compte rendu intégral
Présidence de M. David Assouline
vice-président
Secrétaire :
Mme Mireille Jouve.
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Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
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Comment repenser la politique familiale en France ?
Débat organisé à la demande du groupe La République En Marche
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe La République En Marche, sur le thème : « Comment repenser la politique familiale en France ? »
Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
Je vous rappelle que l’auteur de la demande du débat dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.
À l’issue du débat, le groupe auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.
Dans le débat, la parole est à Mme Patricia Schillinger, pour le groupe auteur de la demande.
Mme Patricia Schillinger, pour le groupe La République En Marche. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avant tout, je tiens à remercier mon groupe, en particulier son président, François Patriat, d’avoir inscrit ce débat sur la politique familiale à l’ordre du jour et de nous donner ainsi l’occasion de mettre en perspective les différentes réflexions conduites depuis plusieurs mois sur ce sujet.
En effet, depuis la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale et les échanges que nous avons eus au Sénat sur cette question, plusieurs travaux importants ont été engagés : la mission interministérielle sur la lutte contre la pauvreté des enfants et des jeunes, la mission d’information de l’Assemblée nationale sur les allocations familiales, la négociation en cours de la nouvelle convention d’objectifs et de gestion – la COG – avec la Caisse nationale des allocations familiales et, au niveau européen, la discussion de la proposition de la directive concernant la conciliation entre vie privée et vie professionnelle.
Le sujet est donc au cœur de l’actualité sans que, pour autant, le Parlement soit saisi d’un texte. C’est pourquoi le débat d’aujourd’hui est nécessaire pour éclairer la situation actuelle, partager certains constats et identifier des pistes potentielles d’amélioration de notre système.
Vous le savez, la politique familiale de notre pays vise aujourd’hui trois objectifs historiques : à sa refondation en 1945, la politique familiale française a eu pour premier objectif le soutien à la natalité par la compensation financière des charges de famille ; à partir des années soixante-dix, l’accent fut également mis sur le soutien aux familles les plus modestes ; depuis plus de vingt ans, enfin, la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle s’est imposée comme un nouvel axe majeur.
À ces trois objectifs, il faut bien entendu ajouter celui de la pérennité financière de la branche famille.
Pour atteindre ces objectifs, l’action de l’État s’exerce sur trois leviers : les prestations monétaires, les avantages fiscaux et des prestations en nature comme les services publics orientés vers les familles.
Le budget que notre pays consacre à la politique familiale est de 59 milliards d’euros par an, soit 2,7 % du PIB. Selon le rapport de la Cour des comptes sur l’application de la loi de financement de la sécurité sociale, la France se situe en tête, au sein de l’OCDE, pour les aides fiscales, dépassée par l’Allemagne, et se classe dans la moyenne pour les prestations monétaires et en nature. Ainsi, nous faisons davantage que nos voisins Espagnols et Italiens, mais moins que les pays du nord de l’Europe, comme le Danemark.
Cette politique familiale forte a porté ses fruits, puisque notre pays connaît, au regard de ses voisins européens, une natalité qui reste soutenue – malgré une baisse depuis 2014 –, une participation élevée des femmes à l’activité économique et une redistribution importante au bénéfice des familles les plus vulnérables.
Ce bilan favorable laisse cependant apparaître des marges de progression que je voudrais rapidement évoquer.
Tout d’abord, nous devons lutter avec une efficacité accrue contre la pauvreté des familles, notamment monoparentales.
Selon l’INSEE, les familles représentaient, en août 2017, 66 % de la population vivant sous le seuil de pauvreté, qui correspond à 60 % du niveau de vie médian et s’établit à environ 1 000 euros mensuels. En termes de répartition de la pauvreté selon l’âge, les moins de trente ans représentent 50 % de la population en situation de pauvreté, jeunes ménages compris. S’agissant des seuls enfants, la pauvreté frappe, en France, 19,6 % d’entre eux et 39,3 % de ceux appartenant à des familles monoparentales.
