M. Pierre Ouzoulias. Sur instruction !
Mme Sophie Joissains, rapporteur. … ces derniers n’ont jamais voulu transiger.
M. Simon Sutour. On vous a fait perdre votre temps !
Mme Sophie Joissains, rapporteur. Notre temps, effectivement, et surtout celui des citoyens !
Depuis 1958, la règle a toujours été l’accord entre nos deux assemblées. Entre 1958 et octobre 2017, seulement 12 % des textes ont été adoptés par la procédure dite du « dernier mot » à l’Assemblée nationale. Entre octobre 2017 et le 25 février 2018, en cinq mois seulement, ce taux est monté à 37 % ! (Exclamations.)
M. Charles Revet. Eh bien !
M. Simon Sutour. C’est le « nouveau monde » !
M. Ladislas Poniatowski. Quelle tristesse ! Quel spectacle !
Mme Sophie Joissains, rapporteur. Dans la semaine du 6 avril, ce ne sont pas moins de deux projets de loi importants qui ont vu leur commission mixte paritaire échouer, et ce en dépit d’efforts importants déployés par le Sénat.
Sur fond de réforme constitutionnelle, on peut s’interroger : le groupe majoritaire de l’Assemblée nationale aurait-il décidé de saper le fonctionnement bicaméral de notre démocratie ? (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Républicains, du groupe socialiste et républicain, du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – Mme Françoise Laborde applaudit également.)
M. Simon Sutour. Ce sont des tigres de papier !
Mme Sophie Joissains, rapporteur. Tout à fait !
Cette démarche, en tout cas, serait d’une rare inconscience et révélerait une grave méconnaissance de nos fonctionnements démocratiques.
En tant que garde des sceaux et ancien membre du Conseil constitutionnel, madame la ministre, je vous interpelle solennellement sur cette dangereuse dérive.
Le bicamérisme est un des tenants essentiels de l’équilibre des pouvoirs, seul garant du fonctionnement démocratique. Sans le Sénat, le Parlement n’est plus que le bras armé de l’exécutif. Le parti majoritaire de l’Assemblée nationale ne peut prétendre seul représenter la France. Il n’en a pas la légitimité. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe socialiste et républicain. – M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)
Sur l’ensemble des élus de France, que les citoyens ont très bien élus, et dont les sénateurs sont les représentants, combien ce parti majoritaire représente-t-il en proportion ?
M. Pierre Ouzoulias. Rien !
Mme Sophie Joissains, rapporteur. C’est ensemble, et seulement ensemble, que le Sénat et l’Assemblée nationale sont représentatifs du peuple de France.
M. Pascal Allizard. Très bien !
Mme Sophie Joissains, rapporteur. Ces abus de procédure sur les CMP, les désinformations graves dont nous venons d’avoir connaissance constituent une pente dangereuse.
Sans surprise, la commission mixte paritaire, réunie le 6 avril dernier, a dans cette logique périlleuse constaté qu’elle ne pouvait élaborer un texte commun.
En dehors de quelques accords ponctuels limités à des sujets essentiellement techniques, l’Assemblée nationale a rétabli pour l’essentiel, encore une fois sans surprise, le texte qu’elle avait adopté en première lecture.
Les principaux apports du Sénat ont été sommairement balayés et, évidemment, des points de désaccord importants demeurent, non sans fondement.
Sur les collectivités territoriales, d’abord, nous nous heurtons à un incompréhensible refus de prendre en compte leurs spécificités.
Alors que le Gouvernement s’était montré prêt à des concessions raisonnables sur ce sujet, nos collègues députés ont refusé de voir les difficultés que l’application du RGPD suscitera pour les collectivités territoriales.
Pour la majorité de l’Assemblée nationale, une collectivité territoriale est un responsable de traitement comme un autre. Elle devrait donc être placée sur le même pied qu’une entreprise ou qu’une start-up, et sa situation ne mériterait aucun traitement spécifique. C’est grave ! (M. Jean-Marc Boyer opine.)
Faut-il vraiment rappeler ce que sont les collectivités territoriales ? Cela fait froid dans le dos !
