M. le président. Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes maximum pour présenter sa question, suivie d’une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.
Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.
Dans le débat interactif, la parole est à Mme Nelly Tocqueville.
Mme Nelly Tocqueville. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous traitons aujourd’hui d’une problématique récurrente, le transport fluvial. Pour moi, élue de Seine-Maritime, département où Le Havre s’impose comme l’un des plus grands ports de France et d’Europe, ce sujet est prépondérant sur le plan de l’intérêt économique et environnemental de la région et du territoire national.
Ce port, qui affiche un réel déficit du point de vue du transport fluvial, subit un retard important au regard des autres grands ports européens, dont Rotterdam et Anvers. En effet, la part du fluvial dans le trafic hinterland de conteneurs depuis et vers le port du Havre ne représente que 9 %, contre respectivement 36 % et 35 % pour les deux ports précités.
Selon VNF, un seul convoi fluvial permet de transporter 5 000 tonnes de marchandises, soit l’équivalent de ce que transportent 200 camions ou 125 wagons. Or, à ce jour, au Havre, 85 % des 2,6 millions de conteneurs débarqués et embarqués sont véhiculés par la route. Cela est plus que dommageable du point de vue de la pollution et de l’émission de gaz à effet de serre.
Ce retard tient essentiellement au manque d’infrastructures. En effet, Port 2000 a été construit sans qu’aucun accès fluvial au nouveau bassin ait été réalisé. Trois projets ont été proposés, dont celui de la construction d’une « chatière », passage fluvial protégé par une digue de deux kilomètres et permettant un accès direct à Port 2000. Cela a un coût – près de 100 millions d’euros –, mais c’est indispensable si nous voulons renverser la tendance.
Cette situation a une incidence sur HAROPA dans son ensemble, mais elle paraît, pourtant, réversible. Oui, le port du Havre a des atouts indéniables, que nous nous devons de renforcer et de développer, afin d’en améliorer la compétitivité, d’autant plus que les porte-conteneurs, de plus en plus gros, n’accéderont plus aux ports de Bordeaux ou de Nantes et transiteront par Le Havre.
Lors des dernières assises de l’économie de la mer, le Premier ministre faisait mention d’une indispensable stratégie portuaire nationale pour les trois grands ports du pays, dont Le Havre. Madame la ministre, pouvez-vous nous dire ce qu’il en est aujourd’hui ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Madame la sénatrice, je ne peux effectivement pas me satisfaire de la faible part du transport fluvial et ferroviaire dans la desserte de nos ports, en particulier du port du Havre.
Vous mentionnez le projet de chatière, qui vise à améliorer l’accès fluvial au port du Havre. Ce port a saisi la Commission nationale du débat public, qui a recommandé, en juillet 2017, de mener une concertation et qui a désigné une garante. Cette concertation a été lancée le 20 octobre 2017 et s’est conclue le 19 janvier dernier. Trois options ont été présentées à la concertation : la réalisation d’un accès direct en zone protégée accessible à tout type de bateau – la fameuse chatière –, l’extension du terminal multimodal et l’optimisation des solutions en place.
À la faveur de la concertation, la notion de complémentarité des options a émergé. La garante a rendu son rapport le 18 février dernier. Grâce à cette concertation, le maître d’ouvrage, le grand port maritime du Havre, a adopté lors de son conseil de surveillance de mars dernier un plan de développement du fluvial autour de cinq grandes priorités. Par ailleurs, il a intégré le projet de chatière dans le programme d’investissement en cours d’élaboration. Des discussions se déroulent actuellement sur la priorisation de ce programme et feront l’objet de débats lors du prochain conseil de surveillance, qui aura lieu en juin.
En tout état de cause, je vous confirme ma détermination à renforcer la part du transport fluvial et ferroviaire dans la desserte de nos ports. Vous l’avez souligné, étant donné le développement de porte-conteneurs de plus en plus importants, si l’on ne veut pas voir nos routes envahies par les poids lourds, il est absolument indispensable de renforcer la part de ces deux modes de transport dans la desserte de nos grands ports maritimes.
