Sommaire
Présidence de M. Jean-Marc Gabouty
Secrétaires :
Mme Jacky Deromedi, M. Joël Guerriau.
2. Accord avec l’Autriche sur la réadmission des personnes en situation irrégulière.– Adoption définitive d’un projet de loi dans le texte de la commission
Discussion générale :
M. René Danesi, rapporteur de la commission des affaires étrangères
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État
Clôture de la discussion générale.
Vote sur l’ensemble
Adoption définitive du projet de loi dans le texte de la commission.
3. Encadrement de l’utilisation du téléphone portable dans les écoles et les collèges. – Adoption des conclusions d’une commission mixte paritaire
Discussion générale :
M. Stéphane Piednoir, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire
M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale
M. Jean-Jacques Lozach
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture
M. Jean-Michel Blanquer, ministre
Clôture de la discussion générale.
Texte élaboré par la commission mixte paritaire
Vote sur l’ensemble
Adoption de la proposition de loi dans le texte de la commission mixte paritaire.
4. Nomination et présence des parlementaires dans certains organismes extérieurs au Parlement. – Adoption définitive des conclusions d’une commission mixte paritaire
Discussion générale :
M. Loïc Hervé, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire
Clôture de la discussion générale.
Texte élaboré par la commission mixte paritaire
Adoption définitive de la proposition de loi dans le texte de la commission mixte paritaire
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Thani Mohamed Soilihi
5. Lutte contre les rodéos motorisés. – Adoption définitive en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Discussion générale :
Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d’État, ministre de l’intérieur
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteur de la commission des lois
Clôture de la discussion générale.
Adoption de l’article.
Articles additionnels après l’article 1er
Amendement n° 1 rectifié de Mme Fabienne Keller. – Retrait.
Amendement n° 2 rectifié de Mme Fabienne Keller. – Retrait.
Article additionnel après l’article 2
Amendement n° 3 rectifié bis de M. Frédéric Marchand. – Retrait.
Adoption définitive de la proposition de loi dans le texte de la commission.
Mme Jacqueline Gourault, ministre
Suspension et reprise de la séance
6. Lutte contre la manipulation de l’information. – Rejet en procédure accélérée d’une proposition de loi et d’une proposition de loi organique
Discussion générale commune :
Mme Françoise Nyssen, ministre de la culture
PRÉSIDENCE DE M. Vincent Delahaye
Exception d’irrecevabilité sur la proposition de loi
Exception d’irrecevabilité sur la proposition de loi organique
Discussion générale commune (suite)
Mme Françoise Nyssen, ministre
Clôture de la discussion générale commune.
Question préalable sur la proposition de loi
Question préalable sur la proposition de loi organique
PRÉSIDENCE DE M. Philippe Dallier
7. Transfert des compétences eau et assainissement aux communautés de communes. – Adoption en nouvelle lecture d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Discussion générale :
Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d’État, ministre de l’intérieur
M. François Bonhomme, rapporteur de la commission des lois
Mme Jacqueline Gourault, ministre
Clôture de la discussion générale.
Amendement n° 13 rectifié bis de Mme Maryse Carrère. – Rejet.
Amendement n° 12 de M. Arnaud de Belenet. – Rejet.
Amendement n° 4 rectifié de M. Bernard Delcros. – Rejet.
Adoption de l’article.
Articles additionnels après l’article 1er
Amendement n° 11 rectifié bis de M. Henri Leroy. – Retrait.
Amendement n° 3 rectifié de Mme Cécile Cukierman. – Retrait.
Articles 1er bis et 1er ter (suppression maintenue)
Amendement n° 5 rectifié de M. Bernard Delcros. – Rejet.
Adoption de l’article.
Amendement n° 6 rectifié de M. Bernard Delcros. – Rejet.
Adoption de l’article.
Amendement n° 7 rectifié de M. Bernard Delcros. – Rejet.
Adoption de l’article.
Amendement n° 8 rectifié de M. Bernard Delcros. – Rejet.
Adoption de l’article.
Intitulé de la proposition de loi
Amendement n° 10 rectifié de M. Bernard Delcros. – Rejet.
Adoption de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.
Mme Jacqueline Gourault, ministre
compte rendu intégral
Présidence de M. Jean-Marc Gabouty
vice-président
Secrétaires :
Mme Jacky Deromedi,
M. Joël Guerriau.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Accord avec l'Autriche sur la réadmission des personnes en situation irrégulière
Adoption définitive d’un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement fédéral autrichien relatif à la réadmission des personnes en situation irrégulière (projet n° 507, texte de la commission n° 654, rapport n° 653).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, mes chers amis – j’ose –, nous voici réunis ce matin pour examiner ce projet de loi autorisant l’approbation d’un accord bilatéral entre la France et l’Autriche relatif à la réadmission des personnes en situation irrégulière.
Nous discutons d’un texte – j’ai évidemment bien suivi les travaux de la commission –, mais aussi d’un contexte, qui est évoqué dans le rapport.
Sans préjuger d’un débat sur les enjeux migratoires en général que la commission a appelé de ses vœux, et dont elle a demandé l’inscription à l’ordre du jour de cet automne, je dirai quelques mots de ce texte, avant de parler du contexte.
Cet accord a été négocié et signé en 2007, puis actualisé en 2014 – ce travail, vous le voyez, a traversé les majorités et les gouvernements –, afin d’être adapté à l’état du droit communautaire. L’accord qui liait auparavant la France et l’Autriche datait de 1962 ; il fallait tenir compte d’un certain nombre d’évolutions du cadre communautaire.
Cet accord va rejoindre une liste riche d’une cinquantaine d’accords de réadmission dont la France est d’ores et déjà signataire, dont une vingtaine avec des États membres de l’Union européenne, comme l’Allemagne, l’Espagne, le Portugal ou encore la Suède. Cet accord n’a donc rien d’exceptionnel.
Il faut l’envisager au regard de l’évolution du droit communautaire, qui prévaut en tout état de cause, et en particulier du règlement de Dublin et de la directive Retour.
Cet accord avec l’Autriche couvre plusieurs cas de figure.
Premier cas de figure, l’accord oblige chaque partie, c’est-à-dire la France et l’Autriche, à réadmettre ses propres ressortissants qui se trouveraient en situation irrégulière sur le territoire de l’autre partie. Compte tenu des règles de libre circulation, ces cas sont très rares ; ils ont trait, pour la plupart, à des peines d’interdiction de séjour prononcées en complément de peines criminelles ou correctionnelles, ou à des mesures d’expulsion justifiées par des motifs sérieux tenant à l’ordre ou à la sécurité publics. Votre rapporteur le souligne dans son rapport, de tels cas sont très peu nombreux – ces trois dernières années, sept Autrichiens seulement ont fait l’objet d’une demande de réadmission pour l’un de ces motifs.
Deuxième cas de figure, l’accord permet à la France et à l’Autriche de réadmettre des ressortissants de pays tiers, c’est-à-dire des citoyens de pays n’appartenant pas à l’espace Schengen, lorsqu’ils ont séjourné sur ou transité par leur territoire avant de se rendre sur le territoire de l’autre partie.
Nous sommes là dans le cadre des dérogations prévues par la directive Retour adoptée en 2008 : un cadre balisé, donc.
Il faut avoir en tête que, depuis 2015, la France a saisi l’Autriche d’une quarantaine de demandes de réadmission en moyenne chaque année. Ces demandes concernent principalement des ressortissants afghans, algériens, kosovars et pakistanais. Ce nombre n’a vraisemblablement pas vocation à évoluer de manière significative au cours des prochaines années.
Le troisième et dernier cas de figure prévu par l’accord est celui du transit via la France ou l’Autriche, aussi bien par voie terrestre qu’à l’occasion d’une escale aérienne, d’une personne en cours d’éloignement vers un pays tiers décidé par notre pays ou par l’Autriche.
L’obligation de réadmission qui est inscrite dans l’accord ne vaut bien sûr pas dans les cas suivants : celui des ressortissants d’un État tiers ou des apatrides titulaires d’un titre de séjour ou d’une autorisation de séjour provisoire en cours de validité délivrés par un autre pays de l’espace Schengen ; celui, naturellement, des personnes auxquelles la France ou l’Autriche auraient reconnu le statut de réfugié ou d’apatride ; celui des demandeurs d’asile – dans ce dernier cas, c’est le règlement Dublin III qui prévaut, et il permet déjà le transfert des demandeurs dans l’État membre responsable de leur demande d’asile, autrement dit le pays dans lequel ils ont été préalablement enregistrés.
L’accord fixe de manière précise, tout au long de ses articles, qui sont complétés par un protocole d’application, les règles procédurales qui régissent ces réadmissions, mais également les garanties de droit relatives à l’établissement de l’état civil et de la nationalité des personnes concernées ainsi qu’à la protection des données à caractère personnel échangées dans le cadre de ces procédures – ce dernier point est très important ; c’est d’ailleurs à ce titre, en vertu de l’article 53 de la Constitution, que l’accord est soumis à l’approbation parlementaire.
Ce texte vise donc principalement à actualiser un accord très ancien pour le mettre en conformité avec le droit européen.
J’ajoute que notre partenaire autrichien a notifié à la France l’achèvement de sa procédure interne, qui, elle, ne passait pas par le Parlement, le 17 septembre 2015, il y a donc maintenant presque trois ans.
J’ai bien entendu, d’ailleurs, les interrogations de la commission sur le temps mis par la partie française pour approuver un certain nombre d’accords de ce type. Il est vrai que le protocole actualisant l’accord a été signé en 2014 et que le projet de loi a été élaboré sous le précédent gouvernement ; or ce n’est qu’aujourd’hui que nous sommes amenés à en débattre dans cet hémicycle. Nous avons donc peut-être, en effet, à nous pencher, collectivement, sur les voies et moyens pour réduire les délais permettant l’approbation de tels accords.
Un petit mot sur le contexte.
Tout cela s’inscrit en effet dans un contexte marqué, sinon par l’irruption, du moins par la mise sur le devant de la scène du sujet migratoire, alors même que, depuis 2015, le contexte a énormément évolué. Les flux de migration, qu’ils viennent de la Méditerranée centrale ou de la Méditerranée orientale, ont été considérablement réduits ; un très important travail de stabilisation a d’ailleurs été accompli par de nombreux États, en partenariat avec des autorités des pays de la rive sud de la Méditerranée.
La situation a néanmoins conduit le Conseil européen à être saisi de cette question. Souvenez-vous, il y a un mois – ce mois nous semble un siècle, tant le temps s’accélère –, nous étions tous très préoccupés s’agissant de la capacité de l’Europe à répondre ou non à un certain nombre de défis qu’elle a en commun avec l’Afrique. Car, ne nous y trompons pas : en matière migratoire, le destin de l’Europe et celui du continent africain sont totalement liés. Nous réussirons ensemble, ou bien nous échouerons ensemble.
C’est d’ailleurs pour cette raison que la France porte une voix ambitieuse en faveur d’un véritable partenariat eurafricain, ne négligeant aucune dimension – il n’y a pas de réponse unique, mais toute une palette de solutions. L’aide publique au développement, notamment, doit être toujours plus importante et, surtout, toujours plus opérationnelle ; elle doit se déployer plus rapidement sur le terrain.
Cette palette comprend également, par exemple, les procédures que nous souhaitons mettre en place dans le cadre de l’Alliance pour le Sahel, afin d’obtenir des résultats concrets, visibles, et, surtout, afin d’apporter des réponses à tous ces jeunes qui, loin de prendre les routes de la liberté, empruntent bel et bien, comme le dit le Président de la République, celles de la nécessité – il faut appeler les choses par leur nom : ces routes sont parfois de véritables traversées de la mort.
La France s’honore donc de mettre en œuvre un certain nombre de programmes avec le HCR, le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, ou avec l’OIM, l’Organisation internationale pour les migrations, afin de faire en sorte que nous puissions, au Niger ou au Tchad même, identifier des personnes qui relèveraient du droit d’asile pour les acheminer directement, dès lors qu’il est avéré qu’elles sont éligibles à ce régime. Un certain nombre de missions sont donc conduites.
Vous le voyez, la France mène une politique empreinte d’humanité, mais également de fermeté, dès lors qu’il s’agit de respecter les cadres légaux existants. À ce titre, nous sommes bien sûr très engagés, avec nos partenaires européens, dans le renforcement de l’efficacité et des moyens d’un outil comme FRONTEX, dont la montée en puissance est indispensable si nous voulons être au rendez-vous de la situation.
Voilà pour les quelques mots rapides que je souhaitais consacrer au contexte. Nous pouvons d’ores et déjà nous féliciter de notre capacité, sur ce débat qui déchaîne parfois les passions, à faire ce qu’il faudrait toujours faire, c’est-à-dire en revenir aux faits, à la raison, à des solutions pragmatiques, concrètes, permettant de préserver à la fois la dignité des êtres humains et, naturellement, la souveraineté, que celle-ci soit nationale ou européenne.
Je sais, mesdames, messieurs les sénateurs, que l’examen de ce projet de loi d’approbation sera prolongé dans les prochains mois par d’autres débats, soit au sein de votre commission soit dans l’hémicycle. Monsieur le rapporteur, soyez remercié pour le travail accompli. Nous arrivons au terme d’un processus dont l’achèvement n’a que trop tardé – cela fait onze ans que l’ouvrage est sur le métier, mesdames, messieurs les sénateurs ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe Union Centriste. – M. le rapporteur et M. Robert del Picchia, vice-président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. René Danesi, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, comme vient de l’indiquer M. le secrétaire d’État, le projet de loi que nous examinons ce matin est avant tout technique.
L’accord en vigueur qui lie nos deux pays depuis 1962 ne concerne qu’un très faible nombre de personnes. En effet, au cours des trois dernières années, la France n’a saisi l’Autriche que d’une quarantaine de demandes de réadmission en moyenne chaque année, et ce nombre n’a pas vocation à évoluer de manière significative dans les années à venir.
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées avait donc proposé un examen en forme simplifiée. Deux présidents de groupe ont toutefois demandé le retour à la procédure normale, davantage, supposé-je, pour pouvoir débattre en séance publique du contexte politique que pour discuter de l’accord lui-même, lequel a d’ailleurs été adopté à une très large majorité en commission.
Je rappelle, à cet égard, que l’accord soumis à notre examen a été signé le 30 octobre 2014. Il a été approuvé par l’Autriche dès 2015. Ce pays était alors gouverné par une coalition dirigée par les sociaux-démocrates. Le retard pris par notre gouvernement pour inscrire ce texte à l’ordre du jour de notre assemblée, retard que je déplore, n’est donc pas sans conséquence. En effet, son examen a lieu dans un contexte politique totalement différent de celui qui prévalait au moment de la signature de l’accord ; il est aujourd’hui, bien entendu, très difficile de s’abstraire de ce nouveau contexte.
Mme Hélène Conway-Mouret. Bien sûr !
M. René Danesi, rapporteur. Ce contexte, nous le connaissons : celui de populations fuyant leur pays et d’une Autriche qui se situe sur la route migratoire de l’Europe centrale.
Au cours des trois dernières années, ce pays de 8 750 000 habitants a enregistré 148 000 primo-demandes d’asile, contre 238 000 pour la France. L’Autriche a accordé le statut de réfugié à plus de 83 000 personnes. À titre de comparaison, la France, qui est huit fois plus peuplée, a accordé ce statut à 102 000 réfugiés au cours de la même période.
Mme Hélène Conway-Mouret. Les chiffres parlent !
M. René Danesi, rapporteur. L’Autriche est aujourd’hui l’un des États de l’Union européenne qui, proportionnellement à la taille de sa population, a accueilli le plus d’immigrés.
Chacun connaît également le résultat des élections législatives autrichiennes d’octobre dernier, dont l’immigration a été le thème central. Lors de la campagne, les partis de la coalition aujourd’hui au pouvoir avaient proposé de durcir les conditions d’accueil et d’asile, ainsi que la politique de retour. Mais, je tiens à le souligner, ils n’ont pas affiché dans leurs programmes la volonté de revenir sur les engagements européens de l’Autriche en matière d’accueil de migrants.
Ce dont nos collègues souhaitent débattre ce matin concerne donc essentiellement, je le suppose, les récentes propositions du nouveau chancelier, M. Sebastian Kurz.
L’Autriche assure en effet la présidence de l’Union européenne pour le second semestre 2018. Dans une note confidentielle révélée par la presse, Vienne a détaillé ses propositions aux États membres. Elle y préconise notamment la mise en place d’un nouveau système qui empêcherait tout dépôt de demande d’asile sur le sol européen. Les demandes seraient dès lors traitées dans des centres établis hors de l’Union. En outre, Vienne propose de limiter le droit d’asile aux personnes respectant les valeurs et les droits fondamentaux de l’Union européenne, sans toutefois définir clairement ce critère.
Le 5 juillet dernier, la commission des affaires européennes du Sénat, dont je suis également membre, a auditionné l’ambassadeur d’Autriche en France. Celui-ci a confirmé l’existence de cette note. Son Excellence Walter Grahammer a précisé qu’« une présidence n’a pas vocation à imposer ses idées, mais à trouver un dénominateur commun pour dégager une majorité ».
Après les tergiversations européennes autour de l’accueil de l’Aquarius, le dernier Conseil européen a adopté une position commune.
D’une part, le Conseil prévoit la création de « plateformes régionales de débarquement », en dehors de l’Union. Celles-ci seraient probablement situées en Afrique du Nord, où les situations des migrants seraient étudiées. Le Maroc et la Tunisie ont d’ores et déjà annoncé leur refus d’implanter une telle plateforme sur leur territoire. L’Italie suggère d’en installer une en Libye, pays qui peine à reconstruire un État.
D’autre part, le Conseil prévoit l’ouverture, sur une base volontaire, de centres contrôlés établis dans les États membres. Ces centres permettraient de séparer les réfugiés éligibles à la protection internationale des migrants économiques devant être rapatriés. La Commission européenne vient d’annoncer qu’elle prendra en charge le coût de ces centres contrôlés.
La question migratoire et sa gestion européenne sont devenues des enjeux essentiels pour l’Union européenne, et ils menacent de la diviser. Ces enjeux seront immanquablement au cœur des échéances électorales de l’an prochain. C’est pourquoi notre commission des affaires étrangères a demandé au président du Sénat, conjointement avec la commission des affaires européennes, la tenue d’un débat en séance publique sur ce sujet dès le début du mois d’octobre.
Mais – je le répète – tel n’est pas l’objet du texte que nous examinons ce matin, dont la portée est beaucoup plus limitée.
Premièrement, ce nouvel accord oblige chaque partie à réadmettre ses propres ressortissants se trouvant en situation irrégulière sur le territoire de l’autre partie. Ces cas sont très marginaux.
Deuxièmement, l’accord oblige les parties, la France et l’Autriche, à réadmettre des citoyens de pays n’appartenant pas à l’espace Schengen lorsqu’ils ont séjourné sur ou transité par le territoire de l’une avant d’entrer sur le territoire de l’autre. Là encore, le nombre de demandes formulées est faible.
Troisièmement, l’accord encadre le transit via la France ou l’Autriche, aussi bien par voie terrestre qu’à l’occasion d’une escale aérienne, d’une personne en cours d’éloignement vers un pays tiers décidé par notre pays ou par l’autre partie.
Les stipulations de cet accord franco-autrichien sont donc similaires à celles des accords de même nature conclus ces dernières années – de telles stipulations sont toujours très encadrées par le droit européen. Elles fixent de manière précise les règles procédurales qui régissent la réadmission de personnes en situation irrégulière. Elles mentionnent les garanties de droit relatives à l’établissement de l’état civil et de la nationalité des personnes concernées ainsi qu’à la protection des données à caractère personnel échangées dans le cadre des procédures de réadmission. Elles encadrent les prérogatives des éventuelles escortes policières.
Il s’agit donc d’un texte à la portée limitée ; il ne concerne ni les apatrides, ni les réfugiés, ni les demandeurs d’asile, qui sont soumis à des règles spécifiques. Le principal objectif est d’actualiser l’accord de 1962, pour le mettre en conformité avec le droit européen.
En conséquence, pour l’ensemble des raisons que je viens d’exposer, la commission préconise l’adoption de ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe La République En Marche et du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. André Gattolin.
M. André Gattolin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le projet de loi sur lequel nous sommes invités à nous prononcer aujourd’hui vient clore la renégociation d’un accord bilatéral entre la France et l’Autriche qui a débuté il y a plus de dix ans, en 2007.
Cette révision particulièrement longue s’inspire pourtant du modèle classique de l’accord bilatéral de réadmission – et la France a déjà signé des accords de ce type avec une vingtaine d’autres pays de l’Union européenne.
Côté autrichien, comme cela a été rappelé par M. le secrétaire d’État, cette approbation est intervenue en 2015, soit bien avant l’arrivée au pouvoir de l’actuel gouvernement de coalition formé par les conservateurs avec le parti d’extrême droite FPÖ, ou Parti de la liberté d’Autriche.
J’évoquerai cet accord en quelques mots seulement – il ne pose pas, à mon sens, de difficultés notables.
Notre rapporteur, René Danesi, l’a dit : ce texte a une portée très marginale ; chaque année, en effet, seules quelques dizaines de personnes sont concernées et réadmises sur le fondement de ce cadre de coopération franco-autrichienne.
Deux mécanismes sont régis par cet instrument bilatéral.
Le premier consiste dans l’obligation, pour chaque partie, de réadmettre ses ressortissants lorsqu’ils se trouvent en situation irrégulière, du fait d’une mesure d’éloignement, sur le territoire de l’autre partie. Seuls sept Autrichiens ont été renvoyés par ce biais au cours des trois dernières années.
Le second oblige chaque partie à réadmettre sur son territoire des ressortissants de pays tiers ayant séjourné ou transité sur leur sol avant d’entrer sur le territoire de l’autre partie. La France n’a saisi l’Autriche que d’une quarantaine de demandes de réadmission en moyenne chaque année depuis 2015.
Ce mécanisme s’inscrit comme une exception à la directive Retour de 2008, qui prévoit le retour vers l’État tiers d’origine avec l’accord de ce dernier, et qui demeure le principe applicable.
Cette révision, en outre, a une portée technique : elle s’attache uniquement à rendre conforme au droit européen en vigueur un instrument juridique qui existe depuis 1962, dont les dispositions ont été rendues caduques par l’émergence de l’espace Schengen et par la distinction existant désormais entre citoyens européens et citoyens de pays tiers.
J’en viens maintenant à la situation politique particulière de l’Autriche et, plus précisément, à l’inquiétude qui peut régner autour du gouvernement autrichien formé par la droite et l’extrême droite. Cette dernière, l’extrême droite, dirige en effet d’importants ministères : l’intérieur, la défense et les affaires étrangères.
Et, ces derniers mois, un malaise a pu être alimenté par les propositions formulées en matière migratoire par le chancelier, Sebastian Kurz, alors que Vienne exerce depuis le 1er juillet la présidence du Conseil de l’Union européenne.
Le chancelier autrichien a notamment proposé de créer un « axe des volontaires Rome-Vienne-Berlin » pour établir, en la matière, une ligne dure.
Si cette inquiétude est justifiée, nous ne pouvons pas nous permettre pour autant de la laisser amoindrir ou, pire encore, empoisonner les importantes relations bilatérales que nous entretenons depuis de nombreuses années, et aujourd’hui plus que jamais, avec l’Autriche.
Notre rapporteur, René Danesi, a évoqué l’audition que nous avons réalisée de l’ambassadeur d’Autriche à Paris, M. Walter Grahammer. Celui-ci a réaffirmé devant nous, le 5 juillet dernier, la volonté de l’Autriche de s’inscrire dans le cadre des institutions européennes et de ses valeurs et de respecter les principes de l’État de droit.
Nous verrons ce qu’il en est ; en tout cas, cette assurance nous a été donnée. J’ai d’ailleurs eu l’occasion d’entendre cet engagement répété par le même ambassadeur lorsque nous l’avons invité au Sénat, dès le lendemain, dans le cadre des petits-déjeuners du Mouvement européen. Il s’est soumis avec une très grande clarté au jeu des questions des quelque soixante-dix invités qui y participaient.
Nous le savons, les négociations au niveau européen ont souvent à composer avec des priorités et des objectifs divergents ; mais les intérêts et les enjeux sous-jacents, eux, restent communs.
N’oublions pas non plus que, en 2015, année record en matière de mouvements migratoires vers l’Union européenne, l’Autriche a été le deuxième pays européen à accueillir le plus de demandeurs d’asile proportionnellement à sa population. Elle a reçu, cette année-là, plus de 88 000 demandes d’asile, répondant positivement à plus de 35 000 d’entre elles. Comme l’a rappelé notre rapporteur, ce chiffre est, au regard de l’action d’autres pays, y compris de la France, particulièrement élevé.
À plusieurs reprises, le chancelier Kurz a réaffirmé son attachement résolu aux valeurs européennes et démocratiques, mais aussi au projet européen, comme le confirme d’ailleurs le contrat de gouvernement conclu par les partis politiques de la coalition.
Le chancelier autrichien a également fait le choix politique de détacher les affaires européennes du ministère des affaires étrangères, dirigé par un ministre d’extrême droite, pour les rattacher directement à lui.
Et – il faut le dire –, sur plusieurs grands dossiers européens, qu’il s’agisse de la lutte contre le réchauffement climatique, des questions environnementales, de l’imposition de l’économie numérique ou de la très belle initiative concernant le calcul à haute performance, l’Autriche est un partenaire sur lequel nous savons pouvoir compter.
C’est dans cet esprit, refusant toute approche ostracisante, que le groupe La République En Marche soutient le gouvernement français, afin qu’il maintienne un dialogue constructif avec l’Autriche, qui se trouve au carrefour de l’Europe.
Ce dialogue est indispensable pour connaître, comprendre et convaincre, d’autant plus lorsque les négociations sont difficiles. Il est tout aussi essentiel pour opérer une refonte profonde du projet européen et construire une Europe ambitieuse et protectrice.
Pour toutes ces raisons, et parce qu’il apparaîtrait incompréhensible de sanctionner l’adoption de ce projet de loi d’approbation de l’accord, le groupe La République En Marche votera en faveur de ce texte. (M. le rapporteur, ainsi que MM. Philippe Bonnecarrère et Olivier Cadic applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Fabien Gay.
M. Fabien Gay. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, depuis 1962, la France et l’Autriche sont liées par un accord de réadmission. Cela a été dit, la convention de 2007 a dû être révisée en 2014, car elle contrevenait à nouveau au droit européen.
Nous sommes donc en présence d’un texte purement technique. Cette vision, promue et partagée à l’Assemblée nationale tout comme en commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat, déconnecte le contenu du texte du contexte dans lequel il s’inscrit.
Si nous avons voulu, avec d’autres collègues, demander un débat sur cette convention, c’est bien parce qu’il nous apparaît impossible de faire comme si cet accord flottait au-dessus de la réalité, c’est-à-dire de la situation particulièrement préoccupante, à Vienne et, plus largement, en Europe.
Il est tout aussi vrai que, jusqu’ici, l’accord de réadmission franco-autrichien a concerné peu de personnes, au maximum une cinquantaine par an. Il ne s’agit donc pas de surestimer la portée de cette convention.
Toutefois, la situation autrichienne a changé. Alors que, proportionnellement, l’Autriche a davantage été un pays d’accueil que la France depuis 2015, les élections législatives d’octobre dernier rebattent forcément les cartes. Comme le rappelait le rapporteur de l’Assemblée nationale, Vienne a terminé la procédure de ratification dès 2015. Cela confère une responsabilité supplémentaire à la France pour assurer la sécurité des réfugiés.
Il faut le rappeler, la coalition entre l’ÖVP et le FPÖ montre déjà ses premiers effets : élargissement de la liste des pays « sûrs », remplacement des allocations et aides financières par des aides en nature, baisse desdites aides, augmentation du nombre d’expulsions…
La présidence tournante du Conseil de l’Union européenne attribuée à l’Autriche participe pleinement du renfermement de l’Europe sur elle-même. C’est sur tout le continent que les poussées conservatrices et/ou xénophobes s’opèrent : en Autriche, mais aussi en Italie, en Hongrie, en Slovaquie, en Pologne, en Finlande, en Bulgarie, en Allemagne… L’Europe est, une nouvelle fois, au bord du gouffre !
Alors que, en à peine trois ans, 15 000 êtres humains sont morts en tentant de traverser la Méditerranée, l’Europe se constitue en forteresse, à rebours des idéaux de Robert Schuman et du sens des responsabilités qui devrait prévaloir.
Combien d’États européens ont une part de responsabilité dans le retard de développement des pays de départ de certains migrants ? Combien d’États européens interviennent activement dans des opérations militaires sur zone ?
L’opposition stérile entre les réfugiés quittant une zone de conflit et les autres n’honore pas celles et ceux qui l’entretiennent. Faut-il rappeler quelques exemples montrant l’indécence d’une telle attitude ? Le Cameroun a adopté en 2014 une loi antiterroriste condamnant à mort tout auteur « d’acte ou menace susceptibles d’occasionner des dommages matériels dans l’intention de perturber le fonctionnement normal des services publics ». En Mauritanie, on compte près de 300 000 esclaves modernes, Haratins et Bidhans, destinés à la traite locale ou à la vente dans les pays du Golfe. Au total, chaque année, 16 millions de personnes meurent de faim ou de soif sur la planète, tandis que 3,5 millions décèdent de maladies dont les remèdes sont parfaitement connus.
Faut-il dès lors s’étonner que près de 200 000 personnes tentent chaque année de fuir leur sinistre destin en rejoignant les terres européennes ? Il en est ainsi de l’ensemble des migrations recensées dans l’histoire, hormis les vagues de colonisation.
Ces quelques éléments paraissent aller de soi, mais la teneur des débats qui se développent dans l’ensemble de l’Europe oblige à rappeler l’évidence.
Les discussions et les conclusions du sommet européen sur l’immigration sont profondément marquées par le regain de vitalité réactionnaire que j’évoquais. L’accord du 28 juin dernier prévoit ainsi, au mépris de la sécurité des réfugiés, la création de « centres contrôlés » et de « plateformes de débarquement » censés dissuader les traversées de la Méditerranée au départ de pays tiers.
Certains imaginent déjà la Libye ou l’Irak contenir leurs candidats au départ dans des camps situés en front de mer. Ces mêmes personnes semblent fermer les yeux sur la situation, dénoncée par l’ONU, dans les centres de rétention déjà mis en œuvre dans certains pays, où viols, tortures, actes de traite et trafics sont devenus monnaie courante.
Il y a le fond, mais aussi la forme. Les propos viennois parlant de réfugiés « peu ou pas éduqués, les empêchant de vivre dans des sociétés ouvertes », justifiant « qu’aucune demande d’asile ne soit déposée sur le sol européen » rappellent des propos tenus il y a quatre-vingts ans par certains diplomates européens « effarés de voir le mauvais genre des réfugiés »… Et quand une ministre française se permet de dire que les centres créés par l’accord du 28 juin seront non pas des centres fermés, mais des centres dont les migrants ne pourront pas sortir, on se dit que l’on marche sur la tête !
Il y a donc une vraie réflexion à mener sur la coopération européenne et bilatérale en matière d’immigration. Aujourd’hui, la forteresse européenne que j’évoquais s’articule à tous les échelons, dans un déni d’humanité absolu. À l’intérieur même de l’Union européenne, la libre circulation ne concerne, semble-t-il, que les capitaux et les marchandises extra-européens.
À ce titre, les règlements de Dublin, qui font reposer tout le poids de l’accueil sur les pays d’entrée, ne sont pas satisfaisants. À l’extérieur, l’accord du 28 juin n’est qu’une nouvelle étape dans la politique de dissuasion et d’empêchement des réfugiés, qui sonne dès lors comme une politique d’abandon.
Au vu du contexte, il nous est impossible d’approuver cette convention. Toutefois, comme je l’ai dit, surestimer la portée de celle-ci serait une erreur et risquerait de réduire l’importance du débat que nous devrons avoir à la rentrée. Dans ces conditions, nous nous abstiendrons. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Olivier Cadic.
M. Olivier Cadic. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, sur le fond, le texte que nous examinons aujourd’hui ne pose pas de difficulté particulière. Il vise, comme son intitulé l’indique, à autoriser l’approbation d’un accord entre le Gouvernement français et le Gouvernement fédéral autrichien.
Les deux pays sont actuellement liés par un accord signé en 1962, permettant le renvoi mutuel de leurs ressortissants ayant fait l’objet d’une mesure d’éloignement ou de citoyens d’États tiers ayant séjourné sur le territoire de l’autre partie. Cet accord, rendu obsolète par la création de l’espace Schengen, a été actualisé en 2007 et doit l’être de nouveau en 2018 afin de le mettre en conformité avec le cadre juridique en vigueur, en particulier au niveau européen.
Sur la forme à présent, je soulignerai que ce projet de loi est soumis à notre chambre trois ans après la ratification de l’accord par l’Autriche. Si l’on ne peut que déplorer la longueur des délais de ratification, il y a lieu toutefois de distinguer ce texte de l’actuel contexte politique autrichien.
La ratification ayant eu lieu voilà trois ans, il faut bien admettre qu’elle ne s’inscrivait nullement dans l’agenda de l’actuel chancelier fédéral d’Autriche. C’est pourquoi nous n’avons pas de raison de nous opposer à ce texte. Le groupe Union Centriste suivra l’avis formulé par le rapporteur, notre collègue René Danesi.
Nonobstant ces remarques, comme vous l’avez rappelé, monsieur le secrétaire d’État, il y a également un contexte, un sujet crucial, au regard non seulement des changements politiques intervenus en Autriche, mais plus globalement de l’actuel défi migratoire que doit affronter le continent européen.
Sur le sujet ô combien brûlant, ô combien européen des migrations, les solutions ne peuvent être définies qu’à l’échelle de l’Union européenne. Il s’agit du seul niveau auquel il est possible d’agir avec pertinence et efficacité.
Puisqu’il est question d’Europe et de politique migratoire dans ce texte, je profite du temps qui m’est imparti pour affirmer et même réaffirmer deux positions fortes : d’une part, le refus d’une immigration irréfléchie ; d’autre part, notre franc soutien au droit d’asile.
Ces principes demeurent d’autant plus importants que, à force de passivité de notre part, des migrants arrivent quotidiennement sur les côtes européennes alors que, dans le même temps, les réfugiés ne trouvent pas chez nous l’accueil qu’ils mériteraient.
Le droit d’asile est fils des populations déplacées de la Seconde Guerre mondiale. Ces drames ayant profondément marqué les esprits, les pères fondateurs de l’Europe ne voulaient plus les voir se répéter.
Pour parvenir au pouvoir, les populistes font peser sur l’immigration la responsabilité de tous les maux de leur pays. Ce n’est pas nouveau. Enfant, dans les années soixante-dix, je lisais, affiché devant mon lycée, le slogan de Jean-Marie Le Pen : un million de chômeurs, c’est un million d’immigrés en trop !
L’émergence de gouvernements xénophobes ne doit pas remettre en cause le droit d’asile. L’absurde projet de déconstruction européenne que prônent les europhobes de tout poil ne saurait amener à brader les principes d’humanisme et de solidarité qui sont les fondements de notre Union. Devant cette menace, les Européens de bonne volonté doivent s’organiser, s’unir et poursuivre la construction européenne.
Toutefois, un droit d’asile efficace a pour corollaire une définition stricte du statut de réfugié, seule à même d’endiguer les arrivées irrégulières. C’est pourquoi il est important de modifier le règlement de Dublin.
Le compromis trouvé récemment au Parlement européen, qui permet certes d’assouplir le principe de responsabilité du premier pays d’accueil, afin que les candidats à l’asile puissent aller là où ils ont déjà de la famille, assorti d’un mécanisme de relocalisation, est un premier pas encourageant, mais insuffisant.
La plupart des migrants ne sont pas éligibles à l’asile et ont donc vocation à être expulsés. Or les éloigner coûte très cher. Tripler les effectifs de garde-côtes et les budgets ne suffira pas. Vous l’avez souligné, monsieur le secrétaire d’État, la principale réponse est économique et passe par le développement de l’économie de l’Afrique. C’est pourquoi je me félicite du choix d’intégrer au budget européen le Fonds européen de développement dès 2021, ce fonds étant pour l’heure le meilleur instrument en vue de la résolution de la crise migratoire actuelle.
La mise en place de « hot spots » dans les pays de départ, que certains voient comme la solution miracle à la crise migratoire, ne peut s’inscrire dans la vision humaniste que nous défendons tous au sein du groupe Union Centriste. Elle ne manque pas de nous rappeler une époque sombre, pas si lointaine, que nous ne voulons en aucun cas voir reparaître.
Il est vrai, néanmoins, que l’ensemble des pays touchés par cette crise doivent être directement concernés par les réponses que nous tentons d’y apporter. Nous savons pertinemment que les garde-côtes libyens ferment parfois les yeux sur les départs illégaux de nombreux bateaux. Nous pouvons le comprendre, car, sous-payés, ils souffrent des problèmes économiques de leur pays. Nous ne pouvons cependant admettre que les États d’embarquement laissent prospérer le chaos sans jamais subir la moindre sanction. Les responsabiliser par le recours au droit est le seul moyen de pouvoir les compter comme des alliés en vue de relever cet immense défi.
À l’heure où l’image de l’Union européenne est mise à mal, il convient de rappeler qu’elle constitue l’espace où des millions de personnes rêvent de vivre, mais aussi que plusieurs pays des Balkans souhaitent l’intégrer. Au moment où nous parlons de Brexit, deux tiers des Nord-Irlandais souhaitent désormais rester dans l’Union européenne. Parce que l’Europe est la meilleure réponse à nos problèmes, la réciprocité et les partenariats entre ses États membres constituent pour nous la voie à suivre pour que les Européens vivent en paix et dans la prospérité. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à M. Yannick Vaugrenard.
M. Yannick Vaugrenard. Monsieur le président monsieur le secrétaire d’État, monsieur le vice-président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous devons ce matin nous prononcer sur le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre la France et l’Autriche relatif à la réadmission des personnes en situation irrégulière.
Ce texte ne tend qu’à moderniser les dispositions actuelles afin de les rendre plus conformes au cadre juridique. Il n’est donc que d’adaptation technique, comme c’est fréquemment le cas pour ce genre d’accord à réactualiser.
Première remarque, ce texte signé en 2007, ratifié par l’Autriche en 2014, le sera donc par la France en 2018 ! On ne peut, bien sûr, que déplorer l’extrême lenteur de nos procédures.
Deuxième remarque, un texte ne peut jamais échapper à son contexte. C’est particulièrement le cas ici, le contexte étant celui d’une Autriche qui préoccupe, voire inquiète, l’Union européenne, au moment où cet État vient d’en prendre la présidence pour six mois, avec un nouveau gouvernement dont on ne peut savoir avec certitude de quelle manière il appliquera ce projet de loi.
C’est pourquoi Hélène Conway-Mouret et le groupe socialiste et républicain ont souhaité que, à l’occasion de l’examen de ce dernier, nous ayons un échange sur l’évolution politique de l’Autriche, et plus généralement de l’Europe. Bien sûr – je rejoins sur ce point le président de la commission –, nous pourrons dès le mois d’octobre nous saisir, en lien avec la commission des affaires européennes du Sénat, de cette question primordiale, essentielle pour le devenir de notre continent qu’est la montée du national-populisme, au-delà de la problématique migratoire.
L’Europe, comme le monde, est en crise. Des dangers la menacent et le socle démocratique et pacifique sur lequel elle s’est construite est désormais vacillant. Bref, il n’est pas urgent d’attendre pour s’en inquiéter, essayer de comprendre et exprimer nos différents points de vue.
Le 1er juillet, la Bulgarie a donc passé le flambeau à l’Autriche, désormais dirigée par une coalition conservatrice de droite et d’extrême droite. Ainsi, le conservateur Sebastian Kurz, devenu chancelier, a proposé une alliance à l’extrême droite, représentée par l’historique FPÖ, fondé en 1956 par d’anciens nazis et dirigé alors par un ancien Waffen-SS. Ce parti d’extrême droite détient désormais trois ministères régaliens, et non des moindres : l’intérieur, la défense et les affaires étrangères.
C’est la seconde fois en vingt ans que l’extrême droite arrive au pouvoir en Autriche. La première fois, en 2000, cela avait entraîné des manifestations d’écœurement absolument gigantesques. Le Gouvernement autrichien fut l’objet d’une réprobation internationale très forte et l’Union européenne maintint durant plusieurs mois des sanctions contre Vienne. Dix-sept années ont passé, mes chers collègues, et le présent accord de gouvernement autrichien n’a pas suscité d’indignation particulière sur la scène européenne !
Cette frilosité, alors que l’Autriche prend les rênes de l’Europe, est une aberration collective insupportable. Elle est en contradiction absolue avec le dernier hommage rendu à Claude Lanzmann, merveilleux auteur du documentaire Shoah.
Au-delà du seul cas de l’Autriche, c’est la progression de l’extrême droite, et plus généralement du national-populisme, qui inquiète. En effet, ce vent mauvais souffle aussi en Bulgarie, en Hongrie, en Pologne, en Finlande et même, dernièrement, dans l’un des pays fondateurs de l’Union européenne, l’Italie.
L’Union européenne affronte donc la crise la plus grave de son histoire, et un doute très profond s’est même fait jour dans l’opinion sur sa viabilité à long terme, son efficacité et sa capacité réelle à protéger.
Curieusement, et peut-être aussi dangereusement, s’est installée l’idée que nous vivrions sur un continent de paix éternelle. Mais rien n’est jamais définitivement acquis ! Nous savons que les conditions économiques et sociales déterminent très fréquemment le reste. Or, au-delà des aspects éthiques et moraux, c’est la persistance des difficultés économiques et sociales qui engendre le rejet et la crainte de la différence. C’est aussi elle qui suscite le scepticisme et le désenchantement de nos concitoyens européens.
Constatons également que l’absence de réponse coordonnée et immédiate, ainsi que le refus de prendre en considération les difficultés rencontrées par les pays de premier accueil des réfugiés, ont incontestablement pesé dans l’issue des dernières consultations électorales en Italie !
L’absence de courage politique en ces circonstances est coupable et, ayant feint d’oublier que les côtes italiennes étaient aussi les côtes européennes, nous en subissons les conséquences. Nos opinions ont besoin, et c’est normal, d’une Europe qui les protège, non seulement de la guerre, mais aussi socialement et collectivement.
Au bout du compte, je suis convaincu d’une chose : l’Europe sera un jour sociale ou elle ne sera pas, ou elle se délitera.
Une réorientation de l’Europe est donc indispensable. Nous sommes désormais vingt-sept, et c’est évidemment beaucoup plus compliqué qu’à six. Toutefois, prenons acte du fait que le traité de Lisbonne permet d’avancer à quelques-uns, d’autres pouvant ensuite nous rejoindre, notamment dans les domaines sociaux, de la défense, de la recherche ou encore de l’environnement. Nous l’avons fait pour la monnaie, pourquoi ne pas le faire pour d’autres sujets tout aussi importants ?
Soulignons, par ailleurs, que notre période est dangereuse à plus d’un titre. Le fait majeur de ces deux dernières années ne serait- il pas l’élection de Donald Trump, aux États-Unis ? Cela a changé la donne internationale, le doute et l’inquiétude dominant désormais.
Lorsque Donald Trump déclare que l’Europe est un ennemi économique, il y a de quoi s’inquiéter. Lorsque ses attitudes donnent à penser que la solidarité au sein de l’OTAN est sujette à caution, nous comprenons bien que notre approche géopolitique est susceptible d’évoluer. Le dernier fiasco de Donald Trump au sommet d’Helsinki avec Vladimir Poutine et ses déclarations aussi dangereuses qu’imprévisibles ajoutent encore à la confusion. Dorénavant, nous risquons de retrouver les partenariats précaires et révocables du monde d’avant la Seconde Guerre mondiale.
Très paradoxalement, c’est à un moment où l’Europe devrait s’imposer d’être plus forte qu’elle est en train de s’affaiblir.
C’est malheureusement dans ce contexte que l’Autriche présidera aux destinées de l’Union européenne durant six longs mois. En conséquence, la vigilance doit être extrême et les condamnations plus virulentes, car il est des principes sur lesquels on ne peut et on ne doit absolument pas transiger. Je crois nécessaire de rappeler ici ces mots de Primo Levi : « Ceux qui oublient leur passé sont condamnés à le revivre. »
L’examen de ce projet de loi au contenu plutôt technique est aussi l’occasion de souligner les dangers qui menacent aujourd’hui notre continent. L’enjeu n’est pas mince. Monsieur le secrétaire d’État, quelle est la position de la France après les premières déclarations de l’Autriche, s’agissant notamment de la politique migratoire de l’Europe ? La position commune européenne, en 2000, était que les ministres d’extrême droite autrichiens ne devaient être reçus par aucun de leurs homologues européens : qu’en est-il aujourd’hui ? Qu’en est-il de la position de la France ? Tout à l’heure, vous avez dit que nous marchions sur deux pieds : l’humanité et la fermeté ; n’oublions pas la fermeté à l’égard de l’actuel gouvernement autrichien !
Au-delà de la protection sociale que l’Europe doit offrir aux populations les plus en difficulté, notre pays se doit aussi de signifier par des actes forts la primauté des valeurs humanistes sur lesquelles s’est construite l’Union européenne. Notre mémoire ne peut et ne doit pas être défaillante, car, comme le soulignait fort justement Érik Orsenna, « la mémoire, c’est la santé du monde ». (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et sur des travées du groupe Union Centriste. – M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Claude Malhuret.
M. Claude Malhuret. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd’hui ne pose pas, en lui-même, de difficulté majeure. Il ne vise qu’à moderniser des dispositions existantes afin de les rendre conformes au cadre juridique en vigueur.
Je comprends que certains de nos collègues veuillent faire de son examen le prélude à une discussion plus large. Mais, quelle que soit la couleur politique de l’actuel gouvernement autrichien, cet accord ne prévoit que ce que prévoient tous les accords analogues avec nos autres partenaires, ni plus ni moins. Il est de surcroît largement encadré par la réglementation européenne.
Faut-il, à cette occasion, entamer un débat sur la politique migratoire de l’Union européenne, avec, peut-être, la volonté de « refaire le match » de la discussion du projet de loi pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie ? Pourquoi pas, mais j’ai pris bonne note de la volonté du président de la commission des affaires étrangères, Christian Cambon, d’organiser un débat à l’automne sur ces questions : ce débat sera un cadre plus approprié pour évoquer cette question sérieuse.
Que dire aujourd’hui que nous n’ayons déjà dit il y a quelques semaines ? Oui, eu égard aux défaillances de la politique migratoire commune, les politiques nationales se durcissent. Ce n’est pas le monopole des États autoritaires du centre et de l’est de l’Europe : c’est aussi le fait de grands États de l’Union, tels que l’Italie, l’Allemagne et, bien sûr, la France.
Par exemple, la semaine dernière, le conseil des ministres allemand a inscrit les pays maghrébins sur la liste des pays « sûrs ». Ce changement permet aux services allemands de l’immigration de rejeter presque automatiquement les demandes d’asile des ressortissants de ces pays. Nous attendons toujours la liste commune de l’Union européenne qui permettrait d’harmoniser la définition des pays d’origine sûrs.
Autre exemple, l’Italie a décidé de conditionner les débarquements des migrants sauvés en Méditerranée par les navires de l’opération navale européenne Sophia à un partage de leur prise en charge avec d’autres États membres. On peut dénoncer l’attitude des autorités italiennes, mais leur arrivée au pouvoir ne traduit qu’une chose : le ras-le-bol des citoyens italiens devant l’abandon des autres États européens.
Enfin, il y a la question de l’Autriche, qui préside actuellement l’Union. Le 12 juillet dernier, à Innsbruck, les ministres de l’intérieur européens ont de nouveau examiné la proposition autrichienne d’externalisation de notre politique de l’asile, notamment par la mise en place de « plateformes de retour » dans des pays tiers, où les migrants déboutés du droit d’asile seraient retenus en attendant de rentrer dans leur pays d’origine. Les discussions ont mis en lumière le caractère irréaliste de cette proposition, tenant notamment au fait qu’aucun pays « tiers », africain ou autre, n’est disposé à accueillir ce type de camp.
Comment envisager sérieusement que nous limitions notre politique migratoire à la protection de nos frontières, en délocalisant notre politique de l’asile ? Méfions-nous de ces expédients séduisants : on ne saurait régler par des solutions simplistes un problème compliqué.
Entre le populisme migratoire et l’angélisme béat, il y a une voie : celle du pragmatisme. Le durcissement généralisé des politiques migratoires en Europe nous montre à la fois les insuffisances de l’Union européenne et les inquiétudes des peuples. Mais il nous montre également l’échec des égoïsmes nationaux. Dans cet entre-deux – échec de l’Union, échec des solutions individuelles –, que faire ? Notre groupe croit à la solution collective et européenne. Réformer la politique migratoire européenne est possible, en s’appuyant sur deux piliers : la solidarité et l’efficacité.
La solidarité, c’est accepter enfin un système de répartition robuste. Aucun pays d’Europe ne pourra donner de leçons s’il ne prend sa juste part de l’effort européen.
L’efficacité, c’est mettre enfin des moyens dans notre politique migratoire commune. Nous ne consacrons qu’une portion infime de nos ressources à nos frontières. Le budget de FRONTEX est inférieur d’un tiers à celui du département de l’Allier : c’est dire si nous avons des marges de progression !
Nous aurons l’occasion d’évoquer ces sujets plus en détail à l’automne. Mes chers collègues, face aux fanatiques des murs ou aux naïfs de l’accueil à outrance, nous proposerons une solution collective, européenne et responsable, la seule qui soit politiquement viable et techniquement efficace ! (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste. – MM. André Gattolin et Pierre Ouzoulias applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Guillaume Arnell.
M. Guillaume Arnell. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui, en dehors du cadre de la procédure simplifiée, le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre la France et l’Autriche relatif à la réadmission des personnes en situation irrégulière, certains de nos collègues ayant manifesté la volonté de débattre plus largement du sort des migrants sur le continent européen.
Il faut reconnaître que, au sein de l’Union européenne, l’émergence de gouvernements très conservateurs, voire d’extrême droite, menace la cohésion européenne à bien des égards.
S’agissant de l’Autriche, l’évolution de sa situation politique intérieure interroge quelque peu, d’autant que ce pays exerce actuellement la présidence de l’Union européenne.
L’arrivée au pouvoir, à la fin de 2017, d’une coalition alliant le parti conservateur ÖVP et le parti de la liberté d’Autriche, le FPÖ, soulève bien des craintes.
On sait que le programme du Gouvernement autrichien comprend des mesures, en matière d’asile et d’immigration, qui restreignent certains droits. Je citerai la limitation de la prise en charge sociale des demandeurs d’asile, le renforcement de la politique de retour ou encore la réduction des délais de recours dans le cadre des procédures accélérées.
Ce durcissement n’est pas sans conséquence sur l’orientation que souhaite donner l’Autriche à la politique européenne. Nous l’avons bien mesuré lors du Conseil européen des ministres de l’intérieur du 12 juillet dernier, à l’occasion duquel le ministre autrichien a promu l’idée de créer des « plateformes de retour » dans les « pays tiers », destinées à accueillir les migrants qui auraient été déboutés du droit d’asile en Europe.
Ces propositions, déjà avancées par Vienne au Conseil européen du 28 juin dernier, ont été repoussées ; souhaitons que ce soit pour de bonnes raisons. Nous le savons, les pays qui pourraient être concernés par l’installation de tels centres, notamment le Maroc ou la Tunisie, n’y sont pas favorables.
Pour ma part, il me semble que c’est non pas tant la question de la localisation de ces structures hors d’Europe qui pose problème, que celle des standards juridiques qui seraient appliqués aux personnes retenues. Si certains pays européens ont pu trouver l’idée séduisante, nous devons rappeler qu’externaliser la politique d’accueil des réfugiés hors d’Europe suppose que les pays abritant des plateformes de retour appliquent les mêmes règles que nous en matière de droits et de procédures.
À ce stade, il ne me semble pas souhaitable que l’Union européenne avance dans cette voie, qui pourrait être contraire à la Convention européenne des droits de l’homme.
Les conclusions du dernier Conseil européen évoquent la mise en place de plateformes régionales de débarquement en coopération avec les pays tiers, un concept qui semble rejoindre l’idée du Gouvernement autrichien. Alors même que les flux migratoires s’affaiblissent, il ne faudrait pas que la politique migratoire subisse l’influence de solutions radicales. Les principes de dignité et de solidarité doivent demeurer intangibles en matière d’accueil et de gestion des réfugiés et des migrants.
En attendant une occasion plus appropriée pour débattre de la politique migratoire de l’Union européenne, je ferme cette parenthèse, pour en revenir au projet de loi qui nous occupe directement.
S’agissant de l’accord entre la France et l’Autriche relatif à la réadmission des personnes en situation irrégulière, le groupe du RDSE ne voit aucun obstacle à son adoption, au regard de plusieurs éléments.
Tout d’abord, notre collègue rapporteur l’a souligné, le texte a une portée très limitée, puisque l’on a constaté que, depuis 2012, entre trente et quarante personnes par an étaient concernées par des procédures d’éloignement vers l’Autriche.
Ensuite, l’accord de réadmission de 2007, révisé en 2014 par le biais d’un protocole, est avant tout destiné à actualiser un texte bien plus ancien, devenu obsolète depuis la création de l’espace Schengen. Compte tenu de la longueur de ce cheminement, on peut s’abstraire de la donne politique en Autriche, qui a bien entendu changé entre 2007 et 2018.
Par ailleurs, l’accord contient des dispositions assez classiques pour les accords bilatéraux de ce type. La France en a signé avec une quarantaine de pays, dont vingt États membres de l’Union européenne.
Sur le fond, il s’agit de traiter principalement trois cas de figure : la réadmission par une partie de ses propres ressortissants qui se trouveraient en situation irrégulière sur le territoire de l’autre partie ; une dérogation à la directive Retour avec la réadmission des ressortissants de pays tiers qui se sont déplacés du territoire de l’une des parties à celui de l’autre ; enfin, le transit via la France ou l’Autriche.
Cet accord prévoyant le même type de dispositions que n’importe quel autre accord du même ordre avec nos partenaires européens, le fond du texte ne soulève pas de difficultés particulières.
Je veux également rappeler que l’Autriche, malgré ses prises de position actuelles sur l’immigration, a consenti des efforts notables en matière d’asile au cours de ces dernières années, plus importants que ceux de notre pays, si on les rapporte au nombre d’habitants. Je donnerai un seul chiffre, fourni par Eurostat : le rapport du nombre de titres de séjour délivrés en 2016 à la population globale est de 0,57 % en Autriche, contre 0,35 % en France. Si le présent texte concerne avant tout les personnes en situation irrégulière, on peut tout de même établir un parallèle avec l’accueil réservé aux demandeurs d’asile, qui s’est révélé plus généreux chez notre partenaire.
Enfin, cet accord de réadmission s’inscrit dans le cadre juridique européen, qui pose des règles en matière d’asile et d’immigration. Si l’Autriche venait à s’abstraire de ces règles, elle pourrait faire l’objet de sanctions, à l’instar de ce qui se passe actuellement pour la Hongrie de Viktor Orbán, contre laquelle la Commission européenne a engagé une procédure d’infraction devant la Cour de justice de l’Union européenne.
Mes chers collègues, sans méconnaître les défis que doit relever l’Europe, notamment l’existence d’un bloc de pays plus durs en matière de politique migratoire, le groupe du RDSE votera ce projet de loi, dont les mesures techniques permettront de régler les cas de réadmission de personnes en situation irrégulière entre l’Autriche et la France. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et sur des travées du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à M. Robert del Picchia.
M. Robert del Picchia. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le rapporteur René Danesi a parfaitement exposé les termes de ce projet de loi, qui est de nature technique.
C’est pour pouvoir revenir sur le contexte plus global de la gestion de la crise migratoire par l’Union européenne sous présidence autrichienne que les groupes socialiste et républicain et CRCE ont demandé l’examen en séance publique de ce texte, dont la seule teneur ne le justifiait peut-être pas totalement, en tout cas aux yeux de la commission.
Comme l’a indiqué le président Christian Cambon, la commission des affaires étrangères ne refuse pas ce débat. Au contraire, celui-ci est très important pour nos concitoyens puisque, sur la question de la sécurité et du contrôle des frontières extérieures, 80 % des citoyens européens demandent à l’Europe d’en faire plus. À un an des élections européennes, cette préoccupation légitime doit être entendue.
La question des migrations est d’une actualité brûlante et dramatique, tout le monde le sait, et la traiter relève finalement d’une nécessité pour l’Europe : c’est en quelque sorte le test de la capacité de celle-ci à gérer les problèmes européens. Il y a là un enjeu en termes de crédibilité pour l’Union européenne.
La commission des affaires étrangères et celle des affaires européennes ont d’ailleurs saisi le président du Sénat en vue de la tenue d’un débat dans l’hémicycle, à la fin du mois d’octobre, sur la gestion européenne de la crise migratoire, alors que le Conseil européen aura sans doute tracé, à la mi-octobre, les premières perspectives ouvertes par le mini-sommet sur les migrations de juin dernier.
La conviction du groupe Les Républicains est qu’il faut consolider la stratégie migratoire de l’Union européenne et freiner l’afflux de migrants. Évidemment, il faut aller à la racine et traiter dans les pays sources la cause des migrations.
Mais l’Europe n’a pas non plus rien fait depuis 2015. Je rappelle que plus d’un million de migrants sont entrés en Europe par la Grèce et la route des Balkans en 2015, et que 700 000 sont arrivés en Italie par la mer depuis 2011.
Aujourd’hui, il y a dix fois moins de migrants qui se rendent en Europe qu’en 2015. Cela signifie que notre continent s’est organisé pour faire face. Des progrès ont été réalisés : renforcement des contrôles aux frontières extérieures, déploiement de 1 700 officiers du nouveau corps des gardes-frontières et des garde-côtes en soutien aux 100 000 agents nationaux des États membres, progression de l’interopérabilité des systèmes nationaux de gestion des frontières et des migrations, directive sur les armes, renforcement de la coopération avec les pays tiers, etc. Il faut aussi reconnaître que l’accord migratoire de mars 2016 avec la Turquie a produit des effets indéniables. La Commission européenne a en outre proposé une augmentation importante des effectifs du budget de FRONTEX après 2010.
Ces progrès sont substantiels, mais les difficultés sont loin d’être résolues. Plusieurs États membres ont rétabli des contrôles aux frontières intérieures de l’espace Schengen afin d’empêcher l’entrée de migrants arrivés par l’Italie ou la Grèce. C’est aussi ce qu’a fait la France, à la frontière italienne. Notre pays est en effet exposé, via les mouvements secondaires, aux flux migratoires venant de Libye et transitant par l’Italie.
Cette fermeture des frontières et les arrivées incessantes sur ses côtes ont fait peser sur l’Italie, par ailleurs confrontée au mécontentement croissant de sa population, une charge écrasante. Chacun sait comment ce mécontentement s’est exprimé dans les urnes.
En trois ans, l’exception hongroise s’est propagée à toute l’Europe centrale : Varsovie, Prague, Bratislava ont rejoint Budapest et se dirigent vers une renationalisation de la politique migratoire. Aujourd’hui, ce mouvement gagne la partie occidentale de l’Europe. L’Autriche, et maintenant l’Italie, ont basculé. Quelque 500 000 migrants sont toujours présents en Italie. Quant à l’Autriche, elle détient le record d’Europe du taux d’immigrés par habitant, des immigrés auxquels elle applique une politique d’intégration coûteuse pour les contribuables.
Mes chers collègues, chacun sait que les problèmes de fond se situent dans les pays sources. C’est donc un traitement en profondeur du problème qu’il faut mettre en place, incluant une coopération avec les pays d’origine et de transit, ainsi qu’une aide au développement plus efficace. Mme Merkel parlait même d’un plan Marshall pour l’Afrique.
Notre commission, qui a récemment travaillé sur la Libye, connaît bien la situation de ce pays devenu une voie de transit vers l’Europe pour les travailleurs migrants d’Afrique de l’Ouest et les réfugiés en provenance de la Corne de l’Afrique.
Sur la route de la Méditerranée centrale, la Libye, qui était autrefois un verrou, est devenue une véritable pompe aspirante des migrations, avec une véritable économie des passeurs à laquelle il faut s’attaquer. En Libye, mes chers collègues, l’économie de la migration représente de 20 % à 25 % du PIB. Si elle est d’abord le fait de réseaux structurés dotés de ramifications internationales, elle implique aussi directement ou indirectement une grande partie de la population libyenne. Le trafic de migrants est une importante source de revenus pour les groupes armés qui rackettent les trafiquants ou prennent le contrôle des réseaux. Il alimente aussi la corruption de fonctionnaires sous-payés – un garde-côte libyen gagnerait 140 euros par mois –, qui ferment les yeux sur les flux illicites.
Nous connaissons tous les limites de l’opération Sophia, dont la mission est de démanteler le modèle économique des passeurs, mais qui se heurte à la réalité, c’est-à-dire à l’impossibilité, pour ses bâtiments, d’entrer dans les eaux territoriales libyennes. En haute mer, ils font surtout de la surveillance et des sauvetages et, malgré eux, le jeu des passeurs. La mission Sophia a dû ramener en Italie quelque 45 000 migrants.
Il y aurait à ce jour environ 700 000 migrants en Libye. Le sort épouvantable qu’ils subissent dans les centres de détention est connu, notamment grâce aux rapports des ONG. Les centres de ce type seraient au nombre d’une soixantaine, la moitié étant sous contrôle du gouvernement d’entente nationale, les autres aux mains des milices. Je vous épargne l’énumération des graves violations des droits humains dont ces migrants sont victimes : privations, travail forcé, viols, tortures, etc. Certains sont même revendus aux réseaux de traite qui prospèrent dans le pays.
L’action menée, notamment via les garde-côtes, a entraîné une baisse spectaculaire des départs. En 2017, le nombre de traversées sur la route de la Méditerranée a diminué d’un tiers par rapport à 2016, passant de 180 000 à 119 000. Sur les cinq premiers mois de cette année, ce chiffre tend à baisser encore plus, puisque le nombre de traversées a été ramené à 13 500.
Cette stabilisation n’en reste pas moins très fragile et dépendante, à la fois, du processus politique en Libye et de la lutte contre les réseaux de passeurs, notamment les têtes de réseaux. L’adoption de sanctions individuelles par le Conseil de sécurité des Nations unies contre des trafiquants de haut niveau est une première avancée. Les mandats d’arrêt émis en mars dernier par la justice libyenne contre 200 trafiquants de migrants, libyens et étrangers, vont aussi dans le bon sens. Mais il faut faire plus, notamment en s’attaquant aux flux financiers considérables qui émanent de ce trafic et qui transitent par l’étranger. La solution de long terme est naturellement de tarir le flux migratoire en amont.
Je terminerai en rappelant que la France contribue largement à la stabilisation de la région sahélienne en conduisant et en finançant, seule, l’opération Barkhane, avec 4 500 soldats déployés dans cinq pays – le Mali, le Niger, le Tchad, le Burkina Faso, la Mauritanie –, et en agissant pour la sécurité, et donc le développement. Il faut, je le crois, rendre hommage à ces soldats.
