M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État. Je tiens à remercier M. le rapporteur et les orateurs qui se sont succédé à la tribune – MM. Gattolin, Gay, Cadic, Vaugrenard, Malhuret, Arnell et del Picchia – de leur contribution au débat.
La réponse à apporter doit naturellement être définie à l’échelle européenne, comme l’ont rappelé MM. Cadic et Malhuret. Pour ce qui est de la méthode, il convient de faire preuve de pragmatisme et de s’appuyer sur deux piliers : la solidarité et l’efficacité.
En matière de solidarité, vous le savez, des propositions sont mises sur la table par la Commission européenne pour aider, accompagner un certain nombre de collectivités qui s’engagent dans l’accueil de migrants. On l’a vu, c’est peut-être l’insuffisante solidarité à l’intérieur de l’Europe qui a conduit à certaines réactions nationales.
En ce qui concerne la relation avec l’Autriche, on constate souvent que le fait d’assumer la présidence de l’Union européenne conduit les États à mettre un peu sous le boisseau leurs propres priorités et objectifs. En effet, exercer la présidence consiste à mener les travaux de telle sorte qu’un consensus puisse se dégager. Je pense que la présidence autrichienne n’y dérogera pas ; nous verrons ce qu’il en sera à la fin du semestre, mais c’est en tout cas ce qui semble ressortir de ses premiers pas.
En tout état de cause, sachez que la vigilance est extrême au niveau européen. La main n’a pas tremblé lorsqu’il a fallu évoquer l’article 7 de la Convention européenne des droits de l’homme à l’égard de la Pologne et de la Hongrie. Le 19 juillet dernier, la Commission a même saisi la Cour de justice de l’Union européenne afin qu’elle examine la législation hongroise en matière d’asile.
Les racines de l’Europe sont fondamentalement liées à l’État de droit. C’est l’application de cet appareil juridique qui permet de préserver nos valeurs, notamment l’humanisme européen.
Vous avez évoqué, monsieur Vaugrenard, une jurisprudence des années 2000 sur l’attitude à adopter à l’égard des ministres issus de partis d’extrême droite, mais le refus de les recevoir a-t-il véritablement produit des effets et permis d’endiguer la montée du populisme ? La réponse est plutôt de combattre pied à pied, en argumentant et en affirmant haut et fort dans toutes les enceintes les valeurs auxquelles nous sommes attachés. À cet égard, les actes posés par la Commission européenne il y a quelques jours montrent que nous entendons ne rien renier de cet héritage, qui doit fonder nos politiques à l’avenir.
Pour en revenir au texte qui nous occupe, je note qu’il y a un large consensus – j’ai néanmoins entendu les critiques de M. Gay – pour approuver cet accord relativement technique.
Je remercie la Haute Assemblée d’avoir permis ce débat. Nous aurons l’occasion dans les prochains mois, en commission et dans l’hémicycle, de revenir sur la politique migratoire dans le cadre européen. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – M. le rapporteur applaudit également.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le gouvernement de la république française et le gouvernement fédéral autrichien relatif à la réadmission des personnes en situation irrégulière
Article unique
Est autorisée l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement fédéral autrichien relatif à la réadmission des personnes en situation irrégulière, signé à Luxembourg le 20 avril 2007 (ensemble deux protocoles, signés à Luxembourg le 20 avril 2007 et à Vienne le 30 octobre 2014), et dont le texte est annexé à la présente loi.
M. le président. Je vais mettre aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi.
Le vote sur l’article unique vaudra vote sur l’ensemble du projet de loi.
La parole à M. Yannick Vaugrenard, pour explication de vote.
M. Yannick Vaugrenard. Je ne suis pas satisfait par une partie de votre réponse, monsieur le secrétaire d’État.
En 2000, les ministres français avaient refusé de recevoir des ministres d’extrême droite autrichiens.
M. Fabien Gay. Eh oui !
M. Yannick Vaugrenard. Vous nous dites aujourd’hui qu’il vaut mieux rompre avec cette jurisprudence, sous prétexte de permettre à l’Union européenne d’avancer.
