Mme la présidente. L’amendement n° 257 rectifié bis, présenté par MM. Pointereau, M. Bourquin, Moga, Guerriau, Bonnecarrère, D. Laurent et Pellevat, Mmes Morhet-Richaud, Lassarade, Conway-Mouret, L. Darcos et Guillemot, MM. Daubresse, Grand et Henno, Mmes Vullien et Conconne, M. Janssens, Mmes Herzog et F. Gerbaud, M. Montaugé, Mmes Chain-Larché, Bruguière et Garriaud-Maylam, M. Sutour, Mme Imbert, MM. Courteau, Duran, Brisson, Pillet et Morisset, Mme de la Provôté, MM. Perrin et Raison, Mmes Vermeillet et Espagnac, MM. Poniatowski, Vaugrenard, Savary, Danesi, Dagbert et Kennel, Mme Deromedi, MM. Pierre, Longeot, Daudigny et Fichet, Mme Vérien, M. Hugonet, Mmes Chauvin, Delmont-Koropoulis et Sollogoub, MM. Lalande, Priou, B. Fournier, Calvet, Panunzi, Paccaud, Cuypers et Cambon, Mme Loisier, MM. Lefèvre et Chasseing, Mmes Préville, Blondin, Kauffmann et Berthet, M. Mayet, Mmes Deroche, Tocqueville et Lherbier, M. Jacquin, Mme Billon, M. Durain, Mmes Gatel et Bonfanti-Dossat, MM. Guené, Tissot, Kerrouche, Mandelli, Devinaz, Babary et Charon, Mme Perol-Dumont, MM. Duplomb, J.M. Boyer, Vaspart, Cornu et Antiste, Mme Jasmin, MM. de Nicolaÿ, Delcros et Gremillet et Mmes Féret, Lamure et Raimond-Pavero, est ainsi libellé :
Après l’article 54 bis AC
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Le chapitre V du titre IV du livre Ier du code de commerce est complété par une section ainsi rédigée :
« Section …
« De l’interdiction des baux à destinations multiples
« Art. L. 145-… – Lorsqu’un immeuble abrite un local commercial ou des locaux commerciaux et des locaux destinés à l’habitation, le bail relatif à un local commercial ne peut concerner que ce local. »
II. – La sous-section 2 de la section 2 du chapitre Ier du titre Ier du livre Ier du code de la construction et de l’habitation est complétée par un article L. 111-6-1-… ainsi rédigé :
« Art. L. 111-6-1-… – Sont interdits les travaux qui conduisent, dans un même immeuble, à la condamnation des accès aux locaux ayant une destination distincte. »
III. – Après l’article L. 2243-1 du code général des collectivités territoriales, il est inséré un article L. 2243-1-… ainsi rédigé :
« Art. L. 2243-1-… – Dans le périmètre d’une opération de revitalisation de territoire, l’abandon manifeste d’une partie d’immeuble est constaté dès lors que des travaux ont condamné l’accès à cette partie. La procédure prévue aux articles L. 2243-2 à L. 2243-4 est applicable. »
La parole est à M. Martial Bourquin.
M. Martial Bourquin. Cet amendement, dont le texte reprend un dispositif de la proposition de loi portant Pacte national pour la revitalisation des centres-villes et centres-bourgs, vise à permettre le retour sur le marché du logement des milliers de locaux inhabités en étages de commerce dans de nombreux centres-villes.
Deux mesures générales sont ainsi proposées : l’interdiction des baux « tout immeuble » et l’interdiction de condamner les issues aux étages. Elles sont complétées par deux mesures réservées aux périmètres ORT, et la constatation automatique de l’abandon manifeste d’une partie d’immeuble en cas de condamnation des accès.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. La commission est favorable à cet amendement.
Elle considère que l’interdiction du bail « tout immeuble » restreint de façon assez sévère la liberté des parties au contrat. Dans la proposition de loi portant Pacte national pour la revitalisation des centres-villes et centres-bourgs, vous avez décidé, mon cher collègue, de prendre une mesure qui nous a semblé pertinente et particulièrement énergique face à la gravité de la situation des volets clos dans les centres-villes.
