Mme la présidente. L’amendement n° 24 rectifié bis, présenté par Mmes de la Gontrie, Rossignol, Lepage, Blondin et Cartron, M. Courteau, Mmes M. Filleul, Jasmin, Monier, Meunier, Conway-Mouret et Lubin, MM. Jacques Bigot, Durain et Fichet, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche, Leconte, Marie, Sueur, Sutour, Temal et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 9
Insérer deux alinéas ainsi rédigés :
… Après l’article 222-22-2, il est inséré un article 222-22-3 ainsi rédigé :
« Art. 222-22-3 – Tout acte de pénétration sexuelle par une personne majeure sur ou avec un mineur de treize ans constitue le crime de violence sexuelle sur enfant. Il est puni de vingt ans de réclusion criminelle. La tentative est punie des mêmes peines. » ;
La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Je ne vais pas revenir sur ce qui a motivé le dépôt de cet amendement. Nous avons longuement discuté de la nécessité de fixer un seuil d’âge entraînant une qualification criminelle. Je vais simplement apporter une précision, car une confusion a peut-être été introduite précédemment.
Il existe tout un éventail de sanctions pénales pour les agressions sexuelles que subissent les mineurs, qui continuera évidemment d’exister si cet amendement était adopté. Il y a évidemment le viol, qui implique une pénétration, l’agression sexuelle, qui suppose l’absence de pénétration, la proposition sexuelle, la corruption de mineurs et le recours à des prostituées mineures. Toutes ces qualifications juridiques peuvent être complétées par des circonstances aggravantes, lorsqu’il s’agit d’ascendants, d’actes commis sous la menace d’une arme ou en réunion…
Cet éventail de sanctions, il s’agit simplement de le compléter. Je l’ai rappelé, un grand nombre d’instances prônent la criminalisation de l’acte de pénétration sexuelle de majeurs sur mineurs de moins de treize ans. Le procureur Molins, désormais promis à de nouvelles fonctions très importantes, a lui-même indiqué, lors de son audition à l’Assemblée nationale, qu’il lui paraissait cohérent d’instaurer ce seuil.
Nous nous trouvons à un moment clé de nos débats, qui ont été de grande qualité, me semble-t-il, bien que j’aie peu d’ancienneté au Sénat. Je ne vous surprendrai donc pas en vous disant, sous la haute autorité du président de mon groupe, que notre groupe demandera un scrutin public sur cet amendement. (Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie Mercier, rapporteur. La commission est défavorable à l’amendement n° 130 du Gouvernement.
L’introduction d’une présomption de culpabilité, même simple, en matière criminelle porte atteinte au principe constitutionnel de présomption d’innocence, mais cette atteinte est proportionnée à l’objectif d’intérêt général que l’on cherche à atteindre, à savoir la répression des infractions sexuelles commises à l’encontre des mineurs. La définition de notre présomption de contrainte nous semble donc répondre aux exigences constitutionnelles.
La commission est défavorable aux amendements identiques nos 75 rectifié bis, 86 rectifié et 105, qui visent à créer une présomption de contrainte en cas d’acte de pénétration sexuelle commis par un majeur sur un mineur de treize ans. Cette disposition pose plusieurs difficultés.
En fragmentant le régime de protection des mineurs, l’adoption de ces amendements aurait pour conséquence de moins protéger les mineurs de treize à quinze ans. Ce risque a d’ailleurs été souligné par le Défenseur des droits et la Défenseure des enfants. Ce risque a également été souligné par des représentants de la chambre criminelle.
L’introduction d’un « âge seuil » risque également d’être interprétée par les juridictions comme une limite, par exemple, pour l’application de la notion de contrainte morale. La création d’une telle présomption ferait ainsi courir le risque que les juridictions ne reconnaissent plus l’existence d’une contrainte morale pour les victimes mineures de plus de treize ou quinze ans. L’instauration d’une présomption de non-consentement en deçà de treize ans instaurerait une zone grise quant à la répression pénale de ces comportements, qui pourraient inciter à se reposer exclusivement sur la qualification pénale d’atteinte sexuelle et donc insuffisamment mobiliser la qualification pénale de viol. Or telle n’est pas ici l’intention.
Aujourd’hui, en raison de la majorité sexuelle fixée à quinze ans, les mineurs de quinze ans bénéficient d’une protection particulière. Les circonstances aggravantes dépendent également de la minorité de quinze ans. Introduire un deuxième seuil d’âge reviendrait à affaiblir ce seuil de quinze ans.
