M. Ladislas Poniatowski. Qui est-ce, alors ?… (Sourires.)
M. Vincent Delahaye. Je suis heureux de vous présenter aujourd’hui la position du groupe Union Centriste sur le projet de loi autorisant la ratification de la convention multilatérale pour la mise en œuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices.
L’exercice ne pose pas de difficulté particulière. Il s’agit ici de ratifier la convention signée à Paris le 7 juin 2017, qui vise à intégrer certaines dispositions du projet BEPS. Conduit par l’OCDE sur l’initiative du G20, ce projet vise à moderniser le système fiscal international, afin de limiter substantiellement les marges dont disposent certains acteurs pour réduire artificiellement leur niveau d’imposition.
À ce jour, soixante-dix-huit États ont signé cette convention et cinq l’ont d’ores et déjà ratifiée. Son entrée en vigueur est prévue le 1er juillet 2018.
Deux points sont à souligner en particulier.
En premier lieu, il faut évoquer l’outil inédit mis en place par cette convention. Il s’agit d’une réelle avancée pour le droit fiscal international, puisqu’il permet de procéder à la modification des conventions fiscales, sans toutefois s’y substituer, tout en préservant la souveraineté des États.
En second lieu, il convient de saluer la flexibilité du texte avec la possibilité, pour chaque juridiction, d’adapter la convention multilatérale suivant ses aspirations ou sa réglementation interne.
Ainsi, seuls trois des trente-neuf articles relèvent de la norme minimale, ce qui signifie qu’ils ne peuvent pas faire l’objet de réserves. Le reste du texte est « à la carte ». Et dans cette liberté qui est offerte, il semblerait que la France fasse les bons choix. D’une part, parce que le Gouvernement a dressé une liste de quatre-vingt-huit conventions fiscales que la France entend couvrir par l’instrument multilatéral. D’autre part, parce que a été choisie une large interprétation du texte, avec très peu de réserves formulées.
Toutefois, au rang des regrets, et s’il n’en est qu’un qui doit être évoqué devant vous, madame la secrétaire d’État, c’est l’insuffisante information du Parlement, donc de la représentation nationale, au travers de laquelle est pourtant consenti l’impôt. Le rapporteur, dont je tiens à saluer le travail, l’a très bien expliqué.
Dans le présent texte, nous assistons à un renversement de la coutume, le nombre d’options et de réserves possibles induisant une marge de manœuvre excessive de l’exécutif.
Le Parlement ne fait finalement qu’autoriser la ratification et n’a pas son mot à dire sur les modifications et évolutions actuelles comme ultérieures de la convention. Il serait pourtant légitime, dans un souci de démocratie et de transparence, d’améliorer et de renforcer son information. Ce serait là le strict minimum. Et ce minimum n’est pour l’heure pas respecté.
Ainsi, lorsque l’étude d’impact prévoit que « le Parlement sera informé de l’entrée en vigueur de la convention multilatérale relativement à chaque convention couverte en fonction des ratifications par les partenaires conventionnels de la France et de l’éventuelle évolution des réserves, options et notifications » et que « cela pourrait par exemple prendre la forme de développements insérés dans un document existant annexé au projet de loi de finances annuel », il est essentiel que ce devoir d’information soit rempli. Or ce n’est plus le cas depuis 2014.
Je terminerai mon intervention en me faisant le porte-parole de mon collègue Michel Canevet, afin d’alerter le Gouvernement sur la situation des Français dits « Américains accidentels ». Pour rappel, il s’agit de citoyens français, binationaux franco-américains dits « Américains par accident », parce qu’ils sont nés par hasard aux États-Unis.
En raison du droit du sol applicable aux États-Unis, ces concitoyens sont aujourd’hui directement touchés par l’application de l’accord franco-américain FATCA ou Foreign Account Tax Compliance Act, dont la loi autorisant l’approbation a été promulguée en septembre 2014. Ils sont ainsi de fait considérés comme des contribuables américains.
Or cette situation demeure extrêmement complexe, notamment pour leurs opérations bancaires et financières ou pour leurs successions. La convention présentée aujourd’hui n’évoque pas ces cas, certes particuliers, mais fâcheux.
