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Élection des représentants au Parlement européen
Discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à l’élection des représentants au Parlement européen (projet n° 314, texte de la commission n° 397, rapport n° 396).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d’État, ministre de l’intérieur. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la Haute Assemblée s’apprête à débattre du projet de loi relatif à l’élection des représentants au Parlement européen, que l’Assemblée nationale a adopté le 20 février dernier et qui vise à rétablir, pour les élections européennes, une circonscription électorale unique sur le territoire national.
Depuis la création des huit circonscriptions régionales en 2003, ce n’est pas la première fois que le rétablissement de la circonscription unique est débattu ici même. Vous le savez, une proposition de loi déposée par le groupe du RDSE a été adoptée le 23 juin 2010 par la Haute Assemblée pour rétablir cette circonscription unique.
J’ai l’espoir que le Sénat adoptera une nouvelle fois un texte permettant de rétablir cette circonscription unique. En effet, si les options quant au mode de scrutin sont multiples, celle-ci m’apparaît comme la plus claire, la plus intelligible et la plus respectueuse du pluralisme politique. Elle est donc, à mes yeux, la meilleure pour nos concitoyens.
Je sais, bien sûr, que tous ici n’approuvent pas cette vision. Mais, je le sais aussi, c’est dans un état d’esprit constructif que nous abordons tous ce débat.
Cet état d’esprit constructif est tout d’abord celui du Sénat, dont la marque de fabrique est de toujours chercher à enrichir les textes, à les améliorer. C’est également celui du Gouvernement : vous savez que, dès l’élaboration de ce texte, le Président de la République et le Premier ministre ont veillé à consulter l’ensemble des formations politiques dans le cadre d’une démarche de coconstruction législative.
Mesdames, messieurs les sénateurs, si le Gouvernement a retenu l’option de la circonscription unique, ce n’est donc pas du fait du hasard : c’est bien parce que la majorité des groupes politiques avaient, avec lui, un diagnostic commun.
Au-delà des différences de sensibilités et de positionnements que les formations politiques peuvent présenter au sujet de l’Union européenne, je crois que nous sommes tous d’accord pour affirmer que la situation actuelle n’est pas satisfaisante. Plus d’un Français sur deux ne se déplace pas aux urnes pour élire ses représentants au Parlement européen. Dans certains endroits, lors du dernier scrutin, l’abstention a même atteint 70 %.
Que l’on soit pour plus ou moins d’Europe, que l’on soit pour une Europe fédérale ou pour une Europe des nations, que l’on soit pour davantage d’intégration ou pour de nouveaux élargissements, l’on ne peut se satisfaire de si faibles taux de participation, qui minent la légitimité des députés européens et, finalement, affaiblissent la démocratie.
Il est évident que le mode de scrutin n’est pas l’unique cause de la hausse de l’abstention – il faut le reconnaître. Toutefois, son manque de clarté, que déplorent les électeurs, ne peut qu’être un facteur supplémentaire pour décourager les uns et les autres de se rendre aux urnes.
Il suffit – je sais que chacun d’entre vous, sur ces travées, le fait – de dialoguer avec nos concitoyens sur le terrain pour comprendre que le découpage en huit circonscriptions, sans cohérence historique, politique ou administrative, a contribué à brouiller le débat entre enjeux européens, enjeux nationaux et enjeux locaux.
Il fallait donc agir pour inverser cette tendance, et ce dans un délai court puisque, par tradition républicaine, le mode de scrutin n’est pas modifié dans les douze mois précédant une élection.
C’est ce que le Gouvernement entreprend avec ce projet de loi.
La première option était de créer treize circonscriptions correspondant aux nouvelles grandes régions. C’est d’ailleurs la solution que certains d’entre vous proposent.
Si le Gouvernement ne l’a pas retenue, ce n’est pas, comme on a pu l’entendre parfois, pour des raisons politiciennes, mais parce que le débat aurait certainement été perturbé par des enjeux étrangers à la nécessaire confrontation des idées et des projets relatifs à l’Europe.
De plus, ce découpage se traduirait par d’importants écarts entre les régions dans le nombre d’élus dont chacune disposerait : ce sont précisément ces écarts que le découpage en circonscriptions multirégionales tentait jusqu’à présent de combler.
Surtout, en atténuant les effets de la proportionnelle, un tel découpage aurait favorisé les grands partis et, ainsi, fragilisé le pluralisme politique auquel nous sommes, comme tous les Français, très attachés.