Selon les projections de l’ONU, l’Afrique comptera 2,4 milliards d’habitants en 2050, contre 1,3 milliard aujourd’hui. Si elle ne met pas en place un plan d’aide au développement de grande ampleur pour retenir les migrants, l’Europe risque de ne pas pouvoir surmonter la crise.
La question migratoire pourrait déterminer, mes chers collègues, l’avenir de l’Europe, dont elle remet en cause le modèle politique, économique et social. Pour Angela Merkel, cette crise est un test définitif pour l’avenir de l’Europe. Elle rejoint sur ce point le président du groupe Les Républicains, Bruno Retailleau, qui déclarait à la fin juin que, « sur la crise des migrants, l’Europe joue son destin ».
Mes chers collègues, nous sommes bien loin de la convention technique avec l’Autriche qui nous est soumise et que nous approuverons par notre vote, mais ces questions migratoires sont essentielles pour nos concitoyens. Le groupe Les Républicains participera très activement aux débats qui y seront consacrés. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État. Je tiens à remercier M. le rapporteur et les orateurs qui se sont succédé à la tribune – MM. Gattolin, Gay, Cadic, Vaugrenard, Malhuret, Arnell et del Picchia – de leur contribution au débat.
La réponse à apporter doit naturellement être définie à l’échelle européenne, comme l’ont rappelé MM. Cadic et Malhuret. Pour ce qui est de la méthode, il convient de faire preuve de pragmatisme et de s’appuyer sur deux piliers : la solidarité et l’efficacité.
En matière de solidarité, vous le savez, des propositions sont mises sur la table par la Commission européenne pour aider, accompagner un certain nombre de collectivités qui s’engagent dans l’accueil de migrants. On l’a vu, c’est peut-être l’insuffisante solidarité à l’intérieur de l’Europe qui a conduit à certaines réactions nationales.
En ce qui concerne la relation avec l’Autriche, on constate souvent que le fait d’assumer la présidence de l’Union européenne conduit les États à mettre un peu sous le boisseau leurs propres priorités et objectifs. En effet, exercer la présidence consiste à mener les travaux de telle sorte qu’un consensus puisse se dégager. Je pense que la présidence autrichienne n’y dérogera pas ; nous verrons ce qu’il en sera à la fin du semestre, mais c’est en tout cas ce qui semble ressortir de ses premiers pas.
En tout état de cause, sachez que la vigilance est extrême au niveau européen. La main n’a pas tremblé lorsqu’il a fallu évoquer l’article 7 de la Convention européenne des droits de l’homme à l’égard de la Pologne et de la Hongrie. Le 19 juillet dernier, la Commission a même saisi la Cour de justice de l’Union européenne afin qu’elle examine la législation hongroise en matière d’asile.
Les racines de l’Europe sont fondamentalement liées à l’État de droit. C’est l’application de cet appareil juridique qui permet de préserver nos valeurs, notamment l’humanisme européen.
Vous avez évoqué, monsieur Vaugrenard, une jurisprudence des années 2000 sur l’attitude à adopter à l’égard des ministres issus de partis d’extrême droite, mais le refus de les recevoir a-t-il véritablement produit des effets et permis d’endiguer la montée du populisme ? La réponse est plutôt de combattre pied à pied, en argumentant et en affirmant haut et fort dans toutes les enceintes les valeurs auxquelles nous sommes attachés. À cet égard, les actes posés par la Commission européenne il y a quelques jours montrent que nous entendons ne rien renier de cet héritage, qui doit fonder nos politiques à l’avenir.
Pour en revenir au texte qui nous occupe, je note qu’il y a un large consensus – j’ai néanmoins entendu les critiques de M. Gay – pour approuver cet accord relativement technique.
Je remercie la Haute Assemblée d’avoir permis ce débat. Nous aurons l’occasion dans les prochains mois, en commission et dans l’hémicycle, de revenir sur la politique migratoire dans le cadre européen. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – M. le rapporteur applaudit également.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le gouvernement de la république française et le gouvernement fédéral autrichien relatif à la réadmission des personnes en situation irrégulière
Article unique
Est autorisée l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement fédéral autrichien relatif à la réadmission des personnes en situation irrégulière, signé à Luxembourg le 20 avril 2007 (ensemble deux protocoles, signés à Luxembourg le 20 avril 2007 et à Vienne le 30 octobre 2014), et dont le texte est annexé à la présente loi.
M. le président. Je vais mettre aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi.
Le vote sur l’article unique vaudra vote sur l’ensemble du projet de loi.
La parole à M. Yannick Vaugrenard, pour explication de vote.
M. Yannick Vaugrenard. Je ne suis pas satisfait par une partie de votre réponse, monsieur le secrétaire d’État.
En 2000, les ministres français avaient refusé de recevoir des ministres d’extrême droite autrichiens.
M. Fabien Gay. Eh oui !
M. Yannick Vaugrenard. Vous nous dites aujourd’hui qu’il vaut mieux rompre avec cette jurisprudence, sous prétexte de permettre à l’Union européenne d’avancer.
M. Yannick Vaugrenard. Quand bien même, monsieur le secrétaire d’État ! Je sais bien que l’histoire ne se répète pas, mais il arrive qu’elle bégaie… J’y insiste, l’actuelle montée du national-populisme en Europe rappelle les pires moments de notre histoire. Je pense qu’une extrême vigilance s’impose. Je comprends l’argument du pragmatisme diplomatique, mais il y a également des gestes symboliques très importants au regard tant de l’histoire que de l’avenir de l’Union européenne.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement fédéral autrichien relatifs à la réadmission des personnes en situation irrégulière.
(Le projet de loi est adopté définitivement.)
3
Encadrement de l’utilisation du téléphone portable dans les écoles et les collèges
Adoption des conclusions d’une commission mixte paritaire
M. le président. L’ordre du jour appelle l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative à l’encadrement de l’utilisation du téléphone portable dans les établissements d’enseignement scolaire (texte de la commission n° 681, rapport n° 680).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Stéphane Piednoir, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je serai bref, car je pense que tout a déjà été dit, tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat, sur les dispositions de cette proposition de loi au fort impact médiatique – comme souvent lorsqu’il s’agit de traiter des conditions de vie de nos chères têtes blondes au cours de leur scolarité !
Le texte que nous examinons ce matin ressemble fortement à celui que notre assemblée a adopté la semaine dernière, et pour cause : la commission mixte paritaire qui s’est déroulée le 18 juillet dernier a abouti à un accord qui, je m’en félicite, conserve l’essentiel des apports du Sénat.
Ces apports obéissaient à trois principes : la cohérence, la confiance et la simplification.
La cohérence, par l’extension du champ de la proposition de loi aux lycées, dans le cadre d’un régime spécifique, adapté à leur situation. Si cette disposition n’avait pas été retenue, dans un premier temps, par nos collègues députés, il est apparu judicieux de ne pas oublier le lycée dans la réflexion sur l’usage des appareils connectés. Les établissements auront tout loisir de retenir, ou pas, cette interdiction lors de l’élaboration de leur règlement intérieur, et cela permettra, j’en suis convaincu, une prise de conscience et une implication de l’ensemble de la communauté éducative.
Les apports du Sénat manifestaient sa confiance envers les acteurs de terrain, en laissant les établissements libres de fixer les règles les plus appropriées à leur situation particulière, sans les enserrer dans une réglementation bavarde et inutilement précise. La nouvelle rédaction des dispositions relatives à la confiscation et à la restitution des appareils va dans ce sens. Ces acquis ont été entièrement conservés, et je m’en réjouis.
D’autres modifications apportées par le Sénat relevaient de la simplification, notamment la suppression des dispositions ne ressortissant pas au domaine de la loi ou non normatives, ainsi que celle de précisions inutiles.
Dans le cadre du compromis trouvé avec nos collègues députés, certaines dispositions ont été rétablies : à l’article 1er, la référence aux usages pédagogiques, même si nous avons obtenu qu’ils ne constituent pas une exception automatique, mais qu’ils fassent partie des circonstances permettant une autorisation par le règlement intérieur ; l’article 2, qui enrichit encore l’article L. 121-1 du code de l’éducation ; à l’article 3, la référence à la « citoyenneté numérique » parmi les objectifs de la formation à l’utilisation des outils numériques. Je demeure assez sceptique quant à l’introduction de cette notion dans la loi, mais le code de l’éducation devrait néanmoins y survivre ! Surtout, l’introduction de cet objectif préfigure un texte plus global sur l’usage du numérique, texte cher à notre présidente de commission, Catherine Morin-Desailly, et qui pourrait être examiné lors de notre prochaine session.
On peut, comme toujours, regretter d’avoir dû consentir des concessions par rapport au travail qui a été effectué par la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, et validé par notre assemblée. Je considère toutefois qu’elles sont d’une portée limitée au regard du maintien des principaux apports du Sénat.
Par ce compromis, nous, sénateurs, avons fait le choix de la responsabilité, dans l’intérêt des professionnels, des élèves et de leurs parents. Ce texte modeste ne règle ni la question de la place du numérique dans l’éducation ni celle des dangers de l’invasion des objets connectés dans les établissements scolaires – ce n’était d’ailleurs pas son ambition. Il constituera cependant, je l’espère, un signal positif sur la nécessité de construire un rapport équilibré aux écrans.
C’est pourquoi je vous invite, mes chers collègues, à adopter les conclusions de la commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale. Monsieur le président, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je me réjouis d’être amené à revenir devant la Haute Assemblée ce matin, à la suite de l’accord trouvé sur cette proposition de loi en commission mixte paritaire la semaine dernière.
Cet accord, M. le rapporteur l’a dit, aboutit à un texte équilibré entre les propositions de l’Assemblée nationale et celles du Sénat. Il est aussi équilibré en ce qu’il pose l’interdiction comme principe, mais renvoie les modalités pratiques de son application aux acteurs locaux, selon une logique que nous avions souhaité suivre dès le départ et qui s’est accentuée.
L’interdiction de l’utilisation du téléphone portable sera effective dès la rentrée scolaire 2018 dans toutes les écoles et dans tous les collèges.
Cette interdiction répond, à la fois, à des enjeux éducatifs et à des enjeux de vie scolaire. C’est une mesure très importante à mes yeux, car elle marque un changement dans la réalité du quotidien des collèges, puisque l’interdiction n’était pas observée dans tous les établissements.
Durant les activités d’enseignement, l’interdiction de l’usage des téléphones portables permettra de garantir aux élèves un environnement favorisant l’attention, la concentration et la réflexion indispensables à l’activité, à la compréhension et à la mémorisation.
Durant les temps de récréation, l’usage du téléphone portable peut s’avérer néfaste, en réduisant l’activité physique et en limitant les interactions sociales entre les élèves. Il peut empêcher la construction d’une sociabilisation harmonieuse, essentielle au développement des enfants.
Les chefs d’établissement ne cessent de le dire : une cour sans téléphones portables, c’est une cour bruyante où les enfants jouent, discutent, vivent leur vie d’enfant.
L’usage des téléphones portables est à l’origine d’une part importante des incivilités et des perturbations dans les établissements : casse, racket, vols. Ils servent aussi souvent de support au cyberharcèlement, qui exporte la violence hors des établissements.
Nous n’avons évidemment jamais dit que ce texte permettrait de résoudre tous les problèmes, mais il contribuera à les atténuer. Comme l’a dit M. le rapporteur, il permet d’envoyer un signal à la société française.
Le téléphone portable peut faciliter l’accès aux images violentes ou choquantes. L’interdiction de son usage constitue donc un des outils pour limiter l’exposition des plus jeunes à ces images.
L’interdiction de l’utilisation du téléphone portable devient donc le principe, et la mise en œuvre pratique va s’ensuivre.
Sur cette question, comme sur d’autres, nous faisons confiance aux acteurs – directeurs d’école, enseignants, conseillers d’éducation, principaux – pour préciser, dans le cadre rigoureux qui a été fixé, les modalités d’application de l’interdiction. Chaque établissement, en fonction notamment de la configuration de ses locaux et de son organisation propre, définira celles-ci au plus près de ses spécificités, mais l’interdiction aura cours partout.
Le ministère publiera à la fin du mois d’août un vade-mecum qui a été élaboré par mes services pour accompagner les établissements dans la mise en œuvre concrète de l’interdiction. Ce document présentera également les bonnes pratiques en la matière.
Pour conclure, je souhaite remercier chaleureusement M. le rapporteur, Stéphane Piednoir, et l’ensemble des sénateurs pour la qualité des débats, qui ont trouvé une traduction dans le texte précis et concis que nous examinons aujourd’hui. C’est un texte équilibré et, puisque nous avons fait assaut de citations latines lors du précédent débat, j’en livrerai une nouvelle : in medio stat virtus. Virtus peut avoir plusieurs sens en latin ; il peut notamment signifier « courage ». Le courage, c’est parfois l’équilibre. C’est ce que vous avez montré au travers de l’élaboration toujours plus fine des dispositions de cette proposition de loi dont nous ne devons pas minimiser la portée, même si elle a, bien entendu, des limites, que nous avions soulignées dès le début. Outre qu’il permettra une application désormais uniforme de l’interdiction de l’usage du portable, ce texte délivre un message : nous devons nous interroger sur l’usage des écrans et des téléphones portables si nous voulons que la société du XXIe siècle soit une société plus humaine. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias.
M. Pierre Ouzoulias. In medio stat virtus…Merci, monsieur le ministre, de cette citation latine, qui pourrait être l’adage du Sénat.
Je citerai pour ma part un historien dont je partage souvent les idées, à savoir mon collègue Max Brisson, qui s’interrogeait, lors de la commission mixte paritaire, « sur le temps consacré par le Parlement à ce sujet qui relève du niveau réglementaire ».
Je prie mon collègue Max Brisson de m’excuser pour cette facétie de fin de session extraordinaire ! Plus sérieusement, je n’ai toujours pas compris, monsieur le ministre, à la lecture des débats qui se sont tenus à l’Assemblée nationale, au Sénat et au sein de la commission mixte paritaire, pourquoi il était nécessaire de garantir une base juridique plus sûre à une disposition du code de l’éducation qui n’a suscité aucun contentieux et dont il ne nous a pas été montré concrètement en quoi elle était d’application difficile.
Je reste persuadé que les équipes pédagogiques ont aujourd’hui tous les outils dont elles ont besoin pour restreindre comme elles le souhaitent, ou presque, l’usage des téléphones portables. La vraie question reste donc de savoir pourquoi, dans la moitié des établissements, pour reprendre votre estimation, monsieur le ministre, elles seraient dans l’incapacité d’imposer cette restriction.
Il serait plus utile de les aider à faire prévaloir leur volonté de limitation, plutôt que d’ajouter un nouveau texte qui va faire l’objet de gloses dans les services juridiques du ministère, les rectorats et les conseils d’administration des établissements à la rentrée. Je suis toujours surpris de notre capacité d’imposer aux autres de nouvelles normes juridiques alors que nous refusons avec grande véhémence celles dont nous accable l’État !
Enfin, je m’interroge comme vous, monsieur le rapporteur, sur la notion de « citoyenneté numérique » introduite dans notre droit par ce texte. Aucune définition n’en est donnée dans la proposition de loi, les rapports ou les débats. J’ai repris la littérature sur le sujet et me suis aperçu que cette notion s’est imposée à la fin des années quatre-vingt-dix, essentiellement dans la littérature anglo-saxonne, avec des acceptions extrêmement variées.
Le cybercitoyen pourrait être un individu que sa grande facilité à utiliser les outils numériques placerait de facto à un niveau élevé de compréhension des processus sociaux et politiques. Cette aisance technique lui donnerait une capacité supérieure à affirmer ses intérêts propres au sein d’une société conçue comme une forme de conciliation de toutes les opportunités individuelles.
D’aucuns, comme Pierre Rosanvallon en France, envisagent très différemment le monde numérique, qu’ils considèrent comme « un espace généralisé de veille et d’évaluation du monde ». Le citoyen numérique est alors un « citoyen vigilant » qui utilise les informations qu’il se procure directement pour forger les outils et les moyens d’action d’une « contre-démocratie » dont l’objectif est de contester les formes de la domination.
D’autres, enfin, conçoivent les outils numériques comme un moyen de promouvoir des réseaux décentralisés de délibération et de décision, afin d’élaborer une nouvelle démocratie en dehors des cadres institutionnels classiques.
Je ne doute pas que la majorité qui a soutenu ce texte à l’Assemblée nationale défende ces conceptions émancipatrices et quasiment libertaires des usages du numérique. Néanmoins, je suis très curieux de savoir, monsieur le ministre, quelles instructions et recommandations votre administration adressera aux équipes pédagogiques pour les éclairer sur les contenus de ces nouveaux apprentissages de la « citoyenneté numérique ».
Plus sérieusement, je crois qu’il était possible de faire montre de plus d’humilité et de ne pas céder à la facilité en utilisant ce type de concept fumeux dans un texte législatif. En revanche – nous sommes tous d’accord sur ce point –, il nous faut rapidement engager une réflexion collective et plus sérieuse sur les relations entre le numérique, l’éducation et le métier d’enseignant. (Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – Mme Sonia de la Provôté applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Michel Laugier.
M. Michel Laugier. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, comme cela vient d’être rappelé, la commission mixte paritaire n’a pas fondamentalement changé le texte issu des travaux du Sénat. Je ne m’étendrai donc pas longuement sur ces modifications qui nous conviennent. La commission mixte paritaire a conservé le principal apport de la Haute Assemblée, à savoir l’extension aux lycées de l’interdiction des portables et appareils de communication électronique. Elle a juste précisé que les usages pédagogiques pourraient justifier leur autorisation ponctuelle au lycée, tout en rétablissant l’article 2, relatif à l’éducation au numérique, et la notion de « citoyenneté numérique », à l’article 3.
À défaut d’être très utiles, ces précisions ont au moins le mérite de nous ramener au vrai sujet : celui de la place du numérique dans l’éducation. Alors, parlons-en !
En première lecture, monsieur le ministre, vous avez relevé ce qui vous semblait être un paradoxe : tous les orateurs se sont étonnés que le législateur ait à se prononcer sur un sujet aussi anecdotique que l’interdiction du téléphone portable à l’école et tous ont, dans le même temps, insisté pour dire qu’il s’agissait là d’une question fondamentale. Vous avez raison, cela semble tout à fait paradoxal. Je vais pourtant essayer de vous convaincre que le paradoxe n’était qu’apparent.
Il n’y a en réalité rien de paradoxal. Il est tout à fait normal que l’on s’interroge sur le rôle du législateur. L’interdiction du téléphone portable devrait exclusivement relever du règlement intérieur de l’établissement. Mais nous sommes obligés de légiférer parce que l’interdiction du téléphone portable figurait déjà dans le code de l’éducation.
Le problème n’est donc pas qu’avec ce texte nous transformions le code de l’éducation en règlement intérieur de l’établissement, mais que nous constations, à l’occasion de son examen, qu’il l’était déjà. Cela devrait nous inciter à engager une réflexion plus large sur le rôle du législateur en matière d’éducation.
Nombre de mes collègues ont observé que nous débattions longuement de l’interdiction du téléphone portable, alors que nous n’avons pas, jusqu’à présent, été saisis de la réforme du baccalauréat.
Ils sont nombreux aussi à avoir observé, monsieur le ministre, que vous n’étiez pas responsable de la répartition des compétences entre le pouvoir législatif et le pouvoir réglementaire. Ce serait la Constitution. Mais en est-on bien sûr ? En vertu de l’article 34 de la Constitution, « la loi détermine les principes fondamentaux de l’enseignement ». Est-il fondamental d’interdire l’usage téléphone portable à l’école ? Est-il secondaire de réformer le baccalauréat ? Le Conseil constitutionnel ne devrait-il pas censurer le présent texte pour incompétence du législateur ? Censurerait-il une loi portant réforme du baccalauréat ? Il semblerait que nous soyons collectivement responsables d’une mauvaise interprétation de l’article 34 de la Constitution en matière d’enseignement.
Au fil du temps, nous avons intégré dans le code de l’éducation des dispositions qui auraient dû rester d’ordre réglementaire et abandonné au seul exécutif les réformes les plus fondamentales. Monsieur le ministre, ne pourrait-on pas remettre tout cela à plat sans modifier la Constitution ? Dans la négative, pourquoi ne pas profiter de l’actuelle révision constitutionnelle pour le faire ?
J’en viens maintenant à l’autre branche de l’apparent paradoxe sénatorial : l’importance du sujet.
Ce qui nous semble important, ce n’est pas l’interdiction du téléphone portable en soi, encore moins l’inscription dans la loi du principe de sa confiscation et des modalités de sa restitution. Ce qui est fondamental, ce sont tous les sujets sous-jacents à la question du téléphone portable. Il y en a au moins trois.
Le premier est celui de l’autorité. Si le téléphone portable peut à ce point perturber les enseignements, c’est parce que la relation entre l’enseignant et les élèves n’est plus fondée sur l’attention et le respect. Comment rétablir l’autorité de l’État incarnée par le professeur ? Voilà une question fondamentale.
Le deuxième problème posé par l’arrivée d’internet, des réseaux sociaux et de tous les appareils qui y donnent accès est celui de la déstructuration des esprits. Cette révolution technologique consacre la culture de la déconcentration et du zapping. Peut-on continuer à penser dans ces conditions ? Ne sommes-nous pas en train de nous abrutir collectivement, en commençant par abrutir nos enfants ?
Enfin, la troisième question fondamentale posée par ce texte, qui découle des deux précédentes, est naturellement celle de la place du numérique dans l’enseignement.
Cette question fait penser à l’« insociable sociabilité » kantienne. Il nous faut concilier l’inconciliable. L’école est un lieu de distanciation, de recul par rapport au monde, mais elle ne peut pas non plus en être coupée ; elle doit évoluer avec lui. L’école ne peut donc tourner le dos au numérique, mais elle ne peut pas non plus lui ouvrir grandes ses portes.
Monsieur le ministre, vous vouliez du paradoxe, en voilà un véritable, qu’il nous faut aujourd’hui résoudre. Le récent rapport de la présidente de la commission, Catherine Morin-Desailly, intitulé Prendre en main notre destin numérique : l’urgence de la formation, peut nous y aider… (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Lozach.
M. Jean-Jacques Lozach. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la réunion de la commission mixte paritaire du 18 juillet dernier a permis à l’Assemblée nationale et au Sénat d’aboutir à un texte commun sur cette proposition de loi.
Je me réjouis de pouvoir constater de nouveau la capacité de dialogue et de compromis de nos deux chambres, et je me félicite du succès de nos travaux sur ce texte.
Cela dit, pour ce qui nous concerne, nous maintenons notre appréciation mitigée sur l’intérêt de cette initiative législative. Nous restons convaincus qu’il s’agit au mieux d’un texte inutile et au pire d’un texte gênant, et que des dispositions réglementaires suffisaient.
Nous pensons que la souplesse offerte par le cadre juridique actuel devait être préservée. Il n’y a rien à l’heure actuelle qui empêche la régulation intelligente de l’usage des appareils électroniques à l’école ou au collège.
Nous sommes tous conscients des dangers des pratiques addictives et des comportements nuisibles que peut entraîner l’usage de ces téléphones multifonctions et de la palette des dispositifs électroniques voisins.
Si le Gouvernement estime qu’il est nécessaire de généraliser de bonnes pratiques en vigueur dans de nombreux établissements, il n’a pas besoin, pour cela, d’en passer par la loi. Au contraire, quid des nouvelles rédactions des règlements intérieurs au moment où ce nouveau dispositif produira son plein effet ?
Le désir du Gouvernement de réduire l’hétérogénéité des pratiques sera-t-il satisfait ? Rien n’est moins sûr, car les équilibres locaux actuels seront remis en question et il sera nécessaire de revoir la rédaction des règlements intérieurs. De nouveau, il se pourrait que certains établissements mettent en pratique ce texte avec une grande finesse et de manière optimale, alors, que dans d’autres situations, le pragmatisme et le passage au concret poseraient d’autres difficultés.
Ainsi, le renversement proposé provoquerait un retour à la situation présente, où la nécessité est la diffusion des bonnes pratiques, dans le respect des situations locales et de la différenciation. La démonstration du caractère superfétatoire de ce texte serait alors faite.
Dans le cas contraire, l’homogénéité des pratiques pourra provoquer de nouvelles difficultés, que la souplesse du cadre actuel permet d’écarter.
Quel que soit le résultat de l’application de cette nouvelle législation, l’opération de communication du Gouvernement sur ce sujet soit ne réglera rien, soit déréglera tout.
Les quelques précisions apportées par la proposition de loi, comme l’extension de la possibilité d’interdiction aux équipements terminaux de communication électronique, ne semblent pas justifier l’examen en urgence de ce texte à ce moment de notre calendrier parlementaire. Il eût été plus judicieux de prendre le temps d’une large concertation, d’un dialogue en profondeur, sur la thématique bien plus large de l’école et du numérique. Dans ce cadre, et en prenant en compte les travaux menés sur le sujet par les deux chambres du Parlement, il aurait été possible de bâtir réellement un nouvel encadrement juridique. À défaut, nous voici contraints de pratiquer un bricolage législatif dont l’intérêt n’est pas démontré.
Nous pouvons également regretter le rétablissement de certaines dispositions qui avaient été supprimées à juste titre par le Sénat en commission.
Je le répète, nous sommes tout à fait favorables à l’interdiction des appareils de communication électronique dans le cadre des activités scolaires, mais elle est déjà en vigueur. Il semble parfois que, dans la défense de l’intérêt de cette proposition de loi, on en vienne à oublier l’existence de la loi du 12 juillet 2010 et le fait que, dans l’immense majorité des cas, elle s’applique sans difficulté.
Toutefois, dans l’espoir d’une évolution de ce nouveau dispositif législatif, en particulier dans le cadre de l’examen d’un futur projet de loi sur l’école et le numérique, que nous appelons de nos vœux, nous avons choisi de nous abstenir sur ce texte.
M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing.
M. Daniel Chasseing. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, les travaux de la commission mixte paritaire ont permis d’aboutir à une position commune, malgré les réserves exprimées dans les deux assemblées quant à la pertinence de légiférer sur un texte dont les dispositions pourraient relever du domaine réglementaire. Je félicite Mme la présidente de la commission et M. le rapporteur pour ce résultat.
La proposition de loi relative à l’encadrement de l’utilisation du téléphone portable dans les établissements d’enseignement scolaire a le mérite d’inscrire dans le marbre le principe d’une interdiction jusqu’alors laissée à la discrétion du chef d’établissement.
Le Sénat avait souhaité étendre cette interdiction à l’ensemble des établissements scolaires du primaire et du secondaire, les lycées n’étant pas concernés par le texte initial. La Haute Assemblée a également souhaité confier aux chefs d’établissement la liberté de fixer, dans le règlement intérieur, les conditions de confiscation et de restitution des appareils. Ma collègue Colette Mélot avait défendu un amendement allant dans ce sens en commission. Il me semble que cela répond à une volonté de simplification et d’efficacité du dispositif que nous partageons tous.
Comme vous l’avez indiqué, monsieur le ministre, la commission mixte paritaire a abouti à un texte d’équilibre entre les volontés des deux assemblées. Nous sommes revenus à l’inscription dans la loi du principe d’autorisation de l’usage pédagogique des téléphones.
En effet, le numérique offre des potentialités considérables en matière d’éducation. Par ailleurs, nous savons que l’État et les collectivités territoriales ont cofinancé ces dernières années la mise à disposition des élèves de plus de 200 000 tablettes numériques. Sans entrer dans le débat sur la pertinence du plan numérique pour l’éducation, il serait absurde de contredire ces efforts d’équipement en interdisant à présent l’usage des outils financés par les deniers publics.
Autre corollaire, la place donnée dans le texte à l’éducation à la citoyenneté numérique à l’école revêt une importance particulière. Il s’agira de permettre à chacun de développer l’autonomie et le discernement nécessaires à la participation à la société numérique, en plein essor.
Nous avons la conviction que cette proposition de loi contribuera à préserver l’équilibre des élèves et la qualité de l’apprentissage.
En sortant les téléphones du milieu scolaire, nous libérons les espaces de temps et d’attention nécessaires pour que chaque élève retrouve le goût de la lecture, des interactions sociales réelles et des jeux grandeur nature. Le téléphone, les réseaux sociaux et les jeux en ligne peuvent facilement happer la vie de nos jeunes concitoyens et les exposer à des contenus inadaptés à leur âge, comme des images violentes. Il appartient à l’État et aux parlementaires non pas d’instaurer de nouvelles normes, mais de les protéger et de veiller à ce que le milieu scolaire demeure un espace d’apprentissage, de sociabilité et d’éducation citoyenne.
« L’éducation ne se borne pas à l’enfance, l’enseignement ne se limite pas à l’école », disait Paul Valéry. Ce sujet appelle une concertation plus vaste, touchant l’ensemble de la société. Nous attendons avec impatience le débat sur l’éducation à la citoyenneté numérique annoncé par le Gouvernement pour le début de 2019.
Le groupe Les Indépendants – République et Territoires votera les conclusions de la commission mixte paritaire sur cette proposition de loi.
M. le président. La parole est à Mme Mireille Jouve.
Mme Mireille Jouve. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, lors de l’examen par la Haute Assemblée de la proposition de loi relative à l’encadrement de l’utilisation du téléphone portable dans les écoles et les collèges, le groupe du RDSE a tenu à apporter son soutien à M. le rapporteur. En effet, si nous demeurons attachés à préserver la libre administration de la communauté éducative par elle-même, nous avons également acquis la conviction qu’il existe une attente réelle, de la part de celle-ci, de voir le dispositif juridique existant sécurisé.
En nous associant aux travaux de la commission de la culture du Sénat, nous n’avions pas le sentiment de déresponsabiliser les parents ou leurs enfants en prenant l’initiative de poser un interdit d’ordre général sur l’usage de la téléphonie portable au sein des écoles et des collèges.
Nous étions soucieux de rappeler que l’école et les collèges sont des sanctuaires et qu’ils demeurent, avant toute chose, des lieux d’échange et de partage, où la parole de l’adulte continue de porter.
Vecteur de troubles et d’isolement depuis son apparition dans les établissements scolaires, le téléphone portable représente, à ce titre, indéniablement un obstacle.
Nous nous félicitons donc aujourd’hui que sénateurs et députés soient parvenus à établir une rédaction commune et que, pour l’essentiel, les modifications apportées par la chambre haute aient été intégrées au texte.
Cette coproduction législative permet, en dépit des critiques légitimes émises sur le véhicule retenu et l’utilisation qui est faite du temps parlementaire dans cette quinzième législature, d’apporter des évolutions souhaitées et souhaitables s’agissant d’un enjeu de santé publique majeur.
Le groupe du RDSE réitère son appel au Gouvernement à ne pas s’en tenir là et à s’emparer plus largement du sujet de l’éducation au numérique et de notre rapport aux écrans.
Pour sa part, la commission de la culture du Sénat poursuit, par l’intermédiaire de nouveaux travaux de sa présidente, sa réflexion sur la place à venir de l’homme dans un écosystème numérique.
Vous l’aurez compris, le groupe du RDSE votera ce texte à l’unanimité. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – M. Daniel Chasseing applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Martin Lévrier.
M. Martin Lévrier. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, il aura fallu vingt ans pour admettre que l’usage du téléphone portable dans les établissements scolaires est préjudiciable à la pédagogie !
Les élèves ne peuvent s’empêcher de consulter leur mobile en cours, ce qui diminue leur capacité de concentration. Au moment des intercours, des récréations, des pauses déjeuner, les interactions humaines des jeunes perdent en qualité, l’usage du téléphone portable les rendant captifs de leurs écrans.
Par ailleurs, si le harcèlement scolaire n’a pas attendu l’arrivée des mobiles et d’internet pour exister, les téléphones portables ont amplifié le phénomène. Un jeune sur cinq a subi ou subira des menaces ou des messages haineux par ce biais.
Enfin, les appareils connectés exacerbent les différences sociales, ce qui pousse les parents à acheter des produits de marque, de peur que leurs enfants ne deviennent la risée de leurs camarades dans la cour de récréation.
L’encadrement de l’usage du téléphone portable à l’école était une promesse de campagne d’Emmanuel Macron, s’inscrivant dans une volonté de garantir un « droit à la déconnexion pour les enfants ».
Jusqu’à présent, l’utilisation du mobile était encadrée par une autorisation de principe, restreinte par les règlements intérieurs des établissements scolaires. Cette proposition de loi vient renverser la norme. Désormais, une interdiction de principe est édictée par la loi. L’utilisation du smartphone est prohibée pendant les cours, dans la cour de récréation ou durant les permanences.
À compter de la rentrée de 2018, les chefs d’établissement pourront s’appuyer sur un cadre juridique ferme pour appliquer dans l’enceinte scolaire l’interdiction généralisée du téléphone portable. Ils pourront ainsi lutter efficacement contre les dysfonctionnements engendrés par l’omniprésence des outils numériques. C’est une avancée majeure, alors que de nombreux enseignants n’osaient parfois pas aller au bout de leur démarche à cause de l’insécurité juridique qui entourait cette réponse disciplinaire.
Mais, pour obtenir de véritables résultats à long terme, l’encadrement de l’usage des téléphones portables et autres terminaux est indissociable d’un volet pédagogique.
Dans un premier temps, il est essentiel d’accompagner et de former les élèves à l’utilisation responsable d’internet et des outils technologiques. Le discernement est un apprentissage. Il est de notre devoir d’aider les enfants, préadolescents et adolescents à développer leur capacité à juger clairement et sainement des choses. Ils doivent apprendre à contrôler leur temps de connexion, à filtrer les sites malveillants, à l’instar des sites de jeux d’argent ou pour adultes, à dissocier l’information de qualité des fake news.
Dans un deuxième temps, les enseignants ne doivent être ni technophiles ni technophobes, mais « technoréfléchis ». Il est indispensable que l’enseignant prenne la main et puisse utiliser à bon escient ces outils au potentiel cognitif non négligeable.
Cette dimension éducative, nous avions essayé de l’introduire dans le texte dès la première lecture au Sénat, mais notre amendement tendant à autoriser l’usage d’outils technologiques à des fins pédagogiques avait hélas été rejeté en séance. Son dispositif a fort heureusement été rétabli, à l’article 1er, par la commission mixte paritaire.
Nous devons nous féliciter des travaux constructifs qui ont été réalisés par nos deux chambres, notamment par les rapporteurs, et de l’accord positif qui a été trouvé en commission mixte paritaire. Il permet d’aboutir à un texte équilibré répondant aux objectifs que nous nous étions fixés.
Je salue notamment le travail du rapporteur de la commission des lois, M. Piednoir, qui a permis de modifier le cadre de la confiscation. Sa contribution permet aux établissements de garder une certaine latitude dans l’application, puisque le règlement intérieur pourra prévoir, le cas échéant, des exceptions.
La commission mixte paritaire aura également permis de rétablir l’article 2, qui introduit une dimension numérique dans la définition de l’éducation à la responsabilité civique, l’article 3, qui inscrit dans la loi l’éducation aux droits et devoirs liés à l’usage d’internet et des réseaux sociaux dans les écoles et les établissements d’enseignement, et l’article 4, qui soutient la mise en place d’expérimentations en matière d’utilisation des ressources numériques.
Ce sont autant de signaux forts en faveur de l’inclusion du numérique dans l’éducation. Bien évidemment, il ne s’agit que de premiers jalons sur cette voie, mais ces différentes dispositions encourageront les élèves à appréhender les outils de communication avec lucidité, esprit critique et civilité.
À travers cette proposition de loi, nous donnons à l’enseignement les moyens juridiques et pédagogiques qui lui manquaient. Le texte marque également l’importance que revêt l’école dans notre société. C’est pourquoi le groupe La République En Marche se félicite de l’accord trouvé en commission mixte paritaire et votera la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Grosperrin.
M. Jacques Grosperrin. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, permettez-moi de saluer Jean-Claude Carle, qui, pendant vingt ans, a travaillé au Sénat sur les questions d’éducation et de formation et qui participe aujourd’hui à sa dernière séance. (Applaudissements.)
J’ai eu l’honneur de coprésider la commission mixte paritaire qui s’est réunie la semaine dernière à l’Assemblée nationale. À ce titre, je me réjouis particulièrement que nous soyons parvenus à un accord. Le texte a été enrichi par les travaux du Sénat, la CMP ayant retenu leurs principaux apports, notamment l’extension du champ du dispositif aux lycées. Les députés Patrick Hetzel et Frédéric Reiss ont salué cet accord et se sont abstenus, par bienveillance, alors qu’ils avaient voté contre lors de la première lecture.
Néanmoins, je ne saurais commencer mon intervention sans m’interroger sur le déroulement de cette session extraordinaire. Au risque d’être redondant – c’est souvent le sort des derniers orateurs –, je me demande s’il était indispensable d’inscrire ce texte à l’ordre du jour de cette période, traditionnellement consacrée à des textes majeurs, au regard du calendrier, particulièrement encombré, sans même parler de l’actualité, qui a bouleversé un peu plus encore l’organisation de nos travaux. Mon groupe s’interroge sur l’urgence qu’il y avait à traiter prioritairement du sujet de l’interdiction du téléphone portable dans les écoles et les collèges, sachant que celle-ci peut déjà figurer dans le règlement intérieur, avec toutes les réserves que nous connaissons.
Nous poserons d’ailleurs la même question, ce soir, à Mme la ministre de la culture, au sujet de l’examen, en procédure accélérée, de la proposition de loi et de la proposition de loi organique relatives à la lutte contre la manipulation de l’information, qui répondent à une promesse électorale du chef de l’État.
Cela ne m’empêche pas, à titre personnel, d’être satisfait de ce texte, qui marque un signe fort d’autorité, dont notre système éducatif a bien besoin, comme je l’ai souligné en première lecture, même si, dans les médias, le texte est trop souvent présenté pour ce qu’il n’est pas : l’« avènement » de l’interdiction du téléphone portable à l’école, sachant que celle-ci figure depuis 2010 dans le code de l’éducation.
Le travail de nos deux assemblées a utilement fixé un cadre pour la mise en œuvre du principe d’interdiction, car le dispositif initial, très sommaire, tenait en une phrase, signe manifeste d’une préparation trop rapide.
Je rappellerai brièvement ces avancées.
Tout d’abord, les députés ont précisé les conditions de confiscation et de restitution des appareils, ce qui évitera toute polémique à ce sujet. Le Sénat a complété ce dispositif, en en étendant le recours aux personnels d’éducation et de surveillance, tout en supprimant certaines dispositions qui n’avaient rien de législatif.
En outre, une rédaction de compromis proposée par le Sénat a permis de conserver l’exception pour « usage pédagogique » du téléphone portable, à laquelle tenaient les députés, sans ériger, pour autant, cet usage en dogme, puisqu’il sera laissé à l’appréciation de chaque établissement de le permettre ou non, dans le cadre de son règlement intérieur.
Il faut, en effet, rester réservé quant à l’usage éducatif du téléphone portable, dont le développement me semblerait peu compatible avec la démarche de « déconnexion » que nous souhaitons favoriser. L’école a-t-elle pour rôle d’inciter nos jeunes à passer encore plus de temps devant les écrans, alors même que les chercheurs insistent sur le rôle de la main ? D’après ces derniers, la réalisation d’un mouvement spécifique pour tracer chaque lettre sollicite une mémoire motrice, « engrammable », mobilisable pour la reconnaissance des lettres, une mémoire que le clavier ne permet pas de développer.
Cependant, de nombreux enseignants font part d’expériences positives en matière d’usage éducatif des téléphones portables, et la rédaction retenue a le mérite de ne pas fermer la porte.
En définitive, il est regrettable qu’aucune étude n’ait été conduite sur le sujet de l’« école du numérique » avant l’examen de cette proposition de loi.
Comme je le disais en introduction, l’examen de ce texte a également été l’occasion pour le Sénat de prévoir un régime d’encadrement spécifique pour les lycées. Je salue, à cet égard, le travail de notre excellent rapporteur, qui n’a pas craint de faire sauter ce verrou, alors que la discussion sur ce point à l’Assemblée nationale n’avait pu aboutir.
Il s’agit d’un élément primordial du texte, puisque le cadre juridique issu de la loi Grenelle II ne visait que les écoles et les collèges. Les chefs d’établissement souhaitant interdire l’usage du portable se trouvaient donc dépourvus de base juridique pour le faire. En prévoyant la possibilité d’interdire le téléphone portable au moyen du règlement intérieur, le texte légitime la position qui sera prise par le chef d’établissement, les enseignants et le conseil d’administration.
Enfin, je veux dire quelques mots sur l’éducation des jeunes à l’utilisation d’internet et des réseaux sociaux.
La loi mentionnera l’« éducation à l’utilisation d’internet et des services de communication en ligne » comme faisant partie intégrante de la formation à la responsabilité civique, et la notion de « citoyenneté numérique », supprimée par le Sénat, figurera finalement dans le texte. Cette rédaction est sans doute approximative, mais notre rapporteur a validé avec bon sens ces dispositions, qui permettent d’aboutir à un accord sur le texte, dans l’attente des résultats des travaux en cours sur le sujet de l’éducation aux médias et au numérique.
Il ne fait pas de doute que l’éducation des jeunes est essentielle pour les aider à maîtriser un outil qui évolue rapidement et qui fait désormais partie de leur quotidien. Cette éducation est tout d’abord de la responsabilité des parents, mais je pense que les pouvoirs publics doivent également s’impliquer. Le sujet est vaste, et la réflexion n’en est finalement qu’à ses débuts.
Ce texte constitue moins un apport juridique qu’un signal politique envoyé aux familles. Comme vous l’avez précisé, monsieur le ministre, l’école doit être sanctuarisée. Elle doit rester un lieu privilégié d’apprentissage et de socialisation. On sait que les établissements qui appliquent une interdiction stricte ont de meilleurs résultats que les autres. De nombreuses études l’ont montré, l’attention est meilleure, le climat plus propice à l’apprentissage et plus paisible.
Enfin, ce texte permettra de garantir l’effectivité de l’interdiction dans tous les établissements ; on connaît trop la tendance de certains à ne pas l’appliquer.
Pour conclure, cette proposition de loi n’est peut-être qu’une étape qui en appellera d’autres, au moins aussi importantes. En attendant, notre groupe votera ce texte visant à soutenir les chefs d’établissement et les enseignants dans l’exercice, toujours plus difficile, de leur métier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Monsieur le ministre, nous parvenons au terme de l’examen de ce texte. Vous disposez désormais de l’outil que vous attendiez pour pouvoir organiser la rentrée scolaire. En effet, le seul règlement intérieur des établissements ne suffisait pas toujours, face aux élèves récalcitrants qui souhaitent pouvoir utiliser leur téléphone portable à l’école.
Vous avez pu mesurer que nos collègues n’étaient pas forcément enthousiastes à l’idée de légiférer sur cette question. Ils auraient préféré traiter d’autres sujets, peut-être plus valorisants et, surtout, réellement importants, tels que la réforme du baccalauréat.
Au demeurant, je voudrais, à la suite de mes collègues, attirer votre attention sur le fait que ce sujet s’inscrit dans celui, plus vaste, de l’éducation au numérique et, surtout, sur la nécessité de prendre en compte la dimension pédagogique de l’utilisation éventuelle à l’école des différents outils de communication électronique, dont le téléphone portable. Le pédiatre Serge Tisseron considère que la question de l’utilisation du téléphone portable à l’école devrait donner lieu à un vaste débat au sein de la communauté éducative, associant les parents, pour que chaque jeune soit responsabilisé dans l’utilisation, ou non, de cet outil, dans un cadre permettant, bien entendu, les exceptions pédagogiques.
Pour conclure, je tiens à saluer le travail qui a été réalisé, notamment, par le rapporteur, Stéphane Piednoir. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Républicains, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Je souscris aux propos que vient de tenir Mme la présidente de la commission.
Je ne répondrai pas à l’ensemble des arguments que vous avez avancés, mais soyez assurés, mesdames, messieurs les sénateurs, que je vous ai tous écoutés avec attention.
Je veux redire à quel point cette loi était à mon sens nécessaire. Il y a plusieurs raisons à cela, mais je n’en évoquerai qu’une : son examen parlementaire a fourni une très belle illustration de l’intérêt du bicamérisme. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
Je suis extrêmement heureux que cette proposition de loi ait pu aboutir. Votre travail a permis de l’améliorer.
Vous souhaiteriez pouvoir débattre de sujets plus larges. Je vous annonce très officiellement qu’un important projet de loi relatif à l’extension de la scolarisation obligatoire à trois ans sera présenté au début de l’année 2019. Il portera sur des sujets essentiels, comme la formation des enseignants.
Je terminerai mon propos en rendant à mon tour hommage au sénateur Carle, dont le travail a eu tant d’importance pour le système éducatif de notre pays. Adieu, monsieur le professeur, chantait Hugues Aufray. Pour ma part, je vous dis plutôt : au revoir, monsieur le sénateur ! (Applaudissements.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte élaboré par la commission mixte paritaire.
Je rappelle que, en application de l’article 42, alinéa 12, du règlement, aucun amendement n’est recevable, sauf accord du Gouvernement ; en outre, le Sénat étant appelé à se prononcer avant l’Assemblée nationale, il statue d’abord sur les éventuels amendements puis, par un seul vote, sur l’ensemble du texte.
proposition de loi relative à l’encadrement de l’utilisation du téléphone portable dans les établissements d’enseignement scolaire
Article 1er
Le chapitre unique du titre Ier du livre V de la deuxième partie du code de l’éducation est ainsi modifié pointilles:
1° L’article L. 511-5 est ainsi rédigé :
« Art. L. 511-5. – L’utilisation d’un téléphone mobile ou de tout autre équipement terminal de communications électroniques par un élève est interdite dans les écoles maternelles, les écoles élémentaires et les collèges et pendant toute activité liée à l’enseignement qui se déroule à l’extérieur de leur enceinte, à l’exception des circonstances, notamment les usages pédagogiques, et des lieux dans lesquels le règlement intérieur l’autorise expressément.
« Dans les lycées, le règlement intérieur peut interdire l’utilisation par un élève des appareils mentionnés au premier alinéa dans tout ou partie de l’enceinte de l’établissement ainsi que pendant les activités se déroulant à l’extérieur de celle-ci.
« Le présent article n’est pas applicable aux équipements que les élèves présentant un handicap ou un trouble de santé invalidant sont autorisés à utiliser dans les conditions prévues au chapitre Ier du titre V du livre III de la présente partie.
« La méconnaissance des règles fixées en application du présent article peut entraîner la confiscation de l’appareil par un personnel de direction, d’enseignement, d’éducation ou de surveillance. Le règlement intérieur fixe les modalités de sa confiscation et de sa restitution. » ;
2° (Supprimé)
Article 2
À la troisième phrase de l’article L. 121-1 du code de l’éducation, après le mot : « civique », sont insérés les mots : « , y compris dans l’utilisation d’internet et des services de communication au public en ligne, ».
Article 3
I. – L’article L. 312-9 du code de l’éducation est ainsi modifié :
1° À la première phrase, après le mot : « utilisation », il est inséré le mot : « responsable » ;
2° La seconde phrase est ainsi modifiée :
a) Le mot : « sensibilisation » est remplacé par le mot : « éducation » ;
b) Après le mot : « intellectuelle », sont insérés les mots : « , de la liberté d’opinion et de la dignité de la personne humaine » ;
3° Est ajoutée une phrase ainsi rédigée : « Elle contribue au développement de l’esprit critique et à l’apprentissage de la citoyenneté numérique. »
II. – À l’article L. 371-1 du code de l’éducation, après les mots : « Wallis et Futuna », sont insérés les mots : « les dispositions suivantes du présent livre dans sa rédaction résultant de la loi n° … du … relative à l’encadrement de l’utilisation du téléphone portable dans les établissements d’enseignement scolaire : ».
Article 4
I. – À la première phrase du troisième alinéa de l’article L. 401-1 du code de l’éducation, après le mot : « interdisciplinarité, », sont insérés les mots : « l’utilisation des outils et ressources numériques, ».
II. – (Supprimé)
M. le président. Sur les articles du texte élaboré par la commission mixte paritaire, je ne suis saisi d’aucun amendement.
Quelqu’un demande-t-il la parole sur l’un de ces articles ? …
Le vote est réservé.
Vote sur l’ensemble
M. le président. Personne ne demande la parole ? …
Conformément à l’article 42, alinéa 12, du règlement, je mets aux voix, dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, l’ensemble de la proposition de loi.
(La proposition de loi est adoptée.)
4
Nomination et présence des parlementaires dans certains organismes extérieurs au Parlement
Adoption définitive des conclusions d’une commission mixte paritaire
M. le président. L’ordre du jour appelle l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à garantir la présence des parlementaires dans certains organismes extérieurs au Parlement et à simplifier les modalités de leur nomination (texte de la commission n° 633, rapport n° 632).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Loïc Hervé, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, issue d’une initiative conjointe des présidents du Sénat et de l’Assemblée nationale, la proposition de loi que nous examinons pour la dernière fois ce matin vise à garantir la présence des parlementaires dans certains organismes extérieurs au Parlement, ou OEP, et à simplifier les modalités de leur nomination au sein de ces derniers.
Le Sénat a adopté cette proposition de loi le 12 juin dernier, selon la procédure de législation en commission, qui, je tiens à le dire, s’est avérée extrêmement efficace.
De nombreuses concertations ont été menées. J’ai moi-même consulté l’ensemble des organismes extraparlementaires concernés et nous avons reçu près de quatre-vingts contributions écrites.
Autant vous l’indiquer dès à présent : la commission mixte paritaire, qui s’est réunie le 4 juillet dernier, est parvenue à un accord.
Je remercie, à cet instant, le rapporteur de l’Assemblée nationale, Sylvain Waserman, de sa disponibilité et de son écoute, ainsi que vous-même, monsieur le secrétaire d’État, et votre collègue du Gouvernement Jacqueline Gourault.
Il nous semblait essentiel de réussir la commission mixte paritaire, notamment parce que, depuis le 1er juillet dernier, seule la loi peut prévoir la présence d’un député ou d’un sénateur dans un OEP, conformément à la loi organique pour la confiance dans la vie politique, promulguée le 15 septembre 2017.
Visant à assurer un meilleur respect du principe de séparation des pouvoirs, cette disposition a été inspirée par une initiative du président du Sénat, qui ne nomme plus de sénateurs dans les organismes extraparlementaires de rang réglementaire depuis le mois d’octobre 2016.
Reprenant les préconisations de nos collègues Roger Karoutchi et Alain Richard, nous allons également limiter la « dispersion des sénateurs dans divers organismes afin d’encourager leur participation effective aux travaux du Sénat ». L’ordre du jour de cette fin du mois de juillet montre que nous avons besoin d’être davantage présents dans ces murs !
Il s’agit aussi de rappeler que les organismes extraparlementaires sont nécessaires pour mieux contrôler l’action du Gouvernement – je pense, par exemple, au Conseil de l’immobilier de l’État –, évaluer les politiques publiques –c’est le sens de l’action des conseils d’administration de l’ENA ou de l’Agence française de développement – et permettre aux instances concernées de mieux appréhender les aspirations de nos concitoyens – je citerai, à cet égard, le Haut Comité de la qualité de service dans les transports.
De même, il nous a paru opportun de clarifier les modes de désignation des parlementaires dans les organismes extérieurs et de garantir le respect des principes de pluralisme et de parité, auxquels nous tenons beaucoup.
L’Assemblée nationale et le Sénat ont entamé une démarche de rationalisation des organismes extraparlementaires, dont le nombre est passé de 147 en 2004 à 202 aujourd’hui.
Dans le texte du Sénat, la présence de parlementaires était maintenue dans 164 de ces organismes, soit une baisse de près de 19 % par rapport à aujourd’hui. L’Assemblée nationale n’a pas souhaité ou pas pu être aussi ambitieuse sur ce point, notamment parce que des députés ont été nommés en 2017 dans des organismes extraparlementaires.
D’ailleurs, l’exercice de rationalisation de la présence des parlementaires dans les OEP n’est pas facile : lors de mes travaux, j’ai pu constater l’attachement des parties prenantes à la présence de parlementaires au sein de ces organismes extérieurs, même lorsque ceux-ci ne se sont pas réunis depuis plusieurs mois ou plusieurs années.
Le texte de la commission mixte paritaire me semble concilier les apports respectifs du Sénat et de l’Assemblée nationale. Je m’en réjouis.
Le nombre total d’organismes extraparlementaires devrait s’élever, demain, à 173, soit une diminution de 14,4 % par rapport à aujourd’hui.
Conformément au souhait de l’Assemblée nationale, la présence de parlementaires sera maintenue dans des organismes extraparlementaires comme le Conseil national des professions du spectacle, qui traite de la question, sensible, des intermittents, et l’Initiative française pour les récifs coralliens, ce qui est compréhensible en cette période de réchauffement climatique.
De même, nous avons accepté de revenir sur la fusion du Haut Conseil à la vie associative et du comité consultatif du Fonds pour le développement de la vie associative, les parties prenantes n’étant pas prêtes pour un tel mouvement dans l’immédiat.
Nous avons également travaillé, avec Sylvain Waserman, sur la date d’entrée en vigueur du dispositif, s’agissant notamment des OEP de rang législatif qu’il est proposé de supprimer et du pouvoir de sanction de l’Autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires, sujet qui tenait particulièrement à cœur au Gouvernement.
Sur proposition du Sénat, plusieurs organismes extraparlementaires devenus obsolètes seront supprimés, comme le comité de suivi de la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République ou le comité de suivi de la loi du 5 mars 2009 relative à la communication audiovisuelle.
La présence de parlementaires sera désormais prévue dans deux organismes stratégiques : le Conseil national de l’air et le conseil d’administration de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine, l’ANRU. Nous avons également ajouté un député et un sénateur supplémentaires au sein du conseil d’administration de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger.
Des suppléants seront maintenant nommés dans divers organismes, comme le Conservatoire de l’espace littoral et des rivages lacustres.
En outre, nous avons précisé que le prochain président de la Commission supérieure du numérique et des postes serait un sénateur, l’ancien président étant un député.
Enfin, nous avons trouvé un compromis pour mieux associer les parlementaires aux commissions départementales de la coopération intercommunale, sur le modèle de ce qui existe dorénavant pour la dotation d’équipement des territoires ruraux. Nombre d’entre vous, mes chers collègues, ont attiré mon attention sur le sujet. Il s’agit de mieux garantir l’ancrage territorial des parlementaires, mais également de leur permettre de faciliter les échanges entre les élus locaux et les services de l’État. Les parlementaires – deux députés et deux sénateurs – ne disposeront pas d’une voix délibérative, afin de respecter l’autonomie des élus locaux.
En conclusion, mes chers collègues, votre commission vous propose d’adopter les conclusions de la commission mixte paritaire, eu égard aux nombreux apports du Sénat retenus par celle-ci. (Applaudissements sur des travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Républicains et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Christophe Castaner, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi visant à garantir la présence des parlementaires dans certains organismes extérieurs au Parlement et à simplifier les modalités de leur nomination vise à mettre en œuvre une disposition introduite dans la loi organique du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique via l’adoption d’un amendement du président de votre commission des lois, M. Philippe Bas.
Dans ce moment un peu particulier du débat parlementaire (Sourires.), il convient de souligner qu’il s’agit d’une proposition de loi singulière : déposée le 30 mars dernier au Sénat par le président Gérard Larcher, huit présidents de commission et la présidente de la délégation du bureau chargée du travail parlementaire, du contrôle et des études, elle l’a aussi été le même jour, à l’Assemblée nationale, par le président de celle-ci et les présidents de quatre groupes politiques. Placé sous de tels auspices, ce texte ne pouvait que prospérer !
Au-delà de cette boutade, je tiens à saluer la qualité du dialogue que les deux rapporteurs et, à travers eux, les deux assemblées ont su nouer. Je crois même que ce travail en commun, partenarial, a permis d’avancer sur le plan du processus législatif et portera des fruits à l’avenir. Il m’appartiendra, en ma qualité de secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement, d’y veiller tout particulièrement, y compris en ce qui concerne l’ordre de l’examen des textes par les deux chambres.
L’effort de rationalisation entrepris dans le cadre de l’examen de la proposition de loi a été approfondi par les travaux de la CMP : le nombre total d’organismes extraparlementaires s’élèverait, demain, à 173, soit tout de même une diminution de près de 15 % par rapport à aujourd’hui. Cet effort est essentiel, en ce qu’il vise à permettre aux parlementaires de jouer pleinement leur rôle là où leur présence et leur expertise sont particulièrement utiles.
La présence des parlementaires sera maintenue au sein du Conseil national des professions du spectacle et du comité national de l’Initiative française pour les récifs coralliens, comme le souhaitait l’Assemblée nationale, ainsi qu’au sein du Conseil national de l’air, comme le souhaitait le Sénat, et particulièrement son rapporteur.
Sur l’initiative du Sénat, les parlementaires seront également présents au sein du conseil d’administration de l’ANRU. Le Gouvernement prend acte du compromis auquel les deux assemblées sont parvenues sur ce point précis, mais considère que cette disposition n’épuise pas la question du fonctionnement et de la gouvernance de l’ANRU, qui doivent faire l’objet d’une réflexion associant l’ensemble des acteurs concernés. En attendant, nous sommes évidemment favorables au choix qu’a fait le Parlement.
La commission mixte paritaire est par ailleurs revenue sur la fusion entre le Haut Conseil à la vie associative et le comité consultatif du Fonds pour le développement de la vie associative. Je l’en remercie ; il nous semblait important de maintenir la spécificité de ces deux structures.
La CMP a également réalisé un travail précis sur les conditions d’entrée en vigueur du texte, en veillant notamment à ce que les dispositions relatives au pouvoir de sanction de l’Autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires puissent entrer en vigueur dès la promulgation.
Enfin, s’agissant de la participation des parlementaires aux commissions départementales de la coopération intercommunale, sujet dont nous avons longuement discuté lors de la première lecture, la rédaction de compromis à laquelle la CMP a abouti s’inspire du modèle des commissions compétentes en matière de dotation d’équipement des territoires ruraux. Cela dans le bon sens. Toutefois, le Gouvernement estime qu’il conviendra d’être attentif à ce que le fonctionnement de ces instances, qui traitent de la coopération au sein du bloc communal, reste le plus souple et le plus fluide possible.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous invite à adopter les conclusions de la commission mixte paritaire, afin de permettre une meilleure participation des parlementaires aux OEP et une meilleure lisibilité de leur action pour nos concitoyens. (M. le rapporteur applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, cette proposition de loi est une conséquence de la loi du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique, qui a établi le principe que toute présence de parlementaires dans un organisme extraparlementaire devait être fondée par la loi. Or des parlementaires siégeaient dans de nombreux OEP ayant été créés par décret. C’est ce qui a justifié le dépôt conjoint de cette proposition de loi par le président de l’Assemblée nationale et par celui du Sénat.
Cette proposition de loi instaure un principe de parité et une lisibilité globale de la désignation des parlementaires appelés à siéger dans ces instances. Elle prévoit et organise l’éventuelle nomination de suppléants.
Je regrette, à titre personnel – mais ce regret est, me semble-t-il, partagé par beaucoup de sénateurs représentant les Français établis hors de France –, que le Parlement, particulièrement le Sénat, pour des raisons politiques et/ou dogmatiques, n’ait pu maintenir une présence des parlementaires représentant les Français de l’étranger au sein de la Commission nationale des bourses, instance particulièrement importante pour les Français résidant à l’étranger.
Mme Claudine Lepage. C’est très dommage !
M. Loïc Hervé, rapporteur. Je l’entends !
M. Jean-Yves Leconte. Compte tenu notamment de l’interdiction de cumul avec des mandats exécutifs locaux désormais en vigueur, la participation aux organismes extraparlementaires est parfois, pour les parlementaires, un moyen important de contrôler les politiques publiques, l’action du Gouvernement et l’usage des crédits votés par le Parlement. Dans certains cas, elle permet aussi de mieux comprendre les attentes du terrain.
Le groupe socialiste et républicain du Sénat a présenté un amendement tendant à défendre la présence de parlementaires au sein du conseil d’administration de l’ANRU.
Avant même la discussion de ce qui allait devenir la loi pour la confiance dans la vie politique, le président du Sénat avait considéré qu’il n’était pas convenable que des parlementaires puissent siéger dans des OEP créés par décret. De ce fait, il n’a plus procédé à aucune nomination depuis 2016. En revanche, le président de l’Assemblée nationale a continué à le faire, même après l’adoption de la loi pour la confiance dans la vie politique ! En particulier, il a nommé un député à la Commission nationale des bourses en avril dernier.
Mme Claudine Lepage. Un député qui siégera jusqu’à la fin de son mandat !
M. Jean-Yves Leconte. Il me semble que, de ce point de vue, l’Assemblée nationale ne respecte pas le principe établi par la loi organique pour la confiance dans la vie politique.
La nouvelle procédure de législation en commission a été expérimentée pour la première fois avec ce texte. Elle permet d’aller plus vite, mais c’est la seconde fois que nous débattons du texte, alors que nous sommes parvenus assez rapidement à un accord en commission mixte paritaire. Je trouve dommage que nous ne disposions d’aucune « corde de rappel » si nous voulons apporter une correction au texte de manière consensuelle après la première lecture. En tant que sénateur représentant les Français établis hors de France, je pense à l’absence de parlementaires au sein de la Commission nationale des bourses.
Par conséquent, je crois qu’il conviendrait de faire évoluer la procédure de législation en commission, de manière à éviter que les lectures en commission, en commission mixte paritaire et en séance publique se succèdent sans que l’on puisse discuter du fond et apporter d’éventuelles corrections au texte.
Cela étant, le groupe socialiste et républicain votera cette proposition de loi, compte tenu de ce qu’elle apporte, en regrettant malgré tout, monsieur le rapporteur, que vous n’ayez pas soutenu les amendements qui avaient été déposés par l’ensemble des sénateurs et députés représentant les Français de l’étranger et relatifs à la présence de parlementaires au sein de la Commission nationale des bourses. Le contrôle parlementaire de l’utilisation de plus de 100 millions d’euros de crédits publics ne sera plus exercé, dans les prochaines années, que par l’Assemblée nationale… (Mme Claudine Lepage et M. le rapporteur applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Alain Marc.
M. Alain Marc. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le nombre d’organismes extérieurs au Parlement a connu une croissance exponentielle depuis les débuts de la Ve République, passant de 17 en 1958 à 202 aujourd’hui.
Du fait de leur grande diversité – autorités administratives et publiques indépendantes, établissements publics, comités de suivi, commissions consultatives… –, ils échappent à toute typologie cohérente. La situation actuelle présente plusieurs difficultés : elle accroît les contraintes, déjà lourdes, qui pèsent sur les agendas des parlementaires – nous en savons quelque chose en cette fin de session extraordinaire ; elle laisse une grande marge de manœuvre au pouvoir réglementaire ; enfin, elle fait coexister des règles de nomination disparates.
Devant ce constat, le Sénat a lancé une réflexion, qui a abouti à cette proposition de loi commune aux deux assemblées. Ce texte répond à trois objectifs : rationaliser les procédures de nomination des députés et des sénateurs dans les organismes extraparlementaires, garantir leur présence dans les structures où elle apparaît justifiée et supprimer cette présence quand elle ne se justifie plus.
Il était important de réaliser ce véritable travail d’inventaire et de rationalisation. Le 4 juillet dernier, la commission mixte paritaire est parvenue à un accord. Je tiens à saluer l’esprit de consensus qui a prévalu. Il était d’autant plus essentiel de réussir cette commission mixte paritaire que, depuis le 1er juillet dernier, seule la loi peut prévoir la présence d’un député ou d’un sénateur dans un organisme extraparlementaire, conformément à la loi organique pour la confiance dans la vie politique du 15 septembre 2017.
