pour ma part, je n’ai jamais changé de position politique, même si je reste un modéré, qui cherche des compromis raisonnables.
À cet égard, il me semble que trouver un compromis raisonnable avec les parlementaires grandirait le Gouvernement. Pour l’heure, pardonnez-moi de contester, madame la ministre, votre affirmation selon laquelle l’économie ultramarine constituerait un écosystème global. Lors des assises organisées par vos soins – le mot « assises » était bien choisi en l’occurrence, puisqu’il s’agissait de faire tomber un véritable couperet sur l’avenir de nos économies –, nous avions défini une stratégie à long terme pour nos économies. Cela est consigné à l’article 1er de la loi de programmation relative à l’égalité réelle outre-mer, qui dispose très explicitement que, avant d’envisager une réforme ou un choc budgétaire, fiscal et social aussi important, il convient de procéder à une remise à plat. Nous étions convenus qu’il fallait instituer des zones franches globales. Un rapport devait d’ailleurs être remis au Parlement avant le mois de juillet 2018, en vue d’une entrée en vigueur en janvier 2019.
Aujourd’hui, je constate qu’aux mesures récessives prévues pour l’ensemble de l’Hexagone, on ajoute la réfaction de l’impôt sur le revenu, la suppression de la TVA NPR.…
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue !
M. Victorin Lurel. … et d’un certain nombre de dispositifs de défiscalisation relatifs à l’amélioration de l’habitat privé ou intéressant les organismes de logements sociaux, l’exclusion des secteurs de la comptabilité, de l’ingénierie et des études techniques. Bref, il s’agit d’un ensemble de mesures récessives qui vont affecter nos économies.
M. le président. Vous avez dépassé votre temps de parole de trente secondes, c’est beaucoup trop !
M. Victorin Lurel. Avec cette réforme, le Gouvernement va déclencher une véritable déflation économique en outre-mer. Ce n’est pas acceptable ! (Mmes Catherine Conconne et Victoire Jasmin applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Michel Magras, sur l’article.
M. Michel Magras. Le dispositif d’exonération de cotisations sociales pour l’outre-mer prévu à l’article 8 du présent projet de loi ne peut que soulever des inquiétudes.
Certes, cet article renforce le taux d’exonération, mais le recentrage sur les bas salaires est un signal contradictoire avec une volonté de développement.
Dans des économies se caractérisant par un niveau moyen de revenus relativement bas, le dispositif proposé créera un effet d’aubaine qui incitera à embaucher des personnes à un salaire inférieur à 1,4 fois le SMIC, et surtout à maintenir les rémunérations en dessous de ce seuil. Cela revient à créer, ni plus ni moins, une trappe à bas salaires.
Or on ne cesse de déplorer le sous-encadrement des économies ultramarines. Celles-ci ne pourront pas se développer – je ne parle pas de croissance économique, mais d’une dynamique structurelle de long terme – dans ces conditions.
Le point de sortie du dispositif actuel, même réduit du fait de l’entrée en vigueur du CICE, permettait tout de même d’inclure dans le champ de l’exonération les salaires d’encadrement et d’expertise, si je puis m’exprimer ainsi. En revanche, le texte que vous nous soumettez constitue une remise en cause de l’encouragement à l’encadrement.
En outre, on ne peut que craindre que le recentrage proposé ait pour conséquence, parmi d’autres, d’accentuer la tendance des diplômés, en particulier les jeunes, à préférer des carrières à l’étranger où, à compétence égale, ils se verront proposer une meilleure rémunération.
Enfin, la baisse de six points des cotisations d’assurance maladie ne compensera pas, à elle seule, ce revirement, puisqu’elle s’éteint à 2,5 fois le SMIC, comme en métropole.
Toutes ces raisons m’amènent à considérer que l’on ne peut plus modifier le cadre économique des outre-mer au gré des exigences de court terme, qui finissent à la longue par coûter très cher. J’espère que le débat sur l’article 8 permettra de faire évoluer le texte initial.
