M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, sur l’article.

Mme Éliane Assassi. L’article 8 prévoit que le droit au maintien sur le territoire cesse dès la lecture en audience publique de la décision de la CNDA, et non plus à partir de la notification de la décision.

Cette disposition va à l’encontre de la notion de « notification », qui impose un envoi, mais aussi une réception dont il faut attester. Rappelons que, actuellement, la décision de la CNDA prend effet après sa notification au demandeur par courrier recommandé avec accusé de réception.

La mesure prévue à l’article 8 contrevient au droit à un recours effectif. Elle permettrait l’expulsion d’un demandeur alors même qu’il n’aurait eu connaissance ni du sens de la décision ni du contenu de sa motivation, et qu’il serait dès lors dans l’impossibilité de former un pourvoi en cassation dans le délai de deux mois qui lui est imparti.

En outre, l’article 8 prévoit d’élargir les cas où le recours devant la CNDA ne présentera plus de caractère automatiquement suspensif de l’éloignement. Seront ainsi concernés les demandeurs d’asile provenant d’un pays sûr, les demandeurs d’asile en procédure de réexamen et les demandeurs d’asile présentant une menace grave pour l’ordre public.

Dans ces hypothèses, le droit au maintien sur le territoire jusqu’à la décision de la CNDA sera supprimé. Le demandeur devra saisir le tribunal administratif pour solliciter la suspension de l’exécution de la mesure d’éloignement prononcée à son encontre jusqu’à la décision de la CNDA. Cela obligera les juges administratifs à statuer sur le fond des demandes d’asile, une compétence jusqu’à présent réservée à la CNDA.

Le juge administratif devrait alors examiner les éléments sérieux de la demande d’asile de nature à justifier le maintien ou non du demandeur sur le territoire français durant l’examen de celle-ci.

Or il apparaît que ce glissement du contentieux de l’asile vers le contentieux administratif est illisible et source de litiges, dans la mesure où il entraîne un examen en parallèle des mêmes éléments par des juges distincts et présente le risque que les deux procédures débouchent sur des décisions contradictoires.

Enfin, dans une lettre adressée aux députés français et publiée le 12 mars 2018, le commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe s’est lui-même dit inquiet de la suppression du caractère automatiquement suspensif des recours déposés devant la CNDA par certaines catégories de demandeurs d’asile.

M. le président. La parole est à M. Maurice Antiste, sur l’article.

M. Maurice Antiste. L’objectif de toute procédure d’asile consiste à protéger une personne contre tout renvoi dans son pays, dès lors qu’il existe un risque raisonnable qu’elle soit exposée à des persécutions. La procédure d’asile constitue donc le moyen principal pour s’assurer du respect du principe de non-refoulement, ce qui interdit de renvoyer une personne sur le territoire où sa vie, sa sécurité ou sa liberté seraient menacées.

Pour ne pas être théorique et inefficace, une procédure d’asile doit donc garantir que les demandeurs d’asile ne soient pas renvoyés dans leur pays, tant qu’une décision définitive n’est pas prise sur leur demande de protection.

Les États peuvent établir des procédures accélérées d’examen des demandes d’asile, en veillant toutefois à ce que tous les demandeurs bénéficient des mêmes garanties procédurales, ce qui implique la possibilité de saisir une juridiction contre la décision de refus d’octroi d’une protection internationale et de demeurer sur le territoire le temps de l’examen du recours, comme l’indique clairement le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés dans ses observations.

Or confier au juge administratif de droit commun, chargé de l’éloignement, le soin de déterminer si les arguments présentés devant la CNDA, dans un recours distinct, justifient de suspendre la mesure d’éloignement est particulièrement dangereux.

Seule la CNDA, juridiction administrative spécialisée dont la mission consiste, entre autres, à reconnaître la qualité de réfugié ou à attribuer le bénéfice de la protection subsidiaire, est compétente pour examiner les demandes de protection au titre de l’asile, puisqu’elle dispose d’une compétence de plein contentieux. Le juge administratif, quant à lui, n’est le juge ni de la qualité de réfugié, définie par la Convention de 1951, ni de la protection subsidiaire, définie par la loi française.

Par ailleurs, comme l’a indiqué le Conseil d’État dans son avis, le dispositif envisagé par le Gouvernement présente le grave inconvénient de multiplier les risques de discordance entre deux juridictions administratives, obligeant le tribunal administratif à porter une appréciation à laquelle il est mal préparé, et qui relève en réalité de l’offre du juge de l’asile, et ce, avant même que la CNDA ne statue.