Devant ce constat, des mesures pour lutter contre la pauvreté des familles ont été prises dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 : majoration du montant maximal d’aide auquel les familles monoparentales peuvent prétendre au titre de la garde de leurs enfants par une garde à domicile ou une assistante maternelle, harmonisation des conditions de ressources, des montants de la prestation d’accueil du jeune enfant, la PAJE, et du complément familial.
Doit-on, peut-on s’en tenir là ? La pauvreté des enfants en France reste à un niveau préoccupant, alors que les moyens consacrés à la politique familiale sont considérables.
Il faut donc, à mon sens, revoir nos instruments de politique familiale pour les adapter à l’objectif prioritaire de lutte contre la pauvreté des familles. Madame la ministre, la discussion doit s’ouvrir sur l’opportunité de redéployer des dépenses et des avantages fiscaux. Cette question ne se réduit pas, tant s’en faut, à celle de l’universalité des allocations familiales, que par ailleurs je soutiens.
Nous devons, ensuite, améliorer encore la capacité d’accueil des jeunes enfants de moins de trois ans. En 2015, celle-ci s’élevait à 56,6 places pour 100 enfants dans les modes de garde formels. Ce manque de solutions et les difficultés que cela implique affectent donc près d’un ménage sur deux.
Or le maintien ainsi que l’évolution des femmes dans la sphère professionnelle dépendent directement de la capacité de soulager celles-ci des charges familiales. On observe en effet qu’après l’arrivée du premier enfant, ce sont elles qui, au sein du ménage, passent à temps partiel ou cessent de travailler.
Ce bref état des lieux a pour but de nous conduire, madame la ministre, mes chers collègues, à des questionnements variés.
Comment aller plus loin ? Quelles pistes le Gouvernement explore-t-il ? Quelles mesures et orientations politiques prendre pour améliorer la situation et lutter plus efficacement contre la pauvreté des familles – une pauvreté notamment subie, je le rappelle, par les enfants et les jeunes ? Faut-il envisager l’attribution de l’allocation familiale dès le premier enfant ? Faut-il cibler les jeunes parents, voire attribuer une allocation fixe par enfant ?
Comment favoriser l’accès des familles modestes aux modes de garde des jeunes enfants ? Malgré un coût relativement modeste, les modes de garde profitent comparativement peu aux familles dont les revenus sont faibles et dont les difficultés d’insertion les plus fortes.
Quelle est la position du Gouvernement français dans la négociation sur la directive européenne, qui vise à favoriser la conciliation de la vie professionnelle et de la vie privée et à encourager un meilleur partage des responsabilités familiales entre les femmes et les hommes ?
Enfin, au regard des différences qui persistent en la matière entre les départements métropolitains et ceux d’outre-mer, toute prochaine réforme touchant à la politique familiale devra être l’occasion d’un rattrapage pour les outre-mer afin d’aller vers plus d’égalité réelle en termes d’accès aux droits familiaux, en tenant compte des particularités sociales, démographiques et économiques propres à chaque territoire.
Tels sont, mes chers collègues, l’état des lieux et les quelques questionnements introductifs au débat de ce jour que je souhaitais vous présenter. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, chère Patricia Schillinger, je vous remercie de me donner aujourd’hui l’occasion de débattre avec vous de la politique familiale, de ses objectifs et de son sens.
Madame la sénatrice, vous avez brossé un tableau très complet de la politique familiale. Nous voyons qu’elle a beaucoup évolué au cours du temps. Elle n’est heureusement pas restée figée, tandis que s’opéraient des changements majeurs dans les conceptions de la famille et dans les réalités que ce terme recouvre.
Mais vous avez raison : on peut, on doit aller plus loin. C’est la raison pour laquelle je vous livrerai brièvement ici mes priorités. Je répondrai ensuite aux questions sur des points plus particuliers qui suscitent votre intérêt.
La politique familiale est tout à la fois l’un des piliers majeurs de la sécurité sociale, donc un lieu de démocratie sociale via la branche famille, un levier puissant de redistribution au service de la réduction des inégalités de revenus et de conditions d’existence et un vecteur essentiel pour aider toutes les familles à concilier engagement dans la vie professionnelle et vie familiale.
