Sommaire
Présidence de M. Philippe Dallier
Secrétaires :
M. Éric Bocquet, Mme Agnès Canayer.
2. Communication relative à une commission mixte paritaire
3. Mises au point au sujet d’un vote
M. Jean Louis Masson ; M. le président.
5. Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire
6. Contrôles et sanctions en matière de concurrence en Polynésie française. – Adoption en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
Texte élaboré par la commission
Mme Annick Girardin, ministre des outre-mer
Mme Catherine Troendlé, rapporteur de la commission des lois
Adoption du projet de loi dans le texte de la commission.
7. Élection des représentants au Parlement européen. – Discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
Discussion générale :
Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d’État, ministre de l’intérieur
M. Alain Richard, rapporteur de la commission des lois
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
8. Questions d’actualité au Gouvernement
M. Claude Malhuret ; M. Édouard Philippe, Premier ministre ; M. Claude Malhuret.
M. Philippe Mouiller ; Mme Sophie Cluzel, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée des personnes handicapées ; M. Philippe Mouiller.
relations entre l’éducation nationale et les géants du web
Mme Catherine Morin-Desailly ; M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale ; Mme Catherine Morin-Desailly.
M. Bernard Cazeau ; Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes.
M. Franck Menonville ; M. Stéphane Travert, ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
mouvement social dans les universités
Mme Esther Benbassa ; Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation.
situation de l’écrivain et blogueur saoudien raif badawi
Mme Laurence Rossignol ; Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes ; Mme Laurence Rossignol.
neutralité des services de l’éducation nationale
M. François-Noël Buffet ; M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale ; M. François-Noël Buffet.
algues sargasses en guadeloupe
M. Dominique Théophile ; Mme Annick Girardin, ministre des outre-mer.
baisse des dotations communales
Mme Christine Bonfanti-Dossat ; Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d’État, ministre de l’intérieur ; Mme Christine Bonfanti-Dossat.
Mme Marie-Françoise Perol-Dumont ; M. Gérard Collomb, ministre d’État, ministre de l’intérieur.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE Mme Catherine Troendlé
10. Candidature à une mission d’information
11. Élection des représentants au Parlement européen. – Suite de la discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
Discussion générale (suite) :
Clôture de la discussion générale.
Article additionnel avant l’article 1er
Mme Jacqueline Gourault, ministre
Amendement n° 56 rectifié de M. François Bonhomme. – Retrait.
Amendement n° 59 rectifié de Mme Joëlle Garriaud-Maylam
Amendement n° 23 rectifié ter de M. Gérard Poadja
Suspension et reprise de la séance
Amendements identiques nos 11 rectifié ter de M. Max Brisson et 57 rectifié bis de M. François Bonhomme (suite). – Rejet par scrutin public n° 83.
Amendement n° 59 rectifié de Mme Joëlle Garriaud-Maylam (suite). – Retrait.
Amendement n° 23 rectifié ter de M. Gérard Poadja (suite). – Rejet par scrutin public n° 84.
Amendements identiques nos 22 rectifié quater de M. Gérard Poadja, 34 de M. Victorin Lurel et 77 rectifié bis de M. Guillaume Arnell (suite). – Rejet, par scrutin public n° 85, des trois amendements.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Marc Gabouty
M. Michel Magras ; M. le président.
Amendement n° 2 de M. Jean Louis Masson. – Rejet.
Amendement n° 60 rectifié de Mme Joëlle Garriaud-Maylam. – Retrait.
Amendement n° 43 rectifié bis de M. Michel Magras. – Rejet par scrutin public n° 86.
Adoption, par scrutin public n° 87, de l’article.
Articles additionnels après l’article 1er
Amendement n° 35 de M. Jean-Yves Leconte. – Rejet.
Amendement n° 48 de Mme Éliane Assassi. – Rejet.
Amendement n° 3 de M. Jean Louis Masson. – Rejet.
Amendement n° 72 rectifié de Mme Josiane Costes. – Rejet.
Amendement n° 49 de Mme Éliane Assassi. – Rejet.
Amendement n° 4 de M. Jean Louis Masson. – Rejet.
Amendement n° 37 de M. David Assouline. – Rejet.
Amendement n° 30 rectifié ter de M. Max Brisson. – Adoption.
Amendement n° 38 de M. David Assouline. – Devenu sans objet.
Amendement n° 61 de M. Jean Bizet. – Non soutenu.
Amendement n° 5 de M. Jean Louis Masson. – Devenu sans objet.
Amendement n° 67 rectifié de Mme Josiane Costes. – Adoption.
Amendement n° 68 rectifié de Mme Josiane Costes. – Retrait.
Amendement n° 39 de M. David Assouline. – Adoption.
Amendement n° 46 rectifié de M. Jean-Pierre Leleux. – Retrait.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 40 de M. David Assouline. – Rejet.
Amendement n° 51 de Mme Éliane Assassi. – Rejet.
Amendement n° 41 de M. David Assouline. – Adoption.
Amendement n° 76 de M. Jean-Pierre Leleux. – Retrait.
Adoption de l’article modifié.
Renvoi de la suite de la discussion.
12. Ordre du jour
Nomination d’un membre d’une mission d’information
compte rendu intégral
Présidence de M. Philippe Dallier
vice-président
Secrétaires :
M. Éric Bocquet,
Mme Agnès Canayer.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du jeudi 5 avril a été publié sur le site internet du Sénat.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté.
2
Communication relative à une commission mixte paritaire
M. le président. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur le projet de loi relatif à la protection des données personnelles n’est pas parvenue à l’adoption d’un texte commun.
3
Mises au point au sujet d’un vote
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Todeschini.
M. Jean-Marc Todeschini. J’indique que, lors du scrutin public n° 82 du 5 avril 2018 portant sur l’ensemble de la proposition de loi relative à l’élection des conseillers métropolitains, je souhaitais voter pour.
M. le président. La parole est à Mme Brigitte Micouleau.
Mme Brigitte Micouleau. Lors du même scrutin, j’indique que je souhaitais m’abstenir.
M. le président. La parole est à M. Michel Amiel.
M. Michel Amiel. Quant à moi, toujours lors de ce même scrutin public n° 82, je souhaitais voter pour.
M. le président. Acte est donné de ces trois mises au point, mes chers collègues. Elles seront publiées au Journal officiel et figureront dans l’analyse politique du scrutin.
4
Rappel au règlement
M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour un rappel au règlement.
M. Jean Louis Masson. Le Président de la République et son entourage ont laissé entendre que la France serait susceptible de s’associer aux États-Unis pour engager une agression armée contre le gouvernement de la Syrie.
Si cette agression se fait dans le cadre, légal du point de vue du droit international, de l’ONU, c’est quelque chose qui est tout à fait conforme, dirons-nous, à ce qui se passe actuellement puisque l’engagement militaire de la France a été acté.
En revanche, on a l’impression que M. Macron est prêt à bafouer le droit international et à passer outre aux décisions de l’ONU.
Si tel était le cas, j’estime que la moindre des choses serait que le Parlement soit consulté pour que nous nous prononcions par un vote sur l’opportunité éventuelle de cette affaire.
Pour ma part, je trouve que ce serait scandaleux. Au moment où nous recevons les pires des dictateurs, ceux d’Arabie Saoudite, l’un des pays arabes les plus arriérés, le seul pays arabe où on lapide les gens pour les exécuter, eh bien la France n’a pas de leçons à donner en la matière, d’autant que nous armons l’Arabie Saoudite en lui vendant des armes, qu’elle utilise ensuite contre les Houthis au Yémen, dans des conditions dix fois pires que ce qui se passe actuellement en Syrie.
M. le président. Bien que je n’aie pas bien saisi le rapport de vos propos avec un rappel au règlement (M. Jean Louis Masson s’exclame.), acte vous en est donné.
5
Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire
M. le président. Mes chers collègues, j’ai le très grand plaisir de saluer, au nom du Sénat, la présence dans notre tribune officielle d’une délégation de Lituanie, conduite par M. Arūnas Gelūnas, président du groupe d’amitié Lituanie-France du Parlement lituanien. (Mmes et MM. les sénateurs se lèvent, ainsi que Mme la ministre des outre-mer.)
Elle est accompagnée par nos collègues M. Olivier Henno, président du groupe d’amitié France-Pays baltes, et M. André Reichardt, président délégué pour la Lituanie, ainsi que par M. Giedrius Mickūnas, ministre-conseiller de l’ambassade de Lituanie.
La délégation vient d’être reçue par le groupe d’amitié France-Pays baltes et s’entretiendra cet après-midi avec notre collègue M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes, et nos collègues membres du Bureau de la commission.
L’année 2018 marque le centenaire du rétablissement de l’État lituanien, qui a été célébré au Sénat le 19 mars dernier, dans le cadre d’un colloque placé sous le haut patronage du Président du Sénat.
Au nom du Sénat de la République française, je souhaite à nos collègues de Lituanie la plus cordiale bienvenue et forme le vœu que leur séjour en France contribue à renforcer encore davantage les liens qui unissent nos deux pays. (Mmes et MM. les sénateurs applaudissent, ainsi que Mme la ministre des outre-mer.)
6
Contrôles et sanctions en matière de concurrence en Polynésie française
Adoption en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle les explications de vote et le vote sur le projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2017-157 du 9 février 2017 étendant et adaptant à la Polynésie française certaines dispositions du livre IV du code de commerce relatives aux contrôles et aux sanctions en matière de concurrence. La procédure accélérée a été engagée sur ce texte. ( projet n° 334, texte de la commission n° 395, rapport n° 394).
La conférence des présidents a décidé que ce texte serait discuté selon la procédure de législation en commission prévue au chapitre VII bis du règlement du Sénat.
Au cours de cette procédure, le droit d’amendement des sénateurs et du Gouvernement s’exerce en commission, la séance plénière étant réservée aux explications de vote et au vote sur l’ensemble du texte adopté par la commission.
La commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale, saisie au fond, s’est réunie le 4 avril 2018 pour l’examen des articles et l’établissement du texte. Le rapport a été publié le même jour.
projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2017-157 du 9 février 2017 étendant et adaptant à la polynésie française certaines dispositions du livre iv du code de commerce relatives aux contrôles et aux sanctions en matière de concurrence
Article 1er
L’ordonnance n° 2017-157 du 9 février 2017 étendant et adaptant à la Polynésie française certaines dispositions du livre IV du code de commerce relatives aux contrôles et aux sanctions en matière de concurrence est ratifiée.
Article 2 (nouveau)
L’ordonnance n° 2017-157 du 9 février 2017 étendant et adaptant à la Polynésie française certaines dispositions du livre IV du code de commerce relatives aux contrôles et aux sanctions en matière de concurrence est ainsi modifiée :
1° Le chapitre Ier du titre II est complété par un article 9 bis ainsi rédigé :
« Art. 9 bis. – I. – L’Autorité de la concurrence mentionnée à l’article L. 461-1 du code de commerce et l’autorité polynésienne de la concurrence peuvent, pour ce qui relève de leurs compétences respectives, se communiquer mutuellement les informations ou les documents qu’elles détiennent ou qu’elles recueillent.
« II. – L’Autorité de la concurrence peut, dans les mêmes conditions, selon les mêmes procédures et sous les mêmes sanctions que celles prévues pour l’exécution de sa mission, conduire des enquêtes ou procéder à des actes d’enquête à la demande de l’autorité polynésienne de la concurrence. Le ministre chargé de l’économie peut également conduire des enquêtes ou procéder à des actes d’enquête à la demande de l’autorité polynésienne de la concurrence. Les informations et documents ainsi recueillis sont communiqués à l’autorité polynésienne de la concurrence.
« L’Autorité de la concurrence et le ministre chargé de l’économie peuvent demander à l’autorité polynésienne de la concurrence de conduire des enquêtes ou de procéder à des actes d’enquête. Les informations et documents ainsi recueillis sont communiqués à l’autorité à l’origine de la demande.
« III. – L’Autorité de la concurrence, l’autorité polynésienne de la concurrence et le ministre chargé de l’économie peuvent utiliser les informations et documents communiqués pour ce qui relève de leurs compétences respectives. » ;
2° L’article 10 est ainsi modifié :
a) Le I est ainsi modifié :
– au premier alinéa, après le mot : « objet », sont insérés les mots : « , dans le délai d’un mois suivant leur notification, » ;
– après les mots : « cour d’appel », la fin du même premier alinéa est ainsi rédigée : « de Paris. » ;
– sont ajoutés trois alinéas ainsi rédigés :
« Le pourvoi en cassation formé, le cas échéant, contre l’arrêt de la cour est exercé dans un délai d’un mois suivant sa notification.
« Le président de l’autorité polynésienne de la concurrence peut former un pourvoi en cassation contre l’arrêt de la cour d’appel ayant annulé ou réformé une décision de l’autorité.
« Le président de la Polynésie française peut, dans tous les cas, former un pourvoi en cassation contre l’arrêt de la cour d’appel. » ;
b) Le premier alinéa du II est ainsi modifié :
– après le mot : « objet », sont insérés les mots : « , dans le délai de dix jours suivant sa notification, » ;
– est ajoutée une phrase ainsi rédigée : « La cour statue dans le mois du recours. » ;
3° L’article 11 est ainsi modifié :
a) Au premier alinéa, après le mot : « objet », sont insérés les mots : « , dans le délai de dix jours suivant leur notification, » ;
b) Au deuxième alinéa, après le mot : « objet », sont insérés les mots : « , dans le délai de dix jours suivant sa notification, ».
Article 3 (nouveau)
I. – Après le 6° du I de l’article 11 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, il est inséré un 6° bis A ainsi rédigé :
« 6° bis A Les membres des collèges et, le cas échéant, les membres des commissions investies de pouvoirs de sanction, ainsi que les directeurs généraux et secrétaires généraux et leurs adjoints des autorités administratives indépendantes créées en application de l’article 27-1 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie et de l’article 30-1 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d’autonomie de la Polynésie française ; ».
II. – Les personnes qui, à la date de publication de la présente loi, occupent l’une des fonctions mentionnées au 6° bis A du I de l’article 11 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, dans sa rédaction résultant du I du présent article, établissent une déclaration de situation patrimoniale et une déclaration d’intérêts, suivant les modalités prévues au même article 11, dans les six mois suivant la date de publication de la présente loi.
Vote sur l’ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble du texte adopté par la commission, je vais donner la parole, conformément à l’article 47 quinquies de notre règlement, au Gouvernement, puis au rapporteur de la commission, pour sept minutes, enfin, à un représentant par groupe pour cinq minutes, ainsi qu’à un sénateur ne figurant sur la liste d’aucun groupe, pour trois minutes.
La parole est à Mme la ministre.
Mme Annick Girardin, ministre des outre-mer. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la Polynésie française dispose de compétences étendues au titre de l’article 74 de la Constitution. Elle est dotée de l’autonomie. Dans un grand nombre de matières, c’est donc le Pays qui est chef de file. Il lui appartient de fixer des orientations et de définir les grands axes des politiques publiques.
C’est à ce titre que la Polynésie française s’est dotée, par les lois du pays du 24 juin et du 23 février 2015, d’une réglementation des pratiques commerciales et d’un code de la concurrence.
Cette initiative louable répond à des enjeux communs à tous les territoires d’outre-mer : faire vivre la concurrence est un défi dans des territoires insulaires – à l’exception de la Guyane, bien sûr –, souvent relativement coupés de leur environnement économique régional.
Cette coupure peut être historique ; elle peut être aussi liée à la distance ; elle peut enfin résulter d’un niveau de développement sans commune mesure avec les territoires des environs.
La Polynésie française a donc décidé de développer sa réglementation et des outils adaptés pour faire vivre cette concurrence indispensable à la lutte contre la vie chère. Car finalement, c’est bien le consommateur qu’il s’agit de protéger.
À cette fin, la Polynésie a notamment institué une autorité polynésienne de la concurrence, l’APC, dotée d’un statut d’autorité administrative indépendante.
Afin que cette autorité de la concurrence puisse exercer son activité, des dispositions complémentaires relevant de la compétence de l’État étaient nécessaires pour assurer l’effectivité des procédures de contrôle menées par elle.
C’est l’objet de l’ordonnance du 9 février 2017, prise sur le fondement de l’article 74-1 de la Constitution, et entrée en vigueur le 30 juin 2017.
Vous le savez, la Constitution prévoit une ratification expresse dans les dix-huit mois suivant la publication du texte, en l’occurrence avant le 10 août 2018. À défaut, l’ordonnance deviendra caduque.
C’est l’enjeu du projet de loi soumis à votre examen.
Sans revenir sur chacun des points de l’ordonnance en question, je crois utile de rappeler qu’elle permet notamment aux agents intervenant pour l’Autorité de procéder à des visites en tous lieux ou à la saisie de documents sur autorisation du juge des libertés et la détention du tribunal de première instance de Papeete.
Elle permet aussi à ces agents d’accéder à tout document ou élément d’information détenu par les services et établissements de l’État et par les services et établissements des collectivités publiques de la Polynésie française, sans se voir opposer le secret professionnel.
Elle prévoit également les modalités de collaboration entre cette autorité locale et l’autorité nationale de la concurrence ou les services du ministère de l’économie : communication mutuelle des informations ou documents nécessaires, délégation de certaines enquêtes.
L’APC disposera donc d’une panoplie d’outils de vérification et de contrôle identique à celle de l’autorité nationale de la concurrence. Les garanties en termes de voies de recours juridictionnel contre ses décisions seront également d’un niveau comparable.
La commission des lois du Sénat a enrichi le texte par l’adoption de deux amendements.
Le premier a étendu l’obligation de dépôt d’une déclaration de situation patrimoniale et d’une déclaration d’intérêts auprès de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique aux membres des collèges et aux cadres dirigeants des autorités administratives indépendantes calédoniennes et polynésiennes. Cette mesure de mise en cohérence est la bienvenue.
La commission des lois a également tenu à introduire dans le texte la détermination des délais de procédure et la fixation de la juridiction compétente pour connaître des recours contre les décisions de l’autorité de la concurrence. Ces éléments de nature réglementaire faisaient partie du projet de décret en Conseil d’État qui viendra compléter l’ordonnance, et dont la publication est prévue pour la fin du mois de mai. Je comprends toutefois que vous ayez voulu sécuriser le bon fonctionnement du dispositif institué.
Mesdames, messieurs les sénateurs, avec ce projet de loi, l’État tente d’accompagner au mieux la Polynésie française dans l’exercice de ses compétences. Je vous remercie de l’attention que vous voulez bien lui accorder. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – Mme Nassimah Dindar et MM. Yves Détraigne et Yves Bouloux applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteur.
Mme Catherine Troendlé, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’ordonnance du 9 février 2017 concernant le droit de la concurrence en Polynésie française a été prise sur le fondement de l’article 74-1 de la Constitution. En conséquence, sous peine de caducité, elle doit être ratifiée dans les dix-huit mois suivant sa publication, c’est-à-dire d’ici le mois d’août.
Je veux d’abord rappeler le contexte de l’élaboration de cette ordonnance.
En 2014, la Polynésie française a voulu se doter d’un droit de la concurrence moderne et cohérent, dans le cadre d’une économie insulaire de petite taille, dépendant d’un nombre limité d’acteurs économiques.
Le marché polynésien ne représente en effet que 280 000 habitants, ce qui est propice aux monopoles ou, en tout cas, à une faible concurrence, au détriment des consommateurs.
À cette fin, les autorités polynésiennes ont élaboré un code de la concurrence, directement inspiré du livre IV du code de commerce national, prévoyant notamment la création d’une autorité polynésienne de la concurrence, sur le modèle de l’autorité de la concurrence métropolitaine. La Nouvelle-Calédonie avait déjà réalisé la même démarche peu de temps auparavant.
D’une part, une loi du pays relative à la concurrence, votée en juin 2014 et promulguée en février 2015, a édicté les dispositions relevant de la compétence de la Polynésie. Ce texte a été entièrement validé par le Conseil d’État, qui en avait été saisi par une organisation professionnelle locale.
D’autre part, une résolution de l’assemblée de la Polynésie française, adoptée en novembre 2014, a demandé à l’État de prendre les dispositions complémentaires relevant de sa compétence, en matière d’organisation judiciaire, de droit pénal, de procédure pénale et de procédure administrative contentieuse. L’ordonnance que je vous invite aujourd’hui à ratifier est le résultat de cette démarche.
Avant d’évoquer le contenu de l’ordonnance, je veux rapidement présenter l’autorité polynésienne de la concurrence, l’APC.
Les trois grandes missions de l’APC reprennent celles de l’autorité de la concurrence nationale : une fonction consultative, pour formuler des avis, soit d’initiative, soit à la demande des autorités locales ; une fonction de nature administrative d’autorisation des opérations de concentration économique, mais également – spécificité locale – des créations et extensions de surfaces commerciales ; une fonction de nature contentieuse de sanction des pratiques anticoncurrentielles, en particulier des cartels et ententes, mais également – autre spécificité locale – de certaines pratiques plus spécifiques à l’outre-mer, soit d’office sur proposition du rapporteur général de l’autorité, soit sur signalement d’une entreprise ou des autorités locales.
Le président de l’autorité a été nommé en juillet 2015, les quatre autres membres du collège en septembre et le rapporteur général en décembre. Le 1er février 2016, le code de la concurrence de Polynésie est officiellement entré en vigueur et l’APC a rendu sa première décision en juillet 2016, sur un dossier de concentration dans le secteur hôtelier.
L’autorité de la concurrence nationale a apporté un soutien particulier à la mise en place de l’autorité polynésienne.
Le projet d’ordonnance n’a été transmis à l’assemblée de la Polynésie française qu’à la fin de l’année 2016 : il a fallu deux ans pour répondre à la demande des autorités locales, pour rédiger une ordonnance de quatorze articles recopiant certains articles du code de commerce… Même s’il n’a pas été rendu en temps utile, l’avis de l’assemblée était en tout cas favorable au projet.
Publiée en février 2017, cette ordonnance appelait un décret d’application, qui devait être pris en principe avant le 30 juin 2017, madame la ministre, date butoir pour l’entrée en vigueur de l’ordonnance. À ce jour, plus d’un an après la publication de l’ordonnance, ce décret n’a toujours pas été publié…
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Oh là là !
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. Une telle carence est anormale, elle n’est pas respectueuse de nos compatriotes polynésiens.
Que contient l’ordonnance ?
Elle détermine les tribunaux compétents en Polynésie pour connaître des litiges en matière de pratiques anticoncurrentielles ; elle fixe les règles de prescription de l’action publique en la même matière ; elle précise les pouvoirs d’enquête des agents de l’APC, en particulier un pouvoir de visite et de saisie, sur autorisation du juge des libertés et de la détention, et la possibilité de demander communication de tous les documents en possession d’une administration ou d’une juridiction ; elle fixe les voies de recours pour les décisions de l’APC en matière de pratiques anticoncurrentielles, devant le juge judiciaire, par dérogation aux règles de répartition des compétences entre les deux ordres de juridiction.
Que ne contient pas l’ordonnance ? Les pouvoirs d’enquête ordinaires des agents de l’APC, ceux qui ne posent pas de problème de libertés publiques, car le Conseil d’État a considéré, lorsqu’il a examiné le projet d’ordonnance, que de telles dispositions relevaient de la compétence de la Polynésie.
Or il y a moins d’un mois, le 14 mars 2018, l’assemblée de la Polynésie a adopté une nouvelle loi du pays pour modifier certains aspects du code de la concurrence, en particulier pour supprimer certaines prérogatives de l’APC en matière de contrôle des pratiques anticoncurrentielles et pour permettre au Président de la Polynésie d’évoquer les opérations de concentration afin de statuer lui-même si la décision de l’APC ne lui paraît pas satisfaisante. En revanche, curieusement, rien n’est prévu pour définir les pouvoirs d’enquête ordinaires des agents de l’APC…
Ce texte n’a pas encore été promulgué, compte tenu des délais de recours encore ouverts devant le Conseil d’État.
Le vote de ce texte rend compte d’une certaine déception à l’égard de l’APC, voire d’une certaine contestation de décisions rendues en matière d’opérations de concentration sur un marché, encore une fois, très étroit, avec un nombre limité d’acteurs économiques. En tout cas, l’action de l’APC n’a pas conduit à ce jour à une baisse des prix, alors que c’était le premier objectif recherché.
Néanmoins, du fait de la publication tardive de l’ordonnance, l’APC n’a pas encore pu rendre, à ce jour, de décisions sur des pratiques anticoncurrentielles.
En tout état de cause, tout cela relève de la seule compétence des autorités polynésiennes.
Pour ce qui nous concerne, en tant que législateur national, il nous appartient simplement de ratifier l’ordonnance pour éviter sa caducité.
La commission des lois y a apporté trois précisions : par analogie avec les règles déjà prévues par la loi pour l’autorité de la concurrence nationale, la commission a fixé les délais de recours contre les décisions de l’APC en matière de pratiques anticoncurrentielles et a retenu la compétence de la cour d’appel de Paris pour connaître de ces décisions ; elle a donné une base légale à une coopération entre l’APC, l’Autorité de la concurrence et la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, la DGCCRF, en matière d’enquêtes de concurrence ; enfin, elle a rétabli l’obligation pour les membres des autorités administratives indépendantes créées par la Polynésie française et la Nouvelle-Calédonie d’adresser une déclaration de patrimoine et une déclaration d’intérêts à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, car cette obligation avait disparu en 2016, pour une simple raison rédactionnelle.
Je vous propose donc, au nom de la commission des lois, d’adopter ce projet de loi de ratification ainsi modifié. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste et sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – M. le président de la commission des lois et M. Jean-Pierre Sueur applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote. (Mme Victoire Jasmin applaudit.)
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteur, mes chers collègues, la Polynésie française fait souvent penser à de magnifiques paysages de carte postale…
M. Jean-Claude Requier. Eh oui !
M. Jean-Pierre Sueur. … qui nous ravissent tous. Cependant, la réalité, mes chers collègues, lorsque l’on visite ce territoire et qu’on rencontre ses élus ou ses acteurs économiques, apparaît quelque peu différente. Je me souviens d’avoir rencontré des maires qui m’expliquaient que, le territoire de leur commune se répartissant sur de nombreuses îles, il leur fallait faire des centaines de kilomètres pour en visiter les différentes parties. Voilà la réalité !
Ce qui est important pour la Polynésie française, ce territoire auquel nous sommes tous attachés, je crois, comme l’ensemble des Français et des Françaises y sont attachés, c’est son développement économique, qui passe par le tourisme, mais aussi par bien d’autres composantes. Il faut donc aider celle-ci dans cet objectif.
Madame la ministre, madame la rapporteur, ce projet de loi y contribue assurément. Pourquoi ? Parce qu’il est nécessaire – et c’était l’objet de l’ordonnance – de donner à ce territoire des instruments économiques et – à travers le code de commerce – les instruments indispensables à la mise en œuvre de la concurrence, à son contrôle et au bon exercice de celle-ci.
Madame la ministre, madame la rapporteur, vous avez exposé les dispositions contenues dans cette loi. Certes, des lois de pays – celle du 25 juin 2014 et celle du 27 novembre 2014 – portant sur la concurrence ont été adoptées, mais leur objet était forcément limité puisque, comme vous l’avez dit, tout ce qui relève du code pénal ou du code de procédure pénale est encore aujourd’hui de la responsabilité de l’État. Il était donc très souhaitable que le droit de la concurrence puisse s’appliquer plus facilement, à travers des institutions adaptées. C’est l’objet de l’ordonnance qu’il nous est proposé de ratifier.
Il s’agit de dire la compétence du tribunal de première instance de Papeete pour les litiges relevant des pratiques anticoncurrentielles ne concernant ni un commerçant ni un artisan ; de dire la compétence du tribunal mixte de commerce de Papeete pour les litiges concernant un commerçant ou un artisan ; de préciser les choses en matière de prescription et notamment de suspension de la prescription de l’action publique lorsque l’autorité polynésienne de la concurrence est consultée par les juridictions compétentes ; il s’agit de préciser le pouvoir des agents de l’autorité polynésienne de la concurrence en matière de contrôle, notamment leur pouvoir d’enquête ; il s’agit de mettre au clair des dispositions spécifiques en matière de recherche d’identité, de telle manière que, lorsque les agents de l’autorité polynésienne de la concurrence ne pourront obtenir l’identité de la personne contrôlée, ils pourront en rendre compte à un officier de police judiciaire, qui pourra alors procéder à une vérification d’identité ; il s’agit de préciser les modalités et les garanties en matière de contrôles et de saisies par les agents de l’autorité polynésienne de la concurrence ; il s’agit, en outre, de préciser les modalités de recours devant la cour d’appel de Papeete, de préciser que le secret professionnel n’est pas opposable aux agents habilités de l’autorité polynésienne de la concurrence – bien entendu dans le cadre strict de leurs pouvoirs de contrôle –, de dire qu’il est nécessaire qu’un droit de communication des pièces du dossier d’instruction leur soit accordé ; enfin, des dispositions concernant le secret des affaires et la mise en œuvre de la composition pénale viennent compléter ce dispositif.
Mes chers collègues, je crois que nous nous retrouverons facilement autour de ces dispositions très techniques. Nous ne devons jamais oublier que nous les votons parce qu’elles sont nécessaires pour établir un cadre parfaitement adapté pour le développement économique de la Polynésie française, auquel nous sommes tous attachés. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – MM. Arnaud de Belenet, Thani Mohamed Soilihi et Jean-Claude Requier, ainsi que Mme Nassimah Dindar applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Lagourgue, pour explication de vote.
M. Jean-Louis Lagourgue. Monsieur le président, madame la ministre, madame la rapporteur, mes chers collègues, en 2014, la Polynésie française a voulu se doter d’un droit de la concurrence moderne et cohérent, dans le cadre d’une économie insulaire dépendant d’un nombre limité d’acteurs économiques. Le marché y est en effet très étroit et peu attractif, le territoire ne comptant que 280 000 habitants.
C’est pourquoi la Polynésie française a élaboré un code de la concurrence, directement inspiré du livre IV du code de commerce national, lequel prévoit notamment la création d’une autorité polynésienne de la concurrence sur le modèle de l’autorité de la concurrence nationale.
Une résolution de l’assemblée de la Polynésie française a demandé à l’État de prendre les dispositions complémentaires relevant de sa compétence en matière d’organisation judiciaire, de droit pénal, de procédure pénale et de procédure administrative contentieuse.
Une loi du pays du 23 février 2015 a créé l’APC et édicté les dispositions de droit de la concurrence qui relèvent de la compétence de la Polynésie.
Afin que cette autorité de la concurrence puisse exercer son activité, des dispositions complémentaires en matière d’organisation judiciaire et de procédure pénale sont indispensables. Ces mesures relèvent de la compétence de l’État et elles sont nécessaires pour assurer l’effectivité des procédures de contrôle.
Tel est l’objet de l’ordonnance du 9 février 2017, entrée en vigueur le 30 juin 2017, qu’il nous est aujourd’hui proposé de ratifier.
Les agents intervenant pour l’autorité pourront procéder à des visites en tous lieux et saisir tous documents sur autorisation du juge des libertés et de la détention du tribunal de première instance de Papeete.
Ces agents pourront accéder à tout document ou élément d’information détenu par les services et établissements de l’État et les services et établissements des collectivités publiques de la Polynésie française, sans se voir opposer le secret professionnel.
Cette ordonnance exige un décret d’application, dont la rédaction a été finalisée et dont le Conseil d’État sera très prochainement saisi, pour une publication au début du mois de mai 2018. L’APC disposera alors d’une panoplie d’outils de vérification et de contrôle analogue à celle de l’Autorité de la concurrence au niveau national. Les garanties en termes de voie de recours juridictionnel contre ses décisions seront également d’un niveau identique à celui qui prévaut sur le plan national.
La ratification de cette ordonnance est obligatoire dans un délai de dix-huit mois suivant sa publication, sous peine de caducité, en application de l’article 74-1 de la Constitution. Le délai expire en août 2018.
Sur l’initiative de son rapporteur, notre collègue Catherine Troendlé, la commission a adopté deux amendements.
Le premier amendement tend à préciser le régime des voies de recours contre les décisions de l’APC en matière de pratiques anticoncurrentielles, par analogie avec les règles relatives à l’Autorité de la concurrence nationale, pour ce qui concerne la fixation des délais de recours et la compétence de la cour d’appel de Paris. Cet amendement vise également à permettre la coopération entre l’APC, l’Autorité de la concurrence et la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes – DGCCRF –, en matière d’enquêtes de concurrence sur leurs territoires respectifs.
Le second amendement a pour objet de rétablir l’obligation, pour les membres des autorités administratives indépendantes créées par la Polynésie française et par la Nouvelle-Calédonie, d’adresser une déclaration de patrimoine et une déclaration d’intérêts à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.
Madame la ministre, mes chers collègues, les membres du groupe Les Indépendants voteront en faveur du projet de loi ainsi modifié par la commission des lois. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – M. Thani Mohamed Soilihi applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour explication de vote. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteur, mes chers collègues, je ne serai pas long pour cette explication de vote, qui porte sur un sujet très spécifique, mais non moins important pour la Polynésie française.
Lorsque l’on pense à la Polynésie, viennent d’abord à l’esprit des images de carte postale, la faune et la flore, la vanille, la perle de Tahiti, les écrits de Pierre Loti et les tableaux de Paul Gauguin. Voilà, en résumé, le mythe polynésien.
Pourtant la Polynésie française se trouve dans une situation économique difficile. Avec la crise du secteur touristique, qui sévit depuis quelques années, les difficultés du secteur agricole, ou encore le faible développement de l’industrie, du fait de son isolement géographique, la Polynésie connaît un niveau de vie plus faible que la métropole. Le chômage, en particulier chez les jeunes, s’y est fortement accru au cours des dernières années.
À ces problèmes s’ajoutent des caractéristiques plus structurelles, comme la part importante du secteur non marchand, une économie encore fortement administrée, avec le contrôle des prix, l’importation de la plupart des biens de consommation et un manque de concurrence entre les acteurs économiques.
Nonobstant ces graves difficultés, le niveau de vie reste plus élevé en Polynésie que dans les archipels environnants. En outre, l’économie polynésienne est traditionnellement exportatrice de denrées comme la vanille, l’huile de coco, ou coprah, et, surtout, les perles, qui trouvent leurs principaux débouchés en Asie, en premier lieu à Hong Kong, au Japon et à Singapour.
Par ailleurs, la défiscalisation des investissements immobiliers est, comme dans les autres outre-mer, de nature à encourager l’investissement en provenance de la métropole.
Vis-à-vis de la France métropolitaine, la Polynésie bénéficie d’une large autonomie, en tant que collectivité d’outre-mer relevant de l’article 74 de la Constitution : son statut est spécialement régi par une loi organique datant de 2004, à l’instar du statut de la Nouvelle-Calédonie voisine – du moins vu d’ici !
L’assemblée de Polynésie peut ainsi voter des lois du pays, et l’archipel ne fait pas partie intégrante de l’Union européenne, à la différence des départements et régions d’outre-mer.
Toutefois, les dispositions prises à l’échelle nationale et concernant la Polynésie française passent par voie d’ordonnance. En la matière, notre rôle, en tant que parlementaires, se limite donc à donner des habilitations et, comme aujourd’hui, à ratifier des ordonnances.
J’ajoute quelques mots à propos du contexte politique local. Alors que nous discutons de ce projet de loi de ratification, les Polynésiens se préparent à élire, les 22 avril et 6 mai prochains, leurs cinquante-sept représentants à l’assemblée de la Polynésie française pour les cinq prochaines années.
L’examen de ce projet de loi de ratification de l’ordonnance du 9 février 2017 tendant à renforcer les pouvoirs de sanction en matière de concurrence survient donc en pleine campagne électorale. Sans doute cette dernière concentre-t-elle davantage l’attention des Polynésiens.
Mes chers collègues, ma conclusion sera très rapide. Si la lutte contre la vie chère est un problème commun à tous les territoires ultramarins, espérons que ces mesures bénéficieront, en l’occurrence, à l’économie polynésienne. C’est la raison pour laquelle les membres du groupe du RDSE sont favorables à l’adoption de ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. Très bien !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi, pour explication de vote.
M. Thani Mohamed Soilihi. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteur, mes chers collègues, avant d’exprimer, sur ce texte, la position du groupe auquel j’appartiens, je tiens à saisir le temps qui m’est imparti pour m’arrêter, un très court instant, sur la diversité et l’originalité des statuts des collectivités ultramarines. Ces dernières sont très souvent des modèles uniques en leur genre. À ce titre, l’outre-mer constitue un laboratoire juridique et institutionnel assez fascinant.
L’organisation institutionnelle originale de cette collectivité d’outre-mer que constitue la Polynésie française en est l’un des exemples probants. En effet, depuis le renforcement, en 2004, du statut d’autonomie dont dispose ce territoire, l’assemblée de la Polynésie française a la possibilité de voter des lois du pays dans le cadre de l’exercice de ses compétences. Ces actes, qui relèvent du domaine de la loi, sont soumis à un contrôle spécifique du Conseil d’État.
C’est dans ce cadre que la Polynésie française s’est récemment munie d’une réglementation des pratiques commerciales et d’un code de la concurrence qui lui est propre, par des lois du pays du 25 juin 2014 et du 27 novembre 2014.
Le caractère multi-insulaire de ce territoire, aussi vaste que l’Europe – faut-il le rappeler ? –, son éloignement des centres de production et la taille limitée de son marché favorisent de fait les oligopoles et les monopoles. Dès lors, les consommateurs se trouvent durement pénalisés.
Comme son statut l’y autorise, la Polynésie française a également décidé de se doter d’une autorité administrative indépendante, l’autorité polynésienne de la concurrence, par une loi du pays du 23 février 2015, entrée en vigueur le 1er février 2016.
Toutefois, pour que cette autorité soit en mesure d’assurer pleinement sa mission et dispose notamment de moyens de contrôle coercitifs, il était nécessaire de compléter le dispositif par des prérogatives relevant de la compétence de l’État, particulièrement en matière de droit pénal, de procédure pénale ou de voies de recours.
L’ordonnance du 9 février 2017 étendant et adaptant à la Polynésie française des dispositions du code de commerce relatives aux contrôles et aux sanctions en matière de concurrence, qu’il nous revient aujourd’hui de ratifier, s’y emploie.
Les ajouts auxquels la commission des lois a procédé sur votre proposition, madame la rapporteur, chère Catherine Troendlé, vont dans le bon sens.
Je pense notamment à l’obligation pour les membres des autorités administratives indépendantes de transmettre des déclarations de situation patrimoniale et des déclarations d’intérêts à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, la HATVP.
Prise sur le fondement de l’habilitation prévue à l’article 74–1 de la Constitution, cette ordonnance doit être ratifiée de façon expresse dans un délai de dix-huit mois, autrement dit avant le 10 août prochain, sous peine de caducité. La procédure accélérée, engagée par le Gouvernement, ainsi que la procédure de législation en commission, qui réserve, d’une part, l’exercice du droit d’amendement des sénateurs et du Gouvernement en commission et, d’autre part, les explications de vote et le vote du texte en séance plénière, devraient nous permettre d’y parvenir dans les temps impartis.
Le but de ce projet de loi fait l’unanimité : permettre à l’autorité polynésienne de la concurrence, créée il y a tout juste deux ans, d’assurer pleinement sa mission, en complétant le droit local de la concurrence par des dispositions qui relèvent de la compétence de l’État.
Accompagnés du décret d’application de l’ordonnance, qui devrait être publié au début du mois de mai prochain, ces textes permettront de parachever et de rendre plus efficace le dispositif de contrôle en matière de droit concurrentiel sur le territoire de la Polynésie française. Plus généralement, ils permettront d’améliorer la lutte contre la vie chère, qui touche sévèrement nos compatriotes du Pacifique, tout comme ceux qui vivent dans les autres territoires ultramarins.
C’est la raison pour laquelle les membres du groupe La République En Marche voteront en faveur de ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – MM. Dominique Théophile et Jean-Pierre Sueur, ainsi que Mmes Marie-Thérèse Bruguière et Frédérique Puissat applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Fabien Gay, pour explication de vote.
M. Fabien Gay. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission, madame la rapporteur, mes chers collègues, j’irai droit au but puisque, pour nous exprimer, nous ne disposons que de quelques minutes…
Le texte de cette ordonnance entend adapter à la Polynésie française les dispositions du code de commerce relatives aux contrôles et aux sanctions en matière de concurrence.
Si la loi polynésienne du 23 février 2015, entrée en vigueur le 1er février 2016, édictait un code de la concurrence et instituait une autorité polynésienne de la concurrence calquée sur l’Autorité de la concurrence, il était nécessaire de la compléter pour les matières relevant de la compétence de l’État français. C’est l’objet de cette ordonnance, qui a été examinée selon la procédure de législation en commission.
Je ne reviendrai pas en détail sur la position de mon groupe quant aux autorités administratives indépendantes, les AAI. Mais j’en dirai tout de même un mot.
Rappelons que les autorités administratives indépendantes participent d’une forme de désengagement de l’État quant à la régulation des secteurs économiques les plus importants du pays : l’énergie revient à la Commission de régulation de l’énergie, la CRE ; les télécoms sont confiés à l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, l’ARCEP ; et le rail, lui, dépend de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières, l’ARAFER.
Madame la ministre, un rapport rédigé par un sénateur que vous connaissez bien, Jacques Mézard, pointait d’ailleurs la multiplication des autorités administratives indépendantes.