M. le président. La parole est à M. Claude Kern, sur l’article.
M. Claude Kern. Mes propos rejoindront ceux de mes collègues Nathalie Delattre et Marie-Pierre Monier.
Effectivement, pour nos agriculteurs, le compte n’y est pas ! La perte par rapport au dispositif actuel s’élèvera à 189 euros par mois et par un salarié. Or les exploitants alsaciens ont de gros besoins en main-d’œuvre. Plus petites que la moyenne française, leurs exploitations ont beaucoup diversifié leur production, avec des cultures à forte valeur ajoutée comme l’asperge, le houblon, le chou à choucroute, la vigne. La main-d’œuvre représente 40 % de leurs coûts de production. C’est le cas, par exemple, pour la production de pommes. Quant à l’agriculture biologique, elle nécessite le double de main-d’œuvre, voire le triple.
Vous comprendrez donc que la suppression du dispositif actuel représente pour nos agriculteurs un coup de massue, d’autant qu’il résultait d’une initiative alsacienne destinée à limiter les distorsions de concurrence avec l’Allemagne, où le coût du salaire horaire est beaucoup plus bas. Cette suppression revient à ôter toute compétitivité à nos exploitations.
À titre d’exemple, le marché français de l’asperge a chuté de 56 % en 2018, quand le marché allemand progressait de 12 %. À l’échelle de la région Grand Est, où l’on dénombre quelque 155 000 contrats de saisonnier par an, la perte atteindra environ 20 millions d’euros. Cela montre que l’on ne peut pas appliquer des mesures de manière uniforme : les territoires ont tous leur spécificité, ils sont tous singuliers, et il faut veiller à ne pas les appréhender via le même prisme, au risque de les étouffer complètement. Or c’est exactement ce que fait le Gouvernement par le truchement de cette mesure.
M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing, sur l’article.
M. Daniel Chasseing. Je m’associe aux propos qui viennent d’être tenus.
L’article 8 prévoit la transformation du CICE et du CITS, le crédit d’impôt sur la taxe sur les salaires, en baisse pérenne de cotisations sociales pour les employeurs. Pour certains secteurs, notamment celui de l’aide à domicile avec l’exonération totale de cotisations patronales jusqu’à 1,1 fois le SMIC, la réforme proposée représente une amélioration. En revanche, elle est très défavorable pour les employeurs de travailleurs saisonniers, tels que les pomiculteurs, nombreux dans mon département. Cette réforme fera donc beaucoup de perdants. C’est pourquoi je plaide pour que l’on revienne au dispositif en vigueur.
M. le président. La parole est à M. Laurent Duplomb, sur l’article.
M. Laurent Duplomb. Je voudrais exprimer mon étonnement, mon agacement et mon incompréhension devant la suppression du dispositif TO-DE prévue par l’article 8.
Comment peut-on, sans donner soi-même l’exemple, vouloir supprimer des allégements de charges ? Pas plus tard que la semaine dernière, le ministre des finances s’est présenté devant la commission des affaires sociales du Sénat accompagné d’une vingtaine de collaborateurs… La moindre des choses, quand on prétend engager une nouvelle politique, c’est de donner l’exemple !
Par ailleurs, comme on l’a encore vu lors de l’élaboration de la loi ÉGALIM, on se livre à un travail de sape incessant du métier d’agriculteur et de l’agriculture d’aujourd’hui, en affirmant qu’il faut changer de modèle, être plus vertueux, développer l’agriculture biologique. Prenons l’exemple d’un verger : cesser de recourir au glyphosate implique d’embaucher davantage de main-d’œuvre pour faire le travail à la main. Le coût du kilo de pommes s’en trouvera renchéri de 10 à 15 centimes d’euro. Les agriculteurs français sont peut-être prêts à s’engager dans cette démarche, mais ils sont en concurrence avec les producteurs de pommes de Pologne, où les charges sociales seront 75 % moins élevées qu’en France si l’on supprime le dispositif TO-DE, qui concerne particulièrement les travailleurs saisonniers ! Aujourd’hui, le kilo de pommes polonaises coûte déjà 99 centimes d’euro à l’étalage en France, contre 2,5 euros pour le kilo de pommes françaises.
Monsieur le ministre, cherchez l’erreur, trouvez les solutions, et ne croyez pas que la dégressivité fera passer la pilule aux agriculteurs. En effet, elle revient tout simplement à les étrangler progressivement, en leur expliquant qu’ils ont deux ans pour s’habituer à l’idée de mourir… En 2020, quand ils mourront effectivement, ils sauront pourquoi ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste. – Mme Nathalie Delattre applaudit également.)