Cet accord était également indispensable en ce que les organismes extraparlementaires sont nécessaires à l’exercice de nos missions constitutionnelles. Il s’agit de mieux contrôler l’action du Gouvernement – à travers le Conseil de l’immobilier de l’État, par exemple –, d’évaluer les politiques publiques – en siégeant notamment aux conseils d’administration de l’École nationale d’administration ou de l’Agence française de développement – et de permettre aux organismes concernés de mieux appréhender les aspirations de nos concitoyens – je pense, par exemple, à l’Observatoire de la laïcité.
De même, il apparaissait particulièrement opportun de clarifier les modes de désignation des parlementaires dans les organismes extérieurs et de garantir le respect des principes de parité et de pluralisme.
Je salue l’équilibre du texte auquel ont abouti les travaux de la commission mixte paritaire. Je tiens tout particulièrement à souligner le compromis trouvé pour mieux associer les parlementaires aux travaux des commissions départementales de la coopération intercommunale, sur le modèle de ce qui existe pour les commissions départementales chargées de donner un avis sur la répartition de la dotation d’équipement des territoires ruraux, la DETR. Cette proposition de loi permet ainsi de tirer les conséquences des lois de février 2014 limitant le cumul des mandats et de mettre à la disposition des parlementaires, dans les départements dont ils sont élus, les informations qui leur sont nécessaires pour faire leur travail de la meilleure manière.
Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le texte issu de la commission mixte paritaire est le fruit d’un véritable travail de rapprochement entre les positions initiales de l’Assemblée nationale et du Sénat. Son dispositif est équilibré. Aussi le groupe Les Indépendants votera-t-il en faveur de son adoption.
M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde.
Mme Françoise Laborde. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le 1er juillet dernier, l’article 13 de la loi organique pour la confiance dans la vie politique entrait en vigueur, limitant la participation d’un parlementaire à un organisme extérieur aux cas où elle est explicitement prévue par une disposition législative.
La présente proposition de loi, que nous nous apprêtons à adopter définitivement, en est la conséquence directe. Elle est le fruit d’une série de compromis, de l’élaboration du texte initial déposé par les présidents des deux chambres jusqu’aux conclusions de la commission mixte paritaire, réunie le 4 juillet dernier. Je note d’ailleurs que ces conclusions ont été adoptées à l’unanimité par les députés lundi dernier.
Je ne reviendrai pas sur l’ensemble des organismes concernés par ce texte : environ 200 ont été recensés ; les détailler reviendrait à dresser un inventaire à la Prévert.
À ce titre, je tiens, en guise de propos liminaire, à saluer l’important travail conduit par notre rapporteur, Loïc Hervé, en bonne intelligence avec son homologue de l’Assemblée nationale, pour dénombrer les organismes extraparlementaires, les sonder et les évaluer au regard de leur activité et de leur utilité.
Je tiens également à mentionner la nouveauté qu’a constituée l’examen selon la procédure de législation en commission, la PLEC. Elle apporte la preuve que le Sénat innove dans la méthode d’écriture de la loi.
Mme Françoise Laborde. Cette procédure, avec laquelle nous nous familiarisons peu à peu, si elle n’a évidemment pas vocation à s’appliquer à tous les textes, peut permettre un examen plus efficace de certains d’entre eux.
Ce fut le cas pour cette proposition de loi, à laquelle le Sénat a pu apporter des améliorations bienvenues. Je note d’ailleurs que, pour de nombreux articles, la rédaction retenue par la commission mixte paritaire a souvent été celle de la Haute Assemblée. Je pense particulièrement à l’article 1er, qui prévoit que les mécanismes de nomination respectent la parité.
Par ailleurs, en tant que représentante d’un groupe minoritaire, j’ai évidemment porté une grande attention à l’article 1er bis, pour lequel notre groupe avait proposé une amélioration, non retenue en première lecture.
Nous espérons donc que la « centralisation » des nominations, sauf exception, par le président de chaque assemblée sera de nature à assurer une meilleure représentation des groupes politiques, notamment d’opposition ou minoritaires.
La commission mixte paritaire a également trouvé un accord sur le nombre d’organismes dans lesquels la présence de parlementaires n’était ni utile ni souhaitable.
En la matière, le texte adopté au Sénat allait plus loin, en prévoyant la présence de parlementaires dans 164 organismes. La version issue de la CMP prévoit, au final, la participation de députés et de sénateurs à 173 organismes extraparlementaires.
En outre, gageons que ce texte contribuera à une nécessaire prise de conscience et mettra fin à la multiplication de ces organismes que nous avons connue ces dernières années.
M. Loïc Hervé, rapporteur. Très bien !
Mme Françoise Laborde. Je voudrais surtout m’attarder sur une des principales avancées de ce texte. Elle concerne des organismes extérieurs d’un type un peu particulier : les commissions départementales de coopération intercommunale. La présence de parlementaires en leur sein était une revendication ancienne, notamment des sénateurs.
Sans refaire les débats sur l’interdiction du cumul de certains mandats, il faut néanmoins souligner que celle-ci a abouti à faire des parlementaires des élus « hors sol ». L’article 65 bis leur permettra – tout du moins à certains d’entre eux – de reprendre pied dans les affaires relatives à la coopération intercommunale de leur département d’élection, sur le modèle de la participation aux commissions compétentes en matière de dotation d’équipement des territoires ruraux.
Mais ce texte a eu une autre vertu, celle de nous amener à nous interroger sur le rôle joué par les parlementaires au sein de ces organismes et, plus largement, dans l’ordonnancement institutionnel français.
La révision constitutionnelle, dont l’examen a été quelque peu ralenti ces derniers jours pour les raisons que nous connaissons tous, nous donne l’occasion de repenser nos missions.
La présence de parlementaires au sein des OEP participe du contrôle de l’action du Gouvernement, mais elle contribue aussi à l’évaluation des politiques publiques. En cela, elle est nécessaire à la vie démocratique. Toutefois, le temps que nous consacrons à ces organismes ne doit pas conduire à nous détourner de nos autres missions. Cela suppose un équilibre, que la réduction prévue du nombre de parlementaires pourrait menacer.
Comme l’a souligné M. le rapporteur, notre présence dans ces organismes est appréciée, notamment parce que nous apportons notre expertise législative et politique.
Je tiens donc, pour conclure mon propos, à attirer votre attention, comme je l’avais fait lors de la première lecture, sur l’instrumentalisation qui peut être faite de la présence de parlementaires dans certains OEP. Cette présence apporte en effet une plus grande légitimité à ces derniers, sans pour autant que les parlementaires, du fait de la composition de ces organismes, puissent toujours peser sur les travaux et les orientations. Cette fois, je ne nommerai pas l’organisme auquel je pense ; je vous laisse le soin de deviner… (Sourires.)
M. Loïc Hervé, rapporteur. Nous avons bien compris l’allusion !
Mme Françoise Laborde. Nonobstant cette réserve, sans surprise, tous les sénateurs du groupe du RDSE voteront en faveur de l’adoption de ce texte, qui apporte clarification et harmonisation et dont l’application garantira un meilleur respect du principe de séparation des pouvoirs. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias.
M. Pierre Ouzoulias. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, ce texte, qui a fait l’objet d’un accord en commission mixte paritaire, avait été examiné selon la procédure législative d’examen en commission propre à notre assemblée.
Comme nous l’avions déjà souligné lors de notre explication de vote en séance publique, cette proposition de loi ne soulève pas de problème majeur. Je ne reviendrai pas sur l’inventaire des organismes examinés, me contentant de rappeler brièvement quelle est notre position.
Je renouvellerai tout d’abord nos réserves sur le remplacement de la procédure actuelle de nomination par les assemblées par une procédure de nomination par leurs présidents.
Ces derniers seraient, selon les auteurs de cette proposition de loi, plus ouverts à une représentation pluraliste de leurs assemblées que les majorités politiques qui les composent. Nous ne sommes pas de cet avis et considérons au contraire que le pouvoir discrétionnaire de nomination des présidents des chambres parlementaires pose question quant au contrôle de certaines instances par la majorité. Bien entendu, l’impact de cette nouvelle procédure est moindre pour les organismes à vocation technique, sans portée politique. En revanche, les missions hautement stratégiques et politiques accomplies par d’autres organismes, tels le Comité des finances locales, la commission de surveillance de la Caisse des dépôts et consignations ou le conseil d’administration de l’Agence française de développement, devraient impliquer un contrôle plus accru du Parlement et une représentation des chambres en leur sein plus respectueuse de la pluralité politique.
Cela étant dit, nous approuvons l’économie générale de cette proposition de loi et les objectifs de clarification qui la sous-tendent, dans un mouvement général d’inflation notable des organismes extraparlementaires, dont le nombre s’élève aujourd’hui à 193.
Nous nous félicitons également des quelques avancées que comporte le texte, notamment la nomination de parlementaires dans des organismes où ils n’étaient pas présents jusqu’alors et l’institution de la règle de la parité dans le processus de nomination par les assemblées.
Notre groupe s’abstiendra sur ce texte.
M. le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère.
M. Philippe Bonnecarrère. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, chose assez rare pour être soulignée, la proposition de loi dont il s’agit ici a été cosignée par le président et par quatre présidents de groupe de l’Assemblée nationale et déposée en termes identiques par le président du Sénat et les présidents de nos huit commissions. Ce texte revêt ainsi une importance symbolique particulière.
Sur la forme toujours, ce texte fut, en première lecture, l’occasion d’éprouver une nouvelle fois la procédure de la législation en commission, dont nous parlerons peut-être plus longuement si la révision constitutionnelle se poursuit, comme nombre d’entre nous le souhaitent.
Ce fut un succès. Je tiens d’ailleurs à saluer ici l’implication de notre rapporteur, Loïc Hervé. Je sais le travail qu’il a réalisé, les concertations et les auditions qu’il a menées : qu’il en soit félicité ! Son investissement a contribué à l’élaboration d’un texte équilibré, qui aura permis le succès de la commission mixte paritaire.
J’en viens maintenant au fond.
Les organismes extérieurs au Parlement dans lesquels nous siégeons sont des éléments de notre système démocratique, tantôt vecteurs de débat, tantôt laboratoires d’idées, mais aussi forces de proposition. Ils constituent un des éléments du contrôle de l’action du Gouvernement, puisqu’ils nous apportent un regard à la fois extérieur et expert.
Aussi nécessaires que soient ces organismes, il devenait urgent d’en brider la prolifération, tout en clarifiant les règles régissant la présence des parlementaires en leur sein. Depuis 2014, en effet, pas moins de 58 nouveaux organismes ont été créés. C’est beaucoup trop, comme l’ont souligné les orateurs précédents.
La loi organique pour la confiance dans la vie politique, adoptée en septembre dernier, a modifié le code électoral afin de prévoir qu’un sénateur ne puisse « être désigné en cette qualité dans une institution ou un organisme extérieur qu’en vertu d’une disposition législative qui détermine les conditions de sa désignation ».
L’objectif de cette réforme était double. Il s’agissait, d’une part, de limiter la multiplication des organismes, et, d’autre part, de respecter la séparation des pouvoirs – sujet particulièrement d’actualité (Sourires.) –, laquelle exige que la présence d’un parlementaire au sein d’un OEP soit prévue non par un décret, mais par la loi. La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui répond à ce double objectif.
En effet, le texte que le Sénat avait adopté en première lecture prévoyait que ne subsisteraient plus que 164 organismes extérieurs au Parlement, contre 202 actuellement, soit une baisse de 19 %. Le texte de compromis issu de la commission mixte paritaire prévoit, quant à lui, de ramener leur nombre à 173, soit une baisse de 14,4 %. C’est un réel progrès, qui en appelle d’autres…
Plus encore, il s’agissait de donner un fondement légal à une pratique observée depuis 2005, par laquelle les présidents des assemblées désignent eux-mêmes les parlementaires appelés à siéger au sein des organismes extérieurs au Parlement.
Soulignons aussi l’avancée qu’offre ce texte en matière d’égalité d’accès aux nominations des femmes et des hommes.
Enfin, la commission mixte paritaire a abouti à un compromis permettant de mieux associer les parlementaires aux travaux des commissions départementales de la coopération intercommunale. Nous savons, monsieur le rapporteur, combien ce sujet vous tient à cœur ! (Sourires.) Il s’agit d’une bonne mesure, calquée sur le modèle de ce qui existe déjà pour les commissions départementales chargées de donner un avis sur la répartition de la DETR. Nombre d’entre nous ont pu, voilà quelques semaines, en éprouver l’intérêt et la pertinence.
Ce texte permet de tirer les conséquences des lois de février 2014 limitant le cumul des mandats et de mettre à la disposition des parlementaires, dans les départements dont ils sont élus, les informations qui leur sont nécessaires pour faire leur travail de la meilleure manière. Nous espérons que la question du lien entre les parlementaires et leur ressort d’élection pourra être au cœur de la révision constitutionnelle, si cette dernière se poursuit…
Je conclurai en disant qu’il s’agit d’un texte équilibré, participant à l’amélioration de notre système démocratique et à sa rationalisation. Que notre rapporteur sache, au cas où il aurait eu des doutes, qu’il pourra compter sur le soutien de son groupe ! (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Loïc Hervé, rapporteur. Je n’en attendais pas moins ! (Sourires.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte élaboré par la commission mixte paritaire.
Je rappelle que, en application de l’article 42, alinéa 12, du règlement, le Sénat, lorsqu’il examine après l’Assemblée nationale le texte élaboré par la commission mixte paritaire, se prononce par un seul vote sur l’ensemble du texte.
proposition de loi visant à garantir la présence des parlementaires dans certains organismes extérieurs au parlement et à simplifier les modalités de leur nomination
TITRE liminaire
DE L’ÉGAL ACCÈS DES FEMMES ET DES HOMMES AUX RESPONSABILITÉS
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TITRE IER
DISPOSITIONS RELATIVES AUX NOMINATIONS ET AU REMPLACEMENT DES DÉPUTÉS ET DES SÉNATEURS DANS LES ORGANISMES EXTÉRIEURS AU PARLEMENT
Article 1er
I. – Lorsque l’Assemblée nationale et le Sénat sont appelés, en application d’une loi, à nommer, respectivement, un député et un sénateur pour siéger, en cette qualité, au sein d’un organisme extérieur au Parlement, ils désignent alternativement, chacun en ce qui le concerne, une femme et un homme.
À défaut d’accord entre les deux assemblées, un tirage au sort est organisé pour déterminer, lors de la première application du premier alinéa du présent I à chaque organisme extérieur au Parlement, laquelle désigne une femme et laquelle désigne un homme.
II. – L’Assemblée nationale et le Sénat désignent, chacun en ce qui le concerne, des femmes et des hommes en nombre égal lorsqu’ils sont appelés, en application d’une loi, à nommer respectivement des députés en nombre pair et des sénateurs en nombre pair pour siéger, en cette qualité, au sein d’un organisme extérieur au Parlement.
III. – Lorsque l’Assemblée nationale et le Sénat sont appelés à nommer, respectivement, des députés en nombre impair et des sénateurs en nombre impair pour siéger, en cette qualité, au sein d’un organisme extérieur au Parlement, ils désignent alternativement, chacun en ce qui le concerne, des femmes en nombre supérieur aux hommes et des hommes en nombre supérieur aux femmes.
À défaut d’accord entre les deux assemblées, un tirage au sort est organisé pour déterminer, lors de la première application du premier alinéa du présent III à chaque organisme extérieur au Parlement, laquelle désigne des femmes en nombre supérieur aux hommes et laquelle désigne des hommes en nombre supérieur aux femmes.
IV. – En cas de cessation anticipée du mandat au sein d’un organisme extérieur au Parlement, le député ou le sénateur nommé pour remplacer la personne dont le mandat cesse est du même sexe que le député ou le sénateur qu’il remplace.
V. – Lorsque la loi prévoit que les parlementaires sont désignés au sein d’un organisme extérieur au Parlement parmi les députés ou les sénateurs élus au sein d’une ou plusieurs circonscriptions déterminées, l’Assemblée nationale et le Sénat veillent, dans la mesure du possible, à ce que, parmi les parlementaires siégeant dans cet organisme, l’écart entre le nombre de femmes et le nombre d’hommes ne soit pas supérieur à un.
Article 1er bis
L’Assemblée nationale et le Sénat s’efforcent de respecter leur configuration politique respective pour l’ensemble des nominations effectuées dans les organismes extérieurs au Parlement.
Article 2
Les nominations, en cette qualité, de députés et de sénateurs dans un organisme extérieur au Parlement sont effectuées, respectivement, par le Président de l’Assemblée nationale et par le Président du Sénat, sauf lorsque la loi prévoit qu’elles sont effectuées par l’une des commissions permanentes de l’Assemblée nationale et du Sénat ou par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques.
Article 3
Lorsqu’un député ou un sénateur exerce, en cette qualité, la présidence d’un organisme extérieur au Parlement et est définitivement empêché ou perd la qualité au titre de laquelle il a été nommé ou lorsqu’il renonce à la présidence dudit organisme ou perd sa qualité de président, il est remplacé par un parlementaire appartenant à la même assemblée pour la durée du mandat de président restant à courir.
TITRE II
DISPOSITIONS VISANT À GARANTIR LA PRÉSENCE DES DÉPUTÉS ET DES SÉNATEURS DANS LES ORGANISMES EXTÉRIEURS AU PARLEMENT
Chapitre Ier
Des nominations dans les organismes élevés au rang législatif
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Article 6
Le titre VI de la loi n° 2005-882 du 2 août 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises est complété par un article 60-1 ainsi rédigé :
« Art. 60-1. – I. – La Commission de concertation du commerce comprend parmi ses membres un député et un sénateur, ainsi qu’un représentant au Parlement européen élu en France.
« II. – Les missions, la composition, l’organisation et le fonctionnement de la commission sont précisés par décret. »
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Article 8
Le livre IV de la sixième partie du code des transports est complété par un titre IV ainsi rédigé :
« TITRE IV
« CONSEIL SUPÉRIEUR DE L’AVIATION CIVILE
« CHAPITRE UNIQUE
« Missions et composition
« Art. L. 6441-1. – I. – Le Conseil supérieur de l’aviation civile comprend parmi ses membres un député et un sénateur.
« II. – Les missions, la composition, l’organisation et le fonctionnement du conseil sont précisés par décret.
« CHAPITRE II » (Division et intitulé supprimés)
Article 9
Le chapitre Ier du titre VI du livre III du code de la construction et de l’habitation est ainsi rédigé :
« CHAPITRE IER
« Conseil national de l’habitat
« Art. L. 361-1. – I. – Le Conseil national de l’habitat comprend parmi ses membres un député et un sénateur, et leurs suppléants.
« II. – Les missions, la composition, l’organisation et le fonctionnement du conseil sont précisés par décret. »
Article 10
Le titre III du livre Ier de la première partie du code de la défense est ainsi modifié :
1° Le chapitre unique devient le chapitre Ier ;
2° Il est ajouté un chapitre II ainsi rédigé :
« CHAPITRE II
« Institut des hautes études de défense nationale
« Art. L. 1132-1. – I. – L’Institut des hautes études de défense nationale est un établissement public de l’État à caractère administratif.
« Son conseil d’administration comprend parmi ses membres un député et un sénateur.
« II. – (Supprimé) ».
Article 11
Le chapitre IX du titre III du livre II de la première partie du code de l’éducation est ainsi modifié :
1° La section unique devient la section 1 ;
2° Est ajoutée une section 2 ainsi rédigée :
« Section 2
« L’Observatoire national de la sécurité et de l’accessibilité des établissements d’enseignement
« Art. L. 239-2. – I. – L’Observatoire national de la sécurité et de l’accessibilité des établissements d’enseignement comprend parmi ses membres titulaires un député et un sénateur ainsi que, pour chacun d’eux, un suppléant ayant la même qualité de député ou de sénateur.
« II. – Les missions, la composition, l’organisation et le fonctionnement de l’observatoire sont précisés par décret. »
Article 12
À la fin du septième alinéa de l’article 3 de la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l’électricité, les mots : « et nationaux » sont supprimés.
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Article 14
Le titre IV du livre Ier du code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° Au dernier alinéa de l’article 230-2, la première occurrence du mot : « à » est remplacée par les mots : « au I de » ;
2° L’article 230-45 est ainsi modifié :
a) Au début du premier alinéa, est ajoutée la mention : « I. – » ;
a bis) Au dernier alinéa, le mot : « article » est remplacé par la référence : « I » ;
b) Il est ajouté un II ainsi rédigé :
« II. – La plateforme nationale des interceptions judiciaires est placée sous le contrôle d’une personnalité qualifiée, assistée par un comité qui comprend parmi ses membres un député et un sénateur.
« Les missions, la composition, l’organisation et le fonctionnement du comité sont précisés par décret en Conseil d’État. »
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Article 19
(Supprimé)
Article 19 bis
Au chapitre III du titre II du livre Ier du code de la sécurité intérieure, il est ajouté un article L. 123-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 123-1. – I. – L’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice est un établissement public de l’État à caractère administratif.
« Son conseil d’administration comprend parmi ses membres un député et un sénateur.
« I bis. – L’institut comporte un Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales, dont le conseil d’orientation comprend deux députés et deux sénateurs.
« II. – (Supprimé) ».
Article 20
Au chapitre III du titre II du livre Ier du code de la sécurité intérieure, il est ajouté un article L. 123-2 ainsi rédigé :
« Art. L. 123-2. – I. – Le Conseil scientifique sur les processus de radicalisation comprend parmi ses membres un député et un sénateur.
« II. – Les missions, la composition, l’organisation et le fonctionnement du conseil sont précisés par décret. »
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Article 23
Le chapitre Ier du titre Ier du livre Ier de la première partie du code des transports est complété par un article L. 1111-7 ainsi rédigé :
« Art. L. 1111-7. – I. – Le Haut comité de la qualité de service dans les transports comprend parmi ses membres deux députés et deux sénateurs.
« II. – Les missions, la composition, l’organisation et le fonctionnement du haut comité sont précisés par décret. »
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Article 26
I. – (Supprimé)
II. – Le Comité consultatif du Fonds pour le développement de la vie associative est consulté chaque année sur les priorités de financement en matière de formations.
Il comprend parmi ses membres un député et un sénateur.
III. – Les missions, la composition, l’organisation et le fonctionnement du comité sont précisés par décret.
Article 27
I. – La Commission nationale des services comprend parmi ses membres un député et un sénateur.
II. – Les missions, la composition, l’organisation et le fonctionnement de la commission sont précisés par décret.
Article 28
Le livre III du code des relations entre le public et l’administration est complété par un titre V ainsi rédigé :
« TITRE V
« LA COMMISSION SUPÉRIEURE DE CODIFICATION
« CHAPITRE UNIQUE
« Missions et composition
« Art. L. 351-1. – I. – La Commission supérieure de codification comprend parmi ses membres un député et un sénateur.
« II. – Les missions, la composition, l’organisation et le fonctionnement de la commission sont précisés par décret. »
Article 29
I. – L’Institut des hautes études pour la science et la technologie est un établissement public de l’État à caractère administratif.
Son conseil d’administration comprend parmi ses membres un député et un sénateur.
II. – (Supprimé)
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Article 34 bis
I. – Le Conseil national des professions du spectacle comprend parmi ses membres un député et un sénateur.
II. – Les missions, la composition, l’organisation et le fonctionnement du conseil sont précisés par décret.
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Article 34 quater
Après la section 2 du chapitre Ier du titre II du livre II du code de l’environnement, est insérée une section 2 bis ainsi rédigée :
« Section 2 bis
« Conseil national de l’air
« Art. L. 221-6-1. – I. – Le Conseil national de l’air comprend parmi ses membres un député et un sénateur.
« II. – Les missions, la composition, l’organisation et le fonctionnement du conseil sont précisés par décret. »
Chapitre II
Des nominations dans les organismes créés par une loi antérieure
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Article 36
L’article 3 de la loi n° 55-1052 du 6 août 1955 portant statut des Terres australes et antarctiques françaises et de l’île de Clipperton est complété par une phrase ainsi rédigée : « Le conseil consultatif comprend parmi ses membres un député et un sénateur, ainsi que leurs suppléants. »
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Article 38
L’article 72 de la loi n° 2005-1579 du 19 décembre 2005 de financement de la sécurité sociale pour 2006 est ainsi modifié :
1° Au début du premier alinéa, est ajoutée la mention : « I. – » ;
2° Le dernier alinéa est ainsi rédigé :
« Il comprend parmi ses membres trois députés et trois sénateurs. » ;
3° Il est ajouté un II ainsi rédigé :
« II. – La composition, l’organisation et le fonctionnement du haut conseil sont précisés par décret. »
Article 39
L’article 7 de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire est ainsi modifié :
1° Au début du premier alinéa, est ajoutée la mention : « I. – » ;
2° Sont ajoutés deux alinéas ainsi rédigés :
« L’observatoire de la récidive et de la désistance comprend parmi ses membres un député et un sénateur.
« II. – Les missions, la composition, l’organisation et le fonctionnement de l’observatoire sont précisés par décret. »
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Article 40 bis
Après le premier alinéa de l’article 11 de la loi n° 2003-710 du 1er août 2003 d’orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Son conseil d’administration comprend également parmi ses membres un député et un sénateur. »
Article 41
L’article 63 de la loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire est ainsi modifié :
1° Le I est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Le Haut Conseil comprend parmi ses membres un député et un sénateur. » ;
2° Le II est ainsi rédigé :
« II. – La composition, l’organisation et le fonctionnement du Haut Conseil sont précisés par décret. »
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Article 43
Le deuxième alinéa de l’article L. 142-1 du code de l’action sociale et des familles est ainsi modifié :
1° Le mot : « des » est remplacé par le mot : « trois » ;
2° Est ajoutée une phrase ainsi rédigée : « Chacune des formations spécialisées comprend parmi ses membres un député et un sénateur. »
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Article 46
L’article L. 4261-1 du code de la défense est ainsi modifié :
1° Après le premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Il comprend parmi ses membres un député et un sénateur. » ;
2° Le second alinéa est ainsi modifié :
a) Le début est ainsi rédigé : « Les missions, la composition… (le reste sans changement). » ;
b) Le mot : « fixés » est remplacé par le mot : « précisés ».
Article 47
I. – Le troisième alinéa de l’article L. 232-1 du code de l’éducation est complété par une phrase ainsi rédigée : « Il comprend parmi ses membres un député et un sénateur, et leurs suppléants. »
II. – Les articles L. 261-1, L. 263-1 et L. 264-1 du code de l’éducation sont ainsi modifiés :
1° La référence : « L. 232-1 » est remplacée par la référence : « L. 232-2 » ;
2° Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« L’article L. 232-1 est applicable dans sa rédaction résultant de la loi n° … du … visant à garantir la présence des parlementaires dans certains organismes extérieurs au Parlement et à simplifier les modalités de leur nomination. »
Article 48
La première phrase de l’avant-dernier alinéa de l’article L. 239-1 du code de l’éducation est ainsi rédigée : « Il comprend notamment parmi ses membres un député, un sénateur, et leurs suppléants, ainsi que des représentants élus des personnels et des étudiants de ces établissements et des représentants des secteurs professionnels principalement concernés. »
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Article 50
Le chapitre II du titre IV du livre Ier du code de l’énergie est complété par une section 4 ainsi rédigée :
« Section 4
« Le Conseil supérieur de l’énergie
« Art. L. 142-41. – I. – Le Conseil supérieur de l’énergie comprend parmi ses membres trois députés et trois sénateurs.
« II. – Les missions, la composition, l’organisation et le fonctionnement du conseil sont précisés par décret. »
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Article 52 bis
Après la section 5 du chapitre III du titre Ier du livre II du code de l’environnement, est insérée une section 5 bis ainsi rédigée :
« Section 5 bis
« Comité national de l’initiative française pour les récifs coralliens
« Art. L. 213-20-1. – I. – Le Comité national de l’initiative française pour les récifs coralliens comprend parmi ses membres quatre députés et quatre sénateurs.
« II. – Les missions, la composition, l’organisation et le fonctionnement du comité sont précisés par décret. »
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Article 56
L’article L. 592-45 du code de l’environnement est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Le conseil d’administration de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire comprend parmi ses membres un député et un sénateur. »
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Article 57
(Pour coordination)
I. – L’article L. 614-1 du code monétaire et financier est ainsi modifié :
1° Après le troisième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Le comité comprend également parmi ses membres un député et un sénateur. » ;
2° Au quatrième alinéa, le mot : « fixées » est remplacé par le mot : « précisées ».
II. – La deuxième ligne du tableau constituant le second alinéa du I des articles L. 746-4, L. 756-4 et L. 766-4 du code monétaire et financier est ainsi rédigée :
« |
L. 614-1 |
Résultant de la loi n° … du … |
». |
Article 58
(Pour coordination)
I. – L’article L. 614-2 du code monétaire et financier est ainsi modifié :
1° Après le deuxième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Le comité comprend parmi ses membres un député et un sénateur. » ;
2° Au dernier alinéa, le mot : « fixées » est remplacé par le mot : « précisées ».
II. – La troisième ligne du tableau constituant le second alinéa du I des articles L. 746-4, L. 756-4 et L. 766-4 du code monétaire et financier est ainsi rédigée :
« |
L. 614-2 |
Résultant de la loi n° … du … |
». |
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Article 60
(Supprimé)
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Article 62
I. – La section 3 du chapitre III du titre II du livre VII du code de la sécurité intérieure est complétée par un article L. 723-21 ainsi rédigé :
« Art. L. 723-21. – I. – Le Conseil national des sapeurs-pompiers volontaires comprend parmi ses membres un député et un sénateur.
« II. – Les missions, la composition, l’organisation et le fonctionnement du conseil sont précisés par décret. »
II. – L’article 23 de la loi n° 2011-851 du 20 juillet 2011 relative à l’engagement des sapeurs-pompiers volontaires et à son cadre juridique est abrogé.
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Article 64
La section 2 du chapitre II du titre Ier du livre V de la première partie du code des transports est complétée par une sous-section 2 ainsi rédigée :
« Sous-section 2
« L’Agence de financement des infrastructures de transport de France
« Art. L. 1512-19. – I. – L’Agence de financement des infrastructures de transport de France est un établissement public national à caractère administratif doté de la personnalité morale et de l’autonomie financière.
« Son conseil d’administration comprend parmi ses membres un député et un sénateur.
« II. – Les missions, la composition, l’organisation et le fonctionnement de l’agence et de son conseil d’administration sont précisés par décret en Conseil d’État. »
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Article 65 bis
I. – Le code général des collectivités territoriales est ainsi modifié :
1° L’article L. 5211-43 est ainsi modifié :
a) Au début du premier alinéa, est ajoutée la mention : « I. – » ;
b) Il est ajouté un II ainsi rédigé :
« II. – Dès lors qu’ils ne sont pas membres de la commission départementale de la coopération intercommunale au titre d’un mandat local, sont associés aux travaux de la commission, sans voix délibérative :
« – l’ensemble des députés et des sénateurs élus dans le département, lorsque celui-ci compte moins de cinq parlementaires ;
« – deux députés et deux sénateurs élus dans le département, lorsque le département compte cinq parlementaires ou plus.
« Dans ce dernier cas, les autres parlementaires élus dans le département sont destinataires, avant toute réunion de la commission, d’un rapport explicatif pour chaque affaire inscrite à l’ordre du jour. » ;
2° Au premier alinéa du II de l’article L. 5832-3, après les mots : « l’application », sont insérés les mots : « du I » ;
3° Le III de l’article L. 5842-11 est ainsi modifié :
a) Au 1°, après les mots : « Au 1° », sont insérés les mots : « du I » ;
b) Au 2°, après les mots : « Au 2° », sont insérés les mots : « du même I » ;
c) Au 3°, après la référence : « 4° », sont insérés les mots : « dudit I » ;
d) Le 4° ainsi rédigé :
« 4° Le 5° du même I est abrogé et l’avant-dernier alinéa du même I est supprimé ; »
e) Il est ajouté un 5° ainsi rédigé :
« 5° Le II est ainsi rédigé :
« “II. – Dès lors qu’ils ne sont pas membres de la commission de la coopération intercommunale de la Polynésie française au titre d’un mandat local, les députés et les sénateurs élus en Polynésie française sont associés aux travaux de la commission, sans voix délibérative.” »
II. – (Supprimé)
Chapitre III
Précisions relatives aux modalités de désignation des parlementaires dans certains organismes
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Article 68
I. – Le premier alinéa de l’article L. 125 du code des postes et des communications électroniques est ainsi modifié :
1° À la première phrase, les mots : « , désignés par leurs assemblées respectives, » sont supprimés ;
2° À la deuxième phrase, les mots : « par un parlementaire » sont remplacés par les mots : « alternativement par un député et un sénateur ».
II. – L’assemblée parlementaire à laquelle a appartenu ou appartient le dernier président désigné de la Commission supérieure du numérique et des postes au moment de l’entrée en vigueur de la présente loi est prise en compte pour l’application du I du présent article.
Article 69
I. – Le titre IV du livre Ier du code de l’action sociale et des familles est ainsi modifié :
1° À la première phrase du dernier alinéa de l’article L. 143-1, les mots : « des représentants des assemblées parlementaires, » sont remplacés par les mots : « un député et un sénateur ainsi que des représentants » ;
2° À l’avant-dernier alinéa de l’article L. 146-1, les mots : « des représentants des assemblées parlementaires, » sont remplacés par les mots : « un député et un sénateur, des représentants » ;
3° Le 5° du II de l’article L. 14-10-3 est ainsi rédigé :
« 5° D’un député et d’un sénateur ; ».
II. – Le 1° de l’article L. 112-1 du code du cinéma et de l’image animée est ainsi rédigé :
« 1° D’un député et d’un sénateur désignés par la commission permanente chargée des affaires culturelles de leur assemblée respective ; ».
III. – Le code de la construction et de l’habitation est ainsi modifié :
1° Au troisième alinéa de l’article L. 142-1, les mots : « des membres du Parlement » sont remplacés par les mots : « un député et un sénateur » ;
1° bis Au début du 2° du I de l’article L. 321-1, les mots : « De parlementaires » sont remplacés par les mots : « D’un député et d’un sénateur » ;
2° Après le mot : « groupements », la fin de la seconde phrase du second alinéa du III de l’article L. 435-1 est ainsi rédigée : « ainsi que d’un député et d’un sénateur. »
IV. – Au premier alinéa de l’article L. 452-6 du code de l’éducation, les mots : « et deux parlementaires désignés respectivement par l’Assemblée nationale et le Sénat » sont remplacés par les mots : « , deux députés et deux sénateurs ».
V. – Le code de l’environnement est ainsi modifié :
1° Le 2° de l’article L. 131-4 est ainsi rédigé :
« 2° D’un député et d’un sénateur ; »
2° À l’article L. 322-11, les mots : « membres du Parlement » sont remplacés par les mots : « trois députés et trois sénateurs et de leurs suppléants » ;
3° Au second alinéa de l’article L. 341-17, les mots : « députés et de sénateurs désignés par chacune des assemblées » sont remplacés par les mots : « deux députés et de deux sénateurs ».
VI. – Au deuxième alinéa de l’article L. 113-1 du code forestier, les mots : « membres du Parlement » sont remplacés par les mots : « deux députés et deux sénateurs ».
VII. – L’article L. 611-1 du code du patrimoine est ainsi modifié :
1° Au cinquième alinéa, les mots : « des personnes titulaires d’un mandat électif national » sont remplacés par les mots : « un député et un sénateur et leurs suppléants » ;
2° À la première phrase de l’avant-dernier alinéa, les mots : « titulaires d’un mandat électif national » sont remplacés par le mot : « parlementaires ».
VIII. – Au deuxième alinéa de l’article L. 621-5 du code rural et de la pêche maritime, les mots : « des représentants du Parlement, » sont remplacés par les mots : « un député et un sénateur, des représentants ».
IX. – À la deuxième phrase du premier alinéa du I de l’article L. 1114-1 du code de la santé publique, les mots : « des représentants de l’Assemblée nationale et du Sénat et » sont remplacés par les mots : « un député et un sénateur et leurs suppléants ainsi que ».
X. – Le code de la sécurité sociale est ainsi modifié :
1° Au troisième alinéa de l’article L. 114-1, les mots : « des représentants des assemblées parlementaires, » sont remplacés par les mots : « quatre députés et quatre sénateurs, des représentants » ;
2° À la première phrase du dixième alinéa de l’article L. 114-2, les mots : « représentants des assemblées parlementaires, » sont remplacés par les mots : « quatre députés et quatre sénateurs, de représentants » ;
3° À la seconde phrase du deuxième alinéa de l’article L. 135-1, les mots : « membres du Parlement » sont remplacés par les mots : « deux députés et deux sénateurs » ;
4° Au deuxième alinéa de l’article L. 135-8, les mots : « membres du Parlement » sont remplacés par les mots : « deux députés et deux sénateurs » ;
5° À la deuxième phrase du deuxième alinéa de l’article L. 862-1, les mots : « des membres du Parlement » sont remplacés par les mots : « trois députés et trois sénateurs ».
XI. – Après le mot : « qualifiées, », la fin du premier alinéa de l’article L. 1512-8 du code des transports est ainsi rédigée : « deux députés et deux sénateurs. »
XII. – (Supprimé)
XIII. – L’article 1er bis de la loi n° 51-711 du 7 juin 1951 sur l’obligation, la coordination et le secret en matière de statistiques est ainsi modifié :
1° A Le I est complété par une phrase ainsi rédigée : « Il comprend parmi ses membres un député et un sénateur. » ;
1° À la première phrase du II, les mots : « du Parlement et » sont supprimés ;
2° (Supprimé)
XIV. – Au deuxième alinéa de l’article 4 de la loi n° 75-1 du 3 janvier 1975 portant création du centre national d’art et de culture Georges Pompidou, les mots : « des parlementaires » sont remplacés par les mots : « deux députés et deux sénateurs ».
XV. – Le premier alinéa de l’article 43 de la loi n° 86-2 du 3 janvier 1986 relative à l’aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral est ainsi modifié :
1° À la troisième phrase, le mot : « fixés » est remplacé par le mot : « précisés » ;
2° À la dernière phrase, après le mot : « Parlement », sont insérés les mots : « , à raison de deux députés et deux sénateurs, dont un député et un sénateur élus dans les collectivités mentionnées à l’article 72-3 de la Constitution, ainsi qu’un représentant au Parlement européen élu en France ».
XVI. – Le titre III de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication est ainsi modifié :
1° Le 1° de l’article 47-1 est ainsi rédigé :
« 1° Un député et un sénateur désignés par la commission permanente chargée des affaires culturelles de leur assemblée respective ; »
2° Le 1° de l’article 47-2 est ainsi rédigé :
« 1° Un député et un sénateur désignés par la commission permanente chargée des affaires culturelles de leur assemblée respective ; »
3° Le 1° de l’article 47-3 est ainsi rédigé :
« 1° Un député et un sénateur désignés par la commission permanente chargée des affaires culturelles de leur assemblée respective ; »
4° Le 1° de l’article 50 est ainsi rédigé :
« 1° Un député et un sénateur ; ».
XVII. – Au II de l’article 3 de l’ordonnance n° 96-50 du 24 janvier 1996 relative au remboursement de la dette sociale, les mots : « des membres du Parlement » sont remplacés par les mots : « deux députés, deux sénateurs ».
XVIII. – Au deuxième alinéa de l’article 72 de la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes, les mots : « de deux représentants du Parlement » sont remplacés par les mots : « d’un député et d’un sénateur ».
XIX. – L’article 44 de la loi n° 2004-811 du 13 août 2004 de modernisation de la sécurité civile est ainsi modifié :
1° Au premier alinéa, les mots : « de membres des assemblées parlementaires » sont remplacés par les mots : « d’un député et d’un sénateur » ;
2° Au dernier alinéa, le mot : « fixées » est remplacé par le mot : « précisées ».
XX. – Après le mot : « parlementaires, », la fin de la première phrase du deuxième alinéa de l’article 74 de la loi n° 2009-594 du 27 mai 2009 pour le développement économique des outre-mer est ainsi rédigée : « à raison de dix députés et de dix sénateurs ainsi que de leurs suppléants. »
XXI. – Le titre Ier de la loi n° 2010-873 du 27 juillet 2010 relative à l’action extérieure de l’État est ainsi modifié :
1° Après le II de l’article 6, il est inséré un II bis ainsi rédigé :
« II bis. – Le conseil d’administration de Campus France comprend deux députés et deux sénateurs désignés par la commission permanente chargée des affaires étrangères de leur assemblée respective. » ;
2° L’article 9 est complété par un V ainsi rédigé :
« V. – Le conseil d’administration de l’Institut français comprend deux députés et deux sénateurs désignés par la commission permanente chargée des affaires étrangères de leur assemblée respective. » ;
3° Le premier alinéa de l’article 10 est ainsi modifié :
a) À la seconde phrase, les mots : « notamment des représentants de l’Assemblée nationale et du Sénat, » sont remplacés par les mots : « parmi lesquelles des représentants » ;
b) Est ajoutée une phrase ainsi rédigée : « Le conseil d’orientation stratégique comprend également un député et un sénateur désignés par la commission permanente chargée des affaires culturelles de leur assemblée respective. » ;
4° L’article 12 est ainsi modifié :
a) Le III est abrogé ;
b) Le VI est ainsi rédigé :
« VI. – Le conseil d’administration de l’Agence française d’expertise technique internationale comprend parmi ses membres deux députés et deux sénateurs désignés par la commission permanente chargée des affaires étrangères de leur assemblée respective. Son président est nommé par décret, pour une durée de trois ans renouvelable, sur proposition du ministre des affaires étrangères et du ministre chargé de l’économie. » ;
c) Le VIII est abrogé ;
5° (Supprimé)
XXI bis. – La section 4 du chapitre V du titre Ier du livre V du code monétaire et financier est ainsi rétablie :
« Section 4
« Agence française de développement
« Art. L. 515-13. – I. – L’Agence française de développement exerce une mission permanente d’intérêt public au sens de l’article L. 511-104.
« II. – L’agence est un établissement public de l’État à caractère industriel et commercial.
« Le conseil d’administration de l’agence comprend parmi ses membres deux députés et deux sénateurs.
« III. – Un décret précise les modalités d’application du présent article. »
XXII. – Au premier alinéa de l’article 5 de la loi n° 2013-316 du 16 avril 2013 relative à l’indépendance de l’expertise en matière de santé et d’environnement et à la protection des lanceurs d’alerte, les mots : « des députés et des sénateurs » sont remplacés par les mots : « deux députés et deux sénateurs ».
XXIII. – À la dernière phrase du premier alinéa du 1 du I de l’article 92 de la loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013 de finances pour 2014, les mots : « de parlementaires désignés par les commissions permanentes de l’Assemblée nationale et du Sénat chargées des finances » sont remplacés par les mots : « d’un député et d’un sénateur désignés par la commission permanente chargée des finances de leur assemblée respective ».
XXIV. – Le début du 1° du VI de l’article 4 de la loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire est ainsi rédigé : « 1° Un député et un sénateur ainsi que des représentants désignés par le Conseil… (le reste sans changement). »
XXV. – Le 8° du I de l’article 3 de la loi n° 2016-231 du 29 février 2016 d’expérimentation territoriale visant à résorber le chômage de longue durée est ainsi rédigé :
« 8° Un député et un sénateur ; ».
XXVI. – À la première phrase du III de l’article 113 de la loi n° 2017-256 du 28 février 2017 de programmation relative à l’égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique, les mots : « pour moitié de parlementaires et pour moitié de » sont remplacés par les mots : « de trois députés et trois sénateurs ainsi que de six ».
Article 69 bis
I. – Le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est ainsi modifié :
1° Après le mot : « sénateurs », la fin du dernier alinéa du II de l’article L. 111-11 est supprimée ;
2° Le premier alinéa de l’article L. 722-1 est remplacé par cinq alinéas ainsi rédigés :
« L’office est administré par un conseil d’administration comprenant :
« – deux députés et deux sénateurs ;
« – deux représentants de la France au Parlement européen, une femme et un homme, désignés par décret ;
« – des représentants de l’État ;
« – et un représentant du personnel de l’office. »
II. – Après le mot : « sénateur », la fin du deuxième alinéa du 2° du I de l’article L. 1412-2 du code de la santé publique est supprimée.
III. – Le 1° bis de l’article L. 5223-3 du code du travail est ainsi rédigé :
« 1° bis D’un député et d’un sénateur ; ».
IV. – À la deuxième phrase de l’article L. 321-39 du code de l’urbanisme, les mots : « désignés par leur assemblée respective » sont supprimés.
V. – Le code de l’environnement est ainsi modifié :
1° Au 1° du I de l’article L. 125-37, les mots : « désignés par l’Assemblée nationale » et, à la fin, les mots : « désignés par le Sénat » sont supprimés ;
2° Au deuxième alinéa de l’article L. 542-13, les mots : « désignés par leur assemblée respective » sont supprimés.
VI. – Le II de l’article L. 1212-1 du code général des collectivités territoriales est ainsi modifié :
1° À la fin du 1°, les mots : « désignés par l’Assemblée nationale » sont supprimés ;
2° À la fin du 2°, les mots : « désignés par le Sénat » sont supprimés.
VII. – Au premier alinéa de l’article L. 115-2 du code du patrimoine, les mots : « nommés par leur assemblée respective » sont supprimés.
VIII. – La seconde phrase du deuxième alinéa de l’article L. 682-1 du code rural et de la pêche maritime est ainsi rédigée : « Deux députés et deux sénateurs siègent au comité de pilotage de l’observatoire. »
IX. – Après le mot : « sénateurs », la fin du 1° du I de l’article 13 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés est supprimée.
X. – À la seconde phrase du premier alinéa du V de l’article 8 de la loi n° 2010-597 du 3 juin 2010 relative au Grand Paris, les mots : « désignés par leur assemblée respective » sont supprimés.
XI. – À la seconde phrase du premier alinéa de l’article 3 et au deuxième alinéa de l’article 4 de l’ordonnance n° 2016-489 du 21 avril 2016 relative à la Société du Canal Seine-Nord Europe, les mots : « désignés par leur assemblée respective » sont supprimés.
TITRE III
Suppression d’organismes extraparlementaires
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Article 72
Les articles 43, 74 et 75 de la loi n° 2009-258 du 5 mars 2009 relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision sont abrogés.
Article 72 bis
L’article 88 de la loi n° 2013-595 du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République est abrogé.
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Article 74 bis
Au premier alinéa de l’article L. 142-5 du code de la construction et de l’habitation, les mots : « de parlementaires » sont remplacés par les mots : « d’un député et d’un sénateur ».
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Article 76
À la fin du a de l’article L. 430-1 du code du patrimoine, les mots : « désignés par leur assemblée respective » sont supprimés.
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Article 77 bis
Le chapitre Ier du titre VI du livre III de la sixième partie du code des transports est ainsi modifié :
1° La première phrase du quinzième alinéa de l’article L. 6361-1 est complétée par les mots : « à l’issue de chaque renouvellement triennal » ;
2° L’article L. 6361-11 est complété par une phrase ainsi rédigée : « Il ne peut être mis fin aux fonctions de chacun d’entre eux qu’après recueil de l’avis du collège. » ;
3° La dernière phrase du dernier alinéa de l’article L. 6361-13 est supprimée ;
4° L’article L. 6361-14 est ainsi rédigé :
« Art. L. 6361-14. – Les fonctionnaires et agents mentionnés à l’article L. 6142-1 constatent les manquements aux mesures définies à l’article L. 6361-12. Ces manquements font l’objet de procès-verbaux qui, ainsi que le montant de l’amende encourue, sont notifiés à la personne concernée et communiqués à l’autorité. Les procès-verbaux font foi jusqu’à preuve contraire.
« Aucune poursuite ne peut être engagée plus de deux ans après la commission des faits constitutifs d’un manquement.
« L’instruction et la procédure devant l’autorité sont contradictoires.
« L’instruction est assurée par des fonctionnaires et agents mentionnés à l’article L. 6142-1 autres que ceux qui ont constaté le manquement, qui peuvent entendre toutes personnes susceptibles de contribuer à l’information et se faire communiquer tous documents nécessaires.
« Après s’être assuré que le dossier d’instruction est complet, le rapporteur permanent le notifie à la personne concernée et l’invite à présenter ses observations écrites dans un délai d’un mois, par tout moyen, y compris par voie électronique. À l’issue de cette procédure contradictoire, le rapporteur permanent clôt l’instruction et peut soit classer sans suite le dossier si est vérifié au moins un des cas limitativement énumérés par décret en Conseil d’État, soit transmettre le dossier complet d’instruction à l’autorité. Cette décision est notifiée à la personne concernée.
« L’autorité convoque la personne concernée et la met en mesure de se présenter devant elle, ou de se faire représenter, un mois au moins avant la délibération. Elle délibère valablement dans le cas où la personne concernée néglige de comparaître ou de se faire représenter.
« Dans l’exercice de ses fonctions, le rapporteur ne peut recevoir de consignes ou d’ordres. Devant le collège de l’autorité, il a pour mission d’exposer les questions que présente à juger chaque dossier et de faire connaître, en formulant en toute indépendance ses conclusions, son appréciation, qui doit être impartiale, sur les circonstances de fait de l’espèce et les règles de droit applicables, ainsi que son opinion sur la solution à apporter.
« Après avoir entendu le rapporteur et, le cas échéant, la personne concernée ou son représentant, l’autorité délibère hors de leur présence.
« Les membres associés participent à la séance. Ils ne participent pas aux délibérations et ne prennent pas part au vote. »
TITRE IV
DISPOSITIONS TRANSITOIRES ET FINALES
Article 78
I. – L’article 1er s’applique :
1° Aux nominations de députés au sein d’un organisme extérieur au Parlement effectuées à compter du premier renouvellement général de l’Assemblée nationale qui suit la publication de la présente loi ;
2° Aux nominations de sénateurs au sein d’un organisme extérieur au Parlement effectuées à compter du premier renouvellement partiel du Sénat qui suit la publication de la présente loi.
II. – L’article 12 et le titre III entrent en vigueur le 1er juillet 2022, à l’exception des articles 74 bis, 76 et 77 bis qui entrent en vigueur au lendemain de la publication de la présente loi.
M. le président. Sur les articles du texte élaboré par la commission mixte paritaire, je ne suis saisi d’aucun amendement.
Quelqu’un demande-t-il la parole sur l’un de ces articles ?…
Le vote est réservé.
Vote sur l’ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, je donne la parole à M. le rapporteur.
M. Loïc Hervé, rapporteur. Je voudrais tout d’abord remercier le Gouvernement d’avoir attiré l’attention des préfets sur la nécessité de faire en sorte que les parlementaires puissent participer effectivement aux réunions les plus importantes organisées par l’État dans les départements et jouer ainsi leur rôle d’acteurs locaux. Le ministre d’État, ministre de l’intérieur leur a adressé une lettre en ce sens, de même que le président du Sénat. Je sais que vous-même, monsieur le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement, êtes très sensible à cette question très importante. Ce texte a souvent permis un échange entre les parlementaires et les représentants de l’État dans les territoires.
Par ailleurs, je vous invite à la vigilance, mes chers collègues, lorsque l’on vous proposera de créer de nouveaux organismes où seront appelés à siéger des parlementaires. Nous avons voulu, voilà quelque temps, créer un Conseil national consultatif des cultes où auraient siégé deux députés et deux sénateurs. Pour ma part, je m’y suis opposé résolument. Il peut être légitime de vouloir créer un nouvel organisme, mais gardons-nous de multiplier les comités Théodule. Il y va du bon fonctionnement du Parlement, a fortiori si la réduction du nombre de parlementaires est finalement décidée. Pour siéger à la CNIL tous les jeudis matins, je puis vous assurer que c’est assez astreignant.
Je remercie l’ensemble des orateurs et me réjouis que le vote de cette proposition de loi se présente sous les meilleurs auspices.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…
Conformément à l’article 42, alinéa 12, du règlement, je mets aux voix, dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, l’ensemble de la proposition de loi visant à garantir la présence des parlementaires dans certains organismes extérieurs au Parlement et à simplifier les modalités de leur nomination.
(La proposition de loi est adoptée définitivement.)
M. le président. Mes chers collègues, l’ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à treize heures vingt-cinq, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. Thani Mohamed Soilihi.)
PRÉSIDENCE DE M. Thani Mohamed Soilihi
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
5
Lutte contre les rodéos motorisés
Adoption définitive en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, renforçant la lutte contre les rodéos motorisés (proposition n° 641, texte de la commission n° 674, rapport n° 673).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d’État, ministre de l’intérieur. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le texte que nous allons étudier ensemble est un modèle de coproduction législative, dans l’élaboration duquel chacun des acteurs a joué pleinement son rôle : à l’Assemblée nationale, les groupes LaREM, Modem et Les Républicains, au Sénat, M. Delahaye, Mme la rapporteur Eustache-Brinio et le président Bas, ont fait en sorte que soit apportée, au travers de ce texte, une réponse rapide à un fléau qui empoisonne la vie de nos concitoyens.
Les rodéos motorisés se déroulent désormais sur l’ensemble de notre territoire, faisant fi de la préservation de l’espace public, de la sécurité de nos concitoyens, de la tranquillité de nos quartiers. Leurs acteurs vont parfois jusqu’à provoquer nos forces de l’ordre.
En effet, cantonné d’abord aux zones périurbaines, ce phénomène touche maintenant tout le territoire et n’épargne plus nos villes, petites et moyennes, ni nos villages dans les territoires ruraux.
J’ai déjà eu l’occasion de le dire, l’année passée, près de 9 000 faits de ce type ont été constatés par nos forces de police et près de 7 000 par nos forces de gendarmerie.
Il était donc urgent d’unir nos efforts pour faire cesser dans les plus brefs délais cet état de fait qui, avec les beaux jours, ne fait qu’empirer.
C’est, semble-t-il, animée de cette volonté que la commission des lois du Sénat, qui s’est réunie mercredi dernier, a adopté sans modification la proposition de loi renforçant la lutte contre les rodéos motorisés. Je tiens à l’en remercier et à saluer le travail de Mme la rapporteur, qui a permis d’atteindre ce résultat.
Ce vote conforme en commission manifeste le large consensus qui domine depuis le début des travaux parlementaires. En effet, sans faire la genèse complète de ce texte, je me dois d’insister sur le rôle des sénateurs qui, par la voix de Vincent Delahaye, ont saisi le ministère de ce sujet afin de travailler avec lui, en amont des discussions parlementaires.
Je souhaite également insister sur le rôle des députés, notamment des groupes LaREM, Modem et Les Républicains, qui, autour de Natalia Pouzyreff, Bruno Studer, Mireille Clapot, Naïma Moutchou, Jean-Noël Barrot, Aude Luquet et Robin Reda, ont œuvré de concert avec mes services.
M. Jean-Pierre Sueur. C’est un vrai palmarès !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Quand les gens travaillent efficacement, je les cite ! Tout cela a été très anticipé.
Le ministère de l’intérieur, mais aussi le ministère de la justice, ont beaucoup travaillé sur ce sujet. Mme la garde des sceaux y a été très attentive.
Par le passé, nombre de propositions de loi sur cette thématique n’ont pas abouti, pour des raisons diverses, sans doute techniques, tant il était difficile de trouver des rédactions ne prêtant pas à confusion, suffisamment explicites et d’une grande rigueur d’un point de vue juridique.
C’est pourquoi il est important de souligner que le texte que vous examinez aujourd’hui, résultat d’une collaboration constructive, représente à l’heure actuelle une réponse solide et viable pour mettre un terme à ces rodéos, car elle offre un cadre légal adapté et dissuasif.
Ce cadre comprend une définition du délit de rodéo motorisé et prévoit des peines significatives. En effet, la peine initiale encourue est d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende, ce qui permet le placement en garde à vue du mis en cause et son éventuelle comparution immédiate devant l’autorité judiciaire.
Les discussions à l’Assemblée nationale ont conduit à l’ajout de deux situations d’aggravation : la conduite sous l’emprise de produits stupéfiants ou d’un état alcoolique ou sans être titulaire d’un permis de conduire.
L’incitation ou l’organisation de manifestations, notamment via les réseaux sociaux, au cours desquelles sont constatés des rodéos motorisés sont également réprimées par ce texte.
Surtout, la proposition de loi prévoit la confiscation obligatoire par le juge du véhicule ayant servi à commettre l’infraction. Une telle mesure sera d’autant plus efficace si elle est précédée d’une immobilisation administrative, c’est-à-dire d’une mise en fourrière.
Enfin, les travaux de l’Assemblée nationale ont permis d’ajouter des dispositions spécifiques pour nos départements et territoires d’outre-mer, qui, comme la métropole, se trouvent confrontés à ce phénomène, avec parfois une particulière acuité.
Toutes ces dispositions apportent des réponses complémentaires, mais ne sauraient suffire. En effet, lors de nos échanges, vous avez insisté pour que ce texte s’accompagne de directives précises à l’adresse des services de police et de gendarmerie.
Je vous confirme donc aujourd’hui que mon cabinet et mes services sont déjà à l’œuvre pour que, dès l’adoption, que j’espère conforme, de ce texte, des directives et circulaires soient immédiatement adressées aux préfets de département.
Il leur sera notamment demandé de mettre en place une stratégie locale avec des actions coordonnées en lien avec les directeurs territoriaux et départementaux de la sécurité publique et les commandants de groupement de la gendarmerie départementale.
Pour que chacun comprenne que c’est le Gouvernement tout entier qui est à la tâche pour mettre un terme à ces agissements, je vous informe que ma collègue garde des sceaux fera de même et adressera dans les plus brefs délais une circulaire aux procureurs de la République, pour que police et justice œuvrent main dans la main.
Le Gouvernement accompagnera aussi cette proposition de loi en matière réglementaire. Il veillera ainsi à améliorer dans les meilleurs délais l’efficacité du fichier de déclaration d’identification de certains engins motorisés, le fichier DICEM. Dix ans après sa création, un renforcement de ses dispositions est nécessaire en vue d’en améliorer l’efficacité en matière de lutte contre les rodéos, avec notamment un meilleur traçage de la provenance du véhicule.
D’autres pistes sont à l’étude, comme exiger la présentation d’une licence sportive ou d’une attestation professionnelle lors de l’achat de véhicules non réceptionnés, c’est-à-dire non conformes aux formalités administratives, afin d’en éviter la prolifération, ou encore autoriser les polices municipales à accéder directement au fichier DICEM, sans intervention de policiers ou de gendarmes.
Je tiens enfin à préciser que l’avancée pénale que représente cette proposition de loi figurera parmi les priorités d’action de la police de sécurité du quotidien, dont l’un des principes fondamentaux est la coopération avec tous les acteurs locaux.
En effet, s’il me paraît essentiel de travailler en lien avec les procureurs de la République, une solution efficace sur le terrain ne saurait se passer de la contribution de nos maires et élus locaux, souvent bien informés et concernés au premier chef par ces rodéos, qui mettent à mal la paix et la tranquillité de leurs administrés. C’est pourquoi ils seront intégrés dans les stratégies locales de sécurité et pourront améliorer les synergies, notamment avec les policiers municipaux, souvent déjà très engagés sur le sujet. Ils pourront également contribuer à optimiser le recours aux dispositifs de vidéoprotection, afin de faciliter l’identification des auteurs et d’accroître ainsi la réponse pénale.
Toutefois, je dois le dire, ces initiatives opérationnelles ne seront efficaces que si elles sont complétées par des mesures d’éducation et de prévention, qui devront être conduites avec l’ensemble des acteurs associatifs et des partenaires locaux. Je pense notamment à des aménagements urbains, à la mise en place d’une signalisation dissuasive et, surtout, à des actions de sensibilisation en direction des plus jeunes.
Enfin, je souhaite évoquer la condition sine qua non de la réussite de toute politique publique de sécurité, à savoir la mobilisation de moyens suffisants. C’est une priorité de ce quinquennat portée par le ministre d’État, ministre de l’intérieur, et un engagement de campagne du Président de la République.
C’est pourquoi la lutte contre les rodéos motorisés s’inscrira pleinement, je l’ai dit, dans les missions de la police de sécurité du quotidien, dont la mise en place se traduit par un renforcement des moyens mis à la disposition des forces de l’ordre.
Ainsi, 10 000 postes seront créés, durant le quinquennat, dans la police et dans la gendarmerie. Les moyens matériels seront accrus, avec une enveloppe annuelle de l’ordre de 250 millions d’euros allouée au renouvellement et à la montée en gamme des équipements. Les moyens numériques seront également augmentés, avec notamment l’acquisition de caméras mobiles et un objectif de 110 000 tablettes déployées d’ici à 2019, qui permettront aux policiers et gendarmes d’accéder à tous les fichiers. Ils gagneront ainsi un temps précieux qu’ils pourront consacrer à l’enquête ou à la présence sur le terrain.
J’ajoute, pour conclure, que le projet de loi visant à une simplification de la procédure pénale, tant attendue par nos forces de l’ordre, sera présenté au Parlement à l’automne, afin que policiers et gendarmes puissent se consacrer à leur cœur de métier, à savoir la présence sur le terrain, au plus près de nos concitoyens.
Vous l’aurez compris, le Gouvernement ne peut que soutenir cette proposition de loi. Il engagera tous les moyens en son pouvoir pour que, partout sur notre territoire, la tranquillité puisse être restaurée et l’État de droit respecté. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Jean-Pierre Sueur applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, chers collègues, nous sommes saisis aujourd’hui d’une proposition de loi visant à renforcer la lutte contre les rodéos motorisés, qui a été déposée par M. Richard Ferrand et plusieurs députés en mai dernier et adoptée par l’Assemblée nationale en première lecture le 4 juillet dernier.
Une proposition de loi comportant des dispositions quasiment identiques avait été déposée parallèlement au Sénat par notre collègue Vincent Delahaye et des sénateurs issus de plusieurs groupes politiques de notre assemblée, ce qui est symbolique du large consensus existant sur cette question.
Je ne doute d’ailleurs pas que nous réussirons aujourd’hui, comme cela a été le cas en commission la semaine dernière, à trouver un accord sur cette problématique, qui constitue un enjeu important à la fois d’ordre public et de qualité de vie pour certains de nos concitoyens.
Les rodéos motorisés constituent en effet, depuis quelques années, un véritable fléau dans certains quartiers. Outre la nuisance sonore importante qu’ils génèrent pour les riverains, les rodéos constituent l’une des formes les plus nuisibles et les plus dangereuses de la délinquance routière. Plusieurs faits dramatiques l’ont malheureusement démontré. En cet instant, j’ai une pensée pour une petite fille prénommée Élisa.
Le phénomène n’est pas isolé. Il connaît même une progression inquiétante depuis quelques années. Alors que les rodéos se pratiquaient à l’origine surtout dans les zones urbaines, le phénomène s’étend de plus en plus aux périphéries des villes, ainsi qu’aux zones rurales, pour l’heure dans une moindre mesure.
Selon les données qui m’ont été communiquées, 8 700 rodéos ont été constatés par les forces de police sur le territoire national au cours de l’année 2017. En zone gendarmerie, 6 614 interventions pour des rodéos motorisés ont été réalisées en 2017, contre 5 335 en 2016, soit une augmentation de près de 24 % en un an !