M. Jean-Claude Requier. Tout à fait !
M. Éric Bocquet. Absolument !
M. Fabien Gay. M. Mézard relevait que ces instances constituaient un État dans l’État et qu’elles ne devaient pas proliférer.
Notons tout de même que leur rôle a été de faire place à la concurrence et, ainsi, de contribuer à l’abaissement du service public.
Puisque je dispose encore de quelques minutes de temps de parole, j’apporte cette précision : à mes yeux, il serait bon que nous débattions, à un moment ou un autre, des libéralisations et des privatisations qui ont été menées en France.
Il y a quinze jours, au sein de la commission des affaires économiques, nous avons eu la chance d’auditionner la présidente de l’Autorité de la concurrence. Je lui ai dit : « Votre mission principale, c’est d’être au service des consommatrices et des consommateurs de ce pays. Pouvez-vous me citer un seul secteur de l’économie où la libéralisation ou la privatisation de l’entreprise publique disposant, auparavant, d’un monopole a constitué un plus pour elles et pour eux ? »
Mes chers collègues, je vous l’avoue, j’ai eu du mal à comprendre la réponse que m’a apportée la présidente de l’Autorité de la concurrence. Elle-même a eu du mal à la formuler… Elle m’a dit : « On pourrait en discuter pour les télécoms ; à nos yeux, il y a un plus. » Soit, nous pouvons en débattre ! Puis, elle a reconnu que, pour tous les autres secteurs, le bilan était plutôt mitigé.
Voilà pourquoi il serait bon que nous débattions de cette question dans son ensemble, surtout au moment où l’on s’apprête à libéraliser le trafic ferroviaire de voyageurs et, en définitive – c’est bien le but de la manœuvre –, à privatiser la SNCF !
Cette mise au point étant faite, je reviens au sujet de notre débat.
Nous sommes conscients du travail accompli, en la matière, par l’Autorité de la concurrence et de l’importance de ses missions. Aussi, pourquoi la Polynésie française ne pourrait-elle pas bénéficier de sa propre autorité de la concurrence ?
La création d’une telle instance peut même sembler particulièrement légitime en milieu insulaire, où la conjonction d’une faible population – la Polynésie française compte, en tout et pour tout, 280 000 habitantes et habitants – et d’un petit nombre d’acteurs économiques a tendance à créer des situations de monopole ou d’oligopoles privés, d’ententes et de cartels qui pénalisent les consommatrices et consommateurs ultramarins.
C’est pourquoi les membres du groupe CRCE sont favorables à ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. le président. La parole est à Mme Françoise Gatel, pour explication de vote. (Mme Nadia Sollogoub applaudit.)
Mme Françoise Gatel. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le 23 février 2015, la Polynésie française édictait son propre code de la concurrence et instituait une autorité polynésienne de la concurrence : l’APC.
Il s’agissait là d’une réforme économique d’ampleur, pour un territoire auparavant dépourvu de réel droit de la concurrence. En effet, ni les textes nationaux ni les règles du droit de la concurrence de l’Union européenne n’y étaient applicables, et seuls quelques textes épars réglementaient les pratiques et les relations commerciales.
En 2015, la Polynésie française se dotait donc d’un droit de la concurrence moderne et cohérent, en créant une institution aux pouvoirs analogues à ceux de l’Autorité de la concurrence nationale, notamment quant au contrôle des pratiques anticoncurrentielles.
Toutefois, une différence se fait jour entre l’APC et l’Autorité de la concurrence : aucune disposition n’était prévue pour ce qui concerne les pouvoirs d’enquête des agents de l’APC ou les voies de recours contre ses décisions, et pour cause : de telles dispositions relèvent de la compétence du législateur national.
C’est pour remédier à cette situation que l’ordonnance étendant et adaptant à la Polynésie française certaines dispositions du code de commerce relatives aux contrôles et aux sanctions en matière de concurrence est aujourd’hui soumise à notre ratification.
Composée de quatorze articles, cette ordonnance doit permettre à l’APC d’accomplir pleinement ses missions de contrôle et de sanction. Pour ce faire, elle complète les règles locales relatives à l’APC en matière de droit pénal, de procédure pénale, de procédure administrative contentieuse et d’organisation judiciaire.
Les agents de l’APC disposeront désormais de pouvoirs d’enquête leur permettant d’effectuer des contrôles dans les locaux à usage professionnel.
L’ordonnance attribue également à l’APC une compétence juridictionnelle pour les demandes d’indemnisation des préjudices subis du fait de pratiques anticoncurrentielles.
Si elle fait siens ces différents objectifs, la commission a déploré la concomitance de l’examen du présent texte et de l’adoption, le mois dernier, par la Polynésie d’une loi qui modifie certains aspects du code de commerce et marque une certaine contestation de l’action de l’APC.
Il est vrai que les effets positifs de l’introduction du droit de la concurrence en Polynésie restent limités : pour l’heure, madame la ministre, l’objectif affiché, à savoir la baisse des prix, n’a été que partiellement atteint.
Cette loi du pays n’ayant pas encore été promulguée et étant encore susceptible d’être soumise au contrôle du Conseil d’État, il a été décidé de ne pas actualiser le contenu de la présente ordonnance.
En revanche, la commission a tenu à apporter quelques précisions, sur l’initiative de Mme la rapporteur. À ce titre, Catherine Troendlé a accompli un travail dont je salue la grande qualité.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Nous aussi !
Mme Françoise Gatel. Ainsi, dans un souci de sécurité juridique, la commission a prévu la compétence de la cour d’appel de Paris pour les recours à l’encontre des décisions de l’APC en matière de pratiques anticoncurrentielles tout en encadrant les délais de recours.
Elle a également ouvert la possibilité d’une coopération en matière d’enquête entre l’APC et l’Autorité de la concurrence ou la DGCCRF.
En permettant non seulement la transmission d’informations et de documents, mais aussi la conduite d’enquêtes, cette mesure devrait garantir un contrôle plus efficace des pratiques anticoncurrentielles. À ce titre, elle mérite d’être saluée.
Tout aussi louable est le rétablissement de l’obligation, pour les membres de l’APC et des autres autorités administratives indépendantes de Polynésie et de Nouvelle-Calédonie, de transmettre une déclaration de situation patrimoniale et une déclaration d’intérêts à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.
Mes chers collègues, ces différentes modifications ont permis de préciser le contenu d’une ordonnance essentielle. Vous l’avez tous deviné, les membres du groupe Union Centriste voteront ce projet de loi, afin que l’APC puisse pleinement exercer ses missions consultatives, contentieuses et juridictionnelles. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – Mmes Marie-Thérèse Bruguière et Frédérique Puissat, ainsi que MM. Jean-Pierre Sueur et Arnaud de Belenet applaudissent également.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, le projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2017–157 du 9 février 2017 étendant et adaptant à la Polynésie française certaines dispositions du livre IV du code de commerce relatives aux contrôles et aux sanctions en matière de concurrence.
(Le projet de loi est adopté.) – (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, sur des travées du groupe socialiste et républicain, sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
7
Élection des représentants au Parlement européen
Discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à l’élection des représentants au Parlement européen (projet n° 314, texte de la commission n° 397, rapport n° 396).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d’État, ministre de l’intérieur. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la Haute Assemblée s’apprête à débattre du projet de loi relatif à l’élection des représentants au Parlement européen, que l’Assemblée nationale a adopté le 20 février dernier et qui vise à rétablir, pour les élections européennes, une circonscription électorale unique sur le territoire national.
Depuis la création des huit circonscriptions régionales en 2003, ce n’est pas la première fois que le rétablissement de la circonscription unique est débattu ici même. Vous le savez, une proposition de loi déposée par le groupe du RDSE a été adoptée le 23 juin 2010 par la Haute Assemblée pour rétablir cette circonscription unique.
J’ai l’espoir que le Sénat adoptera une nouvelle fois un texte permettant de rétablir cette circonscription unique. En effet, si les options quant au mode de scrutin sont multiples, celle-ci m’apparaît comme la plus claire, la plus intelligible et la plus respectueuse du pluralisme politique. Elle est donc, à mes yeux, la meilleure pour nos concitoyens.
Je sais, bien sûr, que tous ici n’approuvent pas cette vision. Mais, je le sais aussi, c’est dans un état d’esprit constructif que nous abordons tous ce débat.
Cet état d’esprit constructif est tout d’abord celui du Sénat, dont la marque de fabrique est de toujours chercher à enrichir les textes, à les améliorer. C’est également celui du Gouvernement : vous savez que, dès l’élaboration de ce texte, le Président de la République et le Premier ministre ont veillé à consulter l’ensemble des formations politiques dans le cadre d’une démarche de coconstruction législative.
Mesdames, messieurs les sénateurs, si le Gouvernement a retenu l’option de la circonscription unique, ce n’est donc pas du fait du hasard : c’est bien parce que la majorité des groupes politiques avaient, avec lui, un diagnostic commun.
Au-delà des différences de sensibilités et de positionnements que les formations politiques peuvent présenter au sujet de l’Union européenne, je crois que nous sommes tous d’accord pour affirmer que la situation actuelle n’est pas satisfaisante. Plus d’un Français sur deux ne se déplace pas aux urnes pour élire ses représentants au Parlement européen. Dans certains endroits, lors du dernier scrutin, l’abstention a même atteint 70 %.
Que l’on soit pour plus ou moins d’Europe, que l’on soit pour une Europe fédérale ou pour une Europe des nations, que l’on soit pour davantage d’intégration ou pour de nouveaux élargissements, l’on ne peut se satisfaire de si faibles taux de participation, qui minent la légitimité des députés européens et, finalement, affaiblissent la démocratie.
Il est évident que le mode de scrutin n’est pas l’unique cause de la hausse de l’abstention – il faut le reconnaître. Toutefois, son manque de clarté, que déplorent les électeurs, ne peut qu’être un facteur supplémentaire pour décourager les uns et les autres de se rendre aux urnes.
Il suffit – je sais que chacun d’entre vous, sur ces travées, le fait – de dialoguer avec nos concitoyens sur le terrain pour comprendre que le découpage en huit circonscriptions, sans cohérence historique, politique ou administrative, a contribué à brouiller le débat entre enjeux européens, enjeux nationaux et enjeux locaux.
Il fallait donc agir pour inverser cette tendance, et ce dans un délai court puisque, par tradition républicaine, le mode de scrutin n’est pas modifié dans les douze mois précédant une élection.
C’est ce que le Gouvernement entreprend avec ce projet de loi.
La première option était de créer treize circonscriptions correspondant aux nouvelles grandes régions. C’est d’ailleurs la solution que certains d’entre vous proposent.
Si le Gouvernement ne l’a pas retenue, ce n’est pas, comme on a pu l’entendre parfois, pour des raisons politiciennes, mais parce que le débat aurait certainement été perturbé par des enjeux étrangers à la nécessaire confrontation des idées et des projets relatifs à l’Europe.
De plus, ce découpage se traduirait par d’importants écarts entre les régions dans le nombre d’élus dont chacune disposerait : ce sont précisément ces écarts que le découpage en circonscriptions multirégionales tentait jusqu’à présent de combler.
Surtout, en atténuant les effets de la proportionnelle, un tel découpage aurait favorisé les grands partis et, ainsi, fragilisé le pluralisme politique auquel nous sommes, comme tous les Français, très attachés.
Une autre option, que préconisent également un certain nombre de sénateurs, aurait consisté à créer, d’une part, une circonscription « hexagonale » et, d’autre part, une circonscription ultramarine.
Je sais que ce sujet fait débat chez certains d’entre vous…
M. Victorin Lurel. Absolument !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. … et je comprends que des préoccupations puissent surgir.
Le Gouvernement a étudié cette option, mais il l’a écartée…
M. Victorin Lurel. Hélas !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. … pour plusieurs raisons.
Il s’agit, tout d’abord, de raisons juridiques, et notamment de risques constitutionnels.
M. Victorin Lurel. Non, madame !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. La création d’une circonscription ultramarine aurait pour effet de garantir aux seuls électeurs ultramarins de disposer d’une représentation sur une base territoriale, tandis que le reste des électeurs ne bénéficieraient pas d’une telle spécificité. En résulterait un risque d’atteinte au principe d’égalité devant le suffrage.
M. Victorin Lurel. Aucun risque ! La répartition serait faite sur une base démographique !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Au-delà des risques juridiques, la création d’une circonscription spécifique à l’outre-mer pose question sur le plan des principes. Une telle option ne manquerait pas d’être légitimement contestée par d’autres régions.
M. Victorin Lurel. Ça, c’est un autre sujet…
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Au reste, certains représentants français au Parlement européen, élus en 2014 dans la circonscription d’outre-mer, ne sont eux-mêmes pas favorables à la création d’une circonscription ultramarine,…
M. Victorin Lurel. Lesquels ?
Mme Jacqueline Gourault, ministre. … qui marquerait une différence avec le reste de la Nation et qui affaiblirait l’intelligibilité du scrutin pour les électeurs.
Dès lors, la meilleure option – nous en sommes convaincus – était bien la circonscription nationale unique. Je rappelle que notre pays a déjà connu ce mode de scrutin : c’est celui qu’il a appliqué entre 1977 et 2003.
C’est un choix, et nous l’assumons pleinement.
Tout d’abord, cette solution est soutenue par la majorité des partis politiques. Or, vous le savez, nous voulons toujours rassembler le plus largement possible face aux grands choix stratégiques qui engagent le pays.
Ensuite, le rétablissement d’une circonscription unique nous rapproche de nos partenaires : aujourd’hui, dans vingt-trois des vingt-sept États membres de l’Union européenne, les électeurs, lors de ce scrutin, votent au sein d’une circonscription nationale unique.
Enfin – et c’est ce qui a principalement emporté notre décision –, nous sommes convaincus que ce mode de scrutin permettra d’intéresser davantage nos concitoyens à des élections qui sont de plus en plus décisives pour leur destin individuel comme pour leur destin collectif.
Bien sûr, nous entendons les critiques qu’inspire la circonscription électorale unique. Certains d’entre vous s’en feront probablement l’écho.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Sans doute !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. En procédant ainsi, l’on risquerait de voir la campagne porter sur des sujets nationaux et non sur les projets pour l’Europe. Mais le découpage en circonscriptions régionales nous préservait-il de cet écueil ? Ne pouvait-on pas également tomber dans un débat régional ?
On invoque par ailleurs le risque d’éloignement entre les députés européens et la réalité des territoires.
En tant qu’élue locale, vous connaissez mon attachement à ces sujets. Mais, si j’ai soutenu en 2010 la proposition de loi du groupe du RDSE, c’est, comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire, parce que je suis, comme citoyenne de l’Europe, depuis longtemps convaincue que la circonscription unique est la meilleure solution. Pourquoi ? Parce qu’elle permettra de proposer aux Français des débats clairs, avec des options nettes sur la confrontation des projets européens. Elle permettra de débattre, à l’échelle nationale, des enjeux européens de demain.
Mesdames, messieurs les sénateurs, au sujet de l’Europe, le projet que défend le Gouvernement est clair, et de ce choix politique découle un certain nombre de conséquences, inscrites dans le présent texte.
Nous en débattrons lors de l’examen des différents articles. Pour l’heure, je souhaite évoquer plus particulièrement les modalités de répartition du temps d’antenne lors de la campagne officielle pour les élections européennes, lesquelles ont suscité de nombreux débats.
Je tiens à le rappeler, comme je l’ai fait lors des discussions à l’Assemblée nationale : il était de la responsabilité du Gouvernement de modifier le dispositif existant pour tirer les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel du 31 mai dernier. Si nous n’avions pas modifié le dispositif, nous aurions laissé perdurer un système producteur d’injustices et nous aurions pris le risque d’une nouvelle censure. Bien sûr, nous nous y refusons.
C’est pourquoi nous avons élaboré ce dispositif équilibré reposant sur un triple mode de répartition, dont la dernière fraction corrective sera mise en œuvre par le Conseil supérieur de l’audiovisuel, le CSA.
En outre, comme vous le savez, la censure intervenue en mai dernier à l’occasion d’une question prioritaire de constitutionnalité présentée par l’association En Marche ! portait sur le dispositif applicable pour les élections législatives. Le Conseil constitutionnel a décidé de reporter au 30 juin prochain les effets de cette censure. Il existe donc un risque réel de vide juridique si nous ne prenons pas rapidement les mesures législatives adéquates. C’est pourquoi le Gouvernement a fait le choix d’emprunter ce vecteur législatif pour soumettre au Parlement un dispositif alternatif dont les principes sont identiques à ceux qui ont prévalu pour élaborer le dispositif de la campagne officielle des élections européennes.
Mesdames, messieurs les sénateurs, au-delà de ce projet de loi, le Président de la République et le Gouvernement portent, vous le savez, des ambitions fortes pour l’Europe. Ces ambitions, le Président de la République les a exprimées lors de son discours de la Sorbonne, le 26 septembre dernier. Elles visent notamment à faire émerger un véritable espace public européen ce qui implique notamment qu’un débat politique émerge également à l’échelle européenne. Les négociations menées actuellement pour permettre la création d’une circonscription européenne unique et des listes transnationales s’inscrivent pleinement dans ce cadre et se poursuivent.
Vous le savez, à l’occasion d’un vote le 7 février dernier, le Parlement européen n’a pas retenu le principe des listes transnationales pour les prochaines élections européennes, malgré un vote favorable en commission.
Le Gouvernement a pris acte de ce vote, mais reste néanmoins très engagé pour faire aboutir ce projet, qui a déjà reçu le soutien de plusieurs de nos partenaires. Dans la perspective des élections européennes de 2024 et indépendamment du prochain scrutin, il continuera à défendre cette idée, car elle est la seule à pouvoir renforcer la démocratie européenne.
Dans ce même état d’esprit, le Gouvernement entend poursuivre le combat pour refonder l’Europe et la rendre plus démocratique. C’est tout le sens des consultations citoyennes qui seront lancées dans quelques jours dans toute l’Europe.
En France, l’ensemble du Gouvernement, mais surtout les acteurs de la société civile, le monde associatif, les entreprises, les partenaires sociaux, les collectivités y participeront, afin d’entendre les préoccupations, les attentes, les espoirs, mais aussi les inquiétudes que suscite l’Europe. C’est en effet par l’engagement de tous que nous susciterons de nouveau l’intérêt des citoyens européens.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous connaissez tous la fameuse phrase de Jean Monnet : « Nous ne coalisons pas des États, nous unissons des hommes. » Par ce texte, par les actions que met en œuvre ce gouvernement, c’est bien ce but que nous visons : unir les Français, d’abord, autour de la belle idée européenne, autour de représentants qui porteront haut la voix de la France au Parlement de Strasbourg ; unir, ensuite, les habitants de ce continent, afin qu’ils se sentent pleinement citoyens européens, dépositaires de cette culture plurimillénaire qui fait que la voix de notre continent est écoutée et respectée partout dans le monde. (Applaudissements sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Alain Richard, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le Sénat est convié à examiner une nouvelle fois le mode d’élection des parlementaires européens français, en raison d’un sentiment d’insatisfaction assez largement partagé parmi les responsables politiques face au contraste entre l’importance politique et institutionnelle du Parlement européen et la faiblesse de la participation et de l’implication de nos concitoyens lors du choix de ces parlementaires. Le Parlement européen est en effet devenu l’un des piliers de décision essentiels de l’Union européenne dans tous les domaines et emporte, par ses choix et ses votes, beaucoup d’effets sur l’avenir des citoyens européens.
Mme la ministre l’a dit, le mode de scrutin ne fait pas tout. Si nous voulons que les parlementaires européens acquièrent une représentativité et une légitimité démocratique plus fortes, une partie du travail revient aux candidats et aux élus eux-mêmes.
Lorsque l’on a évoqué en commission les attitudes critiquables de certains parlementaires européens, qui ne se pliaient pas à un travail intensif de représentation et de communication avec le terrain et la population, il m’a semblé légitime de dire que le contraire existait aussi, et que beaucoup de parlementaires européens français font bien leur travail à la fois au Parlement européen, à Bruxelles et à Strasbourg, et dans les régions et les collectivités.
N’oublions pas également – il s’agira de l’un des points intéressants de nos échanges – que, quel que soit le mode de scrutin, la responsabilité de la préparation de ces candidatures incombe aux organisations politiques. Si, parfois, le choix des candidats élus a pu donner lieu à des critiques en raison d’un défaut de représentativité – il n’était, d’ailleurs, pas seulement de nature géographique –, rappelons que les listes avaient été conçues par des responsables politiques centraux. Nous avons essayé, les uns et les autres, de trouver des modes de constitution des listes qui fassent appel à une participation pluraliste, mais la nature même du scrutin, qu’il soit régionalisé ou centralisé, aboutit forcément à des listes composées par la direction des organisations politiques.
Avec l’expérience du scrutin régionalisé durant les trois dernières élections – celles de 2004, de 2009 et de 2014 -, beaucoup d’observateurs sont arrivés à la conclusion qu’une liste nationale cohérente constituait le support le plus compréhensible par les citoyens et le plus respectueux de l’objet même du Parlement européen : représenter les nations au sein d’un Parlement plurinational.
Telle est la base du projet de loi que nous examinons et tel est le sujet du débat d’aujourd’hui.
Ce débat a connu ses préliminaires au Sénat, il y a quelques années, à la faveur d’une proposition de loi de nos collègues du groupe du RDSE préconisant le retour à la liste nationale et qui avait été votée par une large majorité.
Il revient au rapporteur de souligner que nous légiférons dans un cadre, celui du premier traité de l’Union européenne, le traité de Rome, lequel a prévu l’élection directe des parlementaires européens par les citoyens, même s’il a fallu presque vingt ans pour que cette disposition s’applique réellement. Depuis septembre 1976, donc, un acte européen régit le principe d’élection des parlementaires européens et énonce trois principes essentiels.
Le premier est un système de listes à l’intérieur de chaque nation, laissant le choix entre des listes nationales complètes ou des listes réparties par circonscription.
Le deuxième, qui est essentiel dans notre débat d’aujourd’hui, est le principe de la représentation proportionnelle, donc du pluralisme, se traduisant par des attributions de sièges sans effet majoritaire.
Le troisième, enfin, est la faculté donnée aux nations d’adopter un seuil minimum de représentation, dont le maximum est fixé à 5 %. Cela se pratique dans beaucoup de pays, dont la France, où l’usage a établi ce seuil au taux maximal possible. Certains de nos partenaires ont retenu un seuil un peu plus bas.
Dans ce débat, des alternatives au système de la liste nationale complète existent. Certains collègues en ont proposé ; nous en débattrons en examinant les articles.
Si, toutefois, nous choisissions une répartition à l’intérieur des régions constituées par la loi de 2015, nous obtiendrions des écarts importants dans l’application de la proportionnelle. Certaines régions ne pourvoiraient ainsi que deux ou trois sièges, ce qui offre un cadre un peu étroit à la mise en œuvre de la proportionnelle, alors que d’autres en auraient douze, quatorze ou quinze. C’est une difficulté.
Nous avons étudié en commission les tentatives de créer des subdivisions à l’intérieur des listes nationales, de manière à forcer une sous-représentation géographique à l’intérieur des listes nationales. Là encore, en appliquant la proportionnelle pour les soixante-quatorze ou soixante-dix-neuf sièges qui nous reviendraient, les listes les plus convaincantes obtiendront peut-être vingt ou vingt-cinq sièges, mais beaucoup de listes en auront entre quatre et dix.
Une ventilation régionale à l’intérieur des listes nationales aboutirait donc à ce que les régions les plus peuplées soient correctement représentées par la plupart des listes, alors que les régions les moins peuplées se retrouveraient globalement sous-représentées.
Une transposition à l’échelle État-régions du système des sections départementales que nous pratiquons aux élections régionales ne peut donc pas donner les mêmes résultats, parce que les effectifs de postes à pourvoir sont beaucoup moins importants.
Par ailleurs, notre tradition électorale, ainsi que le Conseil constitutionnel l’a rappelé à plusieurs reprises, est de laisser la plus grande liberté dans la composition des listes et de ne pas contraindre les organisations politiques à structurer leurs listes selon un mode obligatoire.
Les Français éliront soixante-quatorze ou soixante-dix-neuf députés européens, car, curieusement, nous n’allons pas voter sur le nombre de sièges à pourvoir, lequel résulte également de l’Acte européen de 1976, régulièrement remis à jour en fonction des évolutions de la communauté.
Sa dernière version répondra au départ de nos collègues et amis britanniques et une proposition de répartition est actuellement en débat entre le Conseil européen et le Parlement européen. Ce processus aboutira lors du Conseil européen de juin et le texte sera ratifié par le Parlement européen lors de sa session de juillet, d’après ce que l’on entend dire. Au terme de ce nouveau calcul, la représentation française passera de soixante-quatorze à soixante-dix-neuf sièges.
S’agissant de la composition des listes et de leur présentation, une question nouvelle a été soulevée en 2014 par certains partis politiques organisés à l’échelon européen : la possibilité de désigner un candidat tête de liste à l’échelle européenne. Cela s’est traduit en allemand, par le terme un peu imagé de Spitzenkandidat, c’est-à-dire un candidat choisi par un parti européen pour le présenter à la présidence de la Commission européenne.
On peut débattre de cette volonté, exprimée par les partis européens, de prédéterminer, en quelque sorte, le choix du président de la Commission qui résulte d’une interprétation des traités. Certains collègues souhaitent qu’il soit possible de faire apparaître jusque sur le bulletin de vote ce « candidat tête de liste », mais la commission a préféré écarter cette option. Toutes les organisations politiques qui présenteront des candidats n’ayant pas choisi ce système de chef de file européen, cela risquerait en effet de provoquer un déséquilibre et de susciter une certaine incompréhension chez les électeurs.
En outre, Mme la ministre l’a bien rappelé, la possibilité de constituer des listes transnationales paneuropéennes soumises au suffrage de l’ensemble des presque 400 millions d’électeurs européens est une idée soutenue aujourd’hui par le chef de l’État et le gouvernement français qui n’a pas recueilli de majorité au Parlement européen, pour quelques raisons de principe, mais aussi d’opportunité.
En examinant l’article 7, nous débattrons de l’inscription de cette aspiration dans le texte, mais, le cas échéant, celle-ci relève plutôt d’une résolution que d’une disposition législative.
Le projet de loi modifie de façon importante les règles de financement, mais peu de complications en découlent, et actualise l’expression des candidats aux élections européennes dans l’audiovisuel public, suivant des principes cadrés par le Conseil constitutionnel. Nous allons nous y conformer et nous ajouterons une disposition relative aux élections législatives, afin de respecter l’échéance qui a été fixée par le Conseil constitutionnel.
Avec ce texte, nous ferons ce que nous pourrons pour susciter l’intérêt des citoyens, grâce à un nouveau système, dont le succès dépendra toutefois de la capacité des candidats et des organisations politiques à réussir leur travail d’engagement pour définir les objectifs de l’Union européenne, et que nous préparerons au cours des consultations citoyennes dans les semaines qui viennent.
Dans ce contexte, mes chers collègues, la commission des lois vous propose d’adopter le présent projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à M. Claude Malhuret, pour le groupe Les Indépendants – République et territoires.
M. Claude Malhuret. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, ce texte est l’occasion de nous demander quelle Europe politique nous souhaitons. Depuis sa création, sans interruption, ce que l’on pourrait qualifier aujourd’hui d’objet politique non identifié a posé une question de légitimité aux États et aux peuples.
Je crois profondément que cet enjeu de légitimité est l’une des sources des maux de l’Union européenne et qu’il ne pourra y avoir d’avancées ou de réformes européennes sans que cette question centrale soit tranchée.
Nous avons essayé beaucoup de choses pour que, enfin, le processus de construction européenne devienne légitime aux yeux des citoyens, qui avaient placé leur foi et leurs attentes dans l’État-nation depuis au moins deux siècles.
Beaucoup d’entre nous ont tenté de rendre l’Union européenne plus démocratique, plus transparente, plus efficace. Force est de constater que, si nous n’avons pas totalement échoué, nous n’avons pas réussi non plus. Nos petites touches impressionnistes, nos petits pas – chers à Jean Monnet – visant à rendre l’Union européenne plus légitime n’ont pas été compris des peuples, qui n’y ont souvent vu que barbouillage ou petits arrangements. L’affaire Selmayr, que j’ai dénoncée devant la Haute Assemblée, participe de ce triste paysage que l’Union européenne s’offre parfois à elle-même.
Un symptôme mesurable de ce désenchantement persistant se trouve dans la participation en chute libre aux élections au Parlement européen, cela a été dit. Alors que les pouvoirs de ce dernier n’ont fait que se renforcer au fil des ans, la participation aux élections européennes a reculé de 46,8 % en 1999 à 42 % en 2014. Le Parlement européen est devenu ce qu’Hannah Arendt appelait « un pouvoir sans autorité », c’est-à-dire, en démocratie, un pouvoir privé de légitimité aux yeux des citoyens.
La question que nous nous posons est donc la suivante : la mise en place de circonscriptions régionales en 2003 a-t-elle permis d’enrayer ce phénomène d’éloignement démocratique, a-t-elle permis de rapprocher les citoyens européens de leurs représentants ? Force est de constater que, depuis 2003, trois élections ont passé et que rien n’a changé. Le sentiment de non-représentation persiste chez nos concitoyens.
Or ce panorama démocratique morose n’est pas une fatalité. Après tout, le slogan de la campagne des premières élections au Parlement européen au suffrage universel, en 1979, était déjà : « L’Europe, c’est l’espoir. »
Aujourd’hui, il nous faut retrouver cet espoir, provoquer un véritable choc démocratique pour l’Union européenne, afin de créer ce que Jürgen Habermas appelle un « espace public européen ».
Le texte que nous examinons constitue un pas modeste dans cette voie, mais il contribuera, à mon sens, à rendre le débat européen plus présent et plus visible aux yeux des Français ; il permettra de mettre les grands dossiers de la politique européenne au premier plan des discussions ; il forcera chacune des forces politiques de ce pays à se positionner clairement, ce qui n’est pas encore gagné ; il permettra de donner de la lisibilité à un mode de scrutin assez opaque et méconnu par nos concitoyens ; il permettra, enfin, de porter au Parlement européen des députés plus forts et plus responsables face à leurs homologues européens, qui sont, pour la plupart, déjà élus sur des listes nationales.
Dans le monde actuel, fait de représentations et d’images, nous avons besoin d’une Europe incarnée par des personnalités engagées. Quand Simone Veil, François Mitterrand ou Jacques Chirac, en 1979, Dominique Baudis et Michel Rocard, en 1994, François Hollande, Charles Pasqua et Nicolas Sarkozy, en 1999, conduisent des listes, les citoyens sentent immédiatement que les enjeux sont à la hauteur des forces qui sont jetées dans la bataille. Ils perçoivent alors que la politique nationale et la politique européenne ne sont pas des sphères séparées, comme on veut souvent nous en convaincre, mais constituent les deux faces de la médaille de l’intérêt général.
Tout cela est positif. Nous soutiendrons par conséquent ce texte en l’état, mais cela ne suffira pas à réenchanter le projet européen. Il faut aller plus loin sur le chemin d’une véritable légitimité européenne.
Tout d’abord, il faut trouver les moyens de faire en sorte que la composition de la Commission résulte d’un choix démocratique et non de petits arrangements entre États. Nous ne pouvons remettre en cause l’acquis démocratique d’une Commission responsable devant le peuple européen et devant ses représentants. Les discussions sur les Spitzenkandidaten ou sur les listes transnationales ne sont pas abouties, mais offrent une contribution utile à ce débat. Elles doivent se poursuivre.
La responsabilité est donc un pilier de la légitimité. Un autre est constitué par la transparence, notamment des nominations des commissaires et des hauts fonctionnaires de la Commission européenne, lesquelles doivent être mieux contrôlées. De même, l’opacité des manœuvres entre États ne doit pas être remplacée par des arrangements entre les partis.
Enfin, selon moi, le dernier pilier de la légitimité européenne doit être la proximité. L’éloignement des institutions et des parlementaires européens est une des causes du désenchantement des peuples. Paradoxalement, il me semble que l’ancien système de circonscriptions interrégionales, en raison de sa complexité et de son manque de lisibilité, n’a pas contribué à instaurer cette proximité. Le retour à la circonscription nationale doit aller dans ce sens, avec une représentativité plus forte des candidats et des engagements plus contraignants pour les parlementaires.
La bataille de la légitimité, mes chers collègues, est la mère de toutes les batailles en Europe. Nous ne la gagnerons qu’en faisant preuve de courage politique et en acceptant, une fois pour toutes, qu’une Union européenne plus puissante et plus intégrée offre la promesse d’une France plus forte et plus influente. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires et sur des travées du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.
M. Jean Louis Masson. Monsieur le président, madame la ministre, ce projet de loi a deux aspects, l’un, que je trouve très positif – le retour à la circonscription nationale pour les élections européennes –, et l’autre, qui me semble très négatif – la répartition du temps de parole.
S’agissant du retour à la circonscription nationale, si nous voulons un débat sur les grands enjeux européens, celui-ci doit être clair. Pour cela, on ne doit pas fractionner les circonscriptions en les mettant au niveau de petits enjeux locaux, au risque de ne plus discuter que, ici, de tel morceau d’autoroute ou, là, de tel tronçon de chemin de fer. On ne parlera alors plus du tout de l’enjeu européen.
Or ces élections sont importantes, car elles ont pour enjeu le débat entre les partisans d’une Europe des nations et les tenants d’une Europe supranationale et fédérale. Je défends, pour ma part, une Europe des nations, cependant, je rejoins sur ce point, certains intervenants qui se trouvent dans l’autre camp, mais sont également attachés au débat. Je souhaite donc que celui-ci advienne et l’on comptera les points à l’arrivée !
Indépendamment de cela, je veux souligner la dimension très positive d’un amendement présenté en commission par Jean-Pierre Grand, identique à un autre que j’ai moi-même signé, et qui vise à supprimer, dans ce projet de loi, toute référence à des listes transnationales.
Celles-ci constituent en effet un vrai scandale ! Elles marquent le début de l’assassinat des États-nations au profit d’un magma européen. Ceux qui, comme moi, pensent que l’Europe supranationale, c’est l’Europe de la chienlit, ne peuvent pas soutenir cette proposition. Je suis donc d’autant plus en accord avec ce qui nous est proposé que la commission des lois a fait disparaître du texte la référence à ces listes transnationales.
Reste un point de désaccord : la répartition du temps de parole. Il est scandaleux que, dans une démocratie, des candidats à une élection ne disposent pas des mêmes moyens et soient traités de manière discriminatoire.
Le fait de considérer qu’il existe des listes sérieuses et des listes composées de rigolos évoque ce qui se passe dans les républiques bananières d’Afrique, dans lesquelles, contrairement au Président de la République ou au dictateur sortants, tenus pour sérieux, leurs opposants se voient interdire l’accès aux médias. Ce n’est pas cela, la démocratie !
Au cours de ce débat, nous aurons l’occasion d’évoquer la vraie démocratie, celle dans laquelle chacun dispose du même temps de parole et des mêmes moyens.
M. le président. La parole est à Mme Josiane Costes, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
Mme Josiane Costes. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, les dernières élections législatives italiennes et, plus récemment encore, le scrutin qui s’est déroulé le week-end dernier en Hongrie sont des indicateurs effroyables du déclin de l’enthousiasme européen à travers le continent.
Ici et là, les partis eurosceptiques gagnent du terrain et menacent l’équilibre pacifique qui se construit en Europe depuis plus d’un demi-siècle.
C’est dans ce contexte inquiétant que le Gouvernement nous propose de préparer le prochain renouvellement du Parlement européen, selon une philosophie qui ne nous est pas étrangère. Vous vous en souvenez, dès 2010, sur l’initiative du groupe du Rassemblement Social et Démocratique Européen, la Haute Assemblée avait voté le rétablissement de la circonscription unique, avant que cette mesure ne disparaisse dans les limbes de la navette parlementaire.
Il a fallu huit ans pour que cette idée ressorte des cartons et que nos collègues députés l’adoptent des deux mains. Mieux vaut tard que jamais ! Vous ne serez donc pas étonnés d’apprendre que nous restons convaincus de la nécessité de cette réforme. Depuis le traité de Lisbonne, les règles françaises de désignation des membres du Parlement européen ne sont plus adaptées aux nouvelles prérogatives de ces parlementaires. Comment expliquer que des élus, dont le rôle est dorénavant déterminant, soient si mal identifiés par nos concitoyens, que leurs travaux fassent l’objet d’une si faible médiatisation et ne préoccupent que quelques spécialistes ?
Aucun système électoral n’est parfait ; nos collègues des territoires d’outre-mer ont souligné leur situation particulière au sein de l’Union européenne. La sortie de celle-ci du Royaume-Uni et de ses propres territoires d’outre-mer renforce leur crainte de se trouver isolés.
À titre personnel, j’ai été convaincue par les débats qui se sont déroulés en commission des lois : la protection des intérêts des territoires d’outre-mer revient, comme celle des intérêts de tous les territoires de l’Union européenne, à l’ensemble des membres du Parlement européen. S’ils le désirent, les citoyens résidant dans ces territoires pourront orienter leurs votes vers les listes qui feront de l’outre-mer une priorité. Plusieurs de mes collègues soutiendront, au contraire, la création d’une circonscription spécifique pour l’outre-mer, conformément à la liberté de vote qui régit notre groupe.
Plusieurs d’entre nous auraient souhaité que la possibilité de recourir à des listes transnationales figure dans le texte, nonobstant la portée peu normative de cette disposition. La réforme de l’acte électoral européen est toujours en discussion et cette évolution nous paraît nécessaire pour renforcer la démocratie européenne et faire émerger des groupements politiques transnationaux, susceptibles de défendre des projets politiques pour l’ensemble des citoyens européens. Nous soutenons tous les efforts du Président de la République en ce sens.
Cette évolution n’est pas incompatible avec l’attachement à la République qui est le nôtre ni avec le rétablissement d’une circonscription unique qui nous est aujourd’hui proposé. Elle est au contraire en totale cohérence avec notre défense de la démocratie parlementaire. Notre ambition est de rapprocher l’Union européenne du citoyen en renforçant la légitimité du Parlement européen.
Si nous nous apprêtons à voter ce texte, nous regrettons toutefois que son examen se fasse dans le cadre de la procédure accélérée, qui ne nous permet pas d’avoir des débats plus longs sur les moyens à développer pour sensibiliser davantage nos concitoyens aux enjeux européens.
De plus longues réflexions auraient, par exemple, permis de se pencher sur une meilleure conciliation du principe d’égalité devant le suffrage et de l’objectif d’intelligibilité des débats lors de la campagne européenne.
Si l’on peut comprendre la volonté du Gouvernement de limiter le temps de parole minimal attribué à chaque liste de candidats quand de telles listes se multiplient, l’établissement d’un système de parrainage aurait pu constituer une solution alternative, plus respectueuse du pluralisme auquel nous sommes très attachés.
La question de l’éducation des jeunes générations d’Européens est également occultée. Elle est pourtant cruciale. Lors des dernières élections européennes, 73 % des électeurs français de moins de trente-cinq ans se sont abstenus.
Depuis sa création, l’école républicaine a toujours eu pour ambition de former nos jeunes, de leur permettre non seulement d’exercer un métier, mais également d’exercer convenablement leur citoyenneté. C’est pourquoi nous présenterons un amendement visant à renforcer la dimension européenne de l’enseignement moral et civique, en particulier au collège.
D’autres réflexions pourraient également être conduites sur les difficultés matérielles susceptibles d’entraver l’exercice effectif du droit de vote qui affectent les étudiants comme les jeunes travailleurs particulièrement mobiles.
Enfin, au-delà des écoles, nous devrions aussi réfléchir aux outils à mettre en place pour renforcer la convergence des débats nationaux et européens dans nos assemblées comme dans les médias. C’est le sens des amendements que je défendrai pour modifier la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, qui vise à renforcer les obligations des sociétés nationales de programme en matière d’actualité politique européenne.
Lors des débats relatifs à la révision constitutionnelle, nous pourrons également proposer des solutions pour améliorer la coordination de nos travaux aux échelons national et européen. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – M. Julien Bargeton applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. François Bonhomme, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. François Bonhomme. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, devant le niveau d’abstention aux élections européennes, chacun s’interroge sur la cause de ce fléau démocratique qui détourne les électeurs de leurs représentants. C’est la raison avancée, du moins par le Gouvernement, pour présenter le projet de loi que nous examinons.
Il est vrai – chacun peut le mesurer – que la quasi-totalité des Français ignore qui sont leurs représentants au Parlement européen. L’élection de ces derniers souffre assurément d’un fort déficit d’identification des enjeux. En la matière, c’est même probablement le pire des scrutins.
Il est vrai, également, que les huit circonscriptions interrégionales actuelles n’ont guère de sens. Trop étendues, elles ne sont identifiées par personne, et surtout pas par les électeurs.
Imaginez le tour de force conceptuel que doit faire un électeur qui découvre qu’une même circonscription s’étend de Saint-Pée-sur-Nivelle, au Pays basque, à Villeneuve-lès-Avignon, dans le Gard ; qu’une autre s’étend d’Omonville-la-Petite, dans la Manche, à Armentières, dans le Nord ; et qu’une autre encore s’étend du Chambon-sur-Lignon, en Haute-Loire, à La Chaussée-Saint-Victor, dans le Loir-et-Cher ! Convenons-en, ces circonscriptions sont vides de sens.
Ce découpage était supposé présenter une cohérence territoriale, afin de favoriser cette identification. C’est raté ! Il faut donc introduire plus de proximité.
