M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Non, on légifère pour tout le monde !
Mme Laurence Cohen. À vouloir être trop prudent, on ne protège pas davantage, me semble-t-il. On fait peut-être une loi bavarde, mais elle ne protégera pas les mineurs. Or c’est ce qui nous tient, toutes et tous, à cœur, je ne veux pas en douter ici !
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.
Mme Laurence Rossignol. L’un de vos arguments me trouble, madame la garde des sceaux.
Vous avez parlé de l’inconvénient d’établir un seuil de non-consentement – pardonnez-moi cette facilité d’expression, mais nous nous comprenons – : si deux personnes étaient jugées le même jour, l’une pourrait être jugée selon le code pénal actuel et l’autre selon le code pénal nouveau. Mais c’est à peu près le cas à chaque fois que l’on fait une loi pénale ! On ne se pose pas cette question d’habitude. Quand on réforme le droit pénal en matière de terrorisme ou dans d’autres domaines, la non-rétroactivité prévaut.
Mme Laurence Rossignol. Certes, mais il fallait dire dès le départ, ce qui n’a jamais été le cas, que l’on ne pourrait pas aller au-delà d’articles interprétatifs.
Vous avez raison, la prescription est de trente ans, mais je crains que les violences sexuelles sur enfants ne soient encore un sujet de préoccupation des pouvoirs publics dans trente ans. On peut aussi légiférer à trente ans, même si nous n’avons pas l’habitude de légiférer à cet horizon.
Par ailleurs, vous êtes revenue sur la question de l’intentionnalité, second point qui m’interpelle.
Je pensais avoir été assez claire cet après-midi sur ce sujet. Quand il y a pénétration, l’intention ne fait aucun doute. Celui qui pénètre a l’intention de le faire, pardonnez-moi ces précisions, mes chers collègues.
Les questions que l’on peut se poser sont les suivantes : l’auteur savait-il que la victime était mineure ? Et a-t-il été trompé ? Il y a toujours l’opportunité des poursuites, et il pourra toujours faire valoir ses arguments devant la juridiction visée.
Vous avez argué que l’on ne peut pas ôter la notion de maturité sexuelle suffisante à la fin du troisième alinéa de l’article 2 dans la rédaction proposée par la commission, sauf à tomber dans l’automaticité. Permettez-moi de relire l’article : « la contrainte morale peut résulter de la différence d’âge ». Elle « peut » en résulter, il n’est pas écrit que la contrainte morale « résulte » de la différence d’âge. Là encore, cela signifie qu’elle pourra aussi ne pas être identifiée en fonction des faits de l’espèce.
En conséquence, nous nous abstiendrons sur l’amendement du Gouvernement, parce que les deux versions qui nous sont proposées, celle de la commission des lois ou celle du Gouvernement, ne sont pas de nature à nous permettre d’atteindre les objectifs poursuivis et rendent le code pénal encore plus confus.
Mme la présidente. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Marie Mercier, rapporteur. Je veux préciser que le texte proposé par la commission des lois vise à protéger les relations des mineurs, en particulier les mineurs de quatorze ou de quinze ans, avec un adulte de dix-huit ou de dix-neuf ans. On se trouve là dans un cas de figure où la différence d’âge n’est pas significative et où il n’y a pas d’autorité de droit ou de fait exercée sur la victime. Notre troisième critère alternatif vise vraiment à couvrir le maximum de situations, voire toutes les situations.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 23 rectifié.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant de la commission.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 192 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 343 |
Pour l’adoption | 116 |
Contre | 227 |
Le Sénat n’a pas adopté.
L’amendement n° 58 rectifié, présenté par Mmes Rossignol, de la Gontrie, Lepage, Blondin et Cartron, M. Courteau, Mmes M. Filleul, Jasmin, Monier, Meunier, Conway-Mouret et Lubin, MM. Jacques Bigot, Durain et Fichet, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche, Leconte, Marie, Sueur, Sutour, Temal et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 5
Insérer trois alinéas ainsi rédigés :
« La violence prévue par les dispositions des premiers alinéas des articles 222-22, 222-22-2 et 222-23 peut être de toute nature. Elle peut résulter des violences psychologiques mentionnées à l’article 222-14-3 du présent code ;
« La menace prévue par les dispositions des premiers alinéas des articles 222-22, 222-22-2 et 222-23 peut être commise par tout moyen, y compris à la faveur d’un environnement coercitif ;
« La surprise prévue par les dispositions des premiers alinéas des articles 222-22, 222-22-2 et 222-23 peut résulter de manœuvres dolosives ou de l’abus de l’état d’inconscience de la victime, y compris si cet état découle d’un comportement volontaire de celle-ci. » ;
La parole est à Mme Laurence Rossignol.