Une autre option, que préconisent également un certain nombre de sénateurs, aurait consisté à créer, d’une part, une circonscription « hexagonale » et, d’autre part, une circonscription ultramarine.
Je sais que ce sujet fait débat chez certains d’entre vous…
M. Victorin Lurel. Absolument !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. … et je comprends que des préoccupations puissent surgir.
Le Gouvernement a étudié cette option, mais il l’a écartée…
M. Victorin Lurel. Hélas !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. … pour plusieurs raisons.
Il s’agit, tout d’abord, de raisons juridiques, et notamment de risques constitutionnels.
M. Victorin Lurel. Non, madame !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. La création d’une circonscription ultramarine aurait pour effet de garantir aux seuls électeurs ultramarins de disposer d’une représentation sur une base territoriale, tandis que le reste des électeurs ne bénéficieraient pas d’une telle spécificité. En résulterait un risque d’atteinte au principe d’égalité devant le suffrage.
M. Victorin Lurel. Aucun risque ! La répartition serait faite sur une base démographique !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Au-delà des risques juridiques, la création d’une circonscription spécifique à l’outre-mer pose question sur le plan des principes. Une telle option ne manquerait pas d’être légitimement contestée par d’autres régions.
M. Victorin Lurel. Ça, c’est un autre sujet…
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Au reste, certains représentants français au Parlement européen, élus en 2014 dans la circonscription d’outre-mer, ne sont eux-mêmes pas favorables à la création d’une circonscription ultramarine,…
M. Victorin Lurel. Lesquels ?
Mme Jacqueline Gourault, ministre. … qui marquerait une différence avec le reste de la Nation et qui affaiblirait l’intelligibilité du scrutin pour les électeurs.
Dès lors, la meilleure option – nous en sommes convaincus – était bien la circonscription nationale unique. Je rappelle que notre pays a déjà connu ce mode de scrutin : c’est celui qu’il a appliqué entre 1977 et 2003.
C’est un choix, et nous l’assumons pleinement.
Tout d’abord, cette solution est soutenue par la majorité des partis politiques. Or, vous le savez, nous voulons toujours rassembler le plus largement possible face aux grands choix stratégiques qui engagent le pays.
Ensuite, le rétablissement d’une circonscription unique nous rapproche de nos partenaires : aujourd’hui, dans vingt-trois des vingt-sept États membres de l’Union européenne, les électeurs, lors de ce scrutin, votent au sein d’une circonscription nationale unique.
Enfin – et c’est ce qui a principalement emporté notre décision –, nous sommes convaincus que ce mode de scrutin permettra d’intéresser davantage nos concitoyens à des élections qui sont de plus en plus décisives pour leur destin individuel comme pour leur destin collectif.
Bien sûr, nous entendons les critiques qu’inspire la circonscription électorale unique. Certains d’entre vous s’en feront probablement l’écho.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Sans doute !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. En procédant ainsi, l’on risquerait de voir la campagne porter sur des sujets nationaux et non sur les projets pour l’Europe. Mais le découpage en circonscriptions régionales nous préservait-il de cet écueil ? Ne pouvait-on pas également tomber dans un débat régional ?
On invoque par ailleurs le risque d’éloignement entre les députés européens et la réalité des territoires.
En tant qu’élue locale, vous connaissez mon attachement à ces sujets. Mais, si j’ai soutenu en 2010 la proposition de loi du groupe du RDSE, c’est, comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire, parce que je suis, comme citoyenne de l’Europe, depuis longtemps convaincue que la circonscription unique est la meilleure solution. Pourquoi ? Parce qu’elle permettra de proposer aux Français des débats clairs, avec des options nettes sur la confrontation des projets européens. Elle permettra de débattre, à l’échelle nationale, des enjeux européens de demain.
Mesdames, messieurs les sénateurs, au sujet de l’Europe, le projet que défend le Gouvernement est clair, et de ce choix politique découle un certain nombre de conséquences, inscrites dans le présent texte.
Nous en débattrons lors de l’examen des différents articles. Pour l’heure, je souhaite évoquer plus particulièrement les modalités de répartition du temps d’antenne lors de la campagne officielle pour les élections européennes, lesquelles ont suscité de nombreux débats.
Je tiens à le rappeler, comme je l’ai fait lors des discussions à l’Assemblée nationale : il était de la responsabilité du Gouvernement de modifier le dispositif existant pour tirer les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel du 31 mai dernier. Si nous n’avions pas modifié le dispositif, nous aurions laissé perdurer un système producteur d’injustices et nous aurions pris le risque d’une nouvelle censure. Bien sûr, nous nous y refusons.