J’en viens à la solution retenue par le Gouvernement pour corriger cette situation : il propose de créer une circonscription encore plus grande, une circonscription unique. Puisqu’il y a un défaut de proximité, créons une circonscription encore plus étendue : telle est la solution paradoxale qui nous est soumise !
On aurait pu espérer un redécoupage des circonscriptions correspondant aux treize régions instaurées par la loi du 16 janvier 2015 relative à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral. C’est d’ailleurs l’objet de l’un des amendements que j’ai déposés, et qui vise à adapter le périmètre des circonscriptions régionales à la nouvelle carte des régions. Il faut toutefois relativiser l’amélioration de l’ancrage territorial que représenterait cette option compte tenu des difficultés du découpage régional de 2015.
En d’autres termes, alors que les députés européens sont actuellement élus dans des mégacirconscriptions interrégionales qui s’apparentent à des no man’s land faussement régionaux, nous aurons des députés européens encore plus irréels, en état d’apesanteur permanent faute du plus minime ancrage territorial.
En fait, la création d’une circonscription unique aura bien une conséquence, mais celle-ci est déjà inscrite dans le mode de scrutin proportionnel : le renforcement naturel du poids des états-majors et des organisations politiques, au détriment des personnalités et de leurs qualités propres.
En prétendant nationaliser les enjeux, vous ne ferez que placer les candidats sous le contrôle des partis et les candidats potentiels dans une situation de dépendance à leur égard.
On me rétorquera sans doute, la main sur le cœur, qu’il faut au contraire parier sur l’intelligence des partis et leur sens des responsabilités…
M. Michel Savin. Ça se saurait !
M. François Bonhomme. … pour promouvoir des candidats de qualité. Je crois que ce n’est là qu’une douce berceuse. Les exemples d’apparatchiks, de recasés et de recalés en tout genre abondent au Parlement européen et seront confortés demain. (Mme Brigitte Micouleau et M. Jean-Paul Émorine applaudissent.)
Pas besoin de respecter une juste répartition géographique ni de s’embarrasser du cursus des candidats ou de leurs compétences, mieux encore, de leur expérience : seule comptera la place que leur organisation politique aura bien voulu leur octroyer.
Par conséquent, les mêmes causes produisant les mêmes effets, l’argument selon lequel le passage de la circonscription interrégionale à la circonscription nationale permettra de réduire l’abstention est une pure fantaisie. C’est illusoire !
En maintenant le mode de scrutin proportionnel, on ne fera qu’encourager les candidats sélectionnés à rester dans le moule des états-majors, à ne pas déplaire, à ne pas sortir de la ligne pour être sûrs d’être investis ou réinvestis le moment venu par leur parti dans une position éligible.
Nous avons connu le cas par le passé – la situation se reproduira immanquablement – de candidats ne connaissant strictement rien à l’Europe, mais en situation éligible, qui se retrouvaient élus par le simple effet mécanique de la proportionnelle, et ce quoi qu’ils fassent.
Mes chers collègues, vous l’aurez compris, la vraie question est celle du scrutin proportionnel, qui rend possible cette situation de dépendance très forte au parti plutôt qu’aux électeurs et qui suscite forcément le désintérêt et l’abstinence électorale, en raison précisément du parasitage du suffrage universel par le scrutin proportionnel.
À titre personnel, je considère que le vrai bouleversement serait d’élire des représentants européens au scrutin majoritaire dans le cadre de grandes circonscriptions. Madame la ministre, chacun des soixante-quatorze représentants français au Parlement européen serait élu par 900 000 citoyens, ce qui favoriserait l’assise territoriale qui fait défaut, et, par conséquent, une identification des candidats et des élus.
Je rappelle qu’il ne revient à chaque État membre de définir le mode d’élection de ses représentants au Parlement européen que de manière parfaitement théorique. L’Acte du 20 septembre 1976 portant élection des membres du Parlement européen au suffrage universel direct donne en effet la possibilité à chaque État membre de constituer des circonscriptions, mais sans porter globalement atteinte au caractère proportionnel du mode de scrutin.
Le mal profond de la représentation au Parlement européen que nous connaissions hier et qui perdurera malheureusement demain vient de cela et de rien d’autre. Le mode de scrutin majoritaire a au moins une vertu – nous l’avons encore vu au mois de juin dernier : ce sont les électeurs qui choisissent ou qui éliminent les candidats.
C’est le fondement du suffrage universel que de permettre un choix clair, sans que ce vote soit dénaturé par le filtre des organisations politiques.
Laisser croire que le redécoupage des circonscriptions va donner de la lisibilité et, plus encore, selon les propres termes du Gouvernement, de l’intelligibilité est pure fantaisie.
Mes chers collègues, le présent projet de loi est au mieux un projet placebo, et, sauf à croire à la chimie médicale, il relève de la poudre de perlimpinpin plutôt que du principe actif, capable de porter remède à un mal profond. Tout cela est moralement indéfendable, politiquement désastreux et désespérant pour l’enjeu européen. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour le groupe communiste citoyen républicain et écologiste.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le présent projet de loi rétablit la circonscription unique comme cadre de l’élection des représentants de la France au Parlement européen, mais il est aussi marqué par deux atteintes fortes au pluralisme – j’y reviendrai.
Lors des débats sur la loi du 11 avril 2003, qui instaura des circonscriptions interrégionales au nombre de huit, nous avions vivement protesté contre une évolution que nous ressentions alors contraire aux intérêts de notre peuple et de notre pays.
Selon nous, établir des circonscriptions interrégionales avait en effet pour conséquence de favoriser les plus grandes forces qui sont les seules capables d’assurer une présence européenne sur l’ensemble du territoire.
Nous avions dit et répété avec quelques autres – trop rares – que les élections européennes ont pour objet la représentation de notre peuple au Parlement européen et non pas celle de telle ou telle région.
Nous le savons bien, l’Europe des régions, à laquelle nous nous opposons, pour notre part, est de longue date la visée des partisans d’un fédéralisme absolu permettant, au nom d’une hypothétique souveraineté européenne, de briser les résistances nationales au projet libéral, qui – ne l’oublions jamais – fut gravé dans le marbre des traités européens année après année, malgré l’opposition exprimée de manière forte en 2005 en France et dans de nombreux pays européens comme l’Irlande, le Danemark ou les Pays-Bas.
Deux autres raisons pourraient susciter un grand scepticisme à l’égard de la régionalisation du scrutin. La première est que l’on ne peut espérer faire du scrutin européen un enjeu national en le disséminant de la sorte, et la seconde, très importante, est que la très grande majorité des États membres de l’Union européenne avait fait le choix de la circonscription unique, ce qui est toujours le cas aujourd’hui pour vingt-trois pays sur vingt-huit, et même vingt-quatre, l’Italie procédant à une comptabilisation nationale des résultats.
Avant de conclure sur ce sujet, je souhaite rappeler que l’argument principal des partisans de la régionalisation du scrutin était que celle-ci améliorait la participation et le rapprochement entre élus et citoyens. Comme d’autres orateurs l’ont déjà dit, l’échec fut patent sur ces deux points, puisque le taux d’abstention fut respectivement de 39,3 % en 1979 lors de la première élection au suffrage universel direct, de 50,2 % en 1999, de 59,4 % en 2009 et de 57,4 % en 2014. Il est donc certain que la régionalisation n’a pas permis de remédier à une abstention massive.
Quant à rapprocher les citoyens des élus, la bonne blague ! Bien peu nombreux sont les électeurs qui connaissent, dans une région, les noms de leurs députés européens.
Dans son discours sur l’Europe à la Sorbonne, Emmanuel Macron a dit sa volonté de revenir à la circonscription unique alors que, dans le même temps – comme dirait l’autre –, il ne dissimule pas, ou en tout cas masque très mal, sa vision purement fédéraliste axée en particulier sur la notion de souveraineté européenne. Il propose pourtant de revenir à une circonscription unique, qui, a priori, permet de mieux exprimer la voix de la Nation.
Or nous savons que La République En Marche n’arrive pas à s’implanter localement faute de militants et de structures. C’est une organisation totalement verticale, portée par le chef de l’État et les soutiens médiatiques.
M. Pierre Charon. C’est une nébuleuse !
Mme Éliane Assassi. De ce fait, la circonscription unique sera donc utile pour Emmanuel Macron et les siens. On peut par conséquent légitimement se demander si la motivation électoraliste n’explique pas pour partie ce choix.
Il est également possible d’estimer que la pensée complexe d’un président conscient, comme il l’indiquait le 26 septembre dernier, de l’échec démocratique d’une avant-garde européenne imposant ses choix sans assise démocratique l’incite à utiliser le retour à la circonscription unique comme tremplin vers un dépassement fédéraliste des nations par le biais d’une généralisation des listes transnationales pour marcher vers une Europe politique.
Comme je l’ai indiqué précédemment, deux aspects du texte annulent, selon moi, l’avancée indéniable qu’aurait pu constituer le retour à la circonscription unique.
En premier lieu, le maintien du seuil de 5 % pour accéder à la répartition des sièges. Ce seuil instauré en 1977 n’a pas été revu depuis lors. Seuls neuf pays européens l’ont adopté. Tous les autres, dont l’Allemagne, ont des seuils plus bas – de 4 %, 3 %, voire 0 %.
Le chiffre de 5 % est d’autant plus surprenant que le seuil fixé pour accéder au remboursement des frais de campagne est de 3 %. Soyons cohérents : alignons ces deux chiffres pour favoriser le débat et la participation !
Le maintien du seuil de 5 % pour accéder à la répartition des sièges est un élément décisif dans notre choix de rejeter le présent projet de loi, mais il n’est pas le seul.
Ce texte substitue au temps d’égalité qui prévalait pour la campagne officielle des élections européennes le principe d’équité pour l’une des parts de la répartition, poursuivant en cela l’œuvre déjà entamée lors du quinquennat précédent.
Le dispositif proposé, complexe, favorise, d’une part, les partis dominants, et, d’autre part, l’influence des médias télévisés et instituts de sondage sur la vie politique. Le pluralisme et la démocratie sont gravement mis en cause par cette disposition, sentiment renforcé par l’ajout en cours de la discussion à l’Assemblée nationale d’un article – ou plutôt d’un cavalier législatif – instaurant le même dispositif pour les élections législatives. Pourquoi une telle précipitation ?
Emmanuel Macron applique encore une fois son fameux « en même temps ». L’habillage paraît relever du bon sens démocratique, mais lorsque vous examinez le contenu, c’est un verrouillage sophistiqué du système que vous découvrez.
Dans son discours à la Sorbonne, le chef de l’État a invité les citoyens à refonder le débat sur l’Europe et les élections européennes « par la base, par le bas, par le vrai ». Je suis d’accord ! Il n’y aura pas d’avenir en Europe sans écouter l’aspiration des peuples. Peut-être M. Macron devrait-il appliquer ces beaux préceptes dès aujourd’hui !
En tout état de cause, si nos amendements ne sont pas adoptés, nous voterons contre le présent projet de loi qui, en l’état, menace le pluralisme. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Jean-Yves Leconte. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’article 14 du traité fondateur de l’Union européenne dispose : « Le Parlement européen est composé de représentants des citoyens de l’Union. »
Il me semble important de le préciser à cette étape du débat, car certains ont l’impression que le Parlement européen représente non pas les citoyens européens, mais les États.
Lors des élections de cette instance, les électeurs sont non pas des sujets des États membres, mais des citoyens européens. Depuis le traité de Maastricht, ils votent d’ailleurs dans leur pays de résidence : un Français peut voter à Malte et un Maltais peut le faire en Pologne.
Les modifications qui nous sont proposées au travers du présent projet de loi interviennent certes, comme le veut le principe républicain, un an avant les élections concernées, mais à un moment où les discussions menées au sein du Conseil européen sur le nombre de sièges n’ont pas encore abouti. En effet, selon toute vraisemblance, les soixante-treize sièges britanniques seront vacants en juin 2019.
Le traité de l’Union européenne précise d’ailleurs que le nombre de représentants au Parlement européen ne peut pas dépasser 750, que la représentation d’un État membre ne peut être inférieure à 6 et qu’elle ne peut pas dépasser 96. Notons toutefois qu’une personne qui a été élue sur le territoire de Malte représente beaucoup moins de citoyens européens qu’une autre qui l’a été sur le territoire français ou le territoire allemand : ce n’est pas tout à fait proportionnel.
En tout état de cause, compte tenu du départ des députés britanniques, la commission des affaires constitutionnelles du Parlement européen a émis un certain nombre de propositions visant à faire évoluer le nombre d’élus issus de chaque État membre en fonction de l’évolution démographique d’un certain nombre d’États membres, à faire en sorte que le nombre maximal de députés ne soit pas atteint, de manière à pouvoir accueillir de nouveaux États membres sans avoir à réguler le nombre de députés européens, et, enfin, à créer une éventuelle liste transnationale.
Le Parlement européen a rendu sa copie, mais les États membres n’ont toujours pas fini – pardonnez-moi l’expression – leurs marchandages sur la répartition des sièges britanniques.
Nous débattons aujourd’hui d’un projet de loi électorale tout en ne connaissant pas, dans l’attente de la décision du Conseil européen, le nombre exact de députés que nous aurons à élire.
Par ailleurs, l’on peut déplorer les faibles taux de participation aux élections européennes, mais le Parlement européen vote-t-il l’impôt ? Contrôle-t-il l’ensemble des dépenses européennes ? Dispose-t-il d’une capacité d’initiative parlementaire ? Non !
L’institution compétente dans ces différents domaines est la Commission européenne, et c’est pourquoi la pratique, instaurée en 2014, sur l’initiative du parti socialiste européen, de déclarer par avance son soutien à un candidat à la tête de la Commission européenne – en l’occurrence, Martin Schulz – constituait une avancée importante.
Les autres partis européens ont fait de même, en particulier le parti populaire européen, qui a gagné les élections à la suite desquelles Jean-Claude Junker est devenu le président de la Commission européenne.
Ce fut une énorme avancée, et même si la nouvelle n’a pas envahi les écrans en France, cette pratique a suscité des débats, en particulier entre les Spitzenkandidaten proposés par les différents partis politiques européens à la présidence la Commission européenne.
La Commission étant au cœur du pouvoir, il est essentiel que les candidats au Parlement européen s’engagent à soutenir un candidat à la présidence de celle-ci pendant la campagne plutôt que de reporter cette décision à des marchandages ultérieurs au sein du Parlement ou du Conseil européen.
Nous allons peut-être revenir sur cette avancée majeure que nous avons obtenue, non pas par les textes, mais par la pratique en 2014, mes chers collègues, car le Président de la République ne souhaite pas la conserver. Or si le président d’un grand État européen refuse le maintien de cette pratique, je redoute un recul démocratique…
J’en viens à la question des listes transnationales. Bien entendu, il serait souhaitable de créer de telles listes si nous voulons avancer dans la construction de l’espace public européen. De très nombreuses décisions économiques et sociales étant prises à l’échelon européen, il serait tout de même préférable que les citoyens puissent trancher directement en connaissance de cause au moment des élections de leurs représentants au Parlement européen, et que ces derniers s’engagent ensuite à exercer une influence sur la composition de la Commission européenne.
Cette proposition est intéressante, mais pour y souscrire pleinement, il faudrait encore travailler, notamment à l’harmonisation du financement des partis politiques européens et des campagnes européennes, car, en la matière, les États membres ont des pratiques très différentes.
Je me rappelle m’être engagé auprès de candidats en Pologne que je ne pouvais pas soutenir financièrement parce que seuls les Polonais étaient autorisés à le faire, y compris pour les élections européennes.
Il est donc important d’harmoniser le droit si nous voulons aller plus loin. Le Président de la République ayant annoncé son souhait d’aller dans ce sens, j’espère, madame la ministre, que le Gouvernement va continuer à s’engager pour que nous ayons une liste transnationale, si ce n’est en 2019, au moins en 2024, avec un encadrement des financements à l’échelle européenne.
J’en viens à la liste nationale qu’il nous est proposé de créer. À l’évidence, les listes par grandes régions n’ont pas permis de favoriser un débat européen lors des dernières élections. Les différentes opinions et options politiques n’ont pas réussi à s’incarner dans une voix à l’échelon national, malgré le débat des chefs de file de chaque grand parti européen candidats à la Commission européenne. Il y avait plusieurs régions, plusieurs candidats, et le débat européen a finalement été le grand perdant de ces élections.
Je crois que ce déficit d’incarnation peut être corrigé par la création d’une liste nationale qui favorisera – en France du moins – le débat européen.
Le groupe socialiste et républicain soutiendra donc cette proposition, tout en remarquant que, puisqu’il est question d’élections de représentants de citoyens qui vivent dans des territoires différents, il ne serait pas aberrant que certains territoires, du fait de leur situation particulière, soient traités différemment. Les pays et territoires d’outre-mer, les PTOM, qui sont associés à l’Union européenne, et les régions ultrapériphériques, les RUP, qui sont partie intégrante de l’Union européenne bien qu’elles ne fassent pas nécessairement partie de l’espace Schengen, doivent ainsi bénéficier d’une représentation spécifique. Nous aurons ce débat légitime.
J’en viens à la situation des Français établis hors de France, qui, lorsqu’ils résident dans un pays de l’Union européenne, pourront voter deux fois. Madame la ministre, permettez-moi de vous alerter sur les problèmes que peuvent poser les échanges d’informations entre les consulats des pays de résidence, où, en tant que ressortissants européens, ces Français peuvent voter aux élections municipales, et les responsables des listes électorales en France. En 2014, certains Français qui s’étaient inscrits aux élections municipales dans leur pays de résidence avaient été radiés des listes consulaires pour les élections européennes. Ils pensaient avoir la possibilité de voter deux fois et n’ont pas pu voter du tout.
Nous présenterons quelques amendements relatifs à l’outre-mer, d’une part, et au temps de parole, d’autre part. Une partie des consultations citoyennes sur l’Europe va se dérouler en même temps. Dans ce contexte, il nous semble important de souligner qu’il n’y a pas, d’un côté, ceux qui sont pour l’Europe, et, de l’autre, ceux qui sont contre, mais qu’il y a des avis différents sur l’avenir de l’Europe et sur la manière de l’aborder. Chacun a droit d’avoir un avis sans être stigmatisé. Ces consultations ne doivent pas se résumer à un tri binaire.
Enfin, je veux souligner que le nouveau dispositif de listes électorales permettant de s’inscrire jusqu’à cinq semaines avant l’élection sera mis en œuvre pour la première fois à l’occasion des prochaines élections. Cette expérimentation sera intéressante.
Cela étant, vous l’avez compris, mes chers collègues, le groupe socialiste et républicain présentera un certain nombre d’amendements, mais il est globalement favorable à la création d’une liste nationale. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. André Gattolin, pour le groupe La République En Marche.
M. André Gattolin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, 42, 43, 8, 1 et 24 : non, ce n’est pas le résultat du dernier tirage de l’Euromillion, bien que cela y ressemble ! (Sourires.)
En fait, ces cinq chiffres résument presque à eux seuls la pertinence du projet de loi relatif à l’élection des représentants au Parlement européen que nous examinons aujourd’hui et les raisons de son dépôt.
Tout d’abord, 42 comme 42 % d’électeurs français seulement qui se sont rendus aux urnes lors des dernières élections européennes de 2014.
M. François Bonhomme. Cela ne va pas s’arranger !
M. Charles Revet. Cela ressemble beaucoup aux dernières législatives !
M. André Gattolin. Il s’agit du second plus faible taux de participation, à une courte encablure derrière le score du scrutin de 2009 qui était le plus déserté de tous les scrutins européens depuis 1979.
Les Français ne s’intéresseraient pas à l’Europe en raison du caractère trop lointain de ses institutions et de ses représentants.
En 2008, les bons docteurs de l’époque pensaient avoir trouvé le remède : il suffisait de découper le malade en 8 grandes eurorégions, et le tour serait joué ! On allait ainsi rapprocher les eurodéputés de leurs électeurs, et ces derniers se rueraient de nouveau dans les isoloirs. Mais patatras, après trois scrutins sur le mode eurorégional, les chiffres sont sans appel : c’est non pas le malade qui était imaginaire, mais bien les médecins qui prétendaient le soigner.
Ainsi, le taux moyen d’abstention lors des trois derniers scrutins européens est supérieur de plus de sept points à celui des trois précédentes élections qui se tenaient dans le cadre d’un collège unique.
Les effets du redécoupage en cause n’expliquent pas tout, mais croire qu’on instaurerait de cette façon une plus forte proximité grâce à quelques eurodéputés dispersés sur de très vastes territoires a quand même de quoi faire sourire les sénateurs que nous sommes et qui savent combien il est difficile d’être présent sur tout un département !
La réforme de 2003 était si judicieuse qu’elle a provoqué la dénationalisation du débat sur l’Europe. Les médias ont alors profité de la brèche pour réduire leur traitement des élections européennes, prétextant la démultiplication et l’extrême hétérogénéité des listes en présence. Sans un débat un tant soit peu médiatisé, il ne faut pas s’étonner de la faible mobilisation du corps électoral.
Ensuite 43, comme 43 % de femmes au sein de la délégation française issue des élections européennes de 2014. C’est déjà plus que la moyenne européenne, et plus aussi que le pourcentage observé lors des autres scrutins nationaux en France, mais dans un pays où la loi impose la parité lors des élections et dans un scrutin où la proportionnelle est de mise, le décalage observé au final est pour le moins surprenant.
L’explication tient encore un chiffre : 8, comme 8 eurocirconscriptions, ce redécoupage ayant accru la tentation des partis de placer trop systématiquement un homme en tête de liste à ces élections. Avec un, ou plutôt une circonscription unique au lieu de 8, les élections européennes de 2014 auraient conduit à élire plus de 48 % de femmes en France.
A contrario, le redécoupage en treize eurorégions métropolitaines, que certains ont proposé, aurait eu pour effet singulier de faire chuter la représentation féminine, sur la base des résultats de 2014, nettement en dessous des 40 %.
Oui ! Le retour à une circonscription unique est plus juste et plus équitable dans le cadre d’une élection à la proportionnelle telle que décidée par l’Acte européen du 20 septembre 1976 dont les lois françaises du 30 juin et du 7 juillet 1977 ont transposé les dispositions relatives à l’élection des représentants au Parlement européen dans le droit français.
M. François Bonhomme. Nous sommes sauvés !
M. André Gattolin. Ce retour à la circonscription unique est aussi plus juste en matière de représentation des formations politiques ayant franchi le seuil des 5 % des suffrages exprimés. Car, de fait, la fragmentation en multiples eurocirconscriptions a pour effet mécanique de rehausser le seuil d’éligibilité des candidats, provoquant une sorte de prime majoritaire en faveur des listes réalisant les plus forts scores au détriment des autres.
Généralement en France, lorsqu’un gouvernement engage une réforme électorale, celle-ci n’est jamais dénuée d’arrière-pensées, et il est en fréquent que le parti au pouvoir fasse en sorte que le nouveau dispositif le favorise arithmétiquement. Eh bien, telle n’est pas la motivation de la majorité aujourd’hui !
En effet, le retour à la circonscription unique devrait procurer à La République En Marche et à ses alliés moins de sièges que ce qu’un découpage en huit eurorégions pourrait lui valoir, au regard des récentes projections électorales.
Si nous proposons ce dispositif, c’est tout simplement qu’il est plus juste et plus équitable politiquement.
Alors, à défaut d’avoir une arrière-pensée électoraliste, nous avons bel et bien une arrière-pensée politique : celle de remettre l’Europe – plus encore qu’à l’occasion de l’élection présidentielle de l’an passé – au cœur du débat politique national. Bien évidemment, c’est risqué, mais nous n’avons pas l’intention d’esquiver ce défi majeur pour notre pays.
Il n’y a que les batailles que l’on refuse de mener qui conduisent à coup sûr à la défaite. Ce que nous voulons, c’est plus et mieux d’Europe, en même temps que nous voulons plus de France en Europe !
Je conclurai mon propos en avançant un dernier chiffre : 24. En effet, 24 sur 27, c’est le nombre d’États membres qui procéderont aux prochaines élections européennes dans le cadre d’une circonscription unique si, mes chers collègues, nous adoptons ce texte.
Avoir un mode de scrutin le plus harmonisé possible, c’était bien l’esprit qui présidait aux débats préalables à l’adoption de l’Acte européen de 1976. Nous avons là une belle occasion de parachever ce vœu. Ne nous en privons pas !
Pour toutes ces raisons, le groupe La République En Marche votera résolument en faveur du présent texte. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures trente, est reprise à seize heures quarante-cinq, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
M. le président. La séance est reprise.
8
Questions d’actualité au Gouvernement
M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.
Je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat, sur le site internet du Sénat et sur Facebook.
Je rappelle également que l’auteur de la question dispose de deux minutes trente, de même que la ou le ministre pour sa réponse. J’invite chacun à veiller au respect du temps qui lui est imparti et à la courtoisie.
situation en syrie (I)
M. le président. La parole est à M. Claude Malhuret, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.
M. Claude Malhuret. Monsieur le Premier ministre, au moment même où nous parlons, le Conseil de sécurité des Nations unies est réuni à New York.
Le sujet, triste litanie, est une fois de plus le massacre de nombreux civils syriens par une attaque aux armes chimiques dans la banlieue de Damas par les troupes de Bachar el-Assad.
Triste litanie aussi que le déni des parrains russes du dictateur, complices et coupables, dont l’ambassadeur à l’ONU explique sans rire qu’il s’agit de fake news, comme il l’a fait il y a quelques jours dans l’affaire du Novitchok à Londres.
Le ministre de l’Europe et des affaires étrangères a annoncé ce week-end que la France prendrait ses responsabilités pour faire respecter le droit international.
Je n’interviens pas pour vous demander d’annoncer, monsieur le Premier ministre, que vous allez envoyer les avions et les bombes.
D’abord, au cas où vous auriez décidé de le faire, vous n’allez évidemment pas prévenir. Par ailleurs, nous connaissons trop désormais les conséquences catastrophiques de certaines « guerres humanitaires » pour ne pas réfléchir à deux fois à la nature de notre réponse. Mais il faut se rendre à l’évidence : la même situation s’est présentée il y a un an. Les Américains ont alors frappé une base vide, un acte sans lendemain. Et les massacres ont recommencé ; et les gaz ont refait leur apparition.
Ma question est la suivante, monsieur le Premier ministre : y a-t-il un moyen pour la France et ses alliés de mettre fin à l’impunité des auteurs de ces actes inhumains, et comment la France peut-elle agir face à un régime irresponsable soutenu par un membre du Conseil de sécurité ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe La République En Marche, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Monsieur le président Malhuret, un an presque jour pour jour après le massacre de Khan Cheikhoun, deux nouvelles attaques à l’arme chimique sont intervenues récemment. Avec ces deux attaques chimiques, c’est une nouvelle fois le droit international et l’expression de la plus simple humanité qui ont été bafoués.
Ces atteintes sont dues au régime syrien et elles traduisent le fait que le régime syrien, le système auquel nous faisons face, ne reculera devant aucune transgression pour obtenir ce qu’il cherche, c’est-à-dire la fin militaire de toute résistance ou de toute opposition.
La guerre dure depuis sept ans, monsieur le président, et elle a fait un nombre de morts considérable. Mais l’emploi de l’arme chimique ne ressemble pas à celui d’autres armes et il ne peut pas être mis dans la même catégorie.
Avoir recours à l’arme chimique, c’est fondamentalement transgresser l’ordre international ; c’est assumer une violation caractérisée du protocole de 1925, de la convention de 1993 et de plusieurs résolutions des Nations unies.
Utiliser l’arme chimique, c’est dire quelque chose ; c’est faire quelque chose. Et je crains, monsieur le président, que notre réponse à l’utilisation de cette arme ne dise quelque chose sur nous, ne dise quelque chose de notre réaction, de la capacité que nous avons et de l’engagement que nous avons à faire respecter un ordonnancement international fragile, c’est vrai, mais auquel nous sommes attachés.
Face à ces événements qui, je veux le souligner, sont d’une extrême gravité, le Président de la République l’a dit, la France assume ses responsabilités. Nous avons saisi le Conseil de sécurité – il s’est réuni hier et se réunit de nouveau aujourd’hui – pour demander l’arrêt des hostilités, pour demander l’instauration d’un cessez-le-feu immédiat et pour insister sur la nécessité de créer ou, plus exactement, monsieur le président, de recréer un mécanisme d’enquête international sur les attaques chimiques.
Pour ce faire, nous nous coordonnons évidemment étroitement avec nos alliés et nos partenaires, notamment les États-Unis d’Amérique.
En outre, nous agissons pour que jamais – j’y insiste : jamais – l’emploi d’armes chimiques ne puisse avoir lieu en se prévalant d’une impunité quelconque. Tel est bien le sens de l’initiative qui a été lancée par Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères, en janvier dernier, pour faciliter l’identification des individus ou des entités qui collaborent à ces programmes d’armes chimiques.
Pour conclure, mesdames, messieurs les sénateurs, je dirai que l’émotion et l’horreur que suscitent ces actes sont évidemment partagées sur toutes ces travées. Nous savons tous ici que la solution à la crise syrienne sera une solution politique : aucune autre solution ne peut durablement régler le problème syrien. Mais, monsieur le président, je veux le dire, il ne peut pas y avoir de diplomatie crédible si de telles atrocités ne donnent pas lieu à une réponse forte, à une réponse unie, à une réponse résolue de la communauté internationale. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Claude Malhuret, pour la réplique.
M. Claude Malhuret. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le Premier ministre. À mon avis, il n’y a qu’un seul impératif aujourd’hui : que la France et tous les pays démocratiques parviennent par tous les moyens à rétablir le tabou sur les carnages causés par l’usage des armes chimiques. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe La République En Marche.)
autisme
M. le président. La parole est à M. Philippe Mouiller, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Mouiller. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, ma question, qui s’adresse à Mme Sophie Cluzel, concerne le quatrième plan Autisme, pour la période 2018-2022.
Je tiens, tout d’abord, à souligner le montant budgétaire de ce nouveau plan, fixé à 344 millions d’euros, montant supérieur à ceux des précédents programmes. Toutefois, je suis aujourd’hui inquiet du décalage entre les annonces du Président de la République de faire de la prise en charge de l’autisme une priorité nationale et les moyens qui y sont consacrés.
En effet, sur une durée de cinq ans, le montant alloué à ce nouveau plan est d’environ 69 millions d’euros annuels. Est-ce suffisant pour financer un programme ambitieux ?
Un montant de 69 millions d’euros par an pour améliorer le diagnostic, alors que les centres de ressources autisme sont saturés et trop peu nombreux ?
Un montant de 69 millions d’euros par an pour permettre la scolarité des enfants, alors que nous avons pris beaucoup de retard pour ce qui concerne la formation des enseignants et que nous manquons d’auxiliaires de vie scolaire spécialisés ?
Un montant de 69 millions d’euros par an pour organiser des parcours de soins coordonnés pour les enfants âgés de zéro à quatre ans, alors que l’on estime le nombre d’enfants autistes compris entre 35 000 et 50 000 ?
Un montant de 69 millions d’euros par an pour proposer une offre médico-sociale et des services adaptés à plus de 600 000 personnes atteintes de troubles autistiques, alors que seulement un tiers d’entre elles disposent d’une prise en charge de qualité ? Et, je n’oublie pas la situation des 6 500 Français exilés en Belgique…
Mon énumération est loin d’être complète, mais vous comprenez bien que nos inquiétudes sont avérées.
Madame la secrétaire d’État, pensez-vous que ce quatrième plan soit à la hauteur d’une priorité nationale ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée des personnes handicapées.
Mme Sophie Cluzel, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée des personnes handicapées. Monsieur le sénateur Mouiller, je sais votre engagement sur ce sujet et sur la politique du handicap en général.
Au terme de neuf mois de concertation, la stratégie nationale pour l’autisme est à la hauteur des ambitions et des attentes des familles ; le Premier ministre l’a dévoilée vendredi dernier : on peut dire que cette ambition a été inégalée jusqu’à aujourd’hui, avec une augmentation de 60 % par rapport aux précédents plans. Nous ne parlons plus de plan ; nous parlons d’une véritable stratégie nationale, derrière laquelle, collectivement, le Gouvernement est engagé.
Oui, nous allons mettre les moyens pour pouvoir intervenir précocement, surtout avec un reste à charge pour les familles fortement diminué : plus de 90 millions d’euros seront vraiment investis pour débloquer ces verrous, comme vous l’avez très bien dit, qui sont encore une réalité concernant le diagnostic. Nous interviendrons avant pour diminuer le sur-handicap ; c’est un engagement fort que nous avons pris avec la ministre des solidarités et de la santé.
Oui, nous allons parler de vrai parcours scolaire : un investissement massif de l’éducation nationale, avec plus de 103 millions d’euros, contre 6 millions dans les plans précédents.
Alors, oui, ce sont des parcours de qualité, sur lesquels Jean-Michel Blanquer s’investit : depuis la maternelle, avec des équipes renforcées et des vrais parcours, jusqu’à l’université pour ceux qui peuvent y accéder.
Oui, là aussi, c’est un investissement de l’enseignement supérieur pour pouvoir offrir aux autistes un vrai parcours de qualification, avec une recherche d’excellence, remise au cœur de notre politique publique : plus de 14 millions d’euros pour des cohortes d’excellence, des centres d’excellence, des profils de postes universitaires – plus de dix postes seront consacrés à la recherche non seulement fondamentale, mais aussi appliquée.
Alors oui, l’ambition est là, et je veillerai personnellement à ce que tous les euros soient totalement investis dans cette stratégie, dans cette cohésion nationale, pour lutter vraiment contre la désinclusion des personnes autistes qui existe aujourd’hui. Nous voulons une société inclusive, et nous allons la bâtir tous ensemble. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Mouiller, pour la réplique.
M. Philippe Mouiller. Madame la secrétaire d’État, je ne peux que saluer vos propos et l’engagement que vous exprimez aujourd’hui. Mais lorsque je prends ma calculette, je suis inquiet quant à la capacité réelle à mener toutes les politiques ambitieuses que vous venez de présenter.
L’enjeu, notamment pour les associations de parents, c’est d’avoir un objectif, mais je crains la non-capacité de le traduire en actes et en solutions pour les familles.
Je n’ai pas abordé le volet de la simplification administrative : la particularité des différents plans Autisme est que, souvent, nous n’avons pas les moyens de consommer les crédits. Le temps de la politique et de l’administration n’est pas le temps des familles. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Sophie Joissains applaudit également.)
relations entre l’éducation nationale et les géants du web
M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
Mme Catherine Morin-Desailly. Ma question, qui s’adresse à Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale, porte sur les relations qu’entretient son ministère avec certaines entreprises du numérique.
Monsieur le ministre, j’ai été très surprise de l’annonce du recrutement du directeur du numérique éducatif par Amazon France. Ce débauchage fait suite à celui, tout aussi regrettable il y a quelques mois, du directeur général de l’ARCEP, l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, par Google.
Vous me répondrez sûrement que la commission de déontologie de la fonction publique s’est prononcée. Certes, mais ce débauchage nourrit l’inquiétude. Nous sommes nombreux au Sénat à nous préoccuper de la perméabilité de l’éducation nationale à l’influence des géants américains du numérique.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Très bien !
Mme Catherine Morin-Desailly. Une série de contrats conclus avec Google et Microsoft sans même d’appels d’offres du temps de votre prédécesseur fait craindre une mainmise progressive de ces acteurs sur la vie de millions d’enfants et d’enseignants.
Ne soyons pas naïfs ! Ces géants américains de l’internet mènent des stratégies d’influence avérées et étudiées, parfois déguisées derrière le soutien à l’innovation pédagogique : Microsoft soutient le forum des enseignants innovants ; après la Grande École du numérique, voilà que Google va financer la chaire sur l’intelligence artificielle de l’École polytechnique.
Est-il normal, par ailleurs, que des sorties de classe aient lieu dans des boutiques Apple ? Cela pose la question du respect de la neutralité du service public ! Au demeurant, vous en conviendrez, la place de ces écoliers serait plutôt au musée ou à la bibliothèque…
Pour rassurer, votre directeur du numérique s’appuyait sur des chartes conclues avec les GAFAM – Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft. Or, on le sait, la captation et le microtargeting des données sont le fondement du modèle économique de ces entreprises. La scandaleuse affaire Cambridge Analytica-Facebook vient démontrer que nous ne pouvons pas nous satisfaire d’engagements, de promesses et de chartes, même si le règlement général sur la protection des données s’appliquera désormais.
Ne pensez-vous pas, monsieur le ministre, qu’il est temps de clarifier la position de votre ministère sur cette question ? (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’éducation nationale.
M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale. Madame la présidente Morin-Desailly, je vous remercie de cette question, qui porte sur un sujet absolument essentiel, un sujet de notre temps, pour lequel nous devons avoir une position d’équilibre : nous devons en avoir une claire conscience, nous avons de grands acteurs du numérique qui sont importants dans notre société, et nous devons évidemment faire en sorte que l’école ne soit pas perméable à des influences qui ne doivent pas avoir lieu.
Votre question comporte plusieurs volets, auxquels je tenterai de répondre.
Concernant, tout d’abord, la question du départ de notre directeur du numérique, je vous confirme ce départ, qui fait en effet l’objet d’un examen par la commission de déontologie, dont j’attends la réponse. Nous verrons alors ce qu’il en est, et je ne me prononcerai donc pas à ce stade. Je tiens simplement à souligner que l’éducation nationale n’a aujourd’hui aucune relation contractuelle avec Amazon.
Concernant les GAFA – Google, Apple, Facebook et Amazon –, vous avez soulevé un véritable problème. Nous le savons bien, les données sont aujourd’hui considérées comme le nouvel or, un nouveau trésor.
Oui, vous avez raison, bien évidemment, l’école, le collège et le lycée ne sauraient être considérés comme des lieux d’entrée et de sortie en la matière, avec la possibilité de puiser dans les données ; je serai extrêmement vigilant sur ce point. Il est possible que des situations de fragilité aient été causées dans le passé, mais je serai le premier gardien d’une solidité à l’avenir, avec le futur directeur du numérique.
Les visites dont vous avez parlé me donnent l’occasion de dire que les sorties scolaires sont extrêmement importantes et que, de plus en plus, dans le futur, nous allons les encourager avec les collectivités locales. Oui, vous avez totalement raison, il vaut mieux aller au musée, dans la forêt ou à la bibliothèque que dans une boutique Apple. Je pense que ceux qui ont organisé cette visite étaient animés d’une certaine bonne volonté ; ils ont fait une erreur, je le leur ai dit, et cela ne doit plus se reproduire à l’avenir.
Quoi qu’il en soit, il importe que les sorties scolaires soient intéressantes pour nos élèves et que l’école reste évidemment le lieu de la République protégé des influences, mais aussi ouvert sur l’avenir. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour la réplique.
Mme Catherine Morin-Desailly. Je vous remercie de cette réponse, monsieur le ministre.
Plus largement, je veux souligner que, au moment même où Marc Zuckerberg est auditionné par le Congrès américain, il nous faut absolument renoncer à cette complaisance naïve que nous avons entretenue jusqu’à maintenant dans nos relations avec ces entreprises, qui ont leur propre agenda, leurs propres objectifs à atteindre. Cela ne veut pas dire qu’il faut se fermer à la technologie, au développement et au progrès, mais cela signifie tout simplement qu’il faut être lucide pour la construction d’un avenir…
M. le président. Je vous demande de conclure, ma chère collègue !
Mme Catherine Morin-Desailly. … fondé sur nos valeurs, les libertés fondamentales chères à l’Europe. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Républicains, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
situation en syrie (ii)
M. le président. La parole est à M. Bernard Cazeau, pour le groupe La République En Marche.
M. Bernard Cazeau. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, ma question va dans le même sens que celle de Claude Malhuret.
La situation en Syrie évolue de jour en jour. Après les attaques de l’armée turque au nord, sur Afrin, c’est aujourd’hui l’armée syrienne qui utilise des armes chimiques au sud, sur la région de la Goutha orientale.
Par défaut, le Conseil de sécurité des Nations unies, saisi par la France, a décidé d’y mener « une enquête approfondie ». Pouvons-nous nous contenter de ce type de réponse, alors que la grande majorité de la communauté internationale a fait de l’emploi d’armes chimiques une « ligne rouge », un usage contraire au droit international, comme vous l’avez rappelé, monsieur le Premier ministre ?
Alors que l’on pouvait espérer s’orienter vers une résolution du conflit il y a quelques semaines, après la chute de Daech, on a désormais l’impression, au contraire, que les choses s’accélèrent sous l’œil bienveillant de la Russie.
Pouvez-vous nous rappeler aujourd’hui, madame Loiseau, vous qui êtes chargée de me répondre, la position précise de la France sur le conflit syrien et nous indiquer quelles initiatives la France peut prendre pour stopper cette escalade et aller vers le règlement de cet affrontement ? (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes.
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Monsieur le sénateur Cazeau, le samedi 7 avril dernier, deux attaques chimiques ont eu lieu à Douma, en Syrie. Ces attaques ont causé un bilan encore provisoire, mais déjà terrifiant : au moins cinquante morts et un millier de blessés, des civils, des hommes, des femmes et des enfants.
En 1925, en adoptant le protocole de Genève qui interdisait les gaz asphyxiants, la communauté internationale avait dit : « Plus jamais ça » ! En 1993, en adoptant la convention interdisant l’usage des armes chimiques, la communauté internationale avait encore dit : « plus jamais ça ».