Dès lors, il est nécessaire de renoncer à cette disposition, qui est contraire aux exigences d’une bonne administration de la justice. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.

L’amendement n° 9 est présenté par Mmes Benbassa, Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

L’amendement n° 229 rectifié bis est présenté par M. Leconte, Mme de la Gontrie, MM. Marie, Sueur, Durain et Fichet, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche et Assouline, Mme Blondin, MM. Devinaz et Iacovelli, Mmes Lepage, S. Robert et Rossignol, MM. Temal et J. Bigot, Mmes G. Jourda, Taillé-Polian, Meunier et les membres du groupe socialiste et républicain.

L’amendement n° 560 rectifié est présenté par Mme M. Carrère, M. Arnell, Mme Costes, MM. Artano, A. Bertrand, Castelli, Collin, Corbisez et Dantec, Mme N. Delattre, M. Gold, Mme Jouve, M. Labbé, Mme Laborde et MM. Menonville, Requier et Vall.

Ces trois amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à Mme Esther Benbassa, pour présenter l’amendement n° 9.

Mme Esther Benbassa. Par une décision du 13 août 1993, le Conseil constitutionnel a décrété que le respect du droit d’asile, principe à valeur constitutionnelle, implique, d’une manière générale, que l’étranger qui se réclame de ce droit soit autorisé à demeurer provisoirement sur le territoire jusqu’à ce qu’il ait été statué sur sa demande.

Il va sans dire que le présent article 8, qui supprime le caractère suspensif du recours devant la CNDA des décisions prises par l’OFPRA en procédure accélérée pour les demandes de ressortissants de pays d’origine sûrs et de ceux présentant une menace grave pour l’ordre public, est une atteinte sérieuse tant à la jurisprudence du Conseil constitutionnel qu’à l’article 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, qui garantit le droit effectif au recours.

L’objet unique du présent article est de rendre plus facile, et surtout plus rapide, l’expulsion des demandeurs d’asile concernés. Cette disposition portera ainsi atteinte au principe d’égalité de traitement des recours et au droit à un recours effectif des demandeurs d’asile, dans la mesure où elle permettrait leur expulsion, alors même que le recours serait toujours pendant devant la CNDA.

Cet article est inconstitutionnel, parce qu’il ne respecte pas nos engagements internationaux et parce qu’il est injuste pour les demandeurs d’asile. Les auteurs du présent amendement en demandent donc la suppression.

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour présenter l’amendement n° 229 rectifié bis.

M. Jean-Yves Leconte. Est-il envisageable qu’un demandeur d’asile en cours de procédure n’ait plus le droit de se maintenir sur le territoire et se retrouve en situation d’être renvoyé dans son pays ? Non, et c’est pourtant ce que prévoit cet article, qui aura deux conséquences.

Première conséquence, dès le prononcé de la décision de la CNDA, si la réponse est négative, le demandeur n’a plus le droit de se maintenir sur le territoire, quand bien même cette décision ne lui aurait pas été notifiée. Cela semble quelque peu surréaliste !

Voici qui est plus surréaliste encore : un demandeur d’asile faisant l’objet d’une procédure accélérée qui a reçu une réponse négative de l’OFPRA et qui dépose un recours auprès de la CNDA n’aurait plus la possibilité, si nous adoptons cet article, de se maintenir sur le territoire. Cette disposition, qui existait avant 2015, avait déjà été censurée par la Cour européenne des droits de l’homme le 2 février 2012, dans un arrêt bien connu, contre la France.

Nous sommes en plein effet d’affichage : le Gouvernement veut afficher qu’un demandeur faisant l’objet d’une procédure accélérée qui aurait reçu un refus de l’OFPRA doit repartir chez lui, avant même que la CNDA ne se soit prononcée.

C’est en réalité un peu plus subtil. Le Gouvernement sait en effet que, s’il reste sur cette position, il sera condamné une nouvelle fois par la Cour européenne des droits de l’homme, comme l’a signalé Esther Benbassa. Aussi, il a construit une usine à gaz : on demande aux tribunaux administratifs de se prononcer sur la possibilité du demandeur de rester sur le territoire, alors même que la procédure de demande d’asile n’est pas terminée.

Alors même que l’on demande à la CNDA, qui est déjà surchargée, de se prononcer sur la légitimité de cette demande de protection, on impose au tribunal administratif de répondre à la même question, pour un motif différent !

