M. François Bonhomme. Très bien !
Mme Françoise Nyssen, ministre. Face au constat alarmant que nous partageons finalement tous – la discussion générale de ces propositions de loi l’a démontré –, il est urgent d’agir. Pourtant, vous refusez de poser ce premier acte fort en adoptant ces deux motions.
La navette parlementaire devait permettre d’améliorer ces textes, comme nous le souhaitions, et de les enrichir, mais vous préférez passer votre tour. Quel dommage !
Pour le Gouvernement, l’attentisme est un risque que nous ne pouvons pas nous permettre de prendre. Je me dois donc de vous dire que nous irons jusqu’au bout et que ces textes poursuivront leur parcours législatif.
M. le président. La parole à M. François Bonhomme, pour explication de vote.
M. François Bonhomme. Après des mois d’attente fébrile de la proposition de loi destinée à lutter contre la « manipulation de l’information », le moins que l’on puisse dire c’est que ce texte a suscité beaucoup de scepticisme, voire de craintes.
Pas un juriste distingué, pas un professeur de droit émérite, pas une association de journalistes, qui n’ait souligné, au mieux, l’inutilité de ce texte d’inspiration jupitérienne et tout droit sorti de l’Élysée, même s’il a l’apparence de l’initiative parlementaire. D’autres, plus sombres, font valoir ses effets contre-productifs : une entorse au principe de liberté d’expression avec la création, en quelque sorte, d’une « labellisation de la vérité d’État », ou encore – plus ironique – un résultat à l’inverse de l’objectif. Une information portant le cachet de « faux officiel » s’en trouvera valorisée et ne manquera pas de susciter une vilaine curiosité.
C’est donc un texte purement de contexte, celui qui est consécutif à la diffusion d’informations grossières ou malveillantes pendant la campagne. La contagion virale sur le net d’imputations diffamatoires est une réalité, et nous ne la nions pas.
Néanmoins, la réponse consistant en une procédure judiciaire, ultrarapide en période électorale, pour ordonner le retrait d’une information a été presque unanimement considérée comme inappropriée et inapplicable. Tous ou presque ont soutenu que la démarche n’était pas la bonne. J’ai évoqué les dizaines de spécialistes en tous genres qui ont été consultés, qui ont tous indiqué leur scepticisme. De toute façon, leur avis n’a pas été écouté.
En définitive, le plus sage est de s’en tenir à l’avis du Conseil d’État qui, dans les termes choisis et prudents qui le caractérisent, avait considéré que « le droit français contient déjà plusieurs dispositions visant en substance à lutter contre la diffusion de fausses nouvelles ». Il ajoutait que, de toute façon, « la réponse du juge des référés, aussi rapide soit-elle, risque d’intervenir trop tard […], voire à contretemps ». Sans compter la difficulté forte qu’il y aurait à apporter devant un juge la preuve de la fausseté d’une information.
Dans une crise d’optimisme, on pourra toujours soutenir que ce texte ne fera pas trop de mal. Il ne sera qu’une illustration quasiment parfaite de la maxime de Montesquieu qui a été rappelée par notre collègue Christophe-André Frassa.
Finalement, c’est encore le journal hebdomadaire dont le symbole est un palmipède – toujours la presse ! – qui a le mieux résumé ce texte placebo et superfétatoire : les députés, en voulant complaire au Président de la République et lutter contre la manipulation de l’information ont foncé « la tête dans le bidon » ! Mal leur en a pris, et cette motion tendant à opposer la question préalable le leur rappelle. (MM. Bruno Retailleau et Yves Bouloux applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.
M. David Assouline. Je le répète, le groupe socialiste et républicain s’associe à cette motion, de même qu’il a voté pour la précédente.
Madame la ministre, nous partageons votre constat. La manipulation de l’information est un fléau mortel, dont on a vu les effets non pas dans des pays « marginaux », mais dans des États piliers de la démocratie, comme les États-Unis et la Grande-Bretagne.