Qui est derrière ces attaques perpétrées en Syrie ? Leurs auteurs ont sans aucun doute utilisé du chlore et des gaz neurotoxiques, au vu des symptômes constatés chez les victimes. Les responsables sont ceux qui détiennent le savoir-faire pour développer ce type d’agents toxiques et ceux qui croient dans leur intérêt militaire de les utiliser.
Aussi fait-il peu de doute que le régime syrien est derrière ces attaques. Qu’en est-il de la responsabilité des alliés du régime syrien ? On le sait aujourd’hui : pas un seul avion syrien ne décolle sans que les autorités russes en soient informées. Nous demandons donc à la Russie un comportement de responsabilité.
C’est ce qui nous a conduits à saisir le Conseil de sécurité, lequel s’est réuni hier soir et se réunit de nouveau en ce moment. C’est ce qui conduit aussi le Président de la République à engager la concertation avec nos partenaires et nos alliés. Celui-ci s’est entretenu deux fois avec le président Trump et également avec la Première ministre britannique.
La communauté internationale est aujourd’hui face à ses responsabilités. Nous devons ensemble, de manière unie et résolue, tenir nos engagements, tenir notre parole ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – Mme Fabienne Keller applaudit également.)
politique agricole commune
M. le président. La parole est à M. Franck Menonville, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. Franck Menonville. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, ma question s’adresse à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
La commission des affaires européennes du Sénat a organisé il y a quelques jours une rencontre entre sénateurs, députés et représentants français du Parlement européen.
Si cet échange de vues sur l’actualité fut passionnant, je ne vous cacherai pas néanmoins l’inquiétude qu’il a suscitée s’agissant du financement de la prochaine réforme de la politique agricole commune, la PAC.
Les craintes que nous entendons souvent dans nos territoires ont malheureusement été corroborées par les propos de nos interlocuteurs. Il semble que nous allions vers des coupes budgétaires drastiques dans le budget 2021-2027 de la PAC. Le commissaire européen Günther Oettinger a ainsi publiquement évoqué la perspective d’une baisse de 5 à 10 % de ce budget, soit plus de 3 milliards d’euros de moins par an, un chiffre qui dépasse l’entendement.
Qui plus est, s’y ajouterait, dans le cas de la France, l’impact des revendications des pays de l’est de l’Union européenne qui portent sur une harmonisation « complète et rapide » du montant des paiements directs. Dès lors qu’il s’agit d’un jeu à somme nulle entre les États membres, notre pays ne peut qu’y perdre.
Comment consentir de tels sacrifices lorsque 30 % de nos agriculteurs ont des revenus de l’ordre de 350 euros par mois ? Jusqu’à présent, le Gouvernement a toujours indiqué – je reprends les propos de la ministre des affaires européennes – que la France était prête à moderniser la PAC, mais pas à la sacrifier.
Pour un groupe aussi attaché à la construction européenne que celui du RDSE, lequel a défendu sans relâche le bien-fondé d’une politique agricole commune ambitieuse, il n’est pas question de partager l’idée d’un quelconque renoncement en la matière. Pourriez-vous nous donner plus d’éléments, monsieur le ministre et, surtout, nous rassurer sur le financement de la politique agricole commune à l’horizon 2020 ?
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue !
M. Franck Menonville. Dans nos territoires, vous le savez, les agriculteurs vivent dans l’angoisse d’un présent déjà difficile. Ils ont besoin d’un signal fort du Gouvernement et du Président de la République, afin d’organiser leur avenir ! (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
M. Stéphane Travert, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le sénateur Franck Menonville, je vous remercie de votre question, qui me permet de rappeler que la politique agricole commune est une priorité pour la France.
Justement, nous nous rendons dans toute l’Europe pour porter et promouvoir la position française sur cette future politique agricole commune, que nous sommes en train de construire avec nos partenaires.
Monsieur le sénateur, vous l’avez dit, nous souhaitons une PAC beaucoup plus ambitieuse, une PAC plus solide, une PAC qui préserve des filets de sécurité pour l’ensemble de nos agriculteurs, une PAC qui permette également d’assurer la compétitivité de nos modèles agricoles, une PAC, enfin, qui nous garantisse de disposer demain d’une réserve de crise plus facile à utiliser et à mobiliser en fonction des aléas climatiques et sanitaires.
Si nous souhaitons doter la PAC d’un budget très ambitieux, malgré les craintes exprimées par beaucoup au sujet du Brexit ou des besoins liés aux politiques nouvelles en matière d’immigration ou de défense, par exemple, c’est avant tout parce que nous sommes porteurs de cette vision-là de la PAC. Il s’agit d’une politique totalement intégrée aujourd’hui, qui assure ici, en France, un taux de retour des plus importants. Nous y sommes également attachés, parce qu’il s’agit de l’une des plus anciennes politiques européennes qui est aux fondements de la construction de l’Europe.
Monsieur le sénateur, vous pouvez compter sur notre mobilisation, ainsi que sur l’engagement des uns et les autres pour faire en sorte que la « ferme France » continue à bénéficier de paiements directs en vertu du premier pilier – en effet, nous n’accepterons pas d’ouvrir ce premier pilier au cofinancement – et que le deuxième pilier nous permette de défendre une véritable ambition environnementale dans le cadre des politiques que nous soutenons.
Vous voyez, monsieur le sénateur, nous sommes en train de défendre cette position française, cette exigence française auprès de nos partenaires, et nous aurons besoin de vous tous pour nous aider à la défendre dans l’ensemble des capitales européennes ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
mouvement social dans les universités
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, mes chers collègues, ma question s’adresse à M. le Premier ministre.
Ce matin, dans une tribune publiée par France Info, 425 enseignants dénoncent la loi relative à l’orientation et à la réussite des étudiants et sa plateforme Parcoursup. Ils appellent au retrait de cette « réforme absurde » et expriment leur soutien aux étudiants mobilisés depuis des semaines. Ces étudiants, ces enseignants rejettent – à raison – une sélection à l’entrée de l’université qui ne dit pas son nom ! (Brouhaha sur les travées du groupe Les Républicains.) Vous pourriez avoir la politesse de vous taire tout de même, mes chers collègues ! (Exclamations sur les mêmes travées. – Sourires et applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
Le diagnostic est pourtant simple : faute de places et de moyens, tous les étudiants ne peuvent être accueillis dans l’enseignement supérieur français. Quant au milliard d’euros évoqué par Mme la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation et destiné à la refonte du premier cycle, nul n’en a encore vu la couleur et aucun document budgétaire n’y fait référence. Or la réforme à mener doit avant tout donner les moyens d’un fonctionnement décent à nos universités.
Hier, des CRS ont interrompu une réunion d’étudiants et d’enseignants sur le campus de Nanterre. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.) Je finirai mon intervention quoi qu’il en soit, mes chers collègues ! (Sourires.)
Bel exemple de réponse du Gouvernement à la contestation de sa politique : la violence ! Le Gouvernement répond par la violence dans les universités, à Notre-Dame-des-Landes, (Vives protestations et huées sur les travées du groupe Les Républicains.), violence physique ou symbolique contre tous ceux qui résistent aux réformes !
M. François Grosdidier. Ce sont les squatteurs qui sont violents !
Mme Esther Benbassa. Ma question est simple : monsieur le Premier ministre, pour les étudiants, mais aussi pour les cheminots, les soignants, les avocats, les magistrats, pour tous ceux qui défendent le service public, allez-vous persévérer dans la stratégie du pourrissement et du clivage ou ferez-vous enfin le choix de la détente et de la concertation,…
M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue, car j’ai déjà laissé jouer les arrêts de jeu !
Mme Esther Benbassa. … en revenant, s’il le faut, sur des réformes dont les premiers acteurs concernés ne veulent pas ? Bel exemple de démocratie ! (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation.
Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Madame la sénatrice Benbassa, il est très important de ne pas mélanger deux choses : d’un côté, ce qui se passe effectivement dans certaines universités, avec des étudiants qui débattent, assistent aux assemblées générales et, parfois, contestent, ce qui est leur droit ; de l’autre, la violence organisée par de petits groupes qui n’ont qu’une envie, celle de trouver une tribune au sein des universités. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. Jacques Grosperrin. Exactement !
Mme Laurence Cohen. Vous parlez de l’extrême droite ?
Mme Frédérique Vidal, ministre. Je tiens d’ailleurs à le rappeler, les universités sont des lieux de liberté et de débat, et non des lieux que l’on peut récupérer politiquement.
Mme Éliane Assassi. Vous pourriez au moins dire que c’est l’extrême droite qui est responsable !
Mme Frédérique Vidal, ministre. Ce qui s’est passé hier à Nanterre est très simple : une trentaine d’individus ont débarqué à six heures et demie du matin et cassé des portes. Ces faits constituent tout simplement un délit et il est normal que, dans ces conditions, le président de l’université ait demandé aux forces de l’ordre, dont c’est la mission, d’intervenir pour protéger le site, les personnels et les étudiants. Je peux vous certifier que c’est ce qui s’est passé hier à Nanterre.
Je voudrais que l’on arrête la désinformation…
Mme Laurence Cohen. Vous êtes bien placée pour savoir de quoi il s’agit !
Mme Frédérique Vidal, ministre. Il faut cesser de dire que nous allons brader les diplômes : c’est faux ! Il faut cesser de dire qu’il n’y aura plus de compensation ou de redoublement : c’est faux !
Je voudrais également que l’on arrête l’amplification. Un président d’université me disait encore hier que la réalité des universités aujourd’hui, c’est 70 étudiants en assemblée générale, dont 35 sont pour le blocage et 33 contre, mais c’est surtout 55 000 étudiants au travail ! Voilà la réalité des universités ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
Enfin, je voudrais rappeler que croire dans le débat, croire dans l’échange, croire dans la démocratie, c’est aussi entendre la voix du plus grand nombre, c’est-à-dire celle des étudiants qui s’expriment pour dire qu’ils souhaitent réviser et passer leurs examens.
Un sénateur du groupe Les Républicains. Ils veulent travailler !
Mme Frédérique Vidal, ministre. C’est aussi entendre le vote de la majorité des organisations syndicales des personnels et des étudiants qui ont approuvé la loi, et respecter le vote du Parlement, qui a choisi de supprimer le tirage au sort ! (Vifs applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
situation de l’écrivain et blogueur saoudien raif badawi
M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour le groupe socialiste et républicain.
Mme Laurence Rossignol. Monsieur le Premier ministre, en Arabie Saoudite, Raif Badawi, un intellectuel de trente-quatre ans, blogueur et libre-penseur, est en prison depuis 2012.
Il a été condamné à dix ans de prison et à mille coups de fouet en place publique, pour ajouter à la souffrance physique de la torture, celle de l’humiliation. Il a été reconnu coupable d’avoir troublé par ses écrits « l’ordre public, les valeurs religieuses et la morale ».
M. François Grosdidier. Cela ne choquait pas François Hollande à l’époque !
Mme Laurence Rossignol. Il a défendu, en effet, les droits des femmes saoudiennes, la liberté de conscience et la liberté d’expression. Raif Badawi est même accusé d’avoir déclaré que les musulmans, les chrétiens, les juifs et les athées sont tous égaux. Bien entendu, il ne l’a jamais dit, sinon cela ferait de lui un apostat.
Il a défendu un droit universel que revendiquent tous les défenseurs et militants des droits humains partout dans le monde : la liberté d’expression. Raif Badawi est devenu un symbole, celui de la liberté d’opinion dans des pays où règne l’arbitraire.
Le prince Mohammed ben Salmane achève aujourd’hui sa visite officielle à Paris. J’ai cru comprendre que le Président de la République se rendrait prochainement en visite à Riyad.
Monsieur le Premier ministre, au nom de Ensaf, sa femme, et de ses enfants qui vivent désormais au Canada, et au nom de tous ceux qui pensent que la France n’a pas que des contrats à vendre, mais qu’elle a aussi une autorité particulière à faire valoir en matière de droits humains, pourriez-vous nous dire si vous avez indiqué au prince Mohammed ben Salmane que la France et l’ONU considéraient que la détention de Raif Badawi était une atteinte aux droits fondamentaux et que sa libération contribuerait grandement à crédibiliser les faibles signaux que l’Arabie Saoudite nous envoie pour nous convaincre de ces évolutions ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes.
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Madame la sénatrice Rossignol, comme vous l’avez rappelé, Raif Badawi a été accusé d’apostasie et d’insulte à l’islam et a été condamné en appel à mille coups de fouet et à dix ans de prison en 2014.
M. Simon Sutour. On le sait déjà !
Mme Nathalie Loiseau, ministre. Il est détenu dans l’attente du réexamen de son dossier par la Cour suprême saoudienne. Son avocat a également été condamné à une lourde peine.
La situation de Raif Badawi a suscité une mobilisation internationale forte et légitime, animée en particulier par son épouse. Le Parlement européen lui a décerné le prix Sakharov en 2015. (Marques d’impatience sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Martial Bourquin. Il faut répondre à la question !
M. le président. Poursuivez, madame la ministre !
Mme Nathalie Loiseau, ministre. La France suit attentivement sa situation : nous sommes intervenus à plusieurs reprises auprès des autorités saoudiennes, y compris directement auprès du roi Salmane, pour que Raif Badawi bénéficie de mesures de clémence.
Au-delà de son cas personnel, la situation de Raif Badawi est emblématique des obstacles que rencontrent au Moyen-Orient, et notamment en Arabie Saoudite, les défenseurs des libertés d’expression, de conviction et de croyance. Nous parlons de libertés qui sont fondamentales. Nous parlons de valeurs universelles. Cela est d’autant plus nécessaire au moment où l’Arabie Saoudite est engagée, sous l’impulsion du prince Mohammed ben Salmane, dans un ambitieux programme de réformes qui ne porte pas que sur l’économie, mais qui dit viser aussi à moderniser la société et à promouvoir un islam de tolérance et d’ouverture.
M. Pierre-Yves Collombat. C’est bien parti !
Mme Nathalie Loiseau, ministre. Ces questions et le cas de M. Badawi sont des sujets que notre relation avec l’Arabie Saoudite nous permet d’évoquer sans détour, et c’est ce que nous faisons !
M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour la réplique.
Mme Laurence Rossignol. Madame la ministre, je vous remercie de cette réponse très précise. Il manque juste l’un des aspects de ma question : à l’occasion de la visite en France du prince Mohammed ben Salmane, hier et avant-hier, le Président de la République et le Premier ministre ont-ils directement évoqué la libération de Raif Badawi ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
neutralité des services de l’éducation nationale
M. le président. La parole est à M. François-Noël Buffet, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. François-Noël Buffet. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’éducation nationale.
Le 29 mars dernier, Mme Anne Brugnera, députée de la quatrième circonscription du Rhône, organisait une réunion publique intitulée « Plan étudiant et réforme du bac, pour la réussite de tous et de chacun », en présence de son collègue député, M. Jean-Luc Fugit, et du chef du service académique d’information et d’orientation.
Sur l’invitation apparaissaient les logos de l’Assemblée nationale, de la région académique Auvergne-Rhône-Alpes et de l’académie de Lyon. La diffusion de cette invitation a été assurée par les lycées. Celle-ci a en effet été adressée sous la forme d’un message électronique par certains chefs d’établissement – tous ne l’ont pas transmise, certains sont passés par la voie des fédérations de parents d’élèves – aux parents d’élèves de classes de terminale sur la demande expresse et incontestée des services de l’éducation nationale du Rhône. Mme le recteur l’a d’ailleurs confirmé la semaine dernière dans la presse locale.
Outre la participation d’un fonctionnaire à une réunion dont le caractère politique est clair, ces deux éléments corroborent le fait que les services académiques assument la publicité d’une réunion politique.
Permettez-moi encore une fois de m’étonner de ces méthodes d’un autre temps, dans une République qui se veut pourtant exemplaire !
Monsieur le ministre, ma question est simple : le principe de neutralité qui s’impose à nos services publics, et au service public de l’éducation nationale en particulier, existe-t-il encore ? (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’éducation nationale.
M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale. Monsieur le sénateur, votre question revêt plusieurs aspects.
D’abord, la question de l’orientation est très importante… (Vives protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Mathieu Darnaud. Ce n’est pas la question !
M. le président. Poursuivez, monsieur le ministre !
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Elle suppose que l’ensemble des élèves et leurs parents soient très bien informés, ce qui n’a pas toujours été le cas dans le passé. (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.) Il est tout à fait normal que des réunions soient organisées pour expliquer ce qu’il en est.
Les parlementaires sont d’abord et avant tout – je pense que vous serez d’accord avec ce que j’affirme – les représentants de la Nation : toute réunion qu’ils organisent n’est pas forcément une réunion politique ! (Exclamations amusées sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. David Assouline. En tout cas, elle n’est ni de droite ni de gauche !
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Chaque fois qu’une réunion publique est organisée, on peut parfaitement demander au rectorat d’y participer. Le recteur ou la rectrice académique doit statuer sur le caractère politique ou apolitique de cette réunion, ce qui a été fait dans le cas d’espèce.
J’ai moi-même vérifié : la réunion que vous évoquez n’avait strictement aucun caractère politique. (Vives protestations sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.) Il s’agissait d’une réunion d’information pour expliquer aux élèves et à leurs parents le sens de la réforme actuelle, information qui doit les aider à décider dans les meilleures conditions. Voilà ce qui s’est passé !
Bien entendu, le principe de neutralité est totalement respecté. (Nouvelles protestations et quelques huées sur les mêmes travées.) À aucun moment cette réunion n’a pris une tournure polémique. Je vois bien que vous cherchez justement à ouvrir une polémique aujourd’hui, mais si vous examiniez ce qui s’est réellement passé, vous verriez que cette réunion n’était pas ce que vous décrivez !
M. le président. La parole est à M. François-Noël Buffet, pour la réplique.
M. François-Noël Buffet. Monsieur le ministre, vous voyez bien que vos propos provoquent des réactions sur toutes les travées de cet hémicycle ! Même dans l’ancien monde, cela ne s’était pas produit ! (Rires. – Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain.) Dans le nouveau monde que vous nous proposez, vous êtes en train de bousculer ce qui constituait l’essentiel de ce que nous sommes, à savoir la neutralité du service public et de l’État !
Rien n’empêchait le préfet ou le recteur de convier tout le monde à cette réunion et d’y associer l’ensemble des parlementaires.
M. Bruno Sido. Cela n’a pas été fait !
M. François-Noël Buffet. Cela n’aurait posé aucun problème. En revanche, envoyer deux députés de La République En Marche dans le département du Rhône pour défendre votre projet de réforme, en dépit de tout ce qui se fait habituellement, n’est pas acceptable ! (Applaudissements nourris sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste , du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
algues sargasses en guadeloupe
M. le président. La parole est à M. Dominique Théophile, pour le groupe La République En Marche.
M. Dominique Théophile. Madame la ministre des outre-mer, la Guadeloupe, la Martinique et la Guyane sont confrontées à une crise sans précédent, due à une pollution d’ampleur exceptionnelle liée aux algues sargasses en provenance du Brésil.
Outre les effets désastreux de ces algues sur l’environnement et sur l’économie, c’est surtout à propos de la santé de nos concitoyens que l’inquiétude est grandissante. En pourrissant sur notre littoral, les sargasses dégagent du gaz d’hydrogène sulfuré et de l’ammoniac. Un rapport de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail publié en 2017 nous confirme cet état de fait.
En Guyane, c’est le secteur de la pêche qui est paralysé. En Guadeloupe, la commune de Capesterre, située sur l’île de Marie-Galante, est vidée de son économie. Plusieurs hôtels ont fermé, les pertes sont inestimables.
Dans cette crise qui dure depuis 2011, les départements français d’Amérique attendent de l’État un engagement tangible qui démontre que les mots « République » et « solidarité nationale » se conjuguent au présent en tout point de notre territoire. À ce jour, le ramassage des algues constitue le seul moyen d’action des autorités pour lutter contre ce fléau.
La France doit peser de tout son poids sur la scène internationale pour faire appliquer le principe pollueur-payeur en remontant à la source de la pollution. Cette crise appelle la mobilisation urgente d’importants moyens de collecte des algues en mer, mais également d’information, voire d’évacuation des populations exposées.
L’annonce récente d’une enveloppe de 500 000 euros pour les dépenses d’investissement et d’une somme équivalente pour les dépenses de fonctionnement paraît bien dérisoire lorsque l’on sait que, en 2017, une seule des six agglomérations que compte l’archipel guadeloupéen a mobilisé près de 700 000 euros pour accompagner les quatre communes qui la composent dans leur action de nettoyage des plages souillées.
Malgré l’important engagement financier de la collectivité régionale auprès des communes touchées, l’ampleur du phénomène dépasse les seules capacités des collectivités.
Ma question est la suivante : madame la ministre, quelles mesures financières et quelles actions supplémentaires concrètes comptez-vous engager dans les meilleurs délais pour accompagner les collectivités face à cette catastrophe naturelle ? (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre des outre-mer.
Mme Annick Girardin, ministre des outre-mer. Monsieur le sénateur, je voudrais d’abord vous faire part de toute la mobilisation du Gouvernement sur ce désastre, car, oui, cette invasion d’algues sargasses est un désastre écologique et économique pour l’ensemble des Antilles et, depuis plus récemment, pour la Guyane.
Parce qu’il s’agit d’une question de santé publique, l’État a sollicité dès 2012 le Haut Conseil de la santé publique, qui a préconisé, entre autres mesures, un ramassage systématique et régulier des sargasses, ainsi que leur stockage.
En 2014, un dispositif de veille sanitaire a été mis en place ; il perdure. L’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, l’ADEME, a également lancé un appel à projet autour de la collecte et la valorisation de ces algues.
De nombreux projets ont été financés et mis en place pour mieux comprendre l’origine du phénomène, prévoir les échouages, mieux identifier, comme vous l’avez souligné, les modes de valorisation des algues collectées. Néanmoins, il nous faut une intervention plus régionale et nous devons travailler avec nos partenaires internationaux sur ces questions.
Au total, vous l’avez dit, plus de 2 millions d’euros ont été mobilisés en Guadeloupe depuis 2015, par le ministère de la transition écologique et solidaire et par l’ADEME, sur ces différents projets.
De son côté, le ministère des outre-mer a mis en place un fonds d’urgence de 1,5 million d’euros pour les Antilles, dont 700 000 euros pour la Guyane. Parce que vous m’avez encore interpellée dernièrement, nous avons, en urgence et sur ma demande expresse, mis 500 000 euros à la disposition des communes, afin que celles-ci investissent dans du matériel et mènent des actions de ramassage.
Mais effectivement, vu l’ampleur du phénomène, nous prendrons, avec l’ensemble de mes collègues du Gouvernement, de nouvelles initiatives dans les semaines à venir et, comme vous me l’avez demandé par courrier en mars dernier, une réunion avec l’ensemble des élus de la Guadeloupe aura lieu la semaine prochaine. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
baisse des dotations communales
M. le président. La parole est à Mme Christine Bonfanti-Dossat, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Christine Bonfanti-Dossat. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, ma question s’adresse au ministre de l’économie et des finances.
Monsieur le ministre, pour faire face à la grogne des collectivités locales, notamment des plus petites et des plus fragiles d’entre elles, le Président de la République avait indiqué devant les préfets, au mois de septembre dernier, que l’ensemble des dotations des collectivités locales seraient maintenues. « C’est un engagement pris, c’est donc un engagement tenu ; et il sera respecté », avait-il ajouté.
Le pacte financier entre l’État et les territoires ne devait concerner que les 300 plus grosses collectivités représentant 80 % des dépenses locales. Les élus locaux avaient alors compris que l’État ne toucherait pas aux dotations des communes qui, jusqu’à présent, ont supporté l’essentiel de l’effort budgétaire.
Le montant des dotations versées aux collectivités territoriales est désormais connu : la dotation globale de fonctionnement, la DGF, est en baisse de 135 millions d’euros ; la répartition financière pénalise 22 000 communes, qui voient leur dotation forfaitaire diminuer de 5,8 % en moyenne.
Mes chers collègues, le décalage entre les discours du Président de la République et les chiffres est peut-être – si je comprends bien – une méthode à laquelle nous devons nous habituer, mais nous ne devons certainement pas nous y résigner !
En effet, face à cette crise d’austérité, de nombreux maires de petites communes nous ont déjà alertés sur la difficulté engendrée par cette nouvelle baisse de DGF. Cette dernière impactera durement les missions indispensables des petites municipalités.
Comment pouvez-vous expliquer cette décision, monsieur le ministre ? Ne croyez-vous pas qu’il est grand temps de s’occuper vraiment du sort des communes qui, bien souvent, sont le dernier lien entre les populations et les pouvoirs publics ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre auprès du ministre d’État, ministre de l’intérieur.
Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d’État, ministre de l’intérieur. Madame la sénatrice, le Gouvernement s’est effectivement engagé à stabiliser la DGF au niveau national. Cette mesure a été votée dans le budget, et cet engagement est donc respecté ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Absolument ! Cet engagement est respecté ! Il suffit de regarder les publications sur le site de la Direction générale des collectivités locales, la DGCL, pour constater que les chiffres sont identiques.
M. François Grosdidier. Regardez donc les notifications de DGF aux communes !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Votre question, madame la sénatrice, porte en fait sur l’une des composantes de la DGF.
En effet – l’explication sera un peu technique –, la DGF du bloc communal est composée de deux ensembles, particulièrement de poids égal : la dotation forfaitaire, d’une part, et les dotations de péréquation, d’autre part, qui sont la dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale, la DSU, et la dotation de solidarité rurale, la DSR.
Comme chaque année, madame la sénatrice, la part forfaitaire de la DGF fait l’objet d’un écrêtement destiné à financer d’autres augmentations de dotations, par exemple celles qui sont liées à une augmentation de population ou au renforcement de la péréquation.
Donc, la baisse locale de la population explique la diminution de la dotation forfaitaire dans certaines communes, mais c’est ce même mécanisme qui permet aussi, madame la sénatrice, que certaines des communes rurales les plus fragiles voient leur DSR augmenter. Ainsi, la DSR a enregistré une progression de 100 millions d’euros au niveau national, ce qui a permis une augmentation de la DGF dans certaines communes rurales en difficulté.
Il en va de même pour les bénéficiaires de la DSU, qui augmentera, elle aussi, de 100 millions d’euros à l’échelle nationale. Pour prendre quelques exemples, la DSU sera en hausse de 2 millions d’euros à Roubaix, ou encore de 1 million d’euros à Mulhouse, Saint-Denis ou Sarcelles. (Nouvelles exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. François Grosdidier. Il est question des petites communes !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. La stabilité de la DGF au plan national est une réalité, madame la sénatrice. C’est le pacte financier du Gouvernement ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à Mme Christine Bonfanti-Dossat, pour la réplique.
Mme Christine Bonfanti-Dossat. Nous ne sommes pas dupes, madame la ministre, nous savons que toutes ces paroles sont en parfaite contradiction avec les chiffres publiés par la Direction générale des collectivités locales ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
laïcité et pacte républicain
M. le président. La parole est à Mme Marie-Françoise Perol-Dumont, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. Ma question s’adresse à M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur.
Selon vos propos, monsieur le ministre d’État, le discours du Président de la République devant la Conférence des évêques de France ne rompt en rien avec la laïcité. (Mme Esther Benbassa s’exclame.)
Telle n’est pas notre lecture ! Telle n’est pas la lecture de nombre de nos concitoyens, qu’ils croient au ciel ou qu’ils n’y croient pas !
Les propos présidentiels sur la nécessité de « réparer » le lien « abîmé » entre l’Église catholique et l’État constituent incontestablement une remise en cause de la loi de 1905, et il en aurait été de même pour toute autre religion. (Mme Christine Prunaud et M. Pierre-Yves Collombat applaudissent.)
C’est une remise en cause particulièrement dangereuse dans un contexte où l’intégrisme religieux mine au quotidien le vivre ensemble dans trop de nos quartiers, où le communautarisme et la loi religieuse priment sur la loi républicaine, avec les conséquences désastreuses que chacun peut mesurer au jour le jour.
Qu’il y ait chez l’homme une quête d’absolu, une recherche de sens n’est pas sujet à caution, mais ce n’est pas l’apanage des religions et bien des athées ont, heureusement, une vie spirituelle.
Que, selon ses propos, « pour des raisons à la fois biographiques, personnelles et intellectuelles », M. Macron se fasse « une plus haute idée des catholiques » est son droit le plus absolu. Mais M. Macron est Président de la République française et sa fonction l’oblige, plus que tout autre, à ne pas amalgamer ce qui doit relever de la sphère privée et ce qui relève de la sphère publique.
La question est donc simple, monsieur le ministre d’État : à quelle fin le Président de la République a-t-il délibérément franchi la ligne rouge ? (Mmes Sylvie Goy-Chavent et Michèle Vullien s’exclament.)
Entend-il remettre en cause cette pierre angulaire de notre République qu’est la séparation des Églises et de l’État, ce qui constituerait un séisme lourd de conséquences, ou bien, plus prosaïquement, était-il dans des propos de diversion pour détourner l’attention médiatique des multiples crispations qui traversent actuellement notre pays ? (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. La parole est à M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur.
M. Gérard Collomb, ministre d’État, ministre de l’intérieur. Madame la sénatrice, je vous conseille de lire le texte intégral du discours du Président de la République. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe Union centriste.)
M. David Assouline. Je l’ai lu !
M. Vincent Éblé. Nous n’avons pas besoin de vos conseils !
M. Gérard Collomb, ministre d’État. Vous verrez qu’il est d’une haute portée. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. Rachel Mazuir. C’est de la pensée complexe !
M. Gérard Collomb, ministre d’État. Le Président de la République s’est adressé hier aux chrétiens de France, comme il s’est adressé, au cours des mois précédents, aux représentants du judaïsme, du protestantisme, des musulmans de France.
M. Simon Sutour. C’est du communautarisme !
M. Pierre-Yves Collombat. Et les athées ?
M. Simon Sutour. Ce n’est pas réussi !
M. Gérard Collomb, ministre d’État. … et que le Président de la République doit réunir tous les Français.
Mme Esther Benbassa. Et la loi de 1905 ?
M. Gérard Collomb, ministre d’État. C’est cela la laïcité ; c’est cela la loi de 1905 ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Mesdames, messieurs les sénateurs, la loi de 1905 avait initialement été portée comme une loi de combat contre les religions. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.) Mais son rapporteur devant l’Assemblée nationale, Aristide Briand, l’a bien écrit dans son rapport : cette loi est une loi de liberté (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.), liberté de croire ou de ne pas croire, liberté de pratiquer la religion de son choix.
M. David Assouline. Nous ne parlons pas de ça !
M. Gérard Collomb, ministre d’État. Mais il y a une condition, c’est que la pratique de cette religion ne porte pas atteinte à l’ordre public. Il n’y a rien à ajouter ni rien à retirer à cela ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, et sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. le président. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.
Je vous rappelle que les prochaines questions d’actualité au Gouvernement auront lieu jeudi 19 avril 2018.
Nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures quarante, est reprise à dix-sept heures cinquante, sous la présidence de Mme Catherine Troendlé.)
PRÉSIDENCE DE Mme Catherine Troendlé
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
9
Décès d’un ancien sénateur
Mme la présidente. Mes chers collègues, j’ai le regret de vous faire part du décès de notre ancienne collègue Irma Rapuzzi, qui fut sénateur des Bouches-du-Rhône de 1955 à 1989.
10
Candidature à une mission d’information
Mme la présidente. J’informe le Sénat qu’une candidature pour siéger au sein de la mission d’information sur la réinsertion des mineurs enfermés a été publiée.
Cette candidature sera ratifiée si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
11
Élection des représentants au Parlement européen
Suite de la discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. Nous reprenons la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à l’élection des représentants au Parlement européen.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam, pour le groupe Les Républicains.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, dans le contexte troublé que nous vivons aujourd’hui en Europe, notamment après le Brexit, nous avons un besoin impératif de renforcer l’adhésion de nos concitoyens aux valeurs européennes, de mieux leur en faire comprendre les enjeux, sans en cacher, bien sûr, les défaillances.
L’élection européenne est une occasion unique de débat, mais encore faut-il que nos compatriotes se sentent impliqués…
Le rétablissement de la circonscription nationale unique d’il y a quinze ans ne me semble pas la bonne réponse. Il affaiblirait la représentation des territoires dans leur diversité et renforcerait le poids des états-majors de partis politiques dans la sélection des candidats, au détriment des militants et des élus de terrain.
Je me concentrerai, ayant peu de temps, sur un sujet spécifique : celui de la représentation des 2,5 millions de Français de l’étranger, prioritairement concernés par les enjeux débattus au Parlement européen, mais qui n’y ont jamais obtenu de représentation directe.
En 1979, l’élection européenne avait été la toute première occasion pour eux d’exercer leur droit de vote dans un scrutin national. La représentation au Parlement européen est aujourd’hui la dernière frontière pour un exercice complet de la citoyenneté française à l’international, après que la révision constitutionnelle de 2008 a porté les Français de l’étranger à l’Assemblée nationale, après le Sénat.
Leur représentation au Parlement européen, pourtant, devrait aller de soi. Les Français de l’étranger, qu’ils vivent sur le territoire de l’Union européenne ou en dehors, sont les premiers témoins et les premiers artisans de la construction européenne. Le référendum dit de Maastricht avait suscité l’adhésion de plus 80 % d’entre eux. Leur expérience, leurs compétences seraient extrêmement utiles au débat européen et à notre pays.
C’est d’ailleurs une revendication ancienne, portée d’abord par le Conseil supérieur des Français de l’étranger, puis par l’Assemblée des Français de l’étranger. Dès 1997, Michel Barnier avait proposé la délimitation de vingt et une circonscriptions, dont l’une aurait représenté les Français de l’étranger. Pourtant en 2003, ces derniers avaient été privés du droit de vote à l’élection européenne.
En 2009, nous avions demandé que les deux sièges d’eurodéputés supplémentaires attribués à la France, à la suite de l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, reviennent aux représentants des Français de l’étranger. J’avais même déposé une proposition de loi en ce sens en 2014.
Il a finalement été décidé de rattacher arbitrairement les Français de l’étranger à la circonscription d’Île-de-France, sans leur donner de représentants spécifiques, et leur abstention a bien sûr été considérable.
Aujourd’hui, le retour à une circonscription unique sonne le glas de l’espoir d’une représentation spécifique des expatriés au Parlement européen – sauf acceptation miraculeuse de l’un de nos amendements. Je ne peux que le regretter !
Le vote du Parlement européen du 7 février dernier confirme que les esprits ne sont pas prêts pour des listes transnationales, pourtant voulues, dès l’origine, par les pères fondateurs de l’Europe.
Il faut bien sûr en tenir compte, mais soyons un peu ambitieux : pourquoi ne pas introduire progressivement une toute petite dose de représentation transnationale, en réservant quelques sièges à des députés élus par des expatriés européens ? Cela consoliderait le principe de citoyenneté européenne et la possibilité de vote dans l’État de résidence.
Auditionnée au lendemain de Maastricht, au nom d’une association de citoyens européens, par la commission des affaires institutionnelles du Parlement européen, j’avais déjà proposé cette circonscription spécifique transnationale à l’échelle européenne. L’idée avait été jugée enthousiasmante par la commission, qui trouvait que ce serait donner corps au principe de citoyenneté européenne, mais rien n’a avancé depuis !
Je rappelle que 13 millions d’Européens vivent dans un autre État que le leur, qu’ils sont très impliqués sur ces questions. Alors, bien sûr, le débat doit être conduit à l’échelle européenne, mais la France, qui a été pionnière de la représentation nationale de ses propres expatriés, s’honorerait, aujourd’hui, de promouvoir leur représentation à l’échelle européenne.
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Magras, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Michel Magras. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, il est ironique, au moment où le Gouvernement s’apprête à consacrer le principe de la différenciation territoriale dans la Constitution, que nous soyons réunis pour examiner un mode de scrutin non différencié !
Mais avant d’en aborder les conséquences, en particulier en outre-mer, je veux d’emblée affirmer l’appartenance de l’outre-mer à la République, tout en disant ma conviction que cette appartenance ne saurait avoir pour effet de gommer la réalité ultramarine.
C’est pourquoi je plaide pour que la loi sécurise la représentation de chacun des trois bassins océaniques au Parlement européen, car il est, sinon hypocrite, du moins illusoire de renvoyer aux partis politiques le soin de désigner en position éligible des candidats ultramarins sur les listes.
La notion de position éligible est juridiquement inexistante et politiquement approximative. Imposer une discrimination géographique parmi les candidats éligibles serait anticonstitutionnel. La seule garantie est donc celle de la loi.
Le mode de scrutin actuellement en vigueur a deux vertus, que l’outre-mer partage avec la métropole.
Sa dimension territorialisée favorise un lien – même ténu – avec l’Union européenne. Chaque scrutin européen étant l’occasion de déplorer le taux d’abstention, il est surprenant de revenir sur cette dose de proximité, alors que les institutions européennes souffrent tant de leur éloignement.
Territorialiser le scrutin, c’est aussi être respectueux de l’expression de chaque territoire et, pour l’outre-mer en particulier, c’est faire écho à l’inscription et à la reconnaissance, au sein des traités européens, des statuts de région ultrapériphérique – article 349 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne – et de pays et territoire d’outre-mer – articles 198 à 204 du même traité.
Comment la France peut-elle demander à la Roumanie, à l’Autriche, à la Finlande ou à la Slovaquie de tenir compte de ses outre-mer, si elle n’en assure pas l’incarnation, avec des représentants ? (M. Guillaume Arnell applaudit.)
Le Sénat sait d’ailleurs à quel point la vigilance s’impose.
Par deux fois, sur l’initiative de la délégation sénatoriale aux outre-mer et avec le précieux concours de la commission des affaires européennes, il a dû alerter la Commission européenne par le biais de résolutions, l’une portant sur l’inadaptation des normes agricoles, l’autre lui demandant de tenir compte des outre-mer français dans les négociations d’accords commerciaux.
L’Europe, largement source du droit aujourd’hui applicable, produit parfois des normes inadaptées aux contextes ultramarins, lorsqu’elles ne sont pas simplement inexistantes.
Mais que ce soit par inadaptation ou par le silence des textes, c’est le développement même des outre-mer qui est entravé.
C’est donc peu dire qu’il reste du chemin à parcourir et combien ce serait régresser de ne pas affirmer l’existence des outre-mer en leur garantissant une représentation.
Au Parlement, la création de la délégation sénatoriale aux outre-mer a contribué à mieux faire connaître les problématiques ultramarines, mais il reste qu’il est encore largement procédé aux adaptations des textes à l’outre-mer au lieu de favoriser le débat parlementaire.
Or la réalité commande de contextualiser toute politique impactant l’outre-mer, qu’elle soit nationale ou européenne. Pour ce faire, encore faut-il connaître le contexte !
Loin de moi, néanmoins, l’idée de penser que les Ultramarins ne se sentiraient représentés que par des Ultramarins. Il s’agit au contraire de ne pas prendre le risque de fragiliser davantage des territoires dont la situation nécessite une vigilance constante.
Je terminerai, madame la ministre, en rappelant que, voilà moins d’une semaine, Mme la garde des sceaux, répondant dans cet hémicycle à une observation de notre collègue martiniquaise, a indiqué que la différenciation est une « exigence légitime » des collectivités ultramarines.
Mes chers collègues, il vous sera donné ce soir l’occasion de mettre en accord les paroles et les actes ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Victoire Jasmin, MM. Guillaume Arnell, Maurice Antiste et Victorin Lurel applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère, pour le groupe Union centriste.
M. Philippe Bonnecarrère. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la circonscription électorale unique pour l’élection des représentants français au Parlement européen est techniquement justifiée et politiquement nécessaire.
Premièrement, trois mots clés permettent de comprendre en quoi cette réforme est techniquement justifiée : lisibilité, liberté – au sens de pluralisme – et légitimité.
Tout d’abord, lisibilité. L’élection majeure, dans notre pays, est l’élection présidentielle dont la circonscription est, par définition, nationale. Que nous soyons convaincus ou non de l’importance de la poursuite de la construction européenne, selon les travées où nous siégeons, notre réflexion se situe au niveau du bien commun, de l’intérêt national. Il ne s’agit ni d’enjeux individuels ni d’enjeux locaux.
Comme l’a remarquablement souligné notre rapporteur, le taux d’abstention, dans le cadre des circonscriptions dites « eurorégionales », n’a cessé de s’élever lors des dernières élections européennes de 2004 et de 2009 pour aboutir aux tristes chiffres de 2014, également rappelés par M. Gattolin.
Pour le deuxième mot clé, j’avoue avoir eu du mal à trouver un synonyme de pluralisme commençant par la lettre « l ». Le mot « liberté » me permet d’insister sur la volonté de préservation de la diversité d’opinion qui a prévalu dans l’organisation de l’élection des représentants au Parlement européen telle que nous la connaissons, fixée par la décision du 20 septembre 1976 instaurant un scrutin à la proportionnelle intégrale et un seuil d’éligibilité maximum de 5 % des suffrages exprimés.
Le calcul est évident : un score de 6 %, par exemple, dans une circonscription nationale, c’est environ 4 à 5 sièges pour la liste concernée ; dans chacune des huit eurorégions actuelles, c’est zéro siège. Cette réforme est donc bien pluraliste et aucunement « jupitérienne ».
La légitimité est le plus important des trois mots clés que j’évoquais. Il s’agit de donner la priorité aux grands enjeux du pays. Et les intérêts européens de notre pays ne sont pas la seule somme des intérêts régionaux : il existe une différence de nature.