C’est pourquoi nous avons élaboré ce dispositif équilibré reposant sur un triple mode de répartition, dont la dernière fraction corrective sera mise en œuvre par le Conseil supérieur de l’audiovisuel, le CSA.
En outre, comme vous le savez, la censure intervenue en mai dernier à l’occasion d’une question prioritaire de constitutionnalité présentée par l’association En Marche ! portait sur le dispositif applicable pour les élections législatives. Le Conseil constitutionnel a décidé de reporter au 30 juin prochain les effets de cette censure. Il existe donc un risque réel de vide juridique si nous ne prenons pas rapidement les mesures législatives adéquates. C’est pourquoi le Gouvernement a fait le choix d’emprunter ce vecteur législatif pour soumettre au Parlement un dispositif alternatif dont les principes sont identiques à ceux qui ont prévalu pour élaborer le dispositif de la campagne officielle des élections européennes.
Mesdames, messieurs les sénateurs, au-delà de ce projet de loi, le Président de la République et le Gouvernement portent, vous le savez, des ambitions fortes pour l’Europe. Ces ambitions, le Président de la République les a exprimées lors de son discours de la Sorbonne, le 26 septembre dernier. Elles visent notamment à faire émerger un véritable espace public européen ce qui implique notamment qu’un débat politique émerge également à l’échelle européenne. Les négociations menées actuellement pour permettre la création d’une circonscription européenne unique et des listes transnationales s’inscrivent pleinement dans ce cadre et se poursuivent.
Vous le savez, à l’occasion d’un vote le 7 février dernier, le Parlement européen n’a pas retenu le principe des listes transnationales pour les prochaines élections européennes, malgré un vote favorable en commission.
Le Gouvernement a pris acte de ce vote, mais reste néanmoins très engagé pour faire aboutir ce projet, qui a déjà reçu le soutien de plusieurs de nos partenaires. Dans la perspective des élections européennes de 2024 et indépendamment du prochain scrutin, il continuera à défendre cette idée, car elle est la seule à pouvoir renforcer la démocratie européenne.
Dans ce même état d’esprit, le Gouvernement entend poursuivre le combat pour refonder l’Europe et la rendre plus démocratique. C’est tout le sens des consultations citoyennes qui seront lancées dans quelques jours dans toute l’Europe.
En France, l’ensemble du Gouvernement, mais surtout les acteurs de la société civile, le monde associatif, les entreprises, les partenaires sociaux, les collectivités y participeront, afin d’entendre les préoccupations, les attentes, les espoirs, mais aussi les inquiétudes que suscite l’Europe. C’est en effet par l’engagement de tous que nous susciterons de nouveau l’intérêt des citoyens européens.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous connaissez tous la fameuse phrase de Jean Monnet : « Nous ne coalisons pas des États, nous unissons des hommes. » Par ce texte, par les actions que met en œuvre ce gouvernement, c’est bien ce but que nous visons : unir les Français, d’abord, autour de la belle idée européenne, autour de représentants qui porteront haut la voix de la France au Parlement de Strasbourg ; unir, ensuite, les habitants de ce continent, afin qu’ils se sentent pleinement citoyens européens, dépositaires de cette culture plurimillénaire qui fait que la voix de notre continent est écoutée et respectée partout dans le monde. (Applaudissements sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Alain Richard, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le Sénat est convié à examiner une nouvelle fois le mode d’élection des parlementaires européens français, en raison d’un sentiment d’insatisfaction assez largement partagé parmi les responsables politiques face au contraste entre l’importance politique et institutionnelle du Parlement européen et la faiblesse de la participation et de l’implication de nos concitoyens lors du choix de ces parlementaires. Le Parlement européen est en effet devenu l’un des piliers de décision essentiels de l’Union européenne dans tous les domaines et emporte, par ses choix et ses votes, beaucoup d’effets sur l’avenir des citoyens européens.
Mme la ministre l’a dit, le mode de scrutin ne fait pas tout. Si nous voulons que les parlementaires européens acquièrent une représentativité et une légitimité démocratique plus fortes, une partie du travail revient aux candidats et aux élus eux-mêmes.