M. Charles Revet. Il y a urgence !
M. le président. La parole est à M. Alain Fouché.
M. Alain Fouché. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dans le rapport Duron sur les infrastructures de transport, il est proposé de mettre en œuvre une politique de « dénavigation » sur les 20 % de tronçons les moins empruntés du réseau fluvial, soit près de 1 000 kilomètres de voies navigables. Cette recommandation, si elle était suivie, aurait des conséquences dramatiques pour une large portion du territoire.
La fermeture de ces canaux, c’est l’isolement de nombreux villes et villages qui drainent aujourd’hui des flux par le transport fluvial ; c’est encore l’appauvrissement de nombreux sites touristiques, privés de leurs visiteurs et délaissés par les voies de transport ; c’est enfin une perte nette de ressources pour des territoires et la porte ouverte à un exode des populations. Supprimer des voies navigables, madame la ministre, c’est affaiblir notre maillage territorial.
À l’heure où les débats sur la réforme ferroviaire se concluent, vous avez saisi toute l’importance du maintien d’un aménagement durable de notre territoire, en souscrivant à la préservation de dessertes isolées ou rurales.
En 2016, la France ne représentait que 6 % du trafic fluvial européen, alors que près de 20 % du linéaire des voies européennes se situent dans les limites de l’Hexagone. Cela marche en Belgique, aux Pays-Bas, en Allemagne ; pourquoi pas en France ? Ne renonçons pas à la mise en œuvre du canal Seine-Nord et à la préservation des petits canaux.
Madame la ministre, j’ai compris, d’après vos propos, que vous envisagiez non pas de mettre en œuvre la politique de dénavigation présentée dans le rapport précité, mais, au contraire, de développer le réseau de transit fluvial international et de longue distance, pour encourager nos entreprises de transport à plus de compétitivité et à une plus grande intermodalité. (M. Yves Bouloux applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Monsieur le sénateur, vous m’interrogez sur la dénavigation ; effectivement, le rapport du Conseil d’orientation des infrastructures recommande d’engager une telle politique, dont l’objectif serait de fermer à la navigation les 20 % du réseau les moins circulés, afin de concentrer les dépenses sur la sauvegarde du patrimoine le plus emprunté de ce réseau.
Il est vrai que certaines voies navigables, en raison de leur gabarit ou de leur nombre important d’écluses, ne sont plus adaptées au transport de fret et n’ont pas non plus de potentiel touristique. Ces voies sont donc très peu ou non circulées. Dès lors, le projet stratégique de VNF, adopté en 2015 après concertation, a prévu, pour certaines voies, une offre de services saisonnalisée ou une ouverture uniquement sur demande.
Pour fixer les ordres de grandeur, sur les 245 millions d’euros de besoin d’investissement de régénération à l’échelon national, un montant de 145 millions, c’est-à-dire 60 %, correspond à un socle de gestion hydraulique, et le reste, 100 millions d’euros, correspond à la fonction de navigation. Ce serait une approche erronée de penser que la dénavigation permettrait de réduire les investissements, puisque, aujourd’hui, nous n’atteignons pas ce rythme d’investissement de 245 millions d’euros par an.
En tout état de cause, l’option consistant à fermer 20 % du réseau sans aucune autre forme d’analyse que celle de la fréquentation n’est pas envisageable ni envisagée. Pour autant, la fermeture de certains tronçons peut être considérée, mais elle devra nécessairement être précédée d’une réflexion sur la cohérence du maillage du réseau, sur le potentiel industriel et touristique et sur les projets des collectivités locales.
Je veux, à ce titre, citer un exemple, en saluant le projet de réouverture du canal de la Sambre à l’Oise, conduit conjointement par VNF et les collectivités locales ; cela permettra de valoriser cet itinéraire pour le tourisme, avec des retombées économiques attendues pour l’ensemble du territoire. Cet exemple peut tout à fait, me semble-t-il, nous inspirer.
M. le président. La parole est à M. Alain Fouché, pour la réplique.
M. Alain Fouché. Je vous remercie, madame la ministre, de ces précisions, qui vont dans le bon sens, d’autant que, vous l’avez indiqué, la Commission européenne vient de prolonger les deux régimes d’aides dédiés au transport fluvial. Tout le monde va donc dans la même direction, c’est important.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Corbisez.
M. Jean-Pierre Corbisez. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le transport fluvial dispose de solides arguments en matière économique, environnementale et de sécurité des transports qui justifieraient son développement. Alors, pourquoi est-il à la peine ?