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 404 rectifié bis est présenté par MM. Daudigny et Kanner, Mmes Féret, Grelet-Certenais et Jasmin, M. Jomier, Mmes Lubin, Meunier et Rossignol, M. Tourenne, Mmes Van Heghe et Blondin, M. Fichet, Mme Guillemot, M. Magner, Mmes S. Robert et Monier, MM. Kerrouche, Tissot, Antiste, J. Bigot, P. Joly, Mazuir et Jacquin, Mme Bonnefoy, MM. Duran, Marie et les membres du groupe socialiste et républicain.
L’amendement n° 487 est présenté par Mmes Cohen, Apourceau-Poly, Lienemann et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Jean-Louis Tourenne, pour présenter l’amendement n° 404 rectifié bis.
M. Jean-Louis Tourenne. Nous sommes opposés à la substitution d’allégements de charges sociales au CICE et au CITS, car elle présente un certain nombre d’inconvénients sur lesquels je souhaite attirer votre attention.
En cette période, il est normal d’annoncer les cadeaux de Noël. Pour les entreprises, cette réforme constituera une aubaine considérable, puisqu’en 2019 elles bénéficieront à la fois du CICE, celui-ci étant versé avec un an de décalage, et de 20 milliards d’euros de baisses de cotisations sociales, soit un total de 40 milliards d’euros pour la même année.
Dans les temps de difficultés budgétaires que nous vivons, on aurait quand même pu envisager une autre utilisation de ces 20 milliards d’euros supplémentaires, par exemple au bénéfice de l’hôpital ou des EHPAD, dont les besoins ont été évoqués.
Par ailleurs, il me semble qu’il serait intéressant de sortir de cette logique selon laquelle les prescripteurs ne sont pas forcément les payeurs. Il est de bonne gestion, au contraire, que celui qui prescrit paie. Or ce n’est pas le cas aujourd’hui, que ce soit pour le CITS, que l’on a oublié de rembourser, pour les exonérations de charges sociales des heures supplémentaires ou pour le forfait social, qui ne sont pas compensés. Dans cet hémicycle, on nous a assuré que des compensations seraient prévues, mais nous savons, pour avoir eu à gérer des collectivités locales, ce que valent ces engagements : la première année, on rembourse à l’euro près, puis les choses se dégradent progressivement…
Enfin, dès lors qu’il n’y a plus de participation financière des entreprises et des salariés, la tentation existe de mettre progressivement fin au paritarisme, on le sait bien. C’est le cas aujourd’hui pour l’UNEDIC, ce sera certainement le cas demain pour la gestion de la sécurité sociale.
Lorsque M. le ministre nous explique que l’État apporte déjà 36 milliards d’euros à la sécurité sociale et, bien entendu, je le crois, mais j’aimerais savoir s’il s’agit d’un dû ou d’un cadeau consenti par l’État. (Mme Sabine Van Heghe et M. Yves Daudigny applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour présenter l’amendement n° 487.
M. Pascal Savoldelli. Je voudrais faire un petit rappel : en 2012, lors de l’examen de la loi de finances rectificative, la majorité du Sénat avait sans équivoque rejeté la création du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi. Monsieur le ministre, vous étiez alors député, et vous aviez voté contre…
M. Pascal Savoldelli. Les temps ont changé !
Monsieur le ministre, j’ai fait de petits calculs avec mes modestes moyens. Un emploi que je considère comme mal payé coûte aujourd’hui environ 25 000 euros par an aux finances publiques, contre 60 000 euros à terme pour un emploi aidé par le biais du pacte pour la croissance, la compétitivité et l’emploi. Cela dénote une curieuse conception du libéralisme ! Au total, au travers de cet article, on nous demande, à nous parlementaires, de voter une dépense de 20 milliards d’euros pour financer la création de 318 000 emplois à moyen terme. Il y a de quoi s’interroger : est-ce là une allocation juste et efficace de l’argent public ?