Pour lutter contre ce phénomène en pleine expansion, notre arsenal législatif se révèle, dans la pratique, bien pauvre. Il serait erroné de dire que rien n’existe, mais les outils dont nous disposons actuellement sont soit difficiles à mettre en œuvre, soit insuffisamment dissuasifs.
Il est ainsi possible de retenir à l’encontre des auteurs de rodéos la mise en danger de la vie d’autrui. Ce délit, qui est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende, demeure toutefois extrêmement malaisé à mettre en œuvre dans la pratique.
Il est difficile à caractériser pour les forces de l’ordre, qui peinent à prouver l’existence d’un risque réel et immédiat pour la sécurité d’autrui. Un juge reconnaîtrait-il l’existence d’un risque qualifié pour autrui s’agissant de runs organisés de nuit, sur un parking, alors qu’aucun piéton ne circulait sur la voie publique ? C’est peu probable. Or de telles pratiques n’en sont pas moins dangereuses et source d’importantes nuisances.
Les auteurs des rodéos sont donc, dans la majeure partie des cas, punis par de simples contraventions, par exemple pour absence de casque ou circulation à vitesse excessive. Mais ces sanctions sont peu dissuasives et ne permettent pas de sanctionner les comportements à la hauteur du risque qu’ils engendrent.
Ces raisons ont conduit plusieurs de nos collègues députés et sénateurs à déposer, au cours des dernières années, des propositions de loi visant à renforcer les outils juridiques de lutte contre les rodéos. Aucune n’a toutefois abouti à ce jour, malgré les fortes attentes des élus locaux, en particulier des maires, qui sont, chaque jour, confrontés à ces comportements très dangereux.
Dans la continuité de ces initiatives, la proposition de loi dont nous sommes saisis vise à apporter une réponse spécifique et efficace à la problématique des rodéos motorisés.
Le dispositif prévu s’articule, comme vous l’avez rappelé madame la ministre, en trois volets.
En premier lieu, la proposition de loi crée un délit spécifique de participation aux rodéos motorisés. Ce délit serait sanctionné d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende, peines pouvant être portées à cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende, en cas de cumul de circonstances aggravantes.
La création d’un délit autonome présente un intérêt réel : cela permettra en effet de réprimer de façon expresse la participation aux rodéos, tout en prévoyant des peines très dissuasives.
Le fait de réprimer les rodéos en matière correctionnelle permettra en outre aux forces de l’ordre de bénéficier de nouveaux outils d’enquête et de placer les individus interpellés en garde à vue.
En deuxième lieu, le texte vise à mieux réprimer l’organisation et la promotion des rodéos motorisés – les réseaux sociaux jouent un rôle en la matière –, ainsi que l’incitation directe à y participer, qui seraient punies de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende. Il s’agit de prévenir l’organisation des rodéos motorisés.
En dernier lieu, plusieurs peines complémentaires seraient encourues par les auteurs du délit de participation à un rodéo. Je souhaiterais souligner l’intérêt que présente, à cet égard, la confiscation obligatoire du véhicule, à laquelle le juge pourra certes déroger, mais uniquement par une décision motivée : il s’agit d’un véritable levier de la lutte contre la récidive.
Lors de l’examen de la proposition de loi en commission, le 18 juillet, un très large accord s’est dégagé entre les commissaires, tous groupes politiques confondus, sur la nécessité d’apporter une réponse rapide à ce fléau. Les délits prévus pour renforcer la répression à l’encontre des individus organisant des rodéos ou y participant paraissent facilement caractérisables, ce qui est une garantie de l’opérationnalité et de l’efficacité du dispositif.
Le seul débat qui s’est tenu sur ce texte a porté sur le niveau des peines encourues ; certains de mes collègues y reviendront peut-être. Il ne fait aucun doute que les peines prévues par la proposition de loi sont élevées. La gravité des faits et le danger représenté par les rodéos pour nos concitoyens sont toutefois apparus de nature à justifier pleinement l’application de peines lourdes, comme c’est d’ailleurs le cas pour d’autres infractions au code de la route.
Qui plus est, je rappelle qu’il reviendra au juge d’appliquer avec discernement, au cas par cas, ces dispositions législatives et d’adapter les peines aux circonstances de l’infraction.
C’est pourquoi la commission des lois, soucieuse de permettre une entrée en vigueur rapide de ces dispositions, a adopté la proposition de loi sans y apporter de modification.
Il serait toutefois naïf de croire que cette évolution législative, bien qu’indispensable, sera suffisante pour éradiquer le phénomène. Les forces de l’ordre rencontrent en effet des difficultés pour interpeller les individus, qui prennent généralement la fuite dans des conditions particulièrement dangereuses. Il m’a d’ailleurs été rapporté que les policiers et les gendarmes avaient jusqu’à présent pour consigne de ne pas poursuivre les individus en fuite, pour des raisons de sécurité.
M. Philippe Dallier. Eh oui !
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteur. Or, sans interpellation, l’action du législateur restera lettre morte. C’est pourquoi cette proposition de loi devra être accompagnée – je me tourne vers vous, madame la ministre – d’’une véritable réflexion sur les moyens de renforcer l’interpellation des individus concernés. Je pense notamment au recours à la vidéoprotection, qui permet d’interpeller a posteriori les individus participant à un rodéo, ou encore à la modernisation des équipements mis à la disposition des forces de l’ordre.
Plusieurs autres mesures relevant du niveau réglementaire pourraient également être prises par le Gouvernement pour compléter les moyens de lutte contre les rodéos. Je me contenterai de mentionner la nécessité de durcir la réglementation concernant l’acquisition et la mise en circulation des véhicules dits « non soumis à réception », qui, bien qu’ils ne soient pas autorisés à circuler sur la voie publique, sont généralement utilisés lors des rodéos.
Madame la ministre, vous serait-il possible de nous indiquer si des réflexions sont en cours au ministère de l’intérieur sur ces sujets ou si des évolutions ont déjà été engagées ? Vous avez déjà abordé rapidement ce sujet.
Sans vouloir présumer de la suite des débats, je pense qu’une très large majorité de notre assemblée devrait se prononcer en faveur de ce texte. Nous souhaiterions avoir la certitude que l’action du législateur produira de réels effets sur le terrain ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – M. Jean-Pierre Sueur applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, « exaspération », c’est le mot qui revient constamment dans la bouche des maires et de nos concitoyens qui subissent les nuisances liées aux rodéos motorisés.
Cette exaspération tient à des questions de sécurité sur la voie publique et de nuisances sonores, qu’il ne faut pas sous-estimer. Dans le département du Loiret, nous avons été saisis de ces sujets dans plusieurs communes, notamment à Sully-sur-Loire et à Fleury-les-Aubrais. Mon collègue Jean-Noël Cardoux apportera des précisions sur ce point, les témoignages vivants étant particulièrement éclairants pour justifier les textes de loi.
Madame la ministre, vous avez eu raison d’insister sur l’accord unanime qui s’est fait jour à l’Assemblée nationale, ainsi que sur le large consensus qui s’est dégagé parmi les sénateurs, très attachés à l’intérêt public. J’ajouterai que nous sommes capables d’organiser des commissions d’enquête parlementaires, dans un climat où chacune et chacun apporte sa contribution pour établir la vérité, mettre en lumière les dysfonctionnements et proposer des mesures. Nous ne sommes pas un tribunal, mais notre rôle est d’accomplir une mission de service public. Ceux qui méconnaissent l’utilité du Sénat pourraient peut-être y réfléchir, monsieur le président de la commission des lois.
Mes chers collègues, le texte dont l’examen nous rassemble aujourd’hui était nécessaire. Il permet tout d’abord de définir enfin les rodéos motorisés : il s’agit du « fait d’adopter, au moyen d’un véhicule terrestre à moteur, une conduite répétant de façon intentionnelle des manœuvres constituant des violations d’obligations particulières de sécurité ou de prudence, prévues par les dispositions législatives et réglementaires du code de la route, dans des conditions qui compromettent la sécurité des usagers de la route ou qui troublent la tranquillité publique ». Ces agissements seront punis « d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende ».
Cette définition est très claire : il doit y avoir intentionnalité, violation du code de la route, atteintes à la sécurité des usagers ou à la tranquillité publique.
Ce délit appelle une sanction ; cela va sans dire, mais il est parfois utile de le rappeler pour nos concitoyens. Il s’agit d’une sanction maximale : le juge portera son appréciation au regard des faits dont il aura eu connaissance.
Madame la rapporteur, vous avez décliné, à juste titre, ce qui figure dans cette proposition de loi. Vous avez mentionné, tout d’abord, que les peines seront alourdies si les faits sont commis en réunion, ou encore sous l’emprise d’alcool ou de stupéfiants.
Une peine spécifique est par ailleurs instituée – c’est très important, mes chers collègues – pour réprimer l’incitation à ces rodéos motorisés ou leur organisation. Dans la plupart des cas, l’incitation comme l’organisation s’effectuent par le biais de ce qu’on appelle les « réseaux sociaux » ; permettez-moi d’ailleurs de faire remarquer que ceux-ci ne sont pas toujours très sociaux ! L’anonymat ne peut pas être toléré en cette matière : il importe vraiment que les personnes qui incitent et qui organisent puissent être sanctionnées.
La proposition de loi prévoit en outre sept peines complémentaires, qui sont justes : la confiscation du véhicule ; la suspension du permis de conduire pour trois ans ; l’annulation dudit permis, avec impossibilité de le repasser pendant trois ans ; les travaux d’intérêt général, dont Mme la rapporteur a mentionné dans son rapport qu’ils seront très utiles à l’encontre de certains de nos jeunes concitoyens ; les jours-amendes ; l’interdiction de conduire des véhicules à moteur pendant cinq ans ; enfin, des stages de prévention. Tout cela est très bon et nécessaire : il fallait que les sanctions applicables à ce délit spécifique fussent déterminées.
Je terminerai mon propos, madame la rapporteur, en reprenant certaines des propositions que vous avez faites à juste titre.
Tout d’abord il m’apparaît nécessaire que l’on puisse utiliser la vidéo pour la mise en œuvre de ce texte. Il sera sans doute nécessaire, madame la ministre, d’adopter quelques dispositions réglementaires à cet égard.
Pour les forces de police et de gendarmerie, atteindre les contrevenants, les dépasser, les arrêter et les interpeller est une tâche ardue, difficile et parfois impossible pour des raisons de sécurité évidentes. Le recours à la vidéo serait donc très utile, d’autant que nombre des véhicules utilisés pour ces rodéos ont été volés et que leur plaque minéralogique a été changée.
Il est tout aussi certain qu’il faudra des moyens supplémentaires, madame la ministre. Ils seront nécessaires pour élucider l’affaire et pour découvrir qui possède le véhicule que l’on va confisquer.
En effet, ce texte comporte une clause utile, qui empêche la confiscation d’un véhicule qui aurait été volé et dont le propriétaire n’est donc pour rien dans son utilisation au sein d’un rodéo. Il faudra donc retrouver tant le propriétaire du véhicule que le responsable de son utilisation, ce qui peut être encore compliqué par le changement de la plaque minéralogique. Il faudra donc de nouveaux moyens pour la police et la gendarmerie, comme les organisations professionnelles de la police n’ont pas manqué de nous le signaler.
Enfin, madame la ministre, il faudra à l’évidence faire œuvre de prévention. La sanction est indispensable, mais la prévention est utile.
Nous ne manquions pas d’idées – vous nous connaissez, madame la ministre – pour déposer des amendements. Nous aimons le faire ; c’est un peu notre travail. Pourtant, nous avons réfréné notre ardeur.
M. Jean-Pierre Sueur. Nous ne défendrons aucun amendement, parce que, ainsi, M. le Président de la République pourra, si ce texte est adopté unanimement par le Sénat dans ces jours d’été, comme il l’a déjà été par l’Assemblée nationale, faire venir quelques caméras pour filmer sa promulgation ! (Sourires.)
M. Jean-Pierre Sueur. Madame la ministre, je constate simplement qu’il a déjà agi de cette façon par le passé ; je ne vois pas pourquoi il ne le ferait pas de nouveau pour un texte qui aura été adopté dans de si bonnes conditions, et cela sous votre égide…
Permettez-moi de vous parler avec toute l’amitié que j’éprouve à votre égard : nous serions très heureux que le Président de la République prenne une initiative positive en promulguant, dans les jours qui viennent, au cœur de l’été, cette loi tant attendue par un grand nombre d’élus et de nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à M. Dany Wattebled.
M. Dany Wattebled. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteur, mes chers collègues, la période estivale est propice aux rassemblements de quads, motos, scooters et autres engins motorisés. Bien souvent – vous l’avez très bien rappelé, madame la rapporteur –, ces rassemblements sont source d’insécurité et de nuisances pour les riverains et les usagers de la route.
Je veux rappeler quelques chiffres : sur l’ensemble du territoire national, quelque 8 700 rodéos sauvages ont été constatés par les forces de police ; la gendarmerie a, quant à elle, procédé à 6 614 interventions en 2017. Ces chiffres augmentent chaque année.
Le constat est sans appel. Toutes les semaines, la presse régionale, voire nationale, relate ces délits dont la progression est particulièrement inquiétante.
Ces rodéos sauvages, bien qu’on les appelle parfois « rodéos urbains », affectent également nos espaces périurbains et même nos zones rurales. Ils laissent les élus locaux, les maires et les services de gendarmerie et de police municipale ou nationale dans le désarroi le plus complet. En effet, l’arsenal législatif actuel est inadapté, ce qui renforce le sentiment d’impunité chez ces délinquants.
Ces rodéos motorisés mettent pourtant en péril, non seulement la vie de leurs auteurs, mais surtout celle de nombreux piétons, cyclistes et automobilistes, qui sont tous confrontés à cette forme particulièrement sauvage et dangereuse de délinquance routière.
En outre, ces agissements s’accompagnent de fortes nuisances sonores qui exaspèrent les riverains et pourrissent leur quotidien.
Encouragés par certains films d’action et par la possibilité de publier leurs prétendus exploits sur les réseaux sociaux, les participants à ces rodéos enfreignent les règles les plus élémentaires de la sécurité routière. Ainsi, l’on constate que les véhicules ne sont pas homologués, que les conducteurs sont sans casque, que les limitations de vitesse ne sont pas respectées et que les engins sont bien souvent trafiqués.
Cela peut parfois avoir des conséquences dramatiques. Ainsi, un adolescent de treize ans a trouvé la mort en 2017, dans les Yvelines, au guidon de son motocross. Sans casque, il a percuté un arbre. Le lendemain, un autre motard de vingt ans a succombé à une collision avec un autre amateur de rodéos dans l’Essonne.
Il apparaît donc urgent de nous doter rapidement de moyens efficaces pour mettre un terme à ce fléau. Oui, il y a urgence à prévenir tout accident et à ne laisser subsister aucun sentiment d’impunité !
En l’état actuel du droit, les rodéos motorisés ne constituent pas une infraction en soi. Ils ne sont pas définis juridiquement. Les infractions susceptibles d’être relevées figurent dans le code de la route : on peut citer, le cas échéant, le refus d’obtempérer, les dégradations volontaires, ou encore la mise en danger de la vie d’autrui, lorsque celle-ci peut être caractérisée.
En conséquence, je me réjouis que cette proposition de loi crée une infraction spécifique, assortie de circonstances aggravantes, et prévoie même la confiscation obligatoire du véhicule, même si l’utilisateur n’en est pas le propriétaire. Cette confiscation est importante, car elle produira un effet immédiat et durable, qui évitera la réitération des actes incriminés.
Je souhaite également mettre l’accent sur la notion de « voie ouverte à la circulation publique », qui permettra de ne pas distinguer entre voie publique et voie privée. À partir du moment où leur accès est libre, les voies privées, en particulier les parkings, seront concernées. On ne peut pas laisser penser que certaines routes ou certains parkings seraient des zones de non-droit ; il est important que la population puisse voir que les forces de l’ordre pourront agir véritablement et efficacement en tout lieu.
Ainsi, grâce à la création d’un délit autonome par cette proposition de loi, les acteurs de terrain disposeront d’outils opérationnels. Cela répondra pleinement aux attentes légitimes des élus, des collectivités et des habitants de nos villes et villages.
Avant de conclure, je tiens tout particulièrement à saluer, à cette tribune, l’action des forces de l’ordre. Les fonctionnaires de police comme de gendarmerie interviennent dans des conditions difficiles et parfois extrêmement dangereuses, afin de mettre un terme à ces rodéos motorisés. Ils entreprennent parallèlement des enquêtes de fond, par le biais d’opérations de fouilles et d’un important travail de terrain.
Madame la ministre, mes chers collègues, vous l’aurez compris, le groupe Les Indépendants – République et Territoires votera en faveur de cette proposition de loin. En effet, il est de notre responsabilité de mettre un terme aux rodéos motorisés comme de doter les forces de l’ordre d’outils juridiques spécifiques suffisamment dissuasifs pour prévenir, empêcher et punir de telles pratiques, dont la dangerosité est quotidiennement vérifiée, et plus que jamais en ces jours de forte chaleur ! (Applaudissements au banc des commissions. – M. Alain Richard applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Éric Gold.
M. Éric Gold. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteur, mes chers collègues, je vous offrirai, en ouverture de mon propos, un exemple qui n’est ni la plus grande de nos agglomérations ni une banlieue réputée difficile.
À Clermont-Ferrand, certains soirs, les amateurs de rodéos motorisés se réunissent dans plusieurs secteurs, notamment rue Louis-Blériot. Les véhicules circulent parfois à grande vitesse, faisant vrombir moteurs et sonorisations.
Face à de tels troubles à la tranquillité publique, mais surtout à de tels risques pour la sécurité de tous, la municipalité a mis en place plusieurs mesures ces dernières années : un radar fixe, des ralentisseurs, ou encore le bouclage de la rue certains soirs. Aucune de ces mesures n’a pourtant permis de faire cesser les rodéos de Clermont-Ferrand. En effet, particulièrement organisés et déterminés, les participants retirent leur plaque d’immatriculation, s’exilent temporairement et reviennent dès que possible.
Les runners le reconnaissent eux-mêmes : il existe un véritable sentiment d’impunité. Lorsqu’ils ne parviennent pas à s’échapper à temps, une simple contravention leur est remise par les forces de l’ordre.
Certes, l’article 223–1 du code pénal sanctionne déjà le fait d’exposer autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures par la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité. Toutefois, comme l’a souligné Mme la rapporteur, la Cour de cassation interprète de manière très restrictive la mise en danger de la vie d’autrui. Nous avons donc besoin de définir un nouveau délit spécifique aux rodéos motorisés et assorti de peines suffisamment dissuasives pour mettre, enfin, un coup d’arrêt à cette pratique dangereuse.
Pour l’heure, faute de délit spécifique, nous n’avons pas de statistiques disponibles en la matière. La plupart des élus de zones urbaines et, désormais, de certaines zones rurales peuvent néanmoins témoigner de la nette augmentation de cette pratique. On sait par exemple – cela a déjà été rappelé dans le débat – que le nombre d’interventions dénombrées par la gendarmerie nationale a augmenté de près de 25 % entre 2016 et 2017.
Les moyens répressifs à la disposition des forces de l’ordre sont limités. Les radars fixes et la vidéosurveillance montrent leurs limites lorsque les participants retirent leurs plaques d’immatriculation ou neutralisent les radars. La plupart des runners prennent la fuite dès l’arrivée des policiers et des gendarmes, qui sont incités, pour la sécurité de chacun, à ne pas engager de course-poursuite : le drame de Villiers-le-Bel, qui a conduit en 2007 à la mort de deux adolescents et à de violentes émeutes, ne peut être oublié.
Pour toutes ces raisons, il nous faut donner aux forces de sécurité le cadre juridique qui leur permettra de lutter efficacement et durablement contre ces rodéos.
J’en viens au contenu de la proposition de loi qui nous est présentée aujourd’hui. Il est question de créer un nouveau chapitre au sein du titre III du livre II du code de la route, de manière à reconnaître le caractère spécifique de ces atteintes à la sécurité et à l’ordre public.
Des sanctions pénales – un an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende – sont prévues en cas de « comportements compromettant délibérément la sécurité ou la tranquillité des usagers de la route ». Ces sanctions seront majorées en cas de faits commis en réunion, de consommation d’alcool ou de stupéfiants et d’absence de permis de conduire valide. C’est là que réside l’intérêt majeur de cette proposition de loi : le caractère dissuasif des peines encourues, à la hauteur de la gravité des faits, permet d’espérer, enfin, une diminution de ces actes.
En complément des amendes et des peines d’emprisonnement, le texte prévoit la confiscation du véhicule ayant servi à commettre l’infraction. Si je m’inscris pleinement dans cette dynamique, je reste néanmoins sceptique quant à l’interdiction, portée à cinq ans, de conduire certains véhicules terrestres à moteur, y compris ceux dont la conduite ne nécessite pas de permis. Corrélée à la suspension de permis, cette sanction peut apparaître comme un frein pour des personnes mineures ou tout juste majeures, que l’on se doit d’insérer sur le marché du travail.
Toutefois, en accord avec mon groupe, je n’ai pas déposé d’amendement visant à corriger le texte sur ce point. Je considère en effet que cette proposition de loi doit entrer en vigueur le plus rapidement possible. Nous faisons d’ailleurs confiance aux juges pour décider au cas par cas de l’application de cette mesure.
Ce nouveau délit, facilement caractérisable, permet par ailleurs de réprimer les rodéos en matière correctionnelle. Comme l’a souligné Mme la rapporteur, il offre ainsi aux forces de l’ordre de nouveaux outils d’enquête, tels que la garde à vue. Ces outils sont essentiels pour renforcer la lutte contre les rodéos motorisés. Aujourd’hui limitée à la contravention et à la confiscation du véhicule, l’action des forces de sécurité pourra désormais être renforcée, sans que la situation les mette systématiquement en danger.
Dans le souci de prévenir, le plus en amont possible, l’organisation des rodéos motorisés, ce nouveau chapitre du code de la route traite également de l’incitation directe à la participation à un rodéo, de son organisation et de sa promotion.
Il est en effet véritablement question de rendez-vous donnés au public. Certains runners conseillent même aux pouvoirs publics d’installer des bancs, afin de mieux profiter du spectacle !
Je suis en accord à la fois avec le diagnostic et avec la réponse qu’apportent les auteurs de cette proposition de loi. Je partage également l’opinion de Mme la rapporteur : l’arsenal législatif ne pourra pas suffire.
Nous faisons face aujourd’hui à un phénomène grandissant, qui s’étend sur de nombreux territoires et pour lequel aucune solution n’a été trouvée par nos collectivités. Le sentiment d’impunité et d’invincibilité des participants est aujourd’hui bien trop fort. Pour s’y attaquer et permettre une application efficace de loi, il est nécessaire que les moyens mis à disposition des forces de l’ordre suivent, car rien ne remplacera la présence des policiers et des gendarmes sur le terrain. Notre action législative devra également être complétée par des initiatives locales.
Vous l’avez compris, mes chers collègues, notre groupe soutiendra l’adoption de cette proposition de loi, d’abord parce qu’elle répond à une attente forte des élus, qui se retrouvent aujourd’hui démunis face à l’ampleur du phénomène, mais aussi parce qu’elle fait l’objet d’un consensus sur la majorité des travées de l’Assemblée et du Sénat : il est particulièrement satisfaisant de voir émerger une telle disposition législative transpartisane ! (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à M. Alain Richard.
M. Alain Richard. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, mon intervention ne sera pas très détaillée, puisque les orateurs qui m’ont précédé, à commencer par Mme la rapporteur, ont déjà présenté nombre d’observations et de constats qui nous rassemblent tous.
En effet, il me semble que nous faisons tous ici la même analyse du problème : nous constatons que le droit actuel, du fait, notamment, de la difficulté d’établir la mise en danger de la vie d’autrui, n’offre pas de moyen réellement efficace de poursuivre les infractions constituées par les rodéos motorisés.
La définition du nouveau délit qui figure dans ce texte représente à nos yeux un progrès, car elle est beaucoup plus précise et concrète que le droit en vigueur. Grâce au principe de légalité des délits et des peines, nous pouvons définir en droit un délit, ce qui permettra aux forces de sécurité de l’établir et à la justice d’en poursuivre plus facilement les auteurs.
Par ailleurs, ce texte contient des dispositions complémentaires, qui permettront notamment la confiscation du véhicule ou le placement du suspect en garde à vue. Cela aussi permettra bien des progrès. Notre groupe votera donc en faveur de cette proposition de loi.
Il me reste toutefois à vous faire part, madame la ministre, mes chers collègues, de quelques difficultés qui subsistent.
En premier lieu, comme l’a très bien dit M. Gold à l’instant, certains des pratiquants de cette activité disposent d’une organisation assez structurée. Il sera donc difficile pour les forces de l’ordre, si étalées géographiquement, d’acquérir les moyens nécessaires pour accomplir efficacement leurs interventions dans des conditions de sécurité. Cet effort, malheureusement, devra donc être poursuivi.
De fait, la mise en coopération des forces de sécurité nationale – police et gendarmerie – et des polices municipales fait l’objet d’efforts fructueux. La coordination entre ces services s’améliore ; on sait désormais se compléter et se transmettre des informations. L’amélioration du matériel de la police et de la gendarmerie facilitera, elle aussi, les interventions.
Il ne faut pas pour autant vendre de rêve ! Ce phénomène demandera un combat prolongé et, en particulier, des interventions fréquentes et bien mesurées. C’est ainsi, seulement, que nous parviendrons à faire disparaître cette nuisance et cette prise de risque.
En second lieu, madame la ministre, une petite incompréhension subsiste en moi. Alors même que nous faisons face à ce problème depuis longtemps, une partie significative des véhicules qui servent à ces jeux dangereux pour autrui ne sont toujours pas soumis à immatriculation. Les y soumettre faciliterait pourtant sérieusement, à mon sens, la préparation des interventions de police et la démonstration des délits commis.
Cela peut être accompli, me semble-t-il, par un simple acte réglementaire des autorités françaises : il n’est besoin ni d’un texte législatif ni d’un règlement européen. J’ai souvent interrogé à ce sujet les représentants des deux ministères intéressés. Le travail devrait pouvoir se poursuivre et recevoir une conclusion favorable : seront soumis à immatriculation l’ensemble des véhicules de nature à provoquer ce type de nuisances. Ils sont, de fait, aussi dangereux que les véhicules déjà soumis à cette formalité.
En dépit de ces deux réserves, nous considérons naturellement que cette proposition de loi, dont l’origine peut être trouvée sur diverses travées, constitue un réel progrès ; nous la soutiendrons donc.
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, madame la ministre, madame la rapporteur, mes chers collègues, cette proposition de loi vise à endiguer un phénomène effectivement très inquiétant : les rodéos motorisés.
Il nous est principalement proposé de créer un nouveau délit spécifique, en complétant le code de la route par un chapitre intitulé « Comportements compromettant délibérément la sécurité ou la tranquillité des usagers de la route » et composé de trois articles, dont le principal punit d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende toute personne s’adonnant à ce genre de pratiques.
Suit une série d’aggravations possibles de la peine : elle est doublée lorsque les faits sont commis en réunion, triplée en cas d’usage de stupéfiants ou d’alcool, etc. Sont également punis de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende les incitateurs, les organisateurs ou les promoteurs de rodéos motorisés. Enfin, la dernière disposition prévoit que les coupables des délits mentionnés encourent également plusieurs peines complémentaires, notamment la confiscation du véhicule.
Bien entendu, le phénomène des rodéos motorisés est un véritable fléau, particulièrement dans les zones urbaines, où la police nationale a relevé, en 2017, quelque 8 700 rodéos. Leur nombre a augmenté, au début de l’année 2018, de 19,8 %.
L’exaspération des riverains et des nombreux élus sollicités pour régler le problème peut nous conduire à créer une infraction précise, de manière à pouvoir lutter contre ce phénomène. En effet, aucune disposition législative ou réglementaire ne permet aujourd’hui de lutter spécifiquement contre les rodéos urbains.
Toutefois, plusieurs dispositions du code de la route permettent déjà, dans certaines conditions, d’appréhender les auteurs de tels faits. Aussi ne s’agit-il pas tant de combler un vide juridique que de simplifier le cadre légal en la matière par la création d’une infraction spécifique, ce à quoi nous ne sommes a priori pas opposés.
Le problème, à nos yeux, se trouve dans la solution qui nous est ici proposée : à la place des différents délits contraventionnels qui viennent aujourd’hui punir cette pratique, on instaure une peine de prison.
Si nous partageons entièrement le constat dressé dans son rapport par notre commission des lois, qui a adopté ce texte issu de l’Assemblée nationale sans modification, je dois tout de même vous faire part des raisons de notre opposition catégorique, non pas au texte en son entier, mais à cette solution carcérale.
Tout d’abord, aujourd’hui, le problème réside avant tout, pour les forces de l’ordre, dans l’indigence de leurs moyens, comme l’a d’ailleurs révélé notre récente et excellente commission d’enquête sur l’état des forces de sécurité intérieure.
En l’occurrence, plutôt que de s’employer une fois encore à renforcer les sanctions et à créer des infractions spécifiques, il faudrait donner à nos forces de l’ordre les moyens d’enquêter sur l’organisation de ces rendez-vous qui sont aussi dangereux que nuisibles, d’autant qu’ils impliquent souvent des mineurs. Les forces de l’ordre n’ont ni les moyens, ni les techniques, ni la formation nécessaire pour interpeller les auteurs de ces actes sur le terrain. De douloureuses séquences sont là pour nous le rappeler. Des solutions doivent donc être avancées en la matière.
Par ailleurs, l’emprisonnement ne peut être la solution. Pour réprimer ce phénomène précis, en plus des délits déjà caractérisés, nous prônons pour notre part une approche plus dissuasive : nous ne sommes pas opposés à la confiscation des véhicules, mais on ne peut s’en tenir à une approche strictement coercitive et répressive.
Les stages de sensibilisation à la sécurité routière, qui sont dans ce texte uniquement considérés comme des peines complémentaires, doivent être privilégiés, tout comme les travaux d’intérêt général, qui sont bien plus efficaces que la prison contre la récidive : le taux n’est que de 34 % après des TIG, contre plus de 60 % après une peine de prison.
L’alternative à la prison adéquate à ce genre de délit doit être trouvée, d’autant que l’on connaît les problèmes posés par la surpopulation carcérale endémique et les conséquences délétères que celle-ci entraîne pour les usagers de l’administration pénitentiaire.
Enfin, il me faut relever un léger manque de cohérence entre cette proposition de loi et le projet de réforme de la justice dont nous discuterons – si tout se passe comme prévu – à l’automne prochain, projet qui semble s’inscrire dans une réflexion sur le sens de la peine, notamment en vue de trouver des solutions de rechange à l’enfermement.
Nous devons par ailleurs nous interroger sur les choix qui, depuis plusieurs années, ont conduit à la disparition de services publics dans des villes, des villages et des quartiers, et particulièrement à réduire les moyens dédiés aux politiques publiques de la jeunesse, mais également le champ des actions de nombreuses associations. Ainsi, on pourra peut-être corriger ces choix.
Depuis trop longtemps, on combat le mal par le mal, en vain. À quand la mise en œuvre du grand corps de police de proximité que, pour notre part, nous appelons de nos vœux ?
Il est absolument nécessaire de prévenir ce genre de phénomènes ; nous sommes tout à fait d’accord sur ce point. Cela se fera, notamment, en engageant la discussion avec les jeunes, par des interventions dans les écoles et les collèges. Les mesures éducatives devraient être les premières prises pour lutter en profondeur contre ce phénomène.
Nous débattons de cette proposition de loi en pleine période estivale, au cours de laquelle – chacun le sait – les rodéos motorisés sont les plus pratiqués – j’en ai encore fait la dure expérience cette nuit même en matière de troubles sonores.
Cette proposition de loi vise à montrer que le législateur agit sur un sujet grave, qui a trait à la sécurité et à la tranquillité publique, en rassurant à la fois les riverains et les élus de proximité. Toutefois, mes chers collègues, je crains que nous ne constations très rapidement l’inefficience d’un tel dispositif.
Si nous partageons, bien évidemment, le constat sans appel sur lequel s’appuie cette proposition de loi, nous sommes opposés à la solution proposée. Pour autant, nous ne voterons pas contre ce texte ; nous nous abstiendrons.
M. le président. La parole est à M. Vincent Delahaye. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
M. Vincent Delahaye. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, c’est avec grand plaisir que j’interviens, au nom du groupe Union Centriste, sur cette proposition de loi.
En effet, à une époque qui n’est pas si lointaine – une époque heureuse au cours de laquelle je pouvais utiliser mon expérience de maire pour mes fonctions de parlementaire –, j’ai eu à connaître et à toucher du doigt ce phénomène qui empoisonne la vie de millions de Français : les rodéos motorisés. De fait – cela a déjà été largement décrit –, le sentiment d’impunité que leurs auteurs peuvent ressentir augmente encore le degré d’exaspération de nos concitoyens.
En tant que parlementaire, j’ai estimé que, avant que ne surviennent de nouveaux drames, il était nécessaire d’agir. J’ai travaillé sur ce sujet avec mes collègues élus de l’Essonne, Jean-Marie Vilain, maire de Viry-Châtillon, et Robin Reda, alors maire de Juvisy. Je reconnais ne pas avoir été le premier à m’y attaquer : d’autres initiatives avaient été prises, à l’Assemblée nationale comme au Sénat, mais aucune d’entre elles n’avait malheureusement abouti.
Nous avons constaté qu’il n’existait pas de définition du délit de rodéo, ce qui empêchait toute sanction. En outre, le montant des sanctions possibles est vraiment dérisoire : 11 euros dans certains cas !
C’est la raison pour laquelle j’ai déposé, au mois de novembre 2017, une première proposition de loi définissant le délit de rodéo et harmonisant et durcissant les sanctions pour leurs auteurs.
Madame la ministre, je me réjouis que, au nom du Gouvernement, vous vous soyez saisie de ce problème et que nous ayons pu travailler, ensemble, des mois de janvier à avril, sur ce premier texte, qui était bien sûr imparfait. Celui que nous allons adopter l’est aussi – il n’est de perfection ni en cette matière ni en d’autres. Nous avons pu œuvrer avec efficacité avec le ministère pour aboutir à une deuxième proposition de loi, conforme à celle qui a été déposée et adoptée à l’unanimité, et dont nous débattons aujourd’hui.
Cette proposition de loi a été cosignée par cent cinquante sénateurs issus pratiquement de tous les groupes – je remercie mes collègues – et examinée par la commission des lois. Je me félicite que le président de la commission des lois et le rapporteur aient compris l’enjeu de ce texte, à savoir qu’il était souhaitable, malgré toutes les améliorations que le Sénat pourrait apporter, que nous adoptions ce texte conforme, de façon à répondre le plus rapidement et le plus efficacement possible à l’attente de nos concitoyens.
Pour autant, un texte ne résout pas tout, et il ne faut pas penser que cette proposition de loi répondra à elle seule au fléau du quotidien que sont les rodéos motorisés. Il nous reste beaucoup de travail à accomplir, notamment un travail collectif.
Ceux de nos collègues qui sont frustrés de ne pas avoir pu déposer en séance publique les amendements qu’ils souhaitaient, ou de savoir que ceux qu’ils ont déposés ne seront pas adoptés, peuvent intervenir directement auprès de Mme la ministre : je sais qu’elle sera à l’écoute de toutes les dispositions d’ordre réglementaire qui lui seront proposées et qu’elle fera en sorte que celles-ci soient adoptées.
Premièrement, un projet de loi d’orientation sur les mobilités sera examiné dans quelques mois. Nous pourrons alors déposer et examiner des amendements complémentaires à la proposition de loi que nous discutons aujourd’hui.
Deuxièmement, le ministère de l’intérieur, mais aussi le ministère de la justice doivent rapidement préparer les directives et circulaires. Il faut absolument que les préfets et les procureurs travaillent main dans la main sur ce sujet et qu’ils aient des directives claires pour agir efficacement. C’est très important. Je pense que tout est prêt au ministère de l’intérieur ; j’espère qu’il en est de même pour celui de la justice.
Troisièmement, il faut adapter les horaires des forces de l’ordre.
M. Roger Karoutchi. Ah, ça !
M. Vincent Delahaye. C’est compliqué. Avant-hier, j’étais sur le terrain, à Massy, avec le préfet de l’Essonne : ce département compte trois brigades motorisées spécialisées, ce qui n’est pas considérable pour un territoire de 1,2 million d’habitants, mais c’est déjà ça. Or ces brigades cessent de travailler à vingt heures, alors que, tout le monde le sait, c’est entre minuit et trois ou quatre heures du matin que le phénomène est le plus prégnant. Personnellement, j’en ai entendu un à trois heures du matin, cette nuit.
Mme Éliane Assassi. Moi aussi !
M. Vincent Delahaye. C’est pourquoi, madame la ministre, il faut songer à créer des brigades spécialisées de nuit, qui ne seraient peut-être pas les brigades existantes, dans les périodes chaudes, quand il fait beau ; ce n’est pas utile en hiver, quand il pleut. Il est vrai que les périodes actuelles sont les plus pénibles pour nos concitoyens, qui ont parfois du mal à bien dormir.
Quatrièmement, on ne peut se contenter de répression, il faut de la dissuasion. C’est aussi le but de ce texte. Certes, l’emprisonnement n’est peut-être pas la meilleure solution ni la mesure la plus adaptée (M. le président de la commission des lois s’exclame), mais il présente un caractère dissuasif.
Pour que cet objectif soit atteint, madame la ministre, il faut communiquer sur le texte – nous avons évoqué l’idée que le Président de la République le signe de façon solennelle –, sur la répression et sur les auteurs interpellés. Les parlementaires que nous sommes, mais aussi les élus locaux et les maires dans leurs bulletins municipaux doivent communiquer sur les sanctions issues du texte que l’on va adopter. C’est par cette diffusion de l’information que l’on dissuadera un certain nombre d’auteurs de réaliser ces méfaits. Un tel travail est très important !
Cinquièmement, il faut réaliser un travail de prévention, de proximité, de conviction et de dialogue avec les jeunes. Certes, il est en grande partie déjà réalisé dans de nombreuses villes. L’idéal – malheureusement, on l’atteint rarement – serait de trouver des terrains adaptés pour les jeunes qui veulent faire du motocross ou des acrobaties ; les autres ne cherchent qu’à empoisonner la vie quotidienne des gens. Je sais que c’est très difficile.
Dans mon secteur, de tels terrains étaient disponibles, je regrette que le préfet ait empêché cette mesure pour des raisons de sécurité. Le risque zéro n’existe pas, et il faut selon moi accepter parfois quelques problèmes de sécurité, si cela permet de résoudre d’autres problèmes.
Pour conclure, ce texte est une étape. Il faut continuer à travailler tous ensemble sur ce problème qui empoisonne la vie quotidienne des Français et compléter les dispositifs existants. Avec ce texte, nous allons susciter de la joie et de l’espoir. Il ne faut pas décevoir ! (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – M. Jean-Pierre Sueur applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Noël Cardoux. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Noël Cardoux. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il est difficile d’intervenir à la fin d’une discussion générale : tout a été dit ou presque.
Je me contenterai d’ajouter quelques éléments et de faire référence à une récente étude du Conseil national du bruit et de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, l’ADEME, relativement récente – elle date de 2016 –, qui chiffre à 57 milliards d’euros le coût social du bruit en France.
Le bruit généré par le trafic routier représente 11,5 milliards d’euros, la moitié étant due aux nuisances causées par les deux-roues. De tels montants méritent d’être cités. Certes, c’est une vision réductrice du problème – nous avons largement discuté des problèmes de réunions de motos, de dangerosité des comportements, de mise en danger de la vie d’autrui –, mais cela constitue un aspect non négligeable, que l’on retrouve partout en France.
Certains ont employé l’expression de « rodéo urbain », constatant que ce phénomène commençait à se propager en province. Jean-Pierre Sueur l’a souligné, dans le Loiret, nous avons été interpellés par de nombreux maires, notamment celui de Fleury-les-Aubrais, commune suburbaine d’Orléans et seconde ville du département.
Pour ma part, j’évoquerai Sully-sur-Loire, ville chère à mon cœur, puisque j’en ai été le maire. On connaît surtout Sully-sur-Loire pour le château du ministre d’Henri IV et parce que la partie de la Loire inscrite au Patrimoine mondial de l’UNESCO commence là. Cependant, dans le département, Sully-sur-Loire est connue pour ses rodéos urbains, ainsi que par la provocation à laquelle se livre un certain nombre d’individus, au point que le maire est totalement exaspéré et que, cette année, lors de la cérémonie des vœux, il a interpellé les parlementaires présents, les pressant de trouver des solutions pour limiter ce phénomène.
Dès le mois de janvier dernier, au Sénat, j’étais prêt à prendre en main ce problème avant de me rendre compte – Vincent Delahaye l’a rappelé – qu’une proposition de loi, cosignée par 51 sénateurs, avait été déposée par notre ancienne Caroline Cayeux au mois d’octobre 2015, mais n’avait jamais été inscrite à l’ordre du jour de nos travaux. Je me suis également aperçu que Vincent Delahaye avait déposé une proposition de loi cosignée par plus de cent cinquante sénateurs, ce qui n’est pas négligeable. J’ai donc décidé d’être pragmatique et de m’en tenir à cela, sûr que nous trouverions un consensus sur ce sujet.
Ensuite, le Gouvernement a repris la main. C’est de bonne guerre, c’est du pragmatisme aussi et on ne vous le reprochera pas, madame la ministre. Vous avez travaillé avec Vincent Delahaye et profité de cette initiative parlementaire, affirmant qu’il s’agissait d’une coproduction. Il est bon que vous ayez reconnu le rôle des sénateurs.
Ce texte est fondé ; il va maintenant falloir l’utiliser d’une manière intelligente. Je ne reviendrai pas sur tous les éléments qui ont été décrits concernant la matérialité de l’infraction.
Jusqu’à présent, les textes étaient extrêmement disparates et leur application était difficile. Quand j’étais maire, combien de fois ai-je entendu la gendarmerie me dire : « Comment voulez-vous que l’on mesure une vitesse sur cinquante mètres en zone urbaine ? Nous n’avons pas de cinémomètre ! Et pour mesurer l’intensité du son, il faut une formation spécifique. » Les gendarmes étaient complètement démunis.
Même si elle est imparfaite, cette proposition de loi est une base. Certes, il faudra des circulaires d’application et ce texte devra prendre son essor et son rythme de croisière. Je pense toutefois qu’un grand pas a été franchi et que, une fois adopté, ce texte sera de nature à apaiser les inquiétudes des populations urbaines mais aussi rurales. En effet, même si c’est moins aigu dans les zones rurales, le sentiment d’insécurité que cela provoque dans la population est extrêmement prégnant.
Par ailleurs, il faudrait relancer certaines opérations. Il a été fait tout à l’heure allusion à la coopération entre police, gendarmerie et police municipale, ainsi qu’à l’utilisation de la vidéoprotection, qui s’est de plus en plus développée depuis quelques années.
Il faudrait partir sur des bases contractuelles et de travail en commun. À ce sujet, madame la ministre, nous avons des outils à notre disposition : ce sont les conseils locaux ou intercommunaux de sécurité et de prévention de la délinquance, les CLSPD ou CISPD.
Le souvenir qu’il m’en reste du temps où j’étais maire, c’est une extrême lourdeur de fonctionnement ; c’étaient souvent des assemblées de bavardages. (Mme Annie Guillemot approuve.) Surtout, il était bien difficile de trouver des dates avec tous les acteurs concernés – le représentant de l’État, le procureur, le haut gradé de la gendarmerie. Et quand la date était fixée, la veille, pour des raisons parfaitement compréhensibles, les uns et les autres annulaient leur présence, si bien que ces conseils étaient totalement inefficaces !
À condition que l’on donne les instructions pour qu’elles fonctionnent convenablement, ces instances pourraient travailler sur ce texte, s’en emparer et avoir des résultats efficaces. C’est en tout cas une piste à suivre.
Je rends hommage au rapporteur de la commission, qui a souhaité que ce texte soit voté conforme. Quelques collègues ont déposé des amendements ; j’espère qu’ils auront la sagesse de les retirer, car l’attente est énorme. Si l’on sait que, ce soir, ce texte a été adopté conforme par le Sénat et qu’il sera bientôt promulgué, certaines communes aborderont le mois d’août de façon plus sereine. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à Mme Agnès Canayer.
Mme Agnès Canayer. Monsieur le président, madame la ministre, madame la rapporteur, mes chers collègues, il est vrai qu’intervenir en dernier est complexe. Néanmoins, il est important d’avoir cette discussion, car, sur ce texte, les attentes, tant de nos concitoyens que des élus locaux confrontés à ce véritable fléau des rodéos motorisés, sont extrêmement fortes.
L’arrivée du printemps, des beaux jours, du chant des oiseaux et de la convivialité entre voisins et amis est attendue par beaucoup, mais elle est aussi redoutée par tous ceux qui, dans les banlieues, mais aussi, dorénavant, dans les centres urbains et les zones plus rurales, subissent la violence des rodéos motorisés.
L’agression que ce phénomène suscite est constitutive d’un véritable trouble à l’ordre public. Elle porte atteinte à la sécurité publique par la mise en danger des passants, mais aussi des chauffards eux-mêmes, qui conduisent souvent avec une vitesse excessive, s’emparent des trottoirs, des pistes cyclables et les parcourent à contresens sens, en weeling – c’est-à-dire sur la roue arrière –, réunissant ainsi toutes les conditions pour mettre en danger la vie d’autrui de manière délibérée.
C’est aussi un trouble à la tranquillité publique, puisque les nuisances sonores sont aussi une caractéristique des rodéos. Ces deux-roues souvent trafiqués et dépassent régulièrement le seuil de tolérance de 120 décibels.
Ces troubles à répétition créent une véritable insécurité pour les habitants et une forte exaspération, que ceux-ci expriment continuellement auprès des élus locaux. Au Havre, il n’est pas un lundi sans que le téléphone du maire sonne régulièrement pour faire remonter l’exaspération des citoyens. Bien plus, l’absence de réponse à la hauteur entraîne un sentiment d’impuissance chez les élus et d’impunité chez leurs auteurs.
Dépourvues de moyens, les autorités publiques cherchent des solutions innovantes. Dans mon département de la Seine-Maritime, où ce fléau touche toutes les grandes villes, plusieurs actions ont été testées. À Rouen, pas plus tard que la semaine dernière, une opération d’envergure anti-rodéos a été menée, occupant pendant six heures les forces de la police nationale et de la police municipale, ainsi que d’autres agents encore, pour tenter d’arrêter les contrevenants. Résultat : zéro quad, zéro moto ; aucun véhicule n’a été intercepté lors de cette opération.
Au Havre, nous mettons en place, grâce au CLSPD – celui-là travaille relativement bien, mon cher collègue Jean-Noël Cardoux –, des opérations de publicité sur la destruction des quads et motos saisis, coordonnées avec l’État, le maire, les forces de police, pour tenter de sensibiliser et toucher les auteurs d’infraction. Certes, ce n’est que de la médiatisation, mais ce sont aujourd’hui à peu près les seuls moyens effectifs qu’ont à disposition ces autorités. Force est de constater que les effets de ces mesures restent faibles et que l’exaspération augmente !
Il est donc urgent de trouver des solutions pour enrayer ces comportements. Grâce au travail coordonné de l’Assemblée nationale et du Sénat sur ce texte, rendu possible par l’action menée par mon collègue Vincent Delahaye, nous obtiendrons l’efficacité recherchée.
Néanmoins, il reste un problème important : mettre en œuvre ces mesures et donner de véritables moyens pour interpeller en flagrant délit les auteurs de ces infractions.
Aujourd’hui, de peur de créer des accidents mortels, les forces de police se refusent à intervenir. Or, si les interpellations a posteriori, sur le fondement notamment d’images de vidéoprotection, permettent de sanctionner quelques comportements délictueux, cette réponse reste très insuffisante face à l’ampleur du problème.
Il faut donc donner aux acteurs du maintien de l’ordre public, notamment aux élus locaux, les moyens pour agir efficacement, faire cesser immédiatement ces troubles et sanctionner fortement et sévèrement les auteurs de l’infraction. C’est à cette seule condition que nous réussirons à contrecarrer le fort sentiment d’impunité et à restaurer l’autorité de l’État.
C’est avec un sentiment de pleine confiance que, à l’instar de l’ensemble de mon groupe, je voterai ce texte, convaincue qu’il constitue une réelle avancée pour redonner un sentiment de sécurité aujourd’hui. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste. – M. Jean-Claude Requier applaudit également.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi renforçant la lutte contre les rodéos motorisés
Article 1er
(Non modifié)
Le titre III du livre II du code de la route est complété par un chapitre VI ainsi rédigé :
« CHAPITRE VI
« Comportements compromettant délibérément la sécurité ou la tranquillité des usagers de la route
« Art. L. 236-1. – I. – Le fait d’adopter, au moyen d’un véhicule terrestre à moteur, une conduite répétant de façon intentionnelle des manœuvres constituant des violations d’obligations particulières de sécurité ou de prudence prévues par les dispositions législatives et réglementaires du présent code dans des conditions qui compromettent la sécurité des usagers de la route ou qui troublent la tranquillité publique est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende.
« II. – Les peines sont portées à deux ans d’emprisonnement et à 30 000 euros d’amende lorsque les faits sont commis en réunion.
« III. – Les peines sont portées à trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende :
« 1° Lorsqu’il résulte d’une analyse sanguine ou salivaire que la personne a fait usage de substances ou plantes classées comme stupéfiants ou lorsque cette personne a refusé de se soumettre aux vérifications prévues par le présent code destinées à établir s’il conduisait en ayant fait usage de stupéfiants ;
« 2° Lorsque la personne se trouvait sous l’empire d’un état alcoolique caractérisé par une concentration d’alcool dans le sang ou dans l’air expiré égale ou supérieure aux taux fixés par les dispositions législatives ou réglementaires du présent code ou lorsque cette personne a refusé de se soumettre aux vérifications prévues par le présent code et destinées à établir l’existence d’un état alcoolique ;
« 3° Lorsque le conducteur n’était pas titulaire du permis de conduire exigé par la loi ou le règlement ou que son permis avait été annulé, invalidé, suspendu ou retenu.
« IV. – Les peines sont portées à cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende en cas de cumul d’au moins deux des circonstances prévues aux 1°, 2° et 3° du III du présent article.
« Art. L. 236-2. – Est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende le fait :
« 1° D’inciter directement autrui à commettre les faits mentionnés à l’article L. 236-1 ;
« 2° D’organiser un rassemblement destiné à permettre la commission des faits mentionnés au II du même article L. 236-1 ;
« 3° De faire, par tout moyen, la promotion des faits mentionnés audit article L. 236-1 ou du rassemblement mentionné au 2° du présent article.
« Art. L. 236-3. – Toute personne coupable des délits prévus aux articles L. 236-1 et L. 236-2 encourt également, à titre de peine complémentaire :
« 1° La confiscation obligatoire du véhicule ayant servi à commettre l’infraction si la personne en est le propriétaire ou, sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi, si elle en a la libre disposition. La juridiction peut toutefois ne pas prononcer cette peine par une décision spécialement motivée ;
« 2° La suspension pour une durée de trois ans au plus du permis de conduire ;
« 3° L’annulation du permis de conduire avec interdiction de solliciter la délivrance d’un nouveau permis pendant trois ans au plus ;
« 4° La peine de travail d’intérêt général selon les modalités prévues à l’article 131-8 du code pénal et selon les conditions prévues aux articles 131-22 à 131-24 du même code et à l’article 20-5 de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante ;
« 5° La peine de jours-amende dans les conditions fixées aux articles 131-5 et 131-25 du code pénal ;
« 6° L’interdiction de conduire certains véhicules terrestres à moteur, y compris ceux pour la conduite desquels le permis de conduire n’est pas exigé, pour une durée de cinq ans au plus ;
« 7° L’obligation d’accomplir, à ses frais, un stage de sensibilisation à la sécurité routière.
« L’immobilisation du véhicule peut être prescrite dans les conditions prévues aux articles L. 325-1 à L. 325-3 du présent code. »
M. le président. La parole est à M. Vincent Delahaye, sur l’article.
M. Vincent Delahaye. Nous souhaitons que ce texte soit adopté conforme. C’est la raison pour laquelle je n’ai pas déposé d’amendement, même si j’aurais souhaité apporter quelques modifications au texte de l’Assemblée nationale.
Parmi les propositions initiales que nous avons formulées, certaines étaient d’ordre réglementaire. Il en est une qui m’intéresse au plus haut point et sur laquelle j’aimerais entendre Mme la ministre. Elle porte sur les pots d’échappement libres, dont sont équipés un certain nombre de véhicules et qui augmentent les nuisances subies par les riverains.
Aujourd’hui, un tel équipement entraîne une amende de 11 euros. Je souhaite par conséquent que le fait d’utiliser des équipements ou dispositifs non homologués sur des véhicules mentionnés au premier alinéa soit puni d’une contravention de quatrième classe. J’aimerais que Mme la ministre prenne l’engagement que cette disposition aura rapidement une traduction réglementaire. (M. Claude Kern applaudit.)
M. le président. La parole est à M. François Grosdidier, sur l’article.
M. François Grosdidier. Monsieur le président, madame la ministre, madame la rapporteur, mes chers collègues, les rodéos motorisés sont un fléau dans beaucoup de nos villes, ce que décrit parfaitement l’excellent rapport de Jacqueline Eustache-Brinio. Ces rodéos empoisonnent la vie de certains quartiers. Ils mettent en danger ceux qui les pratiquent, mais surtout les passants et souvent des enfants. Ils révoltent d’autant plus les habitants que gendarmes, policiers nationaux et municipaux paraissent impuissants à les empêcher et à interpeller leurs auteurs.
Il y a aujourd’hui une disproportion entre, d’une part, la difficulté et les risques d’intervention et, d’autre part, la réalité et la gravité de la sanction.
Ce texte améliorera donc considérablement et concrètement l’arsenal répressif, qui est le premier moyen de prévention, car il s’agit de dissuasion. Il améliorera aussi et surtout l’effectivité des dispositions et des interdictions existantes. Par la confiscation du véhicule, il est aussi le meilleur moyen de prévenir la récidive.
Enfin, nous pouvons nous réjouir de la volonté exprimée par le ministère de l’intérieur et le ministère de la justice d’accompagner la mise en œuvre effective de ces dispositions nouvelles. Nous souhaitons une concertation avec les élus municipaux et les polices municipales.
J’aurais aussi souhaité que le Gouvernement accompagne ce texte concrètement, en rétablissant les subventions aux communes pour la vidéoprotection, financement quasi systématique jusqu’il y a six ans et réduit depuis lors à peau de chagrin.
M. le président. La parole est à M. Claude Kern, sur l’article.
M. Claude Kern. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteur, mes chers collègues, cette proposition de loi, qui vient de l’Assemblée nationale – à mon tour, je souhaite rappeler l’initiative similaire de notre collègue Vincent Delahaye, d’autant que je suis l’un des nombreux cosignataires de la proposition de loi qu’il a déposée –, permet de donner une définition claire d’un délit spécifique, le délit de conduite dangereuse troublant la tranquillité publique.
De ce fait, ce délit est plus facilement caractérisable pour les forces de l’ordre. Il permettra la répression de l’incitation et de l’organisation de rodéos motorisés qui engendrent des nuisances sonores importantes, une forte insécurité dans l’espace public et donnent l’image de l’impuissance publique.
En effet, depuis des années que ce phénomène existe, force est de constater qu’il était impossible d’apporter une réponse judiciaire idoine pourtant indispensable face à une situation qui n’a cessé de prendre de l’ampleur. Aucun texte ne visait expressément cette pratique.
À titre d’exemple, lorsque j’occupais les fonctions de maire, j’étais régulièrement confronté à ces situations. Eh oui, même dans les communes rurales ! Malheureusement, les forces de l’ordre n’avaient à leur disposition que les infractions classiques – excès de vitesse ou défaut de port de casque –, qui restaient naturellement sans effet. Si nous pouvons saluer avec les égards qu’elle mérite la mise en place par le Gouvernement de la police de sécurité du quotidien, sur les missions desquelles je ne reviens pas, le législateur se devait d’intervenir en complémentarité pour permettre la caractérisation de telles infractions.
Aussi, nous ne pouvons qu’être favorables à cette initiative parlementaire qui devrait permettre à la tranquillité publique d’être restaurée dans les quartiers et les communes où ces rodéos se déroulent et aux habitants, ainsi qu’aux élus locaux, de se sentir mieux soutenus face à de telles situations.
Afin de permettre une mise en application rapide, je vous invite, mes chers collègues, à voter conforme cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à Mme Fabienne Keller, sur l’article.
Mme Fabienne Keller. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, à la suite de nombre de collègues très investis sur le sujet, je veux à mon tour insister : ce texte constitue un véritable progrès.
Madame la ministre, vous avez beaucoup œuvré pour que ce texte puisse être adopté conforme et que le délit de rodéo soit enfin créé. Vous l’avez souligné, il s’agit là d’une avancée pénale importante. Si, en plus, cela devient demain une priorité dans la sécurité du quotidien, nos concitoyens ne pourront que s’en réjouir.
Mes chers collègues, notamment vous, Mme la rapporteur, chère Jacqueline Eustache-Brinio, vous avez rappelé que l’enjeu était bien de poursuivre les auteurs. Nous savons tous que ce n’est pas simple pour les forces de police ou de gendarmerie : pour le dire avec un peu de sensibilité, le rodéo urbain ne justifie pas que l’on mette la vie d’un jeune motard en péril. Les accidents qui se sont produits peuvent à très juste titre retenir les forces de sécurité dans leur poursuite.
Il nous faut aussi œuvrer par la dissuasion et par l’exemple. Comme l’a souligné Vincent Delahaye, d’ailleurs auteur d’une remarquable proposition de loi, qui est largement à l’origine de ce progrès législatif, il nous faudra pouvoir assurer des poursuites effectives, car nous savons l’effet considérable de l’exemplarité.
C’est pourquoi, à la suite d’Agnès Canayer, je tiens à rappeler que, très souvent, les deux-roues utilisés par les auteurs des rodéos sont trafiqués : les pots d’échappement sont libres, ce qui permet de faire du bruit – l’intérêt du rodéo, c’est de déranger – et d’accélérer brutalement, puisque ces engins sont aussi « débridés ».
C’est la raison pour laquelle, comme l’a souligné à l’instant François Grosdidier, et plusieurs autres avant lui, la question de la mise en œuvre est majeure. Pour l’avoir beaucoup pratiquée, la vidéo est précieuse, mais les auteurs sont habiles et se dissimulent ; elle ne peut donc pas non plus constituer une réponse suffisante.
C’est la raison pour laquelle, mes chers collègues, je présenterai des amendements pour aller encore plus loin. Madame la ministre, j’ai bien entendu votre souhait que ce texte soit adopté conforme. Vous me permettrez néanmoins de souhaiter que vous dessiniez dès à présent des mesures complémentaires, pour atteindre l’efficacité que nous souhaitons tous.
M. le président. Je mets aux voix l’article 1er.
(L’article 1er est adopté.)
Articles additionnels après l’article 1er
M. le président. L’amendement n° 1 rectifié, présenté par Mmes Keller et Garriaud-Maylam, MM. Calvet et Chaize, Mme Micouleau, M. Rapin, Mme Procaccia, M. Perrin, Mmes Dumas, Bories et Berthet et MM. Joyandet, Kennel, Pillet, Schmitz, B. Fournier, Dufaut, Bonhomme et Charon, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article L. 321-1-1 du code de la route est ainsi modifié :
1° L’avant-dernier alinéa est ainsi rédigé :
« La confiscation du véhicule utilisé pour commettre les infractions prévues aux alinéas précédents est de plein droit, sauf décision contraire de la juridiction. » ;
2° La seconde phrase du dernier alinéa est supprimée.
La parole est à Mme Fabienne Keller.
Mme Fabienne Keller. Cette mesure complémentaire s’inscrit tout à fait dans l’esprit qui a présidé à l’élaboration de ce texte.
Il s’agit de permettre la confiscation des véhicules non soumis à réception, c’est-à-dire qui ne circulent en principe pas sur la voie publique, parce qu’ils n’y sont pas autorisés. Je pense en particulier aux mini-motos, que nous voyons néanmoins beaucoup dans nos quartiers.
L’intervention des forces de l’ordre étant délicate au moment même de la constatation d’un rodéo, il est proposé de leur permettre, lorsqu’ils sont présents dans l’espace public, de confisquer ces engins sur ce seul motif. Cela permettrait aux forces de sécurité d’intervenir sans mettre en péril l’intégrité physique du conducteur.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteur. La confiscation d’un véhicule non soumis à réception circulant sur la voie publique est d’ores et déjà possible, mais elle n’est obligatoire qu’en cas de récidive.
Cet amendement vise à rendre la confiscation obligatoire, sauf décision motivée du juge, dès la première contravention. Contrairement à ce qu’indique son objet, son adoption n’aura pas pour conséquence de faciliter l’intervention des forces de police.
Tel qu’il est rédigé, cet amendement tend à supprimer la précision sur les conditions d’immobilisation et la mise en fourrière de ces véhicules par les forces de l’ordre, qui constituent pourtant un préalable indispensable à toute confiscation.
Par conséquent, la commission demande le retrait de cet amendement ; à défaut, elle émettrait un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Jacqueline Gourault, ministre. L’amendement n° 1 rectifié vise à rendre obligatoire la confiscation des véhicules non soumis à réception avec lesquels ont été commises les infractions prévues à l’article L. 321-1-1 du code de la route, à savoir : la circulation sur la voie publique avec un véhicule non soumis à réception, la vente à un mineur d’un tel véhicule, qui peut atteindre, par construction, une vitesse supérieure à 25 kilomètres-heure, et la circulation en dehors des terrains prévus à cet effet.
Or l’avant-dernier alinéa de ce même article prévoit déjà la confiscation des véhicules, ainsi que leur immobilisation ou leur mise en fourrière, alors que le présent amendement ne vise que la confiscation de plein droit du véhicule, sans la possibilité de prononcer une immobilisation ou une mise en fourrière.
Par ailleurs, rendre obligatoire une confiscation, à l’occasion d’une contravention, paraît disproportionné au regard de la peine encourue pour les infractions de l’article L. 321-1-1 susmentionné. Il s’agit d’une contravention de cinquième classe.
C’est d’ailleurs pour prendre en compte ce critère de gravité de l’infraction commise que le dernier alinéa dudit article ne prévoit la confiscation obligatoire qu’en cas de récidive de conduite avec un véhicule non soumis à réception ou de récidive des autres infractions prévues au même article du même code. Le texte que nous examinons le permettra aussi pour les véhicules non soumis à réception, dès lors qu’ils auront servi à faire un rodéo urbain, c’est-à-dire à commettre un délit.
Même si le Gouvernement comprend la volonté de faciliter la confiscation, il convient de le faire en respectant une certaine proportionnalité, comme je l’ai déjà dit, des sanctions infligées, ce à quoi le texte examiné parvient à notre sens, dans sa rédaction actuelle.
C’est pourquoi le Gouvernement vous demande, madame Keller de bien vouloir retirer votre amendement. Sinon, il émettrait un avis défavorable.
M. le président. Madame Keller, l’amendement n° 1 rectifié est-il maintenu ?
Mme Fabienne Keller. Nous sommes tous favorables à la création d’un délit spécifique en matière de rodéos motorisés.
