Mme la présidente. L’amendement n° 11, présenté par MM. Savoldelli, Bocquet et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Pascal Savoldelli.
M. Pascal Savoldelli. Mes chers collègues, nous poursuivons le débat, les votes se succèdent, mais, en définitive, les élus de notre groupe feront les comptes, comme chacun d’entre nous ! Y aura-t-il dans cette proposition de loi une disposition permettant la reprise de l’entreprise par les salariés ?
Bien sûr, il faut préserver le patrimoine familial de l’entreprise : cela ne nous pose pas de problème. Mais, pour véritablement préserver la vie économique de nos territoires, il faudra garantir la reprise d’activités au-delà du cercle familial.
Depuis le début de cette discussion, on souligne le caractère audacieux de nos propositions. Or, avec l’article 12, c’est la continuité des entreprises, c’est le maintien de l’emploi et de l’activité qui sont en jeu. Madame la rapporteur, dites-moi si, oui ou non, il s’agit simplement de permettre une nouvelle optimisation fiscale ! Pour l’heure, c’est la seule disposition qui apparaît clairement dans cet article…
Il s’agit là d’un parti pris. On peut l’entendre, et il est tout à fait respectable, mais il est unilatéral, et c’est précisément ce qui nous pose problème : on ne voit cette question que par le prisme du chef d’entreprise. On n’envisage pas que les salariés puissent, à un moment ou un autre, assurer une reprise.
Prenons l’exemple du propriétaire d’une chaîne de magasins disposant d’une zone de chalandise régionale. Imaginons que celui-ci procède à la réorganisation de son groupe, entre société holding de tête, filiale immobilière chargée de la propriété des locaux commerciaux et filiales commerciales d’exploitation de chaque magasin physique, voire de magasin thématique associé – allées, jardineries, jeux, jouets, autant d’activités très importantes, qui doivent perdurer dans nos centres-villes et dans nos bourgs. Si ce propriétaire cède les parts représentatives de ces biens dans les établissements physiques, il conservera simplement la holding, pour ses vieux jours.
Certes, ce scénario n’est pas le seul, mais il existe ! Dans un tel schéma, l’on permet au cédant de vivre de ses plus-values immédiates et de ses futurs dividendes. Bien sûr, la richesse d’une entreprise dépend de la qualité de celui qui la dirige, mais, tôt ou tard, il faut apprendre à partager ! Il faut reconnaître que l’activité de l’entreprise repose aussi sur ceux qui travaillent, à savoir les salariés.
C’est la raison pour laquelle nous défendons la suppression de cet article.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Christine Lavarde, rapporteur. Monsieur Savoldelli, je me permets simplement de vous renvoyer au titre de cette proposition de loi : il s’agit de moderniser la transmission d’entreprise, et non de favoriser la reprise des entreprises par les salariés…
M. Fabien Gay. Ah !
M. Pascal Savoldelli. Nous y voilà !
Mme Christine Lavarde, rapporteur. Je vais même plus loin. Le rapport qui a inspiré ce texte s’intitulait : Moderniser la transmission d’entreprise en France : une urgence pour l’emploi dans nos territoires. C’est là une préoccupation sur laquelle nous allons sans doute nous accorder.
Or cet amendement tend à supprimer l’article 12, qui contient plusieurs assouplissements au dispositif de report d’imposition en cas d’apport de titres. C’est là un outil utile pour encourager les réinvestissements de plus-values dans l’économie, en particulier dans les entreprises.
Au risque de vous décevoir, j’émets donc, bien entendu, un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État. L’examen de cet amendement de suppression me conduit à exprimer la position du Gouvernement sur l’article 12 lui-même.
Certes, le Gouvernement s’est intéressé aux moyens permettant d’assouplir les conditions de remploi, dans le cadre du dispositif d’apport-cession. Nous nous sommes penchés attentivement sur cette problématique, mais il ne nous semble pas opportun de porter le délai de remploi de deux à trois ans.
Le délai actuel de remploi, fixé à deux ans, paraît équilibré. Pour cette raison, le Gouvernement n’est pas favorable à l’article 12. Il est donc favorable à l’amendement n° 11, qui tend à le supprimer.
Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.