Par ailleurs, cet amendement prévoit l’interdiction de travaux, qui obligerait, en pratique, de passer par le local commercial pour accéder aux étages. Cette interdiction est générale, avec une sanction renforcée dans les périmètres des ORT.
Dans ces conditions, nous sommes favorables à cet amendement. Nous avons supprimé le volet fiscal qui accompagnait cette mesure, à savoir une augmentation de la taxe annuelle sur les logements vacants.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jacques Mézard, ministre. Comme je l’ai dit, il est difficile de s’attaquer à un totem. La disposition proposée au I de cet amendement pose un problème de sécurisation juridique, au regard des principes constitutionnels et du droit de propriété des bailleurs. En revanche, le II et le III n’appellent pas d’observations de la part du Gouvernement.
Je demande donc aux auteurs de cet amendement de bien vouloir le retirer – en l’état, le dispositif proposé ne me semble pas sécurisé. Mais l’avenir nous dira ce qu’il en est.
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 54 bis AC.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures trente, est reprise à seize heures quarante-cinq, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
M. le président. La séance est reprise.
5
Questions d’actualité au Gouvernement
M. le président. Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, l’ordre du jour appelle les questions d’actualité au Gouvernement.
Je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat, sur le site internet du Sénat et sur Facebook.
J’appelle chacun de vous à respecter le temps qui lui est imparti et à observer dans nos échanges cette courtoisie qui est de tradition dans notre assemblée.
l’affaire benalla et ses conséquences politiques
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste. (Marques d’encouragements sur diverses travées.)
Mme Éliane Assassi. Monsieur le Premier ministre, dès jeudi dernier, je vous ai interrogé sur l’affaire Benalla, devenue une affaire d’État.
Les choses sont maintenant sérieuses. Nous ne saurions nous contenter de réponses dilatoires de votre part. Non, il ne s’agit pas de l’affaire d’un seul homme. Non, vous n’avez pas agi en temps et en heure.
Votre ministre de l’intérieur, après avoir, ce même jeudi 19 juillet, dans cet hémicycle, omis de dire la vérité, a systématiquement joué le rôle de l’ingénu lors de son audition d’hier : au courant de rien, n’ayant rien vu, rien entendu, affirmant contre tout bon sens ne pas connaître M. Benalla. Ce n’est pas acceptable !
Monsieur le Premier ministre, comme chef du Gouvernement de la France, allez-vous continuer à couvrir le silence du ministre de l’intérieur ?
Notre peuple doit savoir : qui est M. Benalla ? Qui l’a recruté à l’Élysée ? Sur quel contrat ? Quel était son statut ? Quelles sont ses missions ? D’où vient-il ? Pourquoi de piètres sanctions, absolument pas proportionnées, malgré vos dires ?
Il apparaît, petit à petit, que M. Benalla était chargé de la mise en place d’une officine de sécurité privée, ce qui pose la question de la confiance de l’Élysée à l’égard de notre police nationale. Pouvez-vous le confirmer ? Quels sont ses liens avec votre gouvernement, via le ministère de l’intérieur ?
Monsieur le Premier ministre, les commissions d’enquête travaillent, mais vous avez le pouvoir de nous éclairer dès à présent.
La crise est celle d’un régime hyperprésidentiel, d’un pouvoir jupitérien hors de contrôle. (Vive approbation sur des travées du groupe Les Républicains.)
Le report de votre révision constitutionnelle, qui renforçait les pouvoirs du Président de la République, était une exigence démocratique. Cette révision doit être définitivement retirée, afin d’ouvrir la voie au renforcement du rôle du Parlement et d’en finir avec la dérive monarchique qui est à la source de cette affaire.
L’heure est grave, monsieur le Premier ministre. Vous devez au pays le respect et la transparence. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et sur des travées du groupe socialiste et républicain et du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Madame la présidente Assassi, c’est la deuxième fois que j’ai le plaisir de vous répondre sur ce sujet.
