M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Christophe Castaner, secrétaire dÉtat. Tout d’abord, ce n’est pas au Gouvernement de donner son avis sur la poursuite de la discussion d’une proposition de loi.

Plus globalement, monsieur le sénateur, votre propos me semble frappé au coin du bon sens. Vous avez raison, on pourrait se contenter d’une approche quantitative, alors qu’une approche qualitative est nécessaire, même si elle est beaucoup plus difficile, et beaucoup plus subjective aussi.

Dire qu’une loi doit produire pleinement, ou en totalité, ses effets, c’est reconnaître que l’on a besoin de cette approche quantitative, mais aussi, et surtout, que l’on doit voir la traduction concrète de cette loi dans la réalité de nos concitoyens, ou la protection de nos territoires, par des effets pleins et entiers.

L’article 24 de la Constitution consacre d’ailleurs le rôle du Parlement dans cet enjeu de contrôle et d’évaluation des politiques publiques.

Certains dispositifs, comme l’appui de la Cour des comptes, peuvent être mobilisés. Il existe aussi des offices parlementaires propres à chacune de nos assemblées, et parfois des approches communes entre ces dernières.

J’entends votre propos, monsieur le sénateur, car le sentiment général est celui d’un caractère relativement inabouti du contrôle et de l’évaluation parlementaires dans ses formes actuelles.

Je sais que des réflexions sont conduites dans les deux assemblées sur ce sujet et que vous y avez contribué par votre propre proposition de loi. J’ai moi-même été entendu la semaine dernière, à l’Assemblée nationale, par la commission des finances dans le cadre du « printemps de l’évaluation », qui vise à donner davantage de substance à l’examen de la loi de règlement. Je pense que c’est essentiel.

Nous passons sept semaines, à l’Assemblée nationale, et cinq semaines, au Sénat, à voter la loi de finances et la loi de financement de la sécurité sociale… et deux heures pour contrôler les lois de règlement à l’Assemblée nationale ? Cela montre l’existence d’une véritable anomalie !

La révision constitutionnelle à venir, à n’en pas douter, nous offrira à tous l’occasion d’avancer sur ces sujets. Je suis, à titre personnel, intimement convaincu que la montée en puissance de l’évaluation et du contrôle par les assemblées renforcera notre équilibre démocratique.

M. Pierre-Yves Collombat. C’est pour cela qu’il faut les neutraliser !

M. le président. Monsieur le secrétaire d’État, si je puis me permettre d’ajouter un mot, qui dit évaluation dit d’abord étude d’impact !

Mme Valérie Létard, présidente de la délégation du Bureau chargée du travail parlementaire, de la législation en commission, des votes et du contrôle. Oui, amont et aval !

M. le président. En outre, l’évaluation nécessite un certain nombre de moyens. Le Sénat vient de se doter, à l’occasion des débats d’orientation budgétaire, d’un budget autonome, car c’est le travail des commissions, aussi, de conduire ces évaluations. Je suis très prudent au sujet des organismes extérieurs ; à force de dépouiller le Parlement, nous oublions l’essentiel du travail. C’est à nous d’encourager le Parlement et les commissions ; voilà pourquoi le Bureau a choisi cette orientation !

La parole est à M. Franck Montaugé, pour la réplique.

M. Franck Montaugé. Nous devons nous y mettre collectivement, car il y a là un enjeu démocratique tout à fait fondamental. Je vous remercie pour votre réponse, monsieur le secrétaire d’État.

M. le président. La parole est à M. François Bonhomme.

M. François Bonhomme. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, à l’écoute de ce bilan, on comprend que les dysfonctionnements en termes de retard dans l’application des lois peuvent prendre des formes multiples.

Ma question porte sur les mesures d’application non prises à ce jour de la loi du 22 mars 2016 relative à la prévention et à la lutte contre les incivilités, contre les atteintes à la sécurité publique et contre les actes terroristes dans les transports collectifs de voyageurs.

Cette loi, dont j’étais le rapporteur, comportait plusieurs dispositions visant à mieux protéger les transports en commun contre le risque d’attentats, et à lutter contre la fraude, les incivilités et la violence au quotidien. Or, au 31 décembre 2017, date du précédent bilan de l’application des lois, 4 mesures réglementaires d’application de la loi, sur les 11 prévues par le texte, étaient manquantes.

Si deux mesures ont été prises depuis cette date, deux mesures d’application prévues par l’article 18 de ladite loi étaient toujours manquantes au 31mars dernier.

Je rappelle que l’application de l’article 18 doit notamment permettre le croisement des fichiers informatiques de fraudeurs avec ceux des administrations publiques et des organismes de sécurité sociale. Elle est donc importante au regard de la mise en œuvre effective de la loi.

L’article prévoit par ailleurs que les demandes des exploitants et les renseignements communiqués en réponse transitent par l’intermédiaire d’une personne morale unique.

Or la définition des modalités d’application de ces dispositions a été renvoyée à un décret en Conseil d’État, non pris au 31 mars dernier.

Je regrette, par ailleurs, que n’ait pas été pris l’arrêté conjoint du ministre de l’intérieur et des ministres chargés des finances et des transports, prévu par ce même article 18, afin de déterminer le nombre maximal des agents de la personne morale unique spécialement habilités pour accéder aux renseignements communiqués aux exploitants.

J’ai attiré, en son temps, l’attention du Gouvernement sur ces retards d’application au travers d’une question écrite en date du 15 mars dernier. Je rappelle que selon l’article 75 du règlement du Sénat, le Gouvernement dispose d’un délai d’un mois pour répondre à une telle question.

Je regrette également que cette question, comme d’autres d’ailleurs, n’ait pas pour l’heure reçu la réponse attendue. Dans cette optique, je tiens à souligner – non sans regret, à nouveau – que seules 63 des 156 questions écrites relatives à l’application d’une loi déposées lors de la session 2016-2017 ont obtenu une réponse, soit un taux de 40 %.

La longueur des délais d’obtention des réponses – trois mois et demi, en moyenne – oscille entre 21 et 273 jours. Monsieur le secrétaire d’État, je réitère donc ma question : pourriez-vous nous préciser à quelle échéance le Gouvernement entend finaliser la mise en application de la loi relative à la prévention et à la lutte contre les incivilités, contre les atteintes à la sécurité publique et contre les actes terroristes dans les transports collectifs de voyageurs ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Christophe Castaner, secrétaire dÉtat. Monsieur le sénateur Bonhomme, si je pensais avoir répondu jusqu’à présent de façon efficace, sur les deux sujets que vous abordez, y compris celui des réponses tardives aux questions écrites, je me retrouve en difficulté. Je ne vous en fais pas reproche ; c’est moi et mes collègues membres du Gouvernement que je vise !

M. le président. Cela vous rappellera la conférence des présidents, monsieur le secrétaire d’État ! (Sourires.)

M. Christophe Castaner, secrétaire dÉtat. Tout à fait, monsieur le président. (Nouveaux sourires.)

Je le dis en souriant, mais votre questionnement est parfaitement légitime, monsieur le sénateur. J’explique régulièrement à mes collègues ministres, et je le répète ici, devant le Sénat, que les retards, même s’ils peuvent s’expliquer par différentes raisons, ne sont pas acceptables.

Pour vous répondre, je commencerai par la fin, et de façon brutale : la procédure doit être aujourd’hui reprise de zéro ! Elle nécessite une nouvelle concertation interministérielle, ainsi qu’une saisine de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL, et du Conseil d’État. À la suite de l’entrée en vigueur du règlement général sur la protection des données, le RGPD, il conviendra sans doute de réaliser également une étude d’impact préalable. La préparation du projet d’arrêté interviendra en parallèle.

Je vais tenter d’être un peu plus précis, mais j’assume le fait que cette réponse n’est pas à la hauteur de l’ambition parlementaire.

Sur les quatre mesures d’application qui manquaient au 31 mars 2017, deux mesures ont depuis été prises, de sorte qu’il n’en reste plus que deux au 31 mars 2018. Ce sont ces modalités d’application que je vais rapidement évoquer et qui, je l’ai dit en préliminaire, doivent être reprises de zéro.

Il manque actuellement deux mesures d’application de l’article 18 de la loi précitée : un décret en Conseil d’État visant à préciser les modalités selon lesquelles les exploitants des sociétés de transports publics pourront, dans le cadre d’une transaction, obtenir des administrations publiques et des organismes de sécurité sociale des informations sur les contrevenants ; un arrêté visant à déterminer le nombre des agents de la personne morale unique chargés de collecter ces informations et pouvant y accéder.

Ce projet de décret a fait l’objet d’une saisine du Conseil d’État le 26 janvier 2017 et a nécessité, en parallèle, une consultation de la CNIL. L’avis de cette dernière est intervenu en février 2017, donc très rapidement, après des modifications substantielles qui nécessitaient une saisine rectificative, laquelle n’a pu intervenir dans des délais raisonnables. Le Conseil d’État s’est finalement dessaisi de ce texte.

C’est la raison pour laquelle la procédure doit être reprise de zéro.

Votre question est une alerte, monsieur le sénateur, comme elle l’a été pour les services du ministère concerné.

M. le président. La parole est à M. François Bonhomme, pour la réplique.

M. François Bonhomme. Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie de reconnaître qu’il y a là un manquement. C’est déjà mieux que d’être dans le déni : la moitié du travail est faite !

Vous m’accorderez qu’il est quelque peu baroque de devoir poser une question écrite pour obtenir une réponse à une non-réponse… Des progrès restent à faire, pour aller dans le sens des prérogatives accordées au Parlement pour contrôler l’activité du Gouvernement.

M. le président. Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il m’a semblé que ce débat était utile. C’est la première fois que nous utilisons l’interactivité sous cette forme-là. Auparavant, nous avions une longue plage d’interventions avant d’entendre les réponses. Nous nous retrouverons pour suivre cette question.

En dehors de cette séance annuelle, il faut, je le crois, bien réfléchir aux points qui ont été soulevés : rôle et place des commissions, évaluation, moyens affectés aux textes importants. J’aurai l’occasion d’en parler aux présidents de commission dans peu de temps. Nous aurons ce débat, monsieur le secrétaire d’État, au moment de la discussion de la révision constitutionnelle. Dans son discours devant le Congrès, le Président de la République avait insisté sur cet aspect des choses. Or si les pétitions sont intéressantes, ne serait-ce qu’au plan oral, il faut traduire tout cela et le mettre en place concrètement.

L’an prochain, nous commencerons par dresser un bilan des engagements pris cette année par le Gouvernement pour, ensuite, laisser les commissions et les groupes formuler leurs observations.

Je vous remercie, monsieur le secrétaire d’État, pour cette première, dans ce cadre, devant nous. Je remercie également Valérie Létard pour sa présentation, comme je remercie chacune et chacun d’entre vous, mes chers collègues, d’être venus nombreux. Je rappelle que cette séance était retransmise sur les réseaux sociaux et sur internet.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures quarante-cinq en salle Clemenceau, est reprise à dix-huit heures dans l’hémicycle, sous la présidence de M. Vincent Delahaye.)

PRÉSIDENCE DE M. Vincent Delahaye

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

4

Décès d’un ancien sénateur

M. le président. J’ai le regret de vous faire part du décès de notre ancien collègue Jean-Claude Boulard, qui fut sénateur de la Sarthe de 2014 à 2017.

5

Candidatures à des commissions

M. le président. J’informe le Sénat que des candidatures pour siéger au sein de plusieurs commissions ont été publiées. Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.

6

Transport fluvial

Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur le transport fluvial à la suite de la présentation du rapport du Conseil d’orientation des infrastructures du 1er février 2018, organisé à la demande du groupe Les Républicains.

Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.

Je rappelle que l’auteur de la demande du débat dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.

À l’issue du débat, le groupe auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.

Dans le débat, la parole est à M. Christophe Priou, pour le groupe auteur de la demande.

M. Christophe Priou, pour le groupe Les Républicains. Madame la ministre, nous avons pu constater que vous passiez, quoi qu’il arrive, un bel après-midi au Sénat ! (Sourires.)

Cela étant, des collègues spécialistes du monde maritime et fluvial et moi-même avons souhaité organiser ce débat.

Bordée par trois mers et un océan, la France redécouvre qu’elle est un pays maritime. Avec des navires et leurs équipages connectés en permanence à la terre, nous sommes entrés dans l’ère de la maritimisation des échanges. Si, comme on le dit, la mer semble de plus en plus être une sorte de prolongement de la terre, le fleuve est finalement une avenue, une artère, une veine irriguant tous les territoires avec une dimension éminemment européenne.

S’il existe un fait maritime, il existe aussi une réalité fluviale ! À la mer, le commerce du lointain, au fleuve, l’acheminement dans les terres. Du bassin rhénan à la Provence, des Flandres à la Ligurie !

Mais notre vieux et beau pays, irrémédiablement centré sur sa capitale, Paris, est pourtant irrigué en toutes régions par d’importants cours d’eau. L’Europe continentale du Nord, pionnière du fluvial, se présente comme une longue plaine entre mer et montagne. Quelque part, le destin de l’Europe s’y est inscrit en favorisant les échanges par voie navigable.

La géographie fluviale française se concentre autour de trois axes majeurs, commercialement stratégiques : l’axe Seine-Nord-bassin rhénan ; l’Ouest, et son grand bassin fluvial atlantique ouvert sur l’océan, connecté aux ports de la façade ; enfin, l’axe Rhône-Saône vers la Méditerranée.

Le fluvial est donc le prolongement de la connexion des ports avec ce que l’on appelle aujourd’hui techniquement l’hinterland, autrement dit l’arrière-pays – une aubaine géographique ignorée en pratique dans notre pays.

Nos villes anciennes, capitales régionales, sont toutes associées aux cours d’eau. Avec l’écluse, puis les canaux de jonction, Henri IV a été le précurseur du développement économique des territoires par la navigation intérieure. Cette volonté existera pendant trois siècles avant la raréfaction des investissements et un entretien en déclin, notamment durant ces dernières décennies.

Pour ce qui concerne la situation actuelle, je laisse à mes chers collègues le soin d’énumérer les chiffres clés du transport fluvial, en établissant les forces et les faiblesses de ce mode de transport aujourd’hui.

Pour ma part, je souhaite poser simplement les bases d’un débat utile parce qu’il est nécessaire de tirer le meilleur parti de nos 8 000 kilomètres de voies navigables. Ce débat doit permettre de faire émerger des propositions concrètes, des perspectives économiques et de consolider le calendrier. Nous attendons du Gouvernement qu’il nous éclaire sur les choix stratégiques qu’il souhaite opérer et qu’il nous indique s’il entend s’appuyer sur les recommandations du Conseil d’orientation des infrastructures.

Un mot sur la réalité actuelle : le secteur du fret, malgré un recul quantifiable, a un besoin croissant de personnel qualifié. N’oublions pas que près de 5 000 personnes en France vivent directement du transport fluvial. Cela signifie que l’on doit mettre aussi l’accent sur la formation, à l’instar de l’apprentissage proposé par le Centre de formation d’apprentis de la navigation intérieure situé au Tremblay-sur-Mauldre, dans les Yvelines, offrant des débouchés variés aux jeunes : de matelot à commandant ou chef d’entreprise de batellerie artisanale. La prochaine loi sur la formation professionnelle et l’artisanat sera l’occasion d’évoquer ce point.

Le gestionnaire des infrastructures, Voies navigables de France, ou VNF, reste dépendant des financements publics et doit faire face à une baisse des investissements sur les infrastructures et l’hydraulique. Nous attendons du Gouvernement qu’il se positionne clairement sur la question. Un euro investi dans nos voies navigables est un euro utile pour le développement de l’activité fluviale.

D’autres pays l’ont compris depuis des siècles : les connexions des ports avec l’hinterland sont cruciales. La Belgique et les Pays-Bas ont prospéré bien avant le siècle d’or à partir de cette réalité fluviale, dont la République des Provinces-Unies, née de l’Union d’Utrecht signé en 1579, sut tirer un profit retentissant en se hissant au rang de première puissance commerciale au monde. Aujourd’hui encore son économie énergique y trouve sa source. Application concrète : à Utrecht, cette célèbre ville, depuis 2012, des navires électriques assurent une partie du fret et du ramassage des ordures sur un canal datant du XIIsiècle. À Amsterdam, un célèbre transporteur utilise un bateau de livraison.

Comparaison ne vaut pas raison, surtout avec la France dans ce domaine au regard de géographies si différentes en matière fluviale et maritime. Pourtant, tous nos grands ports français sont aux avant-postes d’un fleuve, donc du pays de l’intérieur qu’ils irriguent depuis des temps immémoriaux.

Comment répondre à la complémentarité des usages ? En donnant un nouvel élan à la logistique et au transport de marchandises sur le grand gabarit, en accroissant et en offrant une meilleure visibilité au tourisme fluvial de petit gabarit.

Comment tirer le meilleur parti de l’hydraulique, notamment dans les territoires ruraux – risques, biodiversité, alimentation en eau ?

Une modernisation des voies navigables est nécessaire. Il faut investir d’urgence et mener rapidement à leur terme des projets comme la liaison Seine-Escaut, le canal Seine-Nord avec un gabarit européen. Il faut relier la Normandie et la région parisienne au Benelux grâce à une voie navigable à grand gabarit – c’est de l’aménagement du territoire.

Or, aujourd’hui, les grands projets d’intérêt public sont contrariés par des minorités agissantes – pensons à Notre-Dame-des-Landes –, malgré toutes les procédures légales et démocratiquement validées. De quoi susciter quelques inquiétudes pour relancer l’aménagement du territoire, ce qui est d’intérêt public.

M. Joël Guerriau. Très juste !

M. Christophe Priou. Je le rappelle, une « jurisprudence Notre-Dame-des-Landes » existe et concerne tous les projets, notamment l’éolien en mer, dont nous débattrons. Effectivement, un nouvel état d’esprit s’instaure : ce qui a été validé est systématiquement remis en cause par différentes voies, pas forcément navigables, mais à tout le moins juridiques… (Sourires.)

Quelle que soit l’inspiration qui nous anime, il s’agit non pas d’écrire un roman initiatique sur le charme fluvial, la batellerie et la traversée fantastique de la France par ses cours d’eau, mais plutôt de refonder nos pratiques et nos usages, nourris d’une volonté d’étendre le rôle commercial de nos fleuves dans une dimension européenne.

Plus que d’une mobilité du quotidien, pour reprendre le titre du rapport du Conseil d’orientation des infrastructures, nous avons besoin d’une mobilité durable et viable. Une impulsion décisive doit permettre au transport fluvial d’entamer aujourd’hui une nouvelle ère, bien au-delà des rimes du général de Gaulle lorsqu’il écrit en 1963 « sur ceux qui posent » : « Dans les vases clos des […] débats, [ne soyons pas seulement] ceux qui exposent, […] supposent, […] opposent », mais plutôt « ceux qui proposent » et « transposent ».

À nous d’écrire une nouvelle feuille de route en favorisant le report des marchandises vers le mode de transport fluvial, et nous aurons rendu à nos fleuves leur utilité économique en respectant leur majesté naturelle. Mais surtout, il faut lever un obstacle majeur : l’absence d’interconnexions entre nos bassins fluviaux. Voilà le véritable défi ! Après le débat, nous passerons ensuite, je l’espère, au travail. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste. – M. Alain Fouché applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre dÉtat, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi tout d’abord de vous remercier de ce nouveau débat sur les travaux du Conseil d’orientation des infrastructures, le COI, au sein de la Haute Assemblée qui fait écho à nos échanges sur les lignes ferroviaires à grande vitesse, ainsi que sur la politique en matière d’infrastructures routières.

