Mme Marie-Noëlle Lienemann. Mes chers collègues, celles et ceux qui étaient présents lors de la discussion du projet de loi relatif à l’économie sociale et solidaire se souviennent que nous avons déjà longuement débattu de l’obligation d’information des salariés en cas de transmission ou de vente.
Nous étions parvenus à imposer une obligation d’information des salariés deux mois avant la vente ou la reprise d’une entreprise. En Allemagne, ce délai, qui concerne toutes les entreprises, est beaucoup plus long.
La majorité sénatoriale est toujours opposée à cette mesure – l’expérience n’a rien changé de ce point de vue – et a présenté ses propositions. Tout d’abord, il était question d’accepter l’information des salariés en en réduisant le délai. C’était reconnaître la reprise interne comme un des modes les plus efficaces en termes de pérennité de l’entreprise et de sauvegarde de l’emploi.
Aujourd’hui, les auteurs de ce texte proposent la suppression de cette obligation. Selon moi, il s’agit d’une grave erreur.
Quand une entreprise est en difficulté, il est presque impossible de monter un dossier de reprise solide en deux mois, en particulier par une coopérative. Demandez donc à la Confédération générale des sociétés coopératives et participatives, la CGSCOP, qui a beaucoup pratiqué cet exercice.
Par exemple, en Savoie, une entreprise financière rachetait systématiquement des sociétés spécialisées en haute technologie, employant surtout des ingénieurs. D’origine singapourienne, mais domiciliée en Suisse, elle avait pour habitude de racheter les brevets, puis de partir, laissant l’entreprise française disparaître.
Dans un cas, les ingénieurs et les cadres ont voulu préparer un dossier de reprise, mais, ayant été prévenus trop tard, ils n’ont pu parfaire le montage. Leur candidature était sérieuse, mais pas tout à fait aboutie, et ils ont perdu devant le tribunal de commerce. Fort heureusement, le gouvernement de l’époque a fait appel, nous avons eu le temps de parachever le dossier et le tribunal de commerce a accordé la reprise aux salariés en deuxième instance. Pour obtenir ce résultat, je puis vous assurer qu’il a fallu mobiliser tout l’appareil d’État !
Ce cas était particulièrement visible, mais il en existe beaucoup d’autres, que la CGSCOP vous décrira, dans lesquels il est impossible de monter un projet de reprise en moins de deux mois.
Il est vrai que certaines reprises ne posent aucun problème, mais, dans certains cas, les repreneurs sont des prédateurs et les salariés, notamment les cadres, peuvent s’en rendre compte. Ils voient parfois venir la disparition de l’entreprise, quand le vendeur accepte une proposition qui lui paraît séduisante.
Je vous assure, mes chers collègues, que je ne demande rien qui soit disproportionné : un délai de deux mois rend l’information des salariés acceptable.
Madame la secrétaire d’État, j’espère que le Gouvernement soutiendra cet amendement, car c’est un décret signé par M. Emmanuel Macron qui a mis ce dispositif en place !
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission des affaires sociales ?
Mme Pascale Gruny, rapporteur pour avis. Pour commencer, je rappelle à ma collègue que nous parlons du droit à l’information dans les PME, non dans les multinationales.
Ensuite, quand l’entreprise est en difficulté ou en redressement, il existe un dispositif, que nous évoquerons à l’occasion de la discussion d’un autre amendement.
Dans le cas présent, il s’agit d’une cession à un moment de la vie de l’entreprise. Je l’ai moi-même vécu : quand vous allez voir vos salariés, vos ouvriers, ou que vous leur envoyez une lettre leur proposant de reprendre leur entreprise, alors qu’ils ne savaient même pas que celle-ci était à vendre, en partie ou en totalité, vous les déstabilisez et vous les angoissez.
Ensuite se pose la question de la confidentialité. En informant les salariés, on rend public le fait que l’entreprise est en train d’être vendue. Les gens s’interrogent donc sur sa santé, et, si l’on dispose déjà d’un repreneur, cela risque de fragiliser le processus.
Enfin, dans les PME, on n’est jamais loin des salariés ; on les connaît, on les voit. Si certains d’entre eux sont susceptibles de reprendre l’entreprise, en règle générale, on peut le leur proposer.
Pour toutes ces raisons, ainsi que pour celles que j’ai avancées dans la discussion générale, la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État. Le Gouvernement est favorable au maintien de l’obligation d’information préalable des salariés en cas de cession.