Ces dernières sont soumises à des sujétions tout à fait particulières : si elles mettent en œuvre des traitements de données personnelles, ce n’est pas pour en tirer profit, mais parce qu’elles y sont obligées par la loi, parce que certaines compétences leur ont été transférées et pour rendre un meilleur service à nos concitoyens. Comme l’État, elles sont d’ailleurs chargées de missions de service public et exercent des prérogatives de puissance publique.
Ces arguments n’ont pas suffi à nos collègues députés, qui ont supprimé nos ajouts et, en particulier, ont rétabli la possibilité pour la CNIL d’imposer des amendes administratives et des astreintes aux collectivités territoriales.
Je vous proposerai logiquement, mes chers collègues, d’en revenir à notre texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Républicains et du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)
S’agissant des traitements en matière pénale, l’Assemblée nationale a accepté des reculs inquiétants pour les droits et libertés de nos concitoyens. Ces motifs d’inquiétude justifient pleinement que le Conseil constitutionnel soit saisi.
À titre d’exemple, pour les données d’infraction, l’Assemblée nationale a supprimé l’encadrement, protecteur pour la vie privée, de l’open data des décisions de justice, le régime d’autorisation préalable par la CNIL des traitements d’infractions pénales et de condamnations, ainsi que les garanties concernant les personnes morales désormais autorisées à mettre en œuvre ces traitements, alors que l’État, lui, a besoin d’autorisation.
Je vous proposerai de réintroduire l’ensemble de ces garanties essentielles pour les droits et libertés de nos concitoyens. Dans un domaine aussi sensible, le Sénat aura jusqu’au bout, et c’est important, tenu son rôle traditionnel de chambre des libertés. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain. – Mmes Esther Benbassa et Françoise Laborde applaudissent également.)
Concernant les algorithmes, je regrette la suppression injustifiée de plusieurs garde-fous essentiels et un sérieux, très sérieux recul sur le principe de transparence que le Sénat avait institué. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Je souhaite, en particulier, attirer votre attention sur le cas de Parcoursup et dénoncer, ici, une réelle hypocrisie : malgré des discours pleins de bonnes intentions, l’Assemblée nationale a finalement reculé en séance, estimant que les établissements d’enseignement supérieur devaient déroger aux règles de transparence des algorithmes locaux, c’est-à-dire ceux qui permettent d’accéder aux filières.
Il est totalement impensable que les lycéens choisis par les universités au moyen d’algorithmes ne puissent pas savoir quels paramètres seront appliqués lors de leur sélection ! (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Républicains, du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Sur un sujet aussi sensible, et dans le contexte que connaissent actuellement nos universités, cette opacité n’est pas acceptable. Beaucoup de dérives seront possibles !
Mme Esther Benbassa. Tout à fait !
Mme Sophie Joissains, rapporteur. Alors qu’une récente délibération de la CNIL appelle au respect du principe de transparence de Parcoursup, l’Assemblée nationale se contente ici, pour toute garantie, d’acter une remise de rapport au Parlement ! Quel moyen commode de remettre à plus tard le traitement d’un problème que l’on ne souhaite pas vraiment résoudre ! (Exclamations sur plusieurs travées.)
M. Pierre Ouzoulias. Très bien !
Mme Sophie Joissains, rapporteur. Le rôle du législateur étant bien de fixer des normes, de veiller au respect de nos principes fondamentaux, et non de commander des rapports dilatoires, je vous proposerai de réinscrire dans la loi le principe de transparence voté par le Sénat en première lecture. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Jean-Louis Lagourgue et Mme Françoise Laborde applaudissent également.)
Mme Brigitte Lherbier. Très bien !
Mme Sophie Joissains, rapporteur. S’agissant de l’action de groupe, nous en approuvons le principe, y compris pour la réparation des dommages. Nous demandons simplement le rétablissement de deux mesures de prudence pour éviter d’éventuels abus et laisser un peu de temps à nos entrepreneurs et à nos élus locaux avant de les exposer à un tel risque contentieux.
Je ne m’étendrai pas sur plusieurs autres divergences ponctuelles.
Pour conclure, quelques mots, trop rapides, sur l’âge du consentement des mineurs au traitement de leurs données.