Madame la ministre, je regrette que vous ne vous soyez pas exprimée plus clairement pour affirmer votre volonté d’avancer sur le sujet, en vue de permettre la confiscation des véhicules présents sur l’espace public, alors qu’ils n’y sont pas autorisés. C’est une autre forme de provocation, mais il est très fréquent que ces mêmes véhicules soient aussi utilisés dans le cadre de rodéos motorisés.
Je forme le vœu que le travail puisse néanmoins être poursuivi sur ce type de véhicules, comme je le proposerai pour les véhicules trafiqués au travers de l’amendement n° 2 rectifié.
Cela étant, je retire l’amendement, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 1 rectifié est retiré.
L’amendement n° 2 rectifié, présenté par Mmes Keller et Garriaud-Maylam, MM. Calvet et Chaize, Mme Micouleau, M. Rapin, Mme Procaccia, M. Perrin, Mmes Dumas, Bories et Berthet et MM. Joyandet, Kennel, Pillet, Schmitz, B. Fournier, Bonhomme et Charon, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article L. 321-1 du code de la route est ainsi modifié :
1° Au premier alinéa, après les mots : « celle-ci », sont insérés les mots : « , ou tout dispositif ou équipement non conforme à un type homologué ou à un type ayant fait l’objet d’une réception, lorsque l’agrément de ce dispositif ou équipement est imposé par la loi ou le règlement, » ;
2° Après le même premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« L’utilisation des véhicules ou des équipements mentionnés au premier alinéa, sur les voies ouvertes à la circulation publique ou les lieux ouverts à la circulation publique ou au public, est punie d’une contravention de la quatrième classe. » ;
3° Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« La confiscation du véhicule utilisé pour commettre l’infraction prévue à l’alinéa précédent est de plein droit, sauf décision contraire de la juridiction. »
La parole est à Mme Fabienne Keller.
Mme Fabienne Keller. Dans le même esprit que l’amendement précédent, nous visons cette fois les motos qui sont autorisées sur l’espace public, mais qui sont trafiquées. Je le précise d’emblée, les professionnels ont le droit de trafiquer de tels engins, mais ceux-ci ne sont pas autorisés à circuler sur l’espace public.
Plusieurs collègues l’ont souligné, si les rodéos motorisés créent une tension sociale extrêmement forte, c’est parce que les véhicules utilisés font énormément de bruit. Ils vrombissent, pour le dire autrement, du fait qu’ils sont débridés pour augmenter leur vitesse. D’où les inquiétudes des riverains, des parents en particulier, inquiétudes démultipliées lorsque les rodéos ont lieu en journée.
L’idée est donc de permettre non pas au moment du rodéo, mais en amont ou en aval, la confiscation des engins trafiqués pour émettre plus de bruit ou débridés pour aller plus vite.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteur. Cet amendement vise à apporter trois modifications au régime applicable aux véhicules non réceptionnés ou qui ne sont plus conformes à un type homologué.
En premier lieu, il est proposé de sanctionner plus durement la vente ou la mise en vente de dispositifs ou d’équipements non homologués, mais d’une manière qui paraît peu conforme à l’échelle des peines actuelles.
En deuxième lieu, il est prévu de punir d’une contravention de quatrième classe l’utilisation sur la voie publique d’un véhicule non réceptionné. La création d’une contravention de quatrième classe relève du pouvoir réglementaire, et non législatif, étant entendu qu’un certain nombre de dispositions complémentaires sont d’ores et déjà prévues dans le code de la route.
En troisième et dernier lieu, il est envisagé la confiscation de plein droit des véhicules non réceptionnés. Cet ajout est lié à la création d’une nouvelle contravention, prévue par le 2° de l’amendement, mais qui est de nature réglementaire.
Pour toutes ces raisons, je vous demande, madame Keller, de bien vouloir retirer votre amendement. À défaut, j’émettrais un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Madame Keller, cet amendement vise donc à sanctionner d’une contravention de quatrième classe l’utilisation des véhicules soumis à réception, mais non réceptionnés, non conformes à la réception ou équipés de dispositifs non homologués, et à en permettre la confiscation obligatoire, sauf décision contraire de la juridiction.
Or, s’agissant de la responsabilité pénale des vendeurs, le fait de mettre en vente ou de vendre un dispositif ou un équipement non conforme à un type homologué ou à un type ayant fait l’objet d’une réception est déjà sanctionné par une amende prévue pour les contraventions de quatrième classe par le quatrième alinéa de l’article R. 321-4 du code de la route.
L’article L. 321-1 du même code, que vous entendez modifier par cet amendement, prévoit, quant à lui, les sanctions applicables aux vendeurs des véhicules entiers, ce qui explique la nature délictuelle de l’infraction.
L’adoption du présent amendement aurait donc pour effet d’ériger en délit puni de six mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende une contravention de quatrième classe, punie actuellement de 750 euros d’amende. Ce serait excessif, dans la mesure où vendre des dispositifs ou équipements non conformes est moins grave que vendre des véhicules entiers qui ne respectent pas ou plus la réglementation.
Par ailleurs, la responsabilité pénale des utilisateurs de tels dispositifs est également prévue par le droit positif. Ainsi, le fait de faire usage d’un dispositif ou d’un équipement non conforme à un type homologué ou à un type ayant fait l’objet d’une réception est puni de l’amende prévue pour les contraventions de la première classe par le dernier alinéa de l’article R. 321-4 du code de la route déjà cité.
Dès lors, il est proposé, dans cet amendement, une augmentation de la peine encourue, passant d’une contravention de première classe, punie de 38 euros, à une contravention de quatrième classe, punie de 750 euros. C’est, à notre avis, également excessif. Du reste, c’est au Gouvernement qu’il appartient d’augmenter la peine contraventionnelle prévue par une disposition réglementaire.
Enfin, l’article L. 321-3 du code de la route prévoit que les personnes physiques coupables des infractions prévues par l’article L. 321-1 du même code encourent également la peine complémentaire de confiscation de la chose qui a servi ou était destinée à commettre l’infraction, ou de la chose qui en est le produit. Certes, la confiscation n’est pas prévue pour être obligatoire, sauf décision contraire de la juridiction, mais le prévoir serait de toute façon excessif au regard de la nature contraventionnelle de l’infraction, et ce même si elle devenait une contravention de la quatrième classe.
Le Gouvernement demande donc le retrait de cet amendement. À défaut, il y serait défavorable.
M. le président. Madame Keller, l’amendement n° 2 rectifié est-il maintenu ?
Mme Fabienne Keller. Je vais également retirer cet amendement, monsieur le président, mais je veux vous dire ma déception, madame la ministre, de vous avoir entendue qualifier ma proposition de « disproportionnée » et « d’excessive ». (Mme la ministre s’exclame.) Franchement, avec la chaleur actuelle, c’est ce que supportent nos concitoyens vivant en immeubles qui est tout à fait disproportionné, excessif, voire inhumain.
Vous nous dites que ma proposition est d’ordre réglementaire. Peut-être auriez-vous pu nous faire des suggestions en ce sens. Vous affirmez qu’une amende est déjà prévue pour sanctionner les motos trafiquées. Comment se fait-il qu’il y en ait autant qui circulent ? Vous qui allez souvent sur le terrain, vous ne pouvez pas ne pas le constater. Pourquoi cette sanction n’est-elle pas appliquée ?
Je forme le vœu que vous acceptiez de continuer à travailler sur ce sujet. Le vote de cette proposition de loi sera un immense progrès, mais assurons-nous que sa mise en œuvre concrète permette d’apporter un peu d’apaisement dans la vie de nos concitoyens et, peut-être, d’en appeler à l’exemplarité de chacun.
C’est par la dissuasion qu’il pourra être mis un terme à cette forme de délinquance, qui crée un niveau de tension sociale insupportable.
Quoi qu’il en soit, je retire mon amendement, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 2 rectifié est retiré.
Article 2
(Non modifié)
I. – Le titre IV du livre II du code de la route est ainsi modifié :
1° Le chapitre III est complété par un article L. 243-3 ainsi rédigé :
« Art. L. 243-3. – Les articles L. 236-1 à L. 236-3 sont applicables en Nouvelle-Calédonie. Pour l’application du I de l’article L. 236-1, les mots : “législatives et réglementaires du présent code” sont remplacés par les mots : “applicables localement en matière de circulation routière”. » ;
2° Le chapitre IV est complété par un article L. 244-3 ainsi rédigé :
« Art. L. 244-3. – Les articles L. 236-1 à L. 236-3 sont applicables en Polynésie française. Pour l’application du I de l’article L. 236-1, les mots : “législatives et réglementaires du présent code” sont remplacés par les mots : “applicables localement en matière de circulation routière”. » ;
3° Le chapitre V est complété par un article L. 245-3 ainsi rédigé :
« Art. L. 245-3. – Les articles L. 236-1 à L. 236-3 sont applicables dans les îles Wallis et Futuna. Pour l’application du I de l’article L. 236-1, les mots : “législatives et réglementaires du présent code” sont remplacés par les mots : “applicables localement en matière de circulation routière”. »
II. – Sont homologuées, en application de l’article 21 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d’autonomie de la Polynésie française, les peines d’emprisonnement prévues en Polynésie française :
1° Aux articles LP. 261, LP. 265, LP. 269-1, LP. 269-2, LP. 269-3, LP. 281, LP. 281-1, LP. 282-1, LP. 282-2 et LP. 282-3 de la délibération n° 85-1050 AT du 24 juin 1985 portant réglementation générale sur la police de la circulation routière ;
2° Aux articles LP. 1er et LP. 2 de la délibération n° 96-104 APF du 8 août 1996 relative au transport des matières dangereuses par route ;
3° Aux articles LP. 50 et LP. 51 de la délibération n° 2000-12 APF du 13 janvier 2000 relative à la modernisation et au développement des transports routiers en Polynésie française. – (Adopté.)
Article additionnel après l’article 2
M. le président. L’amendement n° 3 rectifié bis, présenté par MM. Marchand, Richard, Patriat et les membres du groupe La République En Marche, est ainsi libellé :
Après l’article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Au premier alinéa de l’article L. 321-1-2 du code de la route, les mots : « au deuxième alinéa de », sont remplacés par le mot : « à ».
La parole est à M. Alain Richard.
M. Alain Richard. Compte tenu de la position prise par la commission, qui souhaite que nous puissions voter conforme le texte, afin qu’il entre directement en application, je vais, en m’excusant auprès de mon collègue Frédéric Marchand, retirer cet amendement.
Je souhaite que, dans le cadre de l’examen du projet de loi d’orientation sur les mobilités, il soit possible de revenir sur le sujet, s’agissant, notamment, des problèmes liés à l’identification des véhicules.
Je retire donc cet amendement, monsieur le président.
M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Jean-Claude Requier, pour explication de vote.
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, notre groupe votera cette proposition de loi, qu’il trouve particulièrement pertinente. Le moment est bien choisi pour l’adopter, car l’été est une période propice aux rodéos motorisés.
Notre groupe est composé majoritairement d’élus ruraux. Si les rodéos ont souvent lieu en zones urbaines, il faut noter qu’ils gagnent aussi les petites villes, ce qui gêne tout autant la population locale.
Nous nous réjouissons de voir que sera rétablie une certaine égalité dans la répression. Depuis les zones rurales, nous voyons ces rodéos se dérouler en banlieues, sans qu’aucune sanction soit prononcée. Tandis que, sur nos routes, nationales comme départementales, rouler à 89 kilomètres à l’heure hier, à 79 aujourd’hui, tranquillement, sur une chaussée bien large, bien dégagée, sans circulation, risque de nous faire prendre au radar ! (Sourires.)
Parce qu’il permet plus de justice dans la répression, nous voterons ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains. – M. Alain Marc applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Vincent Delahaye, pour explication de vote.
M. Vincent Delahaye. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le moment est important, alors que nous nous apprêtons à voter ce texte. J’aurais préféré qu’il soit examiné en premier au Sénat, mais je puis comprendre que le Gouvernement et le groupe En Marche de l’Assemblée nationale aient souhaité qu’il soit d’abord soumis à nos collègues députés.
L’important, pour chacun d’entre nous, était d’être efficace, de répondre à l’attente des Français, donc de trouver rapidement des solutions pour lutter contre ce fléau du quotidien, qui empoisonne la vie de millions de nos concitoyens. Nous voilà tous rassemblés ici au service de cet objectif.
J’ai bien noté que nos collègues du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, opposés à toute forme d’emprisonnement dans ce domaine, vont s’abstenir. C’est un moindre mal.
Nous voilà tous rassemblés, disais-je, pour ce qui ne doit être qu’une première étape. Je l’ai rappelé, il y a encore du travail à réaliser, par le Gouvernement, par les parlementaires, mais également par les maires, qui ont, eux aussi, un rôle à jouer dans la dissuasion et dans la prévention de ce phénomène.
En tout cas, je me réjouis du vote imminent du Sénat. Avoir abouti en moins d’un an à un texte applicable, c’est une réussite. J’en remercie Mme la ministre, ainsi que tous les collègues qui m’ont suivi. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains. – M. Arnaud de Belenet applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Marc Laménie, pour explication de vote.
M. Marc Laménie. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je me félicite de cette proposition de loi, dont le mérite revient, tout d’abord, à ses auteurs, mais aussi aux différents intervenants. Je tenais moi aussi à apporter mon modeste témoignage sur un vrai problème de société, cela a été maintes fois souligné, qui touche aussi bien les secteurs urbains que le monde rural.
J’ai été maire d’une petite commune de 160 habitants. Même à l’échelle d’un village, il faut le dire, ces phénomènes dus à l’inconscience de certains existent, y compris, donc, dans le département des Ardennes, que vous connaissez bien, madame la ministre. D’autant que ces individus circulent sans casque et mettent leur vie en danger. Mais quel est le pouvoir du maire d’une petite commune ? La gendarmerie, hypersollicitée, fait ce qu’elle peut. La police, aussi, qu’elle soit nationale ou municipale.
Il est réellement très compliqué d’agir. Même dans les territoires ruraux, on voit des hordes de quads, parfois une quarantaine en même temps, déferler et venir détériorer les chemins, notamment forestiers.
Dès lors qu’il s’agit de véhicules mettant en danger la vie d’autrui, le combat est permanent. Ce texte a au moins le mérite, sur un sujet sensible, de permettre la prise immédiate d’un certain nombre de mesures. Je n’oublie pas non plus les propositions de Mme Keller, qui, bien qu’elle ait retiré ses amendements, a le mérite de vouloir faire avancer ses idées.
Nous comptons sur vous, madame la ministre, et sur vos services pour prévoir, parmi les forces de sécurité intérieure, les moyens humains nécessaires, car beaucoup repose sur eux. Le combat s’annonce très compliqué, mais aussi très long, d’autant qu’il faudra appliquer les décisions de justice.
Naturellement, je voterai ce texte.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’ensemble de la proposition de loi.
(La proposition de loi est adoptée définitivement.) (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains. – M. Guillaume Arnell applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je remercie le Sénat de ce vote conforme.
Le Gouvernement avait exprimé sa volonté de soutenir les deux propositions de loi émanant, l’une, de l’Assemblée nationale, l’autre, du Sénat. Nous avons fait un travail de « coproduction », terme que j’assume complètement, pour le moins efficace. Il était important que ce texte puisse être voté conforme, car il sera d’application directe dès le lendemain de sa parution au Journal officiel.
J’ai déjà eu l’occasion de répondre à nombre d’interpellations qui m’ont été adressées. J’ai bien entendu la nécessité d’associer les communes et de prévoir les moyens nécessaires. Le FIPD, le Fonds interministériel de prévention de la délinquance, serait insuffisamment abondé, me dit-on.
Vous le savez, vous qui êtes ou avez été des élus locaux, alors qu’elles n’étaient que quelques-unes au début, pratiquement toutes les communes, les petites comme les grandes, demandent aujourd’hui à être équipées de caméras de surveillance. Les sommes en jeu deviennent considérables, et il n’est pas possible de répondre positivement à toutes les demandes, j’en suis bien consciente.
M. Alain Richard. C’est pour cela que vous ne répondez désormais à aucune !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Non, nous répondons à un certain nombre de demandes, en privilégiant les communes ou quartiers qui nous semblent prioritaires.
Naturellement, le Gouvernement va s’astreindre à prendre toutes les mesures réglementaires que vous avez souhaitées et demandées. Comme nombre d’entre vous l’ont souligné, nous n’en sommes qu’à une première étape, mais ô combien importante. Sans le vote d’aujourd’hui, nous ne pourrions pas procéder aux arrestations nécessaires, aux mises en fourrière, aux confiscations.
Bien évidemment, cela n’empêche pas, madame Keller, de poursuivre notre travail, pour l’améliorer. D’ailleurs, vous avez toute latitude pour vous-même déposer une proposition de loi, que nous examinerions avec attention. Les explications que je vous ai données étaient, certes, quelque peu techniques, mais c’est le sujet qui le veut, je n’y peux pas grand-chose.
J’ai également rappelé la position du Conseil constitutionnel, sur laquelle je me suis fondée pour répondre sur le caractère proportionné ou disproportionné des propositions qui ont été faites.
Voilà une question fondamentale. Le ministère de l’intérieur et le ministère de la justice se sont attachés à veiller au respect du principe de proportionnalité des peines, sous peine de voir le texte censuré par le Conseil constitutionnel. Il importe d’élaborer des textes les plus équilibrés possible, pour permettre une mise en application aussi rapide qu’efficace. (Applaudissements sur des travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Républicains, du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures cinquante, est reprise à seize heures cinquante-cinq.)
6
Lutte contre la manipulation de l’information
Rejet en procédure accélérée d’une proposition de loi et d’une proposition de loi organique
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi et de la proposition de loi organique, adoptées par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatives à la lutte contre la manipulation de l’information (proposition de loi no 623 et proposition de loi organique n° 629, rapports nos 677 et 668, avis n° 667).
Il a été décidé que ces deux textes feraient l’objet d’une discussion générale commune.
Dans la discussion générale commune, la parole est à Mme la ministre.
Mme Françoise Nyssen, ministre de la culture. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteur Catherine Morin-Desailly, monsieur le rapporteur Christophe-André Frassa, mesdames, messieurs les sénateurs, les deux propositions de loi dont nous discutons aujourd’hui sont d’une importance cruciale pour notre démocratie.
Face à la montée des manipulations de l’information, l’attentisme n’est pas une option. Je veux saluer et remercier les députés qui ont pris l’initiative de ces textes, largement enrichis en commission et en première lecture à l’Assemblée nationale par le travail des rapporteurs, dont je tiens à saluer l’investissement.
Les discussions ont été riches, et je m’en félicite. Sur un sujet aussi fondamental, aussi sensible, il est normal, et je dirais même souhaitable, que les débats soient nourris. C’est le signe du bon fonctionnement de notre démocratie et de nos institutions.
J’espérais voir ce travail prolongé en commission au Sénat : cela n’a pas été le cas, puisque vous avez fait le choix de ne pas examiner les articles et de ne pas amender les textes. Permettez-moi de le regretter.
J’entends les interrogations formulées sur une partie importante des deux textes, à savoir le référé. Je ne les partage pas. Surtout, je regrette que cela fasse obstacle à l’examen des nombreuses autres mesures, qui sont autant d’avancées sur des enjeux que nombre d’entre vous sont les premiers à porter : le combat pour la régulation des plateformes, pour une transparence accrue dans l’espace numérique et pour l’éducation à l’information et aux médias.
Le Sénat possède, sur ces sujets, une expertise qui aurait pu utilement enrichir les textes, je n’en doute pas. Il est regrettable que nous, comme nos concitoyens, en soyons privés.
La prudence ne peut être l’alibi de l’inaction. Refuser d’agir aujourd’hui, refuser de prendre les mesures qui s’imposent pour endiguer la désinformation, refuser d’actionner les leviers qui sont à notre portée, ce serait manquer à notre responsabilité.
Le Gouvernement soutient les deux propositions de loi discutées aujourd’hui avec la plus grande conviction. Ces textes apportent des réponses qui sont nécessaires, équilibrées et efficaces pour relever le défi qui nous fait face.
Je veux d’abord insister sur ce qui fonde leur nécessité. Il ne s’agit pas de dire que la loi va tout résoudre. Je suis la première à affirmer que le premier rempart de notre démocratie contre la manipulation, c’est le travail des journalistes et des médias : ce sont eux qui font vivre, chaque jour, le droit à l’information de nos concitoyens.
J’entends les critiques qui nous sont assénées sur ce sujet. Pour moi, la réalité est tout autre.
Cherchons-nous à faire taire les oppositions, quand nous sanctuarisons les aides qui garantissent l’indépendance et le pluralisme de la presse ? Non !
Cherchons-nous à museler qui que ce soit, quand nous soutenons les titres qui consacrent à notre gouvernement les enquêtes et les « unes » les moins complaisantes ? Non !
Cherchons-nous à affaiblir les médias, quand nous nous battons dans l’arène européenne pour la consécration d’un droit voisin pour les éditeurs de presse ? Non ! Quand nous préparons l’avenir du système de distribution, qui garantit aux papiers, aux chroniques les plus critiques, aux enquêtes les plus pointues – du Monde au Figaro, à Libération, à Charlie Hebdo – de pouvoir être lus dans la France entière ? Non !
Le premier engagement du Gouvernement contre la désinformation est là : dans le soutien à ceux qui délivrent une information de référence toute l’année, qui proposent des outils de décryptage et qui nourrissent le débat d’idées.
En parallèle, il faut que les autorités compétentes puissent combattre la propagation des contenus qui usurpent les codes du journalisme pour manipuler les citoyens. L’arsenal juridique en vigueur n’est plus suffisant. La loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse est un socle fondamental, que je suis la première à défendre. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas le compléter.
Le monde a changé, en un siècle, et les modes de propagation des fausses informations aussi. La grande nouveauté, avec le numérique, c’est la viralité. Très souvent, elle est orchestrée, à des fins politiques, par du sponsoring ou des achats de « likes », notamment. Nous ne pouvons pas rester impuissants devant ces stratégies de manipulation de l’opinion, ces campagnes d’endoctrinement, qui déstabilisent nos démocraties.
Aujourd’hui, les autorités chargées de protéger nos concitoyens n’ont pas de moyens d’action suffisants pour stopper la propagation des fausses idées. Il peut se passer des semaines, voire des mois, avant que le juge judiciaire puisse ordonner le retrait d’un contenu dangereux sur les réseaux sociaux. Nous soutenons donc la création d’une nouvelle procédure de référé en période électorale, pour stopper la propagation de contenus susceptibles d’altérer la sincérité du scrutin.
Il faut agir aussi contre la désinformation à la radio et à la télévision. Nous ne pouvons pas laisser des États étrangers s’ingérer dans nos affaires intérieures par l’intermédiaire des médias qu’ils contrôlent. Le Conseil supérieur de l’audiovisuel est insuffisamment armé contre ce phénomène, qui monte en puissance. Nous soutenons donc la proposition visant à compléter ces pouvoirs.
C’est un enjeu de souveraineté pour la France, autant qu’un impératif démocratique. Nous soutenons ces textes au regard de leur nécessité, incontestable aux yeux du Gouvernement. Nous le soutenons, par ailleurs, pour l’équilibre qu’il a su trouver. Il a suivi la ligne de crête, entre fermeté et protection intransigeante des libertés.
Je veux, tout d’abord, insister sur un point essentiel : le texte vise non pas les auteurs des contenus, très souvent anonymes, mais les acteurs qui les diffusent. Tous les garde-fous qui s’imposent ont, par ailleurs, été instaurés. Le texte prévoit des conditions cumulatives très précises pour encadrer l’intervention du juge en période électorale.
L’information devra être manifestement fausse et diffusée de manière délibérée, massive et artificielle. Ces critères excluent, par nature, tous les articles des journalistes professionnels fondés sur un travail d’investigation. De même, pour le CSA, le texte prévoit des conditions très précises pour la suspension de chaînes étrangères.
J’entends certains responsables politiques affirmer que le texte serait un moyen pour le Gouvernement d’instaurer un « délit d’opinion », une police de la vérité. Je voudrais rappeler trois éléments essentiels.
Tout d’abord, et c’est le meilleur gage de son équilibre, le texte que nous discutons vient du cœur de la démocratie, c’est-à-dire du Parlement.
Ensuite, je rappelle que la loi ne donne en aucun cas des pouvoirs au Gouvernement. Elle complète les moyens d’action du pouvoir judiciaire et du CSA, qui agissent tous deux en pleine indépendance.
Je rappelle enfin que le Conseil d’État a été saisi sur ce texte et qu’il a rendu un avis positif, gage du respect des droits et libertés garantis aussi bien par notre Constitution que par le droit international. J’appelle donc à la responsabilité ceux qui dénoncent une loi liberticide, une atteinte à la démocratie. La véritable menace qui pèse sur nos libertés, aujourd’hui, devant les manipulations, c’est la passivité.
Si nous soutenons ce texte, enfin, c’est pour son efficacité. Ce n’est pas un arsenal défensif. Il propose des leviers d’action, de prévention et de mobilisation.
C’est, tout d’abord, un nouvel instrument de régulation des plateformes. Il ne cherche pas à cibler la « production » des fausses informations – ce serait vain –, mais bien leur « propagation » ; c’est le nerf de la guerre.
Or, aujourd’hui, non seulement les plateformes ne jouent pas pleinement le jeu de la démocratie, en cautionnant ces pratiques, mais elles en tirent profit. Je l’ai dit, je le répète : elles sont à la manœuvre d’une gigantesque économie de la manipulation. Elles vendent des « likes », des « followers », des espaces de visibilité aux pourvoyeurs de fausses informations. Je rappelle que, pour 40 euros, je peux acheter 5 000 abonnés sur Twitter.
Le texte que nous discutons propose d’agir concrètement, en renforçant les obligations qui pèsent sur les plateformes.
Une obligation de transparence, tout d’abord. Il est souvent difficile pour un utilisateur d’identifier si un contenu est « sponsorisé », c’est-à-dire si un groupe de pression ou encore un État étranger a payé pour qu’il se retrouve en « tête d’affiche » sur un réseau social ou un site.
Le texte prévoit d’instaurer une triple obligation de transparence aux moments charnières que sont les périodes électorales : les plateformes devraient non seulement indiquer si quelqu’un a payé, mais aussi qui, et combien.
Le texte renforce par ailleurs la responsabilité des plateformes dans la lutte contre les fausses informations, en créant un devoir de coopération. Il s’agit de rompre avec le règne de l’arbitraire. La presse, les radios, les chaînes de télévision ont une responsabilité sur leurs contenus. Seules les plateformes échappent aux règles aujourd’hui. Elles sont les seules arbitres du « faux » et du « vrai » sur ce qu’elles diffusent. Ce n’est pas acceptable !
Le texte tend à remédier à cette anomalie, en créant une forme de corégulation, à travers un devoir de coopération. Je veux préciser qu’il ne s’agit pas de demander aux plateformes de retirer elles-mêmes les contenus inappropriés, mais, au contraire, de mettre en place des outils de signalement pour les utilisateurs et des outils de décryptage et de sensibilisation pour les utilisateurs, en coopération avec les journalistes. Ce serait une avancée fondamentale, en pleine cohérence avec le large mouvement de responsabilisation des plateformes que la France est en train de conduire au niveau national et européen.
L’efficacité dans la lutte contre la manipulation, c’est aussi l’éducation. Je l’ai dit, je le répète : celle-ci est la mère des batailles. Le sujet ne figurait pas dans la rédaction initiale de la proposition de loi et c’est le travail en commission, à l’Assemblée nationale, qui a permis de l’intégrer.
Le texte dont nous discutons aujourd’hui propose ainsi d’amender le code de l’éducation pour faire de l’éducation aux médias et à l’information une obligation à chaque niveau de la scolarité. Qui peut le contester ? Il propose également d’étendre la mission d’éducation à l’information aux chaînes privées. Qui peut le contester ?
L’audiovisuel public joue un rôle majeur, que nous sommes en train de consolider. Mais il n’a pas vocation à agir seul.
J’ai, pour ma part, doublé le budget de mon ministère pour l’éducation à l’information et aux médias, de 3 millions d’euros à 6 millions d’euros, dès cette année, pour soutenir ceux qui mènent des actions de formation. Ils sont nombreux à agir : journalistes, associations, etc. Je veux les remercier et leur adresser le plus chaleureux salut républicain.
J’ai, par ailleurs, lancé un vaste programme de services civiques pour l’éducation à l’information, programme qui sera déployé dans les bibliothèques dès l’automne prochain.
J’ai fait de l’éducation aux médias et à l’information une priorité, qui se retrouve dans ces propositions de loi. Je les soutiens avec la plus grande détermination.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le texte dont nous discutons est d’une richesse, d’une pertinence et d’une précision bien éloignées de la caricature à laquelle il est parfois réduit.
M. François Bonhomme. Carrément ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Françoise Nyssen, ministre. Le défi qui est en jeu dépasse de loin les logiques partisanes, les jeux de posture et les stratégies de court terme. Il s’agit, ici, du modèle qui nous unit, le modèle démocratique, et c’est en son nom que le Gouvernement soutient le texte que vous examinez aujourd’hui. (M. André Gattolin applaudit.)
(M. Vincent Delahaye remplace M. Thani Mohamed Soilihi au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Vincent Delahaye
vice-président
M. le président. La parole est à Mme la rapporteur.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, rapporteur sur la proposition de loi. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur pour avis, mes chers collègues, la proposition de loi relative à la lutte contre les fausses informations a été déposée le 21 mars 2018 par les membres du groupe La République En Marche de l’Assemblée nationale.
La commission de la culture, de l’éducation et de la communication a délégué au fond l’examen du titre Ier et du titre IV à la commission des lois. Cette dernière a également été saisie de la proposition de loi organique relative à la lutte contre les fausses informations, qui complète le dispositif avec la prise en compte de l’élection présidentielle.
Je tiens d’ailleurs à remercier le rapporteur de la commission des lois, Christophe-André Frassa, ainsi que son président, Philippe Bas, de la qualité de nos échanges et de notre travail extrêmement coordonné et approfondi sur ce texte.
Toutefois, fallait-il légiférer ? Fallait-il légiférer dans l’urgence ? Fallait-il légiférer ainsi ? Madame la ministre, il existe un fort consensus dans cette assemblée sur la réalité du défi posé par les fausses informations à nos démocraties. J’ai choisi le terme « fausses informations », bien que, en réalité, comme l’a souligné le Conseil d’État dans son excellente analyse du phénomène, la définition de dernier ne soit pas stabilisée.
Si elles ne datent pas d’aujourd’hui, tant s’en faut, les fausses informations, à la faveur du développement des réseaux sociaux, ont pris une ampleur inédite à l’occasion des derniers scrutins, en Europe comme aux États-Unis. Elles ont gangréné les campagnes électorales et fait peser la suspicion sur les résultats. Tous les pays européens s’en préoccupent désormais, telle la Belgique qui, la semaine dernière, a décidé, néanmoins, de ne pas légiférer sur le sujet, alors que des élections générales s’y dérouleront en 2019.
Nous devons avoir une conscience du terrain d’affrontement mondial qu’est devenu l’Internet. Les Européens n’ont pas l’entière maîtrise des réseaux mondiaux de l’information, et apparaissent comme singulièrement démunis face aux manipulations politiques menées sciemment par certaines puissances étrangères. C’est pourquoi une initiative destinée à s’attaquer à cette question ne pouvait que trouver un écho favorable au Sénat.
Les deux commissions ont donc mené un travail très approfondi, précis et rigoureux. Nous avons rencontré plus de soixante interlocuteurs, notamment à l’occasion de trois tables rondes.
Le rapporteur pour avis de la commission des lois évoquera le titre Ier, qui suscite une réaction quasi épidermique contre sa principale disposition, le référé introduit par l’article 1er. C’est le cœur du sujet, car de la définition que l’on donne des fausses informations et du dispositif mis en place pour en interdire la diffusion découle l’appréciation de l’ensemble de la proposition de loi.
La plupart des dispositions introduites par ailleurs, si elles suscitent moins de passion, paraissent cependant mal calibrées, insuffisamment réfléchies et souvent insuffisantes.
Le titre II a l’objectif de permettre au CSA de contraindre davantage un média étranger ou sous influence étrangère qui chercherait à influencer le débat politique à travers la diffusion de fausses informations.
Le titre III, ou plus exactement « II bis », à la suite de la réécriture opérée à l’Assemblée, vise à introduire un embryon de régulation des plateformes en ligne.
La bonne question à se poser dans ce contexte est tout de même : « Pourquoi, face à un problème bien identifié, est-il si délicat de trouver une solution adaptée ? »
Le sujet n’est pas simple. Dans son avis du 19 avril dernier, le Conseil d’État marque bien les écueils auxquels une législation doit faire face. Aller trop loin, comme en Allemagne, c’est faire apparaître un risque de censure privée et préventive. Ne rien faire, c’est, pour accéder à l’information sans garantie de sa fiabilité, nous en remettre volontairement aux plateformes, « catégorie juridique nouvelle et hétérogène », à mi-chemin entre les hébergeurs et les éditeurs, responsables de rien, mais dont le rôle n’est absolument pas neutre. Entre ces deux voies, le chemin, nous en convenons, est étroit.
Justement, je voudrais traduire le sentiment convergent de la commission de la culture, de la commission des lois et des trois groupes politiques qui ont déposé une motion tendant à opposer la question préalable, mais aussi de beaucoup d’autres sénateurs. Cette proposition de loi ne traduit pas vraiment une vision stratégique, globale et appropriée des enjeux – ô combien complexes – de l’information à l’heure du numérique.
Je vais illustrer mon propos par trois points qui sont autant de pistes de réflexion.
Premier point : aujourd’hui, l’Internet est la principale source d’accès à l’information de nos concitoyens. Les grands acteurs de l’Internet structurent maintenant notre vision du monde, à l’aide d’algorithmes sophistiqués et opaques.
Le modèle économique de l’Internet repose sur une fausse gratuité, qui consiste à commercialiser nos données personnelles aux annonceurs. Si besoin en était, l’affaire Cambridge Analityca a bien montré la dérive qui pouvait en résulter dans une campagne électorale. C’est dans cette faille que se sont engouffrées les fausses informations, ou plutôt ceux qui en tirent bénéfice.
Leur diffusion peut relever de la manipulation, d’une stratégie délibérée pour déstabiliser et influencer les opinions ; c’est cela, nous l’avons compris, que le texte entend combattre. Mais il faut bien mesurer, comme vous l’avez expliqué, madame la ministre, qu’elle est avant tout rentable et constitue une industrie. Tous les procédés technologiques sont bons : « bots followers », fermes de contenus…
L’ancien ingénieur de Google Tristan Harris l’a parfaitement ramassé en une formule : « l’économie de l’attention », c’est-à-dire ce qui vous pousse à rester sur votre réseau social favori le plus longtemps possible… Ainsi, durant la campagne américaine, un certain Paul Horner gagnait près de 18 000 dollars par mois en répandant des informations totalement absurdes et diffamatoires sur la candidate démocrate.
Sur ce sujet, madame la ministre, je pense qu’il faut une vraie initiative et une véritable stratégie, mais au niveau européen. Les réponses des États en ordre dispersé sont insuffisantes, et le titre III du texte souligne surtout l’impuissance du niveau national face au verrou posé par la directive sur le commerce électronique de juin 2000, qui crée un cadre extrêmement libéral pour les moteurs de recherche et les hébergeurs.
Ce que la proposition de loi traduit donc, c’est, avant tout, une grande impuissance face aux GAFAM, et je pense particulièrement à Google et Facebook, le duopole qui a vocation, selon les dires d’un certain dirigeant, à « organiser l’information du monde », et qui profite d’un cadre européen devenu particulièrement inadapté. Défini voilà près de vingt ans, il a fait son temps.
La Commission européenne privilégie actuellement l’autorégulation. Elle s’est donnée jusqu’en décembre pour trancher. Je pense, en réalité, qu’il est grand temps, comme l’a préconisé le Conseil d’État dans un avis rendu en 2014 sur le numérique et les droits fondamentaux, de revoir le cadre juridique des plateformes.
C’est pourquoi, madame la ministre, au lieu de perdre six mois sur ce texte, il aurait été préférable de faire avancer la réflexion en France et en Europe sur ce sujet, une réflexion à la hauteur des enjeux, à laquelle le Sénat aurait été, bien sûr, heureux de contribuer.
Second point : la formation aux médias et au numérique, qu’il ne faut pas confondre. Nos collègues députés ont introduit plusieurs dispositions en faveur de l’éducation aux médias et à l’information. On ne peut que s’en satisfaire, car il y a là un vrai enjeu.
« Former et informer » : le Sénat porte depuis longtemps un grand intérêt à cette question. Dès 2011, à l’initiative de la commission de la culture dont j’étais rapporteur à l’époque, dans le cadre de l’examen du « troisième paquet télécom », nous avons inscrit dans la loi que « dans le cadre de l’enseignement d’éducation civique, les élèves sont formés afin de développer une attitude critique et réfléchie vis-à-vis de l’information disponible […] dans l’utilisation des outils interactifs lors de leur usage des services de communication au public en ligne ».
Malheureusement, sept ans plus tard, comme je l’ai souligné dans mon récent rapport sur la formation à l’heure du numérique, ce qu’il convient de renforcer, c’est l’éducation aux médias, bien sûr, mais aussi au numérique – comprendre l’écosystème dans lequel je me trouve pour en maîtriser le fonctionnement et ne pas me laisser piéger. Sur ce sujet, il nous manque toujours un plan d’action global et stratégique – évitons, de grâce, de confier notre numérique éducatif aux GAFAM ! –, un plan clairement défini et accompagné de moyens budgétaires, et qui inclut la formation des formateurs.
En réalité, nous n’avons pas besoin de nouvelles dispositions législatives, d’autant que la loi sur l’encadrement de l’utilisation des téléphones portables dans les établissements scolaires, que nous avons adoptée ce matin même, mentionne expressément l’éducation à la citoyenneté numérique. Au-delà, madame la ministre, je plaide pour que la montée en compétences numérique de tous soit décrétée grande cause nationale.
Troisième et dernier point : la construction de notre écosystème numérique. Nous devons impérativement trouver les moyens d’accompagner la transition vers le numérique de la presse. Comment, avec leurs faibles moyens et un lectorat en attrition, les titres de presse peuvent-ils couvrir le bruit des fausses informations ?
Il faut évidemment mettre en œuvre une véritable stratégie numérique puissante, évoquée plus haut, et ne pas se contenter naïvement de l’aumône – au regard de ce dont il est redevable fiscalement – que nous verse Google pour alimenter le fonds de transition. Cette stratégie permettra aussi d’accompagner la digitalisation des entreprises, l’évolution des métiers et l’adaptation aux nouveaux usages. C’est ce défi qu’il nous faut également relever, et non compliquer la tâche d’une presse aujourd’hui confrontée à des bouleversements sans précédent.
Madame la ministre, je vous sais sincère sur tous ces sujets. Il est encore temps que nous engagions un travail approfondi ensemble. Je vous remercie, en tout cas, de votre attention. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale sur la proposition de loi organique, rapporteur pour avis sur la proposition de loi. Madame la ministre, que diable êtes-vous allée faire dans cette galère ? Car comment qualifier autrement cette entreprise périlleuse engagée par la majorité de l’Assemblée nationale et le Gouvernement ?
Comme vous l’avez rappelé, madame la ministre, la principale mesure de ces deux textes consiste en la création d’une procédure spécifique de référé, afin de faire cesser, en période électorale, la diffusion « des fausses informations de nature à altérer la sincérité du scrutin à venir », lorsque celles-ci sont diffusées sur internet « de manière délibérée, de manière artificielle ou automatisée et massive ».
Parce qu’elle a considéré le dispositif inabouti, inefficace et dangereux, la commission des lois a choisi de présenter une motion visant à opposer la question préalable au texte organique.
Inabouties, tout d’abord, ces propositions de loi le sont, car elles trouvent leur origine dans une réflexion qui n’a visiblement pas été menée à terme. Il est regrettable que, avant d’engager la procédure accélérée sur un tel texte, le Gouvernement n’ait pas procédé, au préalable, à l’évaluation des dispositifs existants en matière de lutte contre les abus de la liberté d’expression.
Pourquoi légiférer, alors que la répression des rumeurs ou des fausses nouvelles n’est pas une question nouvelle en droit et que la France dispose déjà d’un cadre législatif ancien en la matière ?
Pourquoi légiférer, alors que la publication de fausses nouvelles ayant eu pour effet de fausser un scrutin électoral est d’ores et déjà réprimée par l’article L. 97 du code électoral ?
Pourquoi légiférer, alors que les dispositions actuelles de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de presse, pivot de la lutte contre les abus de la liberté d’expression depuis plus de cent trente ans, permettent déjà de réprimer des propos sciemment erronés, diffamatoires, injurieux ou provocants ?
Je rappelle que l’article 27 de la loi du 29 juillet 1881 réprime « la publication, la diffusion ou la reproduction » de « nouvelles fausses, de pièces fabriquées, falsifiées ou mensongèrement attribuées à des tiers, lorsque, faite de mauvaise foi, elle aura troublé la paix publique, ou aura été susceptible de la troubler ».
Je rappelle aussi que l’action en diffamation est particulièrement efficace pour lutter contre les fausses informations qui portent atteinte à l’honneur et à la considération d’une personne, d’autant plus que, en matière de diffamation, il existe une présomption de mauvaise foi. C’est au prévenu de prouver soit sa bonne foi, soit la véracité des allégations.
Le champ d’application de ce délit est particulièrement vaste : ainsi, l’allégation qu’une personnalité politique détiendrait un compte illégal offshore est déjà susceptible d’être qualifiée de diffamatoire.
Pourquoi légiférer, alors qu’une action en référé sur le fondement de l’article 9 du code civil est toujours possible en cas de « fausses informations », d’informations falsifiées ou même biaisées portant sur la vie privée d’une personne physique ?
Enfin, pourquoi légiférer, alors que plusieurs dispositions pénales répriment les fausses informations qui causent un trouble grave à un particulier ou à la société, par exemple la publication d’un photomontage – c’est l’article 226-8 du code pénal ?
Le Gouvernement serait tenté de me répondre que les délais actuels de procédure sont incompatibles avec la nécessité d’une action rapide. C’est faux ! Des procédures rapides sont déjà prévues par les textes : je rappelle que, lorsque des faits d’injure ou de diffamation envers un candidat à une fonction élective sont commis en période électorale, la juridiction peut être appelée à statuer dans un délai de vingt-quatre heures.
De même, l’article 6 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique du 21 juin 2004 prévoit d’ores et déjà que l’autorité judiciaire peut prescrire en référé ou sur requête aux fournisseurs d’accès et aux hébergeurs de services de communication au public en ligne « toutes mesures propres à prévenir un dommage imminent ou à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d’un service de communication au public en ligne ».
La commission des lois reconnaît qu’il existe des difficultés d’application de la loi du 29 juillet 1881 aux contenus diffusés sur internet. Les formalités particulièrement lourdes imposées à peine de nullité sont en effet particulièrement inadaptées aux propos diffusés sur internet.
Sans doute aurait-il été nécessaire de travailler à l’adaptation de ces procédures aux contenus diffusés sur internet. Néanmoins, l’Assemblée nationale et le Gouvernement n’ont pas fait ce choix : ils se sont inscrits dans le mouvement dénoncé par le rapport de nos collègues François Pillet et Thani Mohamed Soilihi sur l’équilibre de la loi du 29 juillet 1881 à l’heure d’internet,…
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Excellent rapport !
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. … dérive consistant à intégrer des dispositions relatives à l’encadrement des abus de la liberté d’expression dans d’autres textes que la loi du 29 juillet 1881 !
Inaboutis, ces deux textes sont aussi inefficaces. Même une procédure de référé n’aura qu’une efficacité incertaine face à des contenus dont la vitesse de propagation est fulgurante. Surtout, contrairement à un procès en diffamation, il n’y aura pas de renversement de la charge de la preuve. Ainsi, la personne agissant en référé et invoquant l’existence d’une fausse information devra rapporter la preuve du caractère faux de l’information en question.
Or il n’est que très difficilement possible de rapporter la preuve contraire de certaines affirmations ou allégations, même infamantes : comment prouver, par exemple, que l’on n’a pas commis une fraude fiscale ou que l’on ne dispose pas d’un compte offshore ?
Inefficaces, ces deux textes sont surtout dangereux, enfin. La philosophie même du titre Ier de la loi ordinaire me pose problème.
Le seul vide juridique qui se dessine au regard des multiples dispositions législatives actuelles concerne une action en référé contre les fausses informations qui ne troublent pas ou ne sont pas susceptibles de troubler la paix publique, qui ne sont attentatoires ni à l’honneur, ni à la considération, ni à la vie privée des personnes, et dont l’effet sur un scrutin n’est qu’incertain. Faut-il, dans une société démocratique, permettre des mesures de censure vis-à-vis d’un tel contenu aussi peu attentatoire ?
Autre difficulté, quelle légitimité a le juge des référés à définir, en quarante-huit heures, la nature authentique, inexacte ou trompeuse d’une information ? Je vous rappelle que, traditionnellement, le juge des référés est le juge de l’évidence, de l’illégalité manifeste. Or la définition de la fausse information n’a rien d’évident ! Pour preuve, l’Assemblée nationale a eu les plus grandes difficultés pour donner une définition aux fausses informations.
Au reste, cette définition pose elle-même problème. Dans quelle mesure la disposition actuelle de la proposition de loi permet-elle de protéger la satire ou la parodie, qui peuvent être par nature trompeuses, sans pour autant démontrer une quelconque intention de nuire ? Les seules modalités de diffusion – « artificielle ou automatisée et massive » – ne peuvent suffire à établir une intention malveillante, alors même que, chaque jour, des contenus, souvent humoristiques, sont reproduits, partagés et diffusés de manière « artificielle » et massive via les réseaux sociaux.
Plus inquiétant encore, le texte adopté par l’Assemblée nationale vise non pas les seules fausses informations diffusées dans l’intention d’altérer la sincérité d’un scrutin, mais, plus généralement, toutes les allégations inexactes ou trompeuses d’un fait « de nature à altérer la sincérité du scrutin à venir ».
Ainsi, la seule diffusion massive et virale d’une information trompeuse susceptible d’avoir des conséquences sur une élection, même si cette diffusion n’a pas été réalisée dans ce but, est susceptible de faire l’objet d’un déréférencement, d’un retrait, voire d’un blocage, « sans préjudice de la réparation du dommage subi ». Or, comment le juge des référés pourrait-il, en quarante-huit heures, établir a priori l’altération d’un scrutin qui n’a pas encore eu lieu ?
Autre élément d’inquiétude, les propositions de loi apparaissent rompre, sans aucune raison impérieuse, avec la tradition juridique française de liberté d’expression accrue pendant les périodes électorales. En effet, le juge judiciaire, comme le juge électoral, a toujours laissé une large place à la polémique politique.
Pourquoi revenir sur cet espace de liberté ? Pourquoi, d’ailleurs, faudrait-il encadrer le débat électoral plus strictement que le débat sur les questions de santé ou d’économie ? Les fausses informations en matière de santé ne sont-elles pas plus graves ?
Le risque d’instrumentalisation à des fins dilatoires d’un tel dispositif est évidemment très grand. Ces propositions de loi pourraient ainsi permettre à n’importe quel parti d’empêcher, à tort ou à raison, la publication d’informations dérangeantes en période électorale, alors même qu’il est légitime pour le citoyen d’être informé, même et surtout en période électorale.
Il n’y a aucune limitation à la liste des personnes pouvant introduire un référé : toute personne ayant intérêt à agir pourra instrumentaliser cette procédure ! La rapidité avec laquelle le juge des référés devra statuer pourrait d’ailleurs engendrer des décisions contestables, avec un risque de jurisprudences contraires entre le juge judiciaire et le juge de l’élection.
Pour toutes ces raisons, la commission des lois a considéré que ces propositions posaient un problème de principe. Elle a jugé nécessaire de s’abstenir de légiférer plutôt que de risquer de nuire à la diffusion de contenus légitimes.
En conclusion, sur ma proposition et celle du groupe socialiste et républicain, la commission des lois a décidé de présenter une motion tendant à opposer la question préalable à la proposition de loi organique et de soutenir la motion de la commission de la culture sur la proposition de loi ordinaire. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste. – Mme Sylvie Robert et M. David Assouline applaudissent également.)
M. le président. Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité sur la proposition de loi.
Exception d’irrecevabilité sur la proposition de loi
M. le président. Je suis saisi, par MM. Kanner et Assouline, Mme S. Robert, M. Durain, Mme de la Gontrie et les membres du groupe socialiste et républicain, d’une motion n° 2.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevable la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, relative à la lutte contre la manipulation de l’information (n° 623, 2017-2018).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à Mme Sylvie Robert, pour la motion.
Mme Sylvie Robert. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ». C’est par ces mots que la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 proclame solennellement la liberté d’opinion et d’expression.
C’est aussi par ces mots que cette même déclaration concrétise l’essence même des Lumières, fruit d’un combat philosophique et politique séculaire, à savoir le droit de penser de manière indépendante et d’agir selon sa propre conscience.
Toutefois, dès l’origine, la liberté d’expression n’est pas définie comme un droit absolu, fidèlement à la lettre de l’article IV de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui ». Il s’ensuit que, en cas d’abus ou d’atteinte avérée à l’ordre public ou à l’encontre d’un tiers, chacun peut être amené à répondre de ses propos. En d’autres termes, les libertés d’opinion et d’expression sont intrinsèquement fondées sur l’éthique de la responsabilité.
C’est ainsi que l’ensemble de notre droit positif interne repose sur cet équilibre entre consécration de la liberté d’expression et répression de ses abus. Nous sommes donc éloignés d’une logique de sacralisation extrême qui prédomine dans certains pays, notamment aux États-Unis.
C’est pourquoi, madame la ministre, nous, sénateurs socialistes et républicains, avons décidé de déposer une motion visant à opposer l’exception d’irrecevabilité à la présente proposition de loi. Nous estimons en effet qu’elle rompt en de multiples endroits l’équilibre précédemment mentionné et que, en ce sens, un certain nombre de ses dispositions apparaissent contraires à des principes pourtant constitutionnellement garantis.
Premièrement, plusieurs mesures de cette proposition de loi se révèlent manifestement une entrave disproportionnée à la liberté d’expression et d’information.
Il convient de rappeler que le Conseil constitutionnel a souligné, dans une jurisprudence constante, que la liberté d’expression et de communication est d’autant plus précieuse que son exercice est une condition de la démocratie et l’une des garanties du respect des autres droits et libertés.
Par conséquent, elle est une forme de droit premier, à la fois individuel et collectif, qui conditionne la nature d’un régime politique, caractérise son degré démocratique et assure l’effectivité d’autres droits dérivés ou, tout du moins, de droits dont l’exercice dépend de celui de la liberté d’expression et de communication, à l’image de la liberté de la presse. Elle est donc un droit éminemment ordonnateur.
Or la définition de la fausse information proposée au sein de l’article 1er semble peu aboutie : « Toute allégation ou imputation d’un fait inexacte ou trompeuse ».
Outre que cette définition ne prend nullement en considération le caractère d’intentionnalité, son champ particulièrement vaste et imprécis met potentiellement en cause pléthore de contenus émanant de publications aux tonalités différentes, parfois de nature parodique ou satirique – je pense bien sûr au Canard enchaîné, à Charlie Hebdo ou à d’autres quotidiens ou hebdomadaires.
Sans préjuger de l’utilisation qui pourrait en être faite, cette proposition de loi est porteuse en elle-même d’un risque de censure, qui menace la liberté d’expression, d’information et de la presse. En la matière, je crois qu’il faut faire preuve de prudence et ne pas insulter l’avenir. Si le débat relatif à la manipulation de l’information mérite vraiment d’être posé, les solutions à apporter sont constitutionnellement chancelantes, du point de vue du droit fondamental que constitue la liberté d’expression et de communication.
Par ailleurs, ce texte paraît porter atteinte au principe constitutionnel de la liberté du commerce et de l’industrie, ainsi qu’à celui de la liberté d’entreprendre, et ce pour des motifs divers.
Tout d’abord, par l’obligation de transparence imposée aux plateformes en période d’élection. Dans son avis, le Conseil d’État a mis en exergue que seul le rattachement de cette obligation à une raison d’intérêt général impérieuse et inédite, s’attachant à préserver l’information éclairée des citoyens en période électorale, était de nature à la justifier.
Si les députés ont pris soin d’introduire cette précision, l’absence de définition de la notion d’information éclairée, combinée à celle de fausse information, pour le moins contestable, ne motive aucunement l’application de cette obligation, que la Cour de justice de l’Union européenne a déjà condamnée à plusieurs reprises.
Ensuite, par la situation de concurrence déloyale induite, dès lors que certains médias peuvent se retrouver privés d’une exposition juste et équitable. Cela pourrait être le cas pour des sites ou des pages supprimés à la suite de l’intervention du juge des référés, pour des services audiovisuels qui verraient leur convention unilatéralement résiliée par le Conseil supérieur de l’audiovisuel, même hors période électorale, ou qui verraient leur distribution ou diffusion suspendue par le CSA pendant la période électorale.
Surtout, il faut noter une disparité de traitement flagrante entre les services conventionnés, seuls inclus dans le champ d’application de la proposition de loi, et ceux qui sont autorisés, c’est-à-dire diffusés par voie hertzienne, qui se situeraient hors du périmètre du texte de loi. Autrement dit, la mise en œuvre des articles du titre II entraînerait une rupture d’égalité manifeste en termes de libre concurrence, autre principe constitutionnel, sur lequel l’Union européenne et la Cour de justice de l’Union européenne sont très vigilantes.
De plus, la faculté de résiliation unilatérale de la convention par le CSA, ouverte par l’article 6 de la proposition de loi, pose des questions importantes.
En premier lieu, le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 10 juin 2009 sur la loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet, a censuré des dispositions qui visaient à conférer à une autorité administrative indépendante des pouvoirs de sanction inadaptés et excessifs.
Postulant qu’une autorité administrative indépendante n’était pas une juridiction et que les pouvoirs de sanction octroyés par le projet de loi pouvaient conduire à restreindre le droit de s’exprimer et de communiquer librement, le Conseil avait conclu que, eu égard à la nature de la liberté garantie par l’article XI de la Déclaration de 1789, le législateur ne pouvait, quelles que soient les garanties encadrant le prononcé des sanctions, confier de tels pouvoirs à une autorité administrative.
Le parallèle est évident avec la présente proposition de loi, que ce soit au niveau de la liberté concernée ou du pouvoir de sanction confié au CSA.
De surcroît, dans son avis, le Conseil d’État a mis en lumière que le fait de sanctionner une personne morale en raison des seuls agissements commis par d’autres personnes morales, qui peuvent être sans lien direct avec elle – ce serait par exemple le cas de filières de l’actionnaire de la société –, apparaît difficilement conciliable avec les principes constitutionnels de responsabilité personnelle et de proportionnalité des peines, garantis par les articles VIII et IX de la Déclaration de 1789.
Enfin, d’autres points juridiquement douteux et singulièrement flous laissent à penser que, en tant que législateurs, nous ferions preuve d’incompétence négative. En effet, le Conseil constitutionnel est attentif à ce que le législateur ne reporte pas sur une autorité administrative ou juridictionnelle le soin de fixer des règles ou des principes, dont la détermination n’a été confiée qu’à la loi en vertu de l’article 34 de la Constitution.
À cet égard, cet article a été élargi au secteur des médias lors de la réforme de 2008, grâce à un amendement des sénateurs socialistes, dont notre collègue David Assouline était le premier signataire. Désormais, le législateur a compétence pour établir les règles afférentes à la liberté, au pluralisme et à l’indépendance des médias.
En outre, l’incompétence négative est caractérisée quand le législateur adopte une loi trop imprécise ou ambiguë ou qu’il renvoie au pouvoir réglementaire de façon trop générale ou imprécise. Or, comme il a été démontré précédemment, le cœur même de ce texte, à savoir la définition de la fausse information, est explicitement imprécis et tend à mettre dans la difficulté le juge qui devrait l’interpréter.
Aussi, étant donné cette imprécision générale et constante, de nombreux contentieux risquent d’éclore et beaucoup d’inconnues demeurent.
Comment le juge des référés pourrait-il se prononcer sur des faits de nature à influencer un scrutin non encore advenu ? Comment effectuer un contrôle a priori sur un événement, dont l’aboutissement est par définition incertain ? Que signifie précisément et concrètement un service audiovisuel sous influence d’un État étranger ? Cette notion juridique est inexistante dans notre droit positif. Il eût été primordial de l’encadrer et de déterminer des critères qui permettent de l’appréhender. Malheureusement, il n’en est rien, et le risque d’incompétence négative est donc bel et bien réel.
En conclusion, mes chers collègues, j’aimerais seulement insister sur le danger qu’il y a à légiférer, sans prendre le temps nécessaire, sur un sujet aussi épineux, complexe juridiquement et aux implications si multiples.
« Pour agir avec prudence, il faut savoir écouter », disait Sophocle. Les doutes, pour ne pas dire la perplexité, sont unanimement partagés sur les travées de cette assemblée. J’espère, madame la ministre, que vous saurez nous écouter, à un moment où, une nouvelle fois, les médias, la liberté de la presse, ainsi que la liberté d’information et d’expression, qui sont intrinsèquement liés, sont fragilisés, voire attaqués.
Nous avons plus que jamais besoin que ces libertés soient strictement respectées, car elles sont les lettres de dignité de notre démocratie et les remparts contre toutes les vagues autocratiques que le monde d’aujourd’hui voit malheureusement déferler. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – Mme Mireille Jouve applaudit également.)
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteur. Le groupe socialiste et républicain a déposé une motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité sur la proposition de loi qui nous occupe aujourd’hui. Les auteurs de cette motion estiment que les dispositions du texte violent en particulier les articles X et XI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, relatifs à la liberté d’expression.
La commission de la culture, comme la commission des lois, a souligné dans son rapport les risques d’inconstitutionnalité, qui pèsent effectivement sur la proposition de loi, en particulier ses articles 1er et 6 qui semblent poser des difficultés.
Le moment venu, une saisine du Conseil constitutionnel permettra au juge de trancher. De ce point de vue, la motion présentée par nos collègues permet de souligner l’attention du Sénat au respect de la Constitution, et je les en remercie.
Cependant, à l’occasion de l’examen devant nos deux commissions, il est apparu que les groupes politiques ont préféré dénoncer la philosophie et la méthode d’ensemble sur ces textes. Les groupes Les Républicains, socialiste et républicain et Union Centriste ont d’ailleurs déposé une motion tendant à opposer la question préalable. Même le groupe du RDSE, traditionnellement très attaché au débat, a choisi de s’abstenir sur le vote de la motion, que je défendrai tout à l’heure au nom de la commission de la culture.
Nous avons là une quasi-unanimité – elle est rare parmi nous ! –, non seulement sur le constat, mais également sur la méthode. J’aurai l’occasion d’y revenir plus tard.
Dans ce contexte, cette nouvelle motion déposée par le groupe socialiste et républicain paraît superfétatoire. Si nous avons bien relevé les risques d’inconstitutionnalité dans la proposition de loi, ils ne sont pas manifestes au point de justifier, à eux seuls, le rejet du texte. C’est pour cette raison que nous avons, de manière très collégiale, retenu la motion tendant à opposer la question préalable pour bien marquer la position très ferme du Sénat.
Par ailleurs, en application de l’article 44, alinéa 2, de notre règlement, l’adoption de cette motion d’irrecevabilité interromprait là nos débats, sans permettre la tenue de la discussion générale, ce que je trouverais très regrettable.
En conséquence, la commission de la culture a émis un avis défavorable sur cette exception d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Françoise Nyssen, ministre. Madame Robert, vous avez balayé de nombreux sujets, mais vos critiques relatives à la constitutionnalité de ces textes ne résistent pas à une analyse sérieuse.
Je rappelle tout d’abord que les deux propositions de loi ont été soumises pour avis au Conseil d’État, qui a procédé à un examen approfondi et a validé toutes leurs dispositions. Cet avis a notamment permis de s’assurer que la proposition de loi est parfaitement conforme à la Constitution, ainsi qu’à tous les textes internationaux et européens applicables.
Vous mettez en avant les libertés d’expression, d’opinion et de la presse, mais ce sont justement ces grandes libertés constitutionnelles que nous cherchons à défendre : lorsque, pour des enjeux économiques ou géopolitiques, de fausses informations sont massivement diffusées, afin de manipuler l’opinion publique, détourner et influencer le vote de nos concitoyens, il n’y a plus de liberté !
Par ailleurs, je suis surprise que vous vous défendiez la liberté d’entreprendre des GAFA, c’est-à-dire les entreprises comme Google, Amazon, Facebook ou Apple, et que vous vous opposiez à la légitime transparence des contenus sponsorisés sur internet.
Je le répète, ce texte n’est ni contraire au droit international ni inconstitutionnel. Je souhaite le rejet de l’exception d’irrecevabilité, qui ne se justifie pas et qui, de surcroît, nous priverait de la discussion générale sur ce sujet majeur. (M. André Gattolin applaudit.)
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 2, tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet de la proposition de loi.
Je rappelle également que la commission et le Gouvernement ont émis un avis défavorable.
(La motion n’est pas adoptée.)
M. le président. Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité sur la proposition de loi organique.
Exception d’irrecevabilité sur la proposition de loi organique
M. le président. Je suis saisi, par MM. Kanner, Durain et Assouline, Mmes S. Robert, de la Gontrie et les membres du groupe socialiste et républicain, d’une motion n° 2.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevable la proposition de loi organique, adoptée par l’Assemblée nationale, relative à la lutte contre la manipulation de l’information (n° 629, 2017-2018).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie, pour la motion.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, madame la présidente de la commission de la culture, mes chers collègues, me voilà placée dans un exercice assez étrange, j’allais dire inédit : défendre une exception d’irrecevabilité dont le principe est partagé par la présidente de la commission de la culture et d’autres collègues, mais sur laquelle tant la commission que le Gouvernement émettront un avis défavorable.
Connaissant déjà l’avis des uns et des autres, je ne puis qu’être extrêmement modeste et humble. Néanmoins, je vais essayer de vous convaincre. Plusieurs groupes considèrent qu’il y a un réel problème de constitutionnalité, mais ne souhaitent pas voter l’exception d’irrecevabilité en raison des règles d’organisation de nos débats. Vous avouerez que l’exercice devient très ingrat pour moi, et je vous remercie, par conséquent, de m’encourager.
Le groupe socialiste et républicain a présenté une exception d’irrecevabilité sur chacun des deux textes qui nous sont soumis. Les motifs que nous soulevons ont été parfaitement développés par notre collègue Sylvie Robert. Nous considérons que ces textes sont de nature à porter atteinte aux principes constitutionnels que sont la liberté d’opinion et la liberté d’expression.
C’est notre responsabilité de législateur que de préserver la nature libérale de notre droit, de protéger les valeurs constitutionnelles, de garantir à la presse sa liberté, au-delà des contingences politiques et des tentations hégémoniques, de la préserver de toute tentative d’intimidation et d’interdire à quiconque, jamais, quelles que soient les circonstances, de prétendre qu’elle n’avait ni à enquêter ni à dénoncer.
Tel est le sens de notre engagement. C’est pour cette raison, mes chers collègues, que nous vous proposons d’adopter cette motion.