Il émet donc un avis favorable sur cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Notre rapporteur pour avis nous dit que les salariés risquent d’être déstabilisés, mais les choses finissent pourtant par se savoir, surtout à deux mois d’une vente !
Croyez-moi, les employés sont parfois inquiets, mais il n’y a rien de pire pour nourrir l’inquiétude que le manque de transparence et de clarté. Les salariés ne sont pas plus bêtes que les autres ! Si on leur dit que l’on est en train de vendre et que l’on leur expose les perspectives de cette reprise, soit le repreneur leur semble sérieux et ils lui font confiance, soit ils ont un doute, qui mérite parfois que l’on y prête attention.
Si la reprise est ratée, qui va payer ? Le propriétaire aura, certes, touché le prix de son entreprise, mais les coûts sociaux de la fermeture et des licenciements qui interviendront six mois plus tard, ainsi que cela s’est souvent produit, parce que le repreneur était plus ou moins « bidon », seront à la charge de la collectivité nationale. Franchement, deux mois d’information, ce n’est pas grand-chose au moment de passer à l’acte.
De plus en plus d’entreprises françaises rachètent des entreprises du Mittelstand allemand, bien plus que le contraire. Les articles qui sortent sur le sujet indiquent bien que le premier défi des repreneurs est de convaincre le patron, non pas tant sur le montant de la vente que sur la stratégie pour l’entreprise, puisqu’ils sont obligés de convaincre ensuite les salariés. Cela n’a jamais arrêté les repreneurs !
En Allemagne comme en France, les salariés n’ont qu’un seul objectif : que leur entreprise se porte bien, qu’ils la reprennent eux-mêmes ou non. La plupart du temps, ils préfèrent ne pas le faire et s’assurer seulement que la continuité sera garantie. Considérer que l’on est incapable d’évoquer avec ses salariés les conditions de la reprise deux mois avant la vente, c’est, à mes yeux, un véritable recul social.
Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Cadic, pour explication de vote.
M. Olivier Cadic. Mes chers collègues, je voudrais partager avec vous un témoignage qui nous a été livré, lors de la journée de la délégation aux entreprises, par M. Olivier Meril :
« Je suis dirigeant d’une entreprise de webmarketing que j’ai reprise il y a six ans. J’ai racheté mon agence en six semaines, et nous sommes passés de dix à cent dix collaborateurs.
« Puis, j’ai repris une autre agence dans le même domaine. Mais, entre-temps, a été votée la loi Hamon, qui impose d’informer les collaborateurs. L’un d’entre eux a refusé de signer le document et a exercé une sorte de chantage. Bref, j’ai été contraint de respecter le délai de deux mois, au terme duquel je n’ai récupéré que trois collaborateurs sur six, soit une coquille quasiment vide. Je n’aurais pas pu reprendre la première société avec cette nouvelle loi. »
Madame Lienemann, soyez-en certaine, dans la réalité des entrepreneurs de la Net économie, lorsqu’il faudra céder une société pour la faire grandir, puisque c’est ainsi que fonctionnent les fusions-acquisitions, ce genre de plaisanterie représentera un frein extraordinaire pour le développement des entreprises.
Souhaitons-nous aider notre économie et nos sociétés à se développer le plus vite possible ou créer des obstacles pour freiner leur développement ?
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Je connais beaucoup d’exemples qui montrent le contraire !
M. Olivier Cadic. Je remercie mes collègues auteurs de la proposition de loi d’avoir proposé cette mesure.
Madame la secrétaire d’État, je suis très inquiet quand je vous entends dire que vous souhaitez le maintien du droit en l’état !
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty, pour explication de vote.
M. Jean-Marc Gabouty. Le problème que pose cette obligation d’information, c’est que le délai est parfois trop court, par exemple pour envisager une reprise par un individu, et parfois trop long, car, lorsque l’on annonce qu’une entreprise est en train d’être vendue, il faut gérer les relations avec les salariés, certes, mais surtout avec l’extérieur, c’est-à-dire avec les clients, les fournisseurs, le banquier et le concurrent, qui, ayant appris la vente, tente de profiter de la position de faiblesse de l’entreprise pour la déstabiliser.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Comment font-ils donc, en Allemagne ?
M. Jean-Marc Gabouty. En Allemagne, il y a de très bonnes choses, mais nous ne sommes pas non plus obligés de tout copier !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Quand cela vous arrange, vous savez invoquer le modèle allemand !