Cette différence est également marquée par notre citoyenneté, à la fois nationale et européenne. Si l’on peut agir localement, et c’est fort heureux, l’horizon du citoyen est au minimum national. Comme d’autres orateurs qui m’ont précédé, je crois qu’une circonscription nationale donnera plus de légitimité à ces représentants que des circonscriptions locales.
La critique la plus récurrente à l’encontre d’une circonscription nationale est l’absence de proximité : les électeurs ne connaîtront pas les députés européens et seules les grandes villes ou les grandes régions auront des représentants.
Cette critique, que l’on entend fréquemment, ne porte pas sur la loi électorale, mais sur le comportement politique historique de nos partis qui n’ont toujours pas toujours eu une vision à long terme de l’acquisition des compétences ou de l’investissement nécessaire dans la durée pour permettre aux députés européens de peser sur les débats.
C’est dire si l’instauration d’une circonscription nationale et un changement de comportement des partis remettant l’élection européenne à sa juste place sont complémentaires.
Dans cette balance avantages-inconvénients, le groupe centriste est très favorable à la circonscription nationale, même s’il faut reconnaître que nous aurions apprécié l’instauration de listes transnationales.
Nous regrettons la position réductrice du Parlement européen, tout en reconnaissant la validité juridique de sa décision dont les motifs ne sont pas de nature européenne.
Deuxièmement, cette réforme est politiquement nécessaire pour que l’Europe revienne au cœur du débat politique français.
La question n’est pas tant de savoir – c’était d’ailleurs le propos de M. Leconte voilà quelques instants – quel est le niveau d’engagement des uns et des autres dans la construction européenne – chacun aura légitimement son opinion –, l’essentiel est que le débat ait lieu au bon niveau, que la France puisse s’exprimer, que les priorités soient fixées, que les moyens et ambitions soient définis dans un débat partagé par nos concitoyens.
Nous soutenons la démarche du Président de la République, exprimée entre autres dans ses discours d’Athènes ou de la Sorbonne, mais aussi lors de l’initiative dite des « consultations citoyennes », de vouloir remettre le débat européen au cœur de la vie politique française, comme il l’a fait à l’occasion de l’élection présidentielle.
Comme vous le savez, mes chers collègues, les centristes croient à l’idéal européen. Il ne s’agit pas d’un totem : nous croyons à une Europe du concret. Le temps n’est plus au débat entre fédéralistes et souverainistes. Nous croyons à une souveraineté partagée, à la force du « bloc européen » aujourd’hui à vingt-neuf – les vingt-huit États membres et l’Union européenne partageant moyens, actions et objectifs. En 2018, la souveraineté de la France trouve sa pleine expression dans la construction européenne.
J’exprimerai enfin, madame la ministre, un regret sur la question de l’outre-mer.
Nous comprenons les raisons pour lesquelles Gérard Poadja, sénateur de Nouvelle-Calédonie, a déposé des amendements, cosignés par d’autres sénateurs, tendant à reconnaître la spécificité de l’outre-mer.
Nous possédons la deuxième zone économique exclusive au monde. La seule notion de « régions ultrapériphériques » ne suffit pas à réduire le débat européen.
Mon groupe est partagé entre le cœur et la raison : nous suivrons notre cœur, qui nous conduit à soutenir ces amendements pertinents pour l’outre-mer, même si notre raison nous fait entendre les réserves que vous avez exprimées quant à leur constitutionnalité. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
projet de loi relatif à l’élection des représentants au parlement européen
Article additionnel avant l’article 1er
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.
L’amendement n° 1 est présenté par M. Masson et Mmes Herzog et Kauffmann.
L’amendement n° 47 est présenté par Mmes Assassi et Benbassa, MM. Collombat, Ouzoulias et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Avant l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
À la première phrase du deuxième alinéa de l’article 3 de la loi n° 77-729 du 7 juillet 1977 relative à l’élection des représentants au Parlement européen, le pourcentage : « 5 % » est remplacé par le pourcentage : « 3 % ».
La parole est à M. Jean Louis Masson, pour présenter l’amendement n° 1.
M. Jean Louis Masson. Monsieur le président (Sourires.), mon amendement vise à abaisser le seuil d’éligibilité de 5 % à 3 %.
La fixation d’un seuil de représentativité est un correctif majoritaire à la représentation proportionnelle. Il peut être justifié d’un point de vue démocratique, dès lors qu’il s’agit de dégager une majorité de gouvernement ou de gestion. Toutefois, ce n’est pas le cas du Parlement européen, lequel reflète la diversité politique européenne et ne procède pas d’une logique de majorité gouvernementale.
En conséquence, rien ne justifie d’appliquer aux élections européennes des règles conduisant à réduire le pluralisme de la représentation. C’est pourtant à cela que conduit un seuil de 5 %, comme l’a formellement reconnu la cour constitutionnelle allemande dans un arrêt du 26 février 2014.
Jusqu’aux élections européennes de 2009, ce seuil de 5 % s’appliquait en Allemagne pour participer à la répartition des sièges. Dans une décision du 9 novembre 2011, la cour de Karlsruhe a jugé ce seuil contraire à la loi fondamentale, car méconnaissant les principes d’égalité des citoyens devant la loi électorale et d’égalité de traitement des partis politiques.
Pour tenir compte de cet arrêt, le Parlement allemand a abaissé le seuil à 3 %. Or ce nouveau seuil fut censuré à son tour, la cour jugeant en substance qu’une différenciation entre les suffrages, quelle qu’elle soit, ne pouvait se justifier que si elle était nécessaire à la formation d’une majorité de gouvernement, ce qui, en l’occurrence, n’était pas le cas.
Ce raisonnement s’appuie sur des principes démocratiques généraux dont on voit mal pourquoi ils ne s’appliqueraient pas au cas de la France.
Dans ces conditions, le moins que puisse faire le législateur français, s’il ne décide pas purement et simplement de supprimer tout seuil pour la répartition des sièges, est de l’abaisser à un niveau acceptable, puisque tel n’est pas le cas avec une exigence de 5 %.
Mme la présidente. Pour votre parfaite information, monsieur Masson, sachez que le président de séance est une femme… (Sourires.)
La parole est à Mme Éliane Assassi, pour présenter l’amendement n° 47.
Mme Éliane Assassi. Merci, madame la présidente. (Sourires.)
Cet amendement vise à abaisser le seuil de suffrages exprimés à atteindre pour participer à la répartition des sièges dans le cadre de l’élection des représentants au Parlement européen.
Pourquoi déposer cet amendement avant même de discuter du fond du projet de loi ? Tout simplement parce que le pluralisme est une question centrale dans notre démocratie.
Or, depuis la loi de 1977 et les premières élections européennes de 1979, la barre des 5 % écarte, comme cela a été dit, des milliers de nos concitoyennes et de nos concitoyens d’une juste représentation et appauvrit notre vie démocratique.
Ce choix d’un seuil de 5 % place la France aux côtés d’une minorité d’États comme la Croatie, la Hongrie, la Lettonie, la Lituanie, la Pologne, la République tchèque, la Roumanie et la Slovaquie. Vous remarquerez qu’aucun pays fondateur de l’Europe ne se trouve dans cette liste, hors la France : l’Allemagne, l’Espagne, les Pays-Bas, le Portugal ou le Royaume-Uni n’ont fixé aucune limite.
Par ailleurs, la France était le seul pays, depuis 2003, à cumuler circonscriptions régionales et seuil élevé de répartition. Tout a donc été fait pour désintéresser la population de cette élection.
Ce seuil de 5 % apparaît pleinement contraire à la volonté, que beaucoup ont exprimée aujourd’hui, de lutter contre l’abstention.
En écartant de fait 15 % à 20 % des suffrages exprimés de la répartition, le système en place renforce le phénomène d’abstention déjà très fort en raison du rejet d’une Europe aux centres de décision éloignés, d’une Europe au dogmatisme libéral étroit qui maintient les pays européens sous le poids de l’austérité.
Supprimer ce seuil serait une mesure de bon sens démocratique renforçant le pluralisme et le débat d’idées.
À l’heure où la question démocratique se pose dans le cadre du débat institutionnel, le Sénat s’honorerait de voter cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission sur ces deux amendements identiques ?
M. Alain Richard, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. La commission a souhaité conserver le seuil de 5 % qui s’applique dans tous les scrutins à la proportionnelle du système français.
Les arguments exposés par la présidente Assassi sont tout à fait judicieux.
Toutefois, sur les 705 membres du Parlement européen, il en faut au moins 25 pour constituer un groupe. Il est donc assez cohérent que les représentants français, quel que soit leur parti, puissent être élus en nombre suffisant pour représenter une part significative des groupes auxquels ils participeront.
Si nous ouvrions la possibilité de répartir nos élus par 2 ou 3 au sein de chaque groupe, leur apport au sein du Parlement européen serait extrêmement mince – ils pourraient même n’appartenir à aucun groupe constitué, comme c’est déjà le cas d’une vingtaine de députés européens, lesquels, de fait, influent moins sur les débats parlementaires.
Pour ces raisons, la commission a choisi de maintenir le seuil de 5 % et a émis un avis défavorable sur ces deux amendements identiques.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d’État, ministre de l’intérieur. Le Gouvernement partage l’avis de la commission, pour les mêmes raisons.
Premièrement, en droit électoral, le seuil de 5 % s’applique à tous les scrutins de liste.
Deuxièmement, comme l’a souligné le rapporteur, le maintien de ce seuil permet d’éviter un émiettement excessif de la représentation française au Parlement européen.
Troisièmement, enfin, le Gouvernement a souhaité limiter son intervention sur la loi de 1977 à la seule mise en œuvre de la circonscription unique et aux conséquences qu’elle emporte, notamment – nous en reparlerons au cours de la discussion – sur les dispositions nouvelles répondant aux injonctions du Conseil constitutionnel relatives aux temps d’antenne de la campagne audiovisuelle.
Pour ces raisons, le Gouvernement émet un avis défavorable sur ces deux amendements identiques.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour explication de vote.
M. Jean Louis Masson. Madame le président (Sourires.), je vous prie tout d’abord de bien vouloir m’excuser : quand je suis intervenu plus tôt, en séance publique, le président était un homme… (Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains.)
Je suis quelque peu choqué par les propos du rapporteur, pour qui la fixation de ce seuil permet d’empêcher l’élection d’éventuels députés européens ne rejoignant aucun groupe. Va-t-on faire de même au Sénat pour m’empêcher de siéger comme sénateur non inscrit, alors que j’ai largement distancé les listes des autres partis, bien que je me sois heurté à tout un tas de malfaisants !
Sous prétexte qu’on est non-inscrit, on ne pourrait être élu ? Monsieur le rapporteur, voilà qui est un peu vexant pour tous ceux qui, comme moi, n’appartiennent à aucun groupe. Nous avons le droit d’exister, c’est aussi cela, la démocratie. Si les électeurs souhaitent élire telle ou telle personne, il n’y a pas de raison de s’y opposer.
Comme je l’ai souligné en commission, la vraie raison, c’est que les grands partis, de droite comme de gauche, tout comme ceux qui ne sont ni à droite ni à gauche et dont je ne sais plus quel est le nom, voient midi à leur porte. Ils veulent éliminer les petits partis et toute concurrence.
C’est la vraie raison et je peux la comprendre, encore faut-il avoir le courage de le dire et de l’afficher.
Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour explication de vote.
Mme Éliane Assassi. J’ai bien entendu les arguments de M. le rapporteur et de Mme la ministre.
Toutefois, j’ose penser que des questions politiques appellent des réponses politiques et non simplement techniques. Il s’agit d’un grave sujet qui pose la question du pluralisme et de la démocratie.
Par ailleurs, comme je l’ai souligné en discussion générale, j’aimerais que l’on m’explique, monsieur le rapporteur, madame la ministre, les raisons de ce décalage entre le seuil des 3 % pour le remboursement des frais de campagne et celui de 5 % pour la répartition des sièges. L’un d’entre vous pourrait-il me donner une réponse politique à cette interrogation ?
Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Ravier, pour explication de vote.
M. Stéphane Ravier. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je voudrais profiter de ces amendements pour préciser la position du Front national sur ce texte.
Si nous sommes favorables à la circonscription unique, nous dénonçons que soit proposée en même temps la modification des règles de temps de parole lors de la campagne électorale, modification qui privilégie les seuls partis défendant une Europe fédérale.
La circonscription nationale revenue et retenue pour les prochaines élections européennes, qui est le point majeur de ce texte, a pour mérite de rappeler que les élus au Parlement européen sont les représentants non de territoires ou de régions, mais bel et bien de la France et des Français, peuple un et indivisible.
Je rappelle que les élections européennes sont les seules élections qui permettent, grâce au scrutin proportionnel, la représentation équitable et, pour le coup, réellement démocratique, de la diversité des courants politiques de notre pays.
Cette nationalisation du scrutin est un modèle retenu dans l’immense majorité des autres États membres. Nous sommes inspirés, pour une fois, de les rejoindre sur ce point.
Cette nationalisation a aussi le mérite de clarifier les positionnements des grands partis nationaux qui « surfent » sur une ambiguïté et qui trompent les électeurs. J’en veux pour exemple nos chers collègues du groupe Les Républicains qui nous disent vouloir marcher sur leurs deux jambes, l’une libérale et l’autre conservatrice – entendre, sur les questions européennes : l’une fédérale et l’autre souverainiste.
Mes chers collègues, sur un sujet aussi essentiel, ces deux jambes ne se complètent pas, ne se synchronisent pas : elles s’opposent et s’entrechoquent. Il vous faut donc choisir, à moins de manipuler, une fois encore, les électeurs.
Au Front national, nous avons toujours été très clairs : nous sommes pour une Europe des nations libres et souveraines, une Europe au service des peuples et des nations.
Contrairement aux fédéralistes, qui en appellent à une Europe de la trique, nous souhaitons une Europe qui cultive les relations bilatérales et multilatérales librement consenties entre les pays, des relations respectant libertés et souverainetés nationales.
Malheureusement, ce texte est entaché d’une réforme du temps de parole durant la campagne qui n’est pas acceptable. Dès que la démocratie repousse, vous sortez, mes chers collègues, votre lame législative pour la faucher !
Cette volonté de transformer le temps de parole attribué de façon inégalitaire pose un vrai problème démocratique.
Comble de l’ironie, vous proposez de répartir les temps de parole proportionnellement aux groupes politiques non de l’assemblée européenne, mais de l’Assemblée nationale. Encore un coup de Jarnac qui confirmera aux Français que votre Union européenne ressemble décidément à une Union soviétique européenne ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste, ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Mme Éliane Assassi. Vous n’êtes même pas européen !
M. Stéphane Ravier. Pour conclure, mes chers collègues, ne vous étonnez pas si, dans les mois à venir, et à l’image de ce qui s’est passé chez nos voisins Italiens, Polonais, Hongrois, Allemands, Néerlandais, ….
Mme la présidente. Veuillez conclure, monsieur Ravier.
M. Stéphane Ravier. … les rangs de ceux que vous appelez les « eurosceptiques », mais qui ne sont que des Français…
M. Jackie Pierre. C’est fini !
M. Stéphane Ravier. … qui croient en la France et qui ont soif de liberté, constituent à nouveau la première force politique de notre pays.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. C’est un débat important. Sans doute encore plus important si nous adoptons la circonscription unique : auparavant, avec 5 % des suffrages, on n’avait probablement aucun siège ; dans ce nouveau cadre, avec 5 %, on peut en avoir un.
Le règlement du Conseil, modifié en 2002, ne fait pas obligation aux pays membres de fixer un seuil. Il indique seulement que le seuil maximum est de 5 %.
Le débat sur le seuil est donc assez légitime : soit on utilise la marge de manœuvre qui nous est offerte par le règlement en considérant qu’il faut une représentation un peu plus large, soit on ne l’utilise pas.
Notre groupe n’a pas délibéré sur cette question, mais je pense que l’on peut considérer avec sympathie le fait d’abaisser le seuil à 3 %…
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 1 et 47.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Article 1er
(Non modifié)
L’article 4 de la loi n° 77-729 du 7 juillet 1977 relative à l’élection des représentants au Parlement européen est ainsi rédigé :
« Art. 4. – La République forme une circonscription unique. »
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Charon, sur l’article.
M. Pierre Charon. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président, monsieur le rapporteur, le souhait de restaurer une circonscription unique pour l’élection de nos députés européens n’augure rien de bon. Ce choix, caressé par certains, n’est pas le mien.
À une époque où l’on reproche aux élus de s’éloigner de leurs électeurs, je m’étonne que l’on prône une mesure qui conforte l’entre-soi.
Je préfère des députés élus dans des circonscriptions, fussent-elles imparfaites, à des élus désignés dans une circonscription nationale, sans aucun lien avec leurs électeurs.
À mes yeux, seul le Président de la République est légitime à être élu dans une circonscription aux dimensions de la France. Depuis 2004, l’élection des députés européens dans des circonscriptions a rapproché ces élus de leurs électeurs. Nos parlementaires européens ont bien « localisé » leurs actions.
Les campagnes électorales européennes sont l’occasion de contacts des candidats avec leurs électeurs. Serait-il démocratique de revenir au statu quo ante ? Souhaitons-nous des meetings désincarnés, purement centrés sur les problématiques d’un parti ? Le militant que je suis n’a guère de sympathie pour ces campagnes, dont l’enjeu était de savoir si l’on figurait sur la liste…
La création de circonscriptions pour les élections européennes a été un progrès dans le rapprochement avec nos électeurs. Sous couvert de modernité, certains songent pourtant à revenir sur cette décision.
Enfin, à ceux qui affirment que les élus européens sont désignés par leur parti, on peut répondre que plus il y a d’enracinement, plus il y a de légitimité. Et plus il y a de légitimité, plus il y a de liens avec les électeurs.
Un élu désigné dans un territoire, c’est aussi une garantie d’indépendance. Un élu dont la liste couvre la Nation entière sera dans une situation de faiblesse : il ne pourra guère s’appuyer sur les électeurs de son territoire ; il devra tout à son parti. Dans certains cas, il pourra même être dans les mains de l’exécutif. Il ne sera là que pour faire de la figuration. Il ne sera là que pour un sigle ou pour un logo, sans aucun lien avec son terroir. Son travail au Parlement européen ne fera l’objet d’aucun suivi.
Je m’étonne que l’on tourne le dos, avec autant de cynisme, à ce qui permet à une démocratie de vivre.
Dans le feuilleton de la rénovation des institutions, l’épisode proposé par le Gouvernement n’est pas l’avenir de la démocratie, mais le retour vers le passé.
Pour ces raisons, je voterai contre cet article, conformément à l’intime conviction de mes collègues du groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Louis Masson, sur l’article.
M. Jean Louis Masson. Quelle que soit la couleur politique des gouvernements, leurs propositions sont pertinentes ou ne le sont pas. J’ai voté certains textes du temps de M. Sarkozy comme du temps de M. Hollande, notamment l’interdiction du cumul des mandats.
Revenir à une circonscription nationale me paraît relever non seulement du bon sens, mais aussi de l’intérêt de la France et de la clarté politique.
Comme je l’ai souligné voilà quelques instants, les partis ne songent qu’à régler leurs petits problèmes. Certains d’entre eux ne sont pas clairs et ne veulent surtout pas d’une grande circonscription nationale : l’existence de sous-circonscriptions permet à Dupont de dire blanc dans son coin et à Durand de dire noir dans le sien, et tout le monde est content : c’est l’auberge espagnole !
Certains partis se sont même spécialisés en auberge espagnole : on a vu ce que ça a donné au parti socialiste. Nous verrons prochainement – je l’espère – ce qu’il en sera pour d’autres partis.
Dans la vie, il faut être clair. Et le meilleur moyen de l’être, c’est avec un scrutin national : l’enjeu, c’est la France. Il ne s’agit pas des petites magouilles de tel ou tel parti qui ne sait pas se situer. L’enjeu est de savoir si l’on est pour une Europe des nations ou pour une Europe supranationale fédérale.
Ceux qui ont le derrière entre deux chaises – pour rester poli – voudraient esquiver le débat et continuer de parler, dans de petites circonscriptions, qui d’autoroute, qui de bout de chemin de fer, mais d’Europe surtout pas ! Quand on manque de clarté, on fuit le débat sur l’Europe. C’est la raison pour laquelle il faut mettre en place une grande circonscription nationale et tenir un grand débat.
Ceux qui nous disent que nous serions mieux avec de grandes circonscriptions régionales se moquent du monde. Lors des dernières élections européennes, qu’ont fait les grands partis ? Ils ont présenté Tartempion, qui était de Biarritz, dans le nord de la France et Durand, originaire du Midi, à Paris ! Et parfois, on a même vidé des gens qui étaient enracinés localement pour faire élire un parachuté qu’il fallait caser quelque part ! En matière d’enracinement, les grands partis n’ont vraiment pas de leçon à donner.
Mme la présidente. La parole est à M. Victorin Lurel, sur l’article.
M. Victorin Lurel. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, dans les outre-mer, nous ne sommes pas contre l’adoption d’un mode de scrutin proportionnel dans une circonscription unique, l’engouement pour le scrutin proportionnel rejoignant d’ailleurs la culture de la gauche.
Pourtant, il me semble que scrutin proportionnel et circonscription ultramarine sont compatibles. Mme la ministre affirme que, si l’on maintient deux circonscriptions, l’une hexagonale et l’autre ultramarine, on court un risque d’inconstitutionnalité : je n’en crois rien ! (Mmes Viviane Malet et Nassimah Dindar, ainsi que M. Michel Magras, applaudissent.)
Tout d’abord, s’appuyer sur une base démographique serait parfaitement impossible. Ensuite, on conserverait un mode de scrutin proportionnel. La seule chose qui changerait, ce serait la circonscription géographique. Je ne vois pas en quoi les objectifs décidés par les partis nationaux, y compris le mien, ne pourraient pas, dans ces conditions, être atteints. Les deux choses sont compatibles, nous en avons déjà largement discuté.
Les partis ont décidé de faire un score aux élections européennes et, pour eux, la meilleure façon d’y parvenir, c’est la circonscription nationale. Tel est plus particulièrement le cas pour La République En Marche, parti virtuel et numérique. Quant aux autres partis, qui sont affaiblis – je pense en particulier au mien –, c’est grâce à une circonscription nationale qu’ils feront un score. Simplement, si, au sein des 74 députés, 3 d’entre eux sont élus dans une circonscription ultramarine, cela correspond aux possibilités d’adaptation reconnues par la Constitution pour tenir compte des contraintes particulières des outre-mer.
Moi-même, j’avais demandé à l’époque un mode de scrutin mixte, qui avait été examiné par le Conseil d’État, lequel avait répondu que c’était parfaitement possible, à condition de ne pas trop s’éloigner du standard national. Or, avec notre proposition, on ne s’éloignerait pas du standard national. Seule la géographie changerait ! Le risque d’inconstitutionnalité n’est donc pas fondé, mais on l’exagère, pour justifier les objectifs électoralistes du parti majoritaire au pouvoir.
Nous persistons donc à croire qu’il est parfaitement possible d’atteindre ces objectifs au niveau hexagonal, tout en conservant une circonscription ultramarine, qui ne gêne en rien.
Au demeurant, je reviendrai sur ces aspects au cours de la discussion de cet article.
Mme la présidente. La parole est à M. François Grosdidier, sur l’article.
M. François Grosdidier. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, il est vrai que l’actuel mode de scrutin, imparfait, n’est pas très satisfaisant. Nos députés européens ne sont pas assez identifiés, pas assez accessibles, ce qui contribue à creuser encore davantage la distance entre les citoyens et l’Union européenne.
Si tous s’accordent à considérer que ce scrutin est imparfait, le Gouvernement et quelques ultraminoritaires en tirent curieusement une conclusion exactement inverse à celle qui s’impose, en proposant un mode de scrutin qui ne fera que creuser la distance, parce qu’il consiste précisément à éloigner davantage les citoyens de leurs représentants. L’élection de candidats non enracinés, recasés, sera largement facilitée par la liste nationale.
On entend de plus en plus la même petite musique : nos députés nous expliquent qu’ils sont simplement les élus de la Nation et qu’ils n’ont pas à être présents sur le territoire. Quant au Sénat, il serait l’incarnation d’une nation quelque peu abstraite et ne représenterait plus les territoires.
Tout cela est très dangereux ! Le peuple français est uni dans sa diversité, il veut que toutes ses préoccupations soient portées, au niveau tant national qu’européen. Parmi les compétences dévolues à l’Union européenne, certaines problématiques relèvent davantage des régions centrales, d’autres des régions frontalières. Et c’est encore plus vrai pour les outre-mer ! Si toutes les réalités du territoire et du peuple français ne sont pas portées par les voix françaises, alors le rejet de l’Union européenne sera beaucoup plus fort.
Cela ne nous empêche nullement d’avoir un débat sur ce que doit être l’Europe. Ce n’est pas parce qu’on est élu député dans une circonscription législative ou sénateur dans une circonscription départementale qu’on fait abstraction des débats nationaux au cours des élections parlementaires. C’est même tout le contraire, comme l’ont démontré les dernières élections législatives.
Si l’on veut que les voix du peuple français soient portées dans l’Union européenne, il faut donc modifier le scrutin, mais en le territorialisant davantage, et certainement pas en le nationalisant ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Maurice Antiste, sur l’article.
M. Maurice Antiste. L’adoption du projet de loi présenté aujourd’hui constituerait un bouleversement, à la fois du découpage des circonscriptions électorales et de leurs modalités pratiques, concernant les prochaines élections européennes prévues en 2019.
Outre l’article 1er, qui conduit au remplacement des huit circonscriptions régionales actuelles, dont la circonscription de l’outre-mer, par une circonscription nationale unique, l’article 7 du texte prévoyait initialement que les circonscriptions nationales pourraient être remplacées par une circonscription européenne, avec des listes transnationales en fonction des dispositions prises par l’Union européenne.
La circonscription d’outre-mer permet à nos territoires d’être représentés en bénéficiant de trois sièges. Sa suppression constituerait donc une bien mauvaise nouvelle, puisque les candidats ultramarins auront toutes les difficultés du monde à obtenir une place en position éligible sur une liste nationale ou transnationale.
De même, il est à prévoir que les petits partis politiques seront écartés et devront renoncer à présenter des listes à cette élection, car les listes nationales ou transnationales favoriseront avant tout les grands partis, qui disposent déjà de moyens importants.
C’est pourquoi mes autres collègues ultramarins socialistes et moi-même avons déposé des amendements permettant la coexistence de deux circonscriptions, l’une hexagonale et l’autre ultramarine. Les Ultramarins dans leur ensemble, qui ont déjà le sentiment d’être les exclus de la République, sont hostiles à cette volonté de circonscription unique.
Il y a dès lors un risque véritable de déconnexion entre les territoires ultramarins et l’Hexagone. Le risque de voir se développer un sentiment de non-appartenance est également important, puisque les populations concernées se considéreront comme les grandes oubliées de la politique européenne. Les implications et les conséquences seraient catastrophiques pour la France et l’Europe, dans la mesure où nos territoires sont étendus sur près de 8 millions de kilomètres carrés dans trois océans. Ils cumulent à eux tous des atouts géopolitiques et géostratégiques, en plus de richesses naturelles et de l’existence d’une biodiversité exceptionnelle et sans égale.
Nous sommes donc très loin d’avoir été convaincus par l’argumentation de Mme la ministre. Mes chers collègues, pensez bien, lorsque nous étudierons les amendements proposés, à ce que je viens de dire.
Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa, sur l’article.
Mme Esther Benbassa. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le présent article vise à revenir à la circonscription unique, qui était celle des scrutins européens de 1979 à 1999.
Quand, en 2004, l’UMP et le PS ont mis en place huit circonscriptions, leur objectif était d’avoir des députés européens plus proches de leurs concitoyens, afin de lutter contre le désintérêt progressif et la méfiance exprimés par les Français envers l’Union européenne, tant par l’abstention que par la montée électorale des mouvements populistes et europhobes.
Avec une abstention avoisinant les 54 % en 2014, et un Front national en tête, on peut légitimement estimer que cette stratégie a échoué. Plusieurs raisons peuvent expliquer cet échec : des circonscriptions sans aucune cohérence géographique, culturelle ni historique, mais aussi une Union européenne toujours plus lointaine et technocratique.
Ainsi, voter le retour à une circonscription unique nous semble pertinent. Nous pourrions ainsi rendre plus claire et compréhensible la campagne électorale, tout en donnant une véritable dimension politique aux débats. Notre Union européenne, qui se meurt de son bureaucratisme et de son opacité, ne devrait en tirer que des bénéfices.
Par ailleurs, ce scrutin permettrait le respect d’une proportionnelle intégrale, seul système à même de rendre possible la plus juste représentation de toutes les sensibilités politiques et que j’appelle de mes vœux depuis fort longtemps, avec mon parti EELV et le groupe CRCE auquel je suis rattachée. Nous souhaitons d’ailleurs que, à l’avenir, ce mode de scrutin puisse être élargi à toutes les échéances électorales, y compris nationales.
Nous voterons donc contre l’amendement de suppression de l’article 1er, lequel, s’il devait être adopté, enlèverait au projet de loi qui nous réunit aujourd’hui tout intérêt démocratique. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. André Gattolin, sur l’article.
M. André Gattolin. Je voudrais une fois de plus plaider en faveur de la circonscription unique et répondre, par la même occasion, à mon collègue François Grosdidier, dont les arguments, à un moment donné, finissent par devenir contradictoires.
On dit qu’il faut rapprocher les eurodéputés des citoyens. On l’a fait, en créant huit eurocirconscriptions pendant trois mandats successifs. Le résultat, c’est une augmentation de 7 % de l’abstention. Vous essayez de nous faire croire qu’un découpage par région créera une proximité. Or nous savons, en tant que sénateurs, qu’il est déjà très difficile de couvrir l’ensemble d’un département. Alors, une région, laissez-moi rire ! Surtout, on institue ainsi une inégalité flagrante entre régions, fondée sur le volume de leur population et le nombre de personnes à élire.
Dans le système des eurocirconscriptions qui avait cours jusqu’à présent, il ne fallait pas moins de 16 % à 17 % des voix pour espérer avoir un siège dans la région Centre, alors que seulement 5 % des voix étaient nécessaires dans la région d’Île-de-France. Est-ce cela l’égalité des citoyens devant l’élection ?
Revenons-en aux fondamentaux qui ont présidé à la création de l’Union européenne. Je pense surtout à la décision, au travers de l’Acte européen du 20 septembre 1976, de procéder à l’élection au suffrage universel direct et proportionnel – c’est dans le texte – des représentants nationaux au sein du Parlement européen. Il s’agit de la meilleure représentativité possible des populations, avec un seuil, précisé dans la loi de 2002, oscillant entre 3 % et 5 %.
On a toléré, je dois le dire, un découpage parfois aberrant, parce que les Britanniques étaient totalement hostiles au système proportionnel. Car quelle est la réalité du corps électoral ? Nous avons 74, 75, peut-être 79 eurodéputés à répartir sur tout le territoire. Ne rêvons pas, ce n’est pas en surdécoupant les régions que nous y arriverons ! Cela relève de la responsabilité des partis politiques. Si vous trouvez que telle ou telle région n’est pas suffisamment représentée sur les prochaines listes, battez-vous à l’intérieur de votre parti politique pour qu’un authentique représentant de cette région figure sur la liste. Mais ne remettez pas en cause le système de circonscription unique, qui est maintenant adopté par la quasi-totalité des pays européens. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. François Bonhomme. On voit ce que cela donne !
M. François Grosdidier. C’est du parisianisme !
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Permettez-moi d’intervenir sur un point, à savoir l’ancrage territorial. Je reviendrai sur les autres sujets dans le cadre de la discussion des amendements.
Aujourd’hui, le découpage en circonscriptions interrégionales, composées de plusieurs régions qui n’existent plus, ou en circonscriptions régionales que certains voudraient caler sur les nouvelles régions, ne garantit en rien l’ancrage territorial, je le dis très simplement.
Premièrement, le code électoral ne fixe aucune condition de résidence.
M. François Grosdidier. Il n’y a qu’à l’ajouter !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Ainsi, des députés habitaient Paris, alors qu’ils étaient élus ailleurs… Il y a dans cet hémicycle suffisamment de responsables politiques actuels et passés – j’en vois qui commencent à sourire –, pour ne pas nous laisser croire que les partis politiques ne décidaient pas des candidatures, dans le cadre des scrutins régionaux ou interrégionaux comme dans celui d’une liste nationale. J’en ai fait suffisamment l’expérience ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) Bien sûr que si !
M. François Grosdidier. Les électeurs ne suivent pas !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Et je ne parle pas du nomadisme de certaines personnalités dans le cadre des élections européennes, parce que tous les partis étaient concernés ! Des gens se faisaient élire en région Centre, puis en Normandie ou dans l’est de la France…
M. François Bonhomme. Ça ne va rien changer !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Le scrutin national aura donc le mérite d’obliger les différentes familles politiques à construire des listes.
Ainsi, pour les élections régionales, il ne viendrait à l’idée de personne de faire figurer dans une liste des candidats tous issus d’un même département. On cherche à réunir des gens de tous les départements…
M. François Grosdidier. Il y a des sections départementales !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Non, les élections départementales, c’est un scrutin majoritaire et non pas proportionnel.
Dans une commune, quand vous faites une liste, vous essayez de réunir des gens de tous les quartiers, et non pas d’un quartier unique. Bien évidemment, les listes nationales seront composées de gens de différentes régions, y compris de l’outre-mer, car je fais confiance aux partis politiques pour respecter l’ensemble des territoires.
M. François Grosdidier. C’est bien le problème !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Je rappelle que les eurodéputés disposent d’une semaine par mois pour travailler dans leur circonscription électorale. Ce n’est pas parce que l’on figure sur une liste nationale que l’on n’est pas ancré dans un territoire ! Vraiment, un tel argument ne va pas dans le sens de ce que vous voulez défendre.
Mme la présidente. L’amendement n° 56 rectifié, présenté par M. Bonhomme, Mme Berthet, M. Piednoir, Mme Gruny, M. Cardoux, Mme Di Folco, MM. Reichardt, Grosdidier et Joyandet, Mme Bories, MM. Dufaut, Babary et Houpert, Mme Lamure, M. Revet, Mme Deromedi, MM. Émorine et Kennel, Mme Deroche et M. Gremillet, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. François Bonhomme.
M. François Bonhomme. La loi du 11 avril 2003 relative à l’élection des conseillers régionaux et des représentants au Parlement européen ainsi qu’à l’aide publique aux partis politiques a réorganisé le territoire national en huit circonscriptions interrégionales, afin de rapprocher les élus européens de leurs électeurs et d’endiguer l’abstention aux élections européennes en favorisant la participation électorale – du moins l’espérait-on à l’époque !
En présentant le projet de loi relatif à l’élection des représentants au Parlement européen, le Gouvernement considère que la loi du 11 avril 2003 a échoué à atteindre ces objectifs et propose de revenir en arrière.
Cependant, le scrutin régional est la norme dans la quasi-totalité des pays européens de plus de 20 millions d’habitants.
Il est au demeurant illusoire de considérer qu’un agrandissement de la circonscription permettra de susciter un surcroît d’intérêt de la part des Français pour les élections européennes. Le retour à une circonscription unique ne peut contribuer à renforcer le lien de représentation entre citoyens et élus au Parlement européen. Au contraire, ce choix aura pour effet d’affaiblir la nécessaire territorialisation du scrutin et, finalement, d’éloigner un peu plus les électeurs de leurs représentants. (M. Philippe Dominati applaudit.)
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Richard, rapporteur. La commission fait appel à la sagacité de M. François Bonhomme. Notre collègue a en effet déposé un autre amendement prévoyant une répartition des élus dans les circonscriptions des régions actuelles. Cet amendement, qui est soutenu par nombre de nos collègues, paraît constituer la véritable alternative à la proposition du Gouvernement et, pour l’instant, d’une majorité de la commission, à savoir la circonscription nationale unique.
Ne serait-il donc pas plus judicieux, mon cher collègue, de vous concentrer sur l’amendement prévoyant un découpage fondé sur les régions actuelles, plutôt que d’entraîner le retour aux huit circonscriptions, lesquelles ne cadrent plus avec les régions, en faisant adopter un amendement de suppression de l’article 1er ?
L’une de ces anciennes circonscriptions a d’ailleurs de la chance : c’est celle du nord-ouest, qui regroupe la nouvelle région Hauts-de-France et la nouvelle région Normandie. Mais toutes les autres régions sont désormais réparties entre des circonscriptions européennes différentes. Il me semble donc que votre cause serait mieux défendue en concentrant vos efforts sur l’autre amendement que vous avez déposé.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Le Gouvernement est naturellement défavorable à cet amendement. Je le rappelle, 23 États sur 27 ont choisi une circonscription nationale unique. C’est une évidence, pour représenter la population d’un État, il faut des listes nationales regroupant tous les territoires.
M. François Grosdidier. Ce sont de petits États !
Mme la présidente. L’amendement est-il maintenu, monsieur François Bonhomme ?
M. François Bonhomme. Dans la mesure où il me reste un brin de sagacité (Sourires.), je le retire, madame la présidente.
Mme la présidente. L’amendement n° 56 rectifié est retiré.
Je suis saisie de sept amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
Les deux premiers sont identiques.
L’amendement n° 11 rectifié ter est présenté par MM. Brisson et Retailleau, Mme Estrosi Sassone, MM. Joyandet et Pointereau, Mmes Bonfanti-Dossat et M. Mercier, MM. Babary, Laménie, Pierre, Saury, Perrin, Raison, B. Fournier et Houpert, Mme Garriaud-Maylam, MM. Charon, Piednoir, Bouchet et Chaize, Mme Lopez, M. Chatillon, Mme Gruny, M. Savin, Mme Bruguière, MM. Cuypers et Duplomb, Mme Deseyne, MM. Paccaud, Magras, Grosdidier et Bazin, Mme de Cidrac, MM. Panunzi, Kennel et Bansard, Mme Renaud-Garabedian et MM. de Nicolaÿ, Vaspart, Cornu, Mayet, Gremillet et H. Leroy.
L’amendement n° 57 rectifié bis est présenté par MM. Bonhomme, Bonne et J.M. Boyer, Mme Deromedi, M. Sol et Mmes Di Folco, Puissat, Lanfranchi Dorgal, Bories et Deroche.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Rédiger ainsi cet article :
Le tableau annexé à la loi n° 77-729 du 7 juillet 1977 relative à l’élection des représentants au Parlement européen est ainsi rédigé :
«
Nom des circonscriptions |
Composition des circonscriptions |
Auvergne-Rhône-Alpes |
Ain Allier Ardèche Cantal Drôme Isère Loire Haute-Loire Puy-de-Dôme Rhône et métropole de Lyon Savoie Haute-Savoie |
Bourgogne-Franche-Comté |
Côte d’Or Doubs Jura Nièvre Haute-Saône Saône-et-Loire Yonne Territoire de Belfort |
Bretagne |
Côtes-d’Armor Finistère Ille-et-Vilaine Morbihan |
Centre-Val de Loire |
Cher Eure-et-Loir Indre Indre-et-Loire Loir-et-Cher Loiret |
Grand Est |
Ardennes Aube Marne Haute-Marne Meurthe-et-Moselle Meuse Moselle Bas-Rhin Haut-Rhin Vosges |
Hauts-de-France |
Aisne Nord Oise Pas-de-Calais Somme |
Île-de-France et Français établis hors de France |
Paris Seine-et-Marne Yvelines Essonne Hauts-de-Seine Seine-Saint-Denis Val-de-Marne Val-d’Oise Français établis hors de France |
Normandie |
Calvados Eure Manche Orne Seine-Maritime |
Nouvelle-Aquitaine |
Charente Charente-Maritime Corrèze Creuse Dordogne Gironde Landes Lot-et-Garonne Pyrénées-Atlantiques Deux-Sèvres Vienne Haute-Vienne |
Occitanie |
Ariège Aude Aveyron Gard Haute-Garonne Gers Hérault Lot Lozère Hautes-Pyrénées Pyrénées-Orientales Tarn Tarn-et-Garonne |
Pays de la Loire |
Loire-Atlantique Maine-et-Loire Mayenne Sarthe Vendée |
Provence-Alpes-Côte-d’Azur et Corse |
Haute-Corse Corse-du-Sud Alpes-de-Haute-Provence Hautes-Alpes Alpes-Maritimes Bouches-du-Rhône Var Vaucluse |
Outre-mer |
Saint-Pierre-et-Miquelon Guadeloupe Martinique Guyane La Réunion Mayotte Nouvelle-Calédonie Polynésie française Saint-Barthélemy Saint-Martin Wallis-et-Futuna |
. »
La parole est à M. Max Brisson, pour présenter l’amendement n° 11 rectifié ter.
M. Max Brisson. Par cet amendement, il s’agit de faire correspondre les circonscriptions électorales des représentants français au Parlement européen avec les régions administratives métropolitaines, auxquelles s’ajoute une circonscription ultramarine unique.
Cette proposition a déjà été beaucoup critiquée. Pourtant, parmi les motifs ayant conduit, en 2015, à la création des grandes régions était souvent citée la nécessité d’accroître le poids en Europe des régions françaises. Dès lors, le scrutin européen doit être l’occasion d’achever le travail. Il faut ancrer les députés européens dans des régions gestionnaires des fonds européens et en charge d’une partie des problématiques de l’Union.