Lorsque l’on a évoqué en commission les attitudes critiquables de certains parlementaires européens, qui ne se pliaient pas à un travail intensif de représentation et de communication avec le terrain et la population, il m’a semblé légitime de dire que le contraire existait aussi, et que beaucoup de parlementaires européens français font bien leur travail à la fois au Parlement européen, à Bruxelles et à Strasbourg, et dans les régions et les collectivités.
N’oublions pas également – il s’agira de l’un des points intéressants de nos échanges – que, quel que soit le mode de scrutin, la responsabilité de la préparation de ces candidatures incombe aux organisations politiques. Si, parfois, le choix des candidats élus a pu donner lieu à des critiques en raison d’un défaut de représentativité – il n’était, d’ailleurs, pas seulement de nature géographique –, rappelons que les listes avaient été conçues par des responsables politiques centraux. Nous avons essayé, les uns et les autres, de trouver des modes de constitution des listes qui fassent appel à une participation pluraliste, mais la nature même du scrutin, qu’il soit régionalisé ou centralisé, aboutit forcément à des listes composées par la direction des organisations politiques.
Avec l’expérience du scrutin régionalisé durant les trois dernières élections – celles de 2004, de 2009 et de 2014 -, beaucoup d’observateurs sont arrivés à la conclusion qu’une liste nationale cohérente constituait le support le plus compréhensible par les citoyens et le plus respectueux de l’objet même du Parlement européen : représenter les nations au sein d’un Parlement plurinational.
Telle est la base du projet de loi que nous examinons et tel est le sujet du débat d’aujourd’hui.
Ce débat a connu ses préliminaires au Sénat, il y a quelques années, à la faveur d’une proposition de loi de nos collègues du groupe du RDSE préconisant le retour à la liste nationale et qui avait été votée par une large majorité.
Il revient au rapporteur de souligner que nous légiférons dans un cadre, celui du premier traité de l’Union européenne, le traité de Rome, lequel a prévu l’élection directe des parlementaires européens par les citoyens, même s’il a fallu presque vingt ans pour que cette disposition s’applique réellement. Depuis septembre 1976, donc, un acte européen régit le principe d’élection des parlementaires européens et énonce trois principes essentiels.
Le premier est un système de listes à l’intérieur de chaque nation, laissant le choix entre des listes nationales complètes ou des listes réparties par circonscription.
Le deuxième, qui est essentiel dans notre débat d’aujourd’hui, est le principe de la représentation proportionnelle, donc du pluralisme, se traduisant par des attributions de sièges sans effet majoritaire.
Le troisième, enfin, est la faculté donnée aux nations d’adopter un seuil minimum de représentation, dont le maximum est fixé à 5 %. Cela se pratique dans beaucoup de pays, dont la France, où l’usage a établi ce seuil au taux maximal possible. Certains de nos partenaires ont retenu un seuil un peu plus bas.
Dans ce débat, des alternatives au système de la liste nationale complète existent. Certains collègues en ont proposé ; nous en débattrons en examinant les articles.
Si, toutefois, nous choisissions une répartition à l’intérieur des régions constituées par la loi de 2015, nous obtiendrions des écarts importants dans l’application de la proportionnelle. Certaines régions ne pourvoiraient ainsi que deux ou trois sièges, ce qui offre un cadre un peu étroit à la mise en œuvre de la proportionnelle, alors que d’autres en auraient douze, quatorze ou quinze. C’est une difficulté.
Nous avons étudié en commission les tentatives de créer des subdivisions à l’intérieur des listes nationales, de manière à forcer une sous-représentation géographique à l’intérieur des listes nationales. Là encore, en appliquant la proportionnelle pour les soixante-quatorze ou soixante-dix-neuf sièges qui nous reviendraient, les listes les plus convaincantes obtiendront peut-être vingt ou vingt-cinq sièges, mais beaucoup de listes en auront entre quatre et dix.
Une ventilation régionale à l’intérieur des listes nationales aboutirait donc à ce que les régions les plus peuplées soient correctement représentées par la plupart des listes, alors que les régions les moins peuplées se retrouveraient globalement sous-représentées.
Une transposition à l’échelle État-régions du système des sections départementales que nous pratiquons aux élections régionales ne peut donc pas donner les mêmes résultats, parce que les effectifs de postes à pourvoir sont beaucoup moins importants.
Par ailleurs, notre tradition électorale, ainsi que le Conseil constitutionnel l’a rappelé à plusieurs reprises, est de laisser la plus grande liberté dans la composition des listes et de ne pas contraindre les organisations politiques à structurer leurs listes selon un mode obligatoire.