Jeudi dernier, je m’exprimais pour la première fois ; je viens d’avoir l’occasion de le faire à de nombreuses reprises à l’Assemblée nationale, et je suis heureux de pouvoir vous apporter un certain nombre d’éléments de réponse – peut-être pas toutes les réponses : je ne veux pas m’immiscer dans le fonctionnement de la commission qui s’apprête à procéder à l’audition de M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur. Je ne doute pas que les membres de la commission des lois du Sénat poseront les questions qu’ils souhaitent poser à M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur, et que, comme il l’a fait devant la commission des lois de l’Assemblée nationale, il y apportera l’ensemble des réponses qu’il pourra formuler.
Madame la présidente, vous énoncez toute une série d’affirmations avec lesquelles je suis en désaccord : il n’y a pas un système de police parallèle (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.), il n’y a pas des systèmes divergents, il n’y a pas une organisation cachée. (Même mouvement.) Vous me posez la question, je vous réponds.
Il y a l’organisation de la présidence de la République, laquelle – je parle sous le contrôle de juristes, qui sont mieux formés que moi – n’est pas placée sous le contrôle de l’Assemblée nationale ou du Sénat. Et il y a des agissements, qui ne sont pas les agissements d’un individu, mais les agissements d’un individu chargé de mission à l’Élysée en lien avec d’autres agents publics – M. le préfet de police, hier, à l’occasion de son audition par la commission des lois de l’Assemblée nationale, a utilisé l’expression de « copinage malsain ».
Je ne suis pas là pour me prononcer sur ces copinages et sur les dérives auxquelles ils ont pu donner lieu. Mais je veux vous dire, comme je vous l’ai dit jeudi dernier, que les actes du 1er mai, et les images qui les traduisent, ne m’apparaissent pas acceptables, et qu’ils n’ont pas été acceptés.
Dès le 3 mai, me semble-t-il – peut-être était-ce le 4 –, en tout cas très rapidement, une décision de sanction a été prise par M. le directeur de cabinet du Président de la République. (Exclamations sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.)
Je pense que cette mesure était proportionnée, mais je peux concevoir que vous contestiez cette affirmation, et qu’une discussion ait lieu sur ce point. C’est parfaitement légitime.
Ce qui n’est pas, me semble-t-il, contestable, c’est qu’une décision et une sanction ont été prises rapidement. Et, de même, madame la présidente, dès lors que les faits ont été connus, l’ensemble des branches de notre démocratie, c’est-à-dire les trois pouvoirs, se sont saisies de cette affaire : le Sénat et l’Assemblée nationale, avec deux commissions d’enquête créées en même temps, en moins d’une semaine, qui ont déjà commencé leurs auditions (M. Philippe Dominati s’exclame.) ;…
Mme Éliane Assassi. Il a fallu beaucoup insister !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. … le procureur de Paris, qui a lancé une enquête préliminaire, puis une information judiciaire, avec des gardes à vue et cinq mises en examen ; l’IGPN, l’Inspection générale de la police nationale, via une mission d’inspection déjà évoquée par le ministre d’État, ministre de l’intérieur – cette mission nous dira quelles ont été les causes de cette affaire, quelles sont les règles applicables en matière d’accueil des personnes désignées comme observateurs dans de telles manifestations (Mme Cécile Cukierman s’exclame.), et pourquoi il faut, le cas échéant, les corriger.
De tout cela, madame la présidente, nous apprendrons, progressivement.
M. Pierre-Yves Collombat. Nous avons déjà tant appris !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Et quand l’ensemble des procédures seront suffisamment avancées pour que nous puissions en tirer des conséquences certaines et stables, alors moi, Premier ministre, chef du Gouvernement, je prendrai les décisions qui doivent être prises. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – MM. Didier Guillaume et Jean-Marc Gabouty applaudissent également.)
affaire benalla (I)
M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Patrick Kanner. Monsieur le Premier ministre, depuis la révélation de l’affaire Benalla, les plus hautes autorités de l’État sont confrontées à une crise politique majeure.
Les faits égrenés et les premières auditions instruites par le Parlement montrent qu’il existe plusieurs graves dysfonctionnements au sommet de l’État. (Eh oui ! sur des travées du groupe Les Républicains.)