Nous rétablissons cet âge à seize ans, mais l’important n’est pas un an de plus ou un an de moins ! Le véritable enjeu porte sur l’éducation au numérique et le régime protecteur qu’il convient d’instaurer sur internet pour nos enfants et nos adolescents. Marie Mercier nous en a donné un aperçu concernant la pédopornographie. Catherine Morin-Desailly, dans un rapport prochain, détaillera l’ensemble des risques : cyber-harcèlement, emprise, radicalisation, impact sociétal, etc. Là, le débat pourra enfin et utilement s’ouvrir. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Républicains, du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – M. Jean-Louis Lagourgue et Mme Françoise Laborde applaudissent également.)
M. Ladislas Poniatowski. Excellent !
Mme Esther Benbassa et M. Pierre Ouzoulias. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Jérôme Durain, pour le groupe socialiste et républicain.
M. Jérôme Durain. Madame la présidente, madame la ministre, madame la rapporteur, mes chers collègues, je tiens en préambule à saluer une nouvelle fois le travail de notre rapporteur et relever la force des quelques mots qu’elle nous a adressés s’agissant de cette nouvelle lecture du texte. (M. Charles Revet et Mme Brigitte Micouleau acquiescent.)
Ce projet de loi, que nous réexaminons aujourd’hui en séance, a subi de nouvelles modifications à la suite de son passage par l’Assemblée nationale. Plutôt que de modifications, je devrais d’ailleurs parler de ratures, de lacérations, de déni !
C’est en tout cas ainsi que le Sénat a perçu le dédain avec lequel l’Assemblée nationale a abordé la navette législative et sabordé la commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe Les Républicains. – Mmes Nadia Sollogoub et Esther Benbassa applaudissent également.)
Il semblerait, mes chers collègues, que le contexte de mise au pas institutionnelle prenne le dessus sur la recherche de compromis, qui, ici, nous anime si souvent. Le groupe socialiste et républicain approuve donc la réaction du président Larcher, lequel défend, avec un sens de l’équilibre, la contribution du Sénat à la vie démocratique de notre pays. (Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain et du groupe Les Républicains.)
Les CMP ne sont pas des contretemps à la marche en avant du Gouvernement ; ce sont des moments indispensables à la bonne rédaction de la loi. Dans son courrier au président de Rugy, M. Larcher l’a démontré avec force.
Le projet de loi instaurant le droit à l’erreur, puis ce projet de loi relatif à la protection des données personnelles : les exemples récents sont inquiétants. Ils témoignent d’un pouvoir et d’une majorité sourds à la contradiction, si ce n’est aux contre-pouvoirs, si ce n’est au Parlement.
Les preuves ne manquent pas s’agissant du texte sur les données personnelles, à commencer par le sort réservé aux dispositions en direction des collectivités, dont l’ambition était de protéger nos élus en les accompagnant au mieux dans les changements induits par la future loi.
Quand l’Assemblée nationale décide de refuser l’exemption d’amendes administratives et d’astreintes pour les collectivités territoriales et leurs groupements, quand elle rejette la mesure visant à destiner le produit des sanctions pécuniaires au financement d’un accompagnement par l’État des responsables de traitement et de leurs sous-traitants, la chambre basse fait preuve de courte vue. À moins qu’elle ne confirme l’ignorance de très nombreux députés du nouveau monde, qui ne connaissent rien – et ne veulent rien connaître, semble-t-il – de la vie des collectivités locales. (Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain, du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe Les Républicains.)
L’actualité nous montre pourtant combien cette amélioration sénatoriale est pertinente.
Si comme moi, mes chers collègues, vous avez choisi de remplir au plus tôt votre déclaration de revenus en ligne, ou de vérifier le calendrier qui s’y applique, vous avez dû être aiguillés vers une vidéo mode d’emploi. Jusque-là, rien de plus normal !
Seul problème, alors que tout le monde n’a que les termes « données personnelles » à la bouche, alors que l’Assemblée nationale refuse d’accorder un peu de tolérance aux collectivités territoriales, l’État central, lui, par la main de la DGFiP, a fait le choix d’inonder Google de données personnelles des contribuables français ! (Mme Maryvonne Blondin acquiesce.)
La vidéo mode d’emploi précitée, dont le visionnage est obligatoire, est effectivement hébergée chez un GAFA (Mme Maryvonne Blondin acquiesce de nouveau.) et les contribuables se voient obligés d’envoyer des données personnelles à Google, sans même y avoir consenti. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et sur des travées du groupe Les Républicains. – Mmes Françoise Laborde, Maryse Carrère et Esther Benbassa applaudissent également.)