Les Français éliront soixante-quatorze ou soixante-dix-neuf députés européens, car, curieusement, nous n’allons pas voter sur le nombre de sièges à pourvoir, lequel résulte également de l’Acte européen de 1976, régulièrement remis à jour en fonction des évolutions de la communauté.
Sa dernière version répondra au départ de nos collègues et amis britanniques et une proposition de répartition est actuellement en débat entre le Conseil européen et le Parlement européen. Ce processus aboutira lors du Conseil européen de juin et le texte sera ratifié par le Parlement européen lors de sa session de juillet, d’après ce que l’on entend dire. Au terme de ce nouveau calcul, la représentation française passera de soixante-quatorze à soixante-dix-neuf sièges.
S’agissant de la composition des listes et de leur présentation, une question nouvelle a été soulevée en 2014 par certains partis politiques organisés à l’échelon européen : la possibilité de désigner un candidat tête de liste à l’échelle européenne. Cela s’est traduit en allemand, par le terme un peu imagé de Spitzenkandidat, c’est-à-dire un candidat choisi par un parti européen pour le présenter à la présidence de la Commission européenne.
On peut débattre de cette volonté, exprimée par les partis européens, de prédéterminer, en quelque sorte, le choix du président de la Commission qui résulte d’une interprétation des traités. Certains collègues souhaitent qu’il soit possible de faire apparaître jusque sur le bulletin de vote ce « candidat tête de liste », mais la commission a préféré écarter cette option. Toutes les organisations politiques qui présenteront des candidats n’ayant pas choisi ce système de chef de file européen, cela risquerait en effet de provoquer un déséquilibre et de susciter une certaine incompréhension chez les électeurs.
En outre, Mme la ministre l’a bien rappelé, la possibilité de constituer des listes transnationales paneuropéennes soumises au suffrage de l’ensemble des presque 400 millions d’électeurs européens est une idée soutenue aujourd’hui par le chef de l’État et le gouvernement français qui n’a pas recueilli de majorité au Parlement européen, pour quelques raisons de principe, mais aussi d’opportunité.
En examinant l’article 7, nous débattrons de l’inscription de cette aspiration dans le texte, mais, le cas échéant, celle-ci relève plutôt d’une résolution que d’une disposition législative.
Le projet de loi modifie de façon importante les règles de financement, mais peu de complications en découlent, et actualise l’expression des candidats aux élections européennes dans l’audiovisuel public, suivant des principes cadrés par le Conseil constitutionnel. Nous allons nous y conformer et nous ajouterons une disposition relative aux élections législatives, afin de respecter l’échéance qui a été fixée par le Conseil constitutionnel.
Avec ce texte, nous ferons ce que nous pourrons pour susciter l’intérêt des citoyens, grâce à un nouveau système, dont le succès dépendra toutefois de la capacité des candidats et des organisations politiques à réussir leur travail d’engagement pour définir les objectifs de l’Union européenne, et que nous préparerons au cours des consultations citoyennes dans les semaines qui viennent.
Dans ce contexte, mes chers collègues, la commission des lois vous propose d’adopter le présent projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à M. Claude Malhuret, pour le groupe Les Indépendants – République et territoires.
M. Claude Malhuret. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, ce texte est l’occasion de nous demander quelle Europe politique nous souhaitons. Depuis sa création, sans interruption, ce que l’on pourrait qualifier aujourd’hui d’objet politique non identifié a posé une question de légitimité aux États et aux peuples.
Je crois profondément que cet enjeu de légitimité est l’une des sources des maux de l’Union européenne et qu’il ne pourra y avoir d’avancées ou de réformes européennes sans que cette question centrale soit tranchée.
Nous avons essayé beaucoup de choses pour que, enfin, le processus de construction européenne devienne légitime aux yeux des citoyens, qui avaient placé leur foi et leurs attentes dans l’État-nation depuis au moins deux siècles.
Beaucoup d’entre nous ont tenté de rendre l’Union européenne plus démocratique, plus transparente, plus efficace. Force est de constater que, si nous n’avons pas totalement échoué, nous n’avons pas réussi non plus. Nos petites touches impressionnistes, nos petits pas – chers à Jean Monnet – visant à rendre l’Union européenne plus légitime n’ont pas été compris des peuples, qui n’y ont souvent vu que barbouillage ou petits arrangements. L’affaire Selmayr, que j’ai dénoncée devant la Haute Assemblée, participe de ce triste paysage que l’Union européenne s’offre parfois à elle-même.