Mme Laurence Rossignol. Pas du tout !
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Mais non !
Mme Marie Mercier, rapporteur. Mais si !
La commission est également défavorable aux amendements identiques nos 74 rectifié bis et 95 rectifié bis ainsi qu’aux amendements nos 104 rectifié et 24 rectifié bis.
Le Sénat s’est déjà prononcé sur cette question lors du vote de la proposition de loi de notre collègue Philippe Bas en mars dernier.
La création d’un seuil d’âge de criminalisation paraît simple et évidente. Néanmoins, il est inopérant et contre-productif de fragmenter les régimes de protection des mineurs en fonction d’un seuil d’âge. Il est préférable de privilégier une appréciation concrète de chaque situation plutôt qu’une automaticité.
La proposition de loi adoptée par le Sénat au mois de mars 2018 permet de protéger toutes les victimes mineures, quel que soit leur âge. L’introduction d’un seuil d’âge ne protégerait qu’une partie d’entre elles. Pourquoi retenir une telle solution inégalitaire ? Pourquoi faudrait-il, en matière de viol, fragmenter la protection des mineurs entre les moins de treize ans et les treize ans et plus, entre ceux qui ont douze ans et onze mois et ceux qui ont treize ans et un jour ? (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Mais le viol existe toujours !
Mme Marie Mercier, rapporteur. Il est injuste et inefficace de prévoir une protection accrue de certaines victimes en fonction seulement d’une date d’anniversaire, et donc d’un seuil d’âge. Comme l’a souligné le rapport de la mission pluridisciplinaire, cette solution aurait pour effet de porter l’âge de la majorité sexuelle à treize ans, alors qu’il est aujourd’hui fixé à quinze ans. Les prédateurs sexuels le savent très bien.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Bien sûr !
Mme Marie Mercier, rapporteur. Surtout, une telle disposition est manifestement contraire à la Constitution.
Je fais miens les arguments de Mme le garde des sceaux et du président Philippe Bas sur l’inconstitutionnalité d’une telle disposition.
Aujourd’hui, au regard des enquêtes de sexualité réalisées en France, il est parfaitement envisageable d’imaginer une adolescente de douze ans et demi, amoureuse, dans une relation librement consentie avec un partenaire de dix-sept ans et demi. Ces situations existent, même si elles restent assez exceptionnelles. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme Michelle Meunier. Et alors ? On le sait !
Mme Marie Mercier, rapporteur. Mes chers collègues, nous avons le même but, celui de protéger tous les enfants !
La poursuite de cette relation au-delà de la majorité du partenaire le plus âgé qualifierait automatiquement de crime, et non pas de délit comme actuellement, un tel comportement. On ne peut pas prendre le risque d’une telle injustice. Ce n’est vraiment pas possible ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Je crains de me répéter, puisque j’ai déjà présenté les principaux éléments de mon argumentation sur les amendements identiques nos 75 rectifié bis, 86 rectifié et 105, auxquels je suis défavorable.
Je ne reprends pas l’argument sur les exigences constitutionnelles et conventionnelles que j’ai eu l’occasion d’exposer devant vous. J’ajouterai simplement que, en matière criminelle, le principe de la présomption d’innocence paraît interdire l’instauration d’une présomption, même simple, de culpabilité. Le risque d’inconstitutionnalité est évidemment encore plus grand si la présomption est irréfragable, ce qui ne résulte pas des amendements proposés,…
Mme Laurence Rossignol. Voilà !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. … mais qui apparaît, à la lecture des objets, correspondre aux intentions de leurs auteurs.
Il me semble également que ces amendements méritent un avis défavorable pour des raisons pratiques, qui sont plurielles.
Si l’on fixe une présomption pour l’âge de treize ans, cela précarise la situation des mineurs de plus de treize ans, pour lesquels, en quelque sorte, sera posée implicitement par le législateur une présomption de consentement, ce qui sera évidemment invoqué par la défense.
Si, comme il résulte du texte, la présomption n’est pas présentée comme irréfragable, un débat sera en tout état de cause toujours possible sur l’existence ou non de la contrainte.
En outre, comme j’ai déjà eu l’occasion de l’indiquer en défendant l’amendement de suppression, on ne sait pas comment, d’un point de vue procédural, l’existence d’une présomption sera prise en compte devant une cour d’assises, tant au regard de la procédure et des questions à la cour qu’en ce qui concerne l’exigence de motivation.