M. Yannick Vaugrenard. Quand bien même, monsieur le secrétaire d’État ! Je sais bien que l’histoire ne se répète pas, mais il arrive qu’elle bégaie… J’y insiste, l’actuelle montée du national-populisme en Europe rappelle les pires moments de notre histoire. Je pense qu’une extrême vigilance s’impose. Je comprends l’argument du pragmatisme diplomatique, mais il y a également des gestes symboliques très importants au regard tant de l’histoire que de l’avenir de l’Union européenne.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement fédéral autrichien relatifs à la réadmission des personnes en situation irrégulière.
(Le projet de loi est adopté définitivement.)
3
Encadrement de l’utilisation du téléphone portable dans les écoles et les collèges
Adoption des conclusions d’une commission mixte paritaire
M. le président. L’ordre du jour appelle l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative à l’encadrement de l’utilisation du téléphone portable dans les établissements d’enseignement scolaire (texte de la commission n° 681, rapport n° 680).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Stéphane Piednoir, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je serai bref, car je pense que tout a déjà été dit, tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat, sur les dispositions de cette proposition de loi au fort impact médiatique – comme souvent lorsqu’il s’agit de traiter des conditions de vie de nos chères têtes blondes au cours de leur scolarité !
Le texte que nous examinons ce matin ressemble fortement à celui que notre assemblée a adopté la semaine dernière, et pour cause : la commission mixte paritaire qui s’est déroulée le 18 juillet dernier a abouti à un accord qui, je m’en félicite, conserve l’essentiel des apports du Sénat.
Ces apports obéissaient à trois principes : la cohérence, la confiance et la simplification.
La cohérence, par l’extension du champ de la proposition de loi aux lycées, dans le cadre d’un régime spécifique, adapté à leur situation. Si cette disposition n’avait pas été retenue, dans un premier temps, par nos collègues députés, il est apparu judicieux de ne pas oublier le lycée dans la réflexion sur l’usage des appareils connectés. Les établissements auront tout loisir de retenir, ou pas, cette interdiction lors de l’élaboration de leur règlement intérieur, et cela permettra, j’en suis convaincu, une prise de conscience et une implication de l’ensemble de la communauté éducative.
Les apports du Sénat manifestaient sa confiance envers les acteurs de terrain, en laissant les établissements libres de fixer les règles les plus appropriées à leur situation particulière, sans les enserrer dans une réglementation bavarde et inutilement précise. La nouvelle rédaction des dispositions relatives à la confiscation et à la restitution des appareils va dans ce sens. Ces acquis ont été entièrement conservés, et je m’en réjouis.
D’autres modifications apportées par le Sénat relevaient de la simplification, notamment la suppression des dispositions ne ressortissant pas au domaine de la loi ou non normatives, ainsi que celle de précisions inutiles.
Dans le cadre du compromis trouvé avec nos collègues députés, certaines dispositions ont été rétablies : à l’article 1er, la référence aux usages pédagogiques, même si nous avons obtenu qu’ils ne constituent pas une exception automatique, mais qu’ils fassent partie des circonstances permettant une autorisation par le règlement intérieur ; l’article 2, qui enrichit encore l’article L. 121-1 du code de l’éducation ; à l’article 3, la référence à la « citoyenneté numérique » parmi les objectifs de la formation à l’utilisation des outils numériques. Je demeure assez sceptique quant à l’introduction de cette notion dans la loi, mais le code de l’éducation devrait néanmoins y survivre ! Surtout, l’introduction de cet objectif préfigure un texte plus global sur l’usage du numérique, texte cher à notre présidente de commission, Catherine Morin-Desailly, et qui pourrait être examiné lors de notre prochaine session.
On peut, comme toujours, regretter d’avoir dû consentir des concessions par rapport au travail qui a été effectué par la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, et validé par notre assemblée. Je considère toutefois qu’elles sont d’une portée limitée au regard du maintien des principaux apports du Sénat.
Par ce compromis, nous, sénateurs, avons fait le choix de la responsabilité, dans l’intérêt des professionnels, des élèves et de leurs parents. Ce texte modeste ne règle ni la question de la place du numérique dans l’éducation ni celle des dangers de l’invasion des objets connectés dans les établissements scolaires – ce n’était d’ailleurs pas son ambition. Il constituera cependant, je l’espère, un signal positif sur la nécessité de construire un rapport équilibré aux écrans.