Nous profitons donc de ce texte sur la fiscalité internationale – que le groupe Union Centriste adoptera – pour alerter le Gouvernement et lui demander de s’accorder avec son homologue américain afin d’éviter toutes ces contraintes imposées à nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État. Monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie tout d’abord pour vos interventions, vos commentaires et l’ensemble des points de vigilance sur lesquels vous m’avez alertée dans ce débat. Celui-ci, je le crois, a soulevé les bons problèmes et montre aussi qu’il existe sur ces travées un soutien fort à l’action de la France et l’action internationale dans la lutte contre la fraude fiscale, et je m’en réjouis.
Je voudrais revenir sur quatre sujets qui ont été évoqués à plusieurs reprises dans les interventions.
Le premier sujet concerne les options choisies par le Gouvernement en ce qui concerne les établissements stables, un thème central de cette convention.
Le Gouvernement a choisi une démarche cohérente qui consiste à retenir l’ensemble des options de la convention sur les établissements stables, puisque ces options répondent pleinement à l’objectif de lutte contre l’évasion fiscale que nous cherchons à atteindre. Celles-ci sont directement issues du projet BEPS de l’Organisation pour la coopération et le développement économiques et permettent la remise en cause des schémas d’optimisation.
Par ce choix, les entreprises étrangères ne pourront plus recourir au schéma dit « de commissionnaire » pour localiser artificiellement leurs activités commerciales à l’étranger et ne pas acquitter l’impôt sur les sociétés en France. Il s’agit d’une première réponse aux pratiques d’optimisation des acteurs de l’économie numérique. Je sais bien que ce n’est pas une réponse complète ou définitive. C’est pourquoi j’y reviendrai un peu plus tard.
Les options retenues par le Gouvernement à propos des établissements stables permettent également de lutter contre la fragmentation artificielle des fonctions des entreprises au sein de plusieurs entités, quand elles œuvrent sur un même chantier dans le but d’échapper à la reconnaissance d’un établissement stable. Cette option s’inscrit dans une démarche objective et cohérente d’anti-abus, afin d’éviter qu’un groupe international ne planifie son activité en France à travers plusieurs entités et échappe ainsi indûment à l’impôt.
J’ai bien entendu les craintes spécifiques que certains d’entre vous ont exprimées sur cette option : vous avez peur que certaines de nos entreprises ne soient imposées à l’étranger, alors qu’elles n’y ont pas d’établissement stable aujourd’hui.
Il faut toutefois rappeler qu’en vertu de certaines de nos conventions bilatérales, un établissement stable de chantier est aujourd’hui d’ores et déjà constaté lorsque la présence de l’entreprise à l’étranger est supérieure à six mois, voire trois mois pour certaines d’entre elles. Vous comprendrez donc bien que cette règle de fractionnement ne viendra pas changer l’état du droit pour les grands chantiers emblématiques qui, parce qu’ils durent plusieurs années, sont de toute façon déjà imposés dans l’État où ils sont localisés.
En outre, le fait de reconnaître un établissement stable ne conduira pas à attribuer l’ensemble des profits y afférent à l’État sur le territoire duquel le chantier est situé. Une répartition du profit sera réalisée en fonction de la valeur ajoutée créée sur place et en France. Une partie importante de ce profit restera donc taxable en France.
Par ailleurs, comme l’a affirmé l’OCDE, la nouvelle définition de l’établissement stable a d’abord une visée anti-abus et ne modifie ni les règles d’allocation des profits aux établissements stables ni la répartition des droits d’imposer hors montages abusifs. De ce fait, elle ne devrait pas se traduire par un transfert significatif de matière imposable.
La France n’est pas le seul pays développé à avoir retenu cette option sur la fragmentation des contrats : des États comme les Pays-Bas, l’Irlande, la Norvège, l’Australie, l’Argentine, Israël ou la Nouvelle-Zélande l’ont également fait. Je vous garantis que le Gouvernement sera tout particulièrement vigilant à ce que ces stipulations ne soient pas détournées par certains États pour s’adjuger, à notre détriment, une imposition plus importante que celle qui leur est due.
Le deuxième sujet a trait à la sécurité juridique des opérateurs. Comme je l’ai indiqué, le Gouvernement est parfaitement conscient de l’importance de garantir la sécurité juridique de nos opérateurs économiques. Notre souhait est de lever toute ambiguïté quant à l’interprétation qui devra être faite de l’articulation entre la convention multilatérale et les conventions fiscales bilatérales.