Par ailleurs, une telle disposition, par nature plus sévère, ne pourrait s’appliquer, je l’ai déjà dit, immédiatement aux faits commis avant la nouvelle loi, à la différence de la disposition interprétative que nous proposons.
En dernier lieu, je le répète, mais sans reprendre le raisonnement, il me semble que la disposition interprétative du Gouvernement permet d’atteindre au mieux les objectifs visés.
Les amendements identiques nos 74 rectifié bis et 95 rectifié bis, qui visent à criminaliser toutes les relations sexuelles avec des mineurs de treize ans, ne peuvent recevoir qu’un avis défavorable du Gouvernement, pour des raisons similaires à celles que je viens d’exposer.
Comme je l’ai déjà dit, il n’est pas opportun, me semble-t-il, de fixer des règles spécifiques pour les mineurs de treize ans, car la fixation d’un double seuil d’âge – quinze ans pour préciser les notions de contrainte et de surprise ; treize ans dans d’autres cas – aboutirait à une réforme particulièrement complexe, assez peu lisible et compréhensible pour l’opinion publique. Surtout, la fixation d’un seuil de treize ans donnerait, à tort, bien sûr, l’impression qu’une atteinte sexuelle commise par un majeur sur un mineur plus âgé serait plus ou moins licite, ce qui n’est évidemment pas acceptable. À mon sens, un seul et unique seuil doit être fixé par le code pénal : c’est celui qui existe déjà, c’est-à-dire quinze ans.
En pratique, je crois que le texte interprétatif du Gouvernement pourra avoir des conséquences similaires, tout en étant immédiatement applicable.
Sur l’amendement n° 104 rectifié, présenté par Mme Cohen, et l’amendement n° 24 rectifié bis, présenté par Mme de la Gontrie, mon avis est le même que sur les amendements précédents.
Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour explication de vote.
Mme Esther Benbassa. Les amendements qui viennent d’être défendus, notamment par ma collègue Laurence Cohen, visent à instaurer un seuil d’âge de treize ans en deçà duquel tout acte de pénétration sexuelle commis par un adulte serait un crime, passible de vingt ans de réclusion criminelle. Il s’agit de créer un crime autonome de celui de viol et de sortir ainsi de la question du consentement et des définitions, parfois sujettes à caution, des critères de « violence, contrainte, menace ou surprise ». Cette proposition correspond à la recommandation n° 1 qui conclut le rapport d’information de la délégation aux droits des femmes ; elle est également portée par de nombreuses associations de lutte contre les violences sexuelles commises sur les enfants.
En dépit de mon appréhension quand il s’agit de créer de nouvelles infractions et de mon aversion naturelle pour le mouvement qui conduit à l’instauration d’une justice d’exception créée selon la spécificité de certaines victimes, j’ai choisi d’être cosignataire de l’amendement n° 104 rectifié. L’émotion suscitée par les affaires de Meaux et de Pontoise, les affirmations, souvent fausses, qui ont été relayées auprès de nos concitoyens et les débats, parfois très violents, qui ont eu lieu depuis quelques mois m’ont convaincue d’une chose : il faut faire preuve de pédagogie auprès de nos concitoyens afin qu’un débat serein puisse avoir lieu.
Si, selon un récent sondage IPSOS, 81 % des Français sont favorables à ce que la loi prévoie un seuil d’âge minimum en dessous duquel un acte de pénétration sexuelle commis par une personne majeure serait automatiquement considéré comme un viol, on ne peut balayer cela d’un revers de main.
S’agissant d’enfants, le désir de protection porté par chacun d’entre nous est légitime et mérite, comme c’est le cas aujourd’hui, un débat sérieux, loin de toute caricature et de tout clivage partisan.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Pierre Monier, pour explication de vote.
Mme Marie-Pierre Monier. Nous sommes tous d’accord ici pour dire que nos débats doivent permettre d’aboutir à un texte qui devra, avant tout, protéger les mineurs victimes de viol en fixant un interdit suffisamment fort, qui serve à la fois à la pénalisation des auteurs et à la prévention.
Les diverses auditions et les travaux menés non seulement par la délégation aux droits des femmes, mais également par le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, ainsi que par de nombreuses associations, ont montré qu’il est extrêmement important pour le parcours de reconstruction de ces victimes d’être reconnues comme victimes d’un crime, plutôt que comme victimes d’un délit.
L’article 121-3 du code pénal dispose, dans son premier alinéa, qu’« il n’y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre », en conséquence de quoi la caractérisation de l’infraction à la loi en matière d’agissements sexuels reconnaît le caractère intentionnel. Ce point n’est donc pas l’objet de débat ; il reste à préciser les termes juridiques qui permettront une application harmonieuse du code pénal sur l’ensemble du territoire.