M. Jean-Marc Gabouty. Il me semble que cette obligation d’information est un élément déstabilisateur.
En revanche, lorsqu’une entreprise doit s’arrêter et n’a pas de repreneur, il ne faut pas prévenir les salariés deux mois avant, parce que c’est trop tard. Lorsqu’il n’y a ni repreneur, ni transaction en cours, ni volonté de vendre à l’extérieur, mais que le chef d’entreprise veut cesser son activité pour quelque raison que ce soit, l’information doit être diffusée très en amont, afin de donner du temps. Nous avions discuté d’un texte qui ne me semblait pas satisfaisant à ce sujet. En effet, deux mois avant la fermeture de votre entreprise, vous avez déjà pris toutes les dispositions pour liquider une partie des actifs, notamment commerciaux.
En résumé, lorsqu’une reprise par les salariés apparaît possible, les délais doivent être allongés, mais pour une transaction classique au bénéfice de tiers extérieurs, les opérations doivent rester sinon secrètes, du moins discrètes jusqu’au dernier moment, sous peine d’affaiblir l’entreprise dans une période qui est toujours délicate.
Ce dispositif ne me semble donc pas utile, et je voterai l’amendement de suppression.
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Vaspart, pour explication de vote.
M. Michel Vaspart. Je suis entièrement en accord avec mon collègue Jean-Marc Gabouty. J’ajoute que les entrepreneurs sont comme ils sont : certains d’entre eux sont bien, d’autres non, comme dans toutes les corporations.
Lorsque l’on souhaite céder son entreprise, la logique veut que l’on commence par explorer la possibilité d’une transmission familiale. S’il n’y a pas d’enfants, ou que ceux-ci refusent, on regarde s’il est possible que des cadres ou des salariés reprennent l’entreprise. Si ces deux cas de figure apparaissent impossibles, alors, effectivement, on met l’entreprise sur le marché. On trouvera toujours des contre-exemples et des situations excessives, mais cela se passe ainsi dans la grande majorité des cas.
Enfin, d’après notre constat et l’évaluation faite aujourd’hui, même si elle n’est pas officielle, les chefs d’entreprise préfèrent payer l’amende plutôt que de transmettre l’information deux mois avant. C’est le signe que le dispositif pose un vrai problème.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. C’est le signe que la France n’a pas la culture du dialogue !
Mme la présidente. La parole est à Mme le rapporteur pour avis.
Mme Pascale Gruny, rapporteur pour avis. Je confirme que le délai de deux mois bloque la vente lorsque l’on dispose d’un repreneur. On met ainsi les entreprises en difficulté.
Mme Pascale Gruny, rapporteur pour avis. Madame Lienemann, vous parlez toujours d’entreprises en difficulté, mais ce n’est pas le même régime.
Je connais des dirigeants qui, à un moment donné, trouvant que la gestion d’une entreprise est une lourde tâche, veulent en céder une partie, ou qui souhaitent partager les risques. Ces cas-là ne posent aucun problème pour l’entreprise, pour les salariés, pour les fournisseurs ou pour les clients, mais il est obligatoire de respecter ce droit à l’information, qui déstabilise alors tout le monde.
Nous en avons débattu précédemment à l’occasion de l’examen de la loi Hamon, puis de la loi Macron, et il faut entendre les entreprises. Pour ma part, je ne connais aucun chef d’entreprise qui souhaite conserver pour lui l’information sans raison, au risque de voir son entreprise fermer le lendemain. S’il est possible de trouver un repreneur dans l’entreprise, le dirigeant y est en général encore plus favorable. En effet, dans les PME, les patrons connaissent leurs employés et s’ils peuvent leur transmettre l’entreprise, c’est encore mieux pour eux, je vous assure.
Mme la présidente. L’amendement n° 13, présenté par MM. Savoldelli, Bocquet et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
Le code de commerce est ainsi modifié :
1° Aux premier et cinquième alinéas de l’article L. 141-23, le mot : « deux » est remplacé par le mot : « quatre » ;
2° Aux articles L. 141-24 et L. 141-29, après le mot : « solidaire », sont insérés les mots : « , un expert-comptable ».
La parole est à M. Pascal Savoldelli.
M. Pascal Savoldelli. Madame la présidente, nous avons pris un peu d’avance ! Cet amendement a la même philosophie que celui qu’a défendu Marie-Noëlle Lienemann, mais il vise à doubler le délai de préparation de l’offre alternative présentée par les salariés. (M. Olivier Cadic sourit.) En outre, nous proposons que ces derniers puissent bénéficier du soutien technique d’un expert-comptable.