Mme Laurence Rossignol. Dans la mesure où ce projet de loi a une vocation interprétative, cet amendement, inspiré par les travaux du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes et ceux de la Fondation des femmes, travaux eux-mêmes inspirés par les enquêtes de terrain réalisées par les membres de cette instance et de cette association, vise à préciser à la fois le caractère éventuellement psychologique des violences, l’étendue des formes de pression pouvant être constitutives de menaces, en y incluant le caractère coercitif d’un environnement – on pense au bizutage au cours duquel des jeunes filles ou des jeunes garçons peuvent se retrouver dans des situations où ni le consentement ni le non-consentement n’ont pu être identifiés et qui sont déterminés par l’environnement –, et la prise de conscience des stratégies tendant à tromper la victime. Il s’agit ici de préciser le respect du consentement.
J’y insiste, cet amendement est né de l’analyse de la jurisprudence et de ce qui s’est dit dans les instances.
Par ailleurs, madame la garde des sceaux, vous avez parlé d’un amendement sur l’alcoolisation des victimes. Comment un tel amendement s’articulerait-il avec le mien ?
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie Mercier, rapporteur. Cet amendement vise à inscrire dans la loi des clarifications concernant les éléments constitutifs des agressions sexuelles, notamment du viol, mais il est mal rédigé. En effet, ce type de dispositions visant à interpréter des notions de droit pénal n’a pas d’effet normatif. La jurisprudence n’a d’ailleurs pas besoin de ces précisions : l’analyse de la jurisprudence récente démontre bien la prise en compte des violences psychologiques par les juridictions.
De surcroît, il nous semble maladroit de renvoyer aux violences psychologiques délictuelles prévues par d’autres articles du code pénal, la notion de violence psychologique pour l’exercice d’un viol étant plus large et détachée d’une attraction particulière.
C’est pourquoi je vous demande de bien vouloir retirer votre amendement, ma chère collègue ; à défaut, j’émettrai un avis défavorable.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Très bien !
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Il ne me semble pas nécessaire de préciser les notions de « violence », de « menace » et de « surprise ». Soit elles ne suscitent pas de difficultés d’interprétation, à l’inverse de la contrainte morale, soit elles sont déjà définies dans la loi, notamment à l’article 222-14-3 du code pénal pour ce qui concerne les violences. On sait par ailleurs que ces violences peuvent être psychologiques.
En outre, indiquer que les violences peuvent être « de toute nature » et que les menaces peuvent être commises « par tout moyen » revient à employer des expressions qui ne me semblent pas nécessairement normatives.
Pour ces raisons, j’émets un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie, pour explication de vote.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. J’essaie de comprendre…
Le président Bas nous a expliqué il y a quelques minutes, dans un long développement sur la façon dont est rédigé l’article 2, que la formulation sur la contrainte morale qui a été retenue par la commission des lois n’était pas normative, mais plutôt interprétative. Il a ajouté que, même si l’on pouvait estimer qu’elle n’était pas idéale, la règle de droit serait désormais celle-ci et qu’il s’agissait d’une bonne chose, parce qu’elle permettrait de mieux protéger les victimes. Je résume !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Vous le faites très bien !
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. À l’instant, mon groupe, par la voix de notre collègue Rossignol, a appliqué ce précepte à la notion de violence. Or Mme la rapporteur nous répond que notre amendement n’est pas normatif, qu’il est interprétatif et que, en conséquence, il ne peut pas rester en l’état. Je ne sais plus quoi penser !
Cela signifie-t-il que ce qui est possible pour la contrainte morale ne le serait pas pour la violence ? Est-ce parce que l’amendement n’est pas normatif ou parce qu’il ne serait qu’interprétatif ? Dans ce cas, pourquoi pourrait-on interpréter la notion de contrainte et pas celle de violence ?