Le texte qui sera issu de nos débats doit laisser le moins de prise possible à la subjectivité. Pour cela, il doit définir l’acte de pénétration sexuelle par une personne majeure sur ou avec un mineur de treize ans comme un crime. C’est à cette condition seulement que l’acte sera passible des mêmes sanctions que celles prévues en cas de viol, sans que les critères de violence, contrainte, menace ou surprise définis par l’article 222-23 du code pénal soient pris en considération et sans que puisse être évoquée la question du consentement de la victime. Aucune règle au niveau européen ne s’oppose à l’adoption d’une telle proposition, puisqu’une telle mesure existe déjà au Royaume-Uni ou encore en Belgique.
L’adoption de l’amendement n° 24 rectifié bis créera une nouvelle incrimination pénale spécifique, celle de crime de violence sexuelle sur enfant, posant l’interdiction absolue pour tout majeur de commettre un acte de pénétration sexuelle sur un enfant, comme le recommande notamment le Conseil national de la protection de l’enfance. C’est le moyen le plus efficient pour poser un interdit clair à destination des adultes.
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Houpert, pour explication de vote.
M. Alain Houpert. Devant ce salmigondis d’amendements, je ne comprends plus rien. On parle de treize ans, de quinze ans, de vulnérabilité, de contrainte. Je ne suis pas juriste ; je suis un simple médecin, comme Mme la rapporteur. Je viens d’avoir soixante ans et, à l’instar de Jean Gabin, je dirai que, maintenant, je sais qu’on ne sait rien.
Comme je ne sais rien, je lis des articles scientifiques, que l’on ne peut pas contester, où il est écrit que beaucoup de pathologies sont les conséquences de violences sexuelles vécues dans l’enfance : le diabète, l’hypertension, certains cancers, l’endométriose et d’autres pathologies gynécologiques et rectales, ORL, des maladies auto-immunes, des colopathies fonctionnelles, des fibromyalgies. Bref, cela concerne beaucoup de pathologies, d’une gravité telle qu’elles engendrent des lésions neuroanatomiques et, parfois, des modifications du génome.
Mes chers collègues, la violence sexuelle détruit l’humanité, car elle est la racine de la plupart des faits de violence extrême, y compris d’actes de terrorisme. Il faut la combattre clairement et protéger les enfants, qui en sont les premières victimes.
J’entends parler de maturation sexuelle. Les études de neuroanatomie situant la fin de la maturation du cerveau à trente ans, n’ayons pas tort trop tôt et laissons une chance aux enfants de quinze ans.
Mme la présidente. La parole est à M. François Pillet, pour explication de vote.
M. François Pillet. Cet après-midi, je constate deux choses.
Tout d’abord, nous avons tous la même volonté, la même préoccupation, que nous défendons avec la même énergie. Il est heureux que cette volonté, cette préoccupation s’expriment, car si tel n’était pas le cas, ou alors avec quelques bémols, ces paroles seraient non seulement illégitimes, mais également insupportables.
Ensuite, nous entendons deux discours, deux thèses, et nous n’arrivons pas à nous entendre, parce que je crains que nous n’ayons pas l’habitude, dans cet hémicycle, d’être convaincus lorsque nous avons déjà nos idées préconçues.
Sur ces deux thèses, pourquoi est-ce que je choisis celle de la commission ? Parce qu’elle offre, et je ne reviendrai pas sur tous les éléments, le même traitement protecteur aux enfants, qu’ils aient dix ans, onze ans, douze ans, treize ans, quatorze ans et jusqu’à quinze ans. Je choisis cette thèse, également, parce que cette rédaction permet aux citoyens de comprendre.
Pourquoi n’avons-nous pas la même vision des choses ? À mon sens, c’est parce que nous avons inconsciemment la peur du juge, dont nous voulons, pour certains, nous prémunir. Il ne faut pas !
Depuis le début de l’après-midi, nous parlons de situations dans lesquelles il y a eu des poursuites devant les tribunaux. Les juges jugent, les juges sanctionnent, sans indulgence particulière lorsqu’elle n’est pas méritée !
Qui sont les juges ? Il s’agit de juges professionnels, à savoir les juges du tribunal correctionnel, auxquels, parfois, l’avocat de la victime demande de juger une affaire qui aurait pu être qualifiée de viol pour ne pas aller devant la cour d’assises, car il a la certitude que, devant le juge professionnel, il obtiendra une condamnation qu’il risque de ne pas obtenir devant la cour d’assises.