Un symptôme mesurable de ce désenchantement persistant se trouve dans la participation en chute libre aux élections au Parlement européen, cela a été dit. Alors que les pouvoirs de ce dernier n’ont fait que se renforcer au fil des ans, la participation aux élections européennes a reculé de 46,8 % en 1999 à 42 % en 2014. Le Parlement européen est devenu ce qu’Hannah Arendt appelait « un pouvoir sans autorité », c’est-à-dire, en démocratie, un pouvoir privé de légitimité aux yeux des citoyens.
La question que nous nous posons est donc la suivante : la mise en place de circonscriptions régionales en 2003 a-t-elle permis d’enrayer ce phénomène d’éloignement démocratique, a-t-elle permis de rapprocher les citoyens européens de leurs représentants ? Force est de constater que, depuis 2003, trois élections ont passé et que rien n’a changé. Le sentiment de non-représentation persiste chez nos concitoyens.
Or ce panorama démocratique morose n’est pas une fatalité. Après tout, le slogan de la campagne des premières élections au Parlement européen au suffrage universel, en 1979, était déjà : « L’Europe, c’est l’espoir. »
Aujourd’hui, il nous faut retrouver cet espoir, provoquer un véritable choc démocratique pour l’Union européenne, afin de créer ce que Jürgen Habermas appelle un « espace public européen ».
Le texte que nous examinons constitue un pas modeste dans cette voie, mais il contribuera, à mon sens, à rendre le débat européen plus présent et plus visible aux yeux des Français ; il permettra de mettre les grands dossiers de la politique européenne au premier plan des discussions ; il forcera chacune des forces politiques de ce pays à se positionner clairement, ce qui n’est pas encore gagné ; il permettra de donner de la lisibilité à un mode de scrutin assez opaque et méconnu par nos concitoyens ; il permettra, enfin, de porter au Parlement européen des députés plus forts et plus responsables face à leurs homologues européens, qui sont, pour la plupart, déjà élus sur des listes nationales.
Dans le monde actuel, fait de représentations et d’images, nous avons besoin d’une Europe incarnée par des personnalités engagées. Quand Simone Veil, François Mitterrand ou Jacques Chirac, en 1979, Dominique Baudis et Michel Rocard, en 1994, François Hollande, Charles Pasqua et Nicolas Sarkozy, en 1999, conduisent des listes, les citoyens sentent immédiatement que les enjeux sont à la hauteur des forces qui sont jetées dans la bataille. Ils perçoivent alors que la politique nationale et la politique européenne ne sont pas des sphères séparées, comme on veut souvent nous en convaincre, mais constituent les deux faces de la médaille de l’intérêt général.
Tout cela est positif. Nous soutiendrons par conséquent ce texte en l’état, mais cela ne suffira pas à réenchanter le projet européen. Il faut aller plus loin sur le chemin d’une véritable légitimité européenne.
Tout d’abord, il faut trouver les moyens de faire en sorte que la composition de la Commission résulte d’un choix démocratique et non de petits arrangements entre États. Nous ne pouvons remettre en cause l’acquis démocratique d’une Commission responsable devant le peuple européen et devant ses représentants. Les discussions sur les Spitzenkandidaten ou sur les listes transnationales ne sont pas abouties, mais offrent une contribution utile à ce débat. Elles doivent se poursuivre.
La responsabilité est donc un pilier de la légitimité. Un autre est constitué par la transparence, notamment des nominations des commissaires et des hauts fonctionnaires de la Commission européenne, lesquelles doivent être mieux contrôlées. De même, l’opacité des manœuvres entre États ne doit pas être remplacée par des arrangements entre les partis.
Enfin, selon moi, le dernier pilier de la légitimité européenne doit être la proximité. L’éloignement des institutions et des parlementaires européens est une des causes du désenchantement des peuples. Paradoxalement, il me semble que l’ancien système de circonscriptions interrégionales, en raison de sa complexité et de son manque de lisibilité, n’a pas contribué à instaurer cette proximité. Le retour à la circonscription nationale doit aller dans ce sens, avec une représentativité plus forte des candidats et des engagements plus contraignants pour les parlementaires.
La bataille de la légitimité, mes chers collègues, est la mère de toutes les batailles en Europe. Nous ne la gagnerons qu’en faisant preuve de courage politique et en acceptant, une fois pour toutes, qu’une Union européenne plus puissante et plus intégrée offre la promesse d’une France plus forte et plus influente. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires et sur des travées du groupe La République En Marche.)