Je les énumère : les sanctions disciplinaires prononcées ont été totalement inappropriées et, au demeurant, sans conséquence sur la place de M. Benalla dans l’organigramme de l’Élysée ; le ministre de l’intérieur et le préfet de police se contredisent dans leurs déclarations et rejettent sur les services de l’Élysée le fait de ne pas avoir dénoncé à la justice les faits délictueux dès qu’ils ont été portés à leur connaissance ; le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement, qui est aussi le premier responsable du parti majoritaire employeur d’un salarié directement impliqué dans cette affaire, fait montre d’une très grande discrétion ; le Président de la République reconnaît l’existence de dysfonctionnements, mais continue à s’enfermer dans un mutisme déterminé, accentuant le sentiment que les plus hautes autorités de l’État ont préféré protéger un individu qui leur est proche, quand il eût fallu protéger nos institutions. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)
Monsieur le Premier ministre, je ne veux pas me contenter de hurler au scandale ou de prendre la pose outrée : à chaque gouvernement son lot d’affaires et de polémiques. (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.) Mais, au regard des développements de ce dossier, je constate aujourd’hui que l’engagement réitéré du Président de la République de faire de la politique autrement est un faux-semblant où se manifestent des zones d’ombre et des arrangements.
Je constate aussi que la gestion politique de cette affaire est le résultat de l’hypercentralisation du pouvoir exécutif, véritable contre-exemple de ce que nous devons faire en matière de réforme constitutionnelle.
Monsieur le Premier ministre, comment entendez-vous renouer le lien de confiance avec les citoyens, afin de conforter notre République, qui est certainement « inaltérable », mais pas inébranlable ? Elle doit rester, en tout cas, irréprochable. (Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain, du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Monsieur le président Kanner, une République irréprochable, celle que vous semblez appeler de vos vœux, celle que j’appelle aussi des miens, celle que nous pourrions, je crois, partager, ce n’est pas une République dans laquelle rien ne se place… (Ah ! et rires.), rien ne se passe ! (Exclamations amusées.) Je suis une fois de plus tombé dans un péché mignon.
Une République irréprochable, ce n’est pas une République qui serait composée d’individus, d’élus, d’hommes et de femmes, à tout jamais infaillibles. Ce n’est d’ailleurs pas ce que vous avez dit.
Une République irréprochable, c’est une République qui regarde en face les dysfonctionnements, qui regarde en face ce qui ne va pas dans les comportements individuels, et qui en tire les conséquences.
De ce point de vue, monsieur le président, dès lors qu’ont été connus les faits qui sont à l’origine de la discussion que nous avons aujourd’hui, des décisions ont été prises. Des décisions ont été prises à l’endroit de l’individu concerné ;…
M. Pierre-Yves Collombat. Il a été grondé !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. … des décisions ont été prises, également, lorsqu’il a été connu, jeudi soir dernier, que des agents de la préfecture de police de Paris auraient probablement – je dis probablement, car je ne veux pas m’immiscer dans le processus judiciaire – violé la loi en transmettant des images au chargé de mission employé par la présidence de la République.
Mme Esther Benbassa et M. Pierre-Yves Collombat. Ce ne sont pas les faits les plus graves !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Immédiatement, des mesures de suspension ont été prises, et, immédiatement, les procédures judiciaires ont été engagées. (Protestations sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.)
M. Cédric Perrin. Vous n’aviez pas le choix !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Ce qui eût été contestable, monsieur le président, c’est l’absence de mesures ; or des mesures ont été prises. (Protestations sur plusieurs travées.)
Mme Esther Benbassa. Quand ?
M. Cédric Perrin. Pendant deux mois et demi, vous avez caché les faits !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Les commissions d’enquête et la procédure judiciaire permettront – j’en suis certain – de décrire précisément l’enchaînement des faits et, le cas échéant, s’agissant de la procédure judiciaire, de déterminer les responsabilités individuelles. Mais il n’existe aucune volonté de cacher quoi que ce soit ; l’exécutif, le Gouvernement et le Premier ministre ont au contraire la volonté d’assumer politiquement l’ensemble du processus qui est à l’œuvre.