M. Jacques Bigot. Parce que c’est nous qui le proposons !
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Je pense qu’il y a un problème.
Nous enrichissons le texte et permettons une meilleure interprétation par le juge de ce qu’est la violence. Encore une fois, si l’on pense aux victimes, il est important de guider le juge dans son interprétation.
Comme mon groupe, je voterai évidemment l’amendement présenté par notre collègue Laurence Rossignol.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 58 rectifié.
(Après une épreuve à main levée déclarée douteuse par le bureau, le Sénat, par assis et levé, adopte l’amendement.) – (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Michèle Vullien applaudit également.)
Mme la présidente. L’amendement n° 15 rectifié bis, présenté par Mme Meunier, MM. Roger, Bérit-Débat et Iacovelli, Mme Jasmin, MM. Courteau, Duran et Mazuir, Mmes Conway-Mouret et Ghali, MM. Vaugrenard, Antiste et Daudigny, Mmes Tocqueville, Blondin, Préville, Bonnefoy et Van Heghe, M. Lalande, Mme Guillemot, MM. P. Joly et Madrelle, Mme S. Robert, M. Manable et Mmes Féret et Lepage, est ainsi libellé :
Alinéa 7
Rédiger ainsi cet alinéa :
a) Au premier alinéa, les mots : « commis sur » sont remplacés par les mots : « imposé à » ;
La parole est à Mme Michelle Meunier.
Mme Michelle Meunier. Actuellement, le viol est défini comme « tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise ». Or les termes « commis sur » posent problème. En effet, si un adulte force un enfant à lui faire une fellation, le droit considère qu’il s’agit d’un viol, car il y a eu pénétration du sexe de l’adulte dans la bouche de l’enfant. Si cet adulte fait une fellation de force à un enfant, les juges considèrent qu’il s’agit d’une agression sexuelle, car l’introduction du sexe de l’enfant dans la bouche de l’adulte n’est pas reconnue comme une pénétration commise sur le mineur.
Malgré les séquelles psychologiques identiques qu’auront ces deux actes sur l’enfant, l’un sera un crime et l’autre un délit, puni au maximum de dix ans d’emprisonnement, alors que la durée de la peine aurait été de vingt ans si l’acte avait été qualifié de viol.
Le remplacement des termes « commis sur » par les termes « imposé à » replace ainsi le consentement du mineur au cœur de l’infraction, ce qui correspond bien à l’objet de notre débat.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie Mercier, rapporteur. Ma chère collègue, nous sommes parfaitement d’accord avec vous,…
Mme Laurence Cohen. Bravo !
Mme Marie Mercier, rapporteur. … à tel point que votre amendement est satisfait par le texte de la commission. (Ah ! sur des travées du groupe socialiste et républicain.) En effet, la définition du viol a déjà été modifiée par la commission des lois, afin de réprimer comme des viols, et non comme des agressions sexuelles, les actes de pénétration sexuelle forcés, mais sur la personne de l’auteur.
La commission a précisé que le viol pouvait être caractérisé par des actes de pénétration sexuels commis, tant sur la personne d’autrui que sur la personne de l’auteur. Désormais, tout acte forcé de pénétration sexuelle, qu’il ait été réalisé sur la victime ou non, sera considéré comme un viol. Ainsi, les faits de fellation forcés que vous décrivez sont déjà couverts par l’alinéa 7 de l’article 2 du texte de la commission. Néanmoins, la rédaction proposée par la commission des lois nous paraît plus simple et sans ambiguïté.
Votre amendement étant satisfait, je vous demande de bien vouloir le retirer.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Je ne saurais mieux dire que Mme la rapporteur. Le Gouvernement sollicite donc le retrait de l’amendement ; à défaut, l’avis sera défavorable.
Mme la présidente. Madame Meunier, l’amendement n° 15 rectifié bis est-il maintenu ?
Mme Michelle Meunier. Non, je le retire, madame la présidente.
Mme la présidente. L’amendement n° 15 rectifié bis est retiré.
Je suis saisie de huit amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 130, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéas 8 et 9
Supprimer ces alinéas.
La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. L’amendement vise à supprimer la présomption simple de contrainte, qui a été introduite par la commission des lois.