C’est pourquoi l’administration fiscale publiera des versions consolidées des conventions fiscales bilatérales qui intégreront les effets de la convention multilatérale. Ces versions consolidées garantiront l’intelligibilité de la norme et participeront à la bonne information des contribuables sur leurs obligations fiscales. En revanche, elles ne constituent pas formellement une interprétation de l’administration et ne sauraient par conséquent lui être opposables.
Permettez-moi de vous apporter une information complémentaire : dans le cadre de l’élaboration de ces conventions consolidées, l’administration fiscale va recenser les difficultés nécessitant une interprétation, qui feront l’objet d’une publication au BOFiP. Dans le cadre de ce travail de préparation de cette publication, une consultation en amont des acteurs économiques permettra non seulement d’identifier les questions qu’ils se posent, mais aussi de les couvrir par cette publication interprétative et donc opposable.
Par ailleurs, les réponses aux demandes de rescrit et, le cas échéant, les instructions fiscales commentant la convention multilatérale constitueront une garantie opposable à l’administration de nature à assurer la pleine sécurité juridique des opérateurs économiques.
Le troisième sujet porte sur l’importance de l’information du Parlement, compte tenu du caractère encore non définitif et évolutif de l’impact de la convention multilatérale. Le Gouvernement s’engage à informer chaque année le Parlement – je l’ai dit – des effets produits par les évolutions de la convention multilatérale à l’égard des conventions fiscales. Cette information sera délivrée dans le rapport annuel portant sur le réseau conventionnel de la France en matière d’échange de renseignements, annexé au projet de loi de finances.
Je comprends tout à fait les remarques des uns et des autres sur le retard pris par le Gouvernement dans la remise de ces rapports : c’est pourquoi je m’engage à ce que ledit rapport soit bien remis chaque année. Je peux d’ores et déjà vous annoncer que le retard accumulé dans la production de ce rapport annuel est en passe d’être rattrapé grâce à la remise imminente d’une version couvrant les années 2015 et 2016.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Mieux vaut tard que jamais ! (Sourires.)
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État. Enfin, le quatrième sujet important concerne la fiscalité des géants du numérique. Comme cela a été dit, il existe des dispositions dans les articles de la convention multilatérale relatifs à l’établissement stable qui permettraient quelques avancées par rapport aux entreprises du secteur numérique, même si ces mesures ne règlent pas le problème dans son ensemble.
Le Gouvernement reste attaché à une solution de long terme qui s’appuiera sur les discussions en cours dans le cadre du BEPS à propos d’une conception élargie de l’établissement stable, discussions que nous souhaitons poursuivre et mener à bien.
D’ailleurs, une task force coprésidée par la France a été créée au sein de l’OCDE pour travailler sur ce sujet de la fiscalité du numérique. Elle remettra le fameux rapport mentionné à l’action 1 de la convention multilatérale et a d’ores et déjà récemment produit un rapport intermédiaire, qui appelle de ses vœux une solution de court terme fondée sur une taxation du chiffre d’affaires. Cette solution correspond à l’option défendue par la France au sein des instances européennes. La task force s’est donné l’année 2020 comme horizon pour achever ses travaux sur la fiscalité du numérique.
Nous restons extrêmement actifs et exigeants sur ces discussions internationales qui devraient aboutir à une solution de long terme. À court terme, nous promouvons une solution européenne opérationnelle qui consiste à taxer le chiffre d’affaires des géants du numérique en Europe, par le biais d’une directive dont un premier projet a été élaboré. Il s’agit d’une étape importante que nous encourageons sur le court terme, ce qui n’exclut pas notre travail pour trouver une solution de long terme.
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
projet de loi autorisant la ratification de la convention multilatérale pour la mise en œuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices
Article unique
Est autorisée la ratification de la convention multilatérale pour la mise en œuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices, adoptée à Paris le 24 novembre 2016, signée par la France le 7 juin 2017, et dont le texte est annexé à la présente loi.
Mme la présidente. Je vais mettre aux voix l’article unique du projet de loi.
Je rappelle que le vote sur l’article unique a valeur de vote sur l’ensemble du projet de loi.
Personne ne demande la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi autorisant la ratification de la convention multilatérale pour la mise en œuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices.