M. Pascal Savoldelli. Madame la rapporteur, au début de cette discussion, vous avez déclaré : « Il faut rendre à César ce qui appartient à César ». Eh bien, c’est ce que je fais en l’occurrence : franchement, je vous rends hommage !
Après deux heures un quart de discussion, nous venons de vivre, grâce à vous, un moment de vérité. Or, en politique, j’aime la sincérité et l’authenticité. Vous venez de nous dire : moderniser la transmission d’entreprise, c’est une chose, favoriser la reprise des entreprises par les salariés, c’en est une autre.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. Je n’ai pas dit cela !
M. Pascal Savoldelli. Je ne crois pas avoir travesti vos propos en quoi que ce soit, et, à mon sens, ces derniers constituent un élément clef du débat. Je vous remercie d’avoir ainsi éclairé notre discussion !
Visiblement, il y a encore, dans ce pays, un clivage gauche-droite.
Mme Catherine Procaccia. C’est du pur Savoldelli ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Fabien Gay, pour explication de vote.
M. Fabien Gay. Chers collègues, j’abonde dans le sens de Pascal Savoldelli : il est toujours bon que l’on se parle franchement !
La reprise des activités et la pérennité de l’emploi constituent de vraies questions. Chacun de nous, dans son territoire ou ailleurs, rencontre de nombreux représentants d’entreprise et a conscience de cet enjeu. Mais Pascal Savoldelli nous l’a rappelé : au total, 8 % des entreprises sont reprises dans le cercle familial et 20 % sont reprises par les salariés.
Pour ma part, je me méfie du terme de modernisation, car, derrière, il y a toujours un loup… D’ailleurs, vous venez de nous le dire, madame la rapporteur : ce texte traite seulement de la reprise d’entreprise par le cercle familial. En vérité, on n’aurait pas dû parler, avec cette proposition de loi, de « modernisation de la transmission d’entreprise », mais d’optimisation fiscale ! (Protestations sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
M. Michel Canevet. Oh !
M. Fabien Gay. Chers collègues, c’est bien de cela que l’on parle : d’optimisation fiscale pour celles et ceux qui reprennent une entreprise dans le cercle familial !
Nous avons posé un certain nombre de questions et déposé plusieurs amendements assez constructifs, y compris pour ce qui concerne la reprise par les salariés.
Il y a quelques instants, Mme Lienemann a évoqué le cas des sociétés coopératives. S’y ajoute un certain nombre d’initiatives expérimentales, qui fonctionnent et que nous pourrions soutenir. Mais, madame la rapporteur, vous venez de mettre fin au débat en déclarant : ce n’est pas de cela qu’il s’agit. Nous prenons acte de votre propos.
Mme la présidente. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. Chers collègues, permettez-moi de préciser mon propos, car j’ai l’impression d’avoir été mal comprise.
M. Fabien Gay. Ah oui !
Mme Christine Lavarde, rapporteur. J’ai simplement apporté cette précision : ce texte a pour objet non pas de favoriser la reprise d’entreprise par les salariés, mais de faciliter la transmission d’entreprise un sens large. Or, comme je vous l’ai dit à propos du précédent amendement, le cas des salariés est évoqué aux articles 17 et 18, notamment.
Si vous voulez être bien certain que ce sujet n’a pas échappé aux auteurs de cette proposition de loi, je vous invite à relire, au sein du rapport mentionné, le C du chapitre III, qui s’intitule : « Faciliter le cas spécifique – j’insiste sur cette expression – de la reprise interne par les salariés. » (Bravo ! et applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty, pour explication de vote.
M. Jean-Marc Gabouty. Je ne tiens pas à allonger encore nos débats, mais je souhaite prendre la défense de Mme la rapporteur. Je vous le confirme, chers collègues du groupe CRCE, ce texte ne porte pas spécifiquement sur la reprise d’entreprise par les salariés : il a pour objet la reprise d’entreprise en général.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Bien sûr !
M. Jean-Marc Gabouty. Certes, le Gouvernement a soutenu plusieurs de vos amendements tendant à supprimer des articles ; cela vous est rarement arrivé au cours d’une même séance, et c’est peut-être pourquoi vous vous sentez pousser des ailes…
La reprise d’entreprise peut poser des difficultés spécifiques, selon qu’elle a lieu dans le cadre familial ou qu’elle est assurée par les salariés.