Pour des raisons économiques et structurelles, tout d’abord : le transport fluvial est encore insuffisamment rentable du fait de la vétusté de certaines parties du réseau et de défauts d’interconnexion, en son sein ou avec les autres modes de transport.
Les épisodes récents d’inondations ont démontré que Voies navigables de France doit dépenser des millions d’euros, qui ne sont donc pas injectés dans la remise à niveau du réseau, pour remédier aux dysfonctionnements de son réseau, de surcroît dans le cadre d’un budget d’investissement contraint – 140 millions d’euros à l’échelle nationale, soit l’équivalent du budget d’investissement du seul département du Pas-de-Calais…
Pour des raisons liées à la faiblesse du portage politique, ensuite ; avec des renoncements, tel celui du canal Rhin-Rhône, avec l’adoption de mesures favorables au transport routier, ou encore avec la longueur des processus de décision – l’exemple le plus récent est le cas du canal Seine-Nord Europe : le poste de président du directoire est vacant depuis un an…
J’en arrive à mes questions : l’État envisage-t-il un plan d’investissement de rattrapage, notamment pour renforcer l’intermodalité avec le routier et le ferroviaire ? À quelle hauteur ? Selon quel calendrier ?
Plus précisément, qu’en est-il de l’état d’avancement du projet de canal Seine-Nord et de celui de l’autoroute ferroviaire Dourges-Tarnos, qui doit se greffer à la plateforme multimodale Delta 3 à Dourges ?
Enfin, ma collègue Mme Tocqueville et moi-même avons été désignés, voilà six mois, pour siéger au sein du comité stratégique du canal Seine-Nord, lequel n’a toujours pas tenu de réunion. Quand espérez-vous réunir ce comité ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Monsieur le sénateur, l’état actuel du réseau fluvial est effectivement préoccupant. Rappelons que Voies navigables de France administre 6 700 kilomètres de voies d’eau, sur lesquelles ont été transportés 53 millions de tonnes de marchandises et près de 10 millions de passagers.
Le niveau d’investissement de VNF s’est réduit, passant de 157 millions d’euros en 2013 à 138 millions d’euros en 2018. Ce montant d’investissement est très en deçà du niveau nécessaire à la seule régénération du réseau fluvial, estimé à 245 millions d’euros par an, hors modernisation et développement.
Vous le savez, le réseau fluvial est vieillissant et fragile, comme en témoignent les épisodes de crues de 2016 – je pense à la rupture d’une digue sur le Loing, affluent de la Seine – et de 2018 – d’importantes interruptions de navigation ont eu lieu en Seine amont.
Les orientations suivantes sont envisagées pour conforter le modèle économique de VNF. Le scénario 2 du Conseil d’orientation des infrastructures retient un effort significatif sur le budget de l’Agence de financement des infrastructures de transport de France, l’AFITF, passant de 80 millions d’euros à 180 millions d’euros par an en dix ans, pour financer le socle d’investissement de régénération du réseau, mais aussi un montant de 330 millions d’euros sur cinq ans pour la modernisation des méthodes d’exploitation, nécessaire à la fiabilisation du réseau à grand gabarit et aux gains d’exploitation de productivité de l’établissement.
Pour ce faire, le rapport du Conseil d’orientation des infrastructures envisage la transformation de la taxe hydraulique en une redevance domaniale, afin de sécuriser juridiquement le dispositif et de conforter la ressource financière, ainsi que la dynamisation des recettes propres de l’établissement et les efforts de productivité pour réduire les dépenses.
Ces orientations trouveront naturellement leur place dans le projet de loi d’orientation sur les mobilités, notamment dans son volet programmation. Par ailleurs, je l’ai indiqué, un contrat d’objectifs et de performance permettra de définir une trajectoire claire, réaliste et sincère pour l’établissement public pour les prochaines années.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Corbisez, pour la réplique.