(Le projet de loi est adopté.)
Mme la présidente. Je constate que ce texte a été adopté à l’unanimité des présents.
Mes chers collègues, avant d’aborder le point suivant de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à onze heures cinquante, est reprise à onze heures cinquante-cinq.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
5
Protection des données personnelles
Discussion en nouvelle lecture d’un projet de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion en nouvelle lecture du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, après engagement de la procédure accélérée, relatif à la protection des données personnelles (projet n° 425, texte de la commission n° 442, rapport n° 441).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteur, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, le Sénat est saisi en nouvelle lecture du projet de loi relatif à la protection des données personnelles.
Cette nouvelle lecture intervient après l’échec de la commission mixte paritaire qui s’est réunie le 6 avril dernier.
Je ne reviendrai pas sur les conditions de cet échec. Mme la rapporteur en évoquera certainement les circonstances. Le Gouvernement aurait naturellement préféré que les deux assemblées puissent s’accorder sur un texte d’une telle importance, aussi bien pour les droits fondamentaux des citoyens européens que pour ses conséquences économiques. Cela aurait été un signal très positif.
En outre, l’échéance du délai de transposition se rapproche, et tout retard pris pour l’adaptation de notre législation peut alimenter quelques inquiétudes et un sentiment d’insécurité juridique, qui est ressenti par certains acteurs économiques, ainsi que – vous l’aviez souligné en première lecture et le Gouvernement y a été sensible – par les collectivités territoriales. En effet, le 25 mai 2018, le règlement général sur la protection des données, le RGPD, entrera en application directement, y compris dans ses dispositions relatives au montant des sanctions encourues.
Cependant, un accord ne peut avoir lieu que si les deux parties sont prêtes à s’accorder, ce qui n’a pas été le cas, et le Gouvernement en prend acte.
Il est vrai que les positions des deux chambres étaient assez éloignées sur plusieurs points : l’action de groupe en réparation, la création d’une dotation spécifique aux collectivités territoriales, l’exonération de toute sanction à leur égard, le fléchage des produits des amendes et des astreintes prononcées par la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL, l’open data des décisions de justice et, enfin, l’âge du consentement des mineurs. Les discussions entre les deux rapporteurs avec le concours des deux présidents des commissions des lois n’ont pas permis de rapprocher les points de vue.
L’Assemblée nationale a donc examiné ce texte en nouvelle lecture jeudi dernier et l’a pour l’essentiel rétabli dans sa version adoptée en première lecture. Votre commission des lois a, de son côté, repris presque intégralement le texte que le Sénat avait également adopté en première lecture.
Aujourd’hui, nous aurons à nouveau des discussions sur plusieurs dispositions du texte. Les positions réciproques du Gouvernement et de votre rapporteur sont bien connues : je ne m’y attarderai donc pas.
Je voudrais toutefois revenir sur quatre points qui me semblent importants.
Le premier point a trait à l’attention portée aux collectivités territoriales. Nos précédents débats ont permis de mettre en évidence les inquiétudes de nombreuses collectivités. Cette préoccupation exprimée tout naturellement par votre assemblée a montré l’attention avec laquelle il fallait accompagner ces collectivités. L’accent a notamment été mis sur une possible mutualisation de leurs moyens afin d’appliquer le RGPD, et ce en s’appuyant sur les intercommunalités.
Par ailleurs, la question de l’exonération des sanctions administratives demeure posée. Vous le savez, l’Assemblée nationale reste très opposée à cette exonération que vous avez introduite en faveur des collectivités territoriales. Le Gouvernement ne s’y était pas opposé, considérant que le maintien par ailleurs d’une responsabilité de nature pénale permettait, pour l’essentiel, de se prémunir contre les éventuelles dérives de quelques élus.
Certains cas ont cependant été signalés récemment à la CNIL. Il faut rester vigilant sur le fait que tout abus doit pouvoir être sanctionné, afin que tous les acteurs, publics comme privés, soient responsabilisés dans la mise en œuvre de ce nouveau cadre. Naturellement, la CNIL fera preuve de discernement comme elle l’a toujours indiqué en la matière.