Je vous le dis très clairement, monsieur le président : je ne crois pas que notre organisation institutionnelle ait à ce point changé au cours des dix dernières années (M. Olivier Paccaud s’exclame.) que la présidence, qui auparavant aurait été exemplaire, serait devenue si hyperprésidentialisée qu’elle en deviendrait insupportable.
M. Olivier Paccaud. Si veut le roi, si veut la loi !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Nous vivons dans les institutions de la Ve République ; dans ces institutions, dans ce système parlementaire, le Premier ministre, le Gouvernement sont responsables devant le Parlement. C’est un fait, et c’est très bien ainsi. Le Président de la République, lui, n’est pas soumis à ce contrôle : ni lui politiquement, ni l’organisation de ses services. C’est un fait aussi, qui n’est pas neuf.
Nous avons, ou plutôt nous avions, l’opportunité de discuter de ce sujet à l’occasion de la révision constitutionnelle. Et probablement, monsieur le président, vous et moi ne sommes-nous pas d’accord sur le sens qu’il faut donner à l’évolution de nos institutions.
Un sénateur du groupe socialiste et républicain. Heureusement !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Cette discussion importante, qui intéresse évidemment les parlementaires…
Mme Esther Benbassa. Ah oui ! Et la Nation !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. … n’a pas eu lieu à l’Assemblée nationale parce que, après avoir été engagée, elle s’est interrompue en raison d’un nombre considérable de rappels au règlement, dont la succession pourrait, aux yeux d’un esprit taquin, ressembler à quelque chose qui relèverait de l’obstruction.
M. Roger Karoutchi. C’est très taquin, en effet !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Très taquin, oui : 298 rappels au règlement !
Le débat n’a donc pas eu lieu ; mais je me réjouis, monsieur le président, car il aura lieu. Il n’aura pas lieu à l’occasion de la présente session extraordinaire, mais lors d’une prochaine session. (Mme Esther Benbassa s’exclame.) Alors nous pourrons débattre de cette révision constitutionnelle…
Mme Esther Benbassa. On verra !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. … qui correspond aux engagements pris par le Président de la République, et qui sera discutée à l’Assemblée nationale et au Sénat – et c’est très bien ainsi. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – MM. Didier Guillaume et Jean-Marc Gabouty applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour la réplique, en quelques secondes.
M. Patrick Kanner. Affaiblir le Parlement, affaiblir les corps intermédiaires, affaiblir les collectivités territoriales, affaiblir la presse, tout cela n’est pas bon, monsieur le Premier ministre. Retirez votre réforme constitutionnelle (Bravo ! et applaudissements sur plusieurs travées.), et permettez au Parlement, par son travail, de l’améliorer au profit de l’intérêt général. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur des travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste. – M. Joël Labbé applaudit également.)
situation politique et affaire benalla
M. le président. La parole est à M. Claude Malhuret, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.
M. Claude Malhuret. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, M. Jourdain faisait de la prose sans le savoir : M. Benalla voulait faire de la police sans que ça se sache, mais ça n’a pas marché ! (Sourires.)
J’espère que vous me pardonnerez cette entrée en matière ironique devant une situation très sérieuse, mais on ne peut manquer d’être frappé depuis quelques jours du contraste vertigineux entre, d’un côté, la farce d’une grenouille qui voulait se faire aussi grosse que le « bœuf-carottes » (Rires et applaudissements sur plusieurs travées.) et, de l’autre, le tourbillon politique qui met désormais en cause les plus hauts sommets de l’État et bloque les travaux de l’Assemblée nationale.
L’une des raisons de cette situation, c’est un silence : celui du chef de l’État. Or ce silence devient pesant. En ne s’exprimant pas, non seulement le Président ne se protège pas, mais il s’expose.
D’abord, il laisse les opposants les plus radicaux en situation de procureur, sans leur apporter de réponse définitive. Ensuite, il laisse se produire des contradictions entre les acteurs au cours de commissions d’enquête regardées par tous les Français, sans indiquer la voie du rassemblement. Enfin, l’anonymat des réseaux sociaux permet aux rumeurs les plus folles, les plus blessantes et les plus abjectes de proliférer sans aucun moyen d’y faire face.