Je tiens à l’ensemble de ces objectifs, et il me semble que c’est justement dans leur correcte articulation que se trouve l’originalité de la politique familiale française. Si je suis donc d’accord avec vous, madame la sénatrice, pour dire qu’il faut repenser la politique familiale, je suis également attachée à ses équilibres et je ne prône pas de bouleversement majeur.
Plusieurs chantiers mobiliseront en revanche toute mon attention et mes ambitions : le soutien à la parentalité, la promotion de l’intérêt de l’enfant et un meilleur accompagnement des familles au moment des situations de rupture.
La parentalité, tout d’abord, est le parent pauvre – si je puis dire ! – de la politique familiale aujourd’hui. Or, de plus en plus, les familles ont besoin d’être soutenues et épaulées. Les prestations monétaires, la garde des enfants sont des éléments essentiels, bien sûr, mais il faut aussi des lieux de médiation où échanger sur la fonction parentale, trouver des conseils, exposer ses difficultés sans être jugé. Je ne vous parlerai pas ici de la « maison verte » de Françoise Dolto, mais disons que l’idée est tout simplement de développer ces sortes de lieux qui nous aident à vivre ensemble, parents et enfants, alors que ce n’est pas toujours un long fleuve tranquille…
Les crèches peuvent et doivent aussi jouer ce rôle. C’est la raison pour laquelle j’ai décidé, dans le cadre de la future convention avec la branche famille, de permettre aux personnels des établissements d’accueil du jeune enfant de prendre davantage de temps pour accueillir les parents et échanger avec eux.
C’est aussi le rôle des services de la protection maternelle et infantile, la PMI, et je souhaite qu’ils puissent le tenir davantage, en se rendant au domicile des personnes les plus fragiles pour les accompagner dès les premiers jours de l’arrivée d’un enfant à la maison, moment crucial pour l’avenir.
Je vais me pencher, avec l’Association des départements de France, sur les missions des services de la PMI et sur les moyens à leur donner pour mieux appuyer concrètement les familles, y compris en allégeant certaines de leurs tâches qui me paraissent aujourd’hui moins utiles.
S’agissant ensuite de l’intérêt de l’enfant, vous le savez, mon périmètre ministériel comporte la protection de l’enfance en général et l’aide sociale à l’enfance en particulier. Je ne parlerai pas de ce dernier sujet aujourd’hui, mais, sur le premier, il y a sans doute des questions à se poser en ce qui concerne la politique familiale. Celle-ci s’est construite autour d’un objectif louable, qui fait encore aujourd’hui consensus : le soutien à la natalité.
Le soutien à la natalité s’intéresse avant tout aux adultes, à leurs contraintes, à leurs soucis, à leurs conditions matérielles d’existence. C’est bien naturel et c’est indispensable, mais l’enfant ? Bien sûr, en aidant les parents, on aide les enfants, indirectement mais nécessairement ; pour autant, on ne les aide pas « exactement » et pas toujours comme il le faudrait. L’enfant a des besoins propres qu’il faut protéger en tant que tels, auxquels il faut accorder une place. Là encore, je citerai brièvement une référence importante pour moi, Janusz Korczak, que vous connaissez sans doute tous. Il disait qu’il faut se mettre à la hauteur des enfants, c’est-à-dire non pas se baisser, mais s’élever jusqu’à eux, s’étirer, et ce dans un but bien précis : pour ne pas les blesser. Je trouve que ce mot est très juste. Alors je serai attentive à tout ce qui peut blesser les enfants et je chercherai, a contrario, à développer ce qui est propre à répondre à leurs besoins fondamentaux : jouer, partir en vacances, apprendre, découvrir.
C’est la raison pour laquelle la prochaine convention avec la branche famille et la stratégie de prévention et de lutte contre la pauvreté seront fondées sur des axes permettant de porter une attention particulière à ces sujets à travers le soutien à l’apprentissage précoce du langage en crèche et aux activités extrascolaires, le financement de projets pour les adolescents, par exemple développer une activité de quartier ou soutenir une association par un travail collectif. Ces projets sont parfois minuscules à notre échelle, mais ils ont du sens, parce qu’ils permettent à tous les enfants de s’émanciper, de trouver une place propre, d’agir.