Alors que, avec le découpage de 2004, les députés européens représentaient des circonscriptions multirégionales vides de sens, cet amendement vise à ancrer les députés européens dans des régions constituant un échelon administratif essentiel, celui des préfectures régionales, un échelon politique majeur, celui des conseils régionaux et, plus globalement, un échelon de plus en plus structurant dans l’organisation de la vie économique, sociale, culturelle et sportive du pays.
Nos députés seraient donc en phase avec des régions ayant leurs caractéristiques et problématiques propres : régions de montagne, régions maritimes, régions à dominante agricole, régions en position de carrefour sur les axes de mobilité européenne, régions frontalières ou régions ultramarines. Ce lien est également le seul moyen de ne pas laisser en dehors de l’aventure européenne les territoires de la France périphérique, en dissolvant leur représentation dans des listes nationales. Choisir une telle option ne peut que contribuer à accentuer une fracture préoccupante avec la France des centres connectés à la dynamique européenne.
Certes, de nombreux pays ont des circonscriptions nationales, mais ce sont pour l’essentiel des pays beaucoup plus petits que la France. Les pays européens les plus grands et les plus peuplés ont fait le choix, à l’exception de l’Espagne, d’un mode de scrutin régionalisé.
Nous ne pouvons, mes chers collègues, risquer d’éloigner davantage nos concitoyens, en renonçant à toute incarnation territoriale. Un scrutin véritablement régionalisé est le seul moyen de sceller la nécessaire proximité entre les citoyens et ceux qui les représentent. L’Europe, comme la France, s’incarne dans les territoires.
Mme la présidente. La parole est à M. François Bonhomme, pour présenter l’amendement n° 57 rectifié bis.
M. François Bonhomme. Cet amendement est identique à celui qui vient d’être présenté. Il vise simplement à apporter une réponse tout à fait différente à un diagnostic sans doute partagé : le mode de scrutin actuel, dans le cadre d’un découpage interrégional, n’est pas satisfaisant et produit des effets que nous avons tous dénoncés ici.
Simplement, nous en tirons une conséquence bien différente de la proposition du Gouvernement de revenir à une circonscription unique. Il s’agit non pas d’élargir un peu plus la circonscription, mais de créer un début – il convient d’être modeste en la matière – d’ancrage territorial.
Mme la ministre a évoqué le « nomadisme électoral ». Précisément, plus vous abaissez le seuil, plus vous êtes dans l’ancrage territorial et moins vous rencontrez le phénomène que Mme la ministre a bien connu par le passé…
Par ailleurs, il s’agit aussi de donner moins de pouvoirs aux partis politiques, en privilégiant les candidats avec des ressources propres, fondées sur leur compétence ou leur expérience, contrairement à ce qui se passe aujourd’hui, où les officines politiques se répartissent les postes.
Cette proposition n’est pas la panacée, mais elle a au moins le mérite, malgré ses imperfections, de fixer un cadre non pas interrégional, mais régional, correspondant aux nouveaux découpages territoriaux.
Mme la présidente. L’amendement n° 59 rectifié, présenté par Mme Garriaud-Maylam et MM. Frassa et Le Gleut, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
« Le tableau annexé à la loi n° 77-729 du 7 juillet 1977 relative à l’élection des représentants au Parlement européen est ainsi rédigé :
«
Nom des circonscriptions |
Composition des circonscriptions |
Auvergne-Rhône-Alpes |
Ain Allier Ardèche Cantal Drôme Isère Loire Haute-Loire Puy-de-Dôme Rhône et métropole de Lyon Savoie Haute-Savoie |
Bourgogne-Franche-Comté |
Côte d’Or Doubs Jura Nièvre Haute-Saône Saône-et-Loire Yonne Territoire de Belfort |
Bretagne |
Côtes-d’Armor Finistère Ille-et-Vilaine Morbihan |
Centre-Val de Loire |
Cher Eure-et-Loir Indre Indre-et-Loire Loir-et-Cher Loiret |
Grand Est |
Ardennes Aube Marne Haute-Marne Meurthe-et-Moselle Meuse Moselle Bas-Rhin Haut-Rhin Vosges |
Hauts-de-France |
Aisne Nord Oise Pas-de-Calais Somme |
Île-de-France |
Paris Seine-et-Marne Yvelines Essonne Hauts-de-Seine Seine-Saint-Denis Val-de-Marne Val-d’Oise |
Normandie |
Calvados Eure Manche Orne Seine-Maritime |
Nouvelle-Aquitaine |
Charente Charente-Maritime Corrèze Creuse Dordogne Gironde Landes Lot-et-Garonne Pyrénées-Atlantiques Deux-Sèvres Vienne Haute-Vienne |
Occitanie |
Ariège Aude Aveyron Gard Haute-Garonne Gers Hérault Lot Lozère Hautes-Pyrénées Pyrénées-Orientales Tarn Tarn-et-Garonne |
Pays de la Loire |
Loire-Atlantique Maine-et-Loire Mayenne Sarthe Vendée |
Provence-Alpes-Côte-d’Azur et Corse |
Haute-Corse Corse-du-Sud Alpes-de-Haute-Provence Hautes-Alpes Alpes-Maritimes Bouches-du-Rhône Var Vaucluse |
Outre-mer |
Saint-Pierre-et-Miquelon Guadeloupe Martinique Guyane La Réunion Mayotte Nouvelle-Calédonie Polynésie française Saint-Barthélemy Saint-Martin Wallis-et-Futuna |
Français établis hors de France |
Français établis hors de France |
. »
La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Cet amendement, quasi identique aux deux précédents, présente néanmoins une différence extrêmement importante. Cosigné par certains de mes collègues représentant les Français de l’étranger, il tend à introduire une circonscription supplémentaire pour les Français de l’étranger.
Comme j’ai eu l’occasion de le dire dans la discussion générale, les Français établis hors de France sont les tout premiers concernés par la construction européenne. Ils en vivent au quotidien les enjeux, en subissent les conséquences quand elles sont négatives, se battent pour l’idéal européen. Il m’apparaît donc extrêmement légitime qu’une telle revendication, qui est ancienne, soit enfin acceptée, et qu’ils puissent être représentés directement au Parlement européen, sans être rattachés arbitrairement à la circonscription d’Île-de-France, avec laquelle ils n’ont souvent pas le moindre lien.
Mme la présidente. L’amendement n° 23 rectifié ter, présenté par MM. Poadja, Marseille et Artano, Mmes Billon, Férat, Goy-Chavent et Guidez, MM. Joyandet, Lagourgue et Laugier, Mme Malet, MM. Laurey et Revet, Mmes Tetuanui et Deromedi et M. Poniatowski, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
Le tableau annexé à la loi n° 77-729 du 7 juillet 1977 relative à l’élection des représentants au Parlement européen est ainsi rédigé :
«
NOM DES CIRCONSCRIPTIONS |
COMPOSITION DES CIRCONSCRIPTIONS |
Hexagone |
Auvergne-Rhône-Alpes Bourgogne-Franche-Comté Bretagne Centre-Val de Loire Corse Grand Est Hauts-de-France Île-de-France et Français établis hors de France Normandie Nouvelle-Aquitaine Occitanie Pays de la Loire Provence-Alpes-Côte d’Azur |
Atlantique |
Guadeloupe Guyane Martinique Saint-Barthélemy Saint-Martin Saint-Pierre-et-Miquelon |
Indien |
Mayotte La Réunion |
Pacifique |
Nouvelle-Calédonie Polynésie française Wallis-et-Futuna |
. »
La parole est à Mme Françoise Férat.
Mme Françoise Férat. Je souhaite présenter cet amendement au nom de mon collègue Gérard Poadja, qui ne peut être parmi nous ce soir.
Si le projet de loi était adopté en l’état, les représentants des outre-mer pourraient être relégués, lors des élections européennes, à des places non éligibles, au détriment des populations ultramarines. Il est pourtant primordial qu’ils puissent continuer à défendre, à Strasbourg ou à Bruxelles, les enjeux qui leur sont propres, en tenant compte de leurs spécificités.
Créer une circonscription ultramarine serait un moindre mal, mais une telle décision serait insuffisante. Les régions ultrapériphériques et les pays et territoires d’outre-mer présentent des spécificités reconnues par la Constitution, ainsi que par l’article 349 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, et qui méritent d’être défendues au Parlement européen.
Pour s’assurer que les trois océans – Atlantique, Indien et Pacifique – seront bien représentés, cet amendement prévoit la création de trois circonscriptions ultramarines, selon le périmètre des trois sections prévues à l’article 3–1 de la loi du 7 juillet 1977.
Mme la présidente. Les amendements nos 22 rectifié quater, 34 et 77 rectifié bis sont identiques.
L’amendement n° 22 rectifié quater est présenté par MM. Poadja, Marseille et Artano, Mme Billon, M. Bonnecarrère, Mmes Férat, Goy-Chavent et Guidez, MM. Joyandet, Kern, Lagourgue et Laugier, Mme Malet, MM. Laurey et Revet, Mme Tetuanui, M. Savin, Mme Deromedi et M. Poniatowski.
L’amendement n° 34 est présenté par M. Lurel, Mmes Conconne et Jasmin, MM. Antiste, Leconte et Marie, Mme Harribey, M. Todeschini, Mme Tocqueville, M. Duran, Mmes Conway-Mouret, Artigalas et Rossignol, MM. Courteau et Lalande et Mmes Ghali, Espagnac et Perol-Dumont.
L’amendement n° 77 rectifié bis est présenté par MM. Arnell, A. Bertrand, Castelli et Gold, Mme Jouve, M. Labbé, Mme Laborde et MM. Menonville et Requier.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Rédiger ainsi cet article :
Le tableau annexé à la loi n° 77-729 du 7 juillet 1977 relative à l’élection des représentants au Parlement européen est ainsi rédigé :
«
NOM DES CIRCONSCRIPTIONS |
COMPOSITION DES CIRCONSCRIPTIONS |
HEXAGONE |
Auvergne-Rhône-Alpes Bourgogne-Franche-Comté Bretagne Centre-Val de Loire Corse Grand Est Hauts-de-France Île-de-France et Français établis hors de France Normandie Nouvelle-Aquitaine Occitanie Pays de la Loire Provence-Alpes-Côte d’Azur |
OUTRE-MER |
Saint-Pierre-et-Miquelon Guadeloupe Martinique Guyane La Réunion Mayotte Nouvelle-Calédonie Polynésie française Wallis-et-Futuna Saint-Martin Saint-Barthélemy |
».
La parole est à M. Philippe Bonnecarrère, pour présenter l’amendement n° 22 rectifié quater.
M. Philippe Bonnecarrère. Cet amendement est également la traduction de l’idée développée à l’instant par ma collègue. Je tiens à excuser de nouveau Gérard Poadja, qui a dû repartir en Nouvelle-Calédonie, à la suite d’un décès. Il aurait tout particulièrement tenu à soutenir cet amendement aux côtés de nos collègues de Polynésie et de la Réunion.
Si l’amendement n° 23 rectifié ter visait à créer trois circonscriptions ultramarines, celui-ci n’en prévoit qu’une seule. Toutefois, il est conforme à l’idée développée par de multiples intervenants, notamment au cours de la discussion générale.
Madame la ministre, cet amendement exprime une sensibilité ultramarine, consciente des enjeux de ces territoires. Je pense également à la dimension maritime de notre pays, qui s’appuie largement sur l’outre-mer, notre pays possédant la deuxième zone économique exclusive du monde. Par ailleurs, au sein du bloc continental que constitue l’Union européenne, si le Portugal, le Danemark, voire les Pays-Bas, ont également une forme d’outre-mer, celui-ci n’a pas la dimension ni l’importance des territoires ultramarins français.
C’est donc au titre de cette sensibilité que nos collègues s’efforcent de porter le message d’une circonscription ultramarine. L’ensemble du groupe centriste sera extrêmement sensible à la manière dont les élus ultramarins seront intégrés au débat européen, même si nous comprenons bien que le comportement des partis politiques est également en jeu en la matière.
Enfin, mes collègues sont conscients que le message que nous portons en faveur de l’outre-mer peut trouver des limites constitutionnelles, au regard de l’égalité devant le vote. C’est l’exercice du cœur et de la raison que j’évoquais au cours de la discussion générale ! Par conséquent, s’il devait y avoir, dans quelques minutes, un scrutin public, nombre des membres de notre groupe soutiendraient cet amendement, mais nous ne serions pas unanimes, eu égard à la perspective constitutionnelle.
Mme la présidente. La parole est à M. Victorin Lurel, pour présenter l’amendement n° 34.
M. Victorin Lurel. Cet amendement est identique à celui qui vient d’être défendu et à celui que notre collègue Guillaume Arnell présentera dans quelques instants.
Nous nous retrouvons sur toutes les travées pour reconnaître la nécessité de maintenir une circonscription d’outre-mer.
Madame la ministre, la France est sans doute le seul pays européen à être « archipélique » et à avoir une telle dimension « continentale », sur trois bassins océaniques. La seule Polynésie française est plus grande que l’Europe !
Vous avez indiqué devant l’Assemblée nationale et le Sénat que le maintien de cette circonscription ferait peut-être courir un risque de rupture de l’égalité devant le suffrage. Je n’en crois rien !
Nous avons une jurisprudence, celle de 2003 ; on peut vous montrer les décisions du Conseil constitutionnel. Je pourrais également évoquer la jurisprudence Nicolo, qui concernait mon département, la Guadeloupe. Il est possible d’avoir des modes de scrutin différenciés. D’ailleurs, nous sommes nous-mêmes élus selon un double mode de scrutin. Mutatis mutandis, ce qui est possible ici l’est aussi ailleurs, même s’il s’agit d’autres départements. On peut parfaitement avoir une circonscription hexagonale et une circonscription d’outre-mer.
Encore une fois, il n’y a aucune incompatibilité : si l’Europe représente les citoyens, pourquoi les citoyens des outre-mer ne pourraient-ils pas représenter l’Europe ? Ce n’est pas parce qu’ils sont élus dans une circonscription géographique que le Conseil constitutionnel pourrait prononcer une censure !
Dans les outre-mer, nous avons deux types de territoires.
D’une part, les pays et territoires d’outre-mer, les PTOM, sont souvent des collectivités d’outre-mer ayant des intérêts propres au sein de la République. Il s’agit d’une catégorie constitutionnelle. Cela inclut des modes de scrutin différenciés.
D’autre part, les régions ultrapériphériques, les RUP, sont souvent des collectivités de plein droit, de l’article 73 de la Constitution. Elles ont aussi des spécificités, des contraintes et des situations particulières, qu’il faut absolument prendre en compte.
Je ne vois pas pourquoi tout cela ne serait pas examiné sous le prétexte d’une possible rupture d’égalité devant le suffrage et pourquoi nous ne pourrions pas faire coexister une circonscription hexagonale et une circonscription d’outre-mer.
Mme la présidente. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Victorin Lurel. Je soutiens donc le maintien de deux circonscriptions différentes avec le même mode de scrutin.
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Arnell, pour présenter l’amendement n° 77 rectifié bis.
M. Guillaume Arnell. Cet amendement est identique aux deux amendements qui viennent d’être présentés.
Au sein de l’Union européenne comme de la République, les territoires d’outre-mer sont soumis à des dispositions particulières, principalement justifiées – mais pas uniquement ! – par leur éloignement géographique, qui est source de contraintes importantes, notamment lorsqu’il s’agit d’appliquer les règles de droit parmi les plus progressistes du monde dans un environnement économique plus contrasté que celui de l’Union européenne.
Il est donc nécessaire d’exercer une surveillance particulière lors de l’examen de textes européens susceptibles d’impacter plus durement ces territoires. Je pense notamment à la mise en œuvre de la politique agricole commune, à la politique environnementale ou encore à la conclusion d’accords de libre-échange par l’Union européenne.
Pour justifier son absorption par la circonscription unique, il a été argué que la circonscription d’outre-mer n’avait pas de cohérence dès lors qu’elle réunissait des territoires éparpillés dans l’océan Atlantique, la mer des Caraïbes, l’océan Indien et le Pacifique. Il est vrai que des différences existent d’un territoire à l’autre. Mais nous faisons face à des défis similaires ; c’est la raison pour laquelle les contours de cette circonscription n’ont, jusqu’à présent, pas été contestés par les populations concernées.
Contrairement aux autres territoires de la République, seuls ceux de l’outre-mer sont soumis à un statut constitutionnel particulier. Cela devrait permettre de minimiser le risque d’inconstitutionnalité.
Il s’agit ici non pas d’une revendication identitaire, mais de réalisme ! Comment s’assurer que l’Union européenne sauvegarde les intérêts des territoires situés à ses confins, même les plus éloignés, sans que ces derniers soient convenablement représentés ? Je regretterais que nous ne prenions pas la mesure du risque qu’une telle réforme représente pour ces territoires, dont la valeur stratégique pour la France comme pour l’Union européenne n’est pas encore suffisamment reconnue !
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Richard, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable sur ces sept amendements.
Nous avons deux amendements dont l’objet principal est de substituer à la circonscription unique prévue dans le projet de loi un ensemble de treize circonscriptions ; il y aurait une circonscription pour chaque région de métropole, à l’exception de la Corse, qui serait regroupée avec la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, et une circonscription pour l’ensemble des départements et collectivités d’outre-mer.
C’est une position que je qualifierai de « transversale ». Elle est contradictoire avec le projet du Gouvernement. La commission s’est prononcée nettement en faveur de la circonscription nationale, donc contre le découpage en circonscriptions régionales.
Au demeurant, des représentations régionales ne garantiraient pas nécessairement une meilleure représentation de la France.
Je rappelle d’ailleurs que, pendant toute la première période des élections européennes, la famille politique aujourd’hui représentée par Les Républicains a longuement défendu l’idée selon laquelle la représentation collective de la France au sein du Parlement européen était une nécessité,…
M. André Gattolin. Absolument !
M. Alain Richard, rapporteur. … plaidant donc pour une circonscription unique.
Certes, il peut arriver à chaque famille politique, avec le respect que nous nous devons dans le débat démocratique, de faire évoluer sa position.
Pour autant, comme l’a souligné André Gattolin tout à l’heure, du point de vue de la représentation géographique, il y aurait de toute façon de grosses différences. Certaines régions arriveraient à avoir peut-être un ou deux parlementaires, soit une représentativité tout de même fort réduite, tandis que d’autres en auraient beaucoup plus. Les effets de la proportionnelle seraient extrêmement différents entre les grandes et les petites régions.
Voilà pour la première série d’amendements, qui visent à faire élire les députés européens dans les régions, et non nationalement.
J’en viens à la seconde série d’amendements, qui, sans remettre en cause le principe d’une circonscription nationale unique, tendent à la création d’une circonscription spécifique pour l’outre-mer. La commission s’y est également opposée, pour trois motifs.
Premièrement, et j’insiste sur ce point, qui touche au sens politique des élections européennes, si nous pensons qu’il y a une représentation de la France au sein du Parlement européen, tous les eurodéputés français représentent tous les territoires ! Dès lors, chacun d’entre eux défend – et a d’ailleurs défendu par le passé – l’ensemble des régions françaises, notamment les régions ultrapériphériques et l’outre-mer.
Deuxièmement, il y aurait une différenciation forte, et sans doute trop forte du point de vue de l’égalité du suffrage, entre des régions auxquelles l’on reconnaîtrait une représentation spécifique – qui serait constituée de trois eurodéputés –, et les autres régions, dont certaines peuvent également se prévaloir de spécificités. M. Grosdidier a par exemple mentionné les régions frontalières ; nous pourrions également évoquer celles qui ont des particularités géographiques. Toutes seront fondues dans la circonscription nationale.
Troisièmement, je souhaite appeler l’attention des collègues ultramarins défendant de tels amendements sur le fait que le mode de scrutin de la circonscription d’outre-mer tel qu’il a été pratiqué en 2004, 2009 et 2014 n’a jamais été vérifié par le Conseil constitutionnel. C’est une chance ! En effet, en raison du mode assez indirect, « par ricochet », de choix des élus à l’intérieur des listes, et de la très forte disparité démographique – la circonscription de l’océan Pacifique compte moins de 500 000 habitants, alors que celle de l’océan Indien en compte pratiquement un million –, il y a là une disproportion à l’intérieur d’un ensemble électoral qui serait probablement critiquée par le Conseil constitutionnel !
Mieux vaut donc, me semble-t-il, nous en tenir au choix retenu dans le projet de loi, un choix qui a d’ailleurs recueilli une majorité nette au sein de la commission : tous les parlementaires européens représentent toute la France, y compris dans ses spécificités les plus éloignées !
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Le Gouvernement partage l’avis du rapporteur.
Je précise que nous avons étudié de près l’option de l’élection des eurodéputés dans le cadre des treize nouvelles régions.
Mme Jacqueline Gourault, ministre. C’était effectivement une possibilité. Mais, comme M. le rapporteur vient de l’expliquer, le découpage en circonscriptions régionales présente un inconvénient certain, celui de limiter mécaniquement les effets du scrutin proportionnel.
Avec l’augmentation du nombre de circonscriptions, certaines régions, comme la Bourgogne-Franche-Comté, le Centre-Val de Loire, la Bretagne, la Normandie ou les Pays de la Loire, n’auraient que trois ou quatre eurodéputés, alors que, aujourd’hui, la plus petite circonscription hors outre-mer, celle du Massif central-Centre, en a cinq ! Il y aurait donc un problème de répartition des parlementaires sur le territoire national, et les effets de la proportionnelle en termes de représentation de la diversité politique seraient atténués : c’est mathématique !
J’en profite pour rappeler à M. Bonhomme que, comme le prévoit l’article 4 de la Constitution, les partis et groupements politiques « concourent à l’expression du suffrage ».
M. François Bonhomme. Et alors ?
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Je tiens à le préciser pour des raisons d’ordre démocratique. Chacun a la liberté d’appartenir ou non à un parti politique, et de se faire élire ou non avec une étiquette politique. Les partis politiques existent – ce ne sont pas évidemment les sénateurs qui me démentiront – et concourent à la vie démocratique du pays !
Le Gouvernement a également examiné l’option du maintien d’une circonscription ultramarine. Nous avons effectivement constaté que cela emportait plusieurs risques juridiques susceptibles d’être sanctionnés par le Conseil constitutionnel.
Je le répète, créer une circonscription ultramarine reviendrait à faire élire des représentants européens selon deux légitimités différentes : l’une nationale, l’autre régionale. Un décalage apparaîtrait ainsi entre la part, prépondérante, des députés européens élus dans la circonscription métropolitaine et les quelques représentants élus dans la circonscription ultramarine.
Garantir la spécificité d’une représentation territoriale aux électeurs ultramarins, spécificité dont le reste des électeurs ne bénéficieraient pas, présente des risques en termes d’égalité des citoyens devant le suffrage.
Et le découpage de la circonscription ultramarine en trois circonscriptions correspondant aux trois océans, Pacifique, Atlantique et Indien, présente des risques majeurs d’inconstitutionnalité au regard des écarts substantiels de représentation qu’elle emporte.
Ainsi, dans la section Pacifique, un député européen représenterait 570 000 habitants, contre plus d’un million dans les sections Indien et Atlantique. Les difficultés juridiques que ces écarts soulèveraient au sein même de la circonscription ultramarine seraient accrues par un écart de représentativité encore plus important entre les électeurs de celle-ci et ceux de la circonscription hexagonale.
Si le Conseil constitutionnel peut accepter de déroger au principe d’élections sur des bases essentiellement démographiques, il y a fort à craindre que tel ne serait pas le cas ici au vu, d’une part, des écarts ainsi créés et, d’autre part, de l’objectif du projet de loi : créer une circonscription unique, qui deviendrait hexagonale dans une telle hypothèse. Les écarts de représentativité entre les électeurs seraient accrus et susceptibles de faire l’objet d’une censure par le Conseil constitutionnel, toujours au regard du principe d’égalité.
En outre, de telles circonscriptions ne laisseraient aucune place à l’opposition. En effet, en vertu du principe constitutionnel de répartition des sièges sur des bases essentiellement démographiques, elles ne compteraient qu’un seul siège. Les risques d’une censure sont dès lors accrus.
Sur le plan des principes, la création d’une circonscription ultramarine ne manquerait pas d’être légitimement contestée par d’autres régions. M. le rapporteur vient de mentionner les régions frontalières. Je pourrais évoquer, pour des raisons qui n’échapperont à personne, la Corse. (Sourires.)
La création d’une circonscription ultramarine nuirait évidemment à l’intelligibilité du scrutin pour les électeurs. Elle créerait pour les populations d’outre-mer le sentiment de bénéficier d’un traitement politique différencié, en distinguant les Ultramarins et les Métropolitains parmi les représentants français au Parlement européen. Or les électeurs, comme certains députés européens élus dans le cadre de l’actuelle circonscription d’outre-mer ne souhaitent pas nécessairement une telle différenciation.
En outre, une étude comparée montre que d’autres États membres disposant de régions ultrapériphériques, certes peut-être pas aussi étendues, comme le Danemark, l’Espagne, les Pays-Bas ou le Portugal, ont retenu le principe d’une circonscription unique intégrant leurs territoires ultramarins.
Très sincèrement, le Gouvernement fait confiance aux différents partis politiques, qui constitueront les listes. Certes, si l’on veut passer outre les partis politiques, il est toujours possible – cela se fait dans d’autres États membres – de constituer des listes avec des candidats issus des mêmes territoires ; d’ailleurs, jusqu’en 2003, il existait en France des listes composées exclusivement de candidats ultramarins. On observe des pratiques similaires sur d’autres élections au scrutin de liste, comme les municipales.
Il faut le rappeler, c’est la France qui est représentée au Parlement européen. Et tous les territoires ultramarins font partie de la communauté nationale. Il est donc bien normal qu’il y ait une circonscription unique.
Encore une fois, il appartient aux responsables politiques et à ceux qui constituent des listes de faire en sorte de représenter aussi bien le territoire hexagonal que les territoires ultramarins. Je n’imagine pas des responsables politiques oublier l’outre-mer lors de la composition des listes : ce serait une erreur fondamentale ! (MM. François Patriat et André Gattolin applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Gremillet, pour explication de vote.
M. Daniel Gremillet. Je soutiens complètement les amendements identiques de nos collègues François Bonhomme et Max Brisson.
Nous avons besoin de redonner un souffle à l’Europe. Et, pour cela, le seul moyen, c’est d’avoir des femmes et des hommes élus dans les territoires, qui rendent comptent à leur territoire.
Au demeurant, les régions – je n’ai pas entendu le Gouvernement revenir sur le découpage de ces dernières – ont un rôle opérationnel majeur dans la gestion, notamment, des fonds européens. L’exercice de la responsabilité – rendre compte de l’action que l’on mène au Parlement européen – a donc bien un sens aujourd’hui.
L’Europe est une chance ; il faut aller plus loin et parachever la construction européenne ! Or nous ne pourrons pas aller plus loin si ces femmes et ces hommes ne sont pas enracinés dans des territoires et ne font pas partager le projet européen aux électrices et aux électeurs de ces territoires. Nous avons besoin de proximité, de lien territorial !
Je soutiens donc ces deux amendements, qui incarnent avec bon sens l’Europe en laquelle nous croyons.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Je souhaite d’abord rappeler un élément à Mme la ministre : il s’agit d’une représentation non pas de la France au Parlement européen, mais des citoyens européens qui vivent sur le territoire de la République ; c’est totalement différent !
Pour ma part, habitant en Pologne, j’ai voté trois fois pour des listes polonaises. Et la moitié des Français établis hors de France, qui peuvent effectivement voter dans leur pays de résidence dès lors qu’il s’agit d’un État membre de l’Union européenne, font de même.
Les territoires des outre-mer ont des spécificités. En termes de liberté de circulation, lorsque vous êtes en Guyane et que vous êtes étranger ou demandeur d’asile, vous n’avez pas la liberté de circuler sur l’ensemble du territoire français et européen. Ces territoires connaissent d’autres réalités géopolitiques, qu’il faut, me semble-t-il, prendre en compte au Parlement européen.
Je me permets d’ailleurs de vous rappeler le contenu de la résolution européenne du Sénat du 16 avril 2016. En vertu de cette dernière, le Sénat juge « indispensable que les élus d’assemblées ou de parlements des régions ultrapériphériques et des pays et territoires d’outre-mer dotés de pouvoirs législatifs continuent à être représentés au sein du Parlement européen », demande l’abandon des règles alors envisagées d’incompatibilité entre un mandat en outre-mer et celui de député européen, appuie, comme je l’ai évoqué lors de la discussion générale, « la mise en œuvre d’un système d’échange d’informations entre les États membres » et – c’est une réponse à Joëlle Garriaud-Maylam – souhaite « la mise en place d’une circonscription commune pour les citoyens de l’Union résidant dans les pays tiers afin d’assurer à ceux-ci de manière systématique et égale le droit à une représentation au Parlement européen ».
À mon sens, nous serions aujourd’hui bien inspirés d’essayer de faire converger nos votes avec les dispositions de cette résolution, en particulier celles qui concernent la circonscription spécifique à l’outre-mer. Pour le coup, il n’y a absolument aucun risque d’inconstitutionnalité. Il s’agit d’instaurer non pas trois circonscriptions avec des députés qui représenteraient un nombre d’électeurs très différent, mais une seule circonscription. Je pense donc que ces amendements permettent d’atteindre les objectifs visés.
Mme la présidente. Mes chers collègues, je vous rappelle que les explications de vote portent sur les amendements identiques nos 11 rectifié ter et 57 rectifié bis.
La parole est à M. Victorin Lurel, pour explication de vote.
M. Victorin Lurel. Dans la foulée de ce que mon collègue vient d’indiquer, je précise qu’il s’agit bien d’une circonscription d’outre-mer, et non pas de trois circonscriptions. Il est vrai que les auteurs de certains amendements réclament trois circonscriptions, avec une répartition par bassin océanique. Mais ce n’est pas le sens de nos amendements.
M. le rapporteur indique que le dispositif n’a pas été examiné par le Conseil constitutionnel et qu’il y aurait un risque de rupture d’égalité, voire de rupture du critère démographique. Mais il s’agit d’une circonscription ; c’est la répartition des sièges qui se fait par bassin océanique. En matière d’intelligibilité, de loyauté, de clarté et de sincérité du scrutin, on ne fait pas mieux ! Le système que nous proposons n’est pas plus compliqué que ce qui existe. Très sincèrement, ce qui est envisagé à l’échelon national n’est pas forcément plus lisible. Nos électeurs se sont fort bien accommodés de la répartition par bassin océanique et la comprennent parfaitement.
Encore une fois, la France est peut-être la seule République « archipélique ». Il y a plusieurs articles spécifiques dans la Constitution ; je pense à l’article 73, à l’article 74, aux dispositions concernant la Polynésie française, voire au titre XIII, qui appellent la République à tenir compte des intérêts propres de ces territoires. Si le Conseil constitutionnel ne veut pas en tenir compte, où va-t-on ?
L’article 73 introduit la notion « d’adaptations ». Certes, jusqu’ici, le Conseil constitutionnel l’a interprétée, sur certains aspects, pas en matière électorale, de manière fort restrictive. Nous demandons donc que, à la faveur de la révision constitutionnelle, la notion puisse être élargie.
Honnêtement, je ne vois pas où est le risque. Et quand bien même il y en aurait un, qu’est-ce que cela nous coûterait de le prendre, quitte à parfaire la loi ensuite ? Quelle urgence y a-t-il à tenter de figer la jurisprudence du Conseil constitutionnel ? Nous ne croyons pas à ce qui nous est répondu, et nous persistons à dire que le dispositif proposé est un bon compromis. Le Sénat, conformément à sa tradition transpartisane, devrait pouvoir voter ces amendements.
Mme la présidente. La parole est à M. François Bonhomme, pour explication de vote.
M. François Bonhomme. J’ai entendu notre collègue André Gattolin indiquer tout à l’heure que le débat devait se tenir non pas ici, mais au sein des partis politiques, et appeler à se battre à l’intérieur de ceux-ci. Ses arguments ont été repris par Mme la ministre, qui a déclaré faire confiance aux partis politiques.
Pour ma part, je ne fais pas confiance aux partis politiques. (Exclamations sur les travées du groupe La République En Marche.)
M. Alain Richard, rapporteur. Parlez pour le vôtre !
M. François Bonhomme. Moi, je fais confiance aux électeurs.
M. David Assouline. Démago !
M. François Bonhomme. C’est précisément par l’absence d’ancrage territorial que vous donnez une forme de toute-puissance politique aux partis politiques. Dieu sait pourtant qu’ils sont faibles en matière de réflexion programmatique ! Dieu sait qu’ils sont forts dès que vous leur donnez les moyens d’interférer dans le suffrage universel ! C’est parce que vous leur donnez la possibilité de s’exonérer du critère régional que vous les renforcez dans leur rôle de sélection des candidats.
À l’inverse, introduire un élément d’ancrage territorial permettrait de tempérer un peu la toute-puissance des partis et d’avoir un peu moins d’apparatchiks parmi les élus, ce qui serait tout de même un avantage. (Protestations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Je reconnais que notre proposition de circonscriptions régionales n’est pas la panacée, mais elle a le mérite de poser la question du mode de scrutin. L’Acte du 20 septembre 1976, qui empêche de porter atteinte au scrutin proportionnel, est une vraie entorse à la démocratie ! (M. André Gattolin s’exclame.) Je ne vois pas pourquoi les États ne pourraient pas choisir leur mode de scrutin. (Exclamations sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.) Oui, je vois bien l’intérêt d’un tel système pour des formations ultra-minoritaires : cela permet de protéger des espèces en voie de disparition !
Mais je rappelle que c’est tout de même lorsqu’il s’exprime par le scrutin direct et clair que le suffrage universel est le plus lisible et le plus intelligible ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Nassimah Dindar, pour explication de vote.
Mme Nassimah Dindar. Je souhaite m’exprimer sur la deuxième série d’amendements, pour une représentation équilibrée des citoyens européens que sont les Français habitant dans les territoires ultrapériphériques.
Nous sommes des citoyens européens, et l’Union européenne le reconnaît : l’article 349 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne nous fait bien exister en tant que régions ultrapériphériques au sein de celle-ci.
Je défends donc, avec l’ensemble de mes collègues, les amendements tendant à faire en sorte que nous soyons représentés au sein d’un seul corps électoral. Nous ne voulons pas de trois corps électoraux distincts. Mais il faut que les Réunionnais, les Guadeloupéens, les Martiniquais et les habitants des collectivités d’outre-mer puissent aussi être représentés.
Madame la ministre, je vous ai bien entendue, mais je ne crois pas du tout que le principe d’égalité soit touché. Sinon, au regard du nombre de parlementaires comparé au nombre d’électeurs, il faudrait sans doute revoir, par exemple, le nombre de sénateurs élus à Mayotte. Je ne pense donc pas que ce principe soit remis en cause.
Légitimement, je ne crois pas qu’une circonscription ultramarine remette en cause la représentation nationale. Il faut revenir sur ce qu’a dit Mme la ministre ; cela participe d’une vision.
Oui, l’Europe doit représenter et unir tous les Français, vous l’avez rappelé, mais elle doit aussi permettre à la France de rayonner dans le monde entier, à travers tous les océans ! Nous sommes, nous, des atouts supplémentaires pour faire exister l’Union européenne dans les zones géographiques du Pacifique et de l’océan Indien, à proximité des grands continents et des lieux d’échanges internationaux, puisque tel est déjà le chemin, ou plutôt l’autoroute, qu’empruntent la mondialisation et les grands axes de développement.
Je voudrais rappeler un exemple. Nous avons beaucoup débattu des événements qui se déroulent aujourd’hui à Mayotte, lesquels continuent de faire réagir les populations mahoraise et réunionnaise, ainsi que l’ensemble des élus, des citoyens, des députés et des Européens.
Mme la présidente. Il faut conclure, ma chère collègue !
Mme Nassimah Dindar. J’ajoute que l’Union européenne consacre beaucoup d’argent à ces territoires via le Fonds européen de développement, lequel, en plus d’aider Mayotte et La Réunion, intervient à hauteur de plus de 25 millions d’euros en faveur des Comores. Ne pensez-vous pas qu’il faudrait une cohérence avec la vision européenne,…
Mme la présidente. Il faut vraiment conclure, chère collègue !
Mme Nassimah Dindar. … afin que cet argent que nous dépensons profite véritablement au développement ? Nous n’aurions pas connu tous ces problèmes à Mayotte si le codéveloppement avec les Comores avait eu lieu.
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures trente, est reprise à dix-neuf heures trente-cinq.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
La parole est à M. Maurice Antiste, pour explication de vote.
M. Maurice Antiste. Les enjeux européens sont majeurs pour nos territoires.
L’Union européenne reconnaît la spécificité des outre-mer, à travers notamment les statuts qu’elle a créés, celui des RUP, cité précédemment, et celui des PTOM, grâce auxquels ces territoires bénéficient de traitements adaptés permettant de tenir compte des obstacles inhérents à leur situation spécifique : éloignement de l’Europe continentale, contraintes naturelles liées à leur insularité et à leur étroitesse territoriale, vulnérabilité climatique – cyclones, volcans, séismes – et écologique, ainsi qu’une dépendance économique à l’égard de quelques produits agricoles, tels que les bananes ou le rhum. N’oublions pas également que certains territoires – Martinique, Guyane, Guadeloupe, Saint-Martin, La Réunion et Mayotte – sont concernés par le POSEI dans le domaine de la pêche et de l’agriculture.
Ce sont ces spécificités qui nécessitent la survie d’une circonscription outre-mer. Comme l’affirmait avec sagesse le docteur Pierre Aliker, premier adjoint d’Aimé Césaire à la mairie de Fort-de-France pendant quarante-cinq ans, « les meilleurs spécialistes des affaires martiniquaises sont les Martiniquais eux-mêmes ». Je pourrais adapter ce propos en disant que les meilleurs spécialistes des affaires ultramarines sont les Ultramarins eux-mêmes.
Cette idée de double circonscription a été prétendument étudiée, puis écartée au motif que les populations d’outre-mer auraient le sentiment de bénéficier d’un traitement politique différencié auquel elles n’aspirent pas nécessairement et que les députés européens n’ont pas vocation à représenter un territoire en particulier, mais l’ensemble des citoyens.
Madame la ministre, mes chers collègues, soyons sérieux ! Si le sujet n’était pas vital pour nos concitoyens et nos territoires, cet argumentaire prêterait à sourire.
Nos populations méritent le respect, celui de leur pensée, de leur liberté de vote, de leur identité et de leur représentativité. Je vous le dis, ce projet de loi est l’annonce de désastres assurés.
Les pays et territoires d’outre-mer sont associés à l’Union européenne. Ils ont accès, sous certaines conditions, au marché commun et bénéficient d’un soutien financier de cette dernière pour leur développement économique et social.
Nos ressortissants possèdent la citoyenneté européenne et sont, à ce titre, électeurs et éligibles aux élections européennes. Ne nous ôtez pas ce droit, au motif que l’abstention lors des dernières élections européennes était de l’ordre de 83 %.
Mme la présidente. Il faut conclure, cher collègue !
M. Maurice Antiste. Si tel était le cas, la réponse de nos concitoyens ultramarins serait cinglante !
Je voterai donc ces amendements. S’ils n’étaient pas adoptés, je ne voterai pas ce texte.
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Arnell, pour explication de vote.
M. Guillaume Arnell. Je voudrais mêler ma voix à celle de mes collègues.
Après avoir écouté le rapporteur et la ministre, quatre remarques me viennent à l’esprit.
Premièrement, à l’argument du risque d’inconstitutionnalité, je répondrai simplement que la vie est faite de prises de risques.
Deuxièmement, s’agissant du propos de M. le rapporteur sur le Conseil constitutionnel, est-ce à dire qu’à l’époque ces éminents spécialistes n’auraient pas fait leur travail ?
M. Alain Richard, rapporteur. Le Conseil constitutionnel n’a pas été saisi !
M. Guillaume Arnell. S’il n’a pas été saisi, cela signifie que le point ne prêtait pas à discussion…
Troisièmement, pourquoi remettrait-on en cause aujourd’hui, au motif de son inconstitutionnalité, une règle qui est encore en application ?
Quatrièmement, Maurice Antiste a dit que les meilleurs défenseurs des spécificités d’un territoire étaient ses habitants et ses élus. Je rappellerai deux sujets qui ont fait polémique et qui posent encore quelques difficultés.
Le premier est celui des sucres spéciaux. Un accord a été conclu entre la France et le Vietnam sans qu’une concertation ait été organisée avec les élus ultramarins.
Le second sujet concerne l’aide européenne aux flottilles de pêche. Qui a défendu les intérêts des outre-mer ? Personne !
Je conclurai par une boutade. Pourquoi devrions-nous avoir un ministre des outre-mer ? Un autre ministre, par exemple, celui de l’intérieur, pourrait tout aussi bien s’occuper de tous les territoires… L’existence d’un ministre des outre-mer se justifie par les particularismes et les spécificités de ces territoires, auxquels il convient d’accorder une attention particulière. (M. Maurice Antiste et Mme Victoire Jasmin applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à M. Max Brisson, pour explication de vote.
M. Max Brisson. Je ferai quatre remarques.
La première concerne le mode de scrutin.
Il est incontestable que nous n’avons pas tous la même histoire. Pour ma part, je suis par atavisme favorable au scrutin uninominal majoritaire à deux tours. C’est dans mes gènes ! Avec ce mode de scrutin, la question des territoires ne se pose pas, elle est une évidence. La question des territoires ne se pose qu’avec le mode de scrutin proportionnel.