Madame la rapporteur pour avis, vous parlez de déstabilisation de l’entreprise, mais ce problème concerne également un certain nombre de salariés quand on leur apprend que l’entreprise va disparaître, alors qu’ils ne s’y attendaient pas du tout. Certains se sentent empêchés de se porter candidat, non pas en raison de leur relation avec le patron, mais parce qu’ils ne s’en sentent pas capables, qu’ils n’ont pas le sentiment d’être qualifiés. Une reprise par les salariés doit être approchée collectivement, parce qu’il s’agit tout de même d’une sacrée responsabilité !
Je suis d’accord avec M. Gabouty quand il évoque la question du levier bancaire. Dans certaines situations, le problème vient de là. Mes chers collègues, je vous rappelle d’ailleurs que j’ai demandé précédemment la mise en place d’un prêt à taux zéro au bénéfice des salariés. Je ne vous ai pas sentis très enthousiastes… Or le problème du levier bancaire est sérieux.
Je l’ai rappelé en commission, avec ce texte, on met un pied dans un domaine qui relève de la loi de finances. À ce sujet, madame la secrétaire d’État, vous avez évoqué une disposition qui prendrait place dans le projet de loi de finances pour 2019. Comme nous sommes tous présents, peut-être pourriez-vous nous donner quelques éléments sur ce futur projet de loi de finances ? Cela fortifierait la relation entre le Sénat et le Gouvernement ! (Sourires.)
Enfin, je tiens à dire que nous sommes ouverts. Nous ne sommes pas venus ici avec l’idée de voter contre cette proposition de loi et nous observons le déroulement des débats, convaincus qu’il ne faut pas craindre d’expérimenter en ouvrant de nouveaux droits, pour que les salariés parviennent à reprendre leurs entreprises. Cela ne signifie pas la disparition des chefs d’entreprise ou du patrimoine familial. Ne nous inventons pas des peurs !
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission des affaires sociales ?
Mme Pascale Gruny, rapporteur pour avis. Il va de soi que, étant défavorable à un délai de deux mois, la commission n’a pas soutenu cet amendement, qui vise à le porter à quatre mois.
S’agissant de l’assistance et des conseils d’un expert-comptable, cette mesure est déjà prévue dans l’accompagnement des salariés ; ce n’est donc pas un problème. En ce qui concerne les prêts bancaires, chacun d’entre nous aimerait bien sûr bénéficier de tels dispositifs ! Toutefois, dans le cas présent, l’État devrait y participer, et cette mesure relève donc du prochain budget.
Enfin, vous nous appelez à ne pas nous inquiéter d’une disparition du chef d’entreprise en cas de transmission aux salariés. Je suis d’accord avec vous, le salarié d’aujourd’hui est le chef d’entreprise de demain, qui va supporter les risques et comprendre les difficultés du métier. Je n’ai donc pas peur qu’une entreprise soit reprise par ses salariés, si le projet est viable. N’en doutez pas, je souhaite seulement défendre le tissu économique sur l’ensemble du territoire et favoriser les transmissions, qu’elles aient lieu au sein de la famille, au bénéfice d’un tiers ou au profit des salariés – cela ne me pose aucun problème.
La commission a donc émis un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État. Le Gouvernement est défavorable à cet amendement, qui vise à augmenter le délai d’information.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. J’ai bien compris que nos collègues n’allaient pas voter pour un délai de quatre mois, alors qu’ils avaient déjà refusé un délai de deux mois.
Je veux livrer un argument supplémentaire. L’information des salariés ne concerne pas seulement les entreprises en difficulté. Considérons le cas des reprises par LBO – leveraged buyout, ou achat à effet de levier –, qui peuvent concerner des PME. Certaines de ces opérations sont conçues de sorte à faire peser sur l’entreprise rachetée des objectifs de rentabilité déraisonnables. Si le dirigeant ne dispose d’aucun autre repreneur en apparence, il sera d’abord tenté de vendre, car il a besoin de valoriser son bien.
L’étape suivante, c’est la fin de l’entreprise. Il est donc normal que des cadres, notamment, aient la capacité de mettre en garde contre les menaces qui pèsent sur la compagnie, afin de renégocier les conditions de la cession. Je connais au moins une dizaine d’exemples dans lesquels les cadres ont vu venir la deuxième lame du rasoir, alors que leur entreprise n’était pas en difficulté avant que les conditions du rachat ne la fragilisent. Ce droit à l’information constitue donc également une précaution.