Il y a aussi des sujets plus difficiles, notamment celui des violences faites aux enfants, de leur repérage, de leur prévention par tous les acteurs : ceux de la petite enfance, de la santé et de l’éducation nationale. Nous avons encore beaucoup de chemin à faire en termes de formation, de levée de certains tabous, de travail en réseau pour mieux protéger et éviter le pire.
Je recevrai prochainement les conclusions d’un important rapport de l’Inspection générale des affaires sociales sur les violences faites aux enfants et j’ai demandé que cette inspection puisse se pencher sur les moyens de développer la prévention en matière de protection de l’enfance.
Je terminerai mon propos en évoquant la question des ruptures et de leur accompagnement.
Vous l’avez dit, madame la sénatrice, notre politique familiale représente des dépenses importantes et remplit correctement ses objectifs. Elle soutient les familles et nous permet un niveau de natalité élevé. Mais je souhaite ouvrir un chantier : celui de l’amélioration de l’accompagnement des familles au moment des ruptures.
Ces ruptures, nous les connaissons bien : il s’agit du divorce, de la maladie, du décès d’un parent ou encore de l’annonce du handicap d’un enfant. Dans ces moments, la cellule familiale a besoin d’un soutien fort, adapté à ses besoins, rapide. Il faut favoriser la résilience, l’adaptation à ce qui arrive, et aller de l’avant. Il faut des guichets réactifs et souples, un travail en réseau, des aides versées en urgence, des services adaptés.
Tout cela, notre système ne le permet pas suffisamment. Ses maux sont bien connus : cloisonnement, démarches inutiles, contrôles superflus. Rien ne les justifie, ni la lutte contre la fraude ni le souci légitime de s’assurer du juste droit. Il s’agit d’un défaut de nos organisations et souvent d’une conception encore assez paternaliste de la solidarité.
Je rends ici hommage à la Caisse nationale des allocations familiales pour l’efficacité de ses agents, leur souci de proximité, mais je souhaite que nous allions plus loin via l’allégement des démarches, le développement des téléprocédures, l’information sur les droits et l’établissement d’une relation de confiance avec celui qui demande. Ces chantiers seront inscrits dans la future convention d’objectifs et de gestion. Cela permettra le redéploiement des énergies et des crédits au service de ce qui compte vraiment. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe Union Centriste et du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)
Débat interactif
M. le président. Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes maximum pour présenter sa question, suivie d’une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.
Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.
Dans le débat interactif, la parole est à Mme Nadine Grelet-Certenais.
Mme Nadine Grelet-Certenais. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la maternité, la parentalité et la prise en charge des personnes en perte d’autonomie représentent les premiers facteurs discriminants dont souffrent les femmes qui sont enfermées dans des emplois à temps partiel et peuvent même être obligées de renoncer à leur travail pour s’occuper de leurs enfants, parfois en situation de handicap, ou d’un proche âgé.
En avril 2017, la Commission européenne a proposé d’adopter une nouvelle directive concernant l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée. Celle-ci, bien inspirée, prévoit une meilleure indemnisation du congé parental et la possibilité de le fractionner, impose un congé paternité de dix jours rémunérés au moins à hauteur de la prestation de maladie, soit le double d’aujourd’hui, et cinq jours de congé rémunéré par an pour s’occuper d’un proche dépendant.
Cependant, la création de ce congé parental européen, une des rares tentatives d’harmonisation sociale au sein de l’Union européenne, risque de ne pas aboutir du fait de l’obstination de plusieurs pays, au premier rang desquels la France !
C’est une nouvelle fois l’argument financier qui est avancé par le Président de la République : le grand chantier du quinquennat est sacrifié sur l’autel budgétaire ! Comment s’attaquer véritablement aux inégalités sans une contribution suffisante du budget ? Doit-on comprendre que le Gouvernement se cantonnerait à des mesures cosmétiques pour tendre vers l’égalité des sexes ? Alors que 96 % des congés parentaux sont pris par les mères et seulement 4 % par les pères, nous avons ici une occasion inespérée pour rééquilibrer ce rapport, qui pèse lourdement sur la vie professionnelle et économique des femmes.