La liberté d’opinion et la liberté d’expression sont protégées par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen – je n’y reviendrai pas, puisque les articles ont été cités précédemment et que chacun les connaît. Pourtant, les textes qui nous sont soumis aujourd’hui les menacent. Nous devons en être parfaitement conscients.
Madame la ministre, tout à l’heure, vous avez voulu nous rassurer, en précisant que ces textes ne pouvaient pas être dangereux, puisqu’ils étaient d’origine parlementaire – c’était l’un de vos trois arguments. Nous pouvons tout de même sourire ! Chacun a en mémoire l’engagement, très vibrant, du Président de la République, qui, constatant, non sans raison, la façon dont les rumeurs et les fausses informations – ou les vraies… – avaient pu circuler pendant sa campagne électorale, estimait qu’il y avait lieu de légiférer.
De ce fait, ne nous y trompons pas, les textes qui nous sont soumis n’ont qu’un objectif : préserver, si tant est que ce soit possible, ce qui ne semble pas l’être finalement, l’élection présidentielle.
Parlementaire récemment élue, j’adorerais que mes collègues députés fassent preuve d’autonomie dans leurs initiatives, mais, concernant ces textes, ce point n’apparaît pas tout à fait clairement, disons-le ainsi… En fait, il est évident que, pour des raisons diverses, le choix a été fait, de ce côté-là de la Seine, de privilégier la forme d’une proposition de loi, plutôt que celle d’un projet de loi.
Il nous semble que ces textes sont dangereux. D’ailleurs, l’actualité récente – l’histoire est parfois ironique ou cruelle – nous rappelle qu’il est possible qu’un homme se réclamant de la présidence de la République parvienne à déroger aux règles fondamentales de fonctionnement des services républicains de sécurité.
Elle nous rappelle aussi qu’une enquête journalistique qui révèle ces faits et rend compte de leurs conséquences peut être considérée par le Président de la République comme émanant d’« une presse qui ne cherche plus la vérité », d’un « pouvoir médiatique qui veut devenir un pouvoir judiciaire » ou d’un pouvoir qui aurait « la tentation de sortir de son lit »… Qui veut-on impressionner, lorsque l’on tient ce type de propos ? Quel organe de presse encourage-t-on à ne pas prendre le risque de publier des enquêtes ?
Nous devons toujours renoncer à l’inertie lorsqu’une liberté démocratique est en jeu. C’est bien le cas aujourd’hui. Oui, nous considérons qu’une information d’intérêt général a vocation à être rendue publique immédiatement dans la presse.
Cette loi a pour objectif, vertueux, de définir la fausse information et de la combattre, pour répondre à ce que le Président de la République, le 3 janvier dernier, a appelé « des bobards inventés pour salir les hommes politiques et la démocratie ».
La dangerosité passe d’abord par les mots. Or il était tellement simple de définir une fausse information que le Parlement s’y est repris à trois fois : la proposition de loi initiale a été, comme vous l’avez si joliment dit, madame la ministre, enrichie en commission – en clair, réécrite intégralement –, puis le texte a été, de nouveau, réécrit intégralement en séance, pour aboutir à des formules tout à fait alambiquées, au point qu’elles en deviennent dangereuses juridiquement.
Le texte vise également à permettre au ministère public, aux candidats et aux partis de saisir le juge des référés dans les trois mois qui précèdent un scrutin, afin de faire cesser ces fameuses fausses informations, qui seraient de nature à en altérer la sincérité.
Il faudra que l’on m’explique comment cela peut fonctionner. Je suis avocate de métier et je ne vois pas comment un juge pourra apprécier en quarante-huit heures – un exploit ! –, si une information, qui ne serait pas exacte, est de nature à altérer la sincérité d’un scrutin qui n’aura pas encore eu lieu. Cela revient à établir qu’une information qui n’existe pas est de nature à altérer le résultat d’un scrutin qui n’a pas eu lieu !
Il faut savoir que, dans ce domaine, normalement, le juge des référés se déclare incompétent, car il est le juge de l’évidence et renvoie au juge de l’élection la capacité de se prononcer sur l’altération du scrutin. Il est vrai que, dans un cas particulier, celui de l’élection présidentielle, un recours ne peut pas être utilement formé, puisque le juge de cette élection n’a pas la capacité d’annuler cette dernière.
Pour cette raison, j’ai la conviction que ce texte n’est en réalité construit que pour protéger les modalités de l’élection présidentielle, qui, sur cet aspect-là seulement, bien évidemment, a laissé un souvenir cuisant au Président de la République.
Il existe néanmoins un effet pervers : l’action judiciaire serait vraisemblablement infructueuse, ce qui du coup renforcerait les convictions de la personne poursuivie. Il faut aussi relever les risques de censure et d’autocensure, qui se développeront pour éviter les contentieux.
Les pouvoirs donnés au Conseil supérieur de l’audiovisuel posent également question, cela a été rappelé tout à l’heure de manière très précise par notre collègue Sylvie Robert. Nous nous élevons contre ces dispositions.
Ce texte a vocation à s’appliquer en période électorale, comme si, d’ailleurs, le problème des fake news ne se posait qu’à cette période-là, ce qui est en soi un véritable sujet de réflexion. Or les périodes électorales sont des moments où la démocratie s’exprime avec le plus d’intensité et revêt des symboles lourds, comme le rappelle régulièrement le Conseil constitutionnel.
Le groupe socialiste et républicain estime que nous ne pouvons pas prendre de risques sur un sujet aussi important que les droits fondamentaux des citoyens et de la presse. Il considère que ce texte est inconstitutionnel en raison des dangers pesant sur la liberté d’expression et sur la liberté d’opinion.
Encore une fois, l’actualité récente nous invite à la plus grande vigilance ; elle nous a brutalement rappelé l’importance des médias dans le processus démocratique et le fait que, sur ce point, tous ne semblent pas partager cette opinion… Cette actualité nous fait également comprendre que le risque d’une vérité instaurée, officielle ou même sous-entendue par l’État n’est pas acceptable. Les médias doivent rester libres d’investiguer, d’écrire et de publier. C’est la base même de la liberté d’expression.
Comme nous le voyons ces derniers jours, les médias font des révélations, que certains ne pouvaient imaginer, mais qui sont capitales pour la démocratie. La presse est un contre-pouvoir. Et Montesquieu, qui est très souvent cité depuis quelques jours – non à propos de ce texte, mais pour des raisons tenant à l’actualité – rappelait dans De l’Esprit des lois : « Pour que l’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir ».
Cette phrase doit être méditée encore aujourd’hui, et je vous invite, mes chers collègues à voter, avec le groupe socialiste et républicain, cette motion d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Madame de la Gontrie, nous pouvons être d’accord sur le fond, mais, sur la forme, comme vous le savez parfaitement, puisque vous êtes membre de la commission des lois, cette dernière n’a pas souhaité présenter d’exception d’irrecevabilité. Elle a préféré adopter une motion tendant à opposer la question préalable.
Il est possible, en effet, de s’interroger sur la constitutionnalité de certaines dispositions de l’article 1er, et il est probable que, si l’examen de ce texte était mené jusqu’à son terme, une saisine du Conseil constitutionnel serait souhaitable.
La commission a rejeté la proposition de loi organique pour de nombreuses raisons, qui sont relatées dans l’objet de la motion tendant à opposer la question préalable. Néanmoins, ces raisons ne sont pas d’ordre constitutionnel à titre principal. Le problème est, avant tout, de principe : nous nous opposons à la philosophie de ces propositions de loi, à leur calendrier et à leurs conditions d’examen.
Il me semble préférable d’adopter, non pas l’exception d’irrecevabilité présentée par le groupe socialiste et républicain, mais la motion tendant à opposer la question préalable, qui présente l’avantage, comme l’a indiqué tout à l’heure ma collègue Catherine Morin-Desailly, d’être discutée après la discussion générale, ce qui permet à l’ensemble des groupes politiques de s’exprimer.
Mes chers collègues, vous l’aurez compris, la commission des lois émet un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Françoise Nyssen, ministre. Madame la sénatrice, vous critiquez ces propositions de loi, mais, dans le même temps, vous regrettez que les rapporteurs de l’Assemblée nationale aient fait leur travail, en réécrivant certaines dispositions. Aussi n’est-il pas paradoxal, avec votre proposition, de rejeter sans débat cette proposition de loi organique ?
Vous vous en doutez, le Gouvernement est défavorable à l’adoption de cette motion, et cela pour les mêmes raisons que celles que j’ai exprimées tout à l’heure sur la motion précédente.
En qui concerne les périodes électorales, vous savez bien, madame la sénatrice, que ces moments sont particulièrement sensibles pour le bon fonctionnement de notre démocratie. Comme je l’ai déjà indiqué, l’objectif de ce texte est de mettre en place des mesures équilibrées. En cas d’atteinte à la sincérité d’un scrutin, les dommages causés sont irréversibles, car les périodes électorales sont limitées dans le temps. C’est ce qui rend indispensable une action très rapide.
Vous le savez, il existe bien d’autres mesures relatives à la liberté de communication qui sont spécifiques à la période électorale. Il est tout à fait habituel de mettre en place ce type de mesures et d’adapter les règles aux risques particuliers qui entourent ces périodes. C’est une question d’équilibre, dans la conciliation normale entre différentes libertés.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable.
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 2, tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet de la proposition de loi organique.
Je rappelle également que la commission et le Gouvernement ont émis un avis défavorable.
En application de l’article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.
Il va y être procédé dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 226 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 329 |
Pour l’adoption | 75 |
Contre | 254 |
Le Sénat n’a pas adopté.
M. le président. Dans la suite de la discussion générale commune, la parole est à Mme Mireille Jouve.
Mme Mireille Jouve. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, lors de la présentation de ses vœux à la presse, le 3 janvier dernier, M. le Président de la République avait annoncé une évolution juridique du cadre visant à lutter contre la diffusion de fausses informations.
Si la rumeur est souvent qualifiée de plus vieux média du monde, force est de reconnaître que l’ère des nouvelles technologies de l’information et de la communication lui offre un champ d’épanouissement sans équivalent auparavant.
Avec l’avènement d’internet et des réseaux sociaux, le débat public a connu de profondes mutations. Sur le fond, l’immixtion croissante de fausses informations n’est pas sans conséquence sur la qualité de son contenu. Sur la forme, nous pourrions également faire le constat d’une éviction de plus en plus fréquente des propos nuancés ou modérés au sein du débat public : « Merci de vous exprimer “court” et “fort” pour parvenir encore à être audible ! »
À titre personnel, j’estime non seulement que cette évolution sur la forme du débat public est dommageable à la richesse de ce dernier, mais qu’elle est également de nature à favoriser l’adhésion d’une part de la population aux fausses nouvelles.
L’excès appelle l’excès, même si la frontière entre des propos caricaturaux et la diffusion d’informations mensongères demeure, à mes yeux, bien évidente.
Comme cet hémicycle nous autorise une expression qui tienne en plus de 280 caractères (Sourires.), je profite de ce qui est devenu un rare privilège pour vous faire part du sentiment nuancé qui est celui de mon groupe à l’égard de ces textes. Les membres du RDSE prennent toute la mesure de la multiplication des fausses informations et de la facilité déconcertante avec laquelle celles-ci se propagent désormais. Elles viennent polluer le salutaire débat public, pour lequel il est déjà aujourd’hui difficile d’entretenir l’intérêt de nos concitoyens.
Cette préoccupation est partagée par l’ensemble de nos membres. Toutefois, la réponse qui nous est proposée ce jour ne nous apparaît pas satisfaisante. Nous ne minimisons pas la menace ; nous ne sommes pas partisans du laissez-faire, pas plus que nous ne croyons à une possible mithridatisation dans ce domaine. En revanche, nous n’adhérons tout simplement pas aux dispositions législatives qui nous sont proposées.
Les rapporteurs des commissions du Sénat saisies sur ces textes ont réalisé un travail dont la hauteur de vue fait encore une fois honneur à notre assemblée. Le Sénat, vecteur de modération et d’équilibre, s’est souvent posé en défenseur des libertés publiques dans la tradition parlementaire française.
Le premier écueil de ces textes réside dans leur principal dispositif normatif : la création d’un référé visant à lutter contre les fausses informations en période électorale.
L’arsenal existant est pourtant pour le moins déjà pléthorique : loi sur la liberté de la presse, code électoral, référé de droit commun du code de procédure civile, loi pour la confiance dans l’économie numérique. Pourquoi ne pas avoir amélioré les nombreuses procédures existantes ?
Le rapport de MM. Pillet et Mohamed Soilihi propose une réflexion pertinente et plus équilibrée sur l’adaptation à l’Internet de la loi sur la liberté de la presse. Pourquoi avoir privilégié la voix d’un dispositif ad hoc dont l’opportunité n’aurait vraisemblablement pas résisté à une étude approfondie des outils juridiques déjà à notre disposition ?
Le nouveau référé proposé a vocation à cibler les fausses informations de nature à altérer la sincérité du scrutin, mais le Conseil d’État a lui-même relevé la difficulté de qualifier juridiquement ces faits dans des délais très courts.
La définition précise de la fausse information pose problème. À l’Assemblée nationale, la rapporteur du texte s’est finalement auto-amendée et a proposé deux définitions successives : une première en commission, qui a donné lieu à des réactions pour le moins contrastées, puis une seconde dans l’hémicycle.
Sur ce point, les travaux de la chambre basse apparaissent pour le moins laborieux. Si l’on ne doit toucher aux lois que d’une main tremblante, il est tout de même souhaitable que celle-ci ne tremble pas trop au moment d’écrire la loi ! La pertinence de la démarche de nos collègues députés de la majorité nous apparaît donc très incertaine.
Les dispositions de l’article 1er semblent difficilement applicables. Le juge, soucieux de ne pas commettre d’impair dans un champ mal ou insuffisamment défini, sera vraisemblablement enclin à repousser la démarche, là où une procédure classique aurait sans doute pu aboutir. Dans la pratique, les risques d’atteinte à la liberté d’expression ne peuvent pas non plus être totalement écartés.
La rapidité avec laquelle le juge des référés devra statuer risque de susciter des décisions contestables. Des informations révélées dans le cadre d’une campagne électorale pourraient tout à fait être invalidées, car l’état des connaissances au moment où le juge est saisi est insuffisant pour prouver qu’elles sont fondées. Mais par la suite ? La véracité de telles allégations apparaît souvent en effet uniquement dans un second temps. Les exemples en sont légion.
Nous avons également la conviction que la réponse à la question de la désinformation en ligne ne peut être qu’européenne et ne saurait s’arrêter aux frontières hexagonales. La diffusion des fausses informations s’affranchit elle-même largement des frontières et une approche commune, avec des réponses coordonnées, nous apparaît nécessaire. Dans le cadre de la réflexion européenne, des instruments de riposte sont en cours d’élaboration.
Si l’angle de l’autorégulation des réseaux sociaux et des plateformes en ligne dans la lutte contre les fausses informations ne peut donner pleinement satisfaction, gardons à l’esprit que la solution la plus adaptée, sur ce sujet comme sur beaucoup d’autres, demeure celle qui sera concertée à l’échelon européen. Toute initiative isolée sera vraisemblablement vouée à l’échec.
Peut-être faudra-t-il également, à l’avenir, mener une réflexion sur une adaptation aux nouvelles technologies des modalités de la loi sur la liberté de la presse. Toutefois, cette réflexion devra se faire dans un cadre serein. Les conditions ne sont aujourd’hui absolument pas réunies.
Le recours à la procédure accélérée sur un tel texte était-il réellement justifié, même si un scrutin européen se tiendra l’an prochain ? Une fois encore, nous jugeons que le temps parlementaire pourrait faire l’objet d’une meilleure utilisation.
M. Jean-Pierre Leleux. C’est sûr !
Mme Mireille Jouve. Les commissions de la culture et des lois vont nous soumettre deux motions tendant à opposer la question préalable.
Soucieux de ne pas entraver le débat au sein de cet hémicycle, le groupe du RDSE ne s’associe habituellement pas à l’adoption de motions de procédure. Toutefois, nous constatons, tout comme Mme la présidente Morin-Desailly et M. Frassa, que les conditions du débat ne sont pas réunies.
La sagesse nous invite donc à nous abstenir de débattre. C’est également par l’abstention que nous nous associerons au vote de ces motions, afin de ne pas renier complètement la pratique constante qui est celle du RDSE. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains. – M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. André Gattolin.
M. André Gattolin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, « Les fausses nouvelles ne datent pas d’hier » ; « La France s’est, depuis longtemps, dotée d’instruments pour lutter contre ce phénomène » ; « Il n’y a pas de raison de légiférer de nouveau en la matière ». Ces trois assertions sont répétées à l’envi pour justifier de surseoir à l’examen de cette proposition de loi.
Les deux premières sont rigoureusement exactes, mais on peut légitimement douter de la justesse de la troisième au regard des profonds bouleversements qui traversent notre société en ce début de XXIe siècle.
Non, les fausses nouvelles ne datent pas d’hier ! En nous limitant à l’époque moderne, on peut affirmer que c’est au début du XVIIIe siècle, en Angleterre, que les fausses nouvelles firent leur apparition. Pour l’anecdote, c’est Jonathan Swift, ce grand écrivain anglais des Lumières, qui fut l’auteur du premier canular de l’ère médiatique, en publiant, en 1708, un vrai faux almanach astrologique, pour dénoncer les fausses informations qui circulaient impunément dans ce type de supports très populaires et diffusés à l’époque à plusieurs centaines de milliers d’exemplaires.
Néanmoins, c’est surtout au XIXe siècle, avec l’apparition des quotidiens à très grand tirage, que les fausses nouvelles connurent un développement exponentiel, d’abord en Angleterre et en Amérique, puis en France, au point parfois de déstabiliser le bon fonctionnement de ces jeunes démocraties. C’est ce que l’on a appelé « the dark age of journalism », l’âge noir du journalisme.
Face à ce phénomène, nos pays, certes tardivement, ont su réagir, et cela de deux façons : tout d’abord, en se dotant de législations permettant d’assurer la liberté d’expression et aussi de lutter juridiquement contre les fausses informations ; ensuite, en aidant le métier de journaliste à se professionnaliser, à se doter d’une déontologie forte, d’écoles spécialisées, et en lui donnant un statut juridique exigeant et protecteur.
En France, il y eut bien sûr la fameuse loi de 1881 sur la presse. Elle n’empêcha cependant pas les fausses nouvelles de continuer à proliférer à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, notamment durant la Première Guerre mondiale.
La création du SNJ, le Syndicat national du journalisme, en 1918, avec sa première charte de déontologie journalistique, s’opéra d’ailleurs en réaction à l’explosion des fausses informations durant la fameuse « der des ders ».
La loi Brachard de 1935 vint ensuite entériner le statut professionnel des journalistes, avec ses droits et aussi ses responsabilités. Ce cadre législatif et statutaire, bien qu’il n’ait jamais permis d’éradiquer totalement les fausses nouvelles, a toutefois permis de contenir le phénomène pendant plusieurs décennies, en dépit des évolutions du paysage médiatique.
Aussi, pourquoi vouloir aujourd’hui de nouveau légiférer, au risque, nous dit-on, d’attenter à la sacro-sainte liberté de la presse ?
Tout d’abord, parce qu’avec la mondialisation accélérée de nos sociétés et la révolution en cours dans le domaine des technologies de l’information, notre régime de l’information est désormais entré dans une tout autre dimension. La liberté et la qualité globale de l’information, que nous étions en mesure de garantir par le droit et par l’autorégulation, sont aujourd’hui mises à mal par de nouveaux acteurs refusant de respecter ces règles.
Nous l’avons constaté à maintes reprises ces dernières années, la numérisation à marche forcée de nos médias les rend très vulnérables à des attaques informatiques susceptibles de les réduire au silence pendant plusieurs jours, voire d’y imposer à leur insu propagande et contenus inappropriés. Nos systèmes d’information sont aujourd’hui si ouverts qu’ils permettent à certains acteurs sans foi ni loi d’y faire régner l’arbitraire ou la seule règle de leurs intérêts particuliers.
Profitant de l’absence de régulation à l’échelle internationale, certains géants de l’Internet se sont institués en pseudo-puissances souveraines sur leurs centaines de millions d’âmes – pardon, d’utilisateurs répartis sur toute la planète.
À côté de ces géants numériques sans frontière, on voit également proliférer certains États ou groupes voyous qui n’hésitent pas à faire usage d’armes non conventionnelles d’influence pour déstabiliser des institutions ou des nations démocratiques, notamment lors de scrutins à très fort enjeu.
Depuis environ deux ans, à chaque élection majeure au sein d’un de ses États membres, l’Union européenne est systématiquement noyée sous une propagande new look cherchant à galvaniser les groupes d’opinion les plus hostiles à son existence. Voilà une semaine à peine, les dirigeants grecs dénonçaient l’ingérence médiatique de la Russie en Grèce et en Macédoine, pour faire écho aux protestations contre l’accord de reconnaissance mutuelle enfin trouvé entre ces deux pays.
Aussi, face à ce phénomène, il faut bien sûr renforcer l’éducation aux médias chez nos concitoyens. Il faut également soutenir la profession journalistique dans sa volonté d’améliorer ses règles et ses méthodes de travail à l’ère du numérique et de l’information en temps réel.
Tout cela est indispensable, mais insuffisant, car ce n’est pas notre cadre normatif en soi qui est obsolescent : c’est son application strictement nationale qui le rend obsolète !
Sur ce point, il est d’ailleurs intéressant de noter l’évolution de la Commission européenne, qui, dans ses travaux initiaux, était défavorable à l’adoption de législations en la matière, et qui, il y a environ trois mois, devant l’absence d’engagements sérieux de la part des géants d’internet, menace désormais de recourir à la loi.
Aussi, mes chers collègues, après avoir participé aux très riches travaux de notre commission et entendu les critiques, parfois très pertinentes, faites à l’encontre de certains aspects de cette proposition de loi,…
M. Bruno Retailleau. Merci !
M. André Gattolin. … je ne comprends pas, mais alors vraiment pas, le sens des motions déposées, qui, si elles sont adoptées, ce qui sera vraisemblablement le cas, nous feront renvoyer en l’état à l’Assemblée nationale un texte que le Sénat aurait pu largement amender,…
M. André Gattolin. … voire réécrire à sa guise, pour refléter les choix de sa majorité, ou plutôt, devrais-je dire aujourd’hui, de ses majorités.
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. André Gattolin. Pour toutes ces raisons, monsieur le président, le groupe La République En Marche votera contre les motions tendant à opposer la question préalable qui nous seront soumises.
M. David Assouline. Ça, c’est étonnant!
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias.
M. Pierre Ouzoulias. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le groupe CRCE votera en faveur de la question préalable défendue, au nom de la commission de la culture, par sa présidente, Mme Morin- Desailly. Il le fera avec une extrême gravité et en pleine conscience du caractère tout à fait exceptionnel de cette démarche.
Les annales de notre Haute Assemblée rapportent peu de procédures similaires, et il est rare que notre commission considère, à sa quasi-unanimité, que le texte transmis par l’Assemblée nationale ne mérite pas que nous en débattions plus avant.
Notre collègue, M. Richard Ferrand, a déposé, le 21 mars dernier, sur le bureau de l’Assemblée nationale, cette proposition de loi dont l’objet initial était relatif « à la lutte contre les fausses informations ». Ce faisant, il répondait à une annonce faite par le Président de la République à l’occasion de ses vœux à la presse, le 3 janvier 2018. Le chef de l’État souhaitait « une loi avant la fin de l’année pour lutter contre la diffusion des fausses informations sur Internet en période électorale. » Par ailleurs, il appelait « à responsabiliser les plateformes et les diffuseurs sur internet. »
Au nom de la commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale, son président, M. Bruno Studer, reconnaissait que l’objet de cette proposition de loi ne pouvait être que très limité, car il estimait que « le cadre juridique actuel suffi[sait] théoriquement à réprimer la diffusion de fausses informations ».
Le projet déclaré était donc d’adapter l’arsenal législatif existant aux spécificités des nouvelles technologies de l’information et de la communication ; il s’agissait non pas d’interdire « l’émission primaire d’informations contrefaites et malveillantes, mais [d’intervenir] sur leur diffusion secondaire » sur les réseaux sociaux. Autrement dit, « c’est cette forme de déni de responsabilité dans laquelle certains réseaux sociaux se complaisent aujourd’hui que les dispositions de la présente proposition de loi visent à pallier ».
L’intention était louable, et nous sommes unanimes à penser que les dispositions européennes relatives au statut juridique des plateformes, et notamment la directive du 8 juin 2000, sont obsolètes et bloquent toute tentative d’évolution du droit national pour leur imposer les obligations déontologiques auxquelles sont soumis les autres médias.
Agissant en bonne intelligence, nos deux chambres auraient dû en convenir et s’entendre sur une stratégie commune pour obtenir une évolution du droit européen. Las ! Sans entendre les nombreuses mises en garde, l’Assemblée nationale nous propose un texte qui n’apporte aucune solution véritable au problème que cette proposition de loi est censée régler, et dont les dispositions du premier article sont susceptibles de porter atteinte au juste équilibre trouvé par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.
En essayant de donner une définition de la fausse nouvelle, la présente proposition de loi tente, nolens volens, d’appréhender juridiquement le statut de la vérité.
L’exercice est potentiellement liberticide, car la vérité n’existe pas en dehors de la démarche critique qui consiste à établir des faits, à les vérifier et à les confronter pour en tirer des interprétations vraisemblables. En cela, la mission du journaliste ne diffère pas de celle de l’historien. Il est possible d’imposer le respect d’une déontologie pour la constitution et la divulgation des informations, mais il est préjudiciable de donner au pouvoir judiciaire, et, pire, au pouvoir exécutif, le droit de déterminer la vérité.
L’actualité très récente nous donne le loisir d’en disserter. Le Président de la République vient de dénoncer « le pouvoir médiatique », en précisant : « Nous avons une presse qui ne cherche plus la vérité ». Il a poursuivi sa démonstration par une énumération de bobards de cuisine diffusés par les réseaux sociaux, dont certains ont une vocation ouvertement satirique.
Cet amalgame entre un travail journalistique sérieux, qui met à la disposition des citoyens et de la représentation nationale des faits dont les deux commissions parlementaires ne remettent pas en cause la véracité, et des ragots colportés, en dehors de tout cadre déontologique, par les réseaux sociaux montre bien l’usage pernicieux qui pourrait être fait de la présente proposition de loi.
Il faut espérer que nos collègues de l’Assemblée nationale entendent le message fort que nous allons leur adresser en votant cette motion et en attirant leur attention sur les risques que cette proposition fait encourir à la liberté d’expression. Au-delà, il nous faut, mes chers collègues, travailler ensemble pour obtenir de l’Union européenne des outils de contrôle des contenus diffusés par les plateformes, et de notre gouvernement des politiques qui favorisent le pluralisme des médias.
J’aimerais, pour finir, monsieur le président, mes chers collègues, vous lire un passage du roman Le Nom de la rose d’Umberto Eco.
Jorge, le vieux moine, vient de brûler la bibliothèque dont il avait la garde, parce qu’elle renfermait des ouvrages contraires à ses idées. Le narrateur conclut ainsi : « Jorge a accompli une œuvre diabolique, parce qu’il aimait d’une façon si lubrique sa vérité qu’il osa tout, afin de détruire à tout prix le mensonge. […] Le devoir de qui aime les hommes est peut-être de faire rire de la vérité, faire rire la vérité, car l’unique vérité est d’apprendre à nous libérer de la passion insensée pour la vérité ». (Vifs Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, du groupe socialiste et républicain, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. Bruno Retailleau. Très bien !
M. le président. La parole est à M. David Assouline.
M. David Assouline. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le Gouvernement nous demande à la fin juillet, à la veille d’une fin de session parlementaire qui fut particulièrement chargée et embouteillée, de débattre et d’adopter en quelques heures une loi affichant comme ambition, tenez-vous bien, la « lutte contre la manipulation de l’information ».
Avant même d’aborder le fond du texte, je me demande si vous-même, madame la ministre, croyez un seul instant que c’est de cette manière, avec une telle désinvolture, que nous pouvons prendre à bras-le-corps et avec sérieux ce gigantesque défi pour la démocratie à l’heure de l’Internet et des réseaux sociaux, pour que les citoyennes et citoyens puissent s’informer librement et porter des jugements éclairés face aux fausses informations, aux rumeurs, aux complotismes, qui nourrissent les populismes extrémistes.
Oui, il s’agit d’un enjeu planétaire et vital. La guerre de l’information, c’est la guerre par d’autres moyens. Cette guerre n’est pas nouvelle ; les moyens qui sont disponibles et utilisés changent, et ceux pour y faire face doivent changer aussi.
Au fond, tous les ennemis de la démocratie, petits et grands, ont toujours manipulé l’information et utilisé tous les moyens de la désinformation pour abattre leurs opposants, asservir leur propre peuple, souvent de façon grossière, entraînant pourtant l’adhésion massive de peuples entiers, conduits à croire les plus grosses monstruosités sur ceux que l’on voulait discréditer, tuer, et même exterminer. Ils s’en servaient ensuite pour nier ces exterminations.
On pouvait appeler cela de la propagande, mais c’était de la manipulation de l’information : l’invention de faits inexistants, l’occultation de faits essentiels, déversés massivement dans le monde avec les moyens qui étaient ceux, au début, de l’écrit et du dessin, puis de la photo, de la radio, de la télévision et, maintenant, de l’Internet et des réseaux sociaux.
Rien n’a changé sur le fond, même si, sur la forme, les moyens de masse de diffusion ont été toujours plus importants. Des paliers sont franchis régulièrement et nous imposent de faire face à ce problème avec des outils nouveaux en conséquence.
Toutefois, mes chers collègues, c’est le fond qui détermine la forme, et le fond est bien résumé par ce propos du directeur du journal Le Monde : « Le problème majeur de nos sociétés ne tient pas tant dans les fausses nouvelles, mais dans le fait que nombre de citoyens aient fini par choisir de les croire. Et il est un péril bien plus grand que celui des informations dévoyées : celui de penser qu’il suffirait d’une loi symbolique pour régler la crise majeure de nos démocraties, la défiance grandissante des peuples envers leurs institutions. » Cette loi n’est donc pas la bonne solution.
Que faut-il faire alors ? Lutter encore et encore pour garantir et faire vivre les principes de l’article 34 de la Constitution, à savoir la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias ; éduquer et encore éduquer à la lecture et au décryptage des médias et des réseaux sociaux à tous les âges de la vie ; réguler et encore réguler les grandes plateformes et les GAFAN – Google, Apple, Facebook, Amazon et Netflix –, qui agissent en dehors de toutes les règles et obligations, tant fiscales que de contenus ; enfin, bien sûr, aider à ce que la presse se donne tous les moyens d’une déontologie journalistique à toute épreuve.
Je ne veux pas trop vous accabler, madame la ministre, mais le contexte actuel, avec les déclarations du Président de la République devant les siens – « Nous avons une presse qui ne cherche plus la vérité » et « je vois un pouvoir médiatique qui veut devenir un pouvoir judiciaire » –, mélangeant à dessein des fake news et des vraies informations pour mieux fustiger ces dernières, viennent éclairer d’un nouveau jour ce que l’on pouvait redouter de son insistance toute personnelle à faire passer cette loi, malgré tous les avis négatifs qui s’accumulaient et le bricolage qu’elle nécessitait.
Au-delà de la possibilité que, un jour, un pouvoir autoritaire utilise cette loi pour en abuser et empêcher la liberté de la presse, aujourd’hui même, le pouvoir politique, celui d’Emmanuel Macron, en a la tentation, sinon l’intention. En effet, dans l’affaire qui occupe l’actualité, outre les actes de M. Benalla, c’est d’abord la place de l’Élysée, de la présidence de la République, hors contrôle et irresponsable institutionnellement devant le Parlement et la justice, qui est en question.
M. Bruno Retailleau. C’est vrai !
M. David Assouline. Dans ce contexte institutionnel, la presse a donc une place importante et une mission particulièrement irremplaçable et nécessaire pour notre démocratie.
Elle joue de façon décisive, on l’a vu, le rôle d’alerte et de contre-pouvoir, si salutaire et si nécessaire. Elle a même, en l’occurrence, été le déclencheur non seulement des procédures de contrôle parlementaires, comme les commissions d’enquête, mais aussi des procédures judiciaires. Et au moment où il conviendrait de dire « Merci la Presse ! », le Président de la République la fustige. On peut même penser que, en période électorale, cette loi aurait pu être utilisée contre de nombreux médias traitant l’affaire Benalla,…
M. Bruno Retailleau. Tout à fait !
M. David Assouline. … et, l’année dernière, par François Fillon contre Le Canard enchaîné.
C’est donc une loi dangereuse, qui peut permettre des abus de pouvoir visant à limiter la liberté des médias. Elle est aussi inutile, car elle ne réussit pas à compléter, ce qui était pourtant l’objectif avoué, les dispositifs législatifs existants pour lutter contre les fausses informations. Rappelons-les : le droit de la presse, avec la loi de 1881, le droit pénal, le droit électoral, et même le droit de l’Internet.
De plus, au lieu de rechercher une efficacité maximale, elle a préféré prudemment, pour ne pas tomber sur le motif d’inconstitutionnalité que constitue l’atteinte à la liberté d’expression de façon disproportionnée, se limiter à la période des scrutins électoraux, ce qui réduit l’ambition affichée à un tout petit aspect de ce gigantesque sujet.
Même quand il s’agit d’enjeux politiques ou électoraux, cette limitation dans le temps n’a pas de sens. Les faux comptes et la mise en place d’une propagande pour altérer un scrutin commencent généralement deux ans avant les élections concernées. Pour les instigateurs, il s’agit de créer un climat propice aux craintes.
Ainsi, pour le Brexit, c’est non pas pendant le scrutin que les fausses informations ont fait leur apparition, mais bien avant : dès 2010 et la montée en puissance du lobby anti-UE, représenté principalement par un parti, UKIP.
Cette proposition de loi est non seulement inutile pour la grande cause de la lutte contre la désinformation, mais aussi inefficace dans le champ qu’elle veut traiter, celui des élections. Juridiquement, on a coutume de dire que le juge des référés est celui de l’évidence : en effet, il est censé agir vite, et il n’a donc pas de temps à perdre avec une instruction trop longue.
Deux observations s’imposent donc : le juge va cantonner son travail aux nouvelles les plus grossièrement fausses – exemple : Alain Juppé ne s’appelle pas Ali Juppé ; dans un second temps, il va cantonner son travail aux informations pouvant avoir une influence sur le résultat du scrutin, car l’objet de ce référé est d’éviter que de fausses informations ne jouent sur le scrutin visé. Il va donc devoir, en l’absence de résultats électoraux, savoir quelles informations peuvent influencer l’électeur, ce qui, précédemment, était fait a posteriori. En plus, il ne pourra pas estimer si quelques voix d’écart auraient changé l’issue du scrutin, puisqu’il aura rendu sa décision avant les résultats.
En outre, toutes les saisines qui, faute de temps d’instruction ou d’éléments suffisants, puisqu’il faudra réunir cinq conditions, n’auront pas fait l’objet de condamnation et de décision de retrait, deviendront, de fait, des vraies informations. Le risque est de labéliser en informations vraies aux yeux de l’opinion publique, par défaut en quelque sorte, des fausses informations qui n’auront pas fait l’objet de décisions judiciaires de retrait. Cela aboutirait exactement à l’inverse de ce que la loi prétend faire.
Que dire aussi de son inefficacité en ce qui concerne les plateformes ? La proposition de loi vise à faire intervenir les plateformes pour supprimer les fausses informations, mais l’ensemble des personnes auditionnées nous ont rappelé que cela n’est possible qu’en les supprimant lien après lien. Dans les faits, cela se heurte à la viralité de ces contenus : par exemple, la publication sur la dangerosité des pommes industrielles a déclenché quelque 211 484 partages sur Facebook ! Supprimer cette nouvelle ou l’infirmer ne servirait à rien, car sa diffusion est trop rapide.
Rien n’est non plus envisagé sur la question des chaînes de mails, qui sont pourtant des moyens massifs de diffusion des fausses nouvelles, ni sur les diffusions par les discussions en ligne, qui sont des outils de partage de masse de l’information. Et pour cause : légiférer sur le courrier et les discussions serait pour le moins complexe et dangereux.
Que dire aussi sur le CSA, à qui l’on essaie de donner une prérogative très importante par la bande, sans égard pour les discussions que nous avons déjà eues à ce sujet ? Nous y reviendrons lors de la discussion de la loi sur l’audiovisuel ; ce sera mieux ainsi.
Pour conclure, je dirai que cette loi est dangereuse, inutile au mieux, inefficace à coup sûr. Elle n’est donc même pas amendable. Il faut tout simplement la rejeter et se mettre, ensemble, à la tâche, pour élaborer tous les moyens de lutte contre ces fléaux pour la démocratie que sont la manipulation de l’information, la fabrication et la diffusion de fausses informations.
Au sein du groupe socialiste et républicain, nous y sommes prêts et avons beaucoup d’idées sur le sujet. Madame la ministre, je vous donne rendez-vous pour de prochaines discussions législatives, mais aussi pour élaborer des mesures qui n’auront rien de législatif, afin de faire face à ce fléau. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Bruno Retailleau. Madame la ministre, chère Françoise Nyssen, vous êtes un bon soldat ! (Mme la ministre sourit.) Je voudrais saluer également la présidente de cette belle et grande commission de la culture, qui est en même temps rapporteur de la proposition de loi, le président de la commission des lois, ainsi que l’excellent rapporteur de la commission des lois, Christophe-André Frassa.
Je voudrais commencer par dire, madame la ministre, combien ce moment est rare : nous avons peu de souvenirs, dans nos mémoires, de cas où deux commissions, des commissions importantes, compétentes, celle des lois, celle de la culture, aient fait le choix, à la quasi-unanimité de leurs membres, de la question préalable. Ce choix est partagé sur l’ensemble des travées de cet hémicycle : la très grande majorité, transpartisane, des expressions que vous avez pu entendre milite pour le rejet de ces textes.
Une telle situation n’est pourtant pas dans la logique habituelle du Sénat : notre logique à nous – vous le savez bien – est au contraire d’entrer dans un texte, pour essayer d’en améliorer les dispositions. Si, aujourd’hui, nous avons fait le choix de ces questions préalables, c’est parce que nous considérons que ces textes forment un bloc et qu’ils sont, en quelque sorte, irréparables.
Je voudrais, en quelques mots, tenter, non pas de vous persuader, mais au moins d’expliquer nos différentes positions.
D’autres l’ont dit avant moi : les fausses nouvelles n’ont rien de nouveau. Chacun a en mémoire deux grands moments, le pullulement des « canards » pendant la Révolution française et, aux États-Unis, en 1885, le feuilleton d’un grand quotidien new-yorkais, le Great Moon Hoax, qui ont marqué, tant chez nous qu’outre-Atlantique, l’histoire de la propagation de fausses nouvelles.
Ce qui est nouveau, ce n’est pas l’existence de rumeurs, de tentatives de propagande, de fausses nouvelles ; ce sont les moyens technologiques qui sont mis en œuvre au service de leur démultiplication. Évidemment, le changement induit par le Web, cette extension planétaire d’internet, crée un cyberespace où prospèrent des tentatives de peser sur des scrutins. Nous avons tous en tête – il n’est pas question de négliger ces exemples – Cambridge Analytica et le scandale Facebook. C’est donc bien non pas à un changement d’échelle, mais à un changement de nature que nous avons assisté.
Ce constat posé, je m’interroge : les dispositifs que vous avez retenus dans ces deux textes – j’en dirai un mot tout à l’heure – sont-ils de bons remèdes ? Je ne le crois pas. Nous ne le croyons pas ; nous pensons même que ce remède peut être un poison pour nos libertés publiques.
S’agissant, tout d’abord, de l’efficacité du remède, là encore, un certain nombre d’intervenants qui m’ont précédé ont répété que nous disposons, en France, et depuis longtemps, d’un arsenal de dispositions, notamment législatives, permettant de lutter contre la propagation de fausses nouvelles. Le grand texte, le socle, évidemment, c’est la loi de 1881. Personne n’a cité – je le citerai donc, puisqu’il est question d’opérations préélectorales ou électorales – l’article L. 97 du code électoral. Et je passe sur de nombreuses autres dispositions – Christophe-André Frassa en a cité quelques-unes.
En réalité, vous auriez très bien pu, par exemple, prendre la loi de 1881 et la modifier, pour essayer de l’adapter. C’eût été une piste, sur laquelle nous aurions pu vous accompagner. Mais vous avez préféré créer ce monstre juridique qui, à mon avis, ne changera rien – je vais dire pourquoi.
Tout ceci, me semble-t-il, témoigne d’une profonde méconnaissance de ce qu’est internet, des mécanismes qui peuvent s’y déployer et du caractère souvent vain des tentatives pour le réguler. Je m’explique. Dire qu’internet est une zone de non-droit, c’est proférer une inexactitude. La loi de 1881 s’applique, bien sûr : je pourrais vous citer des dizaines de jurisprudences, notamment en matière de communications électroniques.
Au droit commun s’ajoutent des droits spécifiques : l’article 226-8 du code pénal a été cité par le rapporteur ; je citerai également l’article 222-33-2-2 du même code. Nous pouvons donc nous appuyer sur un certain nombre de dispositifs. La grande loi LCEN pour la confiance dans l’économie numérique du 21 juin 2004, transposant la directive européenne du 8 juin 2000 sur le commerce électronique, enjoint aux fournisseurs d’accès et de contenus de coopérer : ils ont un devoir d’assistance dès lors que le contenu a été déclaré comme illicite.
On entend souvent dire – on voit même parfois écrit – qu’internet est une zone de non-droit. Pas tout à fait ! Je suis certes parfaitement d’accord pour dire qu’internet est un phénomène extrêmement complexe, qui a d’ailleurs été conçu, précisément, pour être un espace de liberté mondial, planétaire. Son caractère viral – il en a été question tout à l’heure –, sa globalité, son instantanéité, son extraterritorialité, alors que notre droit, qu’il soit fiscal ou pénal, est ancré dans un territoire, sont bien sûr autant de limites qui fragilisent les ripostes juridiques.
Pour autant, la question posée est celle de l’efficacité : les dispositifs que, via ces deux textes, vous avez prévus, c’est-à-dire le CSA et le juge des référés, sont-ils efficaces pour apporter de vraies réponses ?
La réponse est non ! Le juge des référés est le juge de l’urgence et le juge de l’évidence. Vous lui demanderiez, en quarante-huit heures, dans des périodes de débat public intense, d’examiner des conditions cumulatives – je l’ai noté, et vous l’avez rappelé tout à l’heure –, prenant le risque de faire cesser le débat public dans un moment démocratique extrêmement particulier ? Croyez-vous un seul instant que le juge des référés pourra prendre cette responsabilité ? Je ne le pense pas, pour des raisons, aussi, de surcharge de travail des juridictions, un problème que Philippe Bas connaît bien.
Quant à l’autre dispositif, dont le cœur est le CSA, sera-t-il plus efficace ? Je ne le crois pas non plus : le CSA a ses propres règles ; il est le régulateur de l’audiovisuel. Très franchement, s’il voulait se lancer dans des opérations qui nécessiteraient des centaines de milliers de requêtes quotidiennes, il ne le pourrait pas. Tout au plus pourra-t-il dialoguer avec un certain nombre de plateformes, pour s’assurer que celles-ci auront bien prévu quelques dispositifs.
Vous le voyez, le remède ne sera pas efficace. Notre crainte est que, non contents d’être inefficaces, ces deux textes ne deviennent des poisons vis-à-vis des libertés publiques. Le mot est fort ; mais si ces textes, font, ici, au Sénat, maison gardienne des libertés publiques, la quasi-unanimité contre eux, c’est bien parce que nous pensons qu’il existe un risque, qui naît – d’autres l’ont très bien dit il y a quelques instants – de la définition de la fausse nouvelle.
Vous avez bien observé que l’Assemblée nationale avait procédé à tâtons. Et les tâtonnements ont abouti à quelque chose qui ressemble fort, en définitive, à une tautologie – un collègue en faisait la remarque, il y a quelques jours, en commission de la culture.
Le parcours de ce texte a été heurté : c’est l’un des seuls, avec la révision constitutionnelle, d’ailleurs, pour d’autres raisons, dont la discussion a été interrompue brutalement à l’Assemblée nationale. On le sait très bien : la définition de la fausse nouvelle pose problème.
Il faut relire l’avis du Conseil d’État : le problème est en particulier, à travers les mots choisis, celui de l’imprécision. Attention, donc ! Le risque est d’instaurer une sorte de vérité officielle. Ce risque a été accru par l’une de vos déclarations, madame la ministre, lorsque vous avez mis en doute le discernement de nos concitoyens.
Je pense qu’il faut être extrêmement prudent. Nos concitoyens sont des hommes et des femmes responsables ; ils peuvent certes être abusés, mais on doit aussi leur faire confiance. Et il n’y aurait rien de pire, de ce point de vue, qu’une vérité officielle, qu’une vérité d’État.
Ces propositions de loi ont pour seule vocation d’honorer des engagements présidentiels. Et le Gouvernement se cache derrière elles.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Bruno Retailleau. Ces textes, sans doute, ne seront votés que par un seul parti, majoritaire à l’Assemblée nationale. Ce n’est pas tenable, s’agissant de dispositifs de cette ampleur, mettant en cause des libertés fondamentales.
Quant à impliquer les plateformes dans un processus qui pourrait s’apparenter à une forme de censure préventive, ce peut être extrêmement grave. Facebook, d’ores et déjà, ferme un certain nombre de comptes sans aucune explication.
M. le président. Mon cher collègue, il faut vraiment conclure.
M. Bruno Retailleau. Notre groupe s’opposera à ces textes. Nous voterons les questions préalables – aucun pays d’Europe, sauf l’Allemagne, où les critiques sont de plus en plus vives, n’a adopté ce type de législation. Nous essayons donc, ici, de faire prévaloir le bon sens. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à M. Michel Laugier.
M. Michel Laugier. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, madame la présidente de la commission de la culture, monsieur le rapporteur de la commission des lois, mes chers collègues, l’exercice qui consiste à intervenir à ce stade de la discussion est difficile : cela fait une heure quarante-cinq, déjà, que nous débattons sur ces textes. Bien des choses ont été dites. Je partage d’ailleurs la plupart des propos tenus par les orateurs, à l’exception de la conclusion d’André Gattolin.
Permettez-moi de revenir sur quelques points essentiels. À l’heure d’internet et des réseaux sociaux, la question de la manipulation de l’information est une question majeure. Mais les dispositions des présents textes ne sont pas de nature à y répondre de manière satisfaisante ! Aussi, au nom du groupe Union Centriste, estimé-je qu’il n’y a pas lieu d’en poursuivre la discussion en séance publique au Sénat.
Ces propositions de loi apparaissent à la fois inutiles et dangereuses.
Inutiles, car notre arsenal juridique contient déjà de quoi répondre au problème – ce point a déjà été largement évoqué. Le chapitre IV de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse porte expressément sur « les crimes et délits commis par la voie de la presse ou par tout autre moyen de publication ». Cette loi existe ; elle peut être appliquée ; elle doit être appliquée. La création d’un nouveau dispositif ne se justifie donc pas !
En outre, la viralité des réseaux sociaux rendra inopérantes les sanctions prévues par le présent texte. En effet, que vaut le retrait d’un contenu par une plateforme si ledit contenu a pu être dupliqué à des milliers, à des centaines de milliers ou à des millions d’exemplaires par les utilisateurs en quelques secondes ?
Le juge et le CSA sont investis de missions qu’ils ne pourront absolument pas remplir. La notion de « manipulation de l’information » est très vague, et le texte ne parvient pas à l’expliciter de manière satisfaisante. Le juge aura du mal à disposer des éléments qui lui permettront de se prononcer. Il se déclarera sans doute très souvent incompétent. Comment affirmer qu’un juge des référés pourra établir a priori qu’une « fausse information » est de nature à altérer la sincérité d’un scrutin qui, par définition, n’a pas encore eu lieu ?
De même, qu’est-ce qu’une chaîne « contrôlée » ou « sous influence » d’un État étranger ? Et le CSA se retrouvera dans la même situation que le juge des référés.
Par certains aspects, les présents textes peuvent même apparaître dangereux : dangereux, tout d’abord, pour la liberté d’expression ; sous couvert de lutte contre la manipulation de l’information, en effet, le dispositif ne permettra-t-il pas d’étouffer certaines affaires ? Qu’en serait-il d’une actualité aussi brûlante que celle de ces derniers jours si elle se déclarait en pleine période électorale ?
Dangereux, aussi, parce que générateurs de discrimination : oui, ces textes créent une discrimination entre le monde politique et le reste de la société.
En effet, la question de la manipulation de l’information se pose à tous les citoyens. Or ces textes peuvent apparaître comme une réponse corporatiste, simplement destinée à protéger le monde politique. Ils n’ont vocation à s’appliquer qu’à l’occasion des campagnes électorales, pour protéger les candidats. Il s’agit donc bien de textes de protection des élus, votés par des élus. Quid, donc, de la manipulation de l’information dont peuvent être victimes quotidiennement nos concitoyens ?
De surcroît, la proposition de loi semble créer une discrimination entre journalistes. En effet, en son article 1er, elle prévoit que le I de l’article L. 163-2 du code électoral vise « les services de communication au public en ligne », ce qui semble établir une distinction entre les journalistes dont les médias ont une édition « print » et les journalistes dont les médias sont dits « pure player ». Seuls ces derniers, bien qu’ils soient des journalistes à part entière, seraient soumis au présent dispositif.
Pour toutes ces raisons, ces propositions de loi apparaissent comme des textes épidermiques, de circonstance, dont le contenu ne répond pas au problème réel posé par l’émergence des réseaux sociaux et, plus généralement, des GAFA.
S’agissant des GAFA en particulier, tout le monde a bien conscience que nous avançons très lentement, à petits pas, alors que ce problème doit être réglé très rapidement, et appréhendé au niveau européen. Mais, madame la ministre, la meilleure façon de lutter contre les fausses informations serait de permettre la diffusion de la véritable information ! À cette fin, peut-être est-il temps d’assurer une parfaite distribution de nos journaux et magazines de presse écrite sur l’ensemble du territoire, en faisant évoluer la loi Bichet.
En attendant, il est inutile d’aller plus loin sur ce texte, qui n’apporte rien. Le groupe Union Centriste votera pour la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à M. Olivier Paccaud.
M. Olivier Paccaud. Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente et rapporteur de la commission de la culture, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur de la commission des lois, mes chers collègues, « La calomnie ! […] Vous ne savez guère ce que vous dédaignez ; j’ai vu les plus honnêtes gens près d’en être accablés ; croyez qu’il n’y a pas de plate méchanceté, pas d’horreurs, pas de conte absurde qu’on ne fasse adopter aux oisifs d’une grande ville, en s’y prenant bien… »
Vous connaissez tous cette tirade de Beaumarchais. Oui, la manipulation, la mystification, la mauvaise information, le complotisme, le conspirationnisme, sont une véritable lèpre, un poison dont le venin peut éroder le marbre des statues de la République et de la démocratie. C’est vrai.
Certes, ces textes, vos textes, allais-je dire, madame la ministre, se veulent un bouclier face à la capacité de nuisance, face à la puissance de conviction des nouvelles sources d’information offertes par les plateformes et autres algorithmes, dont la substance alchimique particulièrement complexe doit être prise en considération.
Toutefois, si ces propositions de loi posent un vrai problème, elles n’apportent en aucun cas la bonne réponse. Les journalistes, tous les professionnels concernés, sont d’ailleurs unanimes à sonner le tocsin et à nous mettre en garde : ces textes portent en leur sein des germes liberticides.
Nous sommes au pays de Voltaire, au pays des Lumières ; comme dans toute démocratie digne de ce nom, la liberté d’expression est un bien sur lequel on ne transige pas. Au diable toutes les polices de la pensée ! Au diable toutes les tentations d’apprenti censeur ! Au diable, aussi, celui ou ceux qui veulent faire taire !
Ignorant l’arsenal législatif dont Christophe-André Frassa, puis David Assouline et Bruno Retailleau ont brillamment parlé, celui de la fameuse loi de 1881, ces textes se concentrent spécifiquement sur les périodes électorales, comme si, hors de ces périodes, les fake news ne posaient pas de problème particulier.
L’intention se veut noble : empêcher tout ce qui peut nuire à la sincérité d’un scrutin. Mais ne devrait-on pas, dès lors, légiférer aussi sur les fausses promesses ? (Sourires.)
M. André Gattolin. Ce serait risqué !
M. Olivier Paccaud. Instaurer un « nouveau monde », restaurer une République transparente et exemplaire, était-ce une fake new ou une fausse promesse ? (Nouveaux sourires.)
La désinformation n’est certes pas née avec Vladimir Poutine et Donald Trump. Elle existe depuis bien longtemps. Elle est même bien antérieure au XVIIIe siècle, cher André Gattolin : la première œuvre de manipulation politique, c’est La Guerre des Gaules, de Jules César !
M. André Gattolin. Elle n’était pas médiatique !
M. Olivier Paccaud. Il y a donc toujours eu, et il y aura toujours, des officines obscures, des cabinets noirs, des États voyous, pour tenter de déstabiliser et de conquérir le pouvoir.
Une tentative de déstabilisation est d’ailleurs en elle-même une information, puisqu’elle révèle un ADN dans lequel la malhonnêteté et le mensonge sont présents.
Contre les fake news, il n’y a en fait qu’un seul véritable moyen de lutter : c’est l’éducation. Éduquer, éduquer, éduquer !
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Olivier Paccaud. Il faut apprendre à maîtriser les savoirs fondamentaux, transmettre une culture générale et initier au numérique. De ce point de vue, les prochaines réformes du baccalauréat et du lycée auront une importance considérable.
M. le président. Il faut vraiment conclure !
M. Olivier Paccaud. Nous devons, bien sûr, lutter contre la manipulation de l’information ; mais pas par la censure : par l’éducation ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Claude Malhuret.
M. Claude Malhuret. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, « Cette loi est mauvaise, donc il faut à tout prix s’abstenir de la modifier » : voici le raisonnement surréaliste que le Sénat s’apprête à suivre dans un instant.
D’habitude, dans cet hémicycle, j’entends nos collègues affirmer, à juste titre, le rôle clé de notre assemblée dans la confection de la loi, et se réjouir lorsque ses amendements sont repris dans les textes étudiés. Aujourd’hui, nous allons spontanément, sans que personne ne nous y oblige, renoncer à ce rôle. Nous allons – c’est la définition de la question préalable – décider qu’il n’y a pas lieu de délibérer.
Depuis deux ans, la presse du monde entier ne parle que des fake news, notamment de l’élection de Trump orchestrée par Poutine avec la complicité des Facebook, Twitter et autres Google, prêts à tout accepter pourvu que cela leur rapporte de l’argent ! Les mêmes manœuvres ont largement contribué au Brexit. Les mêmes manœuvres ont failli réussir lors de la présidentielle française, à quelques jours près, autour du faux compte aux Bahamas de l’un des candidats. On disait que les capitalistes vendraient un jour la corde pour les pendre ; aux dictateurs d’aujourd’hui, nous vendons le câble.
Chaque jour, nous en découvrons un peu plus sur la gangrène d’internet par le harcèlement en ligne, les discours de haine et de radicalisation, la propagande djihadiste et la désinformation politique, les vols massifs de données, tous phénomènes qui sont en train, sous nos yeux, de saper nos démocraties. En l’absence de législation et devant l’hostilité des grandes entreprises du web à toute régulation, aucun pays n’a réussi à enrayer ce phénomène, qui ne fait que croître.
Et il ne faudrait pas délibérer ? Le premier argument que j’ai entendu est que cette loi est inutile : la loi de 1881 serait bien suffisante – 1881 ?... Un siècle avant l’apparition de l’informatique ! À cette date n’existaient ni internet, ni réseaux sociaux, ni plateformes numériques, ni sponsoring de centaines de milliers de vidéos ! Ceux qui prétendent que l’on peut lutter contre les dérives d’internet par une loi écrite en 1881 sont soit des farceurs, soit des inconscients…
Cette proposition de loi comporte quatre volets. Par un incroyable raccourci, la question préalable s’occupe exclusivement de l’un d’entre d’eux, relatif au référé pour fausse information, dont il est dit qu’il est « la principale mesure soumise à notre examen ». C’est un contresens. C’est la principale mesure judiciaire, certes, et je comprends que, à ce titre, ce soit celle qui ait focalisé l’attention de juristes ; mais ce n’est pas, de loin, celle qui aura le plus d’effets pratiques.
Le renforcement des pouvoirs du CSA n’est pas l’essentiel non plus. Le vrai sujet, c’est celui de la transparence et de la vigilance exigées des plateformes : c’est le changement des pratiques des plateformes ; c’est la transparence de leurs algorithmes. À eux seuls, ce sont ces articles qui forment l’essentiel et la grande nouveauté de ces textes. Or il n’y a pas un mot à ce sujet dans la question préalable !
Bien sûr, il est un peu plus inhabituel et complexe de réfléchir aux algorithmes qu’aux procédures de référé, mais, en les laissant de côté, la question préalable perd toute pertinence. Le cœur de la proposition de loi, c’est-à-dire la régulation et la transparence des plateformes, soit l’ensemble du titre III. La question préalable n’y fait même pas référence.
Je vais donc, si vous me le permettez, mes chers collègues, en dire un mot. Ne pas légiférer sur ce sujet, c’est faire le jeu de ces monstres monopolistiques hostiles à toute forme de régulation, au prétexte, depuis longtemps fallacieux, du libertarisme des premières années d’internet.
La nécessité de légiférer serait largement justifiée, s’il en était besoin, par le constat que, depuis quelques mois, devant les menaces de nouvelles lois, ces entreprises ont enfin réagi, multipliant les annonces, développant leurs services de modération, employant les technologies d’intelligence artificielle pour repérer les contenus problématiques, Mark Zuckerberg lui-même se précipitant en Europe, il y a quelques semaines, pour négocier, enfin, l’autorégulation, ce qu’il n’avait jamais voulu faire auparavant.
Cela n’a d’ailleurs pas suffi. L’Allemagne a donc légiféré pour obliger les réseaux sociaux à supprimer les contenus haineux en moins de vingt-quatre heures ; soyez sûrs que les GAFA ont bien compris le message : ce qui était impossible il y a trois mois est en train d’être mis en place au triple galop. Et les choses iront encore bien plus vite le jour où la France et d’autres pays auront pris des mesures identiques à celles qui ont été mises en place en Allemagne.
J’entends certains pousser de hauts cris, s’insurger contre une atteinte supposée à la liberté de la presse, ou encore prétendre qu’une telle législation reviendrait à confier aux GAFA la censure de l’Internet. Encore un contresens, que le Conseil d’État, garant des libertés, n’a pas commis, lui, dans son examen des textes !
Les sites de propagande djihadiste hébergés sur internet n’ont évidemment rien à voir avec la liberté de la presse, et exiger leur retrait est simplement se défendre contre ceux qui nous ont déclaré la guerre. De même, qui peut oser dire que le harcèlement, les lynchages sur les réseaux sociaux, l’achat de milliers de vidéos par des pays hostiles pour truquer les scrutins, ressortissent à la liberté de la presse ? Personne, je l’espère ! C’est cela le but du dispositif qui nous est proposé ; et toute personne attachée à la défense de la démocratie ne peut qu’y souscrire.
Mes chers collègues, ma conclusion est simple : comment pourrions-nous voter une question préalable dont l’objet rate complètement sa cible et ne dit pas un mot de la principale mesure de ces textes, celle qui, à elle seule, les justifie, ne trouvant pas un seul argument contre elle ?
Ces propositions de loi qui nous arrivent de l’Assemblée nationale ne sont pas parfaites ? Peut-être. Si tel est le cas, étudions-les, modifions-les ; en un mot, faisons notre travail. Si nous ne le faisons pas, dans huit jours, les textes seront votés tels quels par les députés, sans aucun apport du Sénat. Ce serait mauvais pour les textes, et mauvais pour le bicamérisme. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Françoise Nyssen, ministre. Je remercie les orateurs de cette discussion générale et je salue évidemment le sénateur Gattolin pour son soutien. Merci aussi au président Claude Malhuret, dont je rejoins pleinement l’analyse, d’avoir conclu cette discussion sur ces propositions de loi.
Je retiens des autres interventions des critiques et des incompréhensions auxquelles je souhaite évidemment répondre. Mais, avant tout, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais vous dire que des années consacrées à la liberté d’expression m’ont conduit à traiter cette question animée de la conviction que je partage devant vous : le pessimisme de la lucidité nous oblige à l’optimisme de la détermination, monsieur Retailleau.
Sur la méthode, tout d’abord, on ne peut soutenir que le texte souffrirait d’un défaut de concertation avec les professionnels concernés.
Qu’il s’agisse des journalistes et des médias – écrits ou audiovisuels –, des représentants des plateformes numériques ou des experts et de la société civile, tous ont été entendus. Tout d’abord, dans le cadre d’une consultation organisée par mes services et moi-même, puis à l’occasion du cycle d’auditions conduit par les rapporteurs de l’Assemblée nationale. Je récuse fermement l’idée selon laquelle ce texte aurait été élaboré dans la précipitation, comme vous avez été nombreux à le dire. Au contraire, il a fait l’objet d’un travail technique dense et approfondi.
Je le rappelle, le Conseil d’État a été saisi et a validé l’ensemble des orientations de ce texte, tout en proposant des clarifications et précisions techniques, qui ont pour la plupart été reprises par l’Assemblée nationale.
Le choix de la procédure accélérée répond uniquement au souci d’aboutir à un texte qui puisse s’appliquer dès la prochaine échéance électorale, à savoir les élections européennes de mai 2019.
Je note d’ailleurs qu’il est paradoxal de nous reprocher d’avoir engagé la procédure accélérée sur ces textes tout en refusant d’entrer dans l’examen des articles de ces propositions de loi dès la première lecture !
Le Sénat s’apprête à repousser en bloc ces deux propositions de loi ; je regrette qu’il renonce à apporter sa pierre à l’édifice en amendant les textes. Ce n’est pas la procédure accélérée qui vous en aurait empêché. Car, oui, monsieur David Assouline, le défi est immense, et l’absence de réponse est une prudence inadaptée, voire coupable, lorsque l’on est d’accord sur le constat : la manipulation de l’information est une gangrène, un fléau de notre démocratie, comme vous l’avez vous-même reconnu.
Enfin, on ne peut se contenter d’en appeler, de manière un peu incantatoire, à une réponse européenne et globale. Je partage évidemment cet objectif. Mais lorsque l’Union européenne tergiverse et fait le choix d’une autorégulation purement volontaire, plutôt que d’une intervention législative, il est légitime, compte tenu de l’urgence et de la gravité des enjeux, que la représentation nationale se saisisse du sujet.
J’en viens aux observations qui concernent le fond du texte. Nous avons, sur l’une des dispositions, un désaccord majeur : vous pensez que le référé est à la fois inutile et dangereux. Je récuse ces deux critiques, qui, au passage, me semblent assez contradictoires.
Le référé est utile, car les protections qu’offre aujourd’hui notre droit visent uniquement la sanction a posteriori des auteurs, ce qui n’est pas le cas ici. Or ce dont nous avons besoin en période électorale, c’est d’une réponse rapide permettant d’endiguer la diffusion d’une information manifestement fausse lorsqu’elle s’inscrit dans une campagne de manipulation délibérée et orchestrée.