Le deuxième point porte sur la question de l’utilisation des algorithmes. Il s’agit de trouver un équilibre entre les nécessités de l’administration de notre pays et les garanties offertes aux usagers. C’est l’objet de l’article 14, dont nous avons d’ailleurs beaucoup discuté en première lecture. Il faut trouver le bon équilibre, afin non seulement de préserver les principes auxquels nous sommes aussi attachés que vous, mais également de permettre aux administrations d’agir en recourant à des techniques modernes et performantes.
Cet article a de nouveau été modifié par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture. La rédaction adoptée reprend certaines préoccupations de votre assemblée, puisqu’elle interdit explicitement à l’administration, saisie d’un recours administratif contre une décision, de statuer sur ce recours sur le seul fondement d’un traitement automatisé de données à caractère personnel. Les décisions administratives prises sur le seul fondement d’un algorithme doivent aussi comporter, à peine de nullité, la mention de cette information.
En ce qui concerne spécifiquement Parcoursup, qui fait l’actualité, votre commission a supprimé à nouveau la disposition du code de l’éducation articulant le fonctionnement du dispositif avec les obligations d’information et de publication des règles de fonctionnement de l’algorithme, prévues par le code des relations entre le public et l’administration.
Je souhaite rappeler que le Gouvernement est très attaché à la transparence du dispositif. C’est la raison pour laquelle, si nous sommes défavorables à la suppression de cette disposition, nous avons en revanche soutenu l’ajout d’une disposition qui prévoit que le Parlement sera destinataire chaque année d’un rapport sur la mise en œuvre du dispositif. Ce rapport sera établi par le comité éthique et scientifique qui a été créé.
Le Gouvernement considère, au vu de tous ces éléments, que le texte de l’article 14 résultant des travaux de l’Assemblée nationale a atteint un point d’équilibre et que celui-ci doit désormais être stabilisé et préservé.
Mon troisième point porte sur les préoccupations que vous avez exprimées à l’occasion de l’examen des articles 17 bis et 17 ter.
La nécessaire adaptation de notre droit de la concurrence au numérique est une question d’actualité qui a toute sa place dans nos débats, mais elle dépasse le cadre de ce texte.
Dans la rédaction issue de la nouvelle lecture par l’Assemblée nationale, il est précisé que le consentement de l’utilisateur n’est pas libre lorsqu’une entreprise restreint indûment, sans justification d’ordre technique, économique ou de sécurité, les possibilités de choix de cet utilisateur, notamment lors de la configuration initiale du terminal.
Là encore, le Gouvernement considère qu’un point d’équilibre a été atteint. Ce sujet doit par ailleurs être traité au niveau européen. Nous y travaillerons très prochainement avec la Commission européenne.
Enfin, c’est mon quatrième point, s’agissant de l’action de groupe en matière de protection des données personnelles, l’Assemblée nationale a rétabli l’extension de cette action à la réparation des préjudices matériels et moraux. Elle n’a pas souhaité différer de deux années, jusqu’au 25 mai 2020, l’entrée en vigueur du dispositif, ni soumettre la faculté pour une association d’exercer une action de groupe à un agrément délivré par l’autorité administrative.
Le Gouvernement partage ce point de vue, qui illustre la volonté de renforcer la capacité d’action des citoyens face aux atteintes à la protection de leurs données personnelles. C’est une évolution importante.
En conclusion, je souhaite rappeler que ce projet de loi, loin d’être technique, est éminemment politique, car il porte sur nos valeurs, les valeurs européennes et françaises.
Au moment où nous débattons, le scandale Cambridge Analytica a déjà nourri beaucoup d’inquiétudes. Facebook est gravement mis en cause et son dirigeant a dû s’expliquer devant le Congrès des États-Unis la semaine dernière. Outre-Atlantique, les regards se portent donc sur notre modèle européen, que le Congrès a cité à plusieurs reprises.
Le Président de la République française a d’ailleurs rappelé, dans son discours au Parlement européen ce mardi, que ce nouveau cadre européen est devenu une législation de référence. Nous devons la porter avec force, car elle incarne, me semble-t-il, et notre souveraineté numérique, et la singularité du modèle européen. Elle ouvre un espace qui favorise la croissance et l’innovation, dans le respect des libertés individuelles et des droits fondamentaux.