Madame la ministre, vous savez que l’on touche ici au point nodal de l’inégalité entre les femmes et les hommes de ce pays. L’ensemble des syndicats et des dizaines d’associations vous invitent à franchir le pas et à approuver cette proposition de directive. Où est la parité, cette égalité femmes-hommes décrétée grande cause nationale par le Président de la République ? Où placez-vous l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée des femmes ?
Cette hésitation française est incompréhensible. En 1791, Olympe de Gouges énonçait dans sa Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne que « la liberté et la justice consistent à rendre tout ce qui appartient à autrui ». En approuvant cette proposition de directive, vous pourriez faire honneur à ce principe, en libérant les femmes d’un fardeau héréditaire, et donner un vrai signal politique en faveur de l’égalité réelle. Le Gouvernement va-t-il persister dans son choix de bloquer une réelle avancée sociale, nécessaire aux femmes ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Patricia Schillinger applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice, vous m’interrogez sur la proposition de directive européenne en cours de négociation.
Dans sa première version, présentée par la Commission européenne en avril 2017, ce texte prévoyait que le congé parental puisse s’étendre jusqu’aux douze ans de l’enfant, ce qui pose problème au regard du travail des femmes, car il risque d’être difficile de retourner à la vie professionnelle au terme d’une telle durée. Il prévoyait aussi un alignement de la rémunération de ce congé sur les indemnités journalières, mesure dont le coût est estimé à 1,6 milliard d’euros.
Le compromis actuel permet aux États membres de fixer eux-mêmes le niveau adéquat de rémunération. Aujourd’hui, la France s’est engagée sur une rémunération de 396 euros par mois pour les personnes qui ne travaillent pas. Nous continuons la négociation avec les différents États membres, l’adoption de la proposition de directive étant prévue pour le 21 juin. Nous estimons que ce texte ne doit pas aboutir à éloigner les femmes du marché du travail.
Par ailleurs, nous avons conscience que la réforme de la prestation partagée d’éducation de l’enfant – la PREPARE – est un échec relatif, car, de fait, les pères ne prennent pratiquement jamais le congé parental. D’ici à la fin du quinquennat, il nous faudra évidemment proposer une réforme, mais ce n’est pas aujourd’hui la priorité immédiate, car nous attendons un rapport parlementaire sur le congé de paternité.
Tous ces éléments doivent être articulés de manière que le dispositif d’ensemble corresponde à notre vision du travail des femmes. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes pour poser sa question, et pas davantage. Les trente secondes supplémentaires que j’ai évoquées précédemment ne peuvent être accordées que pour une réplique.
La parole est à Mme Colette Mélot.
Mme Colette Mélot. Depuis la Libération, la politique familiale est l’un des piliers des politiques publiques françaises. C’est le programme du Conseil national de la Résistance qui l’a imaginée et conçue dans ses aspects concrets. C’est elle qui a soutenu le dynamisme de notre natalité pendant des décennies. C’est elle encore qui a contribué à assurer la pérennité de notre système de retraites. C’est elle enfin qui a accompagné la transformation économique et sociale de notre pays pendant plus d’un demi-siècle.
La baisse constante de la natalité depuis quelques années et la transformation du modèle familial remettent pourtant au cœur du débat public cette question cruciale. Durant le précédent quinquennat, la baisse du quotient familial a été un coup dur porté à un domaine qui doit constituer une priorité ; nous le regrettons.
Pour sa part, le gouvernement d’Édouard Philippe a proposé, à l’occasion de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2018, de prendre une décision difficile, mais louable : recentrer les aides de la politique familiale sur les familles dans le besoin, en particulier les familles monoparentales.
Madame la ministre, lors de ces débats, vous aviez expliqué que les familles monoparentales allaient bénéficier d’une nouvelle aide à la garde de l’enfant, dite « complément de libre choix du mode de garde », car elles utilisaient moins que les autres familles les crèches collectives, dont les horaires ne sont pas toujours adaptés à leur situation spécifique. Je partage entièrement votre analyse et je pense que ces 138 euros par mois seront une aide effective pour ces familles en difficulté.