Cerise sur le gâteau, le bandeau d’information sur l’utilisation des données et les cookies, obligatoire sur tous les sites européens pour protéger la vie privée, renvoie vers une page qui n’est accessible qu’une fois la vidéo YouTube visionnée !
L’État central, Bercy lui-même, se fait avoir comme un bleu en matière de données personnelles et on conteste aux collectivités, pourtant bien moins armées, la nécessité d’un accompagnement adapté. (Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain et du groupe Les Républicains. – Mmes Françoise Laborde, Nadia Sollogoub et Sylvie Vermeillet applaudissent également.)
Pour en revenir aux articles du texte, j’approuve la fermeté de Mme la rapporteur sur l’article 10 bis. Je crois en effet comprendre qu’elle regrette « la position fermée de l’Assemblée nationale » sur un sujet aussi sensible en matière de sécurité. Alors que la CNIL autant que le Conseil national du numérique sont favorables à l’incitation au chiffrement des données, il est incompréhensible que l’Assemblée la rejette.
S’agissant des dispositions relatives aux fichiers de police et de justice, les députés ont souhaité modifier le délai pour rectifier ou supprimer des données personnelles, lorsque la loi est enfreinte par le responsable de traitement. Les députés estiment qu’une action « dans les meilleurs délais » est suffisante, alors que nous proposions un maximum d’un mois pour intervenir.
Ne pas imposer de contraintes temporelles serait une erreur. Cela laisserait un temps élargi aux responsables de traitement pour résoudre le problème, ce temps pouvant menacer l’intégrité des utilisateurs et leur porter préjudice à long terme. Le délai d’un mois que nous avions fixé était donc, à mon sens, une bonne mesure.
Les algorithmes, qui font débat et sont méconnus du grand public, méritent aussi que nous nous attardions sur leur fonctionnement et leur utilisation. Or l’Assemblée nationale a jugé bon de ne pas rendre plus transparentes les décisions algorithmiques, comme les attributions sur le portail admission post-bac – devenu Parcoursup – ou pour Pôle emploi.
Un droit de regard sur ces décisions est nécessaire, afin d’éviter tout sentiment d’incompréhension ou d’injustice qui serait ressenti par les utilisateurs. Cette approche pédagogique aiderait nos concitoyens à mieux accepter les décisions les concernant et, avant tout, à les comprendre.
Nous réaffirmons qu’un recours limité aux algorithmes est souhaitable. Nous vivons un moment charnière, marqué par une aspiration des citoyens à plus de transparence dans les décisions. Ce n’est pas en se délestant de certaines décisions sur des algorithmes que ce lien de confiance, qui s’est distendu au cours des dernières années, se renouera.
Plus généralement, le récent scandale ayant agité Facebook, avec la vente de données à Cambridge Analytica, doit nous interpeller. L’utilisation par cette société des données de près de 87 millions d’utilisateurs du site à des fins politiques, le soutien au candidat Donald Trump lors de la campagne présidentielle aux États-Unis, nous a rappelé à quel point la protection de nos données est importante. Aucune mesure de protection n’est surfaite ; aucune mesure de protection ne doit être négligée.
La vente de ces données a révélé un système d’ampleur, largement soupçonné, mais pas encore identifié. Il permet aux acheteurs de se procurer des adresses mail, des dates de naissance, d’accéder aux réseaux d’interconnaissances des utilisateurs et, encore plus important pour les publicitaires et les entreprises commerciales, de connaître leurs goûts.
Cette intrusion dans notre intimité, que nous consentons lors de l’inscription sur le site en question, peut avoir des répercussions sur notre vie privée, comme sur la vie d’un pays tout entier. C’est pourquoi une meilleure régulation des données est nécessaire.
Nos collectivités sont également concernées. Traitant des données sensibles, elles doivent à tout prix être protégées contre un quelconque type d’intrusions. C’est pourquoi, j’y insiste, il est nécessaire de créer, pour elles, un statut spécifique et de réintroduire les dispositions supprimées par les députés.