C’est pourquoi je vous invite, mes chers collègues, à adopter les conclusions de la commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale. Monsieur le président, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je me réjouis d’être amené à revenir devant la Haute Assemblée ce matin, à la suite de l’accord trouvé sur cette proposition de loi en commission mixte paritaire la semaine dernière.
Cet accord, M. le rapporteur l’a dit, aboutit à un texte équilibré entre les propositions de l’Assemblée nationale et celles du Sénat. Il est aussi équilibré en ce qu’il pose l’interdiction comme principe, mais renvoie les modalités pratiques de son application aux acteurs locaux, selon une logique que nous avions souhaité suivre dès le départ et qui s’est accentuée.
L’interdiction de l’utilisation du téléphone portable sera effective dès la rentrée scolaire 2018 dans toutes les écoles et dans tous les collèges.
Cette interdiction répond, à la fois, à des enjeux éducatifs et à des enjeux de vie scolaire. C’est une mesure très importante à mes yeux, car elle marque un changement dans la réalité du quotidien des collèges, puisque l’interdiction n’était pas observée dans tous les établissements.
Durant les activités d’enseignement, l’interdiction de l’usage des téléphones portables permettra de garantir aux élèves un environnement favorisant l’attention, la concentration et la réflexion indispensables à l’activité, à la compréhension et à la mémorisation.
Durant les temps de récréation, l’usage du téléphone portable peut s’avérer néfaste, en réduisant l’activité physique et en limitant les interactions sociales entre les élèves. Il peut empêcher la construction d’une sociabilisation harmonieuse, essentielle au développement des enfants.
Les chefs d’établissement ne cessent de le dire : une cour sans téléphones portables, c’est une cour bruyante où les enfants jouent, discutent, vivent leur vie d’enfant.
L’usage des téléphones portables est à l’origine d’une part importante des incivilités et des perturbations dans les établissements : casse, racket, vols. Ils servent aussi souvent de support au cyberharcèlement, qui exporte la violence hors des établissements.
Nous n’avons évidemment jamais dit que ce texte permettrait de résoudre tous les problèmes, mais il contribuera à les atténuer. Comme l’a dit M. le rapporteur, il permet d’envoyer un signal à la société française.
Le téléphone portable peut faciliter l’accès aux images violentes ou choquantes. L’interdiction de son usage constitue donc un des outils pour limiter l’exposition des plus jeunes à ces images.
L’interdiction de l’utilisation du téléphone portable devient donc le principe, et la mise en œuvre pratique va s’ensuivre.
Sur cette question, comme sur d’autres, nous faisons confiance aux acteurs – directeurs d’école, enseignants, conseillers d’éducation, principaux – pour préciser, dans le cadre rigoureux qui a été fixé, les modalités d’application de l’interdiction. Chaque établissement, en fonction notamment de la configuration de ses locaux et de son organisation propre, définira celles-ci au plus près de ses spécificités, mais l’interdiction aura cours partout.
Le ministère publiera à la fin du mois d’août un vade-mecum qui a été élaboré par mes services pour accompagner les établissements dans la mise en œuvre concrète de l’interdiction. Ce document présentera également les bonnes pratiques en la matière.
Pour conclure, je souhaite remercier chaleureusement M. le rapporteur, Stéphane Piednoir, et l’ensemble des sénateurs pour la qualité des débats, qui ont trouvé une traduction dans le texte précis et concis que nous examinons aujourd’hui. C’est un texte équilibré et, puisque nous avons fait assaut de citations latines lors du précédent débat, j’en livrerai une nouvelle : in medio stat virtus. Virtus peut avoir plusieurs sens en latin ; il peut notamment signifier « courage ». Le courage, c’est parfois l’équilibre. C’est ce que vous avez montré au travers de l’élaboration toujours plus fine des dispositions de cette proposition de loi dont nous ne devons pas minimiser la portée, même si elle a, bien entendu, des limites, que nous avions soulignées dès le début. Outre qu’il permettra une application désormais uniforme de l’interdiction de l’usage du portable, ce texte délivre un message : nous devons nous interroger sur l’usage des écrans et des téléphones portables si nous voulons que la société du XXIe siècle soit une société plus humaine. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias.
M. Pierre Ouzoulias. In medio stat virtus…Merci, monsieur le ministre, de cette citation latine, qui pourrait être l’adage du Sénat.