Suivant l’avis du Conseil d’État, que nous avons évoqué à plusieurs reprises, le Gouvernement estime qu’il n’est pas possible, en matière criminelle, d’instaurer une présomption, même simple, au regard des exigences constitutionnelles et conventionnelles qui protègent la présomption d’innocence. Les seules présomptions admises par notre droit, de manière exceptionnelle, concernent la matière contraventionnelle ou délictuelle et prévoient, à chaque fois de façon très précise, les conditions permettant de les écarter.
Par ailleurs, la présomption qui est proposée par votre commission s’appliquerait, soit pour des mineurs incapables de discernement, ce qui constitue une hypothèse juridique claire, même si elle est difficile à prouver dans certains cas, soit en cas de différence d’âge significative entre l’auteur et la victime mineure, ce qui constitue en revanche, me semble-t-il, une notion particulièrement imprécise.
En pratique, que signifiera l’existence d’une présomption devant la cour d’assises ? Faudra-t-il que la cour et les jurés répondent à une question supplémentaire sur l’existence éventuelle d’une différence d’âge significative entre l’auteur et la victime ? En cas de réponse positive, faudra-t-il que la cour d’assises réponde à une autre question, celle consistant à savoir si la cour repousse ou non la présomption instituée par l’article 222-23 du code pénal ? Quelles seront enfin les conséquences de la présomption sur l’exigence de motivation ?
Bref, vous m’aurez comprise, il me semble que l’on ne peut pas construire une présomption, avec les conséquences graves que cela entraîne, à partir d’une définition juridique aussi floue que celle de la différence d’âge significative.
Pour toutes ces raisons, le Gouvernement souhaite la suppression de cette présomption simple.
Mme la présidente. Les trois amendements suivants sont identiques.
L’amendement n° 75 rectifié bis est présenté par Mmes Billon et Vullien, MM. Henno, Laugier, Bockel, Janssens, Longeot et Delahaye, Mme de la Provôté, MM. Canevet et Kern, Mmes Goy-Chavent et Dindar, MM. Louault, Delcros, Moga et Médevielle, Mmes Tetuanui, Létard, Joissains, Garriaud-Maylam, Vérien et Jasmin et MM. Cadic et Pellevat.
L’amendement n° 86 rectifié est présenté par Mme Laborde, MM. Collin, Corbisez et Gabouty et Mme Jouve.
L’amendement n° 105 est présenté par Mmes Benbassa, Cohen et Assassi, M. Bocquet, Mmes Brulin et Cukierman, MM. Gay et Gontard, Mme Gréaume, MM. P. Laurent et Ouzoulias, Mme Prunaud et MM. Savoldelli et Watrin.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Après l’alinéa 9
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« La contrainte est également présumée quand l’acte de pénétration sexuelle est commis par un majeur sur la personne d’un mineur de treize ans. » ;
La parole est à Mme Annick Billon, pour présenter l’amendement n° 75 rectifié bis.
Mme Annick Billon. Cet amendement vise à instaurer un seuil d’âge de treize ans en deçà duquel tout acte de pénétration sexuelle commis par un adulte sur un enfant doit être puni comme le viol aggravé. Il s’agit d’un amendement de repli par rapport à celui qui introduit dans le code pénal un article créant un crime de pénétration sexuelle sur mineur de treize ans.
Le présent amendement tend à compléter l’article 222-23 du code pénal, qui définit le viol. Il précise ainsi que la contrainte, qui constitue l’un des critères du viol, est nécessairement constituée quand l’auteur des faits est une personne majeure et que la victime est un enfant de moins de treize ans. Il marque ainsi l’interdiction d’un rapport sexuel entre un adulte et un enfant.
Ce seuil de treize ans a été retenu par cohérence avec le droit pénal, qui fixe la responsabilité pénale des mineurs à cet âge. Il permet par ailleurs de prendre en compte les relations sexuelles qui peuvent exister sans contrainte entre des adolescents et des adolescentes d’une quinzaine d’années et de jeunes majeurs et d’éviter que ces derniers ne se retrouvent accusés de viol. J’ajoute qu’au Royaume-Uni, pays qui n’est pas réputé bafouer les droits de la défense, un enfant de moins de treize ans n’a en aucune circonstance la capacité légale de consentir à une quelconque forme d’acte sexuel et que, en cas de pénétration sexuelle, l’auteur encourt la réclusion à perpétuité.
Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Laborde, pour présenter l’amendement n° 86 rectifié.
Mme Françoise Laborde. Je suis, moi aussi, favorable à ce seuil de treize ans.
J’ajoute que, même si beaucoup de dispositions allant dans le sens de ce que souhaite la délégation aux droits des femmes sont, hélas, rejetées ce soir, il faudra quand même garder la présomption simple, sinon je ne sais pas ce qu’il restera dans ce texte ! (Mme Victoire Jasmin applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour présenter l’amendement n° 105.
Mme Esther Benbassa. Mes arguments étant identiques, je ne vais pas m’étendre sur cette question très importante.
Quoi qu’il en soit, gardons au moins la présomption simple, parce que nous sommes en train de détricoter le texte. Je ne sais pas ce qu’il en restera à l’issue de la discussion.
Mme Laurence Cohen. Bravo !
Mme la présidente. Les deux amendements suivants sont identiques.
L’amendement n° 74 rectifié bis est présenté par Mmes Billon et Vullien, MM. Henno, Laugier, Bockel, Janssens, Longeot et Delahaye, Mme de la Provôté, MM. Canevet et Kern, Mme Dindar, MM. Louault, Delcros, Moga et Médevielle, Mmes Tetuanui, Létard, Joissains, Garriaud-Maylam, Vérien et Jasmin et M. Cadic.
L’amendement n° 95 rectifié bis est présenté par Mme Laborde, MM. Collin, Corbisez et Gabouty, Mme Jouve et M. Labbé.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Après l’alinéa 9
Insérer cinq alinéas ainsi rédigés :
… Après l’article 227-24-1 du code pénal, il est inséré un article 227-24-… ainsi rédigé :
« Art. 227-24-… – Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis par un majeur sur ou avec un mineur de treize ans est puni de vingt ans de réclusion criminelle.
« Il est puni :
« – de trente ans de réclusion criminelle lorsqu’il a entraîné la mort de la victime ;
« – de la réclusion criminelle à perpétuité lorsqu’il est précédé, accompagné ou suivi de tortures ou d’actes de barbarie. » ;
La parole est à Mme Annick Billon, pour présenter l’amendement n° 74 rectifié bis.
Mme Annick Billon. Le présent amendement a pour objet d’introduire dans le code pénal, dans la section relative à la mise en péril des mineurs, un article définissant le crime de pénétration sexuelle sur mineur de treize ans par un adulte.
Les critères de « violence, contrainte, menace ou surprise » prévus par l’article 222-23 du code pénal en matière de viol ne sont pas adaptés aux victimes les plus jeunes. Cette définition fait appel à une appréciation subjective du comportement de la victime, qui encourage la défense à faire peser la responsabilité de l’agression sur la victime. Or il revient aux adultes de protéger les enfants, et non aux enfants de se garder des agressions dont les menacent certains prédateurs.
Il est inacceptable que, en raison de cette subjectivité inhérente à la définition pénale du viol, les mêmes faits, dans des circonstances similaires, puissent être poursuivis pour viol ou pour atteinte sexuelle, leur auteur emprisonné ou acquitté, comme l’ont montré de récentes affaires. Il est essentiel que la loi affirme « l’interdiction absolue d’un rapport sexuel entre un adulte et un enfant, la violation de l’interdit constituant un crime ».
Je rappelle que la solution consistant à créer un seuil d’âge pour marquer un interdit n’est pas sans précédent : l’atteinte sexuelle sur un mineur de moins de quinze ans, qui constitue un délit, est conçue comme une interdiction de toute relation sexuelle avec une personne majeure, et non comme une présomption d’absence de consentement. L’atteinte sexuelle exclut donc les critères de menace, de contrainte, de violence ou de surprise, ainsi que toute appréciation sur le consentement éventuel de la victime. La même logique pourrait s’appliquer pour les relations sexuelles avec un mineur de moins de treize ans et un adulte.
L’élément intentionnel de l’infraction résulterait de la pénétration sexuelle elle-même. Posons-nous la question : peut-il y avoir des pénétrations sexuelles involontaires, comme il y a des homicides involontaires ? Il ne peut y avoir de pénétration sexuelle par hasard. Il résulterait aussi de la connaissance de l’âge de la victime par l’auteur des faits. Pour se défendre, celui-ci aurait la possibilité de prouver qu’il ne connaissait pas l’âge de la personne. Les droits de la défense seraient donc respectés.