Le général de Gaulle disait que le Président de la République est en charge de l’essentiel. Il y a huit jours, l’affaire Benalla n’était pas l’essentiel ; aujourd’hui, que ce soit justifié ou non, elle l’est devenue.
Il y a quinze jours, devant le Congrès, le Président proposait non seulement de pouvoir s’adresser aux parlementaires, mais aussi de pouvoir leur répondre. Aujourd’hui, ce ne sont pas uniquement les parlementaires, mais de très nombreux Français qui attendent sa parole.
Cette affaire, contrairement à ce que j’ai entendu, n’est évidemment pas le Watergate, ni même, pour rester en France, celle des écoutes de l’Élysée, le Rainbow Warrior ou l’affaire des Irlandais de Vincennes. Mais en l’absence de réponse définitive, elle risque de devenir aussi délétère.
Cette réponse claire et définitive, seul le Président de la République peut aujourd’hui l’apporter. Ce n’est donc pas une question que je vous pose, monsieur le Premier ministre, c’est une requête que je vous adresse : pouvez-vous lui dire que les Français attendent cette réponse ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Républicains, du groupe socialiste et républicain, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Monsieur le président Malhuret, il n’appartient pas à un Premier ministre de porter une appréciation sur une question qui est posée, il lui appartient d’y répondre. Permettez-moi de ne pas respecter ce principe et de vous dire combien les termes de la question que vous posez, l’humour dont vous faites preuve et l’élégance avec laquelle vous vous exprimez apparaissent évident. Au fond, vous l’avez dit, ce n’est pas une question, c’est une requête. Mais c’est une requête à laquelle je ne peux pas répondre, je peux néanmoins la transmettre,…
Mme Esther Benbassa. À Sa Majesté !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. … et je le ferai.
Bien entendu, il appartient au Président de la République de choisir le moment, le lieu et le message qu’il délivrera.
Mme Esther Benbassa. Le 15 août !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Le moment venu, il exprimera ce qu’il considère devoir dire sur cette affaire.
Mme Esther Benbassa. Oh ! Que c’est bien dit !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. En attendant, le Gouvernement et moi-même nous répondons aux questions qui nous sont légitimement posées à l’Assemblée nationale et au Sénat. Nous participons aux commissions d’enquête qui souhaitent auditionner les membres du Gouvernement et qui les interrogent avec rigueur et sans ménagement, ce qui est bien naturel. Nous faisons tout pour que le régime institutionnel de la Ve République, qui est parfois critiqué, parfois porté aux nues, mais qui est le nôtre et qui est fondé sur cette particularité assez rare d’être un système parlementaire avec un président fort, puisse continuer à fonctionner en reposant sur ses deux principes une présidence forte et un Gouvernement qui répond aux questions (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.) du Parlement et qui est responsable devant lui. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – MM. Didier Guillaume et Jean-Marc Gabouty applaudissent également.)
affaire benalla (ii)
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Bruno Retailleau. Monsieur le Premier ministre, il aura fallu moins d’une semaine pour que la France passe de la fête à ce climat opaque, pesant, dans lequel nous a plongés l’affaire Benalla. Cette affaire est-elle une affaire d’État ? Objectivement oui, car ce qui est en cause, ce n’est pas seulement un parcours individuel, celui d’un prétendu bagagiste, c’est beaucoup plus : c’est l’autorité de l’État ! Comment un proche du Président de la République peut-il se déguiser en policier pour passer à tabac des manifestants ?
Au-delà, c’est le fonctionnement de l’État, de l’Élysée qui est en cause. Comment cet individu, au passé déjà si lourd, s’est-il retrouvé au cœur du pouvoir ? Oui, il s’agit bien d’une affaire d’État, mais il s’agit aussi d’une affaire, monsieur le Premier ministre, qui concerne le chef de l’État. Tout ramène à lui : une ascension fulgurante, des privilèges exorbitants, une sanction trop indulgente ! Vraiment, oui, tout converge vers l’Élysée, et l’Élysée se tait, est mutique, contrairement à son habitude.
Je reformule la question, que tous les Français se posent, monsieur le Premier ministre : quand le Président de la République sortira-t-il de son silence, quand prendra-t-il la parole pour s’expliquer devant les Français ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe socialiste et républicain.)