Ce référé ne porte en rien atteinte à la liberté d’expression ou au droit à l’information. Le Conseil d’État n’aurait pas manqué de relever une telle atteinte si elle avait existé. Les critères qui encadrent l’intervention du juge des référés sont précis et exigeants.
Le référé, limité aux périodes électorales, ne concernera que les informations manifestement fausses diffusées de manière artificielle et massive, et susceptibles de tromper l’électorat. Les informations révélées par la presse ne pourront être mises en cause, car une révélation reposant sur un travail d’investigation ne peut, par construction, être qualifiée de manifestement fausse.
Quand bien même vous ne partagiez pas ma conviction sur l’utilité de ce référé, je regrette que le désaccord sur ce point vous conduise à refuser de débattre des autres dispositions du texte. En effet, je suis convaincue que nous pourrions nous rejoindre sur leurs objectifs et que le travail du Sénat pourrait contribuer à les améliorer encore. Je pense, en particulier, aux dispositions qui visent à introduire plus de transparence et de coopération dans le fonctionnement des plateformes numériques.
La transparence des contenus sponsorisés en période électorale répond à un principe de bon sens, autour duquel nous pourrions, je crois, nous accorder.
Le devoir de coopération des plateformes, quant à lui, est le seul remède efficace à deux écueils que nous souhaitons tous éviter. D’une part, celui de la passivité totale des plateformes, qui s’abriteraient derrière leur statut d’hébergeur pour ne rien faire face à la circulation d’informations délibérément trompeuses, dont elles tirent par ailleurs un profit commercial. D’autre part, celui de l’autorégulation pure, qui permettrait aux plateformes de s’ériger en arbitres du vrai et du faux, en décidant seules, selon des règles discrétionnaires et opaques, de la façon dont l’information doit être filtrée et hiérarchisée.
Monsieur Retailleau, vous vous inquiétez de la censure privée opérée par Facebook. En refusant ce devoir de coopération, vous permettez à Facebook de continuer à dans sa démarche !
Je constate, au fond, que certains d’entre vous – ils sont nombreux – sont profondément d’accord avec l’intention, mais pensent qu’il faut attendre une réponse au niveau européen. D’autres estiment qu’il ne faut pas tout réguler, voire qu’il ne faut pas du tout réguler.
Aux premiers, je réponds que nous ne pouvons attendre : soyons pionniers dans les garanties du débat démocratique. Aux seconds, je réponds que la régulation est source de liberté pour tous les acteurs et pour tous les Français.
Je le redis : les dispositions adoptées par l’Assemblée nationale n’ont ni pour objet ni pour effet d’inciter les plateformes à retirer elles-mêmes les informations qu’elles jugeraient fausses. Au contraire, elles visent à donner à l’internaute – c’est un point important – de nouvelles clés de compréhension et de décryptage.
C’est ce qui m’amène au dernier apport de ce texte : le renforcement de l’éducation aux médias et à l’information. Nous sommes nombreux à considérer que c’est le meilleur des antidotes à la désinformation.
Le texte dont vous êtes saisis permet de renforcer la place de l’éducation aux médias et à l’information, l’EMI, dans les programmes scolaires. Il vient utilement compléter les actions très volontaristes que j’ai engagées de mon côté, comme je l’ai souligné dans la discussion générale. Il est dommage que le Sénat se prive d’une occasion de contribuer à cette mobilisation que je crois pourtant consensuelle.
Un mot sur le contexte actuel, que vous avez évoqué, parmi d’autres, monsieur Assouline. C’est un cas d’école. Tout le monde fait son travail. La situation illustre on ne peut plus clairement la séparation des pouvoirs dans notre pays.
Vous êtes la preuve vivante que le Parlement fait son travail : vous avez auditionné depuis plusieurs jours. Le Gouvernement fait son travail. C’est ce que je fais en venant présenter en son nom, devant vous, un texte qui défend la régulation. Les juges font leur travail, avec indépendance et impartialité. Et c’est justement à eux, indépendants et impartiaux, en qui nous avons confiance, que la proposition de loi tend à confier de nouveaux pouvoirs. Enfin, la presse fait également son travail ; elle joue efficacement son rôle de contre-pouvoir, n’en déplaise aux uns ou aux autres. C’est le fonctionnement normal et sain de la démocratie.
Le texte que vous refusez d’examiner aujourd’hui ne changera évidemment rien à cela. Chacun pourra continuer à donner son avis et à critiquer publiquement le Gouvernement dans les journaux, sur internet, à la radio ou à la télévision.
M. François Bonhomme. Nous voilà rassurés ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Françoise Nyssen, ministre. Ces propositions de loi tendent uniquement à s’attaquer aux campagnes massives de désinformation.
M. François Bonhomme. Ah, les vilains !
Mme Françoise Nyssen, ministre. Elles visent les stratégies de propagation d’articles, de vidéos, d’images trafiqués qui adoptent les codes du journalisme pour tromper les citoyens. Elles visent à protéger les libertés d’expression et d’opinion contre les stratégies de manipulation.
Je vous l’ai dit, la presse joue son rôle de contre-pouvoir. Chacun est en droit de s’exprimer pour contredire les informations qu’il juge erronées ou tendancieuses. Nous ne voulons pas l’interdire. Nous souhaitons tout simplement défendre le débat démocratique normal. (M. Arnaud de Belenet applaudit.)
M. le président. La discussion générale commune est close.
Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable sur la proposition de loi.
Question préalable sur la proposition de loi
M. le président. Je suis saisi, par Mme Morin-Desailly, au nom de la commission de la culture, d’une motion n° 1.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, relative à la lutte contre la manipulation de l’information (n° 623, 2017-2018).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à Mme la rapporteur, pour la motion.
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteur. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il n’est pas dans les habitudes de notre commission de la culture de recourir à des motions de procédure. Depuis des années, nous avons toujours essayé de trouver des compromis utiles avec l’Assemblée nationale, afin d’améliorer le travail législatif.
Ce fut le cas sous la précédente majorité concernant la réforme de l’AFP, du second dividende numérique et même de la loi relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine, dite « LCAP ».
La proposition de loi que nous examinons se distingue de ces précédents textes sur le fond comme sur la forme. Un mot tout d’abord sur la méthode retenue. Le fait de recourir à une proposition de loi, qui plus est en procédure accélérée, pour traduire une initiative présidentielle, n’aura permis de gagner ni en efficacité, ni en qualité, ni en temps. Elle aura surtout privé le Parlement d’une étude d’impact sérieuse et empêché un travail en amont par le Conseil d’État dont l’avis – plutôt sévère – du 19 avril a contraint nos collègues députés à une refonte en profondeur.
Nous aurions pu essayer de réécrire le texte à notre tour, mais cela aurait voulu dire l’amputer de ses principales dispositions. D’après les conversations que j’ai pu avoir, rien ne me laisse penser que la majorité de l’Assemblée nationale était prête à renoncer à son texte.
Si nous avons dû nous résoudre, à contrecœur, je dois le dire, madame la ministre, à envisager un rejet global de cette proposition de loi, c’est que nous avons pris conscience à mesure que nous auditionnions les professionnels du double péril que porte ce texte.
Tout d’abord, pratiquement tous nos interlocuteurs ont jugé impossible d’éradiquer les fake news grâce au dispositif juridique prévu. À cet égard, je citerai le Conseil d’État : « L’intervention institutionnelle ne saurait, en tout état de cause, résoudre le problème informationnel lié aux réseaux sociaux, en effet, ces derniers créent indépendamment des fake news des bulles informationnelles qui mettent en avant les contenus adaptés aux profils de leurs utilisateurs et, par la suite, renforcent les convictions de chacun, sans plus les confronter à des points de vue divergents ».
De surcroît, une quasi-unanimité s’est fait jour quant aux risques que ce texte fait peser sur la sécurité juridique et le fonctionnement de nos médias. Fallait-il donc un texte qui donne à tous le sentiment qu’informer constituera un délit à l’avenir ? Les objections juridiques sont nombreuses.
Je rappellerai, pour ma part, que ce texte comprend trois types de dispositions d’importance différente, dont aucune ne donne satisfaction.
Il y a tout d’abord les mesures en trompe-l’œil relatives aux plateformes numériques, qui sont d’autant plus décevantes qu’internet est à la fois le lieu où apparaissent les fausses informations et celui où elles prospèrent. La proposition de loi esquisse une « suprarégulation », qui a seulement le goût d’une « autorégulation ».
La responsabilité des Google, et autres Facebook, dont le rôle est considéré comme technique et passif, n’est selon moi toujours pas reconnue à sa juste mesure ; ce qui rappelle l’urgence d’une initiative européenne. Oui, monsieur Malhuret, nous voulons légiférer, mais à un niveau qui soit pertinent.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Absolument, ne légiférons pas pour légiférer !
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteur. En l’état, comme l’observe le groupe Les Républicains dans sa motion tendant à opposer la question préalable, la proposition de loi incite les plateformes à supprimer les contenus qui pourraient les exposer à des sanctions, ce qui est susceptible, en cas d’excès de zèle, de constituer une menace pour la liberté d’information et d’expression.
Comme je l’ai rappelé, la proposition de loi se heurte au verrou de la directive européenne sur le commerce électronique de juin 2000, qu’il faut rouvrir pour clarifier le statut et la responsabilité des grands acteurs de l’Internet dans l’accès à l’information.
Il y a, ensuite, les dispositions du titre Ier, qui suscitent une vive inquiétude – c’est le point essentiel. Sur ce sujet, je salue le travail rigoureux du rapporteur de la commission des lois.
Notre commission partage l’analyse de nos collègues du groupe Les Républicains, qui insistent dans leur motion sur « la difficulté qu’il y aura à caractériser l’infraction, ce qui rendra la procédure au mieux inefficace, au pire dangereuse pour l’expression des opinions ».
De même, nos collègues du groupe socialiste et républicain estiment dans leur motion tendant à opposer la question préalable que ces dispositions « ne permettront pas de lutter réellement contre la manipulation de l’information et la propagation des fausses nouvelles ».
Par ailleurs, comme le soulignent cette fois nos collègues du groupe Union Centriste, ce texte peut même apparaître dangereux pour la liberté d’expression. N’oublions pas que nous touchons ici à une liberté essentielle, affirmée dès 1789, et dont la liberté de la presse constitue le corollaire.
Les professionnels de l’information que nous avons auditionnés – je vous renvoie aux comptes rendus de nos nombreuses auditions – ne nous ont pas dit autre chose, ce qui a achevé de nous convaincre.
La définition des « fausses informations » adoptée par l’Assemblée nationale ne convainc pas par ailleurs ! Elle ne permettra pas de lutter contre les fake news, mais apparaîtra nécessairement comme un dispositif « permettant d’étouffer certaines affaires », pour reprendre les termes de la motion tendant à opposer la question préalable de nos collègues centristes.
Le référé est également décrié par les professionnels, qui le trouvent à la fois trop court et trop long. Trop court pour le juge, avec le risque, s’il ne devait pas ordonner le retrait de l’information contestée, que celle-ci se voie dotée d’un brevet de respectabilité. Trop long ensuite pour les médias et pour les citoyens, compte tenu de la vitesse de diffusion des informations, sans doute même plus rapide pour les fausses nouvelles que pour les vraies !
Fallait-il en réalité de nouvelles dispositions législatives ? On peut en douter, tant notre pays dispose déjà d’un large arsenal législatif à cet endroit. Le code électoral condamne la diffusion de « fausses nouvelles », le code pénal réprime la diffusion « d’informations malveillantes de nature à fausser la sincérité d’un scrutin », la loi du 29 juillet 1881 prévoit un délit de diffamation. Enfin, l’article 6 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique prévoit que les chapitres IV et V de la loi de 1881 sont applicables aux services de communication en ligne.
J’en viens aux dispositions de la proposition de loi qui concernent le rôle du régulateur. Les professionnels de l’information ont également évoqué leur préoccupation par rapport à une loi qui reconnaît une nouvelle responsabilité au CSA sur l’information, au détour d’un texte qui n’a fait l’objet d’aucune véritable concertation.
La question de la régulation de contenus sur internet ne peut, selon moi, que s’apprécier et se travailler en étroite coopération et réflexion avec les autres autorités indépendantes concernées par les droits et libertés numériques.
En matière audiovisuelle, la mise en demeure de Russia Today par le CSA, le 28 juin dernier, au motif que la traduction d’un reportage manquait de sincérité, montre que le régulateur dispose déjà des moyens d’agir. Dès le lendemain, comme il fallait s’y attendre, le régulateur russe a menacé d’interdire la diffusion de France 24 en Russie au nom d’une violation du droit des médias russes.
Cet exemple montre bien que la lutte contre les fausses informations ne peut pas être distinguée en réalité de la définition d’une relation globale que notre pays souhaite conduire avec certaines puissances maniant à la fois l’outil des coopérations et celui de l’intimidation, avec des objectifs géopolitiques.
On comprend mieux la réserve du CSA face à ces nouveaux pouvoirs qu’il n’avait pas demandés. Lors de son audition par notre commission le 18 juin dernier, son président nous a ainsi indiqué qu’il n’avait contribué « ni à sa rédaction, ni à son suivi, ni aux travaux de réflexion menés par les députés », et que le collège n’avait jamais débattu de ce texte.
Madame la ministre, vous avez entendu l’ensemble des orateurs des groupes. Il est rare qu’un texte réussisse à unir contre lui tant les juristes que les professionnels du secteur et à susciter un soutien si timide du régulateur. Il est encore plus rare que trois groupes politiques – les plus importants en nombre, mais je n’oublie pas mes autres collègues qui se sont exprimés – et deux commissions permanentes déposent des motions tendant à opposer la question préalable.
La question des médias touche aux fondements de notre démocratie, c’est ce que l’ensemble des orateurs ont tenu à rappeler. Elle appelle donc des initiatives prudentes et justifie la recherche du consensus le plus large possible. Les conditions de ce consensus ne sont, à l’évidence, aujourd’hui pas réunies. Il serait préférable, madame la ministre, de profiter du lancement ce jour des États généraux des nouvelles régulations numériques par votre collègue Mounir Mahjoubi, pour réfléchir de manière approfondie à des solutions plus ambitieuses et plus offensives au niveau européen.
Ensuite, le sujet du numérique doit être traité de manière globale, et non plus parcellaire, à travers des législations de circonstance qui ne font que fragmenter le débat, alors que les problématiques sont transversales.
Tout renvoie à un ensemble de questions régulièrement évoquées à propos des GAFAM, Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft : problèmes de fiscalité, abus de position dominante, entraves à une juste concurrence, défense des droits d’auteur et de la propriété intellectuelle. Tout est, bien entendu, lié au monopole de ces géants américains, peut-être bientôt chinois, et à la régulation désormais nécessaire de ce nouvel espace politique et social que constitue l’écosystème numérique.
En tout état de cause, la commission de la culture, de l’éducation et de la communication considère qu’une lecture détaillée du texte ne permettra pas de lever les sérieuses réserves soulevées, ce que nous regrettons.
Dans ce contexte et en son nom, je vous propose donc d’adopter la présente motion. Dans sa sagesse, le Sénat, grand défenseur des libertés, ne peut sans assurances risquer de toucher à la liberté d’expression et à la liberté d’informer. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Républicains et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)
Mme Françoise Nyssen, ministre. Madame la rapporteur, je vous ai écoutée attentivement. J’ai également lu avec beaucoup d’intérêt le rapport que vous avez présenté au nom de la commission. Je partage vos constats, mais pas vos conclusions. Ce n’est pas l’approche à laquelle je crois.
J’ai longuement échangé sur ce sujet avec les commissaires européens Ansip et Gabriel. Je dois vous avouer que les perspectives pour un texte législatif à l’échelon européen sont extrêmement éloignées.
Or, nous le savons tous, il y a urgence. Oui, je soutiendrai pleinement une initiative européenne sur le sujet. Mais d’ici là, nous devons, dans le cadre juridique européen actuel, nous doter des moyens pour lutter efficacement contre les fausses informations. Peut-être ces innovations pourront-elles servir de modèle à une éventuelle régulation européenne sur le sujet.
M. François Bonhomme. Avec un droit d’auteur présidentiel ? (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Françoise Nyssen, ministre. C’est d’ailleurs un sujet sur lequel j’échange souvent avec mes collègues ministres de la culture européens. Je pense très sincèrement que c’est une occasion manquée que de ne pas adopter de texte aujourd’hui.
Vous le savez, je suis une Européenne convaincue et j’ai mené de nombreuses négociations dans le cadre des directives européennes pour le droit d’auteur et pour la régulation audiovisuelle, qui sont essentielles à la création. Nous avons évidemment besoin de textes européens protecteurs.
La situation en ce qui concerne la lutte contre les fausses informations est très différente. Une véritable régulation des plateformes serait bien entendu plus efficace au niveau européen ; c’est pourquoi je plaide de manière constante pour la réouverture – je tiens à le dire très formellement – de la directive sur le commerce électronique, pour mettre fin au statut d’irresponsabilité des plateformes. Je sais pouvoir compter sur Mounir Mahjoubi dans ce combat.
Quoi qu’il en soit, nous devons être pragmatiques. La Commission européenne dans sa communication du mois de mars a privilégié, je le répète, une approche d’autorégulation qui consiste à faire intégralement confiance aux plateformes pour mettre en œuvre des mesures, sans aucun contrôle public. Voilà pourquoi je regrette que ces textes ne soient pas aujourd’hui discutés. Cela nous aurait permis d’avancer de façon pragmatique vers des mesures urgentes et nécessaires.
Le Gouvernement émet donc naturellement un avis défavorable.
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet de la proposition de loi.
Je rappelle également que l’avis du Gouvernement est défavorable.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 227 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 319 |
Pour l’adoption | 288 |
Contre | 31 |
Le Sénat a adopté.
En conséquence, la proposition de loi relative à la lutte contre la manipulation de l’information est rejetée.
Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable sur la proposition de loi organique.
Question préalable sur la proposition de loi organique
M. le président. Je suis saisi, par M. Frassa, au nom de la commission des lois, d’une motion n° 1.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur la proposition de loi organique, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relative à la lutte contre la manipulation de l’information (n° 629, 2017-2018).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. le rapporteur, pour la motion.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission de la culture, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, Portalis, qui nous regarde, j’imagine, d’un œil désespéré, compte tenu du débat et du texte que nous examinons, affirmait que « les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires ». Pour la défense de cette motion tendant à opposer la question préalable sur cette proposition de loi organique, je serai bref.
Je veux de nouveau souligner à quel point il est regrettable d’avoir proposé, dans la précipitation, un tel dispositif ad hoc, sans prévoir aucune amélioration aux dispositifs existants. Il est irresponsable de la part du Gouvernement de penser légiférer sur un tel sujet tenant aux libertés publiques sans une étude d’impact. Heureusement que le président de l’Assemblée nationale a saisi le Conseil d’État pour avoir au moins son avis sur ces propositions de loi !
Une motion tendant à opposer la question préalable à ces textes me semble justifiée en raison des nombreux risques d’atteintes disproportionnées à la liberté d’expression que présente ce dispositif.
Nous avons un problème avec l’approche même de cette proposition de loi organique. Comment peut-on imaginer censurer a priori des allégations inexactes ou trompeuses d’un fait « de nature à altérer la sincérité du scrutin à venir » ? Comment le juge des référés pourrait-il, en quarante-huit heures, établir a priori l’altération d’un scrutin qui n’a pas encore eu lieu ? Pourquoi déposer une proposition de loi qui vise à limiter la liberté d’expression seulement pendant les périodes électorales ?
Le juge judiciaire, comme le juge électoral, a toujours laissé une large place à la polémique politique. Moment traditionnel de liberté, la période électorale devrait-elle devenir désormais une période de censure ?
J’y insiste, pourquoi faudrait-il encadrer le débat électoral plus strictement que le débat sur les questions de santé ou d’économie ?
Pourquoi vouloir nécessairement priver les citoyens de l’accès à une fausse information en période électorale ?
Faut-il interdire, en raison des intentions malveillantes de certains, le droit d’imaginer, d’alléguer ou de supposer en période électorale ?
La recherche de la vérité ne suppose-t-elle pas la confrontation d’informations vraies comme d’informations douteuses ou fausses ?
La jurisprudence constitutionnelle rappelle que la liberté d’expression est une liberté fondamentale « d’autant plus précieuse que son exercice est l’une des garanties essentielles du respect des autres droits et libertés et de la souveraineté nationale ».
Dès lors, la loi ne peut en réglementer l’exercice « qu’en vue de le rendre plus effectif ou de le concilier avec celui d’autres règles ou principes de valeur constitutionnelle ». Les atteintes doivent être « nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif poursuivi ».
Le Conseil constitutionnel ajoute que « la liberté d’expression revêt une importance particulière dans le débat politique et dans les campagnes électorales ».
Je ne suis pas certain que l’article 1er respecte toutes ces exigences constitutionnelles.
Le risque d’instrumentalisation à des fins dilatoires d’un tel dispositif me semble trop grand pour que l’on accepte de voter celui-ci, d’autant que la proposition de loi n’encadre nullement les personnes pouvant saisir le juge des référés.
Aussi, en obligeant le juge des référés à entrer dans un débat qui n’est pas habituellement le sien, n’y a-t-il pas un risque d’affaiblir la justice ?
Au regard des risques de dérives que porte en germe toute législation entravant la liberté de communication, la commission des lois considère préférable de s’abstenir de légiférer plutôt que de risquer de nuire à la diffusion de contenus légitimes.
Pour toutes ces raisons, je vous propose d’adopter cette motion tendant à opposer la question préalable.
Pour conclure, je citerai Beaumarchais qui, en 1784, dans Le Mariage de Figaro, mettait déjà en garde celui qui à l’époque, du haut de son trône, entendait brider la liberté d’expression : « Il n’y a que les petits hommes qui redoutent les petits écrits. » (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – Mmes Dominique Vérien et Claudine Lepage, ainsi que M. Pierre Ouzoulias applaudissent également.)
M. François Bonhomme. Très bien !
Mme Françoise Nyssen, ministre. Face au constat alarmant que nous partageons finalement tous – la discussion générale de ces propositions de loi l’a démontré –, il est urgent d’agir. Pourtant, vous refusez de poser ce premier acte fort en adoptant ces deux motions.
La navette parlementaire devait permettre d’améliorer ces textes, comme nous le souhaitions, et de les enrichir, mais vous préférez passer votre tour. Quel dommage !
Pour le Gouvernement, l’attentisme est un risque que nous ne pouvons pas nous permettre de prendre. Je me dois donc de vous dire que nous irons jusqu’au bout et que ces textes poursuivront leur parcours législatif.
M. le président. La parole à M. François Bonhomme, pour explication de vote.
M. François Bonhomme. Après des mois d’attente fébrile de la proposition de loi destinée à lutter contre la « manipulation de l’information », le moins que l’on puisse dire c’est que ce texte a suscité beaucoup de scepticisme, voire de craintes.
Pas un juriste distingué, pas un professeur de droit émérite, pas une association de journalistes, qui n’ait souligné, au mieux, l’inutilité de ce texte d’inspiration jupitérienne et tout droit sorti de l’Élysée, même s’il a l’apparence de l’initiative parlementaire. D’autres, plus sombres, font valoir ses effets contre-productifs : une entorse au principe de liberté d’expression avec la création, en quelque sorte, d’une « labellisation de la vérité d’État », ou encore – plus ironique – un résultat à l’inverse de l’objectif. Une information portant le cachet de « faux officiel » s’en trouvera valorisée et ne manquera pas de susciter une vilaine curiosité.
C’est donc un texte purement de contexte, celui qui est consécutif à la diffusion d’informations grossières ou malveillantes pendant la campagne. La contagion virale sur le net d’imputations diffamatoires est une réalité, et nous ne la nions pas.
Néanmoins, la réponse consistant en une procédure judiciaire, ultrarapide en période électorale, pour ordonner le retrait d’une information a été presque unanimement considérée comme inappropriée et inapplicable. Tous ou presque ont soutenu que la démarche n’était pas la bonne. J’ai évoqué les dizaines de spécialistes en tous genres qui ont été consultés, qui ont tous indiqué leur scepticisme. De toute façon, leur avis n’a pas été écouté.
En définitive, le plus sage est de s’en tenir à l’avis du Conseil d’État qui, dans les termes choisis et prudents qui le caractérisent, avait considéré que « le droit français contient déjà plusieurs dispositions visant en substance à lutter contre la diffusion de fausses nouvelles ». Il ajoutait que, de toute façon, « la réponse du juge des référés, aussi rapide soit-elle, risque d’intervenir trop tard […], voire à contretemps ». Sans compter la difficulté forte qu’il y aurait à apporter devant un juge la preuve de la fausseté d’une information.
Dans une crise d’optimisme, on pourra toujours soutenir que ce texte ne fera pas trop de mal. Il ne sera qu’une illustration quasiment parfaite de la maxime de Montesquieu qui a été rappelée par notre collègue Christophe-André Frassa.
Finalement, c’est encore le journal hebdomadaire dont le symbole est un palmipède – toujours la presse ! – qui a le mieux résumé ce texte placebo et superfétatoire : les députés, en voulant complaire au Président de la République et lutter contre la manipulation de l’information ont foncé « la tête dans le bidon » ! Mal leur en a pris, et cette motion tendant à opposer la question préalable le leur rappelle. (MM. Bruno Retailleau et Yves Bouloux applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.
M. David Assouline. Je le répète, le groupe socialiste et républicain s’associe à cette motion, de même qu’il a voté pour la précédente.
Madame la ministre, nous partageons votre constat. La manipulation de l’information est un fléau mortel, dont on a vu les effets non pas dans des pays « marginaux », mais dans des États piliers de la démocratie, comme les États-Unis et la Grande-Bretagne.
Il y a aussi eu des tentatives dans notre pays. Remarquons néanmoins, justement, que la France, avec son arsenal législatif et sa tradition de liberté de la presse, de liberté d’expression et les efforts qui y sont faits pour contrecarrer ce type d’envahissement, n’a pas succombé lors de la dernière élection, malgré des attaques claires visant à répandre des informations malveillantes.
Le problème n’est pas ce constat. C’est le fait que ce phénomène risque de s’aggraver encore davantage avec l’intelligence artificielle, car elle permettra de fabriquer de fausses informations, des vidéos, des films. On pourra même mettre en scène le Président de la République disant des choses qu’il n’a jamais dites, avec les conséquences que l’on peut imaginer. Ce sera lui, avec sa voix, ses intonations et ses gestes !
Le déferlement massif permis par les robots sera tel que la riposte tendant à expliquer qu’il s’agit d’une fausse information aura du mal à passer. Voilà pourquoi les adeptes de la post-vérité choisissent cet axe d’action.
C’est justement parce que le problème est à cette hauteur que nous ne devons pas laisser croire que nous pouvons lutter avec cette petite loi inutile, dangereuse et inefficace. Maintenant, mettons-nous au travail pour y faire face !
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.
M. Pierre Ouzoulias. Madame la ministre, je n’ai pas aimé votre ton, je vous le dis tout de go.
Je pense que l’heure est grave. Le Président de la République a souhaité ce texte, qu’il a imposé au travers d’une proposition de loi. Nous vous l’avons dit, il nous semble qu’il ne s’agit pas du bon véhicule. Vous tentez tout de même, ici, de nous l’imposer en acceptant des amendements. Nous vous répondons que ce n’est pas la bonne méthode et que nous souhaitons un dialogue. Vous refusez celui-ci, et persistez en répondant que, quoi que nous fassions, le texte sera de toute façon adopté à l’Assemblée nationale.
La façon dont vous nous traitez montre que nous avons tout à fait raison aujourd’hui de voter cette motion, car il y a là une forme d’arbitraire que nous dénonçons.
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet de la proposition de loi organique.
Je rappelle également que l’avis du Gouvernement est défavorable.
En application de l’article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.
Il va y être procédé dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 228 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 319 |
Pour l’adoption | 288 |
Contre | 31 |
Le Sénat a adopté.
En conséquence, la proposition de loi organique relative à la lutte contre la manipulation de l’information est rejetée.
(M. Philippe Dallier remplace M. Vincent Delahaye au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Philippe Dallier
vice-président
7
Transfert des compétences eau et assainissement aux communautés de communes
Adoption en nouvelle lecture d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, en nouvelle lecture, de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, relative à la mise en œuvre du transfert des compétences eau et assainissement aux communautés de communes et aux communautés d’agglomération (proposition n° 643, texte de la commission n° 676, rapport n° 675).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d’État, ministre de l’intérieur. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, nous nous retrouvons aujourd’hui pour la dernière fois dans la chambre haute sur le sujet du transfert de l’eau et l’assainissement.
Vous le savez, le Gouvernement a mené un travail de concertation et a entendu la diversité des situations dans la mise en œuvre de la compétence.
La concertation que j’ai menée depuis de longs mois et pendant l’examen de cette proposition de loi a permis au Gouvernement de mesurer la diversité des situations sur le terrain, appelant des solutions différenciées.
Nous avons donc travaillé collectivement à trouver un texte qui concilie les enjeux d’un transfert de compétences avec ceux, légitimes, d’une adaptation à certaines réalités locales. C’est le sens de la mission que m’a confiée le Premier ministre et qui a abouti à la proposition d’une clause de sauvegarde des libertés communales.
Cette clause de sauvegarde donne la possibilité aux communes appartenant à des communautés de communes de s’opposer au transfert des compétences eau et assainissement avant le 1er juillet 2019, si 25 % d’entre elles représentant au moins 20 % de la population s’expriment en ce sens.
Cette capacité de blocage s’exerce jusqu’au 1er janvier 2026, date à laquelle le transfert devient obligatoire.
Cette possibilité est réservée aux communautés de communes car, d’une part, ce sont elles qui couvrent majoritairement les zones de montagne et les zones rurales, et, d’autre part, parce que les communautés d’agglomération ont déjà, dans leur majorité, effectué le transfert de ces compétences ou sont en train de le préparer.
Les véritables difficultés de transfert se concentrent sur l’eau, et non sur l’assainissement. Ce constat nous a conduits à proposer que les élus locaux puissent transférer, ou pas, dès le 1er janvier 2020 la compétence assainissement et se donner un délai supplémentaire, via la capacité de blocage, pour transférer l’eau s’ils n’y sont pas prêts.
Enfin, nous avons entendu les difficultés liées au mécanisme de représentation-substitution dans les syndicats et avons donc proposé d’assurer la pérennité des structures, sans condition de taille. Je me réjouis d’ailleurs que le Sénat, en première lecture, ait fait sienne cette proposition.
L’ensemble de ces dispositions constitue donc une position équilibrée, fruit d’un compromis, adopté par la Conférence nationale des territoires du 14 décembre à Cahors.
Je ne peux donc que regretter l’échec de la commission mixte paritaire.
Depuis le début de l’examen de ce texte, le Gouvernement a adopté une méthode transparente. Dès le départ, il avait fixé une ligne. Il s’y est tenu et continuera de le faire aujourd’hui.
Toutefois, vous le savez et vous l’avez constaté, je suis animée depuis le début du processus législatif d’un esprit de compromis. Le débat parlementaire a fait émerger de nouveaux sujets pour lesquels je me suis engagée ici, au Sénat, à apporter des réponses au cours de la navette parlementaire.
C’est ce que j’ai fait à l’Assemblée nationale sur deux points : la gestion des eaux pluviales et les conditions de la minorité de blocage pour les communes ayant déjà transféré l’assainissement non collectif à leur communauté de communes.
Je veux d’abord parler de la gestion des eaux pluviales.
Elle constitue un enjeu important, à la convergence de plusieurs champs d’actions des collectivités territoriales et de leurs groupements, tels que l’assainissement, la voirie, voire, en certaines circonstances, la compétence « gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations », ou GEMAPI.
Dans son rapport au Parlement, prévu par les dispositions de l’article 7 de la loi du 30 décembre 2017 relative à l’exercice des compétences des collectivités territoriales dans le domaine de la gestion des milieux aquatiques et de la prévention des inondations, dite loi GEMAPI, le Gouvernement a souligné la diversité des moyens techniques pouvant être mobilisés pour assurer une gestion efficiente des eaux pluviales et de ruissellement, ainsi que les liens entretenus avec les compétences « assainissement », « voirie », « aménagement » ou « GEMAPI ».
Il ressort de ces éléments la nécessité de concilier la clarification juridique de la répartition des compétences exercées par les collectivités territoriales et la souplesse utile à la mise en œuvre de ces compétences.
Il apparaît donc opportun de définir une compétence relative à la gestion des eaux pluviales urbaines qui puisse être identifiée de manière distincte.
Le Conseil d’État assimile la gestion des eaux pluviales urbaines à un service public relevant de la compétence « assainissement », lorsque cette dernière est exercée de plein droit par un EPCI. Cette compétence s’exerce « dans les zones urbanisées et à urbaniser », telles qu’énoncées dans les documents d’urbanisme.
Ce rattachement fait pleinement sens dans les zones urbanisées, souvent dotées d’une forte proportion de réseaux unitaires – je pense aux communautés urbaines et aux métropoles. C’est d’ailleurs l’état présent du droit.
Pour les communautés de communes, cependant, le Gouvernement a soutenu les amendements de la majorité à l’Assemblée nationale, qui proposait de faire de la compétence « eaux pluviales urbaines » une compétence facultative, pour des raisons de meilleure adaptation à la diversité des situations rencontrées sur le terrain.
Je veux ensuite évoquer le cas des conditions de la minorité de blocage pour les communes ayant déjà transféré l’assainissement non collectif à leur communauté de communes.
Vous le savez, le transfert de manière facultative de l’assainissement non collectif est très présent dans le monde rural. Les acteurs concernés comprennent, spontanément, que l’intercommunalité peut régler certains problèmes mieux que chaque commune dispersée. La moitié des communautés exerçant la compétence « assainissement non collectif » n’exercent pas la compétence « assainissement collectif ».
La loi NOTRe, en prévoyant un bloc de compétences indissociable, conduisait à ce que les communes membres de communautés de communes exerçant une partie de la compétence ne puissent bénéficier de la faculté de blocage.
Nous avons entendu cette contradiction et nous sommes favorables à ce que les communes puissent, en utilisant la minorité de blocage, exercer l’assainissement collectif au niveau communal et l’assainissement non collectif au niveau de la communauté de communes, jusqu’en 2026. Il est en effet limité et justifié par les caractéristiques particulières de l’organisation de l’assainissement non collectif.
Un nouvel assouplissement vous sera proposé pour la mutualisation des fonctions support des régies en matière d’eau et d’assainissement.
S’ajoute à ces deux assouplissements votés à l’Assemblée nationale et que la commission des lois du Sénat a entérinés une dernière proposition que nous vous soumettrons par voie d’amendement au cours du débat, relative aux régies multiservices.
Notre amendement vise, d’une part, à concilier les objectifs de mutualisation des moyens et des personnels au sein d’une même structure en charge de la gestion des services publics de l’eau et de l’assainissement et, d’autre part, à répondre à la nécessité d’individualiser le coût de chacun de ces deux services publics industriels et commerciaux au sein de budgets annexes distincts.
Vous connaissez la mécanique parlementaire qui veut que seuls les amendements adoptés par le Sénat seront examinés lors de la dernière lecture à l’Assemblée nationale. J’espère donc que vous vous rallierez, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, à cette proposition pragmatique, qui répond notamment à la demande du député de votre groupe politique, Raphaël Schellenberger.
Bien entendu, les enjeux écologiques et financiers qui nous attendent nécessitent une large réflexion sur l’eau et l’assainissement.
Je tiens à remercier tous les sénateurs qui se sont engagés dans ce texte et qui ont compris que, face aux enjeux devant lesquels nous nous trouvons, il est nécessaire d’apporter des solutions concrètes aux difficultés d’aujourd’hui et d’anticiper la modernisation de nos réseaux de demain.
L’impératif écologique lié au réchauffement climatique doit nous faire prendre conscience de l’urgence d’améliorer deux choses : l’accès et la qualité de l’eau en tout point du territoire.
L’évolution de nos modes d’agriculture, comme l’évolution de notre consommation et de notre système de production, rend nécessaire la modernisation de nos réseaux d’eau.
Or, d’un point de vue économique, nos installations sont vieillissantes ou vétustes. Aujourd’hui, un litre d’eau sur cinq que nous traitons dans nos usines finit dans la nature.
Les travaux menés au sein des Assises de l’eau tendent également à prouver que le taux de connaissance des réseaux est trop faible – cela m’a beaucoup frappée sur l’ensemble du territoire – et que l’émiettement de la compétence entre de très nombreuses structures nuit à son efficacité.
Les agences de l’eau auront pour objectifs prioritaires d’aider les collectivités à améliorer l’état des réseaux et de les accompagner dans la recherche des meilleurs outils techniques, juridiques et financiers. Les six ans de délai que devrait permettre la minorité de blocage donneront la latitude nécessaire pour ce faire.
Pour répondre à cette multiplicité d’enjeux, un premier mouvement de mutualisation s’est enclenché entre 2010 et 2016. Nous pensons qu’il pourra se poursuivre dans le dialogue, avec cette capacité que nous vous proposons de voter.
Les communes ne feront efficacement face aux risques d’amoindrissement de la qualité de la ressource en eau que si elles interconnectent leurs réseaux et si elles mutualisent leurs moyens à des échelles plus larges. Je rappelle que, naturellement, transfert à l’intercommunalité ne veut pas dire disparition des syndicats.
C’est pourquoi le Gouvernement s’opposera, une nouvelle fois, à l’optionalité du transfert, considérant que le texte qu’il a proposé à l’Assemblée nationale est celui qui rassemble l’ensemble des opinions et des positions.
Je crois nécessaire de rétablir le texte voté par l’Assemblée nationale : nous serons donc favorables aux amendements qui y tendent.
Après les heures de débat avec les associations d’élus, et au sein de chacun des hémicycles, il nous faut apporter des réponses rapides aux élus locaux sur ce texte aux conséquences importantes pour l’ensemble des Français, peu importe leur lieu d’habitation.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. François Bonhomme, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, « dans la très grande majorité des cas, les territoires savent mieux l’organisation qui est la plus pertinente pour eux ». Ces mots ne sont ceux ni d’un dangereux agitateur ni d’un rêveur éthéré, pas plus ceux d’une partisan aveugle de la décentralisation qui mettrait à mal l’unité de la République.
Ce sont les mots prononcés par le Président de la République lui-même lors de la première Conférence nationale des territoires, le 18 juillet 2017. Au même moment, celui-ci annonçait la conclusion d’un « pacte girondin » avec les collectivités territoriales afin de « redonner aux territoires les moyens d’agir dans une responsabilité partagée ».
Depuis, de l’eau a passé sous les ponts, et dans les réseaux. (Sourires.)
Depuis un an, à rebours de ces déclarations d’intentions, nous avons assisté à une tentative sans précédent de recentralisation des pouvoirs. Contractualisation forcée avec les collectivités territoriales, mise à mal de leur autonomie financière et fiscale, recentralisation des compétences régionales en matière d’apprentissage, étranglement financier des départements, suppression progressive des derniers pouvoirs qui appartiennent encore aux maires – on l’a vu avec la loi ÉLAN : les exemples ne manquent pas.
Cette proposition de loi aurait pu être l’occasion de revenir sur certaines aberrations de la loi NOTRe et de desserrer un peu le corset dans lequel se trouvent aujourd’hui enfermées les collectivités territoriales, et tout particulièrement les communes.
Hélas, il est à craindre que cela ne soit une belle occasion manquée.
Dès février 2017, le Sénat, conscient des graves dysfonctionnements que risquait de provoquer, sur nos territoires, le transfert obligatoire et systématique aux communautés de communes et communautés d’agglomération des compétences communales en matière de distribution d’eau potable et d’assainissement des eaux usées, avait adopté à une très large majorité une proposition de loi des présidents Philippe Bas, Bruno Retailleau et François Zocchetto et de notre collègue Mathieu Darnaud. Elle visait à maintenir ces compétences parmi les compétences optionnelles de ces deux catégories d’EPCI à fiscalité propre.
Car le Sénat en est lui aussi convaincu : « Dans la très grande majorité des cas, les territoires savent mieux l’organisation qui est la plus pertinente pour eux. »
Malgré le soutien du rapporteur de la commission des lois de l’Assemblée nationale, Fabrice Brun, cette proposition de loi fut renvoyée en commission par les députés le 12 octobre 2017, et son examen reporté sine die.
À l’automne 2017, un groupe de travail de seize parlementaires a néanmoins été constitué à vos côtés, madame la ministre, pour étudier cette question. Il en est sorti trois recommandations : renforcer l’aide financière et technique au bloc communal ; permettre aux communes de surseoir au transfert de leurs compétences jusqu’au 1er janvier 2026 ; garantir la pérennité des syndicats d’eau et d’assainissement existants.
Devant le Congrès des maires, le 21 novembre 2017, le Premier ministre a pris des engagements en ce sens.
Un mois plus tard, nos collègues des groupes La République en Marche et MoDem de l’Assemblée nationale déposaient une proposition de loi censée mettre en œuvre ces engagements.
Ce n’était, malheureusement, pas tout à fait le cas.
En premier lieu, un texte d’initiative parlementaire ne pouvait, en vertu de l’article 40 de la Constitution, traiter de l’aide financière et technique susceptible d’être apportée par l’État aux communes et à leurs groupements dans le domaine de l’eau et de l’assainissement. Le Gouvernement n’a malheureusement rien fait pour compléter le texte en ce sens, comme il en a seul le pouvoir.
En deuxième lieu, si le texte prévoyait d’instituer une « minorité de blocage » permettant aux communes de s’opposer au transfert obligatoire de ces compétences, cette faculté ne devait concerner que les communautés de communes, et non les communautés d’agglomération, et elle ne devait s’appliquer qu’à titre temporaire, jusqu’en 2026.
En troisième lieu, pour garantir la pérennité des syndicats d’eau et d’assainissement, il était proposé de revenir au droit commun de la « représentation-substitution » en ce qui concerne les communautés de communes, mais aucun assouplissement n’était prévu pour les communautés d’agglomération.
Grâce au travail de la rapporteur de la commission des lois, la députée Émilie Chalas, cette dernière difficulté fut résolue dès la première lecture du texte par l’Assemblée nationale.
En revanche, aucune avancée ne fut enregistrée sur les autres points.
Plus grave, un amendement fut adopté prévoyant le rattachement systématique de la gestion des eaux pluviales et de ruissellement à la compétence « assainissement » des EPCI à fiscalité propre, ce qui soulevait de fait de nombreux problèmes de droit et d’opportunité.
En première lecture, le Sénat, qui s’était déjà exprimé en faveur du maintien du caractère optionnel des compétences « eau » et « assainissement » des communautés de communes et communautés d’agglomération, réaffirma cette position afin de laisser les élus libres de décider du transfert de ces compétences, en fonction des réalités locales.
Au demeurant, beaucoup de communes ont déjà transféré ces compétences sans que la loi le leur impose, parce que c’était la solution la plus adaptée localement. Mais ce n’est pas partout le cas.
Nous souhaitons faire confiance, pour notre part, aux élus de terrain.
Le Sénat clarifia, par ailleurs, les modalités de rattachement de la gestion des eaux pluviales à la compétence « assainissement » des communautés de communes et d’agglomération, en excluant les eaux de ruissellement de cette compétence.
Il adopta, en outre, cinq articles additionnels visant à faciliter la gestion des services publics d’eau et d’assainissement ainsi que leur transfert au niveau intercommunal.
C’est bien le signe que le Sénat ne s’oppose pas par principe ou par réflexe pavlovien au transfert de ces compétences : au contraire, il cherche à faciliter ce transfert pour peu qu’il réponde à l’intérêt général et à la volonté des élus locaux.
Malheureusement, aucun terrain d’entente n’a pu être trouvé en commission mixte paritaire. Nous avons même eu la surprise de nous entendre dire par la rapporteur de l’Assemblée nationale que nos propositions étaient « inacceptables ».
En nouvelle lecture, nos collègues députés ont commencé par rétablir intégralement leur texte en commission, sans tenir aucun compte des apports du Sénat ni des demandes pressantes des associations d’élus locaux.
Puis nous avons eu une heureuse surprise. En séance publique, la majorité de l’Assemblée nationale a admis la nécessité d’apporter quelques assouplissements. Sur l’initiative de la rapporteur et des deux groupes majoritaires, plusieurs amendements ont été adoptés dans le sens souhaité par le Sénat.
Ainsi, les communes membres de communautés de communes qui sont aujourd’hui compétentes uniquement en matière d’assainissement non collectif – c’est le cas de figure le plus courant – pourront, elles aussi, s’opposer jusqu’en 2026 au transfert du reste de la compétence « assainissement ».
De même, la gestion des eaux pluviales urbaines resterait une compétence facultative des communautés de communes ; elle deviendrait une compétence obligatoire des autres EPCI à fiscalité propre, mais toute référence à la gestion des eaux de ruissellement a été abandonnée.
Pour autant, ces avancées ne répondaient pas à l’ensemble des préoccupations exprimées par le Sénat. L’Assemblée nationale n’est pas revenue, en particulier, sur le principe du transfert obligatoire des compétences eau et assainissement. Toutefois, ces amendements témoignent d’un souci de pragmatisme, dont nous avions jusqu’à présent déploré l’absence.
C’est donc avec un esprit constructif que votre commission a abordé cette nouvelle lecture. L’espérance étant une des trois vertus théologales et l’expérience montrant qu’il n’est pas vain d’essayer de faire valoir des arguments de bon sens, c’est ce que nous allons faire encore aujourd’hui.
À l’article 1er, la commission des lois n’a pas cru possible de trouver un terrain de compromis avec les députés, et c’est pourquoi elle a choisi de réaffirmer une position de principe déjà exprimée par deux fois par le Sénat : l’eau et l’assainissement doivent rester des compétences optionnelles des communautés de communes et d’agglomération, par souci d’efficacité, en fonction des spécificités de chaque territoire.
Les articles 1er bis à 1er sexies, insérés par le Sénat en première lecture, avaient tous été supprimés par l’Assemblée nationale, alors même qu’ils soulevaient des problèmes très concrets et que le Gouvernement avait témoigné d’une certaine ouverture sur plusieurs points. La commission a rétabli trois de ces articles dans une rédaction améliorée, toujours dans le souci de faciliter la transition entre la gestion communale et intercommunale des services publics de l’eau et de l’assainissement, lorsque le transfert de ces compétences répond aux besoins locaux.
En ce qui concerne l’article 2, la répartition des compétences entre les communes et leurs groupements en matière d’eaux pluviales urbaines est aujourd’hui extrêmement confuse et pourrait donner lieu à des contentieux, à la suite d’une décision d’espèce du Conseil d’État de 2013 qui a fait l’objet d’une interprétation extensive du Gouvernement par voie de circulaires.
La rédaction finalement adoptée par l’Assemblée nationale a clarifié les choses pour l’avenir, il faut s’en féliciter. Il restait une zone d’ombre sur la compétence des communautés d’agglomération entre l’entrée en vigueur de la proposition de loi et le 1er janvier 2020, que la commission s’est efforcée de dissiper.
Enfin, la commission a considéré que les dispositions du premier paragraphe de l’article 2 avaient un caractère interprétatif et qu’elles avaient donc pour seul effet de clarifier le droit en vigueur, ce qui permettra de démêler les situations juridiques très confuses antérieures à l’entrée en vigueur de la nouvelle loi.
À l’article 3, la commission des lois a approuvé l’assouplissement des règles actuelles de représentation-substitution, qui permettront à de nombreux syndicats d’eau et d’assainissement de se maintenir au-delà de 2020 ou 2026. Elle s’est contentée d’adopter un amendement de clarification rédactionnelle, dont l’objet est de mettre le droit en accord avec la pratique.
Puisque la majorité présidentielle veut sauver les syndicats existants, c’est que l’organisation actuelle des compétences eau et assainissement n’est pas si déficiente !
Rendez-vous compte : par le passé, des communes intégrées à une communauté urbaine, une métropole ou même une communauté de communes ou d’agglomération exerçant les compétences eau et assainissement ont été contraintes de se retirer des syndicats qu’elles formaient avec les communes membres d’un seul autre EPCI à fiscalité propre.
Mais en matière d’eau et d’assainissement, les EPCI à fiscalité propre sont habilités à transférer leurs compétences à un syndicat sur une partie seulement de leur territoire.
Résultat : les EPCI se sont empressés de recréer des syndicats mixtes sur le périmètre qui était, la veille, celui des syndicats de communes… On cherche en vain une quelconque rationalisation des compétences locales !
Mes chers collègues, laissons « respirer les territoires », selon la formule consacrée de la mission de suivi des réformes territoriales.
Laissons les élus s’organiser comme ils l’entendent, pour rendre à nos concitoyens un service efficace et au meilleur coût.
C’est pourquoi la commission des lois vous invite à adopter le texte issu de ses travaux. (MM. Marc Laménie et Yves Bouloux, Mme Muriel Jourda, ainsi que M. le président de la commission des lois applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty.
M. Jean-Marc Gabouty. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, ce débat sur le transfert des compétences eau et assainissement des communes aux communautés de communes et aux communautés d’agglomération demeure une scorie de la loi NOTRe.
Lors de l’examen de ce texte, le Sénat s’était opposé au transfert obligatoire de ces compétences. C’est dans un souci de conciliation, afin de ne pas faire échouer la commission mixte paritaire, qu’il avait sans enthousiasme accepté un dispositif visant au report à 2020 de ces transferts.
Ces dispositions avaient suscité l’opposition de nombreux parlementaires et des principales associations de collectivités et d’élus, en particulier de l’Association des maires de France, l’AMF.
Le 23 février 2017, le Sénat avait adopté à une très large majorité une proposition de loi classant l’eau et l’assainissement comme des compétences optionnelles des communautés de communes et des communautés d’agglomération. Cette orientation correspond à un besoin et à une volonté des élus territoriaux de conserver la liberté de s’organiser comme ils le souhaitent en tenant compte des différences et des spécificités de chaque territoire.
Ce principe de droit à la différenciation a d’ailleurs été réaffirmé par le Président de la République lors de son discours devant le Congrès à Versailles le 9 juillet dernier, mais des intentions aux actes, le chemin est parfois long.
Le transfert des compétences en direction des EPCI peut être une bonne solution sur certains territoires et une régression sur d’autres. À titre d’exemple, en qualité de maire, j’ai géré avec une régie municipale pendant plus de vingt ans un service eau et assainissement avec des résultats performants sur le plan technique et compétitifs en termes de coût pour l’usager. Cette gestion de proximité présente aussi beaucoup d’avantages au niveau de la réactivité dans les interventions et de la mise en place de solutions adaptées au territoire. Depuis trois ans, la compétence « assainissement » a été transférée à une communauté d’agglomération, ce qui s’est traduit par une régression caractérisée par des solutions standards inadaptées, des lourdeurs administratives et des délais beaucoup plus longs pour les études.
M. François Bonhomme, rapporteur. Quel progrès…
M. Jean-Marc Gabouty. J’admets bien entendu qu’il ne faut pas faire d’un cas d’espèce un cas général, mais la spécificité de ces compétences doit être gérée différemment selon les territoires.
En effet, contrairement à d’autres services comme la collecte des ordures ménagères, la carte de l’approvisionnement en eau ne peut pas toujours coller avec le périmètre de l’EPCI.
Face à la protestation des élus, le Premier ministre avait annoncé en novembre dernier que des assouplissements pourraient être apportés aux transferts programmés par la loi NOTRe, notamment en matière d’eau et d’assainissement. C’est l’objet de la proposition de loi que nous examinons ce jour qui, dans la version de l’Assemblée nationale soutenue par le Gouvernement, prévoit non pas une remise en cause du transfert obligatoire, mais simplement un report encadré par l’expression d’une minorité de blocage, et ce pour les seules communautés de communes.
Il s’agit là pour nous d’une concession à caractère dilatoire plus que d’un réel assouplissement. Sur le fond, je suis – et c’est aussi le cas de la grande majorité du groupe du RDSE – en accord complet avec le rapporteur de la commission des lois.
La commission a d’ailleurs, et je m’en félicite, repris et complété un amendement que j’avais déposé en première lecture concernant la possibilité par voie de convention entre l’EPCI et la commune ou un syndicat de rétrocéder tout ou partie des produits perçus au titre des redevances d’occupation du domaine public des biens et équipements mis à disposition de l’EPCI.
Cependant, nous nous trouvons aujourd’hui dans une situation cornélienne car, d’un côté, nous ne pouvons pas accepter comme tel le texte voté par les députés et, de l’autre, nous savons que si nous en restons au texte de la commission des lois, celui-ci sera intégralement balayé lors d’un nouveau passage à l’Assemblée nationale. En effet, nous ne disposons plus de marge de négociation car après cette nouvelle lecture, il n’y aura pas de commission mixte paritaire.
En même temps, nous avons le souci de rendre service aux communes et aux collectivités locales que nous représentons en essayant de grappiller des concessions supplémentaires. C’est tout de même bien là, à leur égard, notre mission la plus essentielle.
C’est la raison pour laquelle nous avons déposé un amendement à l’article 1er qui entérine la rédaction de l’Assemblée nationale mais en l’étendant aux communautés d’agglomération. C’est une position identique ou très proche de celle qui a été défendue par l’AMF.
Le maintien d’un dispositif transitoire peut être de nature à faciliter l’avènement d’autres assouplissements et un retour au principe de subsidiarité si un gouvernement veut bien, un jour, s’apercevoir que le transfert à tout-va des compétences vers les EPCI est générateur de davantage de surcoûts que d’économies et de plus de lourdeurs que d’efficacité.
Je suis bien conscient que notre initiative médiane, une sorte de CMP unilatérale, a peu de chances de rapprocher les positions respectives de la commission des lois et du Gouvernement. Mais, dans l’intérêt même des collectivités, cela méritait d’être tenté.
Le vote de cet amendement aura aussi le mérite de tester la volonté de l’Assemblée nationale et du Gouvernement de trouver un compromis ou un consensus plus équilibré sur ce terrain.
Si cette solution médiane n’était pas retenue, le groupe du RDSE ne s’opposera pas au texte de la commission, conforme sur le fond à ses propres conceptions. (Mmes Françoise Laborde, Dominique Vérien et Catherine Di Folco, ainsi que MM. Yves Détraigne et Marc Laménie applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Arnaud de Belenet.
M. Arnaud de Belenet. Oui, monsieur le rapporteur, nous voulons laisser respirer les territoires ! Ils savent mieux que quiconque ce qui est bon pour eux, mais il y a aussi une suite que vous avez omise.
Personne ne souhaite – le Président de la République et le Premier ministre l’ont déclaré aussi, et nous partageons leurs objectifs – déstabiliser nos territoires ou leur ôter de la visibilité.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Cela va mieux en le disant !
M. Arnaud de Belenet. C’est dans cet état d’esprit que l’asphyxie budgétaire a été stoppée l’an dernier, avec la fin de la baisse des dotations qui était organisée depuis dix ans et qui contraignait à des choix, notamment institutionnels, non souhaités par les territoires.
M. François Bonhomme, rapporteur. Ce n’est pas flagrant…
M. Arnaud de Belenet. Nous n’avons pas comme perspective un big-bang territorial. Il est d’ailleurs envisagé d’inscrire le droit à la différenciation dans la Constitution.
Il s’agit, pour vous, du match retour de la loi NOTRe, mais ce n’est pas le sujet ! Personne n’a jamais dit qu’il fallait revenir sur le principe du transfert obligatoire de la compétence eau et assainissement aux intercommunalités. Pour quelle raison ? Parce que, nous le savons tous, nous avons besoin de cet outil intercommunal pour garantir une saine gestion, une qualité de l’eau, des économies et un fonctionnement efficient.
Néanmoins, il y a lieu – et c’est le souhait qui a été exprimé par ceux que vous avez cités, monsieur le rapporteur – de tenir compte de quelques exceptions. C’est bien l’état d’esprit qui prévaut dans cette approche : permettre aux communes qui en ont besoin – parce qu’elles sont dans une situation exceptionnelle – d’entrer dans un cadre différent du cadre général. La loi permet ainsi aux communes de conserver, lorsque cela est nécessaire et souhaitable, la compétence eau et assainissement. En aucun cas, je le redis, il ne s’agit du match retour de la loi NOTRe ou d’une volonté de perturber les équilibres territoriaux.
Je veux rappeler que 60 % de nos intercommunalités ont déjà organisé le transfert de la compétence eau et assainissement des communes vers leurs regroupements, que 20 % sont en train d’y travailler – la question les perturbe et beaucoup sont dans l’attentisme –, et 20 % ne se sont pas encore penchées sur la question – peut-être se sentent-elles particulièrement concernées par cette liberté qui leur est redonnée…
Nous avons, me semble-t-il, adopté conformes un certain nombre de textes. Le président Sueur disait cet après-midi qu’il fallait parfois réfréner nos ardeurs. Un vote conforme – je l’ai déjà dit en commission – permettrait certainement de répondre aux besoins assez urgents des collectivités, puisque le transfert de compétence et les procédures sont prévus en 2019, les aiderait à y voir clair, à disposer des bons outils et à aller de l’avant.
Le meilleur service à leur rendre serait de refuser les postures, le match retour de la loi NOTRe et d’adopter conforme cette proposition de loi. C’est pourquoi nous voterons les amendements qui vont dans le sens d’un retour au texte issu des travaux de l’Assemblée nationale.
Je veux de nouveau remercier Mme la ministre d’avoir initié le groupe de travail, puisque c’est sous son impulsion que les décisions et les orientations ont été prises et que les membres de chacun des groupes du Sénat et de l’Assemblée nationale ont unanimement élaboré les préconisations initiales. Je note que nos travaux ont permis d’enrichir le texte et de faire évoluer l’Assemblée nationale sur un certain nombre de sujets, dont quelques-uns ont été évoqués par M. le rapporteur.
Le Gouvernement nous proposait de procéder à des assouplissements de bon sens, en adéquation avec les réalités locales, notamment en instituant la clause de sauvegarde des libertés communales sur le mode opératoire d’une minorité de blocage ou en entravant la potentielle dissolution de plein droit des syndicats.
Au lieu de cela, nous donnons l’impression, lors de cette nouvelle lecture, de constituer nous-mêmes une force de blocage, en maintenant coûte que coûte le caractère optionnel du transfert de la compétence eau et assainissement en direction des communautés de communes et des communautés d’agglomération, ce qui est un point bloquant.
L’adoption du texte de notre commission hypothéquerait naturellement les chances de réussite d’un vote conforme, et ce en dépit des nombreux assouplissements introduits par nos collègues députés qui, parfois inspirés par nos travaux,…
M. le président. Il faut conclure.
M. Arnaud de Belenet. … semblaient s’engager sur la voie du compromis acceptable et à portée de main.
M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard.
M. Guillaume Gontard. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous examinons une nouvelle fois cette proposition de loi dans une navette qui commence à devenir stérile du fait de l’entêtement de la majorité présidentielle. Alors même que le Président de la République a reconnu le besoin d’évolutions lors de son discours devant les maires de France, la majorité s’arc-boute sur sa version sans entendre notre demande.
Seule concession en deuxième lecture à l’Assemblée nationale : le transfert de la compétence « eaux pluviales » devient facultatif, comme vous l’avez appelé, madame la ministre.
Notre demande est pourtant de bon sens. S’il est en effet des compétences dont le bon exercice dépend des réalités physiques et humaines des territoires, des compétences pour lesquelles les regroupements artificiels seront financièrement calamiteux, ce sont bien celles de l’eau et de l’assainissement.
Il ne s’agit pas ici du match retour de la loi NOTRe ou de postures, comme je viens de l’entendre. Avec ma sensibilité, je pense en premier lieu aux territoires de montagne, aux particularités reconnues par la loi Montagne. Je me fais l’écho des élus de l’Association nationale des élus de montagne, l’ANEM, pour rappeler que, chez nous, du fait de la topographie, la notion de réseaux interconnectés est difficile, voire impossible.
Les importantes distances à parcourir, la localisation des sources et réseaux nécessitent une connaissance particulière et une intervention de proximité. Il faut savoir écouter les élus, qui gèrent au quotidien ces réseaux, lesquels sont souvent le premier relais en cas de fuite ou de problèmes, qui sont présents à très peu de frais 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24.
Il est évident que la gestion de ces réseaux particuliers, qui repose souvent sur la mémoire de quelques personnes, mérite une réflexion pour améliorer les rendements, favoriser les investissements et apporter une ingénierie souvent absente.
Au lieu d’une réponse adaptée, le Gouvernement nous propose la pire des solutions en ne faisant que reculer à 2026 la date butoir du transfert obligatoire.
Cela risque fort de bloquer les indispensables investissements des communes sur leurs réseaux, tout en ralentissant les démarches des EPCI qui souhaitent prendre en charge la compétence. Une période de flou va s’installer où chaque niveau de collectivité se renverra la balle en regardant l’autre en chien de faïence. Ce n’est pas sérieux…
Les communes et EPCI ont besoin de stabilité, d’une vision de long terme et d’objectifs clairs. Il aurait été plus sage de permettre aux communes qui le souhaitent, notamment aux communes de montagne, de conserver la compétence et en même temps de travailler sur une compétence à plusieurs niveaux.
Les communes, comme je le rappelais, ont besoin d’ingénierie, d’expertise, d’accompagnement : c’est le rôle de l’intercommunalité, mais aussi de l’État au travers notamment de l’Agence nationale de la cohésion des territoires. Cependant, la gestion quotidienne, de proximité, doit rester communale. Les usagers doivent avoir des interlocuteurs accessibles.
Cette proximité est indispensable. La gestion des services publics doit être le plus proche possible de leurs bénéficiaires. Les élus locaux sont en première ligne pour entendre les besoins de nos concitoyens et tenter d’y répondre. Leur connaissance du terrain est indispensable à la bonne conduite des politiques publiques. Je fais mienne la formule de mon collègue Pierre-Yves Collombat qui n’a pas pu être là ce soir : « Quand nos stratèges de bureau cesseront-ils de confondre la carte avec le territoire ? »
Cette fausse proposition de loi ne répond pas aux vraies problématiques. Disons-le tout net : ce véhicule législatif permet au Gouvernement de s’abriter derrière l’article 40 de la Constitution pour ne pas mettre sur la table les moyens nécessaires au financement des agences de l’eau et à l’entretien des réseaux. Or, que l’on se place au niveau communal ou au niveau intercommunal, le problème est le même : la politique de l’eau est sous-financée dans notre pays ! Les réseaux sont vieillissants, usagés et ont besoin d’être rénovés.
Il est plus que temps de mettre le budget des agences de l’eau en adéquation avec leurs missions sans cesse grandissantes, d’en finir avec la dérive récente qui consiste à ponctionner ces agences pour financer des actions aussi diverses que l’Office national de la chasse et de la faune sauvage, les parcs nationaux, l’Agence française pour la biodiversité, et de revenir à un principe simple et juste : « l’eau paye l’eau ».
À l’inverse, il est inacceptable pour l’environnement que les dispositifs d’assainissement individuel, solutions pourtant adaptées aux terrains montagnards, ne soient plus pris en charge par les agences de l’eau, faute de moyens… Sans ces aides, les mises en conformité ne se font pas, malgré la volonté collective. Ce sont notre biodiversité et nos ruisseaux qui en pâtissent…
Pour toutes ces raisons, nous voterons, avec mon groupe, en faveur de cette proposition de loi amendée par la commission. J’adresserai, pour finir, à mes collègues députés de la majorité cette citation de Jean Giono, qui a parcouru les montagnes et les sources du Trièves en Isère : « La vie c’est de l’eau. Si vous mollissez le creux de la main, vous la gardez. Si vous serrez les poings, vous la perdez. »
Sachez écouter ce message de bon sens, desserrez les points et permettez un peu de souplesse !