Ce texte nous donne l’occasion de montrer que nos sociétés européennes sont à la hauteur de ces enjeux et des attentes de nos concitoyens. C’est à cet esprit de responsabilité, que nous devons tous préserver, que je fais appel et j’espère que nous pourrons, ainsi, adopter très rapidement ce projet de loi.
Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteur.
Mme Sophie Joissains, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, le Sénat est saisi en nouvelle lecture du projet de loi relatif à la protection des données personnelles.
Ce texte, vous le savez, vise à mettre la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, dite loi informatique et libertés, en conformité avec deux importants textes européens. Le premier est le règlement général sur la protection des données, directement applicable à partir du 25 mai 2018, et le second, une directive spécifique aux traitements mis en œuvre en matière policière et judiciaire qui doit, elle, être transposée avant le 6 mai 2018.
En première lecture, notre assemblée avait approuvé les grandes orientations du projet de loi initial et la plupart des apports de l’Assemblée nationale, sauf exceptions ponctuelles.
Améliorant le texte, nous nous étions particulièrement attachés à mieux accompagner les petites structures dans la mise en œuvre de leurs nouvelles obligations et à renforcer la protection des droits et libertés des citoyens.
À ce titre, le Sénat avait d’abord tenu à répondre aux attentes et aux vives inquiétudes de nos entreprises de moyenne, petite et très petite taille, les TPE-PME, et de nos collectivités territoriales. Leurs représentants ont tous confirmé, en audition, qu’elles ne pourraient être prêtes pour l’entrée en vigueur du RGPD le 25 mai, et ce en raison de l’absence d’information et d’accompagnement par les pouvoirs publics.
C’est en pensant à elles, grandes oubliées de ce texte alors qu’elles structurent et font vivre le territoire français, que le Sénat a proposé plusieurs évolutions.
Il a voulu dégager de nouveaux moyens financiers pour la mise en conformité, en « fléchant » le produit des amendes et astreintes prononcées par la CNIL à leur intention et en créant une dotation communale et intercommunale pour la protection des données personnelles.
Il a voulu faciliter la mutualisation des services numériques entre collectivités.
Il a voulu réduire l’aléa financier pesant sur ces dernières, en supprimant la faculté pour la CNIL de leur imposer des amendes administratives.
Il a voulu faire preuve de prudence, en approuvant l’action de groupe en réparation en matière de données personnelles, mais en reportant son entrée en vigueur de deux ans.
Enfin, il a voulu encourager la CNIL à diffuser des informations et à proposer des normes de droit souple adaptées aux besoins et aux moyens des collectivités comme des TPE-PME.
Le Sénat avait également souhaité rééquilibrer certains éléments du dispositif pour renforcer la protection des droits et libertés des citoyens.
Adoptant des propositions émanant de tous les groupes politiques et fidèle à son rôle traditionnel de chambre des libertés, il avait prévu plusieurs avancées.
Il rétablissait l’autorisation préalable des traitements de données portant sur les infractions, condamnations et mesures de sûreté, et précisait la liste des personnes autorisées à mettre en œuvre ces fichiers.
Il encourageait le recours aux technologies de chiffrement de bout en bout des données personnelles pour assurer leur sécurité.
Il conservait le droit général à la portabilité des données, personnelles comme non personnelles, pour permettre de faire véritablement jouer la concurrence entre services en ligne.
Il permettait aux utilisateurs de terminaux électroniques d’avoir le choix d’y installer des applications respectueuses de la vie privée.
Il encadrait plus strictement l’usage des algorithmes par l’administration pour prendre des décisions individuelles – il s’agissait de bannir les boîtes noires –, et renforçait les garanties de transparence en la matière, notamment lors des inscriptions à l’université avec Parcoursup. C’est un exemple, et pas des moindres !
Examiné selon la procédure accélérée, ce projet de loi n’a fait l’objet que d’une seule lecture par l’Assemblée nationale puis par le Sénat, avant la réunion d’une commission mixte paritaire.
Malgré deux rencontres préparatoires entre rapporteurs qui ont permis, grâce à l’intervention des présidents des deux commissions – et je remercie le nôtre, M. Philippe Bas –, à l’issue de près de trois heures de négociation, et au prix de concessions réciproques, de proposer un compromis global accepté par le Sénat et votre rapporteur, nous nous sommes heurtés au refus des députés du groupe majoritaire à l’Assemblée nationale. Après une réunion de groupe,…