Débattre du fluvial, c’est d’abord parler d’aménagement du territoire tant nos voies d’eau naturelles ou artificielles contribuent à dessiner la carte de nos territoires.

Autour d’elles coexistent différentes infrastructures et usages : quais industriels, plateformes logistiques, ports de plaisance, activités nautiques, hydroélectricité, irrigation, prélèvements industriels ou promenades.

Débattre du fluvial, c’est aussi souligner les enjeux environnementaux qui concernent toutes les voies d’eau, et la forte valeur patrimoniale de certains ouvrages, à commencer par l’ensemble du canal du Midi, inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO. C’est donc naturellement évoquer le tourisme fluvial et la plaisance qui constituent des activités en plein essor.

Débattre du fluvial, c’est enfin et surtout parler de transport de marchandises, d’un mode complémentaire à la route et au fer, d’un mode sûr, non saturé, propre : un convoi fluvial, c’est aujourd’hui 200 camions en moins sur nos routes.

Toutefois, la place du fret fluvial dans notre économie n’est pas à la hauteur de ces avantages…

M. Charles Revet. Loin de là !

Mme Élisabeth Borne, ministre. … puisqu’il représente moins de 3 % du transport de marchandises.

Une partie de l’explication est géographique : le linéaire du réseau fluvial est bien plus faible que celui du réseau ferroviaire ou routier.

Une autre tient à l’état préoccupant de notre réseau de voies navigables. Il est clair que ce dernier est aujourd’hui vieillissant, et qu’il est nécessaire d’engager un effort important pour stopper sa dégradation et assurer sa régénération.

M. Charles Revet. Il y a urgence !

Mme Élisabeth Borne, ministre. Pour maintenir les fonctionnalités liées au transport tout en assurant la gestion hydraulique, l’investissement nécessaire pendant la prochaine décennie est bien supérieur aux montants engagés par VNF au cours des dernières années.

Comme pour les réseaux routier et ferroviaire, nous devons assumer, aujourd’hui, cette situation : les investissements nécessaires ont été repoussés depuis des années.

C’est ce constat qui, vous le savez, a conduit à lancer les travaux du Conseil d’orientation des infrastructures, présidé par Philippe Duron. Le rapport qui m’a été remis le 1er février dernier est le fruit d’un travail considérable. Issu d’un large consensus, il a été adopté à l’unanimité des seize membres, experts et élus, dont vos collègues Hervé Maurey, Gérard Cornu et Michel Dagbert, que je veux une nouvelle fois remercier de leur engagement.

Ce travail pose les bases d’une programmation sincère, ambitieuse et réaliste des infrastructures qui sera déclinée dans le projet de loi d’orientation sur les mobilités que je défendrai prochainement devant la Haute Assemblée.

Quel que soit le scénario retenu, les recommandations du COI sur le mode fluvial sont très proches.

Il s’agit, d’abord, d’une hausse significative des crédits de l’État alloués à VNF, au titre de la régénération, afin d’atteindre progressivement les montants nécessaires pour la remise à niveau du réseau, en tenant compte des moyens propres de VNF et des efforts que doit faire cet établissement.

Il s’agit, ensuite, d’un investissement important en termes de modernisation dans les cinq ou dix prochaines années selon le scénario, pour accompagner la fiabilisation des équipements de navigation et la modernisation des méthodes d’exploitation.

Il s’agit, enfin, d’un soutien aux trois grands projets fluviaux étudiés par le COI : l’aménagement de la Lys mitoyenne, la mise à grand gabarit de l’Oise entre Creil et Compiègne et la mise à grand gabarit de la Seine amont entre Bray-sur-Seine et Nogent-sur-Seine.

Il est également un projet sur lequel vous êtes – je le sais – nombreux à être attentifs : le canal Seine-Nord. Je n’y insisterai pas maintenant, car je ne doute pas qu’il sera au cœur de nombreuses questions qui me seront posées.

La programmation des infrastructures de transport que je présenterai au Parlement tiendra bien évidemment compte de ces orientations.

La robustesse et la fiabilité des infrastructures sont en effet un préalable au développement du trafic fluvial. Une situation comme celle de la Seine amont, où les bateliers, les chargeurs céréaliers ou du BTP ont connu d’importantes restrictions de navigation ces derniers mois à la suite des dégâts occasionnés par les crues, n’est pas acceptable.

Au-delà de cet objectif, d’autres efforts doivent être faits.

Je pense d’abord au renforcement de la connexion entre les points maritimes d’import et d’export que sont nos grands ports et les ports intérieurs pour constituer de véritables logiques d’axes logistiques et portuaires le long des axes fluviaux.

Les missions confiées par le Premier ministre au préfet Philizot sur l’axe Seine, au préfet Lalande sur l’axe Nord et à Jean-Christophe Baudouin sur l’axe Méditerranée-Rhône-Saône répondent à cet objectif.

Il s’agit également d’accompagner le transport fluvial de marchandises et de passagers pour qu’il saisisse toutes les opportunités de développement économique, en surmontant quatre grands défis.

Le premier réside dans la performance économique et logistique : il s’agit de limiter le coût des ruptures de charge, de s’intégrer davantage dans les chaînes logistiques et d’attirer de nouveaux trafics. À ce titre, je me réjouis de la validation par la Commission européenne, la semaine dernière, du nouveau plan d’aide au report modal, le PARM, doté d’une enveloppe de 20 millions d’euros sur la période 2018-2022 et mis en place par VNF pour favoriser le report modal vers la voie d’eau, au travers d’une aide aux chargeurs.

Le deuxième défi est celui de la transition numérique ; l’objectif est que le transport fluvial se saisisse de toutes les opportunités offertes par la digitalisation des chaînes logistiques et par la dématérialisation des procédures administratives.

Le troisième défi est celui de la performance environnementale ; il convient de saisir toutes les capacités d’innovation pour que le transport fluvial se positionne comme un mode de transport propre. Le verdissement de la flotte fluviale est ainsi l’un des principaux objectifs du nouveau plan d’aides à la modernisation et à l’innovation, le PAMI, doté de 16,5 millions d’euros sur la période 2018-2022, également géré par VNF et approuvé par la Commission européenne en même temps que le PARM.

Enfin, le quatrième défi est le défi social ; il s’agit d’offrir des conditions attractives d’emploi.

Pour relever ces défis, le secteur fluvial français doit impérativement se rassembler, afin de mener des actions collectives impliquant les différents intervenants de la chaîne de transport. C’est pourquoi j’ai demandé au préfet François Philizot d’organiser la préfiguration d’une interprofession fluviale, avec l’ensemble des parties prenantes intéressées, dont la réunion de lancement aura lieu demain.

Vous le voyez, nous allons conduire dans les prochaines années une politique volontaire et exigeante en faveur du mode fluvial.

En cohérence avec la démarche de programmation des infrastructures et d’élaboration d’une loi d’orientation sur les mobilités que nous menons actuellement, nous avons engagé avec VNF des discussions sur le modèle économique, les ressources et les objectifs pluriannuels de cet établissement, afin d’améliorer la qualité de service et la disponibilité du réseau, d’optimiser son organisation et de maîtriser les risques. Ces démarches conduiront à un contrat d’objectifs et de performance avec l’établissement, dans lequel je souhaite que l’État s’engage sur des moyens, et VNF sur des résultats.

Programmation des infrastructures de transport, projet de loi d’orientation sur les mobilités, contrat d’objectifs et de performance : voilà l’ensemble des dispositifs qui nous permettront d’établir une vision stratégique claire, avec des objectifs réalistes et sincères, afin de permettre au secteur fluvial de réussir sa transformation et son développement au service de l’aménagement du territoire et de la transition écologique. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe socialiste et républicain et sur des travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe Union Centriste.)

Débat interactif