M. Claude Nougein. Attendons les articles 17 et 18 !
M. Jean-Marc Gabouty. Toutefois, ces différents cas de figure suivent également un tronc commun. Ainsi, je serai choqué qu’un groupe de cinq ou six cadres reprenne une entreprise et ne paye pas de droits d’enregistrement, alors que, dans le cadre familial, de telles impositions devraient être acquittées.
À mon sens, certains éléments doivent rester dans le tronc commun dans la transmission d’entreprise : par exemple, chacun doit payer les droits d’enregistrement.
En revanche, en matière fiscale, des aides spécifiques doivent perdurer, que ce soit pour les salariés, en cas de remploi, dans le cadre familial, ou en cas de cession au moment de la retraite. Nous n’avons pas parlé de ce dernier dispositif, mais il a toute son importance : dans les deux ans qui précèdent ou qui suivent la retraite d’un chef d’entreprise, une exonération des plus-values est prévue.
On peut considérer qu’il s’agit là d’un avantage fiscal, mais, en réalité, ce système évite que l’on ne vide l’entreprise de sa trésorerie : lorsqu’un dirigeant part à la retraite, faute d’un avantage spécifique, il peut être tenté de réduire cette trésorerie au strict minimum. L’entreprise sera, partant, transmise dans de mauvaises conditions.
Cette mesure ne désavantage donc pas les salariés : au contraire, elle doit être privilégiée dans certains types d’entreprise.
Les artisans transmettent plus souvent leur entreprise à un apprenti qu’à leurs enfants. Ensuite, on peut débattre des différents chiffres avancés : on l’a déjà rappelé, les statistiques relatives à la transmission d’entreprise sont très difficiles à établir. Certains changements ont lieu dans la durée. Voilà pourquoi les données chiffrées fermes me laissent quelque peu réservé.
Quoi qu’il en soit, l’ensemble des dispositifs en vigueur méritent d’être examinés avec attention. Il ne faut pas opposer la transmission familiale et la transmission aux salariés, je suis bien d’accord avec vous : mais il ne faudrait précisément pas que vous aboutissiez vous-mêmes à une telle opposition.
Mme Pascale Gruny, rapporteur pour avis. Voilà !
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Je remercie Mme la rapporteur de la clarification qu’elle a apportée. Toutefois, on le voit bien, la tentation est forte de reléguer la reprise par les salariés au second plan, pour n’en faire qu’un dispositif périphérique. Or, les chiffres le prouvent, ces situations sont fréquentes.
De plus, les dispositifs fiscaux en faveur d’une reprise familiale « pur sucre » nous semblent, aujourd’hui, les plus favorables. En tout cas, la reprise par les salariés n’est pas suffisamment encouragée. C’est précisément ce déséquilibre que nous devons tenter de corriger. Nous en débattrons à propos de l’information des salariés : à mon sens, il s’agit là du sujet clef.
Cela étant – M. Gabouty l’a dit –, dans de nombreux cas, les chefs d’entreprise préfèrent passer le flambeau à leurs salariés, parce qu’ils savent que ces derniers prolongeront l’activité de la société.
C’est vrai dans de nombreux cas, notamment pour les artisans : ces chefs d’entreprise n’ont pas envie de spolier leurs enfants, mais ils savent que la nouvelle génération ne prendra pas leur suite. Voilà pourquoi – il s’agit là des cas vertueux – ils organisent la reprise par leurs salariés, avec leurs salariés.
Bien sûr, il ne faut pas opposer frontalement les cas de figure. Mais, en l’état, cette proposition de loi me paraît insuffisamment favorable à la reprise par les salariés. En tout cas, on constate une faiblesse stratégique, dont nous allons parler plus en détail, pour ce qui concerne l’information des salariés.
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Vaspart, pour explication de vote.
M. Michel Vaspart. Mes chers collègues, je suis bien sûr en accord avec ceux d’entre nous qui viennent de s’exprimer, et je vais m’efforcer de ne pas répéter leurs propos.