M. Jean-Pierre Corbisez. Je vous remercie, madame la ministre, de toutes ces réponses.
Je ne vous ai pas entendue évoquer le canal Seine-Nord Europe. J’ose espérer que vous me répondrez plus tard sur ce point (Mme la ministre opine.) parce que vous comprendrez que ma collègue et moi-même, qui avons été désignés pour siéger dans une instance et qui attendons depuis plus de six mois que celle-ci se réunisse, trouvions le temps un peu long…
M. le président. La parole est à Mme Agnès Canayer.
Mme Agnès Canayer. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avec plus de 6 700 kilomètres de voies navigables, dont 1 600 kilomètres pour les grands gabarits, la France semble disposer des atouts nécessaires au développement du transport fluvial.
Malheureusement, les routes fluviales restent sous-exploitées. Au Havre, ville dont je suis élue et dont ma collègue Nelly Tocqueville vient de parler, il est clair que le report sur les voies fluviales reste extrêmement faible, puisque seuls 9 % des conteneurs sont acheminés par la Seine.
Cette sous-utilisation des voies fluviales est régulièrement dénoncée par l’ensemble des acteurs maritimes et portuaires. En ce qui concerne la problématique du raccordement et des infrastructures, l’ensemble de la communauté portuaire, comme l’ont prouvé les derniers débats du conseil de développement du grand port maritime, soutient cette fameuse « chatière ». Je suis convaincue que nous trouverons rapidement des solutions de financement de cet investissement.
M. Charles Revet. Espérons-le !
Mme Agnès Canayer. Cela dit, la qualité des infrastructures n’est pas la seule faiblesse du transport fluvial. Le coût du transport combiné constitue aujourd’hui son premier frein. En effet, en France, contrairement aux ports du nord de l’Europe, les opérateurs de transport fluvial doivent supporter seuls le coût des ruptures de charge, ce qui alourdit la facture du transport de marchandises par voie fluviale. Très faiblement compensées par les aides à la pince – le Premier ministre, Édouard Philippe, a promis leur refonte en 2018, lors des assises de l’économie de la mer, en novembre dernier au Havre –, les charges qui pèsent sur le transport fluvial rendent celui-ci peu concurrentiel.
Madame la ministre, comment garantir un écosystème attractif qui permette au transport fluvial d’avoir toute sa place dans le transport combiné des marchandises en France, à l’instar de ce qui existe dans les ports du nord de l’Europe ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Madame la sénatrice, la compétitivité du transport fluvial est effectivement essentielle si nous voulons favoriser le report modal pour le transport de marchandises. Le transport fluvial est naturellement affecté par les surcoûts liés aux acheminements terminaux, dans la mesure où l’infrastructure fluviale n’est pas présente sur l’ensemble du territoire.
La maîtrise du foncier en bord à voie d’eau est un élément clef pour permettre un report modal de la route vers la voie d’eau. Afin de disposer de leviers supplémentaires pour réserver les terrains en bord de voie d’eau nécessaires à l’activité fluviale, on envisage d’insérer dans le projet de loi d’orientation sur les mobilités des mesures visant à donner la possibilité à VNF de se voir déléguer le droit de préemption urbain des communes. Dans les zones où les besoins fluviaux sont avérés, cette mesure permettrait à VNF de travailler avec les conseils municipaux sur les enjeux de la voie d’eau, de sensibiliser ces assemblées à son utilisation et de créer une dynamique très positive au plus près des territoires.
Par ailleurs, deux dispositifs d’aides sont prévus pour encourager le report modal sur la voie d’eau. Le premier est le plan d’aide au report modal, doté, je le disais, de 20 millions d’euros pour la période 2018-2020 ; il doit permettre d’accompagner de nouveaux trafics, jugés stratégiques, jusqu’à leur phase de maturité. Il se traduit par une aide aux chargeurs selon trois modalités : réalisation d’études préalables, expérimentation et acquisition d’équipements, qu’il s’agisse d’infrastructures ou d’outillage. En complément, le second dispositif est l’aide au surcoût de transbordement pour le transport de conteneurs par voie ferroviaire et fluviale, le dispositif d’aide à la pince que vous évoquiez.
Très prochainement, je pourrai présenter le nouveau dispositif qui s’appliquera aussi bien au ferroviaire qu’au fluvial. Des annonces seront faites rapidement à ce sujet.
M. le président. La parole est à Mme Agnès Canayer, pour la réplique.
Mme Agnès Canayer. Effectivement, ces aides sont véritablement nécessaires et attendues des opérateurs du fluvial, pour lesquels chaque conteneur coûte déjà cinquante euros, rien que pour le transbordement, avant même le départ, avant même l’acheminement.