Qui sont les juges de la cour d’assises ? Ce sont ceux qui nous élisent ! Ont-ils moins de clairvoyance lorsqu’ils élisent leurs représentants que lorsqu’ils jugent ? Que craignez-vous de ces juges ? Ce sont eux qui ont la totale légitimité.
Par expérience, je puis vous assurer que toutes les plaintes déposées pour des enfants victimes ont fait l’objet de poursuites. Le seul problème, aujourd’hui, c’est que nous n’avons pas beaucoup parlé de ce qui est le point fondamental. Heureusement, Mme la rapporteur a fait inscrire au tout début de notre texte un certain nombre d’orientations qui permettront d’aller plus loin. Il ne faudrait tout de même pas que, dans trois ou quatre ans, lorsque nous ferons le bilan de la loi,…
Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. François Pillet. … nous nous apercevions que, même involontairement, nous avons uniquement fait preuve de bonne conscience.
Notre travail, c’est de faire en sorte que la parole se libère, car, quand elle se libère, nous n’avons plus besoin de prescription à trente ans : la justice rend la justice ! Voilà ce qu’il faut pour les victimes, et non pas des mesures qui n’apporteront rien à la protection des mineurs. C’est la solution la plus efficace. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.
Mme Laurence Cohen. Intervenant après mon collègue François Pillet, dont je trouve toujours les explications très claires, je vais essayer de dire pourquoi nous pouvons réussir à cheminer ensemble.
Effectivement, il y a deux thèses. Celle proposée par la commission des lois, qui a fait un gros travail, pose une difficulté : on ne sort pas de la définition du viol, qui implique violence, contrainte, menace ou surprise, malgré les précisions apportées – vulnérabilité de la victime, absence de discernement, différence d’âge.
Les tenants de l’autre thèse, qui n’est pas à opposer, car elle vise aussi à protéger les mineurs, militent pour la création d’une infraction spécifique.
Madame la garde des sceaux, vous nous dites que la présomption irréfragable correspondrait, à leur corps défendant, à l’intention des auteurs et des autrices…
Mme Catherine Deroche. Des « autrices »…
Mme Laurence Cohen. … des amendements visant à créer une infraction spécifique. Je suis désolée, mais on ne juge pas un texte de loi par rapport aux objets des amendements. Seule compte la façon dont on rédige la loi. Je ne comprends pas votre argument.
En outre, il semblerait que ce qui coince – pardonnez-moi cette expression un peu familière –, c’est l’existence de deux seuils, l’un de treize ans et l’autre de quinze ans. Mes chers collègues, si vous estimez que quinze ans est le bon seuil, ne retenons que celui-là. De la sorte, nous pourrons nous mettre d’accord pour protéger les mineurs.
Je vous rappelle que, si vous adoptez notre logique en retenant le seuil de treize ans, la loi actuelle continuera à s’appliquer pour les mineurs de plus de treize ans. Le code pénal ne va pas tout d’un coup voler en éclats ! Ne créons pas des peurs inutilement. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain. – Mmes Annick Billon, Françoise Laborde et Michèle Vullien applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Bigot, pour explication de vote.
M. Jacques Bigot. Je voudrais remercier notre collègue François Pillet d’avoir démontré que, finalement, nous n’avons pas besoin de cette loi. Je pense que Mme la secrétaire d’État, qui, depuis des mois, cherche à démontrer à la population que, sur l’initiative du Président de la République, quelque chose d’important va être fait, va tout de suite réagir en disant que ce n’est pas vrai…
Monsieur Pillet, vous avez justement démontré que la justice fonctionne. Ce qui manque le plus, en réalité, c’est un travail de l’exécutif en matière de prévention et de sensibilisation, notamment à la dénonciation des faits.
Madame la garde des sceaux, je suis vraiment embarrassé. Vous nous avez dit qu’il n’était pas possible d’instaurer cette présomption, car, selon le Conseil d’État, ce serait inconstitutionnel. Dès lors, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteur, vous allez mettre les victimes dans une situation extrêmement dangereuse : le jour où une cour d’assises prononcera une condamnation en se fondant sur cette présomption, une question prioritaire de constitutionnalité sera déposée ; j’imagine alors le parcours terrible, terrifiant pour la victime. Monsieur le président de la commission des lois, vous qui êtes membre du Conseil d’État et qui connaissez bien la jurisprudence du Conseil constitutionnel, qu’en dites-vous ?
Et nous devons choisir là-dedans ! Quel sera le résultat ? Il n’y en aura aucun !
Madame la garde des sceaux, je m’abstiendrai sur votre amendement, parce que je ne sais plus où est la vérité.
Il faut savoir que nous avons évolué. En effet, monsieur le président de la commission des lois, après la proposition que vous avez faite sur le rapport de Mme Mercier, nous n’avions pas encore proposé l’amendement n° 24 rectifié bis. Nous avons eu une réflexion et suivi un parcours. Je souhaite, madame la secrétaire d’État, que, pour respecter la promesse du Président de la République, vous acceptiez de suivre ce parcours et de reconnaître qu’il y a un âge où il ne peut pas y avoir de relations sexuelles entre un majeur et un mineur. Que vous fixiez cet âge à quinze ans, parce que le Président de la République en a parlé, ne me pose pas de problème. L’essentiel est d’affirmer qu’un mineur d’un certain âge ne peut pas avoir de relations sexuelles avec un majeur. C’est un interdit qu’il faut poser ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – Mme Françoise Laborde applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.
Mme Laurence Rossignol. Pour répondre à notre collègue Pillet, qui souhaite que nous progressions dans notre capacité à travailler ensemble, je voudrais dire deux choses.
D’abord, notre assemblée est capable de le faire, peut-être pas dans cette formation-là, mais dans une formation plus restreinte. C’est ce qui s’est passé au sein de la délégation aux droits des femmes. Nous avons en effet adopté à l’unanimité des recommandations allant dans le sens d’une incrimination spécifique pour un crime de violence sexuelle sur mineur. Si nous n’y parvenons pas ici, c’est parce que d’autres logiques viennent se superposer aux logiques de travail : des logiques de groupe, de solidarité… (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) C’est pourtant exactement ce qui se passe !
M. François Pillet. Pas sur un tel sujet ! Non !
Mme Laurence Rossignol. Monsieur Pillet, permettez-moi de reprendre les faits. La délégation aux droits des femmes était unanime sur la proposition présentée tout à l’heure par Mme Annick Billon, sa présidente, mais nous avons vu plusieurs collègues de la délégation revenir en disant que tel n’était finalement pas leur premier choix.
Mme Dominique Estrosi Sassone. Ne parlez pas pour elles !
Mme Laurence Rossignol. Je maintiens que les positions ont évolué en fonction de logiques différentes des logiques de travail.
Ensuite, concernant la justice et les juges, l’angle mort n’a pas été découvert en octobre 2017, avec les affaires de Pontoise et de Melun, mais en octobre 2016, un an avant, par le rapport sur le viol du Haut Conseil à l’égalité, qui pointait cette lacune dans le code pénal. Il n’y a donc pas eu que deux affaires, mais bien davantage, puisque le Haut Conseil à l’égalité avait identifié le problème. Nous ne réagissons pas parce que, en deux circonstances, la justice aurait fauté. Nous avons une vraie raison de discuter de ces amendements.
Je vous sais gré, madame la garde des sceaux, d’avoir relevé l’absence de présomption dans la rédaction de nos amendements. Laurence Cohen l’a très bien dit voilà un instant, nous nous sommes totalement éloignés des critères constitutifs d’un viol pour créer une incrimination spécifique. Vous ne pouvez donc pas dire que cette présomption serait cachée quelque part dans nos intentions ou dans l’objet des amendements. Je le répète, nous ne voulons pas une présomption ; nous voulons une incrimination spécifique, ce qui n’est pas la même chose.
Madame la rapporteur, je ne comprends pas toujours vos positions. Pour récuser nos amendements, vous nous avez répondu que la présomption, même simple, n’était pas possible en droit pénal. Pourtant, un quart d’heure avant, vous avez défendu les alinéas 8 et 9, qui disposent que la contrainte est présumée lorsque l’acte de pénétration sexuelle est commis. Vous défendez donc un projet dans lequel la contrainte est présumée et vous nous dites après, contre nos amendements, qu’il ne peut pas y avoir de présomption. Ce n’est pas cohérent !
Nous devons nous demander ce que l’opinion publique comprendra de ce que nous sommes en train de faire. À mon sens, pas grand-chose ! Par conséquent, il serait peut-être raisonnable de ne pas voter l’article 2 et de revenir dans quelques semaines ou dans quelques mois, à l’occasion d’un autre texte proposé par Mme la garde des sceaux, pour effectuer un travail sérieux sur les violences sexuelles sur mineurs.