Il y a aussi eu des tentatives dans notre pays. Remarquons néanmoins, justement, que la France, avec son arsenal législatif et sa tradition de liberté de la presse, de liberté d’expression et les efforts qui y sont faits pour contrecarrer ce type d’envahissement, n’a pas succombé lors de la dernière élection, malgré des attaques claires visant à répandre des informations malveillantes.
Le problème n’est pas ce constat. C’est le fait que ce phénomène risque de s’aggraver encore davantage avec l’intelligence artificielle, car elle permettra de fabriquer de fausses informations, des vidéos, des films. On pourra même mettre en scène le Président de la République disant des choses qu’il n’a jamais dites, avec les conséquences que l’on peut imaginer. Ce sera lui, avec sa voix, ses intonations et ses gestes !
Le déferlement massif permis par les robots sera tel que la riposte tendant à expliquer qu’il s’agit d’une fausse information aura du mal à passer. Voilà pourquoi les adeptes de la post-vérité choisissent cet axe d’action.
C’est justement parce que le problème est à cette hauteur que nous ne devons pas laisser croire que nous pouvons lutter avec cette petite loi inutile, dangereuse et inefficace. Maintenant, mettons-nous au travail pour y faire face !
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.
M. Pierre Ouzoulias. Madame la ministre, je n’ai pas aimé votre ton, je vous le dis tout de go.
Je pense que l’heure est grave. Le Président de la République a souhaité ce texte, qu’il a imposé au travers d’une proposition de loi. Nous vous l’avons dit, il nous semble qu’il ne s’agit pas du bon véhicule. Vous tentez tout de même, ici, de nous l’imposer en acceptant des amendements. Nous vous répondons que ce n’est pas la bonne méthode et que nous souhaitons un dialogue. Vous refusez celui-ci, et persistez en répondant que, quoi que nous fassions, le texte sera de toute façon adopté à l’Assemblée nationale.
La façon dont vous nous traitez montre que nous avons tout à fait raison aujourd’hui de voter cette motion, car il y a là une forme d’arbitraire que nous dénonçons.
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet de la proposition de loi organique.
Je rappelle également que l’avis du Gouvernement est défavorable.
En application de l’article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.
Il va y être procédé dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 228 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 319 |
Pour l’adoption | 288 |
Contre | 31 |
Le Sénat a adopté.
En conséquence, la proposition de loi organique relative à la lutte contre la manipulation de l’information est rejetée.
(M. Philippe Dallier remplace M. Vincent Delahaye au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Philippe Dallier
vice-président
7
Transfert des compétences eau et assainissement aux communautés de communes
Adoption en nouvelle lecture d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, en nouvelle lecture, de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, relative à la mise en œuvre du transfert des compétences eau et assainissement aux communautés de communes et aux communautés d’agglomération (proposition n° 643, texte de la commission n° 676, rapport n° 675).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d’État, ministre de l’intérieur. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, nous nous retrouvons aujourd’hui pour la dernière fois dans la chambre haute sur le sujet du transfert de l’eau et l’assainissement.
Vous le savez, le Gouvernement a mené un travail de concertation et a entendu la diversité des situations dans la mise en œuvre de la compétence.
La concertation que j’ai menée depuis de longs mois et pendant l’examen de cette proposition de loi a permis au Gouvernement de mesurer la diversité des situations sur le terrain, appelant des solutions différenciées.
Nous avons donc travaillé collectivement à trouver un texte qui concilie les enjeux d’un transfert de compétences avec ceux, légitimes, d’une adaptation à certaines réalités locales. C’est le sens de la mission que m’a confiée le Premier ministre et qui a abouti à la proposition d’une clause de sauvegarde des libertés communales.
Cette clause de sauvegarde donne la possibilité aux communes appartenant à des communautés de communes de s’opposer au transfert des compétences eau et assainissement avant le 1er juillet 2019, si 25 % d’entre elles représentant au moins 20 % de la population s’expriment en ce sens.
Cette capacité de blocage s’exerce jusqu’au 1er janvier 2026, date à laquelle le transfert devient obligatoire.