Madame la ministre, nous comptons sur vous pour que ce message soit entendu. (Mme Catherine Di Folco, ainsi que MM. Yves Bouloux et Marc Laménie applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Delcros.
M. Bernard Delcros. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous voici donc aujourd’hui au dernier épisode d’un feuilleton débuté en décembre 2014 lors de l’examen en première lecture de la loi NOTRe par le Sénat sur l’avenir de la compétence « eau-assainissement ».
Nous devons désormais, je le crois, regarder devant nous, avec pragmatisme. Oui, nous avons aujourd’hui l’opportunité de clore ce débat, dans le seul intérêt des territoires.
D’où partons-nous ? Où veut-on aller et, surtout, où peut-on aller ?
Le point de départ, c’est le droit actuel issu de la loi NOTRe, votée par l’Assemblée nationale et, je le rappelle, le Sénat. Le transfert obligatoire de la compétence eau et assainissement aux intercommunalités au 1er janvier 2020, c’est-à-dire dans dix-huit mois : c’est cela la réalité !
Nous avons été nombreux, madame la ministre, à vous alerter sur l’impossibilité pour nombre de collectivités d’organiser ce transfert dans ce délai, dans de bonnes conditions, tout particulièrement dans les territoires qui ont dû gérer – absorber, ai-je envie de dire – des fusions d’intercommunalités.
Vous qui avez une parfaite connaissance des collectivités et du terrain, vous avez entendu notre appel. Sans remettre en cause le principe de la loi NOTRe et le transfert obligatoire, vous nous avez proposé la possibilité d’un report à 2026 par la voie de la minorité de blocage.
M. François Bonhomme, rapporteur. Quelle audace…
M. Bernard Delcros. Certains de nos collègues souhaiteraient aller plus loin et revenir sur la loi NOTRe, en faisant disparaître l’échéance de 2026 et en rendant ce transfert optionnel. C’est la position de la commission, et elle a sa cohérence.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Merci !
M. Bernard Delcros. Mais les réalités territoriales et politiques de 2018 ne sont ni celles de 2015 ni celles de février 2017.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Tout change, et il y a un nouveau monde…
M. Bernard Delcros. C’est pourquoi nous sommes nombreux – et le groupe Union Centriste dans sa majorité – à considérer que votre proposition de report de six ans répond aux besoins actuels des territoires.
Six années, cela correspond à la durée du prochain mandat municipal et permet de se préparer, de trouver des solutions, d’expliquer et au final d’organiser le transfert dans les meilleures conditions.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. C’est vite passé !
M. Bernard Delcros. Je n’ai pas voté la loi NOTRe, puisque je n’étais pas encore sénateur.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Vous n’avez pas eu l’occasion de le faire…
M. Bernard Delcros. Toutefois, lors de l’examen au Sénat le 17 avril dernier, j’avais insisté, madame la ministre, sur la nécessité de faire évoluer le texte issu de l’Assemblée nationale sur deux points précis, pour lesquels ce texte était en décalage avec les réalités du terrain.
Le premier, pour dissocier la compétence « eaux pluviales » de la compétence « eaux usées », afin d’éviter son transfert obligatoire qui aurait été pénalisant pour certains territoires, particulièrement dans le secteur rural où beaucoup de communes et de hameaux sont dans un zonage d’assainissement autonome.
L’amendement que vous avez soutenu à l’Assemblée nationale et qui prévoit que la compétence des eaux pluviales et de ruissellement devienne une compétence facultative, sans limite de date, répond parfaitement à notre demande.
Le deuxième point concernait la sécabilité, jusqu’en 2026, de l’assainissement collectif et de l’assainissement autonome, afin de ne pas pénaliser les territoires qui ont déjà transféré le service public d’assainissement non collectif, le SPANC, sans avoir encore transféré l’assainissement collectif. Cela serait un comble puisque ces territoires ne pourraient pas bénéficier du report à 2026, alors que ceux qui n’auraient transféré ni l’assainissement autonome ni l’assainissement collectif pourraient en bénéficier.
Sur ce deuxième point, vous avez également accepté que le texte de l’Assemblée nationale évolue en permettant cette sécabilité jusqu’en 2026.
À partir de là, deux hypothèses s’offrent à nous.
Première hypothèse, nous arc-bouter sur une position, au motif qu’elle a déjà été prise par le Sénat, mais dont nous savons tous qu’elle n’a aucune chance d’aboutir. En somme, une voie sans issue !
Deuxième hypothèse : privilégier l’efficacité de l’action, celle qui vise à atteindre un objectif dont on sait qu’il peut être atteint, et ce dans le seul intérêt des territoires.
C’est cette seconde voie que notre groupe choisit.
Elle répond, je le crois, à l’attente de nombreux élus locaux.
M. François Bonhomme, rapporteur. Ils ne vont pas être déçus !
M. Bernard Delcros. En outre, cela donnerait une image positive et constructive du Sénat, démontrant que ce dernier est prêt à un véritable dialogue avec l’Assemblée nationale, y compris après l’échec de la commission mixte paritaire, dès lors qu’un certain nombre de nos propositions sont prises en compte, ce qui est le cas dans le texte que nous examinons aujourd’hui.
Nous démontrerions aussi, à la veille d’une révision constitutionnelle, l’importance de défendre le processus législatif et le rôle du Sénat.
Privilégier l’efficacité de l’action, avancer avec pragmatisme en regardant la réalité en face, favoriser la culture du résultat : ces principes ont toujours guidé mon action publique. Je pense qu’ils doivent également nous guider collectivement.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, je vous propose de ne pas laisser passer l’opportunité que constitue la proposition de loi et de l’adopter conforme.
Pour ce faire, je vous inviterai à adopter une série d’amendements qui n’ont qu’un seul objet : rétablir le texte tel qu’il a été modifié par les députés à la suite de son examen par le Sénat, afin que nous puissions adopter définitivement cette proposition de loi dès ce soir. Les élus locaux l’attendent !
Le positionnement de la majorité du groupe Union centriste sur l’ensemble du texte dépendra évidemment du sort qui sera réservé à ces amendements. (Mme Dominique Vérien et M. Yves Détraigne applaudissent.)
M. le président. La parole est à Mme Laurence Harribey.
Mme Laurence Harribey. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous voici presque au bout d’un long processus, qui, par bien des points, est quelque peu frustrant – nous aurions pu faire plus simple et plus vite –, mais qui, au final, a donné des résultats.
Ce texte est particulièrement important pour les élus locaux et, comme l’ont dit un certain nombre de mes collègues, il est attendu par les territoires, en particulier les territoires ruraux.
S’il est aujourd’hui sur la table, c’est parce que nombre d’élus locaux nous ont fait part de leurs difficultés à appliquer la loi qui s’impose à eux.
C’est cette difficulté affirmée qui avait conduit le Sénat à voter, à l’unanimité, en 2017, une proposition de loi prônant le retour à la compétence optionnelle. Nous avions soutenu ce texte parce que les dates de 2018 et 2020 nous paraissaient objectivement trop rapides et irréalistes. Cette position n’était pas pour autant dogmatique : elle tenait compte des réalités de terrain.
Sur le fond, je veux le souligner, nous restons favorables aux progrès de l’intercommunalité dans ce domaine, parce que nous sommes sensibles à trois enjeux, qui nous paraissent incontournables : la rationalisation du secteur au bénéfice de l’usager et de la maîtrise du prix de l’eau ; la réalisation d’infrastructures répondant aux exigences de qualité de l’eau et de la gestion de la ressource ; la volonté d’une vision plus globale, qui englobe les différents cycles de l’eau, du plus petit au plus grand, et qui concilie des usages distincts. Il est exact que le niveau local ne permet pas cette vision globale de la politique de l’eau.
Mais parvenir à une compétence unique et permettre une politique de l’eau et d’assainissement qui ait du sens suppose un long chemin, des mesures transitoires et la capacité, pour les collectivités, de s’organiser en fonction des réalités territoriales. Il me semble que nous sommes tous d’accord sur ce point.
C’est pourquoi, au cours de la première lecture, nous nous sommes, pour notre part, attachés à trois objectifs : étendre le dispositif de minorité de blocage aux communautés d’agglomération jusqu’en 2026 ; permettre un droit d’opposition aux communes membres d’une communauté de communes exerçant déjà partiellement la compétence, en particulier pour ce qui concerne le service public de l’assainissement non collectif, le SPANC ; permettre la sécabilité entre la gestion des eaux pluviales et l’assainissement pour les communautés de communes, mais aussi pour les communautés d’agglomération – nous avons été nombreux à souligner que les communautés d’agglomération ne ressemblent pas à celles qui ont été entendues au moment de l’examen de la loi NOTRe, beaucoup étant quasiment semi-rurales.
Pour cette nouvelle lecture, nous reconnaissons que le texte qui nous est soumis après l’échec de la CMP présente des assouplissements intéressants – c’est lors de la réunion de la commission mixte paritaire que se sont fait entendre des positions dogmatiques. C’est la qualité des débats au Sénat et votre écoute, madame la ministre, qui ont, me semble-t-il, permis ces avancées.
Deux avancées nous paraissent importantes : le droit d’opposition en cas d’exercice partiel de la compétence et la sécabilité, même si celle-ci n’est plus possible que pour les seules communautés de communes, alors que nous aurions aimé aller plus loin.
Par cohérence à la fois avec notre position de fond et les évolutions que nous avons voulu promouvoir, nous n’avons pas proposé de nouveaux amendements et, par cohérence avec les prises de position que nous avions prises jusqu’alors, nous avons souscrit, pour l’essentiel, aux propositions de notre rapporteur et aux améliorations qui ont été présentées en commission, notamment l’extension de la sécabilité, mais aussi les dispositions concernant les transferts budgétaires, qui constituent l’une des pierres d’achoppement sur le terrain.
En ce sens, le texte nous semble à la fois conforme aux progrès de l’intercommunalité auxquels nous tenons et respectueux des spécificités territoriales, surtout dans la mesure où il fait des élus locaux les acteurs incontournables de cette évolution. (MM. Jean-Pierre Sueur et Patrick Kanner applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Yves Bouloux.
M. Yves Bouloux. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l’eau potable, c’est la vie, la ressource sans doute la plus précieuse, qu’il faut absolument protéger.
Pour cela, l’assainissement des eaux usées, parmi d’autres protections, doit être mis en œuvre très rigoureusement.
Chacun comprend cet enjeu, mais tous ne partagent pas la même approche du sujet. C’est d’autant moins surprenant que les disparités entre les différents modes de gestion de l’eau sont très marquées.
Ainsi, dans la plupart des territoires, les services publics de l’eau et de l’assainissement font partie des missions traditionnelles des communes, auxquelles élus et citoyens sont très attachés.
Cependant, depuis très longtemps déjà, se sont constitués, dans certains départements, des syndicats ad hoc, dont la couverture spatiale et les moyens sont parfois très importants.
Plus récemment, depuis la loi NOTRe, des communautés se sont emparées des compétences en matière d’eau et d’assainissement sur une base volontaire, avec l’aval des communes.
A contrario, d’autres communes rejettent l’idée de ce transfert, avec de réels arguments, comme la parfaite connaissance de leur réseau.
Parmi d’autres particularités, certaines intercommunalités, en secteur de montagne, craignent de subir de grandes complications, en raison notamment de la présence de plusieurs bassins versants, notre collègue Guillaume Gontard l’expliquerait mieux que moi.
Face à cette revue très succincte des différentes problématiques, le Sénat et l’Assemblée nationale ont retenu des options fortement divergentes sur la question.
Le Sénat a présenté, dès le 11 janvier 2017, une proposition de loi sur le sujet, signée par MM. Retailleau, Zochetto, Bas et Darnaud. Adoptée unanimement, elle abrogeait la nature obligatoire du transfert de compétence et permettait de séparer de la compétence « assainissement » la gestion des eaux pluviales urbaines, selon le principe de « sécabilité ».
Ce texte a malheureusement été renvoyé en commission à l’automne de la même année, en échange de la promesse de la constitution d’un groupe de travail inter-assemblées. Celui-ci avait envisagé la création d’un système de minorité de blocage, permettant d’éviter le transfert obligatoire des compétences dans les territoires où un certain nombre de communes s’y opposeraient.
Mais une nouvelle proposition de loi, déposée par M. Ferrand, au nom du groupe La République en Marche de l’Assemblée nationale, n’a pas fidèlement repris les éléments discutés et a maintenu le caractère obligatoire du transfert. En outre, elle a éludé la question des communautés d’agglomération et, au lieu de favoriser la sécabilité, s’est appuyée sur une interprétation trop extensive de la jurisprudence du Conseil d’État sur cette question.
Le Sénat n’a naturellement pas accepté cette version, qui modifie l’esprit de sa proposition de loi, et a prôné, à une forte majorité, un retour à des dispositions proches de son texte initial.
Par la suite, la commission mixte paritaire n’a pu aboutir, les députés refusant tout compromis sur la nature obligatoire du transfert.
En nouvelle lecture, l’Assemblée nationale a cependant consenti à des infléchissements.
À défaut de sécabilité, le texte fait un pas dans la bonne direction sur la question de la gestion des eaux pluviales, qui resterait une compétence facultative des communautés de communes, contrairement aux communautés d’agglomération ou aux communautés urbaines.
La référence aux eaux de ruissellement disparaît, ce qui va dans le sens du Sénat.
M. Yves Bouloux. En effet, madame la ministre !
Le dispositif de minorité de blocage pour les communes membres d’une intercommunalité exerçant de manière facultative les missions du service public d’assainissement non collectif est étendu.
Pour autant, notre commission des lois a choisi de ne pas infléchir sa position, tout en émettant le vœu qu’un compromis soit trouvé sur certaines dispositions restant en discussion.
Elle a ainsi rétabli l’essentiel de son texte initial, supprimant le transfert obligatoire en 2020, reprenant un certain nombre de dispositions visant à faciliter l’exploitation et le transfert des services d’eau et d’assainissement et apportant des assouplissements en matière de « représentation-substitution », concernant les syndicats.
Le Sénat, représentant les collectivités territoriales, est fidèle à sa mission : il fait confiance aux élus locaux et, de ce fait, entend leur donner le choix d’une gestion optimale de l’eau et de l’assainissement, en toute connaissance de cause et en fonction du contexte particulier. Nous sommes, en cela, opposés à la vision de la majorité de l’Assemblée nationale, qui pense pouvoir traiter uniformément une problématique particulièrement complexe.
Certes, on peut penser qu’une commune rurale devant gérer de grandes longueurs de canalisations avec très peu de population agglomérée ne pourra répondre aux exigences nouvelles de la gestion des eaux – rendement des réseaux, amélioration qualitative et, par conséquent, mutualisation accrue.
Mais rien ne doit se faire sous la contrainte : les nombreux sénateurs qui n’ont été privés que depuis quelques mois de leurs mandats exécutifs peuvent témoigner des innombrables problèmes résultant de fusions et de transferts de compétences non voulus !
Conformément à notre « ADN », nous devons donner le temps nécessaire pour trouver les voies qui mèneront aux meilleures solutions pour préserver nos précieuses ressources en eau.
C’est le choix avisé fait par notre rapporteur, le président et les membres de la commission des lois. Je les en remercie. (Mmes Catherine Di Folco et Muriel Jourda, ainsi que M. Marc Laménie applaudissent.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Premièrement, je n’ai pas d’espoir de convaincre qui que ce soit dans cet hémicycle. Toutefois, je constate que certains restent sur les positions qui sont les leurs malgré toutes les évolutions qu’a pu connaître le texte et les solutions que je me suis efforcé d’apporter aux problèmes qui ont été soulevés aux différentes étapes de la discussion dans les deux assemblées – je ne les reprendrai pas, un certain nombre d’orateurs l’ayant fait excellemment, de manière tantôt positive, tantôt négative.
Je veux simplement rappeler que, lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2018, j’avais défendu une mesure importante : l’abaissement du nombre de compétences permettant de bénéficier de la DGF bonifiée, passé de neuf à huit. Mais le temps passe, et l’oubli s’installe… (M. Jean-Marc Gabouty s’exclame.)
Deuxièmement, je remercie un certain nombre d’interlocuteurs d’avoir dit que de nombreux d’élus tenaient à ce que la gestion de l’eau et de l’assainissement soit transférée à l’intercommunalité.
Depuis le début, je me bats pour vous convaincre, mesdames, messieurs les sénateurs, que maints élus sont intervenus auprès de moi pour que cette compétence demeure obligatoire. Je comprends que certains voudraient que celle-ci redevienne facultative, mais, pour avoir la chance de beaucoup me promener dans les départements de notre beau pays, je peux vous dire que j’ai croisé un certain nombre d’élus qui m’ont demandé de ne surtout pas revenir sur le transfert obligatoire, et pas seulement dans les territoires urbains.
M. François Bonhomme, rapporteur. Des Girondins !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Au fond, le texte est un texte de compromis, qui respecte les positions des uns et des autres.
Monsieur Bouloux, je veux y insister, parce que c’est la vérité : un certain nombre de départements ont déjà mis en place un syndicat à l’échelle départementale, permettant que l’eau soit désormais au même prix dans toutes les communes du département. Si ce n’est pas de la mutualisation, je ne sais pas ce que c’est !
M. François Bonhomme, rapporteur. Certes, mais ce n’est pas la règle !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Comme cela a aussi été rappelé il y a quelques instants, nous avons toujours veillé à ce que les syndicats demeurent.
Si nous avons supprimé l’obligation de trois intercommunalités, c’est bien évidemment parce que cette obligation n’avait plus de sens, les intercommunalités ayant « grandi ».
Au fond, quand on y réfléchit bien, ce sont deux visions de l’intercommunalité qui s’affrontent. Il y a, d’un côté, ceux qui pensent que l’intercommunalité et les communes sont deux choses différentes. Pour ma part, j’ai toujours pensé que l’intercommunalité était la manière de sauver les communes. Je maintiens cette position.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Très bien !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. En effet, à mes yeux, le développement de l’intercommunalité ne se fait pas contre les communes : il se fait pour et avec les communes.
Je reconnais publiquement que la gouvernance, dans les intercommunalités, n’est pas toujours idéale. Elle n’est pas toujours suffisamment partagée, pour des questions de personnes. C’est un vrai sujet, auquel il faudra peut-être réfléchir.
En tout état de cause, pour avoir administré une commune qui a toujours acheté son eau à l’extérieur, qui n’a pas de forage, je ne me suis jamais sentie dépossédée de quoi que ce soit. J’ai simplement organisé un système d’interconnexion, en prenant de l’eau en surface et dans les nappes phréatiques en cas de pollution. Bref, j’ai essayé de trouver des solutions intelligentes.
Il est vrai que l’eau doit payer l’eau. Je suis d’accord ! Cependant, l’eau est aussi un bien commun, et elle le sera de plus en plus avec l’évolution climatique que nous connaissons actuellement.
À mes yeux, partager cette richesse au sein de l’intercommunalité n’est pas déposséder les communes. Je tenais à le répéter, même si je sais que je ne changerai le vote de personne. (M. Yves Détraigne sourit.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi relative à la mise en œuvre du transfert des compétences eau et assainissement aux communautés de communes et aux communautés d’agglomération
Article 1er
La loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République est ainsi modifiée :
1° Le IV de l’article 64 est abrogé ;
2° Le II de l’article 66 est abrogé.
M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 13 rectifié bis, présenté par Mmes M. Carrère, Costes et N. Delattre, MM. Requier, Artano, Castelli et Guillaume, Mmes Jouve et Laborde et MM. Menonville, Roux, Vall, Arnell et Gabouty, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
Les communes membres d’une communauté de communes ou d’une communauté d’agglomération qui n’exerce pas, à la date de la publication de la présente loi, à titre optionnel ou facultatif, les compétences relatives à l’eau ou à l’assainissement peuvent s’opposer au transfert obligatoire, résultant du IV de l’article 64 de la loi n° 2015–991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, de ces deux compétences, ou de l’une d’entre elles, à la communauté de communes ou à la communauté d’agglomération si, avant le 1er juillet 2019, au moins 25 % des communes membres de la communauté de communes ou de la communauté d’agglomération représentant au moins 20 % de la population délibèrent en ce sens. En ce cas, le transfert de compétences prend effet le 1er janvier 2026.
Le premier alinéa du présent article peut également s’appliquer aux communes membres d’une communauté de communes ou d’une communauté d’agglomération qui exerce de manière facultative à la date de publication de la présente loi uniquement les missions relatives au service public d’assainissement non collectif, tel que défini au III de l’article L. 2224–8 du code général des collectivités territoriales. En cas d’application de ces dispositions, le transfert intégral de la compétence assainissement n’a pas lieu et l’exercice intercommunal des missions relatives au service public d’assainissement non collectif se poursuit dans les conditions prévues au premier alinéa du présent article.
Si, après le 1er janvier 2020, une communauté de communes ou une communauté d’agglomération n’exerce pas les compétences relatives à l’eau et à l’assainissement ou l’une d’entre elles, l’organe délibérant de la communauté de communes ou de la communauté d’agglomération peut également, à tout moment, se prononcer par un vote sur l’exercice de plein droit d’une ou de ces compétences par la communauté. Les communes membres peuvent toutefois s’opposer à cette délibération, dans les trois mois, dans les conditions prévues au premier alinéa.
La parole est à M. Jean-Marc Gabouty.
M. Jean-Marc Gabouty. Comme je l’ai déjà exposé lors de la discussion générale, le présent amendement est une proposition de compromis entre le texte de l’Assemblée nationale et celui qui a été élaboré par notre commission.
Madame la ministre, je sais que ce compromis vous paraît difficile, mais le refus de l’extension aux communautés d’agglomération serait quelque peu contradictoire avec ce que vous avez dit, à savoir que le transfert a déjà eu lieu dans la grande majorité des communautés d’agglomération. Cet état de fait rend notre proposition d’autant plus acceptable.
Sans vouloir relancer le débat sur l’intercommunalité, je tiens à dire que celle-ci n’existe plus. Elle a été remplacée par la « supracommunalité », ce qui est très différent. Pour avoir présidé une intercommunalité à la fin des années quatre-vingt-dix, je constate que le système n’est plus du tout le même aujourd’hui. Nous ne sommes plus dans la libre coopération.
Je veux faire deux remarques.
Certains de nos collègues ont appelé à un vote conforme. Intellectuellement, cette approche me gêne : cela voudrait dire que nos collègues députés auraient une approche plus pertinente que les sénateurs, qu’ils connaîtraient mieux que nous les tuyaux, les stations de traitement, les plateaux absorbants et les périmètres de protection. Permettez-moi d’en douter ! Je pense que, sur ces sujets, c’est l’Assemblée nationale qui devrait écouter un peu plus le Sénat, et non l’inverse.
Pour ma part, je continue à rechercher le consensus. Si vous consentiez un effort supplémentaire en soutenant cet amendement, nous pourrions sans doute nous rapprocher, madame la ministre. Je pense que cet effort est tout à fait à votre portée.
M. le président. L’amendement n° 12, présenté par M. de Belenet et les membres du groupe La République En Marche, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
Les communes membres d’une communauté de communes qui n’exerce pas, à la date de la publication de la présente loi, à titre optionnel ou facultatif, les compétences relatives à l’eau ou à l’assainissement peuvent s’opposer au transfert obligatoire, résultant du IV de l’article 64 de la loi n° 2015–991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, de ces deux compétences, ou de l’une d’entre elles, à la communauté de communes si, avant le 1er juillet 2019, au moins 25 % des communes membres de la communauté de communes représentant au moins 20 % de la population délibèrent en ce sens. En ce cas, le transfert de compétences prend effet le 1er janvier 2026.
Le premier alinéa du présent article peut également s’appliquer aux communes membres d’une communauté de communes qui exerce de manière facultative à la date de publication de la présente loi uniquement les missions relatives au service public d’assainissement non collectif, tel que défini au III de l’article L. 2224–8 du code général des collectivités territoriales. En cas d’application de ces dispositions, le transfert intégral de la compétence assainissement n’a pas lieu et l’exercice intercommunal des missions relatives au service public d’assainissement non collectif se poursuit.
Si, après le 1er janvier 2020, une communauté de communes n’exerce pas les compétences relatives à l’eau et à l’assainissement ou l’une d’entre elles, l’organe délibérant de la communauté de communes peut également, à tout moment, se prononcer par un vote sur l’exercice de plein droit d’une ou de ces compétences par la communauté. Les communes membres peuvent toutefois s’opposer à cette délibération, dans les trois mois, dans les conditions prévues au premier alinéa.
La parole est à M. Arnaud de Belenet.
M. Arnaud de Belenet. Nul ici ne doute du grand savoir des élus locaux que nous avons été, bien supérieur à celui de tout autre.
Toutefois, dès lors que l’Assemblée nationale a fait un pas que les collectivités attendaient et que les avancées nous paraissent suffisantes, il nous semble pertinent, comme l’a dit Bernard Delcros, de nous poser la question du vote conforme.
En cohérence avec ce nous avons dit précédemment, cet amendement vise à revenir à la rédaction issue de l’Assemblée nationale, laquelle témoigne d’assouplissements substantiels qui sont de nature à aménager le transfert obligatoire des compétences sans en discuter la nécessité.
Il tend notamment à rétablir l’alinéa introduit en séance publique à l’Assemblée nationale qui vise à élargir à la gestion de la compétence en matière d’assainissement collectif les conditions d’application du mécanisme de minorité de blocage en faveur des communes membres de communautés de communes exerçant uniquement à la date de publication de la loi et à titre facultatif la seule compétence en matière d’assainissement non collectif.
Il vise toutefois à supprimer, à la fin du second alinéa, des termes susceptibles de nuire à la bonne compréhension du texte.
M. le président. L’amendement n° 4 rectifié, présenté par MM. Delcros et Henno, Mmes Vermeillet et Guidez, MM. L. Hervé, Delahaye et Canevet, Mme Sollogoub, MM. Capo-Canellas, Cazabonne, Janssens, Moga et Vanlerenberghe, Mme Billon, M. Louault, Mme C. Fournier, M. Luche, Mmes Vullien, Vérien et Loisier, MM. Longeot, Le Nay et Prince, Mmes Saint-Pé, N. Goulet et Joissains, M. Kern, Mmes Goy-Chavent, Perrot et Doineau et M. Bockel, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
Les communes membres d’une communauté de communes qui n’exerce pas, à la date de la publication de la présente loi, à titre optionnel ou facultatif, les compétences relatives à l’eau ou à l’assainissement peuvent s’opposer au transfert obligatoire, résultant du IV de l’article 64 de la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, de ces deux compétences, ou de l’une d’entre elles, à la communauté de communes si, avant le 1er juillet 2019, au moins 25 % des communes membres de la communauté de communes représentant au moins 20 % de la population délibèrent en ce sens. En ce cas, le transfert de compétences prend effet le 1er janvier 2026.
Le premier alinéa du présent article peut également s’appliquer aux communes membres d’une communauté de communes qui exerce de manière facultative à la date de publication de la présente loi uniquement les missions relatives au service public d’assainissement non collectif, tel que défini au III de l’article L. 2224-8 du code général des collectivités territoriales. En cas d’application de ces dispositions, le transfert intégral de la compétence assainissement n’a pas lieu et l’exercice intercommunal des missions relatives au service public d’assainissement non collectif se poursuit dans les conditions prévues au premier alinéa du présent article.
Si, après le 1er janvier 2020, une communauté de communes n’exerce pas les compétences relatives à l’eau et à l’assainissement ou l’une d’entre elles, l’organe délibérant de la communauté de communes peut également, à tout moment, se prononcer par un vote sur l’exercice de plein droit d’une ou de ces compétences par la communauté. Les communes membres peuvent toutefois s’opposer à cette délibération, dans les trois mois, dans les conditions prévues au premier alinéa.
La parole est à M. Bernard Delcros.
M. Bernard Delcros. Cet amendement a pour objet de décliner la ligne que j’ai fixée précédemment.
Il vise à rétablir l’échéance de 2026 par la procédure de la minorité de blocage, la sécabilité entre assainissement collectif et SPANC, qui est une avancée très importante, pour ne pas pénaliser les territoires concernés, et la possibilité, pour les territoires qui voudraient opérer le transfert entre le 1er janvier 2020 et 2026, de le faire sur la base du volontariat.
Je veux profiter de l’occasion pour dire à mon ami Jean-Marc Gabouty que je n’ai pas du tout proposé un vote conforme pour les raisons qu’il imagine. Je ne l’avais d’ailleurs pas proposé en première lecture. Il faut dire que le texte qui nous est arrivé de l’Assemblée nationale après la nouvelle lecture n’est pas du tout celui qui nous en était parvenu à l’issue de la première : il a intégré un certain nombre de demandes que nous avions formulées dans cet hémicycle. C’est parce que ce texte a pris en compte ces demandes qui me paraissaient importantes que j’ai proposé ce vote conforme.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Bonhomme, rapporteur. L’amendement n° 13 rectifié bis traduit la recherche d’un compromis, marqué par l’acceptation du transfert obligatoire et par l’extension simultanée de la possibilité de s’opposer temporairement à ce transfert, via le mécanisme de minorité de blocage, aux communes membres d’une communauté d’agglomération.
Je comprends parfaitement la logique qui sous-tend cet amendement. Encore faudrait-il que la majorité de l’Assemblée nationale et le Gouvernement aient montré le moindre signe d’ouverture sur la question des communautés d’agglomération, parce que je rappelle que le rapporteur, à l’Assemblée nationale, avait malheureusement fait de cette question « une ligne rouge », selon ses propres termes. Cet amendement a donc peu de chances d’aboutir, raison pour laquelle j’en sollicite le retrait.
L’amendement n° 12 est tout simplement contraire à la position de la commission, puisqu’il vise à rétablir le dispositif voté par l’Assemblée nationale. La commission émet un avis défavorable à son sujet.
Au reste, je note que la formulation de l’amendement ne reprend pas certains termes qui figuraient dans la rédaction de l’Assemblée nationale. C’est bien le signe que le texte qui nous a été transmis n’est pas aussi parfait qu’on a bien voulu le dire !
La commission est également défavorable à l’amendement n° 4 rectifié, dont l’objet est de rétablir purement et simplement la position de l’Assemblée nationale.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Je suis défavorable à l’amendement n° 13 rectifié bis et favorable aux amendements nos 12 et 4 rectifié. Nous en avons suffisamment débattu pour que je ne développe pas davantage !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Très bien !
M. le président. Je mets aux voix l’article 1er.
(L’article 1er est adopté.)
Articles additionnels après l’article 1er
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 11 rectifié bis, présenté par MM. H. Leroy, Laménie, Chaize, Reichardt, Leleux et D. Laurent, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article L. 1412-1 du code général des collectivités territoriales est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« L’exploitation des services publics de l’eau et de l’assainissement peut donner lieu à la constitution d’une régie unique. »
La parole est à M. Marc Laménie.
M. Marc Laménie. Déposé sur l’initiative de notre collègue Henri Leroy et de plusieurs d’entre nous, cet amendement a pour objet de sécuriser les régies qui exploitent de façon commune les services publics de l’eau et de l’assainissement pour mutualiser certaines fonctions, sans remettre en cause le principe selon lequel chacun de ces services publics industriels et commerciaux est doté d’un budget distinct.
De nombreuses régies exploitant de façon commune les services de l’eau et de l’assainissement ont été créées par les collectivités locales depuis de nombreuses années, parfois même des décennies, au plus grand bénéfice des usagers.
Toutefois, depuis quelques années, il semble que prévaut une nouvelle interprétation, par l’administration, du cadre légal, notamment de l’article L. 1412–1 du code général des collectivités territoriales, qui impose la création d’une régie pour l’exploitation directe de chaque service public.
Pourtant, la gestion, au sein d’une même entité, de plusieurs services publics complémentaires, comme l’eau, l’assainissement des eaux usées et la gestion des eaux pluviales urbaines, est source d’efficience, en raison des synergies naturelles qui existent entre ces services : mêmes usagers, factures ou redevances communes, nombreux métiers, outils et procédures communs…
L’existence d’un seul compte de trésorerie au sein de la régie permet une optimisation des coûts, grâce à la mutualisation entre services des achats de certains personnels, d’outils informatiques ou encore de matériel technique.
Toutefois, le recours à des outils comptables et d’ordonnancement permet de tenir des budgets séparés pour chaque service public, sur le modèle des budgets annexes.
Pour chacun de ces services publics, une quote-part représentative du coût des services fonctionnels mutualisés peut être déterminée et retracée dans le volet relatif aux dépenses du budget de chaque service public et répercutée sur les tarifs facturés aux usagers. Cette organisation permet de garantir la parfaite sincérité et l’autonomie de chacun des budgets.
A contrario, la séparation en deux régies distinctes nécessite de doublonner, notamment, un certain nombre de procédures, d’outils et de personnels.
Cela va à l’encontre des enjeux concrets auxquels sont confrontés les territoires, en engendrant des coûts supplémentaires.
M. le président. L’amendement n° 15, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article L. 1412–1 du code général des collectivités territoriales est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsqu’elle est assurée à l’échelle intercommunale par un même établissement public de coopération intercommunale ou un même syndicat mixte, l’exploitation des services publics de l’eau et de l’assainissement peut donner lieu à la création d’une régie unique, dotée de la personnalité morale et de l’autonomie financière, conformément aux dispositions de l’article L. 2221–10 du code général des collectivités territoriales, à condition que les budgets correspondants à chacun de ces deux services publics demeurent strictement distincts. »
La parole est à Mme la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre. À travers cet amendement, le Gouvernement entend répondre aux demandes formulées par certains parlementaires et certaines associations d’élus locaux afin de favoriser la mutualisation des moyens et des personnels au sein d’une même structure en charge de la gestion commune des services publics d’eau et d’assainissement.
Le Gouvernement a bien entendu et compris les attentes des élus locaux, relayées par l’Assemblée nationale et le Sénat.
Le respect de la condition de budgets strictement distincts permet de garantir que les résultats de chacun de ces deux services publics industriels et commerciaux soient conservés au bénéfice de leurs usagers respectifs, conformément au principe selon lequel le coût d’un service doit être répercuté sur ses seuls usagers, ces derniers devant pouvoir bénéficier des résultats excédentaires ou supporter un éventuel déficit de l’activité.
C’est la raison pour laquelle on maintient clairement les budgets annexes pour chaque compétence.
M. le président. Le sous-amendement n° 16, présenté par M. Bonhomme, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Amendement n° 15
I. – Alinéa 3
Remplacer les mots :
un alinéa
par les mots :
deux alinéas
II. – Après l’alinéa 3
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« L’exploitation des services publics de l’assainissement des eaux usées et de la gestion des eaux pluviales urbaines peut donner lieu à la création d’une régie unique.
III. – Alinéa 4
1° Après le mot :
assainissement
insérer les mots :
des eaux usées ou de la gestion des eaux pluviales urbaines
2° Supprimer le mot :
deux
La parole est à M. le rapporteur.
M. François Bonhomme, rapporteur. Ces amendements abordent un sujet important, mais je dois dire qu’ils provoquent chez nous un certain embarras.
Comme l’a expliqué Mme la ministre, il s’agit des régies dites « multiservices », qui exploitent plusieurs services publics, par exemple les services de distribution d’eau et d’assainissement.
Il existe de très nombreuses régies depuis bien longtemps – le XIXe siècle – et la faculté de créer des régies multiservices n’a pas été remise en cause depuis le décret-loi de 1926 qui fonde encore le droit des régies municipales.
La constitution d’une régie unique ne remet pas en cause le principe selon lequel chaque service public à caractère industriel et commercial doit en principe faire l’objet d’un budget annexe. La régie permet de mutualiser un certain nombre de services communs.
Pour chacun des services gérés par cette régie une quote-part représentative des coûts liés aux fonctions mutualisées est déterminée et retracée dans le volet « dépenses » des budgets annexes de ce SPIC et répercutée sur les tarifs facturés aux usagers.
Ces régies multiservices répondent au souci de ne pas multiplier les structures de gestion et de réduire les coûts du service public et, par conséquent, le prix acquitté par les usagers.
Je crois pouvoir dire qu’elles fonctionnent à la satisfaction générale et les services de l’État, tout du moins jusqu’à une date récente, n’y voyaient aucune difficulté.
Aux yeux de la commission, la législation en vigueur n’interdit nullement la création de telles régies multiservices, même si elle impose l’établissement d’un budget distinct pour chaque service public industriel et commercial.
C’est d’ailleurs pourquoi, en première lecture, la commission avait demandé le retrait de l’amendement de notre collègue Henri Leroy tendant à autoriser de telles régies, considérant que cet amendement était satisfait.
Toutefois, depuis cette première lecture, nous avons constaté que la doctrine du Gouvernement avait changé, presque du jour au lendemain. En juin 2013, dans une réponse à Jean Louis Masson, le ministre de l’intérieur a considéré que les collectivités territoriales avaient l’obligation légale de constituer une régie par service public.
Dans un premier temps, cette nouvelle doctrine n’avait guère été appliquée, mais, depuis deux ou trois ans, le Gouvernement a plusieurs fois réaffirmé cette position, ce qui suscite l’inquiétude de très nombreux élus locaux.
Mme la ministre Jacqueline Gourault, dont nous connaissons tous le pragmatisme et l’attention à l’égard des élus locaux, nous propose aujourd’hui un amendement pour apaiser ces inquiétudes. Soit !
Toutefois, cet amendement impose des conditions fort restrictives pour la constitution d’une régie unique. D’abord, elle ne serait possible que pour les services d’eau et d’assainissement, alors qu’il existe aujourd’hui des régies multiservices qui gèrent d’autres services publics, comme la gestion des ordures ménagères ou la voirie.
Ensuite, la constitution de cette régie ne serait possible que si ses compétences ont été transférées au niveau intercommunal, ce qui constituerait une nouvelle invitation à transférer ces compétences, même lorsque cela ne correspond pas aux besoins du terrain.
Enfin, la régie unique devrait être constituée sous la forme d’un établissement public local doté de la personnalité morale, alors qu’il existe aujourd’hui de nombreuses régies uniques non personnalisées.
Le Gouvernement nous place devant un dilemme assez diabolique…
M. François Bonhomme, rapporteur. Je nuance mon propos : disons, un peu pernicieux ! (Sourires.)
Ce dilemme est le suivant : soit nous acceptons cet amendement pour résoudre les problèmes qu’il a lui-même posés sur le terrain – mais cela revient à donner une validation législative à une interprétation restrictive du droit en vigueur à laquelle ne sera apporté qu’un léger assouplissement ; soit nous confirmons notre position en considérant que le droit en vigueur permet déjà la constitution de régies uniques dans des conditions beaucoup plus libérales, mais nous prenons le risque de laisser perdurer des problèmes sur le terrain et, surtout, de laisser les préfectures imposer aux collectivités locales la dissolution de régies uniques existantes jusqu’à ce que le juge administratif ait tranché, car si nous ne votons pas cet amendement, l’Assemblée nationale ne pourra pas le reprendre en lecture définitive.
Je reconnais que le Gouvernement, en déposant cet amendement, fait un pas dans notre direction et je remercie Mme la ministre d’avoir su ne pas se laisser enfermer dans cette position dogmatique. Cependant, le Gouvernement nous place au pied du mur. Ce n’est pas une très bonne manière faite au législateur et ce n’est pas non plus une très bonne façon de légiférer.
Au demeurant, la commission ne s’est pas prononcée sur cet amendement, déposé voilà peu. À titre personnel, je propose au Sénat de l’adopter, par souci de pragmatisme, pour apaiser l’inquiétude qui ne manquera pas de gagner les élus locaux.
Je considère toutefois que cet amendement ne doit pas donner lieu à une interprétation a contrario : les régies multiservices n’ont jamais été interdites et ne le seront pas davantage demain.
En outre, je propose un sous-amendement visant à ce qu’une régie unique puisse également être constituée pour exploiter ensemble les services d’assainissement des eaux usées et les services de gestion des eaux pluviales.
Je demande donc à M. Laménie de bien vouloir retirer l’amendement n° 11 rectifié bis et j’émets un avis favorable sur l’amendement 15 du Gouvernement sous réserve de l’adoption de mon sous-amendement n° 16.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Le Gouvernement demande également à M. Laménie de bien vouloir retirer l’amendement n° 11 rectifié bis au profit de l’amendement du Gouvernement.
Enfin, pour la tranquillité d’âme de François Bonhomme (Sourires.), le Gouvernement émet un avis favorable sur son sous-amendement.
M. le président. Monsieur Laménie, l’amendement n° 11 rectifié bis est-il maintenu ?
M. Marc Laménie. Il ne s’agit pas d’un sujet simple. Toutefois, au regard du travail effectué par la commission et de l’effort de pédagogie de Mme la ministre, je retire l’amendement de notre collègue Henri Leroy.
M. le président. L’amendement n° 11 rectifié bis est retiré.
Je mets aux voix le sous-amendement n° 16.
(Le sous-amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l’article 1er.
L’amendement n° 3 rectifié, présenté par Mme Cukierman et M. Gontard, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article L. 2221–3 du code général des collectivités territoriales est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Une régie peut assurer l’exploitation de plusieurs services publics mentionnés aux articles L. 2221–1 ou L. 2221–2 relatifs aux compétences de distribution d’eau potable et d’assainissement. »
La parole est à M. Guillaume Gontard.
M. Guillaume Gontard. Je retire cet amendement, monsieur le président, car il va dans le même sens que celui qui vient d’être adopté par le Sénat.
M. le président. L’amendement n° 3 rectifié est retiré.
Articles 1er bis et 1er ter
(Suppression maintenue)
Article 1er quater
Par dérogation au premier alinéa de l’article L. 2224-2 du code général des collectivités territoriales, les communautés de communes et les communautés d’agglomération qui comportent, parmi leurs membres, une ou plusieurs communes de moins de 3 000 habitants peuvent prendre en charge dans leur budget propre des dépenses au titre des services publics d’eau et d’assainissement, pour une durée limitée aux quatre premiers exercices suivant leur prise de compétence et dans la limite du montant annuel total moyen des dépenses prises en charge par les communes membres dans leur budget propre au cours des trois exercices ayant précédé le transfert de compétence.
M. le président. L’amendement n° 5 rectifié, présenté par M. Delcros, Mme Guidez, M. Henno, Mmes Vermeillet et Billon, MM. Bockel, Canevet, Capo-Canellas, Cazabonne et Delahaye, Mmes Doineau, C. Fournier, N. Goulet et Goy-Chavent, MM. L. Hervé et Janssens, Mme Joissains, MM. Kern et Le Nay, Mme Loisier, MM. Longeot, Louault, Luche et Moga, Mme Perrot, M. Prince, Mmes Saint-Pé et Sollogoub, M. Vanlerenberghe et Mmes Vérien et Vullien, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Bernard Delcros.
M. Bernard Delcros. Cet amendement s’inscrit dans la logique de ce que j’ai expliqué précédemment et de la cohérence d’ensemble.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Bonhomme, rapporteur. Avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l’article 1er quater.
(L’article 1er quater est adopté.)
Article 1er quinquies
La cinquième partie du code général des collectivités territoriales est ainsi modifiée :
1° Le III de l’article L. 5211-5 est ainsi modifié :
a) Après le premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Toutefois, l’établissement public de coopération intercommunale qui s’est vu mettre à disposition une dépendance du domaine public d’une commune en application du premier alinéa du présent III peut, par convention, reverser à la commune tout ou partie du produit des redevances perçues pour l’occupation ou l’utilisation de ladite dépendance. » ;
b) Au début de la première phrase du deuxième alinéa, le mot : « Toutefois, » est supprimé ;
2° L’article L. 5211-17 est ainsi modifié :
a) Après le cinquième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Toutefois, l’établissement public de coopération intercommunale qui s’est vu mettre à disposition une dépendance du domaine public d’une commune en application du cinquième alinéa du présent article peut, par convention, reverser à la commune tout ou partie du produit des redevances perçues pour l’occupation ou l’utilisation de ladite dépendance. » ;
b) Au début de la première phrase du sixième alinéa, le mot : « Toutefois, » est supprimé ;
3° Le II de l’article L. 5211-18 est ainsi modifié :
a) Après le premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Toutefois, l’établissement public de coopération intercommunale qui s’est vu mettre à disposition une dépendance du domaine public d’une commune en application du premier alinéa du présent II peut, par convention, reverser à la commune tout ou partie du produit des redevances perçues pour l’occupation ou l’utilisation de ladite dépendance. » ;
b) Au début de la première phrase du deuxième alinéa, le mot : « Toutefois, » est supprimé ;
4° L’article L. 5721-6-1 est ainsi modifié :
a) Le 1° est ainsi modifié :
– après le premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Toutefois, le syndicat mixte qui s’est vu mettre à disposition une dépendance du domaine public d’une collectivité territoriale, d’un groupement de collectivités territoriales ou d’un établissement public en application du premier alinéa du présent 1° peut, par convention, lui reverser tout ou partie du produit des redevances perçues pour l’occupation ou l’utilisation de ladite dépendance. » ;
– au début de la première phrase du deuxième alinéa, le mot : « Toutefois, » est supprimé ;
b) Au premier alinéa du 2°, après les mots : « des premier », il est inséré le mot : « , deuxième ».
M. le président. L’amendement n° 6 rectifié, présenté par M. Delcros, Mme Billon, MM. Bockel, Canevet, Capo-Canellas, Cazabonne et Delahaye, Mmes Doineau, C. Fournier, N. Goulet, Goy-Chavent et Guidez, MM. Henno, L. Hervé et Janssens, Mme Joissains, MM. Kern et Le Nay, Mme Loisier, MM. Longeot, Louault, Luche et Moga, Mme Perrot, M. Prince, Mmes Saint-Pé et Sollogoub, M. Vanlerenberghe et Mmes Vérien, Vermeillet et Vullien, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Bernard Delcros.
M. Bernard Delcros. Cet amendement vise à supprimer l’article qui concerne les redevances perçues sur les dépendances du domaine public. Même explication que sur les amendements précédents.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Bonhomme, rapporteur. Cet amendement vise à rétablir la rédaction issue des travaux de l’Assemblée nationale : avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l’article 1er quinquies.
(L’article 1er quinquies est adopté.)
Article 1er sexies
Le titre Ier du livre II de la cinquième partie du code général des collectivités territoriales est ainsi modifié :
1° Le III de l’article L. 5211-5 et l’article L. 5211-7 sont complétés par un alinéa ainsi rédigé :
« Une commune peut, par convention, transférer à un établissement public de coopération intercommunale dont elle est membre le solde du compte administratif du budget annexe d’un service public dont l’exploitation est transférée audit établissement public. » ;
2° Après l’avant-dernier alinéa du II de l’article L. 5211-18, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Une commune peut, par convention, transférer à un établissement public de coopération intercommunale dont elle est membre le solde du compte administratif du budget annexe d’un service public dont l’exploitation est transférée audit établissement public. »
M. le président. L’amendement n° 7 rectifié, présenté par M. Delcros, Mme Billon, MM. Bockel, Canevet, Capo-Canellas, Cazabonne et Delahaye, Mmes Doineau, C. Fournier, N. Goulet, Goy-Chavent et Guidez, MM. Henno, L. Hervé et Janssens, Mme Joissains, MM. Kern et Le Nay, Mme Loisier, MM. Longeot, Louault, Luche et Moga, Mme Perrot, M. Prince, Mmes Saint-Pé et Sollogoub, M. Vanlerenberghe et Mmes Vérien, Vermeillet et Vullien, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Bernard Delcros.
M. Bernard Delcros. Cet amendement vise à supprimer l’article qui prévoit les possibilités de reversement des soldes des comptes administratifs des intercommunalités vers les communes.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Bonhomme, rapporteur. Avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l’article 1er sexies.
(L’article 1er sexies est adopté.)
Article 2
I. – Le titre Ier du livre II de la cinquième partie du code général des collectivités territoriales est ainsi modifié :
1° Le 6° du II de l’article L. 5214-16 est complété par les mots : « des eaux usées, dans les conditions prévues à l’article L. 2224-8 » ;
1° bis (nouveau) Le 2° du II de l’article L. 5216-5 est complété par les mots : « des eaux usées, dans les conditions prévues à l’article L. 2224-8, gestion des eaux pluviales urbaines au sens de l’article L. 2226-1 » ;
2° Au a du 5° du I des articles L. 5215-20 et L. 5217-2, après le mot : « Assainissement », sont insérés les mots : « des eaux usées, dans les conditions prévues à l’article L. 2224-8, gestion des eaux pluviales urbaines au sens de l’article L. 2226-1 ».
II. – (Supprimé)
M. le président. L’amendement n° 8 rectifié, présenté par M. Delcros, Mme Billon, MM. Bockel, Canevet, Capo-Canellas, Cazabonne et Delahaye, Mmes Doineau, C. Fournier, N. Goulet, Goy-Chavent et Guidez, MM. Henno, L. Hervé et Janssens, Mme Joissains, MM. Kern et Le Nay, Mme Loisier, MM. Longeot, Louault, Luche et Moga, Mme Perrot, M. Prince, Mmes Saint-Pé et Sollogoub, M. Vanlerenberghe et Mmes Vérien et Vermeillet, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
I. – Le titre Ier du livre II de la cinquième partie du code général des collectivités territoriales est ainsi modifié :
1° Le 6° du II de l’article L. 5214-16 et le 2° du II de l’article L. 5216-5 sont complétés par les mots : « des eaux usées, dans les conditions prévues à l’article L. 2224-8 » ;
2° Au a du 5° du I des articles L. 5215-20 et L. 5217-2, après le mot : « Assainissement », sont insérés les mots : « des eaux usées, dans les conditions prévues à l’article L. 2224-8, gestion des eaux pluviales urbaines au sens de l’article L. 2226-1 ».
II. – Le chapitre Ier du titre II de la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République est ainsi modifié :
1° Les deux derniers alinéas du 1° du IV de l’article 64 sont ainsi rédigés :
« “6° Assainissement des eaux usées, dans les conditions prévues à l’article L. 2224-8, sans préjudice de l’article 1er de la loi n° … du … relative à la mise en œuvre du transfert des compétences eau et assainissement aux communautés de communes ;
« “7° Eau, sans préjudice de l’article 1er de la loi n° … du … relative à la mise en œuvre du transfert des compétences eau et assainissement aux communautés de communes.” ; »
2° Le a du 1° du II de l’article 66 est ainsi modifié :
a) Au premier alinéa, la référence : « et 9° » est remplacée par la référence : « à 10° » ;
b) Le dernier alinéa est remplacé par deux alinéas ainsi rédigés :
« “9° Assainissement des eaux usées, dans les conditions prévues à l’article L. 2224-8 ;
« “10° Gestion des eaux pluviales urbaines, au sens de l’article L. 2226-1.” ; ».
La parole est à M. Bernard Delcros.
M. Bernard Delcros. Cet amendement est défendu.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Bonhomme, rapporteur. Avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l’article 2.
(L’article 2 est adopté.)
Article 3
Le titre Ier du livre II de la cinquième partie du code général des collectivités territoriales est ainsi modifié :
1° Les deux derniers alinéas du II de l’article L. 5214-21 sont supprimés ;
1° bis (nouveau) À la première phrase du IV de l’article L. 5215-22, les mots : « exerçant une compétence » sont remplacés par le mot : « compétent » et les mots : « regroupe des communes appartenant à » sont remplacés par les mots : « exerce cette compétence sur tout ou partie du territoire de » ;
2° La première phrase du IV de l’article L. 5216-7 est ainsi modifiée :
a) Les mots : « exerçant une compétence » sont remplacés par le mot : « compétent » et les mots : « regroupe des communes appartenant à trois » sont remplacés par les mots : « exerce cette compétence sur tout ou partie du territoire de plusieurs » ;
b) Les mots : « au moins » sont supprimés ;
3° À la première phrase du IV bis de l’article L. 5217-7, les mots : « exerçant une compétence » sont remplacés par le mot : « compétent » et les mots : « regroupe des communes appartenant à » sont remplacés par les mots : « exerce cette compétence sur tout ou partie du territoire de ». – (Adopté.)
Intitulé de la proposition de loi
M. le président. L’amendement n° 10 rectifié, présenté par M. Delcros, Mme Billon, MM. Bockel, Canevet, Capo-Canellas, Cazabonne et Delahaye, Mmes Doineau, C. Fournier, N. Goulet, Goy-Chavent et Guidez, MM. Henno, L. Hervé et Janssens, Mme Joissains, MM. Kern et Le Nay, Mme Loisier, MM. Longeot, Louault, Luche et Moga, Mme Perrot, M. Prince, Mmes Saint-Pé et Sollogoub, M. Vanlerenberghe et Mmes Vérien, Vermeillet et Vullien, est ainsi libellé :
Supprimer les mots :
et aux communautés d’agglomération
La parole est à M. Bernard Delcros.
M. Bernard Delcros. Cet amendement est défendu.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Bonhomme, rapporteur. Avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 10 rectifié.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Vote sur l’ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. Je voudrais revenir à la commission mixte paritaire qui a établi le texte de la loi NOTRe, adopté par le Sénat et par l’Assemblée nationale à la majorité.
Les députés souhaitaient alors que la compétence eau et assainissement devienne intercommunale dans tous les cas, au 1er janvier 2018.
Les sénateurs membres de la commission mixte paritaire se sont élevés contre cette disposition, en expliquant à nos amis députés que c’était totalement irréaliste.
Nous avons obtenu que soit inscrite dans la loi NOTRe l’année 2020, tout en soulignant, en commission mixte paritaire – je vous renvoie au compte rendu de cette réunion –, que nous acceptions 2020 dans un souci de compromis, mais qu’il faudrait une loi pour repousser cette date. La question est si complexe sur le terrain, entre les régies, les concessions, les affermages et autres, que la réalisation d’un tel transfert dans de bonnes conditions demande du temps.
Il existait également une proposition de loi que vous connaissez bien, madame Jacqueline Gourault, pour me souvenir de l’ardeur avec laquelle vous l’aviez défendue avec nos différents collègues, qui visait à rendre cette compétence optionnelle. (Mme la ministre opine.)
Il nous paraissait en effet que le système ne serait pas praticable d’ici à 2020. Nous avons choisi, au sein de notre groupe, de rester fidèles à la position que nous avions défendue alors, ce que nous avons fait lors de la lecture précédente. Et c’est la raison pour laquelle nous voterons ce texte.
Nous n’en sommes toutefois pas ravis. Alors qu’il était possible de partir du texte du Sénat, une question préalable a été opposée puis un nouveau texte, inspiré par le Gouvernement, a pris la forme – selon une vieille tradition – d’une proposition de loi. Il y a eu des apports du Sénat à ce nouveau texte. Mais ils n’ont pas du tout été pris en compte, sinon très partiellement, en commission mixte paritaire.
Je tiens à rendre hommage, madame Jacqueline Gourault, à l’effort que vous avez consenti pour tenter de parvenir à une solution de conciliation. Mais dans ce débat compliqué, nous avons pensé que le plus simple était de rester fidèle à notre premier vote. Par rapport aux élus locaux qui nous regardent, il y a là une certaine cohérence.
M. le président. Il faut conclure.
M. Jean-Pierre Sueur. Vous aurez noté, monsieur le président, dans cette phrase par laquelle j’en termine, que cette cohérence est entachée de quelque insatisfaction.
M. le président. La parole est à M. Marc Laménie, pour explication de vote.
M. Marc Laménie. Je voudrais saluer la qualité du travail des membres de la commission des lois et du rapporteur.
C’est un sujet sur lequel il est difficile de trouver un consensus. Quand on regarde l’historique de ce texte, on réalise qu’il s’agit d’un véritable parcours du combattant.
Comme beaucoup d’entre nous l’ont souligné, l’eau est un bien précieux. Les notions de proximité et d’engagement des élus locaux prennent ici tout leur sens. Certains s’inquiètent devant le développement des intercommunalités – communautés de communes, communautés d’agglomération… – qui prennent de plus en plus de compétences. Il faut aussi songer, madame la ministre, à défendre nos communes, et notamment les plus petites d’entre elles, auxquelles nous sommes toutes et tous attachés.
La gestion de l’eau, qu’il s’agisse de l’eau potable ou de l’eau usée, est une priorité. Nous devons moderniser les réseaux d’eau pour en assurer la qualité. Sans doute faut-il repousser les dates butoirs afin de se donner suffisamment de temps pour trouver les solutions idoines.
Des points d’inquiétude demeurent, notamment quant à la pérennisation des petits syndicats, ce qui a été souligné à maintes reprises. Leur personnel et les élus qui y travaillent bénévolement sont très compétents et ont acquis une véritable connaissance des réseaux.
L’idée de ne rien imposer, de laisser encore du temps pour réaliser au mieux ces transferts de compétence, a été au cœur de nos débats. Eu égard au travail de fond qui a été réalisé, notre groupe se ralliera à ce texte et le votera.
M. le président. La parole est à M. Bernard Delcros, pour explication de vote.
M. Bernard Delcros. Je n’avais bien sûr aucun doute sur l’issue de l’examen de ce texte au Sénat.
Je veux seulement souligner le résultat au final : d’abord, le transfert obligatoire n’aura pas lieu au 1er janvier 2020, mais sera reporté de six ans, au 1er janvier 2026 ; ensuite, la question du pluvial, qui pose un réel problème dans la ruralité, aura été définitivement réglée ; enfin, nous aurons réussi à faire sauter l’anomalie de la non-sécabilité sur la période 2020–2026, assainissement autonome et assainissement collectif.
Je pense que les élus locaux, que nous fréquentons tous dans nos départements, seront soulagés, même si le résultat ne va pas aussi loin que ce que d’aucuns auraient souhaité.
Je voudrais saisir cette occasion pour remercier Jacqueline Gourault le plus sincèrement possible. Si nous sommes parvenus à ce résultat, c’est parce qu’elle a travaillé en ce sens, ce qui n’était pas facile, et qu’elle a réussi à franchir tous les obstacles. C’est grâce à elle que nous pouvons dire aujourd’hui aux élus locaux : Ouf, ce transfert n’aura pas lieu dans dix-huit mois.
Elle a mené ce travail important en montrant une parfaite connaissance du terrain, comme nous l’avons tous souligné. Encore une fois, je tenais sincèrement à l’en remercier.
M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour explication de vote.
M. Guillaume Gontard. À titre personnel, je ne voudrais pas laisser croire qu’il y a ceux qui sont contre l’intercommunalité et les autres.
Je suis profondément pour l’intercommunalité et les avantages qu’elle procure. Comme vous, je pense qu’il s’agit d’une force pour les communes qui peuvent réellement s’appuyer sur l’intercommunalité. Ensemble, communes et intercommunalités peuvent effectuer un travail très riche.
En revanche, je pense aussi qu’il faut savoir écouter les communes. Or, entre les premiers votes au Sénat et la navette, je regrette que leurs revendications n’aient quasiment pas été entendues, notamment sur leurs spécificités.
J’ai évoqué la spécificité de la montagne, qui est importante. Je pense qu’il aurait été possible de mieux travailler sur ces questions. Nous allons adopter ce texte, mais, à l’instar de M. Sueur, je ne suis pas pleinement satisfait : nous arriverons à l’échéance de 2026 sans être plus avancés.
C’est dommage, d’autant que, à l’Assemblée nationale, le rapporteur du texte était Émilie Chalas, qui est élue de mon département. Je pense qu’elle aurait aussi pu entendre cette demande des élus de montagne et la spécificité des communes de montagne.
Comme vous le rappeliez, énormément d’intercommunalités choisissent de prendre cette compétence. Il importait non seulement de laisser ce choix, mais aussi d’apporter une certaine visibilité.
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty, pour explication de vote.
M. Jean-Marc Gabouty. Le groupe du RDSE, dans son immense majorité, votera ce texte, car il correspond à ce que nous pensons et à ce que nous ressentons dans nos territoires.
Nous ne sommes plus tout à fait dans l’intercommunalité que nous avons connue à une époque. Madame le ministre, la concomitance du transfert obligatoire des compétences et de la DGF bonifiée est une absurdité conceptuelle. Cela revient à dire aux élus qu’on leur transfère une compétence pour réaliser des économies et leur permettre d’être plus opérationnels et que, comme ils sont plus opérationnels, on leur donne de l’argent. On voit bien que ce système ne fonctionne pas : en réalité, vous donnez de l’argent alors que les collectivités ne sont pas forcément plus opérationnelles.
À l’origine, la DGF bonifiée, qui remonte à la loi Chevènement, avait un caractère incitatif. On l’a conservée aujourd’hui sous forme d’une récompense financière. Il me semble donc qu’on marche un peu sur la tête…
Néanmoins, et même si je suis parfois un peu sévère avec vous, je voudrais vous remercier des assouplissements que vous avez bien voulu introduire dans ce texte. C’est quelque chose d’intéressant.
Je finirai sur une réflexion plus politique : ma courte expérience de parlementaire et mon expérience beaucoup plus longue d’élu local me font dire que la ligne de ce gouvernement – j’espère que cela changera – ressemble beaucoup trop à la ligne des deux derniers quinquennats et c’est assez dommage.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de loi dont la commission a rédigé ainsi l’intitulé : « Proposition de loi relative à la mise en œuvre du transfert des compétences eau et assainissement aux communautés de communes et aux communautés d’agglomération ».
(La proposition de loi est adoptée.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Je voudrais remercier l’ensemble des sénateurs présents ce soir pour leur travail et la qualité de leurs interventions.
Merci également au rapporteur François Bonhomme pour son travail et son soutien « partiel ». (Sourires.) Il faut toujours retenir les choses positives…
Je voudrais aussi remercier Bernard Delcros, non seulement pour les mots qu’il a eus à mon égard, mais aussi pour son travail. Nous lui devons un certain nombre des dispositions adoptées à l’Assemblée nationale et au Sénat.
Merci à Arnaud de Belenet et à Bernard Delcros pour leur soutien « total ». (Nouveaux sourires.)
Je remercie également M. Sueur pour son rappel historique.
Je suis certaine que cette loi sera appréciée par les élus locaux. (M. le rapporteur s’exclame.) Encore faut-il qu’elle soit adoptée à l’Assemblée nationale, le 31 juillet au soir… Les ministres s’attachent tous à ce que les lois finissent par passer, car la navette est parfois longue, même si le bicamérisme doit être respecté.
Aujourd’hui, nous avons montré l’efficacité d’un travail partagé entre le Parlement et le Gouvernement sur les rodéos motorisés ; ce sera également le cas avec ce texte, s’il est définitivement adopté mardi prochain. Je sais bien que cette proposition de loi ne satisfait pas tout le monde, mais j’ai la faiblesse de penser qu’elle contient beaucoup d’avancées dont nombre d’élus se réjouiront.
8
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au lundi 30 juillet 2018, à quatorze heures trente et le soir :
Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, pour la liberté de choisir son avenir professionnel (n° 692, 2017–2018) ;
Rapport de M. Michel Forissier, Mme Catherine Fournier, M. Philippe Mouiller et Mme Frédérique Puissat, fait au nom de la commission des affaires sociales (n° 693, 2017–2018) ;
Résultat des travaux de la commission (n° 694, 2017–2018).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt et une heures vingt-cinq.)
Direction des comptes rendus
GISÈLE GODARD