M. Charles Revet. Eh oui, exactement !
Mme Agnès Canayer. Il faut donc les aider à avoir des coûts compétitifs, afin de favoriser le transport par voie fluviale.
M. le président. La parole est à M. Didier Rambaud.
M. Didier Rambaud. Vous l’avez, mes chers collègues, maintes fois indiqué dans cet hémicycle, durant l’examen de textes ou à l’occasion de débats, la route est aujourd’hui bien trop utilisée pour le transport des biens et marchandises ; elle représente plus de 88 % du fret.
Nous pouvons l’affirmer, les ambitions de report modal, affichées depuis plusieurs dizaines d’années, ont jusqu’à présent toutes échoué. Les infrastructures ferroviaires et fluviales sont loin d’être utilisées à la hauteur de leurs capacités en matière de fret, et ce malgré les nombreux avantages qu’elles présentent.
La France doit se doter d’infrastructures et de services de fret performants, et identifier le mode de transport le plus pertinent pour acheminer les marchandises, que ce soit par la route, par le réseau ferré ou par les voies navigables. Cela doit se faire sur la base d’une vision globale des capacités et des opportunités, afin de ne pas superposer frets ferroviaire et maritime.
Face à ce constat, les conclusions du rapport du Conseil d’orientation des infrastructures invitent à réinventer les dynamiques de logistique et à développer le fret ferroviaire et fluvial. Pour cela, dans le domaine du transport fluvial, il faut lutter contre le vieillissement du patrimoine, développer et moderniser les équipements des ports fluviaux à enjeux, et inciter les acteurs à utiliser ce mode de transport de marchandises.
Nous sommes nombreux à vous questionner sur ce dossier des ports de l’axe Seine, madame la ministre, parce que Le Havre, Rouen et Paris sont indispensables pour l’activité économique du pays. Après de lourds investissements de modernisation du patrimoine et des accès portuaires, ces ports bénéficient aujourd’hui des retombées des constructions d’infrastructures et de logement du Grand Paris.
De son côté, le port du Havre a présenté, voilà deux mois, un plan d’investissement de plusieurs centaines de millions d’euros, pour assurer son développement, vous l’avez confirmé à l’instant. Ces annonces vont dans le bon sens et nous devons y être attentifs.
Mes questions sont simples, madame la ministre : comment comptez-vous soutenir ces avancées ? Face à un paysage maritime en mutation et à des navires de plus en plus grands, des mesures concrètes et ambitieuses sont nécessaires. Quelles seront vos propositions pour une modernisation réelle et efficace de l’axe Seine ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Monsieur le sénateur, le bassin de la Seine constitue effectivement l’axe majeur du trafic de fret fluvial en France, concentrant plus de 50 % du trafic français. Vous l’avez souligné, cet axe relie les grands ports du Havre, de Rouen et de Paris. VNF a la responsabilité des sept barrages et des dix-sept écluses qui jalonnent l’itinéraire de la partie Seine aval, entre Paris et Rouen. Je rappelle que, sur cet axe, la navigation est ouverte vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept aux grands gabarits.
VNF mène actuellement un important programme de régénération et de modernisation des ouvrages, prévu jusqu’en 2027, qui représente plus de 250 millions d’euros d’investissement. Il s’agit de sécuriser, de fiabiliser mais aussi, pour certains ouvrages, d’augmenter le gabarit.
Parmi ces opérations, celle de Méricourt est la plus emblématique : la moitié du trafic circulant sur le bassin de la Seine passe par les écluses de cette ville qui accueillent plus de 250 bateaux par semaine. Or le vieillissement de ces écluses, dont j’ai pu me rendre compte sur place, impose une reconstruction quasi intégrale, tout en maintenant la navigation pendant toute la durée des travaux. Pour cette opération, cofinancée par la région d’Île-de-France au titre des contrats de plan État-régions et par l’Union européenne, la phase de dialogue compétitif est en cours, pour un marché de conception-réalisation.