Cette possibilité est réservée aux communautés de communes car, d’une part, ce sont elles qui couvrent majoritairement les zones de montagne et les zones rurales, et, d’autre part, parce que les communautés d’agglomération ont déjà, dans leur majorité, effectué le transfert de ces compétences ou sont en train de le préparer.
Les véritables difficultés de transfert se concentrent sur l’eau, et non sur l’assainissement. Ce constat nous a conduits à proposer que les élus locaux puissent transférer, ou pas, dès le 1er janvier 2020 la compétence assainissement et se donner un délai supplémentaire, via la capacité de blocage, pour transférer l’eau s’ils n’y sont pas prêts.
Enfin, nous avons entendu les difficultés liées au mécanisme de représentation-substitution dans les syndicats et avons donc proposé d’assurer la pérennité des structures, sans condition de taille. Je me réjouis d’ailleurs que le Sénat, en première lecture, ait fait sienne cette proposition.
L’ensemble de ces dispositions constitue donc une position équilibrée, fruit d’un compromis, adopté par la Conférence nationale des territoires du 14 décembre à Cahors.
Je ne peux donc que regretter l’échec de la commission mixte paritaire.
Depuis le début de l’examen de ce texte, le Gouvernement a adopté une méthode transparente. Dès le départ, il avait fixé une ligne. Il s’y est tenu et continuera de le faire aujourd’hui.
Toutefois, vous le savez et vous l’avez constaté, je suis animée depuis le début du processus législatif d’un esprit de compromis. Le débat parlementaire a fait émerger de nouveaux sujets pour lesquels je me suis engagée ici, au Sénat, à apporter des réponses au cours de la navette parlementaire.
C’est ce que j’ai fait à l’Assemblée nationale sur deux points : la gestion des eaux pluviales et les conditions de la minorité de blocage pour les communes ayant déjà transféré l’assainissement non collectif à leur communauté de communes.
Je veux d’abord parler de la gestion des eaux pluviales.
Elle constitue un enjeu important, à la convergence de plusieurs champs d’actions des collectivités territoriales et de leurs groupements, tels que l’assainissement, la voirie, voire, en certaines circonstances, la compétence « gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations », ou GEMAPI.
Dans son rapport au Parlement, prévu par les dispositions de l’article 7 de la loi du 30 décembre 2017 relative à l’exercice des compétences des collectivités territoriales dans le domaine de la gestion des milieux aquatiques et de la prévention des inondations, dite loi GEMAPI, le Gouvernement a souligné la diversité des moyens techniques pouvant être mobilisés pour assurer une gestion efficiente des eaux pluviales et de ruissellement, ainsi que les liens entretenus avec les compétences « assainissement », « voirie », « aménagement » ou « GEMAPI ».
Il ressort de ces éléments la nécessité de concilier la clarification juridique de la répartition des compétences exercées par les collectivités territoriales et la souplesse utile à la mise en œuvre de ces compétences.
Il apparaît donc opportun de définir une compétence relative à la gestion des eaux pluviales urbaines qui puisse être identifiée de manière distincte.
Le Conseil d’État assimile la gestion des eaux pluviales urbaines à un service public relevant de la compétence « assainissement », lorsque cette dernière est exercée de plein droit par un EPCI. Cette compétence s’exerce « dans les zones urbanisées et à urbaniser », telles qu’énoncées dans les documents d’urbanisme.
Ce rattachement fait pleinement sens dans les zones urbanisées, souvent dotées d’une forte proportion de réseaux unitaires – je pense aux communautés urbaines et aux métropoles. C’est d’ailleurs l’état présent du droit.
Pour les communautés de communes, cependant, le Gouvernement a soutenu les amendements de la majorité à l’Assemblée nationale, qui proposait de faire de la compétence « eaux pluviales urbaines » une compétence facultative, pour des raisons de meilleure adaptation à la diversité des situations rencontrées sur le terrain.
Je veux ensuite évoquer le cas des conditions de la minorité de blocage pour les communes ayant déjà transféré l’assainissement non collectif à leur communauté de communes.