Mais, au-delà de la question financière, nous savons que décrocher une place en crèche relève bien souvent du parcours du combattant, alors même que les collectivités locales déploient des efforts importants pour développer l’accueil du jeune enfant sur le territoire. Madame la ministre, ne serait-il pas judicieux, dans une démarche de transparence, de mettre en place un barème à points afin d’uniformiser les procédures d’admission et de soutenir plus particulièrement les familles en difficulté ? Nous le savons, accéder aux crèches collectives permet aux parents de mieux concilier vie familiale et vie professionnelle.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice, je vous remercie d’avoir rappelé que j’ai beaucoup plaidé en faveur du recentrage d’un certain nombre d’aides, notamment en matière de garde d’enfants, au bénéfice des familles monoparentales, dont beaucoup se situent en dessous du seuil de pauvreté. Il s’agit, le plus souvent, de femmes seules qui se heurtent à de très grands obstacles pour accéder à l’emploi, en particulier du fait de la difficulté à trouver un mode de garde adapté.
Nous menons une réflexion en vue de diversifier les modes de garde, qui ne sauraient être que collectifs. Dans cette perspective, nous travaillons avec les associations représentatives des assistantes maternelles, que j’ai rencontrées voilà peu, mais aussi avec l’Association des départements de France. Marlène Schiappa et moi-même avons mis en place un groupe de travail sur la question de la transparence des critères pour l’obtention des places en crèche. Les élus locaux ont bien entendu la main en la matière et nous n’entendons pas agir par la coercition, mais, pour progresser vers la mixité sociale dans les crèches, qui constitue aujourd’hui un véritable souci, il nous semble que coconstruire avec l’Association des départements de France une sorte de charte ou d’engagement représenterait déjà une très grande avancée en vue de l’inclusion des familles les plus éloignées du marché de l’emploi.
M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot, pour la réplique.
M. le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin.
Mme Véronique Guillotin. Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, ma question porte également sur la proposition de directive européenne concernant l’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle des parents et aidants.
Depuis plusieurs mois, la France, avec d’autres pays européens, bloque la signature d’un accord sur l’une des dispositions de cette directive : l’harmonisation européenne du congé parental.
Je ne vous apprendrai rien, madame la ministre, en rappelant que le congé parental est aujourd’hui pris, dans la très grande majorité des cas – 96 %, chiffre qui n’a pas évolué depuis dix ans –, par les femmes. Sa rémunération, qui s’établit à moins de 400 euros, est la plus faible des pays de l’OCDE qui proposent un congé parental rémunéré. Un tel niveau de rémunération dessert l’égalité entre les femmes et les hommes, puisqu’il n’est acceptable que par le partenaire dont le salaire est le moins élevé, c’est-à-dire la femme dans la majorité des cas.
La proposition de directive prévoit un alignement de la rémunération du congé parental sur les indemnités maladie, soit 50 % du salaire journalier, ce qui, pour la France, en ferait passer le coût de moins de 400 euros à 950 euros en moyenne.
En Allemagne, où l’indemnisation du congé parental est portée à 67 % du salaire net, le taux de recours, pour les pères, est passé de 3 % à 25 % ces dernières années. En Suède aussi, une formule offrant un congé spécifique pour le père et une indemnisation élevée a permis d’augmenter la part des hommes dans le recours au congé parental.
J’ai conscience du coût d’une telle mesure, mais la facture pourrait se révéler moins élevée que prévu, car la pression sur le système d’accueil du jeune enfant se trouverait réduite, des places en crèche seraient libérées et les recettes fiscales augmenteraient. Les dépenses augmenteraient d’un côté, mais baisseraient de l’autre.
Cette mesure permettrait également de réduire les inégalités dans le monde professionnel, puisque les ruptures dans les carrières seraient partagées entre les deux sexes.
Il s’agit aussi d’une mesure d’harmonisation européenne, harmonisation prônée par le Président de la République. Ce serait la première pierre d’un socle commun de droits sociaux pour l’Europe.
Je sais, madame la ministre, l’engagement du Gouvernement pour l’égalité entre les hommes et les femmes,…