Selon le rapport du comité de suivi placé auprès de France Stratégie, « à court terme, la mise en place du nouvel allégement de cotisations sociales patronales et la consommation du CICE au titre des créances se traduirait par un gain en trésorerie significatif pour les entreprises. Selon les travaux les plus récents de la Direction générale du Trésor, cette “année double” induite par la bascule se traduirait par une relance de près d’un point de PIB, non reconduite. Dans le scénario central de la Direction générale du Trésor, les effets de la bascule vers le nouveau dispositif seraient positifs sur l’activité et l’emploi à court-moyen terme, avec 0,2 point de PIB et 100 000 emplois supplémentaires à horizon 2020-2021. »
Mes chers collègues, imaginez qu’il soit nécessaire de consentir chaque année pendant trois ans à des pertes de recettes supplémentaires de 20 milliards à 25 milliards d’euros pour créer 100 000 emplois ! Vous comprendrez pourquoi nous demandons la suppression de l’article 8.
Mme Laurence Cohen. Très bien !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général de la commission des affaires sociales. La commission est défavorable à ces amendements identiques.
Mme Laurence Cohen. C’est étonnant !
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général de la commission des affaires sociales. La mise en place d’allégements renforcés de cotisations et contributions patronales en lieu et place du CICE a été organisée par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018, avec entrée en vigueur au 1er janvier 2019. L’article 8 prévoit, d’une part, de repousser du 1er janvier au 1er octobre l’intégration des contributions chômage dans les allégements généraux, et, d’autre part, de prendre en compte la situation particulière de certains secteurs.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre. Il s’agit, si on peut le dire ainsi, d’amendements de principe.
Comment cela s’est-il passé pour le CICE ?
M. Roger Karoutchi. Mal !
M. Gérald Darmanin, ministre. Le dispositif a été introduit dans le projet de loi de finances rectificative du mois de décembre 2012, en écho au rapport dit « de la Rotonde ». Il s’agissait d’améliorer la compétitivité de l’économie française après les mauvaises décisions prises par la majorité élue en 2012. En particulier, des mesures fiscales décourageantes avaient plombé l’économie.
Le CICE était donc une mesure d’urgence, prise sur proposition de Jean-Marc Ayrault avant même l’adoption du PLF et du PLFSS par la nouvelle majorité, en vue de réaliser une dévaluation fiscale et de compenser de précédentes mesures fiscales. Le CICE a donc été inventé pour compenser une surcharge de fiscalité imposée aux entreprises…
C’est un système très « shadokien » : on a d’abord alourdi la fiscalité et les charges sociales pour les entreprises, puis, quand on s’est aperçu que l’on était allé trop loin, pour ne pas se dédire, on a instauré le CICE par le projet de loi de finances rectificative !
Pour ma part, j’étais opposé à cette mesure et je suis très heureux d’en proposer aujourd’hui la suppression. En effet, j’ai toujours considéré que, si le CICE avait permis, durant le précédent quinquennat, de remédier à la surcharge fiscale et sociale imposée aux entreprises, il fallait cependant le transformer en allégement de charges pérenne. Le CICE n’est qu’un pis-aller.
Si l’on croit, comme nous, que c’est l’entreprise qui crée l’emploi, on comprend qu’il est nécessaire, à ce titre, de réduire les charges patronales au minimum pour qu’elle puisse embaucher, notamment dans un contexte de compétition internationale intense. Pour la première fois dans l’histoire capitaliste de notre pays, les salaires au niveau du SMIC ne supporteront aucune charge !
Cette baisse des charges concernera aussi les coopératives agricoles et le secteur associatif employeur – elle atteindra, pour ce dernier, 1,4 milliard d’euros –, au contraire du CICE, qui ne profitait qu’aux entreprises.
En résumé, nous préférons instaurer une baisse des charges pérenne, plutôt que de maintenir une subvention qui s’apparente à une dévaluation fiscale. La proposition du Gouvernement est cohérente et courageuse. Effectivement, nous consacrons beaucoup d’argent à la compétitivité de nos entreprises, parce que nous croyons que ce sont elles qui créent la croissance, l’emploi, et permettent ainsi le financement du système social que vous voulez protéger, les cotisations étant assises sur la masse salariale. Je rappelle d’ailleurs que la CSG est un impôt social qui touche aussi les transferts de capitaux.
Je sais que nous avons, à cet égard, une profonde différence d’approche économique, monsieur Savoldelli, mais cela devrait vous rassurer…