Vous le savez, le transfert de manière facultative de l’assainissement non collectif est très présent dans le monde rural. Les acteurs concernés comprennent, spontanément, que l’intercommunalité peut régler certains problèmes mieux que chaque commune dispersée. La moitié des communautés exerçant la compétence « assainissement non collectif » n’exercent pas la compétence « assainissement collectif ».
La loi NOTRe, en prévoyant un bloc de compétences indissociable, conduisait à ce que les communes membres de communautés de communes exerçant une partie de la compétence ne puissent bénéficier de la faculté de blocage.
Nous avons entendu cette contradiction et nous sommes favorables à ce que les communes puissent, en utilisant la minorité de blocage, exercer l’assainissement collectif au niveau communal et l’assainissement non collectif au niveau de la communauté de communes, jusqu’en 2026. Il est en effet limité et justifié par les caractéristiques particulières de l’organisation de l’assainissement non collectif.
Un nouvel assouplissement vous sera proposé pour la mutualisation des fonctions support des régies en matière d’eau et d’assainissement.
S’ajoute à ces deux assouplissements votés à l’Assemblée nationale et que la commission des lois du Sénat a entérinés une dernière proposition que nous vous soumettrons par voie d’amendement au cours du débat, relative aux régies multiservices.
Notre amendement vise, d’une part, à concilier les objectifs de mutualisation des moyens et des personnels au sein d’une même structure en charge de la gestion des services publics de l’eau et de l’assainissement et, d’autre part, à répondre à la nécessité d’individualiser le coût de chacun de ces deux services publics industriels et commerciaux au sein de budgets annexes distincts.
Vous connaissez la mécanique parlementaire qui veut que seuls les amendements adoptés par le Sénat seront examinés lors de la dernière lecture à l’Assemblée nationale. J’espère donc que vous vous rallierez, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, à cette proposition pragmatique, qui répond notamment à la demande du député de votre groupe politique, Raphaël Schellenberger.
Bien entendu, les enjeux écologiques et financiers qui nous attendent nécessitent une large réflexion sur l’eau et l’assainissement.
Je tiens à remercier tous les sénateurs qui se sont engagés dans ce texte et qui ont compris que, face aux enjeux devant lesquels nous nous trouvons, il est nécessaire d’apporter des solutions concrètes aux difficultés d’aujourd’hui et d’anticiper la modernisation de nos réseaux de demain.
L’impératif écologique lié au réchauffement climatique doit nous faire prendre conscience de l’urgence d’améliorer deux choses : l’accès et la qualité de l’eau en tout point du territoire.
L’évolution de nos modes d’agriculture, comme l’évolution de notre consommation et de notre système de production, rend nécessaire la modernisation de nos réseaux d’eau.
Or, d’un point de vue économique, nos installations sont vieillissantes ou vétustes. Aujourd’hui, un litre d’eau sur cinq que nous traitons dans nos usines finit dans la nature.
Les travaux menés au sein des Assises de l’eau tendent également à prouver que le taux de connaissance des réseaux est trop faible – cela m’a beaucoup frappée sur l’ensemble du territoire – et que l’émiettement de la compétence entre de très nombreuses structures nuit à son efficacité.
Les agences de l’eau auront pour objectifs prioritaires d’aider les collectivités à améliorer l’état des réseaux et de les accompagner dans la recherche des meilleurs outils techniques, juridiques et financiers. Les six ans de délai que devrait permettre la minorité de blocage donneront la latitude nécessaire pour ce faire.
Pour répondre à cette multiplicité d’enjeux, un premier mouvement de mutualisation s’est enclenché entre 2010 et 2016. Nous pensons qu’il pourra se poursuivre dans le dialogue, avec cette capacité que nous vous proposons de voter.
Les communes ne feront efficacement face aux risques d’amoindrissement de la qualité de la ressource en eau que si elles interconnectent leurs réseaux et si elles mutualisent leurs moyens à des échelles plus larges. Je rappelle que, naturellement, transfert à l’intercommunalité ne veut pas dire disparition des syndicats.