Une idée à la mode est que les parlementaires n’ont pas besoin d’être ancrés dans les territoires. Je pense le contraire, et c’est ce qui fait notre différence. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Ma deuxième remarque a trait aux régions.
Pour l’Europe, les régions sont importantes ; on parle même parfois de l’Europe des régions. Ce n’est pas vraiment dans ma culture, mais nous aurions là l’occasion de donner à la représentation française au sein du Parlement européen une possibilité d’ancrage dans les régions, dont on sait l’importance au niveau européen.
Or, après le découpage régional, nous allons passer à côté de cela ! Il y avait pourtant une cohérence, même si c’était imparfait, dans le fait que les députés européens soient élus dans le cadre de circonscriptions régionales. Les circonscriptions d’aujourd’hui sont parfois découpées sur plusieurs régions et ne présentent pas la même cohérence avec l’organisation politique et administrative de notre pays.
Ma troisième remarque porte sur la participation. Celle-ci a fortement baissé lorsque le scrutin portait sur des listes nationales. Avec l’instauration de circonscriptions régionales, l’érosion a été moins forte.
Quatrième et dernière remarque, vous avez dit que la plupart des pays européens avaient fait le choix d’une circonscription unique. Or ce n’est le cas d’aucun des grands pays européens, à l’exception de l’Espagne, qui entretient un rapport très particulier aux régions. Nous serons donc les seuls, avec l’Espagne, à faire ce choix !
M. André Gattolin. C’est faux !
M. Max Brisson. Voilà bien le clivage entre régions, territoires et suffrage universel ! Pour nous, le suffrage universel représente certes les citoyens, mais aussi les territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Magras, pour explication de vote.
M. Michel Magras. Je suis totalement d’accord avec ce que vient de dire Max Brisson.
Permettez-moi, madame la ministre, de faire quelques observations.
Vous nous avez fait un grand exposé sur le fait que le Conseil constitutionnel risquait de nous censurer. Or, nous, parlementaires, sommes responsables de nos votes ! Qui peut avoir peur, dans cet hémicycle, que le Conseil constitutionnel ne soit pas d’accord avec nos décisions ? Notre rôle est de voter, celui du Conseil est de dire si ce que nous avons voté est constitutionnel ou pas. Je ne vois pas pourquoi nous devrions nous autocensurer dans l’exercice de notre mission, au prétexte qu’il pourrait nous sanctionner.
Par ailleurs, cela a été dit et redit, il existe deux statuts des collectivités ultramarines en Europe : les RUP et les PTOM, c’est-à-dire les territoires qui sont inclus dans l’Europe et ceux qui y sont associés. Le territoire dont je suis élu fait ainsi partie de la deuxième catégorie.
Si tout ce qui a été dit était vrai, pourquoi les rédacteurs du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ont-ils pris la précaution de rédiger un article 349, relatif aux RUP, qui a prouvé toute son efficacité avec l’arrêt Mayotte ? Et pourquoi un chapitre presque entier de ce traité serait-il consacré aux PTOM ? La raison en est, bien entendu, que nos territoires ont des spécificités.
Tous ceux qui sont familiers de ce problème savent que l’Europe n’a pas le temps de s’occuper de nous. Nos territoires constituent des microproblématiques pour l’Europe, dont personne ne tient compte.
J’ai dit dans mon intervention liminaire que nous pourrions très bien être représentés par n’importe quel citoyen de la nation française. Mais la nécessité géographique, sur laquelle a notamment beaucoup insisté Victorin Lurel, est absolue : le contexte ultramarin est tel que personne mieux que les Ultramarins ne saurait être sensible aux textes votés au niveau de l’Europe qui ont une incidence sur ces territoires.
Les résultats sont là, prouvant à quel point les élus ultramarins sont impliqués et efficaces en la matière. Ils défendent aussi les autres textes européens, mais ils sont sensibles, d’abord et surtout, aux problématiques ultramarines. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste. – M. Guillaume Arnell, Mme Victoire Jasmin et M. Victorin Lurel applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. André Gattolin, pour explication de vote.
M. André Gattolin. Je voudrais revenir sur un certain nombre d’éléments qui ont été disséminés ici, parce que, quand on parle de lutte contre les fausses nouvelles, il faut en effet être précis… Disant cela, je ne vise pas Michel Magras, mais j’aimerais tout de même qu’il rappelle que Saint-Barthélemy, le territoire dont il est sénateur, a quitté l’Union européenne. Est-ce que je me trompe ?
M. Michel Magras. C’est un PTOM !
M. André Gattolin. L’Union européenne n’est pas si peu représentative, puisqu’elle autorise des territoires non membres à participer au scrutin… Réfléchissons-y un peu !
J’ai entendu des choses surréelles à propos de la proportionnelle. Je comprends, mes amis du groupe Les Républicains, pourquoi il y a un « s » à votre nom ! En 1977, lorsqu’il a fallu procéder à la transposition de l’Acte européen du 20 septembre 1976 (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)…
M. Jean-Pierre Bansard. Et sous Albert Lebrun ?
M. André Gattolin. Bien sûr, vous avez le droit de changer d’avis politique…
À cette époque, donc, vous étiez pour la France une et indivisible et, précisément, favorables à cette circonscription unique, comme d’ailleurs les familles politiques dans leur globalité.
En quoi la circonscription unique empêche-t-elle l’expression des régions ? La plupart des États fédéraux – la Belgique est non plus un pays fédéral, mais une fédération de pays ; on a vu au moment du vote du parlement belge sur la ratification du CETA qu’il s’agissait non pas d’un pays, mais de trois, avec sept parlements –, comme l’Espagne et l’Allemagne, laquelle respecte ses territoires, ont une circonscription unique.
Lorsque ce traité a été signé, l’Union européenne comptait neuf pays, et tous l’ont accepté. Tous les membres qui sont entrés dans l’Union à la suite de ces neuf pays l’ont également accepté.
On peut toujours refaire le match et dire que c’est moche la proportionnelle. Allons, le Parlement européen n’est pas tout-puissant ! Il ne possède pas tous les attributs propres à un parlement : il n’a ni le dernier mot sur le budget ni le pouvoir d’initiative législative. C’est peut-être pour ça qu’on a décidé d’un mode de scrutin proportionnel : pour que les électeurs puissent s’exprimer à proportion des populations et ne pas créer des sous-groupes et des sous-pays à l’intérieur de l’Union.
Mme la présidente. Il faut conclure, cher collègue !
M. André Gattolin. C’est un accord entre des nations européennes et non pas entre des régions européennes. Il faut rétablir le sens de l’histoire !
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour explication de vote.
M. Jean Louis Masson. Je comprends l’argumentaire et les préoccupations de nos collègues ultramarins. Simplement, si on commence à dire qu’il faut tenir compte de l’outre-mer, alors pourquoi ne pas faire de même avec les Français de l’étranger…
M. Jean Louis Masson. … ou avec Dupond ou Durand ?
Pour moi, le fond du fond dans cette affaire, c’est de savoir si on veut que la France soit représentée au Parlement européen.
Certains partis ont peur de prendre une veste aux élections. Alors, ils essaient de tronçonner le scrutin, afin qu’on ne s’en aperçoive pas et, ainsi, de se raccrocher aux branches ! Il faut le dire, ce sont des arrière-pensées politiques et même politiciennes qui sont à l’origine de la longueur de notre débat de ce soir.
Tout le monde le sait au fond de soi, c’est la France qui doit être représentée au niveau de l’Europe et non pas la commune de Trifouilly-les-Oies ou tel petit territoire ! Malheureusement, des partis dont on aurait pu penser qu’ils défendaient véritablement la France – peut-être l’ont-ils fait par le passé ? – en sont loin aujourd’hui.
Je le dis très clairement, si on veut un vrai débat, si on n’a pas peur du suffrage universel et si on accepte de confronter les opinions des uns et des autres, il est évident qu’il faut mettre en place un scrutin proportionnel dans une grande circonscription. Car, alors, c’est la France qui se prononcera et qui enverra ses représentants dire ce qui est bon pour elle !
Ceux qui veulent tronçonner le scrutin jouent en fait contre la Nation, contre l’idée française (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.), contre la place de la France dans l’Union européenne. Moi, je ne suis pas partisan de dissoudre la Nation au profit de l’Europe. Or, tout le monde le sait, à un moment donné, les partisans d’une Europe fédérale ont joué la carte des régions contre celle des nations. Je suis pour la défense des nations, et je m’engagerai très fermement en ce sens dans le cadre de la campagne des élections européennes.
Quel que soit le résultat du débat de ce soir, quoi que votera le Sénat, je suis tout à fait rassuré, car je fais confiance au bon sens de l’Assemblée nationale. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam, pour explication de vote.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Je suis une européenne convaincue et je crois aux principes de proximité, de légitimité, de transparence et de responsabilité devant l’électorat.
M. Charles Revet. Très bien !
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. C’est pour cela que je soutiens les amendements identiques présentés par François Bonhomme et Max Brisson.
Cela étant, je veux appeler de nouveau l’attention sur le fait que les Français de l’étranger ne peuvent pas être exclus de la représentation au Parlement européen, parce qu’ils créent l’Europe. Je souhaite donc sous-amender l’amendement n° 57 rectifié bis de François Bonhomme, en vue de prévoir une quatorzième circonscription « région » dédiée aux Français de l’étranger, afin que ceux-ci ne soient plus rattachés à l’Île-de-France.
Je précise que, n’étant pas cosignataire de l’amendement n° 57 rectifié bis, je peux le sous-amender. Il ne me serait pas possible de le faire pour l’amendement n° 11 rectifié ter, que j’ai cosigné. Son auteur, Max Brisson, peut en revanche le modifier en ce sens s’il estime que c’est utile. Les Français de l’étranger lui en seraient très reconnaissants, ainsi qu’au Sénat. Il est en effet essentiel de porter ces valeurs de l’Union européenne.
Mme la présidente. Ma chère collègue, je ne peux malheureusement pas donner une suite favorable à votre demande, dans la mesure où nous avons déjà largement entamé les explications de vote. Je suis sincèrement désolée, mais il n’est plus temps de procéder à un sous-amendement, car nous sommes d’ores et déjà dans le cadre du processus de vote.
La parole est à Mme Colette Mélot, pour explication de vote.
Mme Colette Mélot. Je suis très étonnée d’entendre certaines prises de position, qui me paraissent incohérentes.
Si la circonscription régionale était l’idéal, on aurait dû voir la participation augmenter lors des dernières élections européennes. Or les trois derniers scrutins ont au contraire été marqués par une très faible participation.
Jamais le citoyen ne s’est senti aussi éloigné de l’Europe. Nous savons aussi que le populisme a de plus en plus cours, ce que nous ne pouvons que déplorer.
L’enjeu européen n’a rien à voir avec la région ; il y a d’autres instances pour celle-ci.
Nous avons besoin d’avoir un vrai débat national sur l’Europe. Ce n’est qu’à cette condition que l’on pourra redonner aux Français le goût de voter lors de ces élections et leur expliquer ce qu’est l’Europe, quels avantages notre pays peut y trouver. Tel est le véritable enjeu !
Le groupe Les Indépendants votera donc contre ces amendements. (M. André Gattolin applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Bas, pour explication de vote.
M. Philippe Bas. J’interviens depuis ma place dans l’hémicycle pour exprimer une position qui n’est pas celle de la majorité de la commission des lois : je prends parti en faveur des amendements identiques nos 11 rectifié ter et 57 rectifié bis présentés par Max Brisson et François Bonhomme.
Le Sénat ne peut pas tenir deux discours selon les scrutins. Nous sommes ici les défenseurs d’un lien de représentation entre les élus et les citoyens, lien que nous voulons non pas distendre mais resserrer. C’est la position que nous nous apprêtons à prendre pour les scrutins nationaux, qu’il s’agisse de l’élection des députés ou de celle des sénateurs.
Nous demandons que les députés et les sénateurs soient des élus territorialisés, afin qu’ils soient proches de nos concitoyens, à leur écoute, et qu’ils puissent dialoguer avec eux. Pourquoi ce raisonnement qui vaudrait pour les élus nationaux du Parlement français ne serait-il soudain plus valable pour les élus français au Parlement européen ?
C’est la même problématique ! Dans les deux cas, on peut soutenir que les enjeux ne sont pas locaux, puisqu’ils sont soit nationaux, soit européens, et nationaux dans l’Europe.
Ce n’est pas le niveau des enjeux qui justifie la mise en place de la territorialisation. Celle-ci est nécessaire pour que nous soyons proches de nos électeurs, pour que nous les entendions et les écoutions, et pour qu’ils puissent nourrir notre réflexion.
Voilà pourquoi il me paraît tout naturel de défendre, dans le cadre de cette réforme du mode de scrutin européen, les mêmes principes que ceux que nous défendons pour les élections législatives et sénatoriales. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Pascale Gruny, pour explication de vote.
Mme Pascale Gruny. Je voterai ces amendements.
Je souhaite vous faire part de mon expérience de député européen, élue dans la grande région qui regroupe aujourd’hui les Hauts-de-France et la Normandie.
À l’époque, j’étais très frustrée de ne pas pouvoir me déplacer dans chacune des communes de cette région. Or, à chacun de mes déplacements, lorsque je venais leur parler de l’Europe, les personnes que je rencontrais étaient très intéressées et disaient : « Quel dommage que l’on ne vienne pas nous expliquer l’Europe ! »
Le rejet de l’Europe tient au fait que l’on n’en parle pas assez, que nous-mêmes ne la défendons pas au quotidien, et que les députés européens ne vont pas sur le terrain. Lorsqu’ils seront issus de listes nationales, combien de fois se rendront-ils sur le territoire français ?
Nous sommes des représentants de la France, dans toute sa richesse, au sein de l’Union européenne. Mais ce sont avant tout les attentes de nos concitoyens que nous portons au niveau européen, comme nous le faisons au Sénat, et nous avons besoin de cet ancrage. J’invite donc mes collègues sénateurs à voter ces amendements, pour l’Europe et pour nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère, pour explication de vote.
M. Philippe Bonnecarrère. C’est pour l’Europe que notre groupe va s’opposer à ces amendements.
Je ne reprendrai pas l’ensemble de la discussion, mais je veux dire que, selon nous, la liste nationale est à l’évidence le meilleur moyen de porter le débat européen dans la société française.
Cela étant, je n’aurais pas pris la parole pour tenir ces seuls propos.
Depuis une bonne demi-heure, je constate que le débat a changé de nature et que la plupart des critiques qui sont formulées à l’égard des listes nationales ont dévié vers une critique du mode électoral.
Demander une territorialisation, à l’image de celle dont bénéficient les députés et les sénateurs, c’est vouloir une territorialité de proximité. Or je vous rappelle, mes chers collègues du groupe Les Républicains, l’Acte du 20 septembre 1976, à l’adoption duquel, à ma connaissance, nul d’entre nous n’a participé.
Cet Acte, adopté par le Conseil des ministres de l’Union européenne à une époque où celle-ci comptait neuf pays, a défini un mode électoral : le scrutin proportionnel. Il n’est donc pas possible d’en revenir à une territorialisation de proximité.
Ce mode de scrutin n’étant peut-être pas à votre convenance, il est parfaitement légitime que vous souhaitiez porter ce débat. Reste que, pour le changer, cela nécessite que vous obteniez l’unanimité des États membres, et vous aurez besoin d’un vote conforme du Parlement européen. Mesurez combien le débat de ce soir « anti-proportionnelle » est assez curieux et décalé au regard de la situation juridique que nous avons à traiter…
Précédemment, on ne tenait plus compte de la Constitution ; maintenant, on ne tient plus compte des accords internationaux. (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.) Il y a un traité européen ! Vous ne pouvez pas changer le mode de scrutin sans l’accord de tous les pays. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) Je suis abasourdi !
M. André Gattolin. Moi aussi !
M. Philippe Bonnecarrère. En l’état, je considère que vous êtes en train de changer complètement la nature du sujet. Vous êtes peut-être déjà dans la révision constitutionnelle – c’est votre droit –, mais notre débat de ce soir n’est pas de cette nature. (Applaudissements sur des travées du groupe Union Centriste. – M. André Gattolin et Mme Colette Mélot applaudissent également.)
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 11 rectifié ter et 57 rectifié bis.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe La République En Marche.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 83 :
Nombre de votants | 345 |
Nombre de suffrages exprimés | 337 |
Pour l’adoption | 128 |
Contre | 209 |
Le Sénat n’a pas adopté.
La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam, pour explication de vote sur l’amendement n° 59 rectifié.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Puisque les amendements de MM. Brisson et Bonhomme ont été rejetés, je souhaite maintenir le mien.
Je le répète, mon amendement est le même que celui déposé par mes collègues Brisson et Bonhomme sur la régionalisation du scrutin, mais il vise à dissocier les Français de l’étranger de la circonscription d’Île-de-France pour créer une quatorzième circonscription. Je pense que les Français de l’étranger regarderont tous très attentivement le résultat de ce scrutin.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Je ne comprends pas la position de ma collègue Joëlle Garriaud-Maylam.
La moitié des Français établis hors de France vivent dans l’Union européenne. Ils ont donc déjà le droit de vote aux élections européennes dans leur pays de résidence.
Avec votre amendement, ma chère collègue, vous niez la citoyenneté européenne.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Pas du tout !
M. Jean-Yves Leconte. Vous savez combien les Français qui vivent dans l’Union européenne sont attachés à la construction de l’Europe, là même où ils vivent.
Autant le débat sur les circonscriptions régionales a de la valeur, autant l’argument selon lequel les Français vivant dans l’Union européenne ont besoin d’une circonscription spécifique, alors qu’ils peuvent déjà voter dans leur pays de résidence, me semble nier la citoyenneté européenne et l’engagement européen d’une très grande majorité des Français qui vivent hors de France.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Je veux répondre !
Mme la présidente. Je ne peux pas vous redonner la parole, ma chère collègue.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Alain Richard, rapporteur. En voulant condenser mon propos précédemment, je n’ai pas donné l’avis de la commission sur le sujet spécifique d’une représentation séparée des Français de l’étranger.
Nous nous y sommes opposés aussi, ma chère collègue, pour au moins une raison centrale, qui est que les Français de l’étranger vivent, pour une petite moitié d’entre eux, dans les pays de l’Union européenne et, pour l’autre moitié, partout ailleurs dans le monde.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Ils ont le droit d’être représentés !
M. Alain Richard, rapporteur. Avancer l’argument de la proximité du centre des intérêts pour faire voter dans la même circonscription les Français du Luxembourg ou d’Italie et ceux du Brésil ou d’Australie est tout de même assez décalé par rapport à la réalité.
En ce qui concerne votre crainte que les Français de l’étranger soient astreints à voter, ce qui est après tout une punition supportable, avec les Français d’Île-de-France, la question ne se pose plus, puisque les votes précédents ont précisément fait disparaître l’idée de circonscriptions régionales.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Madame la présidente !...
Mme la présidente. Je ne peux plus vous donner la parole, sauf si vous souhaitez retirer votre amendement. Est-ce le cas ?
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Je vais le retirer, puisqu’il n’a aucune chance d’être adopté.
Je répondrai par écrit à mon collègue, parce que j’estime que des aberrations ont été dites.
Je suis désolée, on peut être en faveur de la citoyenneté européenne et considérer que l’attachement au Parlement européen nécessite un renforcement du lien national. M. Leconte vote peut-être en Pologne, mais, moi qui habite en Grande-Bretagne, j’ai toujours voté pour les élections françaises, parce que j’estime que c’est mon devoir en tant qu’élue française. Voilà ce que je voulais dire, mais, bien évidemment, chacun fait ses choix…
J’ai beaucoup travaillé sur le concept de citoyenneté européenne. J’ai même organisé un colloque au Sénat sur le sujet, et bien avant d’être sénateur.
Je retire l’amendement, madame la présidente.
Mme la présidente. L’amendement n° 59 rectifié est retiré.
Je mets aux voix l’amendement n° 23 rectifié ter.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe La République En Marche.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 84 :
Nombre de votants | 303 |
Nombre de suffrages exprimés | 281 |
Pour l’adoption | 35 |
Contre | 246 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Je mets aux voix les amendements identiques nos 22 rectifié quater, 34 et 77 rectifié bis.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe La République En Marche.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 85 :
Nombre de votants | 325 |
Nombre de suffrages exprimés | 288 |
Pour l’adoption | 69 |
Contre | 219 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures trente, est reprise à vingt-deux heures, sous la présidence de M. Jean-Marc Gabouty.)
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Marc Gabouty
vice-président
M. Michel Magras. Depuis dix ans que je siège au Sénat, c’est la première fois qu’un collègue me demande, quand j’interviens, de rappeler qui je suis et d’où je viens. C’était d’autant plus gênant que je l’avais fait au cours de mon intervention…
Je veux simplement rappeler que Saint-Barthélemy est une collectivité de la République française dont le nom est inscrit à l’article 72-3 de la Constitution et qui, relevant aussi de l’article 74, est dotée de l’autonomie. À ce titre, je suis Français, comme vous tous, et, comme tous les Français, j’ai le droit de participer, de même que les citoyens de mon île, à toutes les élections, quelles qu’elles soient, dès lors que celles-ci concernent les Français.
Nous avons choisi le statut de PTOM, et nous ne sommes pas les seuls ; Saint-Pierre-et-Miquelon, la Polynésie française, Wallis-et-Futuna, la Nouvelle-Calédonie, pour ne citer que ces territoires, sont aussi des PTOM. Ainsi, nous avons un statut de territoire associé à l’Europe, au travers d’une DAO, décision d’association d’outre-mer, dont le premier article rappelle que nous devons accepter, respecter et promouvoir les valeurs de l’Europe. Je vous l’assure, à Saint-Barthélemy, les valeurs européennes sont bien respectées.
Il n’aura échappé à personne que, depuis quatre ans, j’occupe au Sénat la fonction de président de la délégation sénatoriale aux outre-mer. À ce titre, j’ai eu à connaître de tous les problèmes concernant l’ensemble des outre-mer, et je peux vous certifier que les propositions de résolution ou de résolution européenne, sur le sucre ou sur les normes applicables dans le domaine agricole, par exemple, ne sont pas arrivées par hasard…
Pour avoir été amené à représenter les PTOM, à participer au forum des RUP, à côtoyer les gens qui écrivent les textes à l’échelon européen, je peux vous dire que, très souvent, les réalités ultramarines ne sont pas respectées, parce que l’on en ignore les problématiques.
Tel est le sens des amendements que je défends aujourd’hui ; je veux soutenir les outre-mer et non pas seulement mon territoire.
J’ai été blessé par cette allusion à ma personne. J’ai l’habitude de respecter tout le monde, ici et ailleurs ; j’aimerais qu’il en soit de même pour moi. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste, du groupe socialiste et républicain, ainsi qu’au banc de la commission.)
M. le président. Acte vous est donné de votre rappel au règlement, mon cher collègue.
Article 1er (suite)
M. le président. Nous poursuivons la discussion de l’article 1er.
L’amendement n° 2, présenté par M. Masson et Mmes Herzog et Kauffmann, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Avant les mots :
la République
insérer les mots :
Le territoire de
La parole est à Mme Claudine Kauffmann.
Mme Claudine Kauffmann. Une circonscription doit correspondre à un territoire ; l’amendement consiste donc en un ajustement de syntaxe. Il vise à reprendre la syntaxe qui est utilisée dans tous les textes existants, soit, selon Légifrance, 484 textes législatifs ou réglementaires. D’ailleurs, jusqu’en 2003, l’article 4 de la loi de 1977 était rédigé ainsi : « Le territoire de la République forme une circonscription unique. »
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Richard, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable, parce que, contrairement à ce que supposent nos collègues Claudine Kauffmann et Jean Louis Masson, il s’agit non pas d’une erreur de syntaxe mais d’un choix politique et juridique. En effet, si on limitait l’accès au vote, pour les élections européennes, au territoire de la République, on en écarterait les Français de l’étranger, qui ne résident pas sur le territoire de la République mais qui sont électeurs pour les élections au Parlement européen.
Ainsi, même si la formule est moins habituelle, celle qui convient pour définir le champ du droit de suffrage des Français pour l’élection au Parlement européen doit bien être la République dans son intégralité, pour inclure la composante extérieure au territoire national.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Il nous est difficile de nous opposer à cet amendement, dans la mesure où il correspond à la rédaction initiale du texte du Gouvernement.
M. Jean Louis Masson. J’allais le dire !
M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour explication de vote.
M. Jean Louis Masson. La République, c’est une idée. Les circonscriptions, ce sont des territoires. On ne peut pas diviser des idées !
Pour reprendre l’argument qui m’a été opposé quand on parlait du pourcentage d’éviction fixé à 3 % ou à 5 % pour l’obtention d’un siège – on me disait que tous les autres modes de scrutin retiennent le seuil de 5 % et qu’on n’allait donc pas retenir 3 % –, eh bien, je répondrai la même chose, monsieur le rapporteur : dans tous les autres textes électoraux, on parle de « territoire de la République », il n’y en a aucun qui parle de la République, qu’il s’agirait de diviser.
Comprenez quand même ceci : dans l’hypothèse où on aurait créé des circonscriptions régionales, aurait-on divisé la République ? Si on avait eu des circonscriptions régionales, on aurait divisé non pas la République, mais le territoire de la République.
Je reste donc branché sur cette idée, qui correspond au texte d’avant la réforme et qui n’est pas du tout aberrante. D’ailleurs, comme l’a fort bien indiqué Mme le ministre – je la remercie de l’avoir dit, je l’aurais rappelé si elle ne l’avait pas fait –, le projet de loi du Gouvernement mentionnait bien le « territoire de la République ».
Enfin, ce n’est pas parce qu’on mentionne le territoire de la République qu’on évince les Français de l’étranger, cette idée signifie juste qu’on englobe tout un territoire.
Aussi, pour ma part, je voterai cet amendement.
M. le président. La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam, pour explication de vote.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Je suis opposée à cette rédaction, parce que, non, les Français de l’étranger ne sont pas inclus dans le « territoire de la République ».
Je préférerais que l’on retienne, par exemple, la formule « le territoire de la République, auquel s’ajoute la collectivité des Français établis hors de France », sans quoi on exclut ces Français, ce qui n’aurait absolument aucun sens !
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 60 rectifié, présenté par Mme Garriaud-Maylam, MM. Frassa et Bansard, Mme Renaud-Garabedian et M. Le Gleut, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
« Par dérogation au premier alinéa, il est établi une circonscription spécifique pour les Français établis hors de France. »
La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Il y a des combats qui, on le sait, sont perdus d’avance, mais qui méritent tout de même d’être menés ; il s’agit donc d’un amendement d’appel…
Dans la mesure où la circonscription unique sera, de toute évidence, adoptée pour l’ensemble du territoire de la République, il nous semble indispensable que les Français vivant en dehors de ce territoire puissent être représentés dans le cadre d’une circonscription spécifique ou d’une section. Encore une fois – j’ai eu l’occasion de le dire cet après-midi –, il paraît évident que les Français de l’étranger méritent d’être associés à cette construction européenne.
Certes, j’ai entendu l’un de mes collègues le dire, on peut, depuis Maastricht, voter depuis l’étranger. Effectivement, l’article 8 du traité de Maastricht a permis aux Français établis hors de France ou aux Européens de voter aux élections municipales de leur ville de résidence et aux élections européennes de leur pays de résidence. Je veux toutefois rappeler que, lors de l’institution de cette règle, beaucoup de membres du Conseil supérieur des Français de l’étranger, dont j’étais, y avaient été extrêmement opposés. En effet, cela nous apparaissait comme une manœuvre plutôt politique, puisque les Français de l’étranger avaient plutôt tendance à voter au centre droit – dès lors, autant les éliminer du processus –, tandis que beaucoup d’Européens du Sud votant en France pouvaient apporter des voix un peu plus à gauche… (M. Jean-Yves Leconte proteste.)
Je voulais juste vous faire part de cette petite interprétation, qui sera bien évidemment sujette à contestation, mais dont le bien-fondé avait été reconnu à l’époque et dont Le Monde s’était d’ailleurs fait l’écho.
M. Jean-Yves Leconte. On appréciera votre vision très politicienne des assemblées européennes…
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Bref, tout cela pour dire que la représentation des Français de l’étranger n’est pas seulement fondée sur le territoire, contrairement à ce qui a été dit ; c’est un peuple, une nation, qui est représenté au sein du Parlement européen.
M. Jean-Yves Leconte. Ce sont des citoyens européens qui sont représentés !
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Bien sûr ! La citoyenneté européenne, l’article 8 du traité de Maastricht, on connaît tout cela par cœur, mais on peut être un national français tout en étant un citoyen européen, les deux choses ne sont pas incompatibles, mon cher collègue. C’est pour cela qu’il est important de renforcer ce lien national entre les Français de l’étranger et la France. D’où cet amendement, même si je sais déjà le sort qui lui sera dévolu…
M. David Assouline. J’espère qu’il connaîtra effectivement ce sort !
M. le président. L’amendement n° 43 rectifié bis, présenté par M. Magras, Mmes L. Darcos et Malet, M. Milon, Mme Lamure, M. Grosdidier, Mme Duranton, MM. Laménie, Gremillet, Poniatowski, Longuet et Bonhomme et Mme Lopez, est ainsi libellé :
Compléter cet article par trois alinéas ainsi rédigés :
« II. – La circonscription est constituée de deux sections.
« La section 1 est constituée du territoire de la République, à l’exception de l’outre-mer, et des Français établis hors de France.
« La section 2 regroupe l’outre-mer. »
La parole est à M. Michel Magras.
M. Michel Magras. Il s’agit d’un amendement de repli, que je vous présente par pragmatisme ; en effet, nous avons vu ce qui est arrivé, avant la suspension, aux amendements précédents…
L’amendement que je propose vise à instaurer un mode de scrutin compatible avec l’érection du territoire de la République – ou de la République, comme vous voudrez – en une circonscription unique, tout en préservant la représentation au Parlement européen des trois bassins ultramarins.
La République constituerait bien une circonscription unique, mais, au sein de celle-ci, le scrutin serait organisé par sections pour refléter une réalité géographique. Il est en effet, selon moi, trop hasardeux de s’appuyer sur la notion de position éligible sur une liste pour assurer la présence des outre-mer au Parlement européen.
Il me semble normal que la République assure et assume un reflet fidèle de son éclatement géographique sur les trois océans. Je me permets de le rappeler, cette géographie n’est pas sans incidence sur la production normative. Aujourd’hui, pour l’Union européenne, nos outre-mer sont des microproblématiques qu’elle a tendance à ne pas traiter ou, tout simplement, à oublier dans les débats et dans les textes. Ne pas lui rappeler, par une représentation concrète, que la France, c’est aussi l’outre-mer serait accentuer un éloignement déjà préjudiciable.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Richard, rapporteur. La commission s’est prononcée défavorablement sur ces deux amendements, dans la continuité de sa position sur l’ensemble de l’article 1er, que le vote du Sénat a confirmée précédemment.
Je veux redire à Mme Garriaud-Maylam, qui a entamé cette réflexion avant la suspension, que la représentation qu’obtiendraient les Français de l’étranger, si on les séparait du reste du corps électoral, serait minime. Vous le savez, le décompte des Français de l’étranger retenu pour l’attribution des sièges repose sur les personnes immatriculées auprès des représentations françaises afin que cela soit commensurable avec le nombre d’habitants recensés sur le territoire national. Ce chiffre étant inférieur à 1,5 million de personnes, il ne pourrait conduire, au plus fort reste, qu’à deux sièges.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Cela serait très bien…
M. Alain Richard, rapporteur. Je ne crois pas que cela donnerait une bonne représentation.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Ce serait mieux que rien !
M. Alain Richard, rapporteur. En outre – cela vaut pour les deux amendements, qui sont pourtant contradictoires entre eux –, une grande majorité de sénateurs ont admis que l’on réaffirme le principe, au fondement même de l’élection du Parlement européen, selon lequel, s’agissant d’une liste nationale, tout parlementaire européen représente l’intégralité de la communauté nationale, dans ses composantes les plus variées, y compris celles qui ont des intérêts géographiques spécifiques ou des intérêts minoritaires de toute sorte.
Nous avons d’ailleurs entendu des collègues représentants de l’outre-mer nous affirmer qu’ils comptaient sur l’ensemble de la représentation parlementaire pour défendre les intérêts de ces territoires, et l’on pourrait dire la même chose vis-à-vis des Français établis hors de France.
Il me semble donc vraiment qu’il s’agit d’un amendement d’appel, vous le disiez d’ailleurs vous-même, madame Garriaud-Maylam. En outre, fût-il adopté, il ne serait pas spécialement favorable à la représentation des intérêts et des aspirations des Français de l’étranger.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Nous avons eu ce débat avant la suspension, madame la sénatrice, et il me semblerait opportun que, pour faire suite aux explications du rapporteur, vous retiriez cet amendement.
Je rappelle que les Français résidant à l’étranger peuvent voter soit dans les bureaux de vote de leur poste consulaire, soit dans leur commune d’inscription en France, s’ils en expriment le choix avant le scrutin.
En outre, les Français résidant dans un autre État membre de l’Union européenne et dans lequel ils ont été admis à voter peuvent voter dans leur pays de résidence pour les candidats de ce pays.
Pour toutes ces raisons, je vous demande de bien vouloir retirer votre amendement.
M. le président. Madame Garriaud-Maylam, l’amendement n° 60 rectifié est-il maintenu ?
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Je vais bien évidemment retirer cet amendement, mais je veux tout de même dire que cela est tout à fait dommage, parce que je crois vraiment que les Français de l’étranger ont beaucoup à apporter. Il s’agit de défendre non seulement leurs propres intérêts, mais aussi ceux de la France et de l’Union européenne. Je l’ai dit, ils sont parfaitement au courant de tous les problèmes de l’Europe, qu’ils vivent au quotidien : nécessité de l’harmonisation fiscale, déplacement d’enfants, et je pourrais en énumérer beaucoup d’autres.
Je le regrette beaucoup, mais je retire cet amendement d’appel. Je suis sûre que cette circonscription sera réalisée un jour, dans longtemps sans doute – on a toujours tort d’avoir raison trop tôt, dit-on…
M. Alain Richard, rapporteur. « À la septième fois, les murailles tombèrent ! » (Sourires.)
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Je veux aussi dire à M. Magras que les arguments précédents valent aussi pour son amendement. Nous avons eu ce débat avant la suspension de la séance, et il y a eu un vote. Il serait sage que vous retiriez votre amendement, monsieur le sénateur.
M. le président. Monsieur Magras, l’amendement n° 43 rectifié bis est-il maintenu ?
M. Michel Magras. Je crois qu’il est tout aussi sage de le maintenir, madame la ministre. En effet, ce que je demande ce soir n’est que le maintien de ce qui existe aujourd’hui. Il y a trois élus – un par bassin –, qui ont montré à quel point leur présence en Europe était nécessaire. Ils ont même été, pour certains d’entre eux – renseignez-vous –, récompensés pour la qualité de leur travail et leur défense des intérêts des outre-mer et de la France – de la France, j’y insiste, de la France des outre-mer !
Je le répète pour le collègue qui m’a interpellé précédemment, ce ne sont pas les intérêts de Saint-Barthélemy que je défends. Dans ce territoire, on ne cotise pas pour l’Union européenne, on n’y participe qu’au travers de la participation de la France, on n’en bénéficie en rien – aucune aide, aucun financement, strictement rien, que les choses soient claires. Je défends donc les intérêts des outre-mer.
Je suis un homme de conviction, je vais au bout de ce que je défends, donc, quitte à être battu, je maintiens l’amendement. Au moins les annales du Sénat retiendront-elles que quelqu’un avait estimé nécessaire que les outre-mer soient représentés en Europe.
M. le président. La parole est à M. Victorin Lurel, pour explication de vote.
M. Victorin Lurel. Je tiens à soutenir mon collègue Magras. Il siège là et moi ici, à gauche, mais j’observe comme lui qu’il n’y a pas eu de compréhension des spécificités, des contraintes et de l’éloignement des outre-mer, bref de ce que l’Europe reconnaît au travers de l’article 349 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et de ce que la Constitution reconnaît au travers de ses articles 73 et 74, et même de son titre XIII relatif à la Nouvelle-Calédonie.
Je soutiens ce qu’il dit. Son dispositif respecte une circonscription unique avec répartition par sections. Le rapporteur nous dit qu’il y aurait une rupture d’égalité, puisque c’est le critère du Conseil constitutionnel, car le critère démographique ne serait pas respecté, mais cela dépend du nombre d’élus que l’on octroierait aux 3 millions de personnes et aux électeurs qui habitent dans les outre-mer. Si l’on veut, on peut, je le dis très clairement ! On a ainsi su s’accommoder d’un certain nombre de choses dans la Constitution ; je peux citer pas mal d’exemples, notamment pour ce qui concerne les outre-mer, en particulier pour Mayotte.
Il existe, dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, la notion d’adaptation, mais elle est restrictive ; il faut l’élargir, l’assouplir. Je le répète, quand on veut, on peut.
Je ne suis pas du tout convaincu du fondement des arguments de droit constitutionnel avancés par les sachants et par les savants ; l’arrêt Nicolo du Conseil d’État n’empêche pas forcément que l’on inclue les outre-mer de manière distincte dans une circonscription unique. Cela ne s’applique pas ici !
J’ai personnellement participé, au sein du parti socialiste – il me semble que le rapporteur pourrait me soutenir, là-dessus –, à la confection de listes en tenant compte des positions éligibles ; mais c’est la croix et la bannière ! Et j’imagine que c’est la même chose à droite…
Les outre-mer, c’est epsilon ; au motif que cela ne respecterait pas l’égalité, on les fait disparaître. On va avoir 404 députés et peut-être 244 sénateurs.
M. Bruno Retailleau. Ce n’est pas encore fait !
M. Victorin Lurel. Ainsi, pour la Guadeloupe, il y aura deux députés, contre quatre aujourd’hui ; au lieu de trois sénateurs, il y en aura « un et demi », un ou deux. Quant au Conseil économique, social et environnemental, il diminuera de moitié, il y aura une disparition. Pour l’outre-mer, c’est la dilution, comme une pincée de sucre dans un grand verre d’eau…
Mais les parlementaires n’ont pas compris. Et, par-dessus le marché, on cherche à vous inoculer un complexe en disant que, si vous êtes ailleurs, votre légitimité est en cause ; les électeurs ne veulent pas de cela. Bon Dieu, on peut être les représentants des outre-mer sans pour autant être à distance ni en marge de la République ! Comme si avoir des représentants élus par nos propres électeurs nous mettait en dissidence ou en marge de la République… Ce n’est pas vrai, c’est un déni !
Je le dis ici, le Parlement n’a pas compris l’urgence qu’il y a à faire représenter les outre-mer.
Faire élire trois représentants, ce n’est pas simplement être en dissidence ou en marge, c’est mieux intégrer les outre-mer. (M. Jean-Yves Leconte applaudit.)
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 43 rectifié bis.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe La République En Marche.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 86 :
Nombre de votants | 345 |
Nombre de suffrages exprimés | 331 |
Pour l’adoption | 15 |
Contre | 316 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Je mets aux voix l’article 1er.
J’ai été saisi de deux demandes de scrutin public émanant, l’une, du groupe Union Centriste, l’autre, du groupe La République En Marche.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 87 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 336 |
Pour l’adoption | 195 |
Contre | 141 |
Le Sénat a adopté.
Articles additionnels après l’article 1er
M. le président. L’amendement n° 35, présenté par MM. Leconte, Marie et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l’article 9 de la loi n° 77-729 du 7 juillet 1977 relative à l’élection des représentants au Parlement européen, il est inséré un article 9-… ainsi rédigé :
« Art. 9-… – La déclaration de candidature et le bulletin de vote de chaque liste peuvent indiquer un candidat pour la présidence de la Commission européenne ainsi que l’affiliation de la liste à un parti politique au niveau européen. »
La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Comme je l’ai indiqué lors de la discussion générale, cette innovation, que la plupart des partis politiques européens avaient mise en œuvre lors des élections européennes de 2014, a profondément changé la donne, puisqu’elle a permis d’avoir un débat entre les candidats potentiels à la présidence de la Commission européenne. Il serait donc utile, pour des raisons de transparence, que les listes qui souhaiteraient pousser une candidature à la Commission européenne puissent indiquer le nom de ce candidat sur leur bulletin de vote, ainsi que leur affiliation à un parti politique au niveau européen.
Je connais certaines objections. Notre rapporteur, qui a participé un peu au développement de cette pratique en 2014, nous dira que, au final, toutes les listes ne pourront pas mettre une candidature en avant – certes, mais c’est tout de même une information pour les électeurs. En revanche, celles qui peuvent le faire, c’est un atout pour elles si elles le souhaitent. Et puis, si une liste ne souhaite pas le faire, parce qu’elle considère que ce n’est pas opportun, elle ne le fait pas.
Au minimum, cette proposition permet de bien marquer l’affiliation de listes de candidats à des partis politiques européens et permet à ceux-ci de clarifier la manière dont ils abordent le choix du candidat à la tête de la Commission européenne, qui est un enjeu majeur, le premier enjeu auquel est confronté le Parlement européen lorsqu’il est élu. Laisse-t-il le Conseil choisir le président de la Commission européenne ou, au contraire, veut-il que ce soient les citoyens européens qui, par leur vote au moment des élections européennes, désignent potentiellement celui qui, issu de tel ou tel parti, sera en mesure d’être à la tête de la Commission européenne ?