Je citerai pour ma part un historien dont je partage souvent les idées, à savoir mon collègue Max Brisson, qui s’interrogeait, lors de la commission mixte paritaire, « sur le temps consacré par le Parlement à ce sujet qui relève du niveau réglementaire ».
Je prie mon collègue Max Brisson de m’excuser pour cette facétie de fin de session extraordinaire ! Plus sérieusement, je n’ai toujours pas compris, monsieur le ministre, à la lecture des débats qui se sont tenus à l’Assemblée nationale, au Sénat et au sein de la commission mixte paritaire, pourquoi il était nécessaire de garantir une base juridique plus sûre à une disposition du code de l’éducation qui n’a suscité aucun contentieux et dont il ne nous a pas été montré concrètement en quoi elle était d’application difficile.
Je reste persuadé que les équipes pédagogiques ont aujourd’hui tous les outils dont elles ont besoin pour restreindre comme elles le souhaitent, ou presque, l’usage des téléphones portables. La vraie question reste donc de savoir pourquoi, dans la moitié des établissements, pour reprendre votre estimation, monsieur le ministre, elles seraient dans l’incapacité d’imposer cette restriction.
Il serait plus utile de les aider à faire prévaloir leur volonté de limitation, plutôt que d’ajouter un nouveau texte qui va faire l’objet de gloses dans les services juridiques du ministère, les rectorats et les conseils d’administration des établissements à la rentrée. Je suis toujours surpris de notre capacité d’imposer aux autres de nouvelles normes juridiques alors que nous refusons avec grande véhémence celles dont nous accable l’État !
Enfin, je m’interroge comme vous, monsieur le rapporteur, sur la notion de « citoyenneté numérique » introduite dans notre droit par ce texte. Aucune définition n’en est donnée dans la proposition de loi, les rapports ou les débats. J’ai repris la littérature sur le sujet et me suis aperçu que cette notion s’est imposée à la fin des années quatre-vingt-dix, essentiellement dans la littérature anglo-saxonne, avec des acceptions extrêmement variées.
Le cybercitoyen pourrait être un individu que sa grande facilité à utiliser les outils numériques placerait de facto à un niveau élevé de compréhension des processus sociaux et politiques. Cette aisance technique lui donnerait une capacité supérieure à affirmer ses intérêts propres au sein d’une société conçue comme une forme de conciliation de toutes les opportunités individuelles.
D’aucuns, comme Pierre Rosanvallon en France, envisagent très différemment le monde numérique, qu’ils considèrent comme « un espace généralisé de veille et d’évaluation du monde ». Le citoyen numérique est alors un « citoyen vigilant » qui utilise les informations qu’il se procure directement pour forger les outils et les moyens d’action d’une « contre-démocratie » dont l’objectif est de contester les formes de la domination.
D’autres, enfin, conçoivent les outils numériques comme un moyen de promouvoir des réseaux décentralisés de délibération et de décision, afin d’élaborer une nouvelle démocratie en dehors des cadres institutionnels classiques.
Je ne doute pas que la majorité qui a soutenu ce texte à l’Assemblée nationale défende ces conceptions émancipatrices et quasiment libertaires des usages du numérique. Néanmoins, je suis très curieux de savoir, monsieur le ministre, quelles instructions et recommandations votre administration adressera aux équipes pédagogiques pour les éclairer sur les contenus de ces nouveaux apprentissages de la « citoyenneté numérique ».
Plus sérieusement, je crois qu’il était possible de faire montre de plus d’humilité et de ne pas céder à la facilité en utilisant ce type de concept fumeux dans un texte législatif. En revanche – nous sommes tous d’accord sur ce point –, il nous faut rapidement engager une réflexion collective et plus sérieuse sur les relations entre le numérique, l’éducation et le métier d’enseignant. (Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – Mme Sonia de la Provôté applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Michel Laugier.
M. Michel Laugier. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, comme cela vient d’être rappelé, la commission mixte paritaire n’a pas fondamentalement changé le texte issu des travaux du Sénat. Je ne m’étendrai donc pas longuement sur ces modifications qui nous conviennent. La commission mixte paritaire a conservé le principal apport de la Haute Assemblée, à savoir l’extension aux lycées de l’interdiction des portables et appareils de communication électronique. Elle a juste précisé que les usages pédagogiques pourraient justifier leur autorisation ponctuelle au lycée, tout en rétablissant l’article 2, relatif à l’éducation au numérique, et la notion de « citoyenneté numérique », à l’article 3.