Mes chers collègues, je ne vais pas vous convaincre, mais ne croyez pas que nous sommes attachés à un dogme selon lequel la reprise ne devrait se faire qu’au bénéfice des salariés. Notre objectif n’est pas d’ennuyer les patrons. Si l’Allemagne s’est dotée de cet outil – lisez les études réalisées à ce sujet –, c’est parce que ce délai permet de consolider la crédibilité de la transmission.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty, pour explication de vote.
M. Jean-Marc Gabouty. Je partage l’avis de Mme la rapporteur.
Madame Lienemann, s’agissant du délai, vous restez dans votre logique. Je l’ai dit, deux mois, cela ne sert à rien, sinon à jeter un certain trouble. Et nous ne partageons pas la même analyse.
Au niveau des entreprises, vous considérez que les salariés voient très bien les problèmes que peut poser un repreneur. La réalité est un peu plus complexe. Certaines transmissions familiales échouent, certaines reprises par les salariés ou par des partenaires extérieurs également. Personne n’a le monopole des reprises menées dans de mauvaises conditions, et le contraire est également vrai !
Par conséquent, restons simples. Il ne s’agit pas d’interdire l’information. Dans la plupart des cas, un repreneur prend contact avec les salariés. Il leur est même présenté par le vendeur, quinze jours, trois semaines, un mois, parfois deux mois avant, selon les conditions. Il a intérêt à agir ainsi, mais cela ne doit pas être une obligation.
Que le repreneur ait des contacts avec les cadres et les salariés de l’entreprise est un élément positif pour une reprise, mais il ne faut pas le systématiser, parce que, dans certains cas, cela peut fragiliser une entreprise. Distinguons entre une bonne pratique et sa généralisation rigide, qui peut emporter des effets pervers. C’est la raison pour laquelle nous ne souhaitons pas que cette information soit systématique.
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Vaspart, pour explication de vote.
M. Michel Vaspart. Mme Lienemann a abordé succinctement les LBO et les LMBO, c'est-à-dire les leveraged buyout et les leveraged management buyout. Nous sommes parfaitement en phase à ce sujet. Ce système est dangereux, parce qu’il impose à l’entreprise d’obtenir des résultats très élevés sur une durée très longue, ce qui est excessivement difficile.
Nous avons visité à Nantes une entreprise très connue qui a été reprise ainsi, et nous avons constaté les problèmes que ce dispositif posait, y compris pour le vendeur, qui a dû rester, puisqu’il détient des parts pour sept ans.
Il s’agit là d’un véritable sujet de réflexion, que nous n’avons pas abordé dans ce texte, mais qu’il sera nécessaire, madame la secrétaire d’État, de traiter dans le cadre de la loi PACTE.
Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.
M. Pascal Savoldelli. N’hésitez pas à me dire si je me trompe. Mais l’exemple que vous donnez, monsieur Gabouty, on le connaît, quelle que soit l’appartenance politique des uns et des autres, il y a des reprises, des repreneurs ; pour ma part, je n’ai rien à redire à cet égard.
Permettez-moi de revenir à l’origine de cette proposition de loi. Le problème, si j’ai bien compris, c’est qu’un certain nombre d’activités économiques très diverses, y compris des exploitations agricoles – j’ai fait un clin d’œil à la Corrèze car Mme la rapporteur en est originaire –, ne trouvent pas de repreneur.
C’est bien ce sujet qui doit occuper le Sénat et le Gouvernement, et qui, d’une certaine manière, devrait être notre obsession au bon sens du terme.
Certes, des dispositifs peuvent inciter à une reprise dans le cercle familial. Ils permettront de diminuer un peu le nombre de disparitions d’entreprises, non par défection ou du fait d’une mauvaise gestion, mais en raison de l’absence de repreneur. Il faut toutefois chercher à trouver des solutions avec les salariés.
Je le dis sans doute un peu passionnément. Il est facile de se jeter des mots à la figure. Je n’ai certes pas été chef d’entreprise, mais j’ai présidé pendant huit ans l’agence de développement économique dans mon département, en lien avec 400 à 500 chefs d’entreprise, depuis les plus modestes TPE jusqu’à Sanofi. Personne, pas plus moi-même qu’un autre dans cet hémicycle, n’a le monopole sur le monde de l’entreprise !
Enfin, madame la rapporteur, vous nous dites que les banques ne peuvent pas prêter sans intérêts, mais la BCE a tout de même déversé 300 milliards d’euros de liquidités à 0,34 % ou à 0,67 %, et ce pour aucun porte-monnaie individuel.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. C’était essentiellement pour la Deutsche Bank !