Comme je l’ai dit, connaître les partis qui le veulent et les partis qui le peuvent, c’est une information. Tel est l’objet de cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Richard, rapporteur. Il a été presque présenté par M. Leconte, qui a eu la prévenance de commencer à expliquer l’argumentation de la commission à l’encontre de son amendement…
Une pratique s’est développée à partir d’une initiative du parti socialiste européen à laquelle, en effet, je me suis trouvé modestement associé à l’approche des élections de 2014. Il se trouve que, dans les circonstances de ce scrutin, plusieurs partis – par expérience, je puis vous dire que ce qu’on entend par là est assez différent de ce qu’on conçoit comme étant un parti : ce sont des confédérations d’organisations politiques, qui ont quelques difficultés à trouver un accord entre elles – ont choisi de présenter des candidats potentiels à la présidence de la Commission européenne, pariant sur le fait que les chefs d’État ou de gouvernement se tiendraient à l’intérieur de leur éventail. Rien, évidemment, dans les traités ne le prévoit. Il peut certes y avoir convergence entre la proposition des chefs d’État ou gouvernement telle qu’elle est présentée au Parlement européen et le vote futur de celui-ci, mais ce parlement ne dispose jamais d’une majorité absolue, puisqu’il est composé à la proportionnelle.
Donc, cette possibilité existe ; la question est de savoir s’il faut la traduire dans les bulletins de vote eux-mêmes, car l’amendement de Jean-Yves Leconte est satisfait pour tout le reste : si vous voulez écrire sur votre déclaration de candidature que vous faites partie du groupement européen X ou Y et que vous allez soutenir M. ou Mme Dupont à la présidence de la Commission, vous êtes parfaitement libre de le faire.
Le sujet, au fond, c’est celui-ci : considère-t-on par dérogation au droit en vigueur – sur le bulletin ne doivent figurer que les noms propres des candidats – qu’il faille prévoir que les partis qui le souhaitent présentent le nom d’un futur candidat à la présidence de la Commission européenne ? Il a semblé à la commission des lois que, du fait de la disparité des situations à la fois entre les pays et entre les formations politiques, ce serait un facteur de déséquilibre et d’incertitude que de faire apparaître un nom propre supranational sur les listes nationales. Par conséquent, elle s’est opposée à cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Le Gouvernement n’est pas favorable à cet amendement, pour plusieurs raisons.
D’abord, son adoption viendrait troubler la lisibilité du scrutin, en laissant penser que les électeurs votent pour le candidat mentionné à la présidence de la Commission européenne, ce qui est contraire aux principes électoraux en vertu desquels les bulletins ne peuvent pas comporter d’autre nom que celui du ou des candidats ou de leur remplaçant éventuel.
Ensuite, le présent amendement semble impliquer que les futurs élus se trouveront en situation de compétence liée au moment du vote, dans une logique, au fond, de mandat impératif, ce qui est contraire à l’article 27 de la Constitution.
Monsieur le sénateur, si je comprends votre volonté de donner voix au chapitre à la méthode dite des Spitzenkandidaten, je tiens à rappeler que les États membres, comme le rapporteur l’a dit, sont divisés sur cette question. La France souhaite que l’esprit du traité de Lisbonne soit respecté : en application de l’article 17 du traité de l’Union européenne, le Conseil européen doit tenir compte des résultats des élections au Parlement européen afin de procéder à la désignation du président de la Commission européenne. Il appartient donc non pas aux listes de candidats, mais au Conseil européen de proposer au Parlement européen un candidat à la fonction de président de la Commission européenne.
Pour toutes ces raisons, je le répète, nous sommes défavorables à cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Je peux convenir de deux choses. D’abord, il se trouve que, la dernière fois, M. Juncker a pu construire une majorité ; mais, s’il n’y a pas de majorité pour le parti qui arriverait en tête des élections européennes et qui constituerait le groupe le plus important, on pourrait se retrouver dans une situation de blocage. Or ce n’est pas ce dont nous parlons ici.
J’en conviens également, les partis politiques européens sont plus des espaces de description topologique de ce que sont la droite – ou pseudo la droite – et la gauche – ou pseudo la gauche – dans chaque pays de l’Union européenne, avec, de temps en temps, des alliances un peu baroques, par exemple entre Mme Merkel et M. Orban – nous en avons aussi à gauche. Cela étant, si l’on veut faire vivre et évoluer ces partis, il faut aussi leur donner un sens au moment où, justement, ils peuvent peser. Par la suite, les candidats s’inscrivent dans des groupes au Parlement européen, et c’est dans ces groupes que la vie politique européenne et les choix se font. On ne peut donc pas les nier au moment des élections européennes.
Enfin, si je fais cette proposition, madame la ministre, c’est bien parce qu’il y a un besoin de transparence. Et si l’on n’inscrit pas cette possibilité dans la loi, cela ne se fera pas !
Il nous semble quand même logique que, à partir du moment où des candidats déclarent vouloir non pas imposer mais construire une majorité autour de tel candidat, ils puissent le signifier aux électeurs. Cette transparence répond à une nécessaire exigence démocratique. Je regrette profondément que la France, alors qu’elle a participé largement, en 2014, grâce en particulier au parti socialiste et avec les autres partis socialistes européens, à l’émergence d’un peu plus de démocratie grâce au principe des Spitzenkandidaten, opère, avec ce gouvernement, un recul démocratique majeur pour l’Union européenne.
En fonction de la majorité qui se dégagera au Parlement européen à la suite des élections européennes, la Commission européenne ne pourra pas être la même. Par conséquent, ces élections doivent satisfaire à une exigence de transparence et à une exigence de démocratie. Vous ne pouvez pas simplement dire que la désignation du président de la Commission sera le fruit d’une négociation entre les États. C’est faux ! Si la majorité est eurosceptique au Parlement européen, le président de la Commission européenne sera différent. Il est donc important, pour des raisons d’exigence démocratique et de contrôle démocratique de l’évolution de l’Union européenne, de voter cet amendement, qui, chers collègues du groupe Les Républicains,…
M. le président. Veuillez conclure, monsieur Leconte !
M. Jean-Yves Leconte. … a permis la dernière fois, parce que nous étions d’accord entre la droite et la gauche, de pousser cette avancée démocratique, de faire en sorte que le candidat du PPE, M. Juncker, devienne président de la Commission européenne. Il faut continuer dans cette voie pour renforcer le contrôle démocratique sur la construction européenne et singulièrement sur la Commission européenne.
M. Bruno Retailleau. Il n’y a pas besoin d’un texte : ça se passera comme ça !
M. Alain Richard, rapporteur. Si vous gagnez !
M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour explication de vote.
M. Jean Louis Masson. Indiquer le nom d’un parti, c’est possible, de même qu’il est possible d’indiquer le nom d’un parti sur un bulletin de vote au moment des élections législatives ou sénatoriales. Donc, ce qui nous est proposé là n’a strictement aucun intérêt.
Par ailleurs, comment écrire le nom d’un candidat potentiel, puisqu’on ne sait même pas quels seraient les candidats ? C’est comme si, au moment des élections législatives, on demandait au candidat d’inscrire sur son bulletin le nom de celui qui serait Premier ministre ! C’est exactement la même chose ! C’est complètement ridicule !
On ne sait pas, au moment où a lieu le scrutin pour les élections européennes, qui sera candidat ou qui ne le sera pas. Vouloir inscrire des noms sur des bulletins de vote, c’est complètement aberrant, c’est même typiquement digne de l’Union européenne !
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Très bien !
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 36 est présenté par M. Assouline, Mmes Blondin et Lepage, MM. Magner et Manable, Mmes Monier et S. Robert, MM. Leconte, Marie et les membres du groupe socialiste et républicain.
L’amendement n° 54 est présenté par Mmes Assassi et Benbassa, MM. Collombat, Ouzoulias et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Au deuxième alinéa de l’article 16 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, après les mots : « campagnes électorales », sont insérés les mots : « et des consultations citoyennes ».
La parole est à M. David Assouline, pour présenter l’amendement n° 36.
M. David Assouline. J’entre dans ce débat par le biais des questions relatives aux prérogatives dont dispose le Conseil supérieur de l’audiovisuel lors des élections européennes, questions que je connais et sur lesquelles je travaille.
Par cet amendement, nous souhaitons donner un droit de regard au CSA sur les consultations citoyennes. L’article 16 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication prévoit que le CSA adresse aux éditeurs de services publics comme privés des recommandations pendant les campagnes électorales. Le CSA utilise pleinement sa compétence, et ses recommandations, très étayées, sont rendues publiques, bien que la loi ne prévoie pas une telle publicité.
Le Président Macron semble avoir convaincu ses partenaires européens d’organiser des consultations citoyennes sur l’avenir de l’Europe. Bien que les contours de ce type de consultations restent pour l’heure encore flous, il nous semble important de prévoir que le CSA puisse réguler la communication des différents partis politiques sur les ondes pendant ces périodes.
Le Conseil a tendance à interpréter ses pouvoirs en deçà des campagnes électorales : il l’a fait en 2005, il avait également émis une recommandation à destination des services de télévision et de radio. Il nous semble néanmoins préférable que la loi prévoie explicitement une extension de ses compétences.
Tel est le sens de cet amendement, qui vise à étendre le pouvoir de recommandation du CSA à ce nouveau genre de campagne électorale que sont les consultations citoyennes. Nous voulons nous assurer que ce moment envisagé, tel qu’il a été annoncé par le Président de la République, puisse lui aussi être soumis à des règles de répartition du temps de parole pour les partis politiques et les formations qui ont quelque chose à dire, car la consultation citoyenne les concerne au premier chef.
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour présenter l’amendement n° 54.
Mme Éliane Assassi. À l’occasion des futures élections européennes, le Président de la République a lancé une période de consultation citoyenne à compter du 17 avril 2019 sans que soit prévue une quelconque organisation des débats radiotélévisés.
Nous avons déposé cet amendement, car nous estimons nécessaire d’assurer des règles de pluralisme dans les médias, y compris lors de cette période. Si précampagne officielle il y a, le respect du débat pluraliste doit être assuré de la même manière qu’il l’est pendant la campagne officielle.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Richard, rapporteur. L’avis est indécis. Au fond, nous avons beaucoup de mal à voir comment pourrait s’appliquer le pouvoir ainsi confié au CSA, l’objet même sur lequel porterait ce contrôle n’étant pas d’expression principalement médiatique ou audiovisuelle.
Peut-être le mot « consultation » a-t-il pu prêter à confusion, comme s’il s’agissait d’une consultation électorale, mais ces consultations citoyennes sont des débats qui se déroulent physiquement, en « présentiel » comme l’on dit maintenant, dans les territoires. Les orateurs, quelle que soit d’ailleurs leur position sur les futures élections européennes, s’exprimeront en vis-à-vis des citoyens, des groupements ou des forces vives qui voudront bien y participer et qui souhaitent avoir une vision sur ce que fait en ce moment l’Union européenne, sur son bilan dans un certain nombre de domaines, et ce afin de recueillir les attentes, les préférences, les revendications des citoyens.
Si la commission a choisi de demander l’avis du Gouvernement, qui se prépare à nous le donner avec beaucoup de précision (Mme la ministre relit des notes plume en main.),…
M. David Assouline. Apparemment, il réfléchit…
M. Alain Richard, rapporteur. Si la commission a choisi de demander l’avis du Gouvernement, disais-je, madame la ministre, c’est parce qu’elle a été un peu gênée pour en formuler un. À notre sentiment, si l’on donnait ce pouvoir au CSA, on ne sait pas bien sur quoi il pourrait s’appliquer.
J’ajoute que la question pourrait en revanche devenir tout à fait judicieuse après une réforme constitutionnelle qui confierait au Conseil économique, social et environnemental la mission permanente d’organiser des consultations de citoyens. S’agissant de ces consultations très circonscrites de précampagne électorale européenne qui se dérouleront d’avril à octobre, elles doivent être aussi pluralistes et aussi impartiales que possible, l’objectif étant d’inciter les citoyens à s’intéresser à l’Europe et à participer au vote plutôt que de les orienter vers une liste ou une autre, listes qui ne seront pas encore constituées.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Je vous prie de bien vouloir m’excuser, monsieur le rapporteur, de mon manque d’attention. J’étais en train de modifier la fiche que j’avais sous les yeux.
Les consultations citoyennes sur l’Europe organisées prochainement par le Gouvernement – je précise que de pareilles consultations auront lieu dans d’autres États de l’Union européenne ; ce n’est donc pas franco-français – ne traiteront pas particulièrement du droit électoral ni de la loi du 7 juillet 1977 relative à l’élection des représentants au Parlement européen. Elles pourront porter sur le logement, sur la formation professionnelle, etc.
Nous sommes bien sûr dans le cadre d’une précampagne, comme on le disait, mais ces consultations auraient pu tout aussi bien être qualifiées d’« états généraux », pour en donner le sens exact. De fait, je ne vois pas très bien pourquoi le CSA interviendrait. Ces réunions auront lieu sur le terrain, et les débats ne seront pas forcément télévisés ou radiodiffusés ; ils sortiront donc du champ du CSA. Par exemple, je sais que les chambres d’agriculture, les chambres de commerce sont très intéressées pour organiser des débats localement.
L’avis est donc défavorable.
M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.
M. David Assouline. Je n’ai pas été convaincu, mais je veux convaincre, parce que je vois bien que les arguments n’ont pas été très travaillés (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)…
M. David Assouline. … et que la commission elle-même s’interroge. Pourquoi ? Parce que nous sommes face à un objet dont le Gouvernement n’a pas encore lui-même défini les contours. Pensez-vous sérieusement qu’on puisse envisager, en 2018, d’appeler « consultation citoyenne » quelque chose qui se réduirait à une réunion physique – même si ces réunions sont très importantes dans les campagnes électorales ?
Pour consulter les citoyens, il faut organiser des réunions publiques de terrain, mettre en place des plateformes interactives, recourir à internet, etc. Dans tous les cas, les thématiques qui seront soumises à la discussion physique – peut-être – méritent une participation des partis politiques, pour que ceux-ci disent sur le service public de l’audiovisuel ce qu’ils pensent de ces sujets : le logement, l’Europe, etc. Il s’agit bien d’une précampagne.
M. André Gattolin. Non !
M. David Assouline. Vous pouvez dire non, mais vous allez jeter la suspicion. C’est une précampagne, et c’est le Gouvernement qui pose les questions ! Or une question sous-tend souvent ce à quoi on veut aboutir. Et puis, vous ne parlez pas des rendus ! Une fois que ces consultations auront eu lieu, il faudra un rendu pour éclairer les citoyens, pour pouvoir dire qu’elles auront servi à quelque chose. C’est le Gouvernement, parce qu’il en a les moyens, qui fera le rendu et qui disposera à cette fin de 100 % du temps de parole. Les partis pourraient à ce moment-là disposer eux aussi d’un temps de parole pour donner leur avis sur ces rendus, par exemple.
Avec la réforme constitutionnelle, il est possible que ce type de consultation se développe. Avec cet amendement, je n’ai pas d’autre objectif que de donner un droit démocratique supplémentaire dont je ne vois pas bien en quoi il pourrait déranger ceux qui veulent l’équité.
Aujourd’hui, le CSA se charge de répartir le temps de parole durant les campagnes électorales. Puisque vous avez vous-même qualifié ces consultations de précampagne, madame la ministre, nous demandons – sans que nous ayons le sentiment d’être complètement à côté de la plaque – que le Conseil veille à ce que les différentes sensibilités politiques disposent d’un temps égal d’expression sur les différents sujets débattus.
Je ne sais pas si j’ai pu vous convaincre…
M. le président. La parole est à M. André Gattolin, pour explication de vote.
M. André Gattolin. Il faut effectivement préciser ce que sont ces consultations citoyennes : ce n’est pas une précampagne.
M. David Assouline. C’est vous qui répondez ?
M. André Gattolin. Clairement, les choses commenceront le 17 avril…
Mme Éliane Assassi. Comment le savez-vous ?
M. André Gattolin. Je peux m’expliquer ?...
Mme Éliane Assassi. Pourquoi parlez-vous à la place du Gouvernement ?
M. André Gattolin. J’ai le droit de m’exprimer en tant que représentant d’un parti politique, non ?
Mme Éliane Assassi. D’accord !
M. le président. Laissez M. Gattolin s’exprimer !
M. André Gattolin. Je dis ce que sont les consultations citoyennes, puisque je travaille sur le sujet avec d’autres et de manière pluripartite.
M. David Assouline. Ah !
M. André Gattolin. Les consultations citoyennes ne sont pas une votation, ne sont pas une campagne ; elles prennent fin avant la campagne officielle, sont organisées dans les vingt-sept pays membres, sont encadrées par la Commission et le Parlement européens. Elles comporteront un questionnaire ouvert pour comprendre les attentes ou les rejets des citoyens européens, et ce questionnaire sera élaboré par un groupe de travail au niveau de la Commission européenne, qui le dispatchera vers les vingt-sept États membres.
L’organisation de ces consultations européennes se fera sous l’égide d’un comité scientifique dans lequel seront représentées un grand nombre d’associations et d’un conseil de surveillance où tous les partis politiques, y compris le vôtre, madame Assassi, ont déjà désigné un représentant.
Mme Éliane Assassi. Pas le CSA !
M. André Gattolin. Le CSA mesure le temps de parole pendant les campagnes. Celui des hommes politiques qui s’exprimeront à cette occasion dans les médias sera comptabilisé et régulé par le CSA,…
M. David Assouline. C’est ce que je propose !
M. André Gattolin. … comme il le fait couramment en dehors des campagnes électorales, périodes pendant lesquelles il veille au respect des équilibres. Là, ce n’est pas un objet de campagne électorale, c’est un objet de recensement !
Excusez-moi, mais le Front national, le parti communiste, tout le monde a désigné un représentant au conseil de surveillance. Alors retournez-vous vers vos partis respectifs pour comprendre les choses. Tout cela est coordonné. (Mme Éliane Assassi s’exclame.)
Je donne une explication : les modes habituels de détermination de l’équilibre du temps de parole politique hors campagne électorale s’appliqueront là aussi, quel que soit le mode d’expression médiatique. Mais on ne va pas commencer à faire un calcul d’équilibre des expressions dans des meetings ! (Mme Éliane Assassi et M. David Assouline s’exclament.)
Tous les meetings qui seront labellisés dans ce cadre devront être pluralistes et ne pourront pas concerner un seul ou deux partis. Voilà l’explication !
M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Quand on écoute M. Gattolin, on a l’impression que ces consultations citoyennes, c’est le monde des Bisounours… Les citoyens seront appelés à s’exprimer sur l’Union européenne comme dans un cours d’éducation civique : on parlera de tout, sauf des arbitrages politiques ! C’est un choix de considérer que la question européenne n’est pas fondamentalement de nature politique, mais rappelez-vous le débat ayant précédé le référendum sur la Constitution européenne : cela n’avait rien de neutre ! Toute une propagande pour le « oui » avait été orchestrée ; ceux qui appelaient à voter « non » étaient présentés comme n’ayant rien compris. Mais, manque de chance, la majorité du peuple français a tout de même voté « non »…
M. Jean-Pierre Grand. Moralité : attention aux référendums !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Si l’on avait fait le décompte des temps de parole, croyez-moi, le résultat aurait été édifiant ! On peut se rassurer en se disant que les campagnes télévisées ne sont finalement pas si déterminantes que cela dans le choix des Français, mais je considère qu’en la matière nous sommes face à une fragilité démocratique. Sous couvert de neutralité, le service public de l’audiovisuel lui-même donne parfois une lecture des enjeux qui apparaît orientée à une partie de la population.
Ces débats sont éminemment politiques. Comme par hasard, ils interviennent juste avant la campagne électorale ! Formellement, certes, ils ne relèvent pas de celle-ci, mais dans les faits ils y concourent.
Mme Éliane Assassi. C’est une précampagne !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Exactement !
M. André Gattolin. Mais non, c’est en dehors du débat électoral !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Nous avons donc besoin de garanties, d’un régulateur, car, en la matière, les règles habituelles ne sont pas suffisantes. Quand les institutions européennes s’expriment, à quel titre leur temps de parole est-il décompté ? Il faut définir un cadre, car ces instances ne sont pas neutres. Personnellement, je suis pour l’Europe, j’ai été vice-présidente du Parlement européen. Mais j’ai entendu des représentants du Parlement européen expliquer que certains partis n’étaient pas légitimes parce qu’ils étaient contre la construction européenne : à mes yeux, on a le droit de défendre un tel point de vue, même si ce n’est pas le mien !
J’insiste : il est indispensable que le CSA garantisse, par son arbitrage, l’équité, la neutralité et l’indépendance du service public audiovisuel pendant cette période préélectorale. Voilà pourquoi je soutiens ces deux amendements.
Mme Éliane Assassi. Très bien !
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 36 et 54.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Article 2
L’article 19 de la loi n° 77-729 du 7 juillet 1977 précitée est ainsi rédigé :
« Art. 19. – I. – Pendant la campagne électorale, les émissions du service public de la communication audiovisuelle sont mises à la disposition des listes dont la candidature a été régulièrement enregistrée, dans les conditions prévues au présent article.
« II. – Une durée d’émission de trois minutes est mise à la disposition de chacune des listes mentionnées au I.
« III. – Une durée d’émission de deux heures est mise à la disposition des présidents des groupes parlementaires à l’Assemblée nationale et au Sénat au prorata de leur nombre respectif de députés et de sénateurs. Ces durées d’émission sont distribuées librement, dans des conditions définies par décret, par les présidents de groupe aux listes mentionnées au I.
« IV. – Une durée d’émission supplémentaire d’une heure à une heure et demie est répartie entre les listes mentionnées au I afin que les durées respectives d’émission attribuées aux listes en application du présent article ne soient pas hors de proportion avec la participation à la vie démocratique de la Nation des partis et groupements politiques qui les soutiennent.
« Pour la répartition prévue au présent IV, il est tenu compte de :
« 1° La répartition déjà effectuée au titre des II et III ;
« 2° La représentativité des listes de candidats, appréciée, en particulier, en fonction des résultats obtenus aux dernières élections générales au Parlement européen et aux plus récentes élections par les candidats de la liste ou par les partis et groupements politiques qui les soutiennent et en fonction des indications de sondages d’opinion ;
« 3° La contribution de chacune des listes de candidats et des partis ou groupements qui les soutiennent à l’animation du débat électoral.
« V. – Les durées d’émission prévues aux II, III et IV s’entendent pour chaque service des sociétés nationales de programme mentionnées à l’article 44 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication désigné par le Conseil supérieur de l’audiovisuel conformément à l’article 16 de la même loi. Les émissions doivent être diffusées dans le même texte pour les émissions de télévision et dans un texte similaire ou différent pour les émissions de radio.
« VI. – (Supprimé)
« VII. – Le Conseil supérieur de l’audiovisuel constate l’attribution des durées d’émission prévues aux II et III. Il fixe la durée d’émission prévue au IV et procède à sa répartition.
« Il fixe les conditions de production, de programmation et de diffusion des émissions, après consultation des présidents des sociétés nationales de programme mentionnées au V.
« Pour l’application du IV, chaque parti ou groupement politique désigne la liste qu’il soutient, selon des modalités définies par décret en Conseil d’État.
« Les durées d’émission attribuées à plusieurs présidents de groupe parlementaire à l’Assemblée nationale ou au Sénat en application du III ou à plusieurs listes de candidats peuvent être additionnées, à leur demande, en vue d’une ou plusieurs émissions communes. Ces demandes sont adressées, dans des conditions fixées par décret, au Conseil supérieur de l’audiovisuel.
« VIII (nouveau). – En ce qui concerne les émissions destinées à être reçues en dehors de la métropole, le Conseil supérieur de l’audiovisuel tient compte des délais d’acheminement et des différences d’heures.
« IX (nouveau). – Les dépenses liées à la campagne audiovisuelle officielle sont à la charge de l’État. »
M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson, sur l’article.
M. Jean Louis Masson. Autant je soutenais l’article 1er, autant les articles relatifs aux temps de parole se heurtent à ma totale opposition.
En effet, je suis tout à fait hostile à ce que deux candidats ou deux listes de candidats soient traités différemment et ne disposent pas des mêmes moyens de propagande. Il n’y a pas des grands candidats et des petits candidats, des grandes listes et des petites listes : il y a des candidats, et c’est l’électeur qui doit décider.
Pour souligner le caractère quelque peu aberrant du système actuel, j’avais rédigé un amendement tendant à prévoir que chaque liste bénéficiant de la campagne audiovisuelle présente une profession de foi d’une longueur inversement proportionnelle à son temps de parole. Cette proposition était avant tout symbolique : il s’agissait de poser le problème. Cet amendement a été rejeté, au motif que ses dispositions étaient de nature réglementaire. Je proteste contre cette interprétation : à mon sens, elles relèvent clairement du domaine législatif. Faute de mieux, je donne lecture de l’exposé des motifs que j’avais rédigé pour cet amendement :
« Dans une vraie démocratie, les moyens publics doivent être attribués de manière égale entre les différents candidats. À défaut, on tombe dans des dérives que l’on a vues encore récemment en Égypte, pays pourtant soutenu par la France et considéré comme démocratique – c’est du moins ce que l’on dit lors des échanges diplomatiques entre la France et l’Égypte.
« De même, certains, au nom de la pensée politique dominante, ont insisté lourdement pour dénigrer la victoire de M. Orbán, dimanche dernier, en Hongrie, au prétexte que les moyens audiovisuels l’avaient favorisée. Or c’est exactement ce qui se passe actuellement en France : les petites listes auront deux minutes de temps de parole dans la propagande officielle, soit vingt fois moins que les listes les plus favorisées.
« C’est quand même une curieuse conception de la démocratie que de concentrer les moyens de propagande au profit de listes arbitrairement considérées comme plus sérieuses que les autres. Si le critère est celui des sondages, il n’y a alors plus qu’à supprimer les élections et se contenter de faire un sondage !
« Quoi qu’il en soit, dans la mesure où le système favorise certaines listes, il est normal que les autres aient une compensation, d’où l’idée que la longueur de la profession de foi soit inversement proportionnelle au temps de parole. »
Je le répète, cette proposition est symbolique, mais il faut bien voir que le véritable enjeu des élections européennes, ce n’est pas un combat entre la droite et la gauche : c’est le choix entre une Europe des nations et une Europe fédérale.
M. le président. Veuillez conclure, monsieur Masson.
M. Jean Louis Masson. Or, avec les critères retenus, le rapport entre les temps de parole des tenants de ces deux visions de l’Europe sera de un à dix, ce qui est inacceptable dans une démocratie !
M. le président. La parole est à Mme Jacky Deromedi, sur l’article.
Mme Jacky Deromedi. Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, je souhaite évoquer la participation des Français de l’étranger aux élections européennes. Toutes appartenances politiques confondues, les sénateurs les représentant ont obtenu de haute lutte la reconnaissance de leur droit de vote à ces élections en 1977. L’article 23 de la loi du 7 juillet 1977 précise les modalités de leur participation au scrutin.
Toutefois, il ne suffit pas de leur reconnaître ce droit : il faut mettre en œuvre les moyens permettant leur participation effective. Or le taux de participation de nos compatriotes expatriés aux élections européennes de 2014 s’est établi à 11,04 %. Ce chiffre est éloquent…
Beaucoup de Français de l’étranger préfèrent voter en France, étant aussi inscrits sur la liste électorale d’une commune. D’autres, nombreux également, préfèrent voter pour une liste de leur pays de résidence dans l’Union européenne.
Néanmoins, comment ne pas s’interroger sur ces taux de participation ? Lors de chacune des consultations précédentes, les sénateurs représentant les Français de l’étranger ont tenté de sensibiliser leurs groupes politiques à cet enjeu. Ils ont demandé aux gouvernements successifs de veiller à une information exhaustive de nos compatriotes expatriés. Chaque fois, on leur a assuré que les mesures nécessaires avaient été prises, s’agissant tant du site internet du ministère des affaires étrangères que des postes diplomatiques et consulaires.
Nous apprécions les efforts réels accomplis par ces derniers, qui doivent, hélas ! composer avec des budgets contraints, et donc des moyens limités. Il n’en reste pas moins qu’il est urgent d’agir compte tenu de l’importance concrète de l’Europe pour la vie quotidienne de tous les Français, où qu’ils vivent : nous le voyons bien à propos de la fiscalité, des échanges douaniers, du commerce international et de bien d’autres domaines relevant des compétences de l’Union européenne.
Nous devons continuer à nous battre pour que nos compatriotes expatriés puissent s’exprimer. Quels moyens mettre en œuvre pour favoriser la participation des Français de l’étranger à cette consultation électorale ? Le vote électronique permettrait sans nul doute à nos compatriotes installés à l’étranger de prendre part au scrutin. Ce sont des Français établis provisoirement hors de France ; il est important de les entendre et de leur donner les moyens de s’exprimer, où qu’ils soient dans le monde.
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, sur l’article.
Mme Esther Benbassa. L’article 2 modifie la répartition des temps d’antenne lors de la campagne officielle en la fondant en partie sur la représentation au Parlement.
Adopter cette disposition, justifiée par la volonté de donner une plus grande légitimité au scrutin en favorisant les partis représentés à l’Assemblée nationale et au Sénat, reviendrait en fait à un certain déni de démocratie. Comment garantir l’expression de la pluralité des opinions politiques lorsque la répartition des temps d’antenne est fondée sur le résultat des élections législatives, pour lesquelles le scrutin majoritaire favorise le bipartisme ?
Je suis issue d’un parti, EELV, qui, aujourd’hui, ne compte plus que quelques parlementaires nationaux. Pourtant, il n’y a pas si longtemps, lors des élections européennes de 2009, il avait recueilli 16,28 % des voix, ce qui le plaçait en troisième position.
Connaissant les positions spécifiques de certains partis sur les questions européennes, comment légitimer la mise en œuvre des dispositions d’un tel article, qui nous musellerait, en nous faisant pâtir de résultats nationaux n’ayant rien à voir avec nos propositions et nos ambitions pour le Parlement européen ? À l’évidence, il aurait été bien plus pertinent de se fonder sur les résultats des précédentes élections européennes.
Les membres du groupe CRCE proposent donc la suppression pure et simple du présent article. Dans un esprit constructif, nous avons également déposé un amendement de repli visant à distribuer le temps de parole de manière à respecter véritablement le pluralisme politique français, sans favoriser injustement les grands partis. Un Parlement sans opposition pèche par manque de démocratie.
M. le président. L’amendement n° 48, présenté par Mmes Assassi et Benbassa, MM. Collombat, Ouzoulias et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Fabien Gay.
M. Fabien Gay. L’article 2 réforme l’organisation des campagnes officielles à la radio et à la télévision pour les élections européennes.
Comme le souligne M. Richard dans son rapport, ces campagnes officielles constituent une « garantie de pluralisme politique » : leur coût étant intégralement pris en charge par l’État, elles donnent l’occasion à des partis et groupements politiques de petite taille de s’exprimer sur les chaînes du service public, souvent à des heures de grande écoute.
Or, alors que jusqu’à présent les règles en vigueur organisaient une égalité de temps d’antenne entre tous les partis et groupements politiques, il est ici question, comme on l’a fait en amont des élections présidentielles, en 2016, de mettre fin à cette égalité de traitement pour privilégier une approche dite « équitable ».
Ainsi, la première fraction d’une heure de temps de parole, répartie de manière égalitaire entre les partis et groupements politiques non représentés à l’Assemblée nationale ou au Sénat, concernera désormais toutes les listes de candidats, à hauteur de trois minutes pour chacune.
En revanche, la deuxième fraction de deux heures par chaîne réparties de manière égalitaire entre les partis et groupements politiques représentés à l’Assemblée nationale ou au Sénat, sera désormais distribuée par les présidents de groupe parlementaire, au prorata de leur nombre de députés ou de sénateurs.
Enfin, le CSA disposera d’une heure à une heure trente de temps de parole à distribuer pour remédier à d’éventuels déséquilibres, en se fondant sur ces deux critères troublants d’objectivité et de rationalité : la contribution à « l’animation du débat électoral » de chaque candidat – autrement dit, au meilleur animateur ou à la meilleure animatrice reviendra le meilleur temps de parole ; la représentativité des listes de candidats, qui reposerait « en particulier » sur deux sous-critères, à savoir les résultats obtenus aux dernières élections européennes et aux plus récentes élections par les candidats ou « formations politiques » qui les soutiennent, d’une part, et les indications des « enquêtes d’opinion », d’autre part.
On le voit bien, le caractère particulièrement subjectif et attentatoire à la démocratie de ces critères impose de modifier cette répartition du temps d’antenne ; c’est ce que nous proposerons dans un second temps.
Pour l’heure, au travers de cet amendement, nous vous invitons, mes chers collègues, à maintenir les règles régissant actuellement les temps de parole et les temps d’antenne pour les élections européennes. Rien ne peut justifier que l’on piétine à la fois l’égalité des chances pour tous les candidats légitimes et l’égal accès à l’information sur tout courant de pensée pour les électrices et les électeurs.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Richard, rapporteur. Mes chers collègues, vous l’aurez compris, avec cet article, nous abordons un sujet qui va nous occuper au moins aussi longtemps que la principale disposition de ce texte, relative au système électoral : il s’agit de la répartition du temps d’antenne sur les chaînes publiques en période de campagne électorale.
Dans le cas de notre texte, le temps de parole doit être réparti entre listes de candidats, et non entre formations politiques.
Monsieur Gay, à mon sens, votre présentation du dispositif comporte une légère imperfection. En effet, le droit en vigueur ne garantit pas du tout l’égalité ! Il est détaillé à la page 60 du rapport : ce dispositif accorde la grande majorité du temps de parole, trois heures sur cinq, aux groupes politiques représentés au Parlement français, soit à l’Assemblée nationale et au Sénat. Il tient donc bien compte, lui aussi, du résultat des élections antérieures, y compris des scrutins indirects dans le cas du Sénat.
Aujourd’hui, nous sommes conduits à rééquilibrer ce mode de répartition.
À ce titre, je vous apporte cette précision : depuis que les campagnes officielles existent sur les médias publics, c’est-à-dire, si ma mémoire est bonne, depuis les années soixante, la répartition des temps de parole s’est toujours fondée, de manière prédominante, sur la représentation parlementaire. Depuis cette époque lointaine, cette base est toujours apparue comme la plus objective.
Compte tenu des évolutions des dernières années, on a précisément cherché à établir une autre pondération.
Si le Gouvernement rectifie le droit actuel, c’est en restant fidèle aux mêmes principes : une fraction substantielle du temps de parole sera répartie au prorata des effectifs de parlementaires – et pour cause, il s’agit tout simplement d’une représentation du peuple français – et selon les résultats des élections politiques les plus récentes.
S’y ajoutera une deuxième composante. Cette fraction du temps de parole sera la même pour toutes les listes. À cet égard, j’attire l’attention du Sénat sur le fait que notre pays ne connaît aucun mécanisme de plafonnement du nombre de listes. Tout groupe de soixante-quinze personnes est libre de constituer une liste et de se présenter aux élections européennes. Lors des élections de 2014, on a dénombré vingt-sept listes de candidats dans la circonscription d’Île-de-France. Avec l’attrait de la campagne télévisuelle gratuite et diffusée à une heure de grande écoute, rien ne nous préserve du risque de compter, l’an prochain, quarante ou cinquante listes.
M. Jean-Pierre Grand. Les partis n’en auront pas les moyens !
M. Alain Richard, rapporteur. En résulterait un risque de confusion assez sérieux pour les formations politiques qui cherchent à disposer d’une représentation cohérente.
Ainsi, une première fraction du temps de parole dépendra de l’état des forces politiques représentatives au Parlement. Une deuxième fraction sera identique pour toutes les listes, et une troisième fraction permettra au CSA, en fonction de critères qui seront eux-mêmes inscrits dans la loi, d’opérer un rééquilibrage.
Cher collègue, vous pouvez souhaiter le maintien de l’ancien système, mais ne croyez surtout pas qu’il est égalitaire !
Pour ces raisons, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Jacqueline Gourault, ministre. M. le rapporteur vient d’exposer clairement les trois fractions du temps de parole pour la campagne officielle des futures élections européennes. La première d’entre elles est répartie de façon égalitaire entre toutes les listes : je signale que, dans l’ancien système, cela n’existait pas. Il fallait présenter des listes de candidats dans au moins cinq circonscriptions pour avoir accès au temps minimum.
M. Alain Richard, rapporteur. Tout à fait !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. En l’occurrence, cette réforme constitue un réel progrès : toutes les listes disposeront d’un temps minimum.
M. Fabien Gay. Évidemment, puisque nous revenons à la circonscription nationale !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Certes, mais il est tout de même important de le préciser.
À nos yeux, le nouveau système que nous avons élaboré est équilibré. C’est pourquoi le Gouvernement est défavorable à cet amendement.
J’ajoute à l’intention de Mme Benbassa que, parmi les critères de répartition de la troisième fraction de temps de parole, figure la représentation au Parlement européen.
M. le président. La parole est à M. Fabien Gay, pour explication de vote.
M. Fabien Gay. Monsieur le rapporteur, madame la ministre, j’entends bien vos explications. Vous soulignez notamment que la troisième fraction permettra au CSA de rééquilibrer les temps de parole ; mais, dans les faits, ces derniers resteront minimes pour les petites listes : si elles n’ont pas de représentants au Parlement français, elles ne disposeront que de trois minutes, puisqu’aucun temps de parole ne leur sera accordé au titre de la deuxième fraction.
En outre, les critères fixés pour l’attribution de cette troisième fraction nous paraissent un peu flous. En ce qui concerne celui des indications des enquêtes d’opinion, on a souvent vu des listes partir avec 1 % ou 2 % d’intentions de vote et finir avec des scores à deux chiffres…
M. Alain Richard, rapporteur. Le contraire s’est vu aussi… (M. André Gattolin rit.)
M. Fabien Gay. … et d’autres passer de 15 % à 20 % d’intentions de vote à moins de 10 % des voix à l’issue du scrutin. De plus, on le sait, les enquêtes d’opinion font débat : souvent, qui paye commande…
Voilà pourquoi nous devons approfondir cette question, d’autant que la campagne officielle ne saurait être dissociée du débat politique qui se tient tout au long de l’année. À cet égard, l’expression du pluralisme des idées est mise à mal en permanence, notamment durant la précampagne, dont personne ne nous fera croire qu’elle n’est pas politique : je suis absolument d’accord avec Mme Lienemann.
Tous ces éléments doivent nous amener à nous interroger sur la prise en compte égalitaire de la pluralité des opinions pendant les campagnes électorales. Vous nous dites que la troisième fraction de temps de parole permettra de réduire les inégalités. Pour ma part, je puis vous assurer que, eu égard notamment au critère des indications des enquêtes d’opinion, elle les aggravera parfois !
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 10, présenté par M. Masson, n’est pas soutenu.
L’amendement n° 16 rectifié est présenté par MM. Grand et Lefèvre, Mme Garriaud-Maylam et M. Le Gleut.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Rédiger ainsi cet article :
L’article 19 de la loi n° 77-729 du 7 juillet 1977 relative à l’élection des représentants au Parlement européen est abrogé.
La parole est à M. Jean-Pierre Grand.
M. Jean-Pierre Grand. L’article 2 vise à adapter les modalités d’attribution des temps d’antenne lors de la campagne audiovisuelle officielle des élections européennes, en tirant les conséquences d’une décision du Conseil constitutionnel sur une question prioritaire de constitutionnalité.
Dans son avis du 21 décembre 2017, le Conseil d’État a considéré que la mise à disposition des listes de candidats des antennes du service public de la communication audiovisuelle constitue un mode de propagande qui n’est désormais ni le plus moderne ni le plus influent dans la campagne électorale. Il est donc opportun de s’interroger quant au maintien de ces communications audiovisuelles.
La suppression de l’envoi de la propagande officielle –circulaires et bulletins de vote – est systématiquement proposée depuis quatre ans lors de l’examen du projet de budget. Il conviendrait prioritairement de renforcer les moyens mis à la disposition des représentants de l’État pour assurer la bonne diffusion de ces documents. Les graves manquements constatés lors des élections législatives de juin 2017 illustrent les dysfonctionnements que subit la distribution de la propagande officielle. À cet égard, madame la ministre, les candidats à qui quelques voix seulement ont manqué pour atteindre le seuil de 5 % ont été gravement pénalisés par le fait que peu d’électeurs ont reçu leur profession de foi. J’ai posé une question écrite à ce propos, mais je n’ai toujours pas obtenu de réponse.
Il est donc proposé d’abroger l’article 19 de la loi du 7 juillet 1977 relative à l’élection des représentants au Parlement européen, afin que l’État puisse concentrer les moyens en question pour assurer une meilleure diffusion de la propagande électorale.
Je précise à ce propos que, en définitive, il y aura sans doute peu de listes. En effet, la circonscription unique comptera 47 millions d’électeurs, et le coût de la propagande sera si élevé que ceux qui sont susceptibles de recueillir moins de 5 % des suffrages ne se présenteront pas, pour ne pas risquer d’avoir à acquitter une ardoise de plusieurs millions d’euros…
Par cohérence, il conviendra également d’abroger l’article L. 167-1 du code électoral applicable aux élections législatives, lequel a déjà été partiellement censuré par la décision du Conseil constitutionnel précitée.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Richard, rapporteur. Monsieur Grand, si je voulais être un peu taquin, je vous féliciterais de tenir le plus grand compte des avis du Conseil d’État (Sourires.) et j’ajouterais que vous êtes probablement un précurseur : selon toute vraisemblance, nos successeurