M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.
Mme Véronique Guillotin. … mais j’ai bien entendu que ce sujet n’était pas une priorité du Gouvernement. Toutefois, des mesures ne pourraient-elles pas être prises afin de réduire les inégalités entre hommes et femmes et d’accompagner au mieux les premières années de vie des enfants ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice Véronique Guillotin, la France ne bloque pas l’adoption de cette proposition de directive européenne. Elle négocie avec ses partenaires pour parvenir à un compromis qui corresponde à nos choix culturels, notamment à ceux que nous avons faits en faveur du travail des femmes et d’un meilleur accompagnement de leurs choix.
En France, le congé parental est pris, dans la très grande majorité des cas, par les femmes. Le congé de paternité est très peu utilisé. Le rapport de Mme la députée Marie-Pierre Rixain sur ce sujet doit m’être remis aujourd’hui.
Notre priorité, comme l’a annoncé le Président de la République, est plutôt d’élargir le congé de maternité afin de permettre à toutes les femmes qui travaillent, y compris les indépendantes, d’en bénéficier au même titre que les salariées. Il s’agit, vous le savez, d’une demande forte des professions indépendantes.
Notre priorité aujourd’hui est de faire des choix qui répondent aux attentes de notre société. Cela ne signifie pas que nous n’avons aucune ambition quant au congé parental. Nous trouverons un compromis d’ici au 21 juin. Toute la politique que nous menons aujourd’hui vise à ce que les femmes aient le choix et que les femmes comme les hommes puissent concilier au mieux vie professionnelle et vie familiale, au plus grand bénéfice de l’enfant. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
(M. Gérard Larcher remplace M. David Assouline au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
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Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire
M. le président. Madame la ministre, mes chers collègues, je salue la présence d’une délégation de députés de la Knesset conduite par M. Yuli-Yoel Edelstein, président de cette assemblée, en visite officielle en France. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que Mme la ministre des solidarités et de la santé se lèvent.)
L’idée de cette visite est née du déplacement que j’ai effectué en Israël, puis dans les Territoires palestiniens, il y a un peu plus d’un an, en janvier 2017, accompagné d’une délégation de sénateurs.
J’ai accueilli hier et aujourd’hui la délégation de la Knesset, en présence notamment de notre collègue Philippe Dallier, vice-président du Sénat et président du groupe d’amitié France-Israël, qui, à ce titre, s’est rendu en Israël du 1er au 4 mai avec d’autres membres du groupe d’amitié.
Votre venue, monsieur le président de la Knesset, à l’occasion des soixante-dix ans de l’existence de l’État d’Israël, traduit la volonté de renforcer le dialogue entre nos deux institutions, notamment en matière de développement technologique, à deux semaines du lancement de la saison croisée France-Israël. Un colloque a d’ailleurs eu lieu hier matin au Sénat sur le thème : « France-Israël : regards croisés sur l’innovation technologique », colloque que nous avons ouvert ensemble.
Mais votre venue traduit aussi la volonté de renforcer notre dialogue sur un certain nombre de sujets, tels que la culture, l’éducation, mais aussi la sécurité et la lutte contre le terrorisme.
Un accord de coopération interparlementaire – le premier dans l’histoire de nos deux assemblées – a été signé en fin de matinée.
L’innovation, l’éducation, les investissements, mais aussi la situation préoccupante au Proche-Orient ont été au cœur de nos échanges.
Les événements tragiques intervenus ces derniers jours témoignent en effet d’un regain de tensions lourd de menaces. Toutes les parties doivent faire preuve de retenue et contribuer à la désescalade. Je partage les propos tenus par le Président de la République le 15 mai, tout comme ceux qui ont été échangés dans cette assemblée mardi dernier, lors des questions au Gouvernement, sur notre attachement à la solution de deux États vivant côte à côte, en paix et en sécurité.
Grâce à vous, monsieur le président, je me suis replongé depuis hier dans la lecture des Responsa de Rachi de Troyes. « Plus grande est la lumière quand elle jaillit de l’obscurité », affirmait-il. Alors, la lumière, c’est la paix, cette quête que l’on ne doit jamais cesser, même dans des temps difficiles et douloureux, lorsque l’on est dans l’obscurité.
Au nom du Sénat de la République française, je vous souhaite à nouveau, monsieur le président de la Knesset, ainsi qu’à l’ensemble des membres de votre délégation, la plus cordiale bienvenue dans notre assemblée. (Applaudissements.)
Je cède maintenant le fauteuil à M. Assouline, vice-président du Sénat : son prénom est David, monsieur le président de la Knesset ; pour ma part, je suis Goliath ! (Rires et nouveaux applaudissements.)
(M. David Assouline remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. David Assouline
vice-président
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Comment repenser la politique familiale en France ?
Suite d’un débat organisé à la demande du groupe La République En Marche
M. le président. Nous reprenons le débat, organisé à la demande du groupe La République En Marche, sur le thème : « Comment repenser la politique familiale en France ? »
Débat interactif (suite)
M. le président. Dans la suite du débat interactif, la parole est à Mme Brigitte Lherbier.
Mme Brigitte Lherbier. Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, les enfants d’aujourd’hui seront demain les adultes de notre pays : lourde responsabilité pour notre société que celle d’assumer le bien-être d’un petit être en construction psychologique et physique !
Bien sûr, c’est le rôle essentiel des parents que d’éduquer leurs enfants. Ils n’ont aucune envie d’être dirigés ou contraints en quoi que ce soit dans ce rôle naturel corroboré par l’autorité parentale.
Universitaire, j’ai bien souvent présenté à mes étudiants ces prérogatives légales comme une liberté fondamentale des deux parents. Hélas, la vie du couple n’est pas aussi simple que dans les contes de fées, où « ils se marièrent, vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants »… La vie sociale est devenue compliquée. Les mamans travaillent, les parents ont des difficultés d’organisation de transport, de logement. Ils attendent de l’État une aide financière et des services pour les épauler : modes de garde, crèches, écoles aux horaires adaptés à l’organisation familiale, accueil d’enfants de plus en plus petits, pour un temps de plus en plus long, la journée et même la nuit, et ce à proximité du logement familial.
L’union, légitime ou non, des parents, qui devait être source de bonheur, peut aussi devenir lieu de mésentente. Hélas, beaucoup de couples se séparent et demandent au juge des affaires familiales d’organiser leur désunion, leur séparation et la vie quotidienne des enfants. L’intervention d’une tierce personne est nécessaire pour organiser la garde, alternée ou pas. Si les parents reforment de nouveaux couples, d’autres problèmes peuvent survenir.
Madame la ministre, toutes ces évolutions sociales sont très perturbantes quand il s’agit de mener une politique familiale. L’enfant reste-t-il au cœur de toutes les décisions, de ces grands objectifs ?
Conseillère départementale, j’ai eu à suivre de nombreux dossiers d’enfants devenus objets de discorde, enjeux pour des couples qui se déchirent, sacrifiant sans scrupule l’équilibre des leurs.
Les rapports des juges des affaires familiales et des services judiciaires, les médecins scolaires, les centres médico-psychopédagogiques, les services sociaux des départements nous alertent. Le placement, quand l’enfant est en situation de danger avéré au sein de sa famille, peut être envisagé, voire doit être une solution.
M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.
Mme Brigitte Lherbier. Le tableau que je présente est certes noir, mais ces réalités doivent être évoquées dans un débat sur la politique familiale.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice Brigitte Lherbier, je ne peux évidemment qu’adhérer à votre constat. De fait, notre politique familiale doit s’adapter aux réalités de notre société. Nous le constatons tous : les familles sont en difficulté, souvent pour des raisons extérieures, parfois pour des raisons internes, avec des ruptures extrêmement douloureuses et délicates à gérer.
C’est la raison pour laquelle j’estime, comme je l’ai précisé dans mon propos liminaire, que le soutien à la parentalité doit être l’un des piliers de la future convention d’objectifs et de gestion avec la CNAF. Au-delà de ce que nous faisons déjà en matière d’allocations et de prestations de toutes sortes ou d’aide à la garde d’enfants, nous devons impérativement développer des lieux d’accueil parents-enfants, ainsi que des lieux de médiation pour les familles ; nous y travaillons avec Mme la garde des sceaux.
Cela fait partie de ce que nous demandons à la CNAF au travers de la future convention d’objectifs et de gestion. Je souhaite que nous puissions maintenant structurer cette politique et être en mesure de l’évaluer. En effet, nous avons peu de retours du terrain. Nous savons seulement qu’il s’agit d’un besoin ressenti par tous les acteurs.
M. le président. La parole est à M. Martin Lévrier.
M. Martin Lévrier. À l’occasion de l’arrivée d’un enfant dans son foyer, le salarié peut s’arrêter de travailler pendant une durée déterminée. Il bénéficie alors, sous condition d’ancienneté, d’un congé parental d’éducation.