Alors que les géants du numérique, et d’autres, s’insurgeaient contre le RGPD, qui doit entrer en vigueur le 25 mai prochain, les voilà qui commencent à revoir leur copie…
Ils insistaient sur l’impossibilité de mettre en œuvre les règles établies par le RGPD, alors que les acteurs français du numérique, sans excès de chauvinisme, répondaient le contraire. Le président de Facebook lui-même, Mark Zuckerberg, a finalement reconnu, au début du mois d’avril, que ses équipes étaient en train de travailler à reprendre certaines dispositions du RGPD, même hors de l’Union européenne.
Des évolutions sont donc possibles, tant idéologiques que techniques. On peut envisager une meilleure protection des données, et tous les acteurs du numérique devront s’y plier car la sécurité des utilisateurs et de notre société en dépend.
Ces évolutions positives adviendront, dans les temps, malgré le manque d’ouverture que nous avons constaté chez nos collègues députés.
Que de travail accompli depuis les premiers débats européens en la matière, les premières tentatives de lobbying infructueuses des GAFA à Bruxelles !
Ce cheminement lent et méticuleux saura, je l’espère, inspirer le Gouvernement dans son approche de la réforme institutionnelle à venir, afin que des parlementaires des deux chambres puissent, à l’avenir, transposer dans notre droit national – à travers une collaboration plus fructueuse qu’aujourd’hui – le fruit des compromis européens. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et sur des travées du groupe Les Républicains. – Mmes Sylvie Vermeillet et Françoise Laborde, ainsi que M. Jean-Louis Lagourgue applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Claude Malhuret, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.
M. Claude Malhuret. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteur, mes chers collègues, le 25 mai prochain, toutes les entreprises européennes ou collectivités territoriales gérant des données, indépendamment de leur taille, seront tenues de se conformer au règlement général sur la protection des données.
Cette réglementation européenne, annoncée en 2012 et réalisée depuis 2016, doit nous permettre de nous prémunir des dangers d’une gestion abusive des données.
Il faut dire que l’actualité des dernières semaines nous a invités à la plus grande prudence. Mon prédécesseur à cette tribune a évoqué la vidéo de YouTube…
Mme Catherine Morin-Desailly. Eh oui !
M. Claude Malhuret. … sur le site du ministère de l’économie et des finances. Je voudrais, pour ma part, insister sur le scandale Facebook et l’utilisation de certaines de ses données dans les récentes campagnes américaine et britannique par la société Cambridge Analytica.
On a parlé de 90 millions d’utilisateurs du réseau social, mais ce chiffre, n’en doutons pas, va s’accroître au fur et à mesure des investigations et des demi-vérités successives des auteurs de ces infractions.
En début de semaine, l’entreprise a dû reconnaître avoir organisé plusieurs rencontres avec des représentants du parti europhobe UKIP et de l’organisation Leave.EU, deux initiatives pro-Brexit. C’est une atteinte profonde à la démocratie, tout comme, d’ailleurs, les événements survenus aux États-Unis un an plus tôt !
Le réseau social annonce prendre les devants sur l’adoption du RGPD, en proposant à ses utilisateurs de nouvelles règles liées à la vie privée. Cette opération de communication est, à mon avis, une vaste farce.
S’il suffit d’un clic pour accepter les nouvelles fonctionnalités, il faut trois ou quatre clics successifs sur la case « non » pour les refuser et faire accepter son choix. Un parcours du combattant pour la plupart des usagers, qui, par conséquent, n’optent pas pour la deuxième solution.
Facebook demande aujourd’hui à ses utilisateurs de le laisser accéder à des données sur l’orientation sexuelle, la religion ou encore l’affiliation politique. « Retirez tout ce que vous ne voulez pas partager », nous prévient le réseau social, ce qui signifie, bien entendu, que l’accord est donné par défaut.
Ensuite, Facebook invite à accepter une option de reconnaissance faciale, sous le prétexte que ce nouvel outil permet de mieux protéger l’utilisateur contre un piratage ou une utilisation illégale de ses photos sur le réseau social.
Le problème est que l’offre relève du « tout ou rien » : soit, mes chers collègues, vous acceptez et offrez gratuitement une empreinte de votre visage à Facebook, soit vous refusez à la force de plusieurs clics et à la lecture d’une page lénifiante sur les bienfaits de cette fonction, mais vous bloquez alors d’autres fonctionnalités utiles. Là aussi, dans la plupart des cas, l’internaute n’opte pas pour le refus.
