M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « Comment repenser la politique familiale en France ? »
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures, est reprise à seize heures quinze.)
M. le président. La séance est reprise.
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Communication relative à une commission mixte paritaire
M. le président. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur la proposition de loi relative à la mise en œuvre du transfert des compétences eau et assainissement aux communautés de communes et aux communautés d’agglomération n’est pas parvenue à l’adoption d’un texte commun.
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La politique de concurrence dans une économie mondialisée
Débat organisé à la demande du groupe La République En Marche
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe La République En Marche, sur le thème : « La politique de concurrence dans une économie mondialisée ».
Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
Je vous rappelle que le représentant du groupe auteur de la demande dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.
À l’issue du débat, le groupe auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.
Dans le débat, la parole est à M. Richard Yung, pour le groupe auteur de la demande. (MM. André Gattolin et Jean Bizet applaudissent.)
M. Richard Yung, pour le groupe La République En Marche. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, Adam Smith, Walras, Pareto, Schumpeter et bien d’autres…
M. Jean Bizet. Cela démarre très fort !
M. Richard Yung. Nous avons quelques souvenirs de l’université ! (Sourires.)
Les économistes, disais-je, ont mis en lumière les vertus de la concurrence, outil essentiel au bon fonctionnement d’une économie, en ce qu’elle génère une baisse des prix, améliore la qualité des produits et stimule l’innovation. Nous savons bien sûr que ce sont des modèles théoriques et que, dans la pratique, les choses ne se passent pas tout à fait comme cela.
Au sein d’une économie mondialisée, la concurrence entre les entreprises de différents pays est rendue possible grâce au libre-échange, qui permet de baisser les barrières de l’échange, les obstacles non tarifaires, les normes, par exemple en matière de santé, de sécurité, mais aussi la propriété intellectuelle. Il permet en théorie aux pays de se spécialiser en fonction de leur productivité – c’est ce que l’on appelle l’avantage comparatif – et aux consommateurs d’avoir accès à un large éventail de biens et de services.
Le libre-échange a pourtant bien peiné à s’imposer. Après plusieurs siècles de protectionnisme, il a fallu attendre véritablement la fin de la Seconde Guerre mondiale pour que les freins au commerce international soient réduits, à l’exception notable du Zollverein, qui a permis l’unification de l’Allemagne au travers de son unification douanière.
La France elle-même a toujours eu un problème avec la mondialisation, considérée souvent comme négative ou dangereuse. Au contraire, les Pays-Bas, par exemple, ont constamment fait du commerce extérieur le principal moteur de leur développement économique.
La mondialisation telle que nous la connaissons aujourd’hui a engendré des géants économiques qui opèrent sur les différents marchés du monde. La position dominante de ces multinationales constitue un réel avantage, dont celles-ci abusent d’ailleurs trop souvent afin de restreindre l’accès au marché d’autres concurrents.
Le rôle d’une autorité de la concurrence efficace doit être de sanctionner ces pratiques. C’est ce que fait l’autorité de la concurrence française, qui a notamment réussi dans le domaine de l’internet mobile en 2012.
Sur le plan européen, la pratique de la commissaire européenne à la concurrence mérite notre considération, puisque celle-ci a prononcé l’une des peines les plus lourdes en matière d’abus de position dominante, avec une amende de 2,4 milliards d’euros infligée à Google il y a à peine un an.
Malgré ces avancées, force est de constater que la situation demeure critique. Nous avons encore de grands progrès à réaliser, même si, avec le développement de l’OMC, nous espérions une régulation des flux commerciaux internationaux, un accès des pays les plus pauvres aux marchés et la résolution de différends. La pratique est plus décevante.
La planification fiscale est pratiquée par certains États ; nous en connaissons un certain nombre en Europe qui ont recours au dumping fiscal, afin d’attirer des entreprises sur leur sol. Cette politique peu morale, bien que la morale n’ait pas grand-chose à faire avec ces questions, et ce traitement de faveur s’appuient sur des failles juridiques et posent un double problème : la difficile émergence d’acteurs européens compétitifs et, bien sûr, le manque à gagner pour les États.
Nous devons aussi nous pencher sur les subventions étatiques non déclarées. Je pense à la Chine, dont les producteurs d’acier et d’aluminium tirent avantage de larges aides publiques ; sur ce point, Donald Trump n’a pas tout à fait tort. Ceux-ci ne sont en outre pas soumis aux mêmes contraintes en matière d’émission de CO2 que leurs concurrents européens. Même si elle peut entraîner une baisse des prix pour le consommateur, cette concurrence déloyale ne peut avoir que des effets négatifs sur le long terme.
La situation est difficile entre l’Union européenne et ses plus proches partenaires, à savoir les États-Unis et la Chine, dans le domaine de l’accès aux marchés publics. Nous avons bien des difficultés à accéder aux marchés publics américains et plus encore chinois, alors que nos marchés publics sont largement ouverts.
Doit-on considérer que les secteurs d’une économie nationale, y compris ceux qui présentent un intérêt stratégique particulier, doivent être ouverts sans discrimination à la concurrence étrangère ? Nos partenaires chinois et américains ont adopté un certain nombre de mesures restrictives. L’Allemagne et la France demandent depuis trois ans à l’Union européenne de prendre des mesures en la matière, mais ce n’est pas encore chose faite.
La France joue un rôle actif. Nous l’avons fait pour la directive sur les travailleurs détachés. Nous le faisons en essayant d’instaurer une taxe sur le chiffre d’affaires des géants du numérique, qui devrait rapporter entre 3 milliards et 5 milliards d’euros, mais celle-ci est difficile à mettre en œuvre.
Concernant la préservation de nos intérêts stratégiques, l’extension du décret dit « Montebourg » constitue également une avancée positive. Prévue dans le cadre du futur Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises, le projet de loi PACTE, elle obligera les investisseurs étrangers à obtenir une autorisation de Bercy pour investir en France dans des secteurs comme l’intelligence artificielle, le domaine spatial, le stockage de données, les technologies les plus modernes.
Enfin, je citerai le Buy European Act, l’équivalent du Buy Americain Act pratiqué aux États-Unis, qui figurait dans le programme d’Emmanuel Macron.
Vous l’avez compris, mes chers collègues, beaucoup a été réalisé en peu de temps afin que notre politique de concurrence soit refondée. Le Gouvernement a montré sa volonté de faire évoluer la situation au niveau national et international, mais force est de constater que beaucoup d’obstacles se dressent sur notre route. La question se pose désormais de savoir comment surmonter ceux-ci pour atteindre notre objectif d’un modèle de concurrence équitable et durable.
C’est, je l’espère, ce que nous permettra de clarifier le débat de cet après-midi. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe Union Centriste. – M. Gérard Longuet applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur Richard Yung, je suis très heureuse d’être aujourd’hui avec vous pour débattre d’un sujet qui est au centre de nos réflexions économiques : la politique de la concurrence, notamment son évolution dans le contexte de la mondialisation de notre économie.
La concurrence est une caractéristique intrinsèque de nos économies de marché : sans concurrence, pas de nouveaux entrants, pas de nouveaux produits, pas de mécanisme efficient de formation du prix. Sans concurrence, c’est la logique de la rente qui s’installe.
La politique de concurrence ne bénéficie pas seulement au consommateur : quand elle est bien utilisée, elle permet de faire progresser l’économie dans son ensemble, en faisant respecter l’ordre public économique.
Comme vous l’avez très bien dit, monsieur le sénateur, ce débat a passionné plusieurs générations d’économistes, et il prend un relief nouveau avec la construction européenne et l’approfondissement du marché intérieur, avec l’irruption de la mondialisation comme fait économique majeur ces dernières décennies et, très récemment, avec certaines décisions d’un grand partenaire commercial de la France.
Permettez-moi de commencer par cette actualité récente. Le 8 mars dernier, le président Donald Trump a annoncé la mise en place de droits de douane additionnels sur les importations américaines d’acier et d’aluminium pour des motifs de protection de la sécurité nationale.
L’effet de ces mesures va essentiellement se faire sentir sur les alliés des États-Unis, qui sont les principaux fournisseurs de ce pays dans ces deux secteurs : l’Union européenne, mais aussi le Brésil, le Canada, l’Argentine, le Mexique ou la Corée.
L’Union européenne a instantanément fait valoir une position ferme, par la voix de la Commission, avec le plein soutien de la France et, unanimement, de tous les États membres.
Certes, nous savons que des surcapacités existent dans ces secteurs, mais nous n’en sommes pas l’origine. En outre, l’Europe est un allié des États-Unis et non une menace pour leur sécurité. En tout état de cause, des mesures unilatérales prises par un État en contradiction avec les règles de l’OMC ne sont pas une solution à un problème d’ordre structurel.
L’administration Trump a accepté une exemption temporaire de plusieurs États, dont l’Union européenne, qui a été renouvelée le 30 avril, jusqu’au 1er juin prochain. Néanmoins, l’Union européenne reste ferme et demande aux États-Unis une exemption permanente et inconditionnelle des mesures sur l’acier et l’aluminium, car nous refuserons, bien sûr, toute négociation commerciale sous la menace.
Parallèlement, nous nous sommes mis en capacité de répondre, conformément au droit de l’OMC, aux mesures qui seraient éventuellement mises en œuvre par les États-Unis, à la fois par la saisine de l’organe de règlement des différends à l’OMC, la mise en place de mesures de sauvegarde pour protéger l’industrie européenne de l’acier et des mesures de compensation sur des produits américains ciblés.
Enfin, et c’est très important, nous restons ouverts à un dialogue avec les États-Unis sur le futur de l’OMC et sur un renforcement des règles de concurrence mondiale, en particulier sur le contrôle des subventions industrielles. Voilà une illustration concrète, qui continue de fortement mobiliser le Gouvernement, des enjeux mondiaux de la concurrence dans le commerce international.
Plus généralement, la France considère que les règles du commerce mondial, telles qu’elles résultent des accords fondateurs de l’OMC datant de 1994, ne répondent que partiellement à la situation d’aujourd’hui. Le fait que certains membres de l’OMC continuent de développer des politiques industrielles reposant sur des systèmes de subventions massives et d’avantages considérables donnés à leurs entreprises nationales constitue bien sûr l’un des principaux défis posés à la compétitivité de nos entreprises et de nos économies.
Nos entreprises ne luttent pas toujours à armes égales. Il est donc nécessaire de lutter collectivement contre les surcapacités et de discipliner bien davantage, au niveau multilatéral, les pratiques de subventions massives développées et amplifiées ces dernières années par certains États.
Les surcapacités concernent potentiellement de très nombreux secteurs, y compris des secteurs de haute technologie industrielle, comme les batteries automobiles.
Le cadre multilatéral est alors indispensable. Le renforcement des disciplines multilatérales dans le cadre de l’OMC est un enjeu prioritaire sur lequel l’Union européenne, les États-Unis, mais également les puissances émergentes et les pays en développement doivent travailler ensemble.
Par ailleurs, la construction d’une « Europe qui protège », voulue par la France, appelle des instruments européens robustes en matière commerciale, car l’Union européenne doit non seulement contribuer au renforcement des règles multilatérales, mais également renforcer ses propres instruments dédiés à la protection de ses intérêts légitimes, dans le strict respect des règles de l’OMC.
Or nous avançons : l’Union européenne vient d’adopter une réforme de ses instruments de défense commerciale, dont les deux principaux piliers sont en train d’entrer en vigueur. La nouvelle méthode antidumping de l’Union nous permettra de maintenir des instruments de protection justes et proportionnés, mais parfaitement efficaces pour contrer les pratiques commerciales déloyales. De plus, l’Union s’apprête à publier une réforme de « modernisation des instruments de défense commerciale », qui permettra de renforcer l’arsenal de défense européen. Ce dernier sera rendu plus efficace, plus réactif et plus transparent.
D’autres projets méritent d’être signalés pour rétablir des conditions de concurrence équilibrées : le règlement sur l’examen des investissements étrangers en Europe, le règlement relatif à la mise en place d’un instrument de réciprocité dans les marchés publics et l’instauration d’un « procureur » commercial européen.
Toutefois, notre politique de la concurrence ne doit pas seulement se contenter de s’adapter à la mondialisation. Elle doit aussi répondre aux nouveaux défis que représentent les acteurs du numérique.
Vous avez mentionné, monsieur Yung, le cas emblématique des GAFA. Ces nouveaux acteurs, tout en ayant pu stimuler la concurrence et répondre aux attentes des consommateurs, requièrent de nouvelles approches. Nous avons appelé de nos vœux une initiative européenne pour tenir compte de cette économie des plateformes.
D’une part, le marché unique numérique reste, à ce stade, dominé par des acteurs extraeuropéens, ce qui implique que l’Europe doit résolument adopter une stratégie offensive afin de permettre l’émergence d’acteurs européens leaders. D’autre part, sur certains marchés de plateformes B to B, l’existence de dysfonctionnements majeurs fortement préjudiciables à l’efficacité des marchés concernés a été mise à jour.
Dans ce contexte, il importe d’appréhender au mieux les relations contractuelles entre acteurs économiques du numérique, notamment pour protéger les PME face aux incontournables mastodontes du marché.
Notre droit français des pratiques restrictives de concurrence est en pointe pour appréhender certaines pratiques des acteurs du numérique, à l’instar de celles de la grande distribution. Sur ce fondement ont été condamnées les sociétés Booking et Expedia, pour des pratiques déloyales à l’encontre des hôteliers français. Nous avons assigné, avec Bruno Le Maire, Amazon, Google et Apple pour pratiques commerciales déloyales liées au fonctionnement des places de marché ou aux magasins d’applications.
Nous plaidons pour que l’Union européenne se dote, elle aussi, d’un cadre juridique adapté. Il faut saluer l’initiative de la Commission européenne de proposer un règlement européen qui mettrait en place un encadrement renforcé des plateformes numériques en Europe.
Par ailleurs, vous le savez, la France porte avec beaucoup d’énergie le débat sur la fiscalité, qui est bien évidemment un enjeu majeur de régulation de l’activité des GAFA.
Les géants du numérique paient peu ou pas d’impôts dans la plupart des États où ils déploient leur activité et réalisent des bénéfices. Cette situation pose un problème d’équité et mine le fonctionnement du marché intérieur. À cet égard, la proposition de la Commission de taxe sur les services du numérique a permis d’engager la discussion très concrètement avec nos partenaires européens.
Ces deux exemples montrent combien nous sommes actifs, nous réfléchissons, nous nous adaptons, nous travaillons, pour que notre politique de concurrence soit pleinement ancrée dans l’actualité et dans les enjeux d’aujourd’hui.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je me tiens à votre disposition pour répondre à vos questions sur tous les points spécifiques que vous voudrez aborder. (Applaudissements.)
Débat interactif
M. le président. Mes chers collègues, madame la secrétaire d’État, je rappelle que chaque orateur dispose au maximum de deux minutes pour présenter sa question, avec une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.
Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition toutefois qu’il ait scrupuleusement respecté le temps de parole de deux minutes imparti pour présenter sa question.
Par rapport à cette règle claire établie par la conférence des présidents, je suis prêt, comme dans le débat précédent, à ajouter un battement de dix secondes : dès lors que l’auteur de la question ne dépasse pas son temps de parole de plus de dix secondes, il a un droit de réplique de vingt secondes.
Dans le débat interactif, la parole est à Mme Colette Mélot.
Mme Colette Mélot. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis que l’Europe est l’Europe, la politique de concurrence est inscrite dans son ADN économique.
Le traité de Rome, à l’origine de la Communauté économique européenne, prévoyait déjà, en 1957, que la politique de concurrence est une prérogative communautaire. C’est ainsi que, depuis plus d’un demi-siècle, les autorités européennes travaillent à offrir aux citoyens européens la meilleure gamme de produits au meilleur prix, à l’appui d’un environnement concurrentiel pour les entreprises.
Le secteur de l’économie numérique ne peut échapper à cette mise en concurrence. Aujourd’hui, en raison des effets de réseaux, quelques grands opérateurs dominent le marché européen : les GAFA – Google, Apple, Facebook, Amazon – et les NATU – Netflix, Airbnb, Tesla et Uber – sont installés sur le marché et freinent l’entrée des PME et des TPE. De nombreuses professions traditionnelles craignent en effet que leur entrée sur le marché du numérique et leur transformation digitale ne les fassent disparaître à très court terme du marché.
Les pouvoirs publics ne sont pas pour autant démunis face à cette situation. En 2015, quatre économistes du Conseil d’analyse économique publiaient une note intitulée Économie numérique, faisant état de plusieurs propositions pour ouvrir le secteur de l’économie numérique à la concurrence. Évolution des réglementations en vigueur, soutien aux expérimentations pratiques, ouverture des données publiques et partage des données privées, toutes ces solutions sont des pistes pour l’avenir.
Madame la secrétaire d’État, ma question est simple : face au gigantisme des entreprises du numérique, quelles solutions le gouvernement français envisage-t-il pour accompagner les autorités européennes dans sa politique de concurrence appliquée au secteur du numérique ? J’ai conscience que vous avez précédemment apporté des éléments de réponse, mais pourriez-vous nous donner quelques compléments d’information ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Madame Mélot, je vous remercie de votre question. Comme je le disais, le numérique ne doit pas faire exception ; il doit y régner de bonnes pratiques de concurrence. Nous ne devons pas laisser prospérer des situations anormales d’abus de position dominante ou de rentes de situation, préjudiciables aux nouveaux entrants, à l’innovation et, in fine, à notre économie.
Au niveau national, j’ai évoqué l’action du Gouvernement, en particulier les condamnations des sociétés Booking et Expedia, ainsi que les procédures lancées contre Amazon, Google et Apple pour des pratiques commerciales jugées déloyales.
Au niveau européen, de récentes décisions ont également confirmé la mobilisation de la Commission européenne, notamment celles contre Google ou contre Apple.
Pour autant, nous devons continuer à renforcer notre arsenal juridique, et cela passe d’abord par le rétablissement d’une juste concurrence fiscale.
C’est tout l’objet des orientations que nous poussons au niveau européen, avec Bruno Le Maire, pour une juste fiscalisation des GAFA. Il existe une initiative de la Commission européenne, que le Gouvernement soutient très fortement, en vue de proposer un règlement européen en faveur d’un encadrement renforcé des plateformes numériques en Europe. La France a été précurseur en la matière, notamment avec la loi pour une République numérique. Il convient de porter ces avancées au niveau européen, pour rééquilibrer les rapports de force entre les plateformes, parfois monopolistiques, et les fournisseurs de ces dernières.
Enfin, nous devons poursuivre la réflexion sur les critères autres que le chiffre d’affaires pour l’examen des concentrations, afin de capter certaines transactions dans le domaine du numérique, du type du rachat de WhatsApp par Facebook. Certains États membres, comme l’Allemagne ou l’Autriche, ont déjà fait évoluer leur réglementation en la matière, et nous avons nous-mêmes des réflexions en cours à ce sujet.
M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot, pour la réplique.
Mme Colette Mélot. Madame la secrétaire d’État, je vous remercie de ces compléments. Sur ce sujet, vous le savez, les PME et les TPE sont véritablement dans l’attente de réponses du ministère de l’économie. C’est une question d’équité : il faut absolument que les GAFA soient traités comme les autres entreprises de l’Union européenne. Je vous remercie d’y veiller.
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty.
M. Jean-Marc Gabouty. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, pas une semaine ne passe sans que la politique de concurrence dans l’économie mondiale soit sous le feu de l’actualité, en ce sens qu’elle est souvent utilisée comme un outil pour déployer des politiques publiques ou subordonnée à des décisions géostratégiques.
Par ailleurs, la définition de la politique de concurrence varie d’un État à l’autre, voire d’un continent à l’autre, et affecte les entreprises publiques et privées, ce qui rend l’approche tout particulièrement délicate et a nécessairement des conséquences sur les stratégies d’implantations industrielles et commerciales.
L’équilibre à trouver entre, d’une part, la lutte contre le protectionnisme parfois clairement affiché de certains États, l’entente ou la concurrence déloyale, que vous avez vous-même évoquée, madame la secrétaire d’État, et, d’autre part, l’intérêt des consommateurs et la liberté d’entreprendre est un exercice complexe, qui, certes, ne peut déboucher que sur des résultats imparfaits.
À ce jour, quelques bassins géographiques au sein d’organisations régionales connaissent de longue date ces situations ou prennent des initiatives louables pour concilier ces impératifs avec des règles particulièrement transparentes. Je pense bien entendu, en premier lieu, à l’Union européenne, qui a fait de la politique de la concurrence un pilier de sa construction.
Il ne faut pas cependant que cet effort éthique de la France et des pays de l’Union européenne cède à une forme de naïveté, qui ne ferait que pénaliser nos économies et empêcher la constitution de champions européens, dont l’émergence est particulièrement souhaitable dans le cadre d’une concurrence mondialisée.
Ma question portera sur la manière d’aborder, sur le plan éthique et sur le plan opérationnel, de graves atteintes au droit légitime des entreprises de librement commercer face à des décisions de boycott décrétées de façon unilatérale par certains pays. Je pense en particulier à des pays dits « amis », comme les États-Unis, qui veulent empêcher toute entreprise d’entretenir des relations d’affaires avec l’Iran, et ce au mépris de l’ensemble des règles internationales, puisque leurs décisions politiques et économiques ont un caractère totalement unilatéral.
Quelle réponse apporter à cette difficulté majeure, qui, en dehors de son caractère néfaste sur le plan géopolitique et en termes de sécurité, est la manifestation d’une attitude impérialiste et constitue une entrave insupportable à la liberté du commerce et des échanges ? (MM. Pierre Louault, Marc Laménie et Sébastien Meurant applaudissent.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Monsieur Gabouty, sur ce sujet en effet d’une brûlante actualité, les ministres Bruno Le Maire et Jean-Yves Le Drian on fait le point avec les entreprises concernées.
Il s’agit de disposer, au niveau national, d’une évaluation du risque encouru et des positions des uns et des autres pour en discuter avec les États-Unis et protéger les intérêts légitimes de nos entreprises, sachant toutefois que ce sera, in fine, à ces opérateurs privés de prendre la décision de rester ou non en Iran.
Bien évidemment, pour trouver une réponse au bon niveau, c’est au sein de l’Union européenne que nous devons travailler et réfléchir à l’impact de telles sanctions extraterritoriales. L’Europe doit affirmer sa souveraineté économique. Pour cela, nous allons travailler sur trois pistes.
Premièrement, il convient de renforcer les outils existants pour empêcher l’application de lois extraterritoriales et protéger nos entreprises. S’il existe un règlement européen de blocage, publié en 1996, celui-ci n’est pas parfait et doit donc être révisé, renforcé, afin d’inclure les dispositions sur l’Iran.
Deuxièmement, il importe de créer les moyens de notre autonomie financière, car le financement de nos entreprises et de leurs investissements dans cette zone est le nerf de la guerre. Nous devons donc mettre en place des instruments de financement européens ad hoc quand les canaux traditionnels ne peuvent plus être utilisés.
Troisièmement, et enfin, il nous faut nous donner les moyens de parler d’égal à égal avec les États-Unis, en particulier avec l’OFAC américain, le bureau qui fait partie du Trésor, met en œuvre les sanctions et poursuit les entreprises. Nous réfléchissons à la création d’un OFAC européen.
En un mot, nous devons nous donner les moyens, en Europe, de façon autonome, de pouvoir continuer à commercer avec les pays et dans des conditions que nous estimons légitimes.
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty, pour la réplique.
M. Jean-Marc Gabouty. Je vous remercie de votre réponse, madame la secrétaire d’État. Vous nous dites – c’est un constat que nous partageons et nous en sommes tous responsables – que nous sommes désarmés pour répondre effectivement au diktat américain, puisque nous n’avons pas, jusqu’à présent, mis en place les moyens nécessaires.
Cela aura comme traduction, par exemple, le retrait de Total du premier projet gazier iranien, dans lequel l’entreprise détenait 51 %. Elle va laisser sa part à l’actionnaire n° 2, qui est une compagnie chinoise… Loin d’être uniquement une affaire privée, c’est pour moi une affaire d’État, et je ne suis pas sûr que M. Trump soit sensible aux câlins ou aux accommodements. Si nous en avions les moyens, il serait peut-être plus sensible à la menace qu’à autre chose. (M. Sébastien Meurant applaudit.)