M. le président. La parole est à M. Jean Bizet.
M. Jean Bizet. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la politique de concurrence est une dimension historique fondamentale de la construction européenne depuis les années cinquante.
Seule une concurrence libre et non faussée permet au marché unique de fonctionner efficacement et de produire pleinement ses effets, qu’il s’agisse de la dynamisation des entreprises, de l’accroissement de la compétitivité ou de la baisse des prix pour les consommateurs.
Or nous sommes aujourd’hui confrontés à plusieurs défis : tout d’abord, l’accélération des évolutions de l’environnement économique international ; ensuite, l’émergence de nouveaux acteurs, dont les pratiques sont parfois discutables au regard des principes de concurrence ; enfin, le développement des échanges matériels et immatériels. Autant d’éléments qui doivent conduire l’Union européenne à adapter sans plus tarder sa politique de concurrence.
Je prendrai l’exemple de son approche en matière de contrôle des concentrations d’entreprises. Vous le savez, trop souvent, nos entreprises sont empêchées de se rapprocher de partenaires européens dans des secteurs-clés.
M. Gérard Longuet. C’est vrai !
M. Jean Bizet. Elles sont condamnées à rechercher des alliances extraeuropéennes. C’est la condition pour atteindre une taille critique qui leur permette d’affronter la concurrence internationale.
L’Europe perd ainsi le contrôle des technologies qu’elle a elle-même créées. Elle devient dépendante des centres de décision étrangers ; sa souveraineté économique est fragilisée. Voilà tout simplement mise en cause une approche datée, restrictive, d’une politique de la concurrence, qui doit changer d’échelle de référence.
La commission des affaires européennes du Sénat le répète depuis longtemps, cessons d’être naïfs, cessons de mettre en œuvre une vision inadaptée du marché pertinent. Cette approche erronée empêche l’émergence de champions européens capables d’affronter la compétition internationale.
Madame la secrétaire d’État, pouvez-vous nous dire comment le Gouvernement entend faire évoluer les approches européennes en la matière, dans un domaine qui relève de la compétence exclusive de l’Union ?
Au-delà, quelles sont les perspectives de rééquilibrage de la concurrence au niveau international, alors que des États interviennent directement au soutien de leurs entreprises nationales, tant en matière d’investissements directs étrangers qu’en matière d’offres de service ? Et je ne ferai que mentionner la dimension anticoncurrentielle de l’application extraterritoriale des lois américaines ; ce sujet mériterait un débat à lui tout seul. (M. Sébastien Meurant applaudit.)
M. Gérard Longuet. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Monsieur Bizet, je ne reviendrai pas sur les évolutions que nous sommes en train d’encourager pour ce qui concerne les plateformes numériques.
S’agissant de la réponse à apporter à la politique extraterritoriale américaine, je me concentrerai sur les nouveaux thèmes que vous avez évoqués. Avoir des champions industriels au niveau européen est évidemment un objectif qui nous tient à cœur. Le Gouvernement a montré d’ailleurs qu’il était prêt à l’action, à l’occasion d’opérations récentes de rapprochement.
C’est un sujet que nous continuerons à porter dans le cadre de la promotion d’une politique européenne industrielle. Il importe vraiment que l’Europe ait une vision industrielle, qui nous conduise à identifier les voies menant à la création de ces champions dont nous avons besoin pour renforcer notre tissu européen et garantir de façon pérenne son ancrage sur notre continent.
Par ailleurs, dans le droit fil du souhait du Président de la République de construire une Europe qui protège, les instruments de défense en matière de politique commerciale sont renforcés et rendus plus efficaces, plus réactifs et plus transparents.
Nous continuerons à soutenir des mesures allant dans le sens d’un renforcement des instruments de défense commerciale, notamment en poussant à l’adoption du règlement sur les investissements étrangers au niveau de l’Union européenne, à l’adoption d’un règlement relatif à la mise en place de la réciprocité dans les marchés publics et à l’instauration du procureur commercial européen.
Au niveau national, notre arsenal en matière de contrôle des investissements étrangers va également être renforcé dans le cadre de la future loi PACTE, comme l’a annoncé le Premier ministre : davantage de secteurs seront soumis à la procédure de contrôle, et les sanctions prononcées seront plus crédibles et efficaces.
M. le président. La parole est à M. Georges Patient.
M. Georges Patient. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous parlons de « concurrence libre et non faussée », objectif inscrit dans le préambule du traité fondant la Communauté économique européenne. On ne peut nier, plus de soixante ans après, les retombées positives de cette vision économique.
Pour autant, il existe des territoires français, européens, restés à l’écart, qui, eux aussi, rêvent de prospérité et attendent leurs « trente glorieuses ». Les territoires ultramarins, puisqu’il s’agit d’eux, restent coincés dans une dépendance économique quasi exclusive avec la France ou l’Union européenne, à l’écart de leur environnement régional.
En effet, si l’accord de Cotonou, adopté en 2000 entre l’UE et les pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique – les pays ACP –, donne à ces pays un large accès préférentiel au marché de l’Union européenne, puisque 92 % de leurs produits y entrent en franchise de droits de douane, cet accord est asymétrique, sans réciprocité. Conséquence : les entreprises ultramarines se retrouvent concurrencées par des produits issus des pays ACP bénéficiant des mêmes conditions d’accès au marché européen, souvent subventionnés par l’Europe, fabriqués selon des normes sociales et environnementales beaucoup moins contraignantes, sans pour autant voir en contrepartie s’ouvrir à elles de nouveaux marchés.
Nous sommes donc arrivés à un paradoxe, dans lequel l’Europe, partant d’une volonté louable de faire de l’aide au développement fondée sur le commerce et la libération des échanges, a organisé une concurrence déloyale et complètement faussée au détriment de nos outre-mer.
Personnellement, j’ai vu s’effondrer la riziculture en Guyane, soumise à la réglementation européenne et française, quand, dans le même temps, à quelques kilomètres de là, elle se développait au Suriname. Aujourd’hui, vous trouvez du riz du Suriname dans tous les supermarchés européens, alors que le riz de Guyane a disparu.
Madame la secrétaire d’État, l’accord de Cotonou arrive à son terme en février 2020 et les négociations entre l’UE et les pays ACP doivent commencer, au plus tard, en août de cette année. Pouvez-vous nous assurer que, cette fois, les régions ultrapériphériques ne seront pas les laissés-pour-compte de ces négociations ? (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Monsieur Patient, le nouvel accord que vous mentionnez, dont le mandat de négociation sera prochainement adopté par le Conseil, doit remplacer le cadre actuel de l’accord de Cotonou, qui structure la relation entre l’Union européenne et les pays ACP et qui prendra fin en 2020. Ce mandat porte sur la négociation, par la Commission, du futur accord de dialogue politique avec les pays ACP.
Dans le cadre des discussions sur ce mandat, la France se montre attentive au traitement des régions Caraïbes et Pacifique, au sein desquelles la présence de pays et territoires d’outre-mer et de régions ultrapériphériques constitue une opportunité pour l’UE de consolider une approche régionale du développement.
Les autorités françaises ont proposé que les territoires ultramarins et les régions ultrapériphériques soient associés à la mise en œuvre de l’accord et que des modalités spécifiques soient prévues pour le développement de projets de coopération conjoints entre les territoires ultramarins, les pays ACP et les régions ultrapériphériques.
M. le président. La parole est à M. Joël Bigot.
M. Joël Bigot. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je remercie le groupe La République En Marche d’avoir proposé l’organisation de ce débat. Il est en effet intéressant de nous interroger sur notre politique de concurrence, qui mérite peut-être mieux que des mesures de dumping fiscal, telles que la suppression envisagée de l’exit tax.
Au-delà du paradigme concurrentiel mis en avant par le Gouvernement, je souhaiterais évoquer un autre paradigme qui devrait recueillir toute votre attention : je veux bien sûr parler d’environnement, madame la secrétaire d’État. C’est un domaine souvent évoqué par le Président de la République dans ses discours, mais dont on peine à voir les réalisations concrètes.
Les récentes interrogations du ministre de la transition écologique et solidaire sur la feuille de route écologique du Gouvernement démontrent que le « nouveau monde » ne sera pas si vert, si ce n’est de façade. Par exemple, les accords internationaux de libre-échange risquent d’entraîner une harmonisation par le bas des normes environnementales.
Où en est-on, madame la secrétaire d’État, du projet de « veto climatique », qui permettrait d’empêcher des intérêts privés supranationaux de contourner la loi en matière d’obligations environnementales ? Vous le savez, les tribunaux d’arbitrage, chargés de régler les différends entre États et investisseurs, peuvent être un instrument dévastateur pour nos législations. Regardons la réalité en face. Ce veto, très attendu par la société civile, garantirait la primauté de l’accord de Paris sur le climat sur d’autres accords internationaux, tels que le CETA et, demain, le Mercosur.
Où en sont les négociations européennes sur ce veto climatique, que Nicolas Hulot défendait à l’automne dernier ?
Dans le climat de guerre économique actuel, que je qualifierai, pour paraphraser François Mitterrand, de « guerre sans mort, mais de guerre à mort », quelles sont les options choisies par le Gouvernement pour faire du développement soutenable ou durable au mieux un nouveau paradigme, au moins un garde-fou de notre politique de concurrence ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Monsieur Joël Bigot, je reviens sur cette préoccupation que vous mentionnez, celle de ne pas voir minés, au travers des accords et échanges commerciaux que nous concluons avec nos partenaires, les enjeux et les objectifs environnementaux que nous nous fixons.
C’est bien un débat qui a émergé au moment de la signature de l’accord CETA et qui a amené le Gouvernement à prendre des positions très en pointe s’agissant des objectifs, sur le fait que les valeurs environnementales et les objectifs environnementaux de l’Union européenne doivent être pleinement reflétés dans sa politique commerciale et dans les futurs accords qui seront négociés par l’Europe.
Sur ce sujet, je puis vous assurer que nous travaillons avec la Commission européenne et que nous poussons cette idée, largement reconnue. Nous avons d’ores et déjà obtenu, dans le cadre des discussions en cours avec l’Australie et la Nouvelle-Zélande, l’inscription de ce sujet à l’ordre du jour, de telle sorte que ces nouveaux accords commerciaux puissent tenir compte de la feuille de route sur le CETA voulue par la France.
M. le président. La parole est à M. Fabien Gay.
M. Fabien Gay. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, en optant pour une économie de marché et une libéralisation de l’ensemble des secteurs industriels, l’État, sous l’impulsion européenne, a laissé notamment libre cours au dumping social.
Ainsi, dans les entreprises industrielles, de nombreuses restructurations ont eu lieu ; la valeur du travail a été niée, au profit de la rémunération de l’actionnariat privé. Les délocalisations et les licenciements boursiers se sont multipliés, alors que l’État devrait les interdire.
Il nous paraît essentiel de renoncer au dogme, aujourd’hui infondé, de la concurrence libre et non faussée. La concurrence n’est pas la seule loi naturelle du marché. La réglementation et la régulation lui sont tout aussi nécessaires. En effet, les échanges marchands ont gagné une telle ampleur qu’ils ne répondent plus aux besoins humains et ne favorisent que des gains financiers déconnectés de l’économie réelle.
C’est pourquoi il est impératif de respecter et de revaloriser nos services publics, voire de réaffirmer la notion de service public à la française, comme le droit de l’Union européenne nous y autorise. Cela implique de protéger les infrastructures essentielles, de reconnaître que certains biens et secteurs – énergie, transport, santé, éducation, la liste n’est pas exhaustive – sont non pas des marchandises, mais des biens communs de l’humanité.
Or la Commission européenne a négocié un nombre important d’accords de libre-échange avec des partenaires extérieurs. Loin de mettre en avant des clauses de réciprocité sociale et environnementale, ces accords tendent à niveler par le bas nos standards nationaux et européens. Dès lors, une question se pose : ces différents accords servent-ils pleinement les intérêts des citoyens et des entreprises ?
D’un point de vue juridique, une politique de concurrence doit s’appuyer sur un réseau de contrôle efficace sur tout le territoire, sur un renforcement des moyens et des compétences de la répression des fraudes. Il doit aussi renforcer le droit de la concurrence dans son volet répression. Or le mouvement de dépénalisation du droit des affaires et du droit de la concurrence fragilise le rôle de l’État, gardien de l’ordre public économique.
Une politique de concurrence doit savoir protéger les entreprises, en particulier les PME et les TPE. Dans cette perspective, cela fait plusieurs années que nous appelons à un Small Business Act à la française.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Monsieur Gay, je ne pense pas qu’il faille laisser s’installer l’idée qu’il y aurait un dogme de la concurrence libre et non faussée. En revanche, il existe des règles dont l’objet est de garantir le bon fonctionnement des marchés au bénéfice de l’emploi, de la croissance et des consommateurs. Le Président de la République a d’ailleurs insisté sur la nécessité de ne pas faire preuve de naïveté en matière de concurrence.
Cette approche, qui vise à garantir la coexistence entre les mécanismes de marché et les activités économiques d’intérêt général, est une constante historique de notre action européenne. La France a toujours promu ce modèle, qui préserve les services publics, et elle a plutôt réussi, le droit européen de la concurrence s’étant largement inspiré du droit français.
C’est d’ailleurs sous l’impulsion de la France que la notion de service d’intérêt général économique a été consacrée par le droit de l’Union européenne, dans les traités. Un exemple de conciliation de ces deux orientations réside dans le rôle joué par l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières, l’ARAFER, pour réguler le marché du transport par autocar, avec comme souci de préserver la qualité et la continuité du service public.
S’agissant du rôle de l’État comme régulateur et garant de l’ordre public économique, nous restons pleinement mobilisés, je vous l’assure. La DGCCRF est extrêmement active et elle a à cœur d’utiliser les nouveaux outils à sa disposition, en particulier les sanctions renforcées de la loi Sapin.
M. le président. La parole est à M. Pierre Louault.
M. Pierre Louault. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les accords commerciaux entre l’Union européenne et un certain nombre de pays – Canada, Nouvelle-Zélande, Australie, Brésil – posent le problème de l’harmonisation et de la cohérence des normes et principes sociaux, sanitaires et environnementaux auxquels les produits agricoles sont soumis.
Des contraintes importantes sont aussi une garantie de qualité des produits agricoles et alimentaires. Aujourd’hui, l’agriculture française ne peut lutter face à la concurrence internationale, voire européenne, qui applique des normes sanitaires et environnementales très éloignées de notre réglementation.
Les produits agricoles correspondant à l’exigence des consommateurs sont des produits de très haute qualité – blé sans OGM, camembert au lait cru, élevages en plein air… –, mais cette qualité a un prix pour les agriculteurs. L’absence de normes des produits agricoles importés entraîne l’agriculture française vers la faillite : un tiers des agriculteurs français est déjà en situation de cessation de paiement.
Madame la secrétaire d’État, n’est-il pas possible d’imaginer l’introduction d’un nouveau marché ? Aujourd’hui, les céréales relèvent du marché de Chicago, régi par des normes américaines. Afin de valoriser nos cultures, mais aussi notre culture, ne peut-on imaginer un second marché de produits de qualité, distinct du marché mondial et répondant à des normes européennes ou françaises ? (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Vous abordez, monsieur Louault, le sujet sensible du traitement du secteur agricole et agroalimentaire dans les accords commerciaux. Celui pose un défi, mais aussi présente des potentialités. Je vous l’assure, le Gouvernement est très attentif à l’ensemble de ces enjeux et porte à Bruxelles des positions extrêmement fermes.
Les concessions faites dans le domaine agricole et agroalimentaire lors des négociations commerciales à l’OMC ou dans le cadre des accords de libre-échange doivent bien entendu être maîtrisées, pour ne pas déstabiliser les filières de production en France.
Par ailleurs, les ouvertures des marchés extérieurs obtenues en retour doivent être substantielles, afin de garantir l’équilibre des accords.
Enfin, il est évident que ces accords ne doivent absolument pas conduire à une détérioration de nos exigences sanitaires. Au contraire, ils doivent favoriser un alignement vers le haut.
Enfin, les normes et les standards européens, notamment en matière de protection des indications géographiques, doivent être promus. Ces négociations commerciales doivent nous permettre d’exporter notre modèle, nos niveaux d’exigence et nos indications géographiques, afin que ceux-ci soient aussi mieux protégés à l’extérieur.
En effet, les avantages et les gains potentiels des négociations commerciales pour nos filières agricoles sont substantiels, en ouvrant de nouveaux marchés pour nos exportateurs. Prenons l’exemple de la viande bovine : nous avons des intérêts défensifs à l’égard de certains partenaires, et non des moindres, mais aussi des intérêts offensifs vis-à-vis d’autres partenaires tout aussi importants.
Les négociations menées par l’Union européenne dans le cadre d’accords de libre-échange ou les négociations bilatérales sanitaires menées par le gouvernement français devraient ainsi permettre, dans les années qui viennent, l’ouverture de marchés asiatiques comme la Corée du Sud ou la Chine, avec la levée effective de l’embargo ESB annoncé par les autorités chinoises lors de la visite en Chine du Président de la République. Je pourrais aussi citer des exemples de marchés ouverts sur le fromage.
Nous devons donc trouver un équilibre dans la relation commerciale et utiliser celle-ci pour exporter notre qualité.
M. le président. La parole est à M. Pierre Louault, pour la réplique.
M. Pierre Louault. Aujourd’hui, le défi pour les agriculteurs français et européens est de produire de la qualité au cours mondial.
Notre objectif est que la qualité se paye à un prix supérieur au cours mondial, et il faut pour cela la faire reconnaître, au travers de normes françaises ou européennes. Sinon, demain, l’agriculture française et une partie de l’agriculture européenne disparaîtront. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet.
M. Gérard Longuet. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je remercie le groupe La République En Marche d’avoir demandé et obtenu l’organisation de ce débat.
Je suis un libéral et j’ai eu la chance de mettre en œuvre mes convictions en signant, en avril 1994 – c’était au siècle précédent… –, les accords de Marrakech instituant l’OMC. Hélas, aucune clause environnementale ou sociale n’avait été fixée alors. Plus de vingt ans après, nous nous trouvons dans une situation paradoxale : le volontarisme politique exprimé par les accords de Paris est détricoté par la réalité d’échanges internationaux qui ne prennent pas en compte les effets directs et indirects de la production industrielle sur l’environnement.
Depuis vingt ans, l’empreinte globale de notre pays a augmenté, alors même que l’empreinte directe des productions françaises en CO2 a diminué. En effet, la désindustrialisation de la France, facilitée notamment par les contraintes réglementaires environnementales, nous a conduits, à tout le moins dans certains domaines – acier, aluminium, produits chimiques, silicium… – à nous tourner vers des producteurs étrangers qui émettent davantage de CO2.
Ma question est simple, madame la secrétaire d’État : pensez-vous raisonnablement que nous puissions durablement porter le certificat carbone à un niveau dissuasif ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe La République En Marche et du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Monsieur Longuet, c’est un vaste débat ! Nous devons tout d’abord faire en sorte que le souci de l’empreinte carbone et de la lutte contre le changement climatique soit partagé par un maximum de pays.
Au cours de l’année écoulée, nous avons pu voir à quel point la mobilisation au plus haut niveau en France avait eu un effet sur la mobilisation des acteurs, publics ou privés, partout dans le monde.
M. Gérard Longuet. Pas sur les États-Unis…
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État. Les opinions publiques, les municipalités ou encore certaines régions peuvent avoir un impact important : de multiples interlocuteurs et acteurs sont aujourd’hui en mouvement, dans le sillage de l’accord de Paris et des sommets organisés en France l’an dernier.
Les politiques de protection de l’environnement et de lutte contre le changement climatique doivent également irriguer l’ensemble des politiques européennes et déterminer la façon dont nous négocions nos accords commerciaux. Nous tenons en effet à ce que nos partenaires commerciaux et les pays avec lesquels nous signons des accords de libre-échange soient engagés dans la dynamique de l’accord de Paris et dans la lutte contre les changements climatiques.
M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet, pour la réplique.
M. Gérard Longuet. Madame la secrétaire d’État, je crains que votre patience ne conduise à poursuivre la désindustrialisation du pays…
Je vous fais une proposition. Nous débattrons bientôt de la révision de la programmation pluriannuelle de l’énergie et du schéma national bas carbone. Faisons en sorte que le prix du certificat soit dissuasif. Affichons notre conviction qu’une industrie décarbonée est possible dans notre pays et militons pour un prix du CO2 qui soit réellement décourageant au plan mondial. Faisons payer lourdement ceux qui savent le produire et reversons le cas échéant une partie des bénéfices à ceux qui savent l’épargner ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe La République En Marche et du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Jean-François Longeot. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
M. Jean-François Longeot. Je veux à mon tour remercier le groupe La République En Marche d’avoir demandé ce débat.
La politique de concurrence au niveau mondial nous amène à nous interroger sur les questions de concentrations d’entreprise et sur les régulations internationales qui peuvent intervenir.
Les phénomènes de concentration sont récurrents et touchent quasiment tous les secteurs de l’économie. Pour leurs promoteurs, ils sont favorables, non seulement aux entreprises, avec des capacités nouvelles de levées de fonds et des effets de mutualisation, mais aussi aux consommateurs, par une diminution des prix.
Ces concentrations conduisent toutefois à des situations de monopole, et les craintes s’amplifient actuellement dans un certain nombre de domaines. Je pense notamment aux entreprises du numérique et de l’internet, qui détiennent énormément de données personnelles. Lorsque l’on observe que Facebook a racheté progressivement WhatsApp et sa concurrente Instagram, on imagine la quantité phénoménale de données que cette entreprise est capable de posséder et de traiter.
La richesse, c’est aujourd’hui l’information personnelle, mais nous ne sommes plus capables de mesurer les capacités cumulées. Comment pouvons-nous adapter nos outils de régulation à ce type de mesures et d’évaluation de richesses ?
Nous mesurions jusque-là les effets de monopole sur des données économiques. Aujourd’hui, la politique de concurrence doit prendre en compte la détention de données personnelles, et pas seulement de matière. Le Gouvernement milite-t-il aujourd’hui au niveau international pour réguler ces concentrations, non plus économiques, mais de l’intelligence ? (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Monsieur Longeot, la question de la valeur des données dans le monde d’aujourd’hui est assez nouvelle, et les politiques de la concurrence ne la prennent pas forcément totalement en compte.
La donnée constitue pourtant un avantage décisif pour l’économie. En France, l’existence de bases de données centralisées massives, en particulier dans le secteur public, peut créer une dynamique de création de valeurs et offrir des occasions extrêmement intéressantes de développement d’outils d’intelligence artificielle, par exemple. L’ouverture et l’exploitation de ces masses de données constituent donc un premier axe stratégique en faveur de la compétitivité des activités françaises dans ce secteur.
Toutefois, il convient aussi d’engager les entreprises dans une nouvelle logique d’ouverture et de partage de données. Le Gouvernement soutiendra et encouragera toutes les initiatives sectorielles des entreprises, notamment dans les domaines de la voiture connectée ou de l’aéronautique, qui visent à mettre en place des plateformes d’échange, de partage et de fertilisation croisée des données entre acteurs industriels, pour éviter justement l’appropriation des données par un seul acteur.
Ces politiques d’ouverture et de valorisation des données, tant dans le secteur public que dans le secteur privé, sont inconcevables sans un cadre protecteur des données personnelles.
C’est précisément tout l’intérêt du règlement général de la protection des données, qui entre en vigueur le 25 de ce mois. Il offre aux Européens un niveau de protection inégalée dans le monde, et c’est un atout fondamental pour la France et l’Europe dans la compétition internationale. Les produits et services numériques commercialisés par les Européens sont les seuls à offrir de tels standards de protection sur la vie privée et les données personnelles : il s’agit d’un atout commercial que toutes les entreprises françaises et européennes doivent systématiquement mettre en avant.
Les évolutions récentes illustrées par l’affaire Cambridge Analytica montrent que le modèle européen apparaît de plus en plus comme une référence au plan international. L’avance dont nous disposons nous permet d’espérer la création d’activité et d’entreprises puissantes en Europe.