À défaut d’être très utiles, ces précisions ont au moins le mérite de nous ramener au vrai sujet : celui de la place du numérique dans l’éducation. Alors, parlons-en !
En première lecture, monsieur le ministre, vous avez relevé ce qui vous semblait être un paradoxe : tous les orateurs se sont étonnés que le législateur ait à se prononcer sur un sujet aussi anecdotique que l’interdiction du téléphone portable à l’école et tous ont, dans le même temps, insisté pour dire qu’il s’agissait là d’une question fondamentale. Vous avez raison, cela semble tout à fait paradoxal. Je vais pourtant essayer de vous convaincre que le paradoxe n’était qu’apparent.
Il n’y a en réalité rien de paradoxal. Il est tout à fait normal que l’on s’interroge sur le rôle du législateur. L’interdiction du téléphone portable devrait exclusivement relever du règlement intérieur de l’établissement. Mais nous sommes obligés de légiférer parce que l’interdiction du téléphone portable figurait déjà dans le code de l’éducation.
Le problème n’est donc pas qu’avec ce texte nous transformions le code de l’éducation en règlement intérieur de l’établissement, mais que nous constations, à l’occasion de son examen, qu’il l’était déjà. Cela devrait nous inciter à engager une réflexion plus large sur le rôle du législateur en matière d’éducation.
Nombre de mes collègues ont observé que nous débattions longuement de l’interdiction du téléphone portable, alors que nous n’avons pas, jusqu’à présent, été saisis de la réforme du baccalauréat.
Ils sont nombreux aussi à avoir observé, monsieur le ministre, que vous n’étiez pas responsable de la répartition des compétences entre le pouvoir législatif et le pouvoir réglementaire. Ce serait la Constitution. Mais en est-on bien sûr ? En vertu de l’article 34 de la Constitution, « la loi détermine les principes fondamentaux de l’enseignement ». Est-il fondamental d’interdire l’usage téléphone portable à l’école ? Est-il secondaire de réformer le baccalauréat ? Le Conseil constitutionnel ne devrait-il pas censurer le présent texte pour incompétence du législateur ? Censurerait-il une loi portant réforme du baccalauréat ? Il semblerait que nous soyons collectivement responsables d’une mauvaise interprétation de l’article 34 de la Constitution en matière d’enseignement.
Au fil du temps, nous avons intégré dans le code de l’éducation des dispositions qui auraient dû rester d’ordre réglementaire et abandonné au seul exécutif les réformes les plus fondamentales. Monsieur le ministre, ne pourrait-on pas remettre tout cela à plat sans modifier la Constitution ? Dans la négative, pourquoi ne pas profiter de l’actuelle révision constitutionnelle pour le faire ?
J’en viens maintenant à l’autre branche de l’apparent paradoxe sénatorial : l’importance du sujet.
Ce qui nous semble important, ce n’est pas l’interdiction du téléphone portable en soi, encore moins l’inscription dans la loi du principe de sa confiscation et des modalités de sa restitution. Ce qui est fondamental, ce sont tous les sujets sous-jacents à la question du téléphone portable. Il y en a au moins trois.
Le premier est celui de l’autorité. Si le téléphone portable peut à ce point perturber les enseignements, c’est parce que la relation entre l’enseignant et les élèves n’est plus fondée sur l’attention et le respect. Comment rétablir l’autorité de l’État incarnée par le professeur ? Voilà une question fondamentale.
Le deuxième problème posé par l’arrivée d’internet, des réseaux sociaux et de tous les appareils qui y donnent accès est celui de la déstructuration des esprits. Cette révolution technologique consacre la culture de la déconcentration et du zapping. Peut-on continuer à penser dans ces conditions ? Ne sommes-nous pas en train de nous abrutir collectivement, en commençant par abrutir nos enfants ?
Enfin, la troisième question fondamentale posée par ce texte, qui découle des deux précédentes, est naturellement celle de la place du numérique dans l’enseignement.
Cette question fait penser à l’« insociable sociabilité » kantienne. Il nous faut concilier l’inconciliable. L’école est un lieu de distanciation, de recul par rapport au monde, mais elle ne peut pas non plus en être coupée ; elle doit évoluer avec lui. L’école ne peut donc tourner le dos au numérique, mais elle ne peut pas non plus lui ouvrir grandes ses portes.