Les tribunaux administratifs sont également surchargés de dossiers,…

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue !

M. Jean-Yves Leconte. … en particulier relatifs au contentieux du droit des étrangers. Pourtant, sans vergogne, le Gouvernement retire des droits aux demandeurs d’asile et charge encore davantage les juridictions administratives. Il n’est pas possible d’accepter cela !

M. le président. La parole est à Mme Mireille Jouve, pour présenter l’amendement n° 560 rectifié.

Mme Mireille Jouve. La suppression de l’effet suspensif du recours devant la CNDA constitue une nouvelle dérogation au droit commun introduite dans le droit des étrangers.

Il importe de rappeler que l’effet suspensif est une protection pour la personne dont la demande a été rejetée par l’OFPRA, mais également pour l’autorité susceptible de mettre en cause le droit au maintien sur le sol français : l’effet suspensif la prémunit contre le risque de mettre en œuvre un éloignement qui serait ensuite contredit par une décision favorable de la CNDA, et garantit donc la sécurité juridique de ses actes.

C’est pourquoi nous proposons de maintenir le droit en vigueur.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. François-Noël Buffet, rapporteur. L’article 8 introduit trois cas nouveaux dans lesquels l’appel devant la CNDA peut avoir un caractère non suspensif : lorsque le demandeur provient d’un pays sûr ; s’il a présenté une demande de réexamen qui n’est pas recevable ; si sa présence constitue une menace pour l’ordre public, la sécurité publique ou la sûreté de l’État.

À partir de là, le demandeur a toute possibilité de contester devant le tribunal administratif une éventuelle obligation de quitter le territoire français, ou OQTF, prise à son encontre. Dès lors, le tribunal administratif rendra la décision qu’il jugera utile, à la fois, sur l’OQTF et sur le maintien du caractère suspensif, ou pas, devant la cour.

Les droits sont donc respectés. L’enjeu est d’être efficace vis-à-vis de ceux qui n’ont pas réellement besoin d’utiliser cette procédure. Nous avons besoin de procédures rapides, structurées, et de pouvoir gérer correctement le droit au maintien sur le territoire national.

La commission émet donc un avis défavorable sur ces trois amendements identiques.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Gérard Collomb, ministre dÉtat. La mesure que nous proposons ne s’applique, on l’a rappelé, que dans trois cas : pour les demandeurs qui sont ressortissants d’un pays d’origine sûr ; pour ceux dont la présence constitue une menace grave pour l’ordre public ; pour les demandes de réexamen, lorsque l’OFPRA a déjà donné une réponse négative.

Dans ces cas, le demandeur pourra continuer à se pourvoir devant le tribunal administratif, afin que son recours ait un caractère suspensif.

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.

M. Jean-Yves Leconte. Cette innovation n’accélère en rien la procédure, mais elle limite les droits, complique le système et encombre les tribunaux de manière inutile. Elle n’a donc que des inconvénients. Son seul avantage est de permettre au Gouvernement de dire que, en France, la vie des demandeurs d’asile sera plus dure.

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 9, 229 rectifié bis et 560 rectifié.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. Mes chers collègues, nous avons examiné 100 amendements au cours de la journée. Il en reste 384.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

Article 8 (Texte non modifié par la commission) (début)
Dossier législatif : projet de loi pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie
Discussion générale

6

Adoption des conclusions de la conférence des présidents

M. le président. Je n’ai été saisi d’aucune observation sur les conclusions de la conférence des présidents. Elles sont donc adoptées.

7

Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, jeudi 21 juin 2018 :

À dix heures trente :

Conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi relative à la protection du secret des affaires ;

Rapport de M. Christophe-André Frassa, rapporteur pour le Sénat, fait au nom de la commission mixte paritaire (n° 505, 2017-2018) ;

Texte de la commission mixte paritaire (n° 506, 2017-2018).

Suite du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie (n° 464, 2017-2018) ;

Rapport de M. François-Noël Buffet, fait au nom de la commission des lois (n° 552, 2017-2018) ;

Avis de M. Jacques Grosperrin, fait au nom de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication (n° 527, 2017-2018) ;

Texte de la commission (n° 553, 2017-2018).

À quinze heures : questions d’actualité au Gouvernement.

À seize heures quinze et le soir : suite du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie (n° 464, 2017-2018).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée le jeudi 21 juin 2018, à zéro heure trente.)

Direction des comptes rendus

GISÈLE GODARD