C’est pourquoi le Gouvernement s’opposera, une nouvelle fois, à l’optionalité du transfert, considérant que le texte qu’il a proposé à l’Assemblée nationale est celui qui rassemble l’ensemble des opinions et des positions.
Je crois nécessaire de rétablir le texte voté par l’Assemblée nationale : nous serons donc favorables aux amendements qui y tendent.
Après les heures de débat avec les associations d’élus, et au sein de chacun des hémicycles, il nous faut apporter des réponses rapides aux élus locaux sur ce texte aux conséquences importantes pour l’ensemble des Français, peu importe leur lieu d’habitation.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. François Bonhomme, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, « dans la très grande majorité des cas, les territoires savent mieux l’organisation qui est la plus pertinente pour eux ». Ces mots ne sont ceux ni d’un dangereux agitateur ni d’un rêveur éthéré, pas plus ceux d’une partisan aveugle de la décentralisation qui mettrait à mal l’unité de la République.
Ce sont les mots prononcés par le Président de la République lui-même lors de la première Conférence nationale des territoires, le 18 juillet 2017. Au même moment, celui-ci annonçait la conclusion d’un « pacte girondin » avec les collectivités territoriales afin de « redonner aux territoires les moyens d’agir dans une responsabilité partagée ».
Depuis, de l’eau a passé sous les ponts, et dans les réseaux. (Sourires.)
Depuis un an, à rebours de ces déclarations d’intentions, nous avons assisté à une tentative sans précédent de recentralisation des pouvoirs. Contractualisation forcée avec les collectivités territoriales, mise à mal de leur autonomie financière et fiscale, recentralisation des compétences régionales en matière d’apprentissage, étranglement financier des départements, suppression progressive des derniers pouvoirs qui appartiennent encore aux maires – on l’a vu avec la loi ÉLAN : les exemples ne manquent pas.
Cette proposition de loi aurait pu être l’occasion de revenir sur certaines aberrations de la loi NOTRe et de desserrer un peu le corset dans lequel se trouvent aujourd’hui enfermées les collectivités territoriales, et tout particulièrement les communes.
Hélas, il est à craindre que cela ne soit une belle occasion manquée.
Dès février 2017, le Sénat, conscient des graves dysfonctionnements que risquait de provoquer, sur nos territoires, le transfert obligatoire et systématique aux communautés de communes et communautés d’agglomération des compétences communales en matière de distribution d’eau potable et d’assainissement des eaux usées, avait adopté à une très large majorité une proposition de loi des présidents Philippe Bas, Bruno Retailleau et François Zocchetto et de notre collègue Mathieu Darnaud. Elle visait à maintenir ces compétences parmi les compétences optionnelles de ces deux catégories d’EPCI à fiscalité propre.
Car le Sénat en est lui aussi convaincu : « Dans la très grande majorité des cas, les territoires savent mieux l’organisation qui est la plus pertinente pour eux. »
Malgré le soutien du rapporteur de la commission des lois de l’Assemblée nationale, Fabrice Brun, cette proposition de loi fut renvoyée en commission par les députés le 12 octobre 2017, et son examen reporté sine die.
À l’automne 2017, un groupe de travail de seize parlementaires a néanmoins été constitué à vos côtés, madame la ministre, pour étudier cette question. Il en est sorti trois recommandations : renforcer l’aide financière et technique au bloc communal ; permettre aux communes de surseoir au transfert de leurs compétences jusqu’au 1er janvier 2026 ; garantir la pérennité des syndicats d’eau et d’assainissement existants.
Devant le Congrès des maires, le 21 novembre 2017, le Premier ministre a pris des engagements en ce sens.
Un mois plus tard, nos collègues des groupes La République en Marche et MoDem de l’Assemblée nationale déposaient une proposition de loi censée mettre en œuvre ces engagements.
Ce n’était, malheureusement, pas tout à fait le cas.