En complément, compte tenu des fragilités révélées ces derniers mois sur la partie Seine amont, VNF élabore un plan d’investissement pluriannuel d’urgence sur ce secteur, de manière à renforcer la robustesse de l’itinéraire. Les conclusions de la mission de M. Philizot pour la modernisation de la gouvernance portuaire de l’axe Seine seront également présentées prochainement. Ces réflexions visent à renforcer l’intégration des ports au service de la compétitivité et de l’attractivité de cet axe.
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous connaissons depuis de nombreuses années une situation dans laquelle les voyants de tous les secteurs des transports sont au rouge, avec une augmentation des émissions de gaz à effet de serre due à la progression de tous les trafics routiers au détriment du ferroviaire et du fluvial.
Pourtant, vous en conviendrez, pouvoir naviguer sur des milliers de kilomètres, c’est la richesse de la France. Avec 8 500 kilomètres de voies navigables, ce réseau fluvial est le plus long de l’Europe.
Alors qu’il est un atout, notre réseau demeure mal exploité, quand il n’est pas totalement inexploité. Cette situation, due aux politiques du tout routier, conduit, d’une part, à une augmentation des émissions de gaz à effet de serre, et, d’autre part, à une saturation de nos routes – il n’y a qu’à faire un trajet sur le réseau autoroutier pour s’apercevoir du nombre faramineux de camions présents…
La marge de progression du transport fluvial est considérable ; pour comparaison, nos voisins néerlandais et allemands utilisent leurs réseaux, légèrement moins importants que le nôtre, entre quatre et six fois plus que nous.
Dans le département de la Loire, la ville de Roanne et le canal Roanne-Digoin ont tous les atouts pour contribuer au développement du fluvial : la chambre de la batellerie est prête à affréter des produits, des industriels roannais sont intéressés, la majorité des élus locaux ont émis un avis favorable, les vignerons de la Côte-roannaise sont prêts à véhiculer leur vin par péniche et Voies navigables de France a réalisé d’importants travaux sur le canal ces dernières années.
Tous les feux sont donc au vert, si ce n’est que la force publique manque d’entrain lorsqu’il s’agit de prendre des décisions et d’accompagner le développement du fluvial, et que la chambre de commerce et d’industrie demeure silencieuse ; pourtant, il ne reste qu’à aménager le quai, à apporter les grues, et à trouver un gestionnaire.
À l’occasion de ce débat, je vous demande donc, madame la ministre, ce que le Gouvernement entend faire pour amplifier le report de marchandises sur notre réseau fluvial. Je rejoins ce qui a été dit à propos du coût : quand effectuer le trajet Roanne–Le Havre coûte quatre fois plus cher par bateau que par la route, on peut concevoir être limité dans le développement du fret fluvial. Il est donc nécessaire que la puissance publique intervienne pour contribuer à réduire le coût de transport et pour encourager le développement du fret fluvial.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Madame la sénatrice, vous m’interrogez sur la politique du Gouvernement en matière de fret fluvial.
J’ai eu l’occasion de l’évoquer, le premier enjeu est la remise à niveau de notre patrimoine. En effet, les montants qui y ont été consacrés, au cours des dernières années, sont très en deçà des besoins pour maintenir notre réseau fluvial en état, sans parler de le moderniser… Il fait donc vraiment partie des travaux du Conseil d’orientation des infrastructures de programmer des moyens suffisants pour la régénération et la modernisation de nos itinéraires fluviaux.
Peut-être faudra-t-il avoir une politique centrée aussi sur les quelques itinéraires les plus prometteurs du point de vue du fret fluvial – c’est le sens des questions posées dans le rapport sur l’éventuelle fermeture au trafic de certaines voies –, mais il faudra vraiment, dans le cadre du projet de loi de programmation des infrastructures, que je présenterai, faire des choix plus ambitieux, du point de vue tant de la régénération que de la modernisation de notre réseau fluvial.
Je mentionnais l’axe Seine ; on a aujourd’hui à portée de main une autoroute fluviale, si je puis dire, qui ne demande qu’à être modernisée pour permettre un report important de la route sur le fleuve.
Effectivement, d’autres canaux sont de plus petite importance. Vous mentionnez en particulier le canal de Roanne à Digoin – un canal latéral à la Loire datant du XIXe siècle. L’emport maximal des péniches est, en l’occurrence, de 300 tonnes sur cet itinéraire ;…