Tout cela, bien sûr, sans parler de la question de la publicité ciblée, sujet sur lequel, lors de son audition devant le Congrès américain, le vice-président de Facebook Rob Sherman a benoîtement répondu : « Les gens ont le choix de ne pas être sur Facebook ». On pourrait écrire des livres entiers à propos de cette phrase !
Faut-il pour autant vivre dans la peur permanente? Je ne le pense pas.
Le RGPD dote notre pays des outils nécessaires pour protéger les droits numériques de nos concitoyens : droit de récupération de ses données, droit à l’effacement de ces mêmes données, nouvelles protections pour le traitement d’informations concernant les mineurs de moins de seize ans et mise en place d’une amende administrative pour les contrevenants, pouvant grimper jusqu’à 4 % de leur chiffre d’affaires mondial.
Pour exercer ces nouveaux droits, le citoyen français pourra se tourner vers la Commission nationale de l’informatique et des libertés, qui, avec ce projet de loi, disposera de nouveaux atouts pour moderniser son action.
L’institution s’était modernisée sous l’impulsion de ses présidents successifs. Elle entre aujourd’hui dans l’âge de la maturité, avec, notamment, le renforcement de ses pouvoirs de contrôle et de sanction, y compris à l’égard des groupes étrangers, et une capacité à ordonner la suspension ou la cessation d’un transfert de données.
C’est cette même institution qu’un de nos anciens collègues, Alex Türk, a longtemps présidée. Celui-ci nous avertissait sur l’urgence de nous protéger : à ceux qui lui demandaient si la prophétie de George Orwell se réaliserait un jour, si nous étions susceptibles de tomber sous le joug d’un Big Brother numérique, il répondait calmement que nous subissions déjà sa domination silencieuse et nous exhortait à agir pour défendre une société de la confiance et de la vie privée.
Pour créer une telle société, il faut consacrer le droit de chaque citoyen à choisir !
Le destin de l’amendement Qwant, visant à supprimer Google des moteurs de recherche par défaut et à laisser chaque utilisateur libre de son choix, est représentatif de l’enjeu des débats. Déposé, retiré, rejeté en séance à l’Assemblée nationale, redéposé, complété au Sénat, supprimé en nouvelle lecture et finalement adopté en commission des lois, sur l’initiative du groupe Les Indépendants, il est au cœur du combat moderne entre David et Goliath, entre l’utilisateur et les GAFA, entre le droit individuel et le régime mis en place par les géants historiques du net.
Donnons-nous donc les moyens de faire de la CNIL ce garant des libertés individuelles que le projet de loi l’appelle à être. Notre groupe a déposé plusieurs amendements en ce sens, pour s’assurer que les membres de cette institution aient à la fois les compétences techniques et l’engagement éthique et moral nécessaires à la réalisation de telles missions.
Ce texte, mes chers collègues, est une étape pour redonner de la liberté aux internautes. J’entendais, voilà quelques années encore, l’ex-patron de Google affirmer que seuls les criminels se souciaient de protéger leurs données. Je crois qu’il n’y a rien de plus faux ! Le droit à la vie privée est un fondement essentiel de notre République, défini à l’article II de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
Madame la garde des sceaux, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, il est essentiel que notre chambre démontre qu’elle n’est pas indifférente à la révolution numérique, qu’elle en épouse les contours et qu’elle amène dans ce débat la sagesse et la responsabilité pour lesquelles elle est reconnue.
Oui à une vie privée numérique, oui à une meilleure protection de nos données personnelles, oui, enfin, à une pratique libre et indépendante du net. Ce texte nous donne l’occasion de poser une base juridique solide à l’encadrement des données. Nous devons nous en saisir et assurer à la fois la protection des citoyens français et la souveraineté de nos données. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires et sur des travées du groupe Les Républicains. – Mmes Gisèle Jourda et Sylvie Vermeillet applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Maryse Carrère, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
Mme Maryse Carrère. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, tout d’abord, je m’associe aux remerciements quasi unanimes qui vous ont été adressés, madame la rapporteur, de même que je vous remercie de vos propos justes et sincères.