En premier lieu, un texte d’initiative parlementaire ne pouvait, en vertu de l’article 40 de la Constitution, traiter de l’aide financière et technique susceptible d’être apportée par l’État aux communes et à leurs groupements dans le domaine de l’eau et de l’assainissement. Le Gouvernement n’a malheureusement rien fait pour compléter le texte en ce sens, comme il en a seul le pouvoir.
En deuxième lieu, si le texte prévoyait d’instituer une « minorité de blocage » permettant aux communes de s’opposer au transfert obligatoire de ces compétences, cette faculté ne devait concerner que les communautés de communes, et non les communautés d’agglomération, et elle ne devait s’appliquer qu’à titre temporaire, jusqu’en 2026.
En troisième lieu, pour garantir la pérennité des syndicats d’eau et d’assainissement, il était proposé de revenir au droit commun de la « représentation-substitution » en ce qui concerne les communautés de communes, mais aucun assouplissement n’était prévu pour les communautés d’agglomération.
Grâce au travail de la rapporteur de la commission des lois, la députée Émilie Chalas, cette dernière difficulté fut résolue dès la première lecture du texte par l’Assemblée nationale.
En revanche, aucune avancée ne fut enregistrée sur les autres points.
Plus grave, un amendement fut adopté prévoyant le rattachement systématique de la gestion des eaux pluviales et de ruissellement à la compétence « assainissement » des EPCI à fiscalité propre, ce qui soulevait de fait de nombreux problèmes de droit et d’opportunité.
En première lecture, le Sénat, qui s’était déjà exprimé en faveur du maintien du caractère optionnel des compétences « eau » et « assainissement » des communautés de communes et communautés d’agglomération, réaffirma cette position afin de laisser les élus libres de décider du transfert de ces compétences, en fonction des réalités locales.
Au demeurant, beaucoup de communes ont déjà transféré ces compétences sans que la loi le leur impose, parce que c’était la solution la plus adaptée localement. Mais ce n’est pas partout le cas.
Nous souhaitons faire confiance, pour notre part, aux élus de terrain.
Le Sénat clarifia, par ailleurs, les modalités de rattachement de la gestion des eaux pluviales à la compétence « assainissement » des communautés de communes et d’agglomération, en excluant les eaux de ruissellement de cette compétence.
Il adopta, en outre, cinq articles additionnels visant à faciliter la gestion des services publics d’eau et d’assainissement ainsi que leur transfert au niveau intercommunal.
C’est bien le signe que le Sénat ne s’oppose pas par principe ou par réflexe pavlovien au transfert de ces compétences : au contraire, il cherche à faciliter ce transfert pour peu qu’il réponde à l’intérêt général et à la volonté des élus locaux.
Malheureusement, aucun terrain d’entente n’a pu être trouvé en commission mixte paritaire. Nous avons même eu la surprise de nous entendre dire par la rapporteur de l’Assemblée nationale que nos propositions étaient « inacceptables ».
En nouvelle lecture, nos collègues députés ont commencé par rétablir intégralement leur texte en commission, sans tenir aucun compte des apports du Sénat ni des demandes pressantes des associations d’élus locaux.
Puis nous avons eu une heureuse surprise. En séance publique, la majorité de l’Assemblée nationale a admis la nécessité d’apporter quelques assouplissements. Sur l’initiative de la rapporteur et des deux groupes majoritaires, plusieurs amendements ont été adoptés dans le sens souhaité par le Sénat.
Ainsi, les communes membres de communautés de communes qui sont aujourd’hui compétentes uniquement en matière d’assainissement non collectif – c’est le cas de figure le plus courant – pourront, elles aussi, s’opposer jusqu’en 2026 au transfert du reste de la compétence « assainissement ».
De même, la gestion des eaux pluviales urbaines resterait une compétence facultative des communautés de communes ; elle deviendrait une compétence obligatoire des autres EPCI à fiscalité propre, mais toute référence à la gestion des eaux de ruissellement a été abandonnée.
Pour autant, ces avancées ne répondaient pas à l’ensemble des préoccupations exprimées par le Sénat. L’Assemblée nationale n’est pas revenue, en particulier, sur le principe du transfert obligatoire des compétences eau et assainissement. Toutefois, ces amendements témoignent d’un souci de pragmatisme, dont nous avions jusqu’à présent déploré l’absence.
C’est donc avec un esprit constructif que votre commission a abordé cette nouvelle lecture. L’espérance étant une des trois vertus théologales et l’expérience montrant qu’il n’est pas vain d’essayer de faire valoir des arguments de bon sens, c’est ce que nous allons faire encore aujourd’hui.
À l’article 1er, la commission des lois n’a pas cru possible de trouver un terrain de compromis avec les députés, et c’est pourquoi elle a choisi de réaffirmer une position de principe déjà exprimée par deux fois par le Sénat : l’eau et l’assainissement doivent rester des compétences optionnelles des communautés de communes et d’agglomération, par souci d’efficacité, en fonction des spécificités de chaque territoire.
Les articles 1er bis à 1er sexies, insérés par le Sénat en première lecture, avaient tous été supprimés par l’Assemblée nationale, alors même qu’ils soulevaient des problèmes très concrets et que le Gouvernement avait témoigné d’une certaine ouverture sur plusieurs points. La commission a rétabli trois de ces articles dans une rédaction améliorée, toujours dans le souci de faciliter la transition entre la gestion communale et intercommunale des services publics de l’eau et de l’assainissement, lorsque le transfert de ces compétences répond aux besoins locaux.
En ce qui concerne l’article 2, la répartition des compétences entre les communes et leurs groupements en matière d’eaux pluviales urbaines est aujourd’hui extrêmement confuse et pourrait donner lieu à des contentieux, à la suite d’une décision d’espèce du Conseil d’État de 2013 qui a fait l’objet d’une interprétation extensive du Gouvernement par voie de circulaires.
La rédaction finalement adoptée par l’Assemblée nationale a clarifié les choses pour l’avenir, il faut s’en féliciter. Il restait une zone d’ombre sur la compétence des communautés d’agglomération entre l’entrée en vigueur de la proposition de loi et le 1er janvier 2020, que la commission s’est efforcée de dissiper.
Enfin, la commission a considéré que les dispositions du premier paragraphe de l’article 2 avaient un caractère interprétatif et qu’elles avaient donc pour seul effet de clarifier le droit en vigueur, ce qui permettra de démêler les situations juridiques très confuses antérieures à l’entrée en vigueur de la nouvelle loi.
À l’article 3, la commission des lois a approuvé l’assouplissement des règles actuelles de représentation-substitution, qui permettront à de nombreux syndicats d’eau et d’assainissement de se maintenir au-delà de 2020 ou 2026. Elle s’est contentée d’adopter un amendement de clarification rédactionnelle, dont l’objet est de mettre le droit en accord avec la pratique.
Puisque la majorité présidentielle veut sauver les syndicats existants, c’est que l’organisation actuelle des compétences eau et assainissement n’est pas si déficiente !
Rendez-vous compte : par le passé, des communes intégrées à une communauté urbaine, une métropole ou même une communauté de communes ou d’agglomération exerçant les compétences eau et assainissement ont été contraintes de se retirer des syndicats qu’elles formaient avec les communes membres d’un seul autre EPCI à fiscalité propre.
Mais en matière d’eau et d’assainissement, les EPCI à fiscalité propre sont habilités à transférer leurs compétences à un syndicat sur une partie seulement de leur territoire.
Résultat : les EPCI se sont empressés de recréer des syndicats mixtes sur le périmètre qui était, la veille, celui des syndicats de communes… On cherche en vain une quelconque rationalisation des compétences locales !
Mes chers collègues, laissons « respirer les territoires », selon la formule consacrée de la mission de suivi des réformes territoriales.
Laissons les élus s’organiser comme ils l’entendent, pour rendre à nos concitoyens un service efficace et au meilleur coût.
C’est pourquoi la commission des lois vous invite à adopter le texte issu de ses travaux. (MM. Marc Laménie et Yves Bouloux, Mme Muriel Jourda, ainsi que M. le président de la commission des lois applaudissent.)