Monsieur le ministre, vous vouliez du paradoxe, en voilà un véritable, qu’il nous faut aujourd’hui résoudre. Le récent rapport de la présidente de la commission, Catherine Morin-Desailly, intitulé Prendre en main notre destin numérique : l’urgence de la formation, peut nous y aider… (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Lozach.
M. Jean-Jacques Lozach. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la réunion de la commission mixte paritaire du 18 juillet dernier a permis à l’Assemblée nationale et au Sénat d’aboutir à un texte commun sur cette proposition de loi.
Je me réjouis de pouvoir constater de nouveau la capacité de dialogue et de compromis de nos deux chambres, et je me félicite du succès de nos travaux sur ce texte.
Cela dit, pour ce qui nous concerne, nous maintenons notre appréciation mitigée sur l’intérêt de cette initiative législative. Nous restons convaincus qu’il s’agit au mieux d’un texte inutile et au pire d’un texte gênant, et que des dispositions réglementaires suffisaient.
Nous pensons que la souplesse offerte par le cadre juridique actuel devait être préservée. Il n’y a rien à l’heure actuelle qui empêche la régulation intelligente de l’usage des appareils électroniques à l’école ou au collège.
Nous sommes tous conscients des dangers des pratiques addictives et des comportements nuisibles que peut entraîner l’usage de ces téléphones multifonctions et de la palette des dispositifs électroniques voisins.
Si le Gouvernement estime qu’il est nécessaire de généraliser de bonnes pratiques en vigueur dans de nombreux établissements, il n’a pas besoin, pour cela, d’en passer par la loi. Au contraire, quid des nouvelles rédactions des règlements intérieurs au moment où ce nouveau dispositif produira son plein effet ?
Le désir du Gouvernement de réduire l’hétérogénéité des pratiques sera-t-il satisfait ? Rien n’est moins sûr, car les équilibres locaux actuels seront remis en question et il sera nécessaire de revoir la rédaction des règlements intérieurs. De nouveau, il se pourrait que certains établissements mettent en pratique ce texte avec une grande finesse et de manière optimale, alors, que dans d’autres situations, le pragmatisme et le passage au concret poseraient d’autres difficultés.
Ainsi, le renversement proposé provoquerait un retour à la situation présente, où la nécessité est la diffusion des bonnes pratiques, dans le respect des situations locales et de la différenciation. La démonstration du caractère superfétatoire de ce texte serait alors faite.
Dans le cas contraire, l’homogénéité des pratiques pourra provoquer de nouvelles difficultés, que la souplesse du cadre actuel permet d’écarter.
Quel que soit le résultat de l’application de cette nouvelle législation, l’opération de communication du Gouvernement sur ce sujet soit ne réglera rien, soit déréglera tout.
Les quelques précisions apportées par la proposition de loi, comme l’extension de la possibilité d’interdiction aux équipements terminaux de communication électronique, ne semblent pas justifier l’examen en urgence de ce texte à ce moment de notre calendrier parlementaire. Il eût été plus judicieux de prendre le temps d’une large concertation, d’un dialogue en profondeur, sur la thématique bien plus large de l’école et du numérique. Dans ce cadre, et en prenant en compte les travaux menés sur le sujet par les deux chambres du Parlement, il aurait été possible de bâtir réellement un nouvel encadrement juridique. À défaut, nous voici contraints de pratiquer un bricolage législatif dont l’intérêt n’est pas démontré.
Nous pouvons également regretter le rétablissement de certaines dispositions qui avaient été supprimées à juste titre par le Sénat en commission.
Je le répète, nous sommes tout à fait favorables à l’interdiction des appareils de communication électronique dans le cadre des activités scolaires, mais elle est déjà en vigueur. Il semble parfois que, dans la défense de l’intérêt de cette proposition de loi, on en vienne à oublier l’existence de la loi du 12 juillet 2010 et le fait que, dans l’immense majorité des cas, elle s’applique sans difficulté.
Toutefois, dans l’espoir d’une évolution de ce nouveau dispositif législatif, en particulier dans le cadre de l’examen d’un futur projet de loi sur l’école et le numérique, que nous appelons de nos vœux, nous avons choisi de nous abstenir sur ce texte.