M. Pascal Savoldelli. Comme pour les exonérations et optimisations fiscales que vous venez de voter – et qui ne contribueront pas aux recettes de l’État –, ce n’est qu’une question de volonté politique.
Mme la présidente. La parole est à Mme le rapporteur pour avis.
Mme Pascale Gruny, rapporteur pour avis. Mon cher collègue, un chef d’entreprise qui a investi dans son entreprise et qui a pris des risques souhaite revendre le fruit d’années de travail lorsqu’il décide d’arrêter son activité.
En l’absence de repreneur, il va donc forcément proposer aux salariés de reprendre son activité si c’est possible – étendre le droit à l’information de deux à quatre ou six mois n’y changera rien. (Mme Marie-Noëlle Lienemann s’exclame.) Dans ces conditions, il faudrait tout de même que le chef d’entreprise soit assez fou pour ne pas proposer aux salariés de reprendre son entreprise.
Vous dites par ailleurs que les banques sont riches et qu’elles pourraient prêter gratuitement aux entreprises. Permettez-moi de vous donner l’exemple d’une entreprise – j’étais alors déjà parlementaire – que les salariés voulaient reprendre sous la forme d’une société coopérative et participative, une SCOP. Dans le business plan qu’ils avaient proposé pour les trois premières années, il manquait chaque année un million d’euros. Il fallait donc trouver cet argent auprès de l’État. Mais le rôle de l’État est-il de soutenir une activité qui n’existe plus ?
Il faut donc faire attention. Lorsqu’il y a une activité, il faut absolument sauver les entreprises. Quand il n’y en a pas, non. Le fait que des salariés puissent reprendre leur entreprise ne pose aucun problème. Mais il faut arrêter d’imposer quantité de règles aux chefs d’entreprise, qui prennent quand même beaucoup de risques toute leur vie. Il faut aussi préserver la liberté d’entreprendre.
Mme la présidente. La parole est à M. Emmanuel Capus, pour explication de vote.
M. Emmanuel Capus. Monsieur Savoldelli, permettez-moi, comme vous nous y avez invités, de vous dire que vous vous trompez.
La reprise par les salariés en cas de redressement ou en cas de difficultés économiques n’est qu’une partie du sujet. Madame la rapporteur a d’ailleurs raison de dire qu’en l’absence de repreneur, le problème que vous soulevez se résout de lui-même, le chef d’entreprise et les salariés s’efforçant alors de trouver une solution.
La question de la transmission est plus complexe et plus vaste. Comme l’a rappelé fort justement Jean-Marc Gabouty, elle se situe dans un contexte d’extrême concurrence, avec des sociétés extérieures qui sont à l’affût et qui peuvent donc tenter de faire capoter une vente si la transmission concernée ne les arrange pas. Les chefs d’entreprise ne sont pas tendres entre eux, et les concurrents ne se font pas de cadeau. Dans une telle situation de fragilité, la confidentialité est évidemment nécessaire.
Par ailleurs, les repreneurs ont tout intérêt à bien s’entendre avec les salariés pour que la transmission se passe bien. (Mme Marie-Noëlle Lienemann s’exclame.) Certes, mais vous conviendrez que ce n’est pas le sujet, c’est pourquoi M. Savoldelli se trompe et Mme la secrétaire d’État d’une certaine façon aussi.
Il y a de mauvais chefs d’entreprise, bien que dans leur extrême majorité, ce ne soit pas le cas, de même qu’il y a de mauvais salariés, de mauvais syndicats. Pour autant, il ne faut pas faire une loi spécifique pour les mauvais chefs d’entreprise ou pour les repreneurs qui veulent détruire les emplois.
Pour l’ensemble de ces raisons, il me semble important de préserver une certaine confidentialité et, donc, de ne pas prolonger le délai à quatre mois.
Mme la présidente. L’amendement n° 30, présenté par Mme Lamure et MM. Nougein et Vaspart, est ainsi libellé :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
Le code de commerce est ainsi modifié :
1° Le second alinéa de l’article L. 631-13 est supprimé ;
2° Après le premier alinéa du I de l’article L. 631-15, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsqu’un plan de cession peut être envisagé, l’administrateur ou à défaut le mandataire judiciaire informe les représentants du comité d’entreprise ou, à défaut, les délégués du personnel ou les représentants des salariés de la possibilité qu’ont les salariés de soumettre une ou plusieurs offres de reprise et de l’existence de dispositifs d’aides à une telle reprise. »
La parole est à M. Michel Vaspart.