Cette proposition de loi découle d’un rapport, et, si vous n’avez pas lu ce document, je vous recommande d’y jeter un œil. Claude Nougein et moi-même n’avons peut-être pas tout à fait atteint notre but – c’est possible –, mais notre souci n’était pas moins celui-ci : balayer tous les problèmes de transmission-cession d’entreprise, pour l’ensemble des entreprises, de la TPE jusqu’à l’ETI comprise.
Bien sûr, certains dispositifs s’adressent davantage aux ETI ; d’autres sont essentiellement conçus pour les PME et, notamment, pour les petites entreprises. Néanmoins, entre ce rapport et le présent texte, plusieurs différences existent. Ainsi, notre rapport n’est pas purement législatif : il comporte plusieurs préconisations qui ne sont pas d’ordre normatif.
De plus, comme l’a rappelé Mme la rapporteur, les articles 17 et 18 de cette proposition de loi sont avant tout destinés à la reprise par les salariés.
Enfin, la commission des finances a souhaité supprimer l’article 13. Ce dernier n’est pas très bien rédigé, j’en conviens. Mais je relève qu’il porte avant tout sur les cessions d’entreprises agricoles, familiales ou non, et sur les cessions d’entreprises artisanales.
Il faudra reprendre ces dispositions dans un autre texte ; mais nous avons bien couvert l’ensemble des situations possibles !
M. Claude Nougein. Voilà !
Mme la présidente. L’amendement n° 33, présenté par Mme Lavarde, au nom de la commission des finances, est ainsi libellé :
Alinéa 11
Remplacer la référence :
du 1°A du f de l’article 787 B
par la référence :
de l’article 787 D
La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. Il s’agit d’un amendement de coordination, madame la présidente.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 12, modifié.
(L’article 12 est adopté.)
Article 13
I. – À titre expérimental et pour une durée de cinq ans, les exploitants agricoles et les personnes physiques ou morales immatriculées au répertoire des métiers, mentionné au I de l’article 19 de la loi n° 96-603 du 5 juillet 1996 relative au développement et à la promotion du commerce et de l’artisanat, ou à la première section du registre des entreprises tenu par les chambres de métiers, mentionnée au IV du même article 19, peuvent déduire des bénéfices imposables au titre de l’impôt sur le revenu de cinq exercices consécutifs les sommes affectées à la transmission de l’exploitation agricole ou de l’entreprise dont ils sont propriétaires, dès lors que les conditions suivantes sont réunies :
1° Le contribuable relève du régime de l’imposition d’après le bénéfice réel, prévu aux articles 53 A à 57 ou 69 à 70 du code général des impôts ;
2° Le contribuable demande la liquidation de sa pension et cède son exploitation agricole ou son entreprise à un repreneur dans un délai de cinq ans à compter du premier exercice au titre duquel il bénéficie de la déduction prévue au présent article ;
3° Le repreneur est âgé entre dix-huit et quarante ans à la date de la cession de l’exploitation agricole ou de l’entreprise ;
4° Le repreneur s’installe pour la première fois comme chef d’exploitation.
II. – Pour chaque exercice, le montant de la déduction mentionnée au I est déterminé par le contribuable dans la limite :
1° Du montant du bénéfice réalisé si ce bénéfice est inférieur à 3 000 € ;
2° De 3 000 € si le bénéfice réalisé est compris entre 3 000 et 9 999 € ;
3° De 35 % du bénéfice réalisé si ce bénéfice est compris entre 10 000 et 29 999 € ;
4° De 20 % du bénéfice réalisé, auquel sont ajoutés 3 000 €, si ce bénéfice est compris entre 30 000 et 49 999 € ;
5° De 13 000 € si le bénéfice réalisé est égal ou supérieur à 50 000 €.
III. – Lorsque l’exploitation agricole ou l’entreprise est cédée dans le délai mentionné au 2° du I, deux tiers des sommes mentionnées au même I sont allouées au repreneur et un tiers est conservé par le cédant. Les sommes allouées au repreneur ne peuvent porter intérêt. Elles sont remboursées au cédant dans un délai de dix ans à compter de la cession.
IV. – Lorsque l’une des conditions mentionnées au I n’est pas respectée, ou en cas de cessation totale de l’exploitation agricole ou de l’entreprise ou de décès du contribuable avant le délai mentionné au 2° du même I, les sommes ayant donné droit à la déduction prévue dudit I sont rapportées en totalité au bénéfice imposable de l’exercice au cours duquel est intervenu le changement.
V. – Dans les six mois suivant l’achèvement de l’expérimentation, le Gouvernement remet au Parlement un rapport en dressant le bilan.
VI. – Un décret en Conseil d’État détermine les modalités d’application du présent article.
Mme la présidente. Je suis saisie de trois amendements identiques.
L’amendement n° 4 est présenté par Mme N. Goulet.
L’amendement n° 12 est présenté par MM. Savoldelli, Bocquet et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
L’amendement n° 34 est présenté par Mme Lavarde, au nom de la commission des finances.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
L’amendement n° 4 n’est pas soutenu.
La parole est à M. Fabien Gay, pour présenter l’amendement n° 12.
M. Fabien Gay. L’expérimentation qui nous est proposée à travers cet article n’est pas nécessairement une bonne idée, surtout si elle se limite, comme on nous le suggère ici, aux contribuables agriculteurs, artisans ou commerçants soumis au régime réel d’imposition.
Cette disposition met d’office hors-jeu plus de 40 % de nos exploitants agricoles, alors que la question de la transmission est essentielle dans cet univers professionnel. Depuis plusieurs années, le nombre des exploitants subit en effet une véritable hémorragie.
Au moment où nous nous apprêtons à débattre du projet de loi relatif à l’agriculture et à l’alimentation, il nous semble que ce dispositif serait un mauvais signal pour une profession déjà fort accablée, non seulement par la baisse de ses revenus au cours des dernières années, mais aussi par la non-revalorisation de ses retraites.
Ainsi, en 2016, les paysans corréziens ont déclaré une moyenne de 7 000 euros de revenus annuels. Dans le même temps, dans les Côtes-d’Armor, un exploitant gagnait, en moyenne, moins de 22 000 euros par an.
Autant dire que la démarche de nos collègues, à l’origine de cet article dit « expérimental », semble quelque peu éloignée des enjeux actuels, qu’il s’agisse des activités agricoles considérées ou du devenir des activités artisanales et commerciales de proximité.
Nous l’avons déjà souligné : le véritable enjeu de la transmission réside plutôt dans l’aide technique que les organismes consulaires ou les collectivités territoriales peuvent apporter aux entrepreneurs débutants, et dans l’appui financier que ces derniers sont en droit d’attendre du secteur bancaire.
Mme la présidente. La parole est à Mme le rapporteur, pour présenter l’amendement n° 34.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. Nos collègues du groupe CRCE attendaient ce moment depuis le début de la discussion : je suis favorable à leur proposition, puisque je défends moi aussi un amendement de suppression de l’article 13 ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Fabien Gay s’exclame.) Je vais donc dans le même sens que vous, même si ce n’est peut-être pas exactement pour les mêmes raisons.
Nous ne nous opposons pas à ces dispositions sur le fond : nous aussi, nous souhaitons que l’ensemble des dispositifs inhérents à la transmission des entreprises agricoles, des entreprises artisanales et des petits commerces soient renforcés ou améliorés, mais cet article, en l’état, pose un certain nombre de difficultés.
Tout d’abord, les modalités de mise en œuvre soulèvent divers problèmes. En particulier, le régime fiscal applicable aux remboursements demeure incertain, et le remboursement de l’avance ne serait pas sécurisé pour le contribuable qui s’engagerait dans l’expérimentation.
Par ailleurs, pour ce qui concerne la qualité du repreneur dans le domaine agricole, les précisions mentionnées ne forment pas un ensemble homogène avec les dispositions prévues au titre des aides aux jeunes agriculteurs, notamment sous l’angle de la qualification du nouvel exploitant.
L’hypothèse selon laquelle l’exploitation serait reprise par une pluralité d’opérateurs n’est pas couverte. De même, aucune information n’est apportée sur le statut du remboursement ou sur son calendrier en cas de décès du cédant.
Par ailleurs, ce dispositif d’expérimentation s’appliquerait également aux commerçants et aux artisans, soit à un ensemble hétérogène, rassemblant de très nombreuses petites entreprises sur lesquelles ses conséquences n’ont pas été anticipées.
Le statut de l’expérimentation ne permet pas de lever ces difficultés, dans la mesure où la durée d’application du dispositif, qui inclut la période de remboursement de l’avance, soit dix ans, est inférieure à celle qui est prévue pour l’expérimentation elle-même. Il faudrait donc prévoir un mécanisme de débouclage, dans l’hypothèse où l’expérimentation ne serait pas jugée efficace.
La complexité du dispositif pose également question, notamment en matière constitutionnelle, au regard de l’égalité devant les charges publiques.
Tout d’abord, il ne va pas de soi que la répartition de la déduction envisagée, qui réserve un tiers de la somme déduite au cédant, puisse être considérée comme concourant à l’objectif d’intérêt général.
Ensuite, l’exclusion du bénéfice du dispositif des exploitations placées sous un régime fiscal autre que celui du réel agricole conduirait à traiter différemment des exploitations connaissant des situations analogues, sans justification particulière tirée de l’objectif poursuivi.
Néanmoins, si ce dispositif est inopérant, il a le mérite de nous inviter à réfléchir aux moyens de fluidifier et de sécuriser les transmissions d’exploitations agricoles et artisanales. Plusieurs pistes plus simples auraient pu être explorées, comme l’allocation de moyens budgétaires supplémentaires ou l’assouplissement des critères d’attribution de la dotation aux jeunes agriculteurs, voire la création d’un prêt à taux zéro ad hoc porté par Bpifrance.
Il n’était malheureusement pas de la compétence de la commission des finances de mettre en place de tels dispositifs. J’en appelle donc au Gouvernement, afin, s’il partage notre vision, qu’il prenne à son compte ces initiatives, dans le cadre soit de la loi sur l’agriculture, qui va bientôt arriver en discussion au Sénat, soit du collectif budgétaire de l’automne, ce qui lui laisserait un peu plus de temps de réflexion.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État. Je remercie Mme la rapporteur de ses suggestions, qui seront examinées.
Le Gouvernement est favorable à ces amendements identiques de suppression.
Mme la présidente. La parole est à M. Bruno Sido, pour explication de vote.
M. Bruno Sido. Je voterai bien entendu ces amendements, mais je partage l’analyse de Mme la rapporteur. Il faut, malgré tout, trouver une solution, parce que les cessions d’exploitations agricoles sont difficiles à réaliser, singulièrement en matière agricole, les repreneurs étant peu nombreux.
On assiste à un agrandissement des exploitations agricoles, alors que certaines d’entre elles, pourtant viables, disparaissent parce qu’elles n’ont pas trouvé de repreneur, faute d’un dispositif adapté pour soulager la trésorerie des candidats. Nous devons travailler à résoudre ce problème.
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 12 et 34.
(Les amendements sont adoptés.)
Mme la présidente. En conséquence, l’article 13 est supprimé.
Je constate que les amendements identiques ont été adoptés à l’unanimité des présents.
Chapitre IV
Favoriser les reprises internes
Article 14
Le code de commerce est ainsi modifié :
1° Les sections 3 et 4 du chapitre Ier du titre IV du livre Ier sont abrogées ;
2° Le chapitre X du titre III du livre II est abrogé.
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.
L’amendement n° 2 rectifié bis est présenté par Mme Guidez, MM. Perrin, Raison, Poadja et Henno, Mmes Vullien et Vermeillet, M. Pierre, Mmes Dumas et Garriaud-Maylam, MM. Longeot et Canevet, Mmes Morin-Desailly et Dindar, MM. Bonne, Savin, Cigolotti, Le Nay et Moga, Mmes Loisier et Férat et M. Capo-Canellas.
L’amendement n° 5 rectifié est présenté par M. Daunis, Mmes Espagnac, Taillé-Polian et Lienemann, M. Kanner et les membres du groupe socialiste et républicain et apparentés.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Jocelyne Guidez, pour présenter l’amendement n° 2 rectifié bis.
Mme Jocelyne Guidez. Après réflexion, je souhaite approfondir le sujet.
Je retire donc cet amendement, madame la présidence. J’en ferai de même, tout à l’heure, pour l’amendement n° 3 rectifié bis.
Mme la présidente. L’amendement n° 2 rectifié bis est retiré.
La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour présenter l’amendement n° 5 rectifié.