Après ce congé, le salarié retrouve son précédent emploi ou, à défaut, un emploi similaire. Il a le droit à la tenue d’un entretien professionnel.
Nous savons tous ici qu’une longue absence peut être préjudiciable au salarié lors de son retour. Il devra s’adapter aux réorganisations que l’entreprise aura éventuellement opérées durant son absence. Cela constitue souvent un frein important à la demande de congé parental.
Pour pallier cette inquiétude, après chaque longue absence, un entretien professionnel doit être tenu afin de faciliter la réintégration du salarié et d’éviter son licenciement pour insuffisance professionnelle. En marge de cet entretien, le salarié peut demander une action de formation professionnelle en cas de changement de techniques ou de méthodes de travail de l’entreprise.
Cette demande est aujourd’hui laissée à la libre appréciation du salarié ; cette situation est loin d’être satisfaisante. Ne pensez-vous pas, madame la ministre, que, dans le cadre d’une politique familiale bien pensée, il serait préférable d’aller plus loin, en imaginant par exemple la systématisation d’un temps de reprise en douceur ? Cette période, d’une durée à déterminer au sein de l’entreprise en fonction des besoins, pourrait se décomposer au quotidien en deux temps : un travail effectif la première partie de la journée, puis une formation intitulée « formation de retour de congé parental ». (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le sénateur Martin Lévrier, vous posez là une excellente question, celle du retour à l’emploi effectif au terme d’un congé parental d’éducation. Effectivement, dans la situation de l’emploi que nous connaissons, la difficulté du retour à l’emploi peut être un frein à la demande d’un congé parental.
Vous proposez de systématiser une reprise en douceur, qui comporterait un temps de formation. Nous sommes tout à fait sensibles à cette idée, mais une telle proposition doit être discutée avec les partenaires sociaux. J’en parlerai donc avec la ministre du travail afin de déterminer si l’on peut éventuellement mettre en œuvre des dispositions concrètes, dans le cadre du droit du travail, pour que la prise d’un congé parental ne handicape en aucun cas le salarié. Je vous remercie d’avoir souligné cette difficulté. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à M. Martin Lévrier, pour la réplique.
M. Martin Lévrier. Je vous remercie de votre réponse, madame la ministre, en particulier de votre engagement à aborder ce sujet avec Mme Pénicaud. Le moment me paraît propice, puisque nous débattrons bientôt de la réforme de la formation professionnelle ; on peut imaginer que cette proposition pourra s’inscrire dans celle-ci. (M. André Gattolin applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Je veux tout d’abord remercier le groupe La République En Marche de nous donner l’occasion d’aborder le sujet de la politique familiale en France.
J’apprécie, madame la ministre, que vous ayez exprimé la volonté de vous attaquer aux violences faites aux enfants : c’est un problème qui nous concerne toutes et tous.
Plusieurs de mes collègues ont évoqué la proposition de directive européenne concernant l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée des parents et des aidants. Vous nous avez dit, madame la ministre, que le Gouvernement ne bloquait pas son adoption, mais qu’il menait des négociations.
Vous vous inquiétez, à juste titre, du peu d’attractivité du congé de paternité en France, mais la problématique est évidemment plus large : elle englobe la reconnaissance des métiers dits « féminins », la revalorisation des salaires, bref l’ensemble des dimensions de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, dont nous sommes nombreuses et nombreux, notamment au groupe communiste républicain citoyen et écologiste, à réclamer l’instauration effective.
Madame la ministre, je voudrais que vous nous en disiez davantage sur les moyens financiers que le Gouvernement entend débloquer au titre de cette problématique extrêmement importante, sachant que d’autres pays, comme le Portugal, la Grèce ou la Belgique, ont fait savoir que non seulement ils approuveraient la proposition de directive, mais qu’ils mobiliseraient aussi des crédits.
Quand le Gouvernement fait des propositions, leur mise en œuvre doit être effectivement financée, afin que l’on puisse passer des paroles aux actes.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice Laurence Cohen, la France cherche un consensus avec ses partenaires européens. Il est vrai que certains pays ont des pratiques autres que les nôtres, en particulier les pays du nord, où les pères prennent beaucoup plus couramment le congé parental. Nous sommes obligés de tenir compte de cette spécificité française selon laquelle ce sont essentiellement les femmes qui recourent à cette possibilité.
Une réforme du congé parental est intervenue lors du précédent quinquennat, mais sa mise en œuvre n’a pas été évaluée. J’ai donc d’abord demandé que l’on procède à cette évaluation et que l’on mesure l’impact de cette réforme. En outre, comme je l’ai déjà indiqué, un rapport sur le congé de paternité doit m’être remis aujourd’hui.
Forts de ces éléments, nous pourrons décider des moyens que nous souhaitons mobiliser pour accompagner au mieux les familles en termes de modalités de garde de leurs enfants. Nous avons d’ores et déjà pris l’engagement de déployer de réels moyens pour permettre aux indépendantes d’accéder au congé de maternité. Nous aurons à définir des priorités ; nous en débattrons bien évidemment dans cet hémicycle.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour la réplique.
Mme Laurence Cohen. Je souligne que la proposition de directive européenne prévoit des avancées concrètes : par exemple, un congé de paternité rémunéré de dix jours, comme en Allemagne, en Autriche, à Chypre, en Croatie, en République tchèque ou en Slovaquie, un congé parental de quatre mois rémunéré au niveau des indemnités de maladie, ce qui constituerait une amélioration considérable au Royaume-Uni et en France, ainsi qu’un congé payé de cinq jours par an pour les proches aidants, comme à Malte ou en Roumanie, ce qui faciliterait la vie de nombreuses personnes qui prennent soin de leurs parents âgés.
J’ai bien entendu vos propos, madame la ministre ; nous nous montrerons tout à fait vigilantes et vigilants quant à leurs suites. Le président Macron a affirmé le 17 avril dernier devant le Parlement européen que cette proposition de directive était « une belle idée » : espérons que la situation se débloquera et que nous aurons enfin une bonne nouvelle !
M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Doineau.
Mme Élisabeth Doineau. Madame la ministre, j’ai beaucoup apprécié la teneur de votre discours. En particulier, il est effectivement tout à fait nécessaire de soutenir la parentalité ; on sent bien aujourd’hui que le simple fait d’être parents pose de grandes difficultés.
J’ai aussi apprécié, madame la ministre, que vous ayez évoqué les services de la protection maternelle et infantile et le lien étroit qui doit exister entre ces services des conseils départementaux et les familles. Les visites au domicile, en particulier, sont absolument indispensables pour mieux appréhender les mesures à mettre en place pour l’éducation des enfants.
En 2017, pour la première fois depuis dix ans, la branche famille de la sécurité sociale a été à l’équilibre. Nous ne pouvons a priori que nous en réjouir. L’excédent de cette branche pourrait atteindre 5 milliards d’euros en 2021.
Dans le même temps, la natalité, dont la promotion est la mission historique de la politique familiale, est en baisse pour la troisième année consécutive. Le solde naturel est au plus bas depuis l’après-guerre. Relever ce défi démographique est une nécessité.
Les comparaisons internationales soulignent l’existence d’une corrélation importante entre les efforts des États en faveur des familles et le niveau de fécondité. Le modèle français et le principe d’universalité doivent, en partie pour cette raison, demeurer. À ce propos, j’ai apprécié, madame la ministre, que vous vous déclariez favorable au maintien des grands équilibres et des principes de la politique familiale française plutôt qu’à de grands bouleversements.
Pour autant, apporter une réponse plus contemporaine aux difficultés des familles est une nécessité. On pourrait à mon sens envisager deux pistes : le versement des allocations familiales dès le premier enfant, mesure dont le coût est évalué à environ 2 milliards d’euros, et l’apport d’une aide plus substantielle à la mise en place par les employeurs, publics ou privés, de lieux d’accueil des jeunes enfants. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice Élisabeth Doineau, je ne pourrai peut-être pas répondre sur tous les sujets que vous avez évoqués.
Concernant le budget alloué à la branche famille, nous avons veillé à ce que la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 trace une trajectoire à la fois ambitieuse, responsable et solidaire. Nous avons opéré une redistribution des crédits au sein de la branche famille afin, notamment, de favoriser les familles les plus pauvres et les familles monoparentales. Nous sommes très attentifs à ce que la branche famille réponde aux grands enjeux sociétaux d’aujourd’hui.
Vous avez également évoqué la natalité, sujet qui va bien au-delà, vous le savez, de la seule question des prestations. Aujourd’hui, ce qui peut affecter la natalité en France, c’est le manque de confiance dans l’avenir, la difficulté à trouver un mode de garde. Par ailleurs, les femmes ont tendance à faire leur premier enfant de plus en plus tard pour pouvoir s’inscrire dans une carrière professionnelle ou améliorer celle-ci. La question du versement des prestations dès le premier enfant est loin d’être au premier plan, nous le savons bien, même si elle peut évidemment être évoquée.
À mes yeux, le frein principal à la natalité tient aujourd’hui à la difficulté de concilier vie familiale et vie professionnelle. Il importe donc de renforcer l’accompagnement des familles à cet égard, notamment par le développement des modes de garde d’enfants de proximité. Je l’ai dit tout à l’heure, les crèches ne répondent pas à tous les besoins ; il nous faut aussi développer les possibilités de recourir aux assistantes maternelles et adapter l’accueil en crèches aux horaires de certains parents qui ont des vies professionnelles extrêmement complexes.
Nous sommes attentifs à ce que toute notre politique familiale soutienne la natalité française, qui est un enjeu important.
M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Doineau, pour la réplique.
Mme Élisabeth Doineau. Effectivement, la natalité n’est pas complètement liée au niveau de l’effort financier de l’État, mais on voit, à l’échelle de l’ensemble des pays d’Europe, qu’il existe tout de même une corrélation. Il faut en tenir compte.
Quant aux modes de garde, il est en effet indispensable de davantage aider les grandes entreprises et les employeurs publics à construire des lieux d’accueil pour les enfants de leurs salariés.
M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Tourenne. (Mme Victoire Jasmin applaudit.)
M. Jean-Louis Tourenne. Notre modèle social permet de diviser par quatre les inégalités de niveau de vie, et pourtant l’inégalité des chances persiste. La main invisible de l’organisation sociale nourrit les frustrations, les amertumes, que la violence parfois exprime. Elle alimente le caractère héréditaire des classes dominantes et leur entre-soi.
Édifiants, les chiffres de fréquentation des crèches, des pratiques culturelles et sportives, des universités et des grandes écoles ! Cela a de terribles conséquences : destins tracés et gâchés, violences, déterminisme social, montée des extrêmes.
Ce n’est pourtant pas une fatalité. De nombreuses mesures prises sous le précédent quinquennat visaient à réduire les inégalités et y ont concouru : revalorisation de l’allocation de soutien familial, majoration du montant du complément familial, modulation de la prestation d’accueil du jeune enfant, la PAJE, et des allocations familiales, augmentation des crédits affectés aux crèches.
Mais le présent gouvernement semble s’employer à revenir sur ces acquis, avec la réduction du montant de la PAJE et du nombre des bénéficiaires de celle-ci, le retour à la semaine de quatre jours de classe, qui fait perdre à des enfants l’occasion d’accéder aux pratiques culturelles et sportives, des licenciements facilités, dont la perspective fragilise les familles, la remise en cause envisagée de l’accord avec la CNAF sur la scolarisation précoce.
Pourtant, les initiatives foisonnent. J’en donnerai quelques exemples, que je tire du territoire que je connais le mieux : accroissement du nombre de crèches accueillant au moins 40 % d’enfants issus de milieux populaires, enrichissement du vocabulaire par le parler bambin, et ce pas seulement en crèche, internats de « respiration », séjours de vacances pour ceux qui ne partent jamais et qui découvrent ainsi d’autres horizons, promotion de l’école du bonheur, qui apprend à maîtriser ses émotions et à surseoir au passage à l’acte, scolarisation à l’âge de deux ans. Bref, il y faut la vision d’une société plus juste et une plus grande détermination.
Je rêve que ce débat ne serve pas seulement à cacher les vilains coups de rabot de Bercy, en quête des milliards perdus au bénéfice des plus riches. La politique familiale, dotée de 85 milliards d’euros, peut porter de beaux fruits, non pas seulement par une politique du chiffre, mais surtout par une politique de l’épanouissement de chaque enfant, propre à nourrir l’espoir que le destin de celui-ci ne sera pas déterminé irrémédiablement par les conditions de sa naissance.
La cohésion sociale, le bien vivre ensemble et même la sécurité sont à ce prix. Cela exige la création d’un grand service public de la petite enfance. Y êtes-vous prête, madame la ministre ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le sénateur Jean-Louis Tourenne, à vous entendre, je manquerais de volontarisme en matière de lutte contre les inégalités : cela est faux, comme en témoigne la politique ciblée en faveur des familles les plus pauvres et des familles monoparentales que j’ai menée dans le cadre tracé par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018. J’ai pris cette orientation en toute connaissance de cause, car j’estime que le droit commun favorise de fait les inégalités et qu’il faut parfois mettre en place des politiques extrêmement ciblées pour venir en aide aux plus vulnérables.
Je continuerai à viser la réduction des inégalités. Nous avons travaillé à cette fin dans le cadre de la définition de la stratégie de prévention et de lutte contre la pauvreté, qui sera présentée dans les prochaines semaines. Sont notamment prévus une modification du mode de financement des crèches en vue de promouvoir la mixité et l’accessibilité, ainsi que de nombreux programmes visant à favoriser l’inclusion sociale dès la petite enfance, y compris à l’école.
Par ailleurs, la politique de soutien à la parentalité que je conduis, avec la priorité inscrite dans la prochaine convention d’objectifs et de gestion avec la CNAF, vise elle aussi à aider les familles les plus en difficulté dans l’éducation de leurs enfants.
Contrairement à ce que vous avez affirmé, nous avons bien la volonté d’accroître l’accessibilité des crèches et d’en construire dans les zones prioritaires de la politique de la ville. Cela fait partie, naturellement, des orientations de la nouvelle convention d’objectifs et de gestion. Nous entendons aussi adapter les horaires des crèches aux besoins de certaines familles, souvent celles qui rencontrent le plus de difficultés. Toute notre politique vise à réduire les inégalités et à faciliter l’accès aux modes de garde et la conciliation de la vie familiale et de la vie professionnelle.
M. Jean-Louis Tourenne. Monsieur le président, je souhaite répliquer.
M. le président. Mon cher collègue, chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour poser sa question ; les trente secondes supplémentaires d’une réplique ne peuvent lui être accordées que s’il a respecté cette limite. Cette nouvelle règle n’en étant qu’au début de son application, j’ai fait preuve de tolérance à l’égard des collègues qui n’ont dépassé leur temps de parole que de cinq à dix secondes. Tel n’étant pas votre cas, je ne puis vous redonner la parole.
M. Jean-Louis Tourenne. Soit !
M. le président. La parole est à M. Charles Revet.
M. Charles Revet. Avant d’exposer mes réflexions et de poser mes questions, je voudrais rappeler la définition que donne le dictionnaire Larousse du terme famille : « Ensemble de personnes formé par le père, la mère et les enfants, ou par l’un des deux, père ou mère ». Ce dernier membre de phrase a été ajouté dans les éditions les plus récentes, afin de tenir compte des évolutions importantes de la société constatées ces dernières décennies.
La famille a toujours été, reste et restera la cellule de base de la société. La famille, c’est l’union d’une femme et d’un homme qui ont choisi de vivre ensemble, et c’est ce qui permet la venue au monde d’un ou de plusieurs enfants. C’est la femme qui porte l’enfant, aujourd’hui comme hier et comme demain. C’est ainsi depuis que le monde est monde, et la science, qui permet des avancées dans beaucoup de domaines, ne pourra le changer.
La mère ou le père peut souhaiter s’occuper de l’enfant jusqu’à ce qu’il atteigne l’âge de trois ans pour mieux l’accompagner ; manifestement, c’est le plus souvent la maman qui fait ce choix. Il serait important que les familles choisissant d’avoir plus d’enfants se voient accorder des indemnités assimilables à un salaire familial, assurant une couverture sociale dans sa globalité et prises en compte pour la retraite.
Cela étant, le fonctionnement de la société change, et de plus en plus de femmes souhaitent, par-delà la vie familiale et pour des raisons diverses, s’engager dans une activité professionnelle ; ce choix doit être respecté.
Il appartient aux pouvoirs publics de prendre en compte de l’évolution de la société dans les décisions législatives et réglementaires qui sont prises ; c’est au niveau de la politique familiale qu’il faut agir, et il y a urgence à cela !
La France, comme la plupart des pays occidentaux, connaît un grave problème démographique, lié, dans une large mesure, aux changements que nous avons connus ces dernières décennies. On ne peut que constater une réduction sensible du nombre des naissances chaque année. Le renouvellement de la population n’est, de ce fait, plus assuré, ce qui a des conséquences très graves pour l’avenir de notre pays.
Madame la ministre, pouvez-vous nous indiquer ce que le Gouvernement propose pour mieux prendre en compte les besoins des familles dans leur fonctionnement au quotidien et créer un contexte favorable à une augmentation de la natalité en France ?