Je rappelle que, il y a peu, cette assemblée était largement hostile à l’allongement des délais de prescription. Aujourd’hui, ces dispositions font majoritairement consensus. Je ne doute pas qu’il en sera de même pour la fixation d’un seuil en deçà duquel un rapport sexuel entre une personne majeure et un enfant sera considéré comme un crime. D’ici là, combien d’entre eux devront en payer le prix ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mmes Dominique Vérien et Michèle Vullien applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Laborde, pour présenter l’amendement n° 95 rectifié bis.
Mme Françoise Laborde. Ces amendements identiques ont bien sûr été débattus au sein de la délégation aux droits des femmes, mais, comme nous n’avons pas le droit de les déposer au nom de la délégation, nous les déposons en notre nom.
J’ajoute aux arguments qui viennent d’être avancés que le seuil de treize ans, comme le faisait très justement remarquer le rapport de nos collègues députés Erwan Balanant et Marie-Pierre Rixain, au nom de la délégation aux droits des femmes de l’Assemblée nationale, marque la limite indiscutable de l’enfance. Qui oserait décemment affirmer que, en dessous de cet âge, un enfant – car il s’agit bien d’enfants – pourrait consentir à se faire pénétrer par un adulte ? Mes chers collègues, je vous prie de m’excuser, car nos propos sont un peu difficiles ce soir…
Je reprends les mots de Danielle Bousquet, présidente du HCE, lors de son audition par la délégation aux droits des femmes : « Aucun enfant ne peut choisir en connaissance de cause d’avoir un rapport sexuel avec un adulte. » Jusqu’à quel âge est-on encore un enfant ? (Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Michèle Vullien applaudit également.)
Mme la présidente. L’amendement n° 104 rectifié, présenté par Mmes Cohen, Benbassa et Prunaud, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 9
Insérer cinq alinéas ainsi rédigés :
… Après l’article 222-22-2, il est inséré un article 222-22-… ainsi rédigé :
« Art. 222-22-… – Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, imposé par un majeur à un mineur de treize ans constitue le crime de violence sexuelle sur enfant. Il est puni de 20 ans de réclusion criminelle.
« Il est puni :
« – de trente ans de réclusion criminelle lorsqu’il a entraîné la mort de la victime ;
« – de la réclusion criminelle à perpétuité lorsqu’il est précédé, accompagné ou suivi de tortures ou d’actes de barbarie. » ;
La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Comme il a déjà été souligné, nous sommes plusieurs membres de la délégation aux droits des femmes à nous exprimer sur le sujet. Je trouve qu’il est important de montrer dans cette enceinte que nous sommes capables, malgré nos divergences politiques, de nous retrouver autour des mêmes amendements et, donc, de partager les mêmes objectifs. Cela donne une certaine force aux arguments que nous pouvons développer.
Je ne vais pas reprendre les arguments présentés précédemment, puisque je les partage. Je souhaite cependant ouvrir une réflexion qui, à mon sens, permettra de mieux comprendre les raisons pour lesquelles nous cherchons à créer ce délit spécifique.
Nous avons changé d’époque. Les prédateurs sévissent désormais dans un nouvel espace : internet, marqué par l’anonymat, l’exhibition de son intimité. La difficulté, notamment pour les jeunes, est de déterminer où se situent les limites. Que peut-on étaler ou pas sur internet ? Ils ont l’impression que, finalement, ce n’est pas grave, puisqu’ils s’adressent à des amis. Cela nous encourage à bousculer le droit, tout en respectant évidemment le cadre qui nous est donné, en créant une infraction spécifique pour poser clairement l’interdit.
Enfin, j’appelle votre attention sur le fait que les sénateurs et les sénatrices ne sont pas seuls à défendre ce point de vue. Les juristes, les avocats, les magistrats que nous avons auditionnés, et qui ont tous réfléchi à la question, ont trouvé qu’il s’agissait d’une bonne solution pour mieux protéger les mineurs. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain. – Mmes Annick Billon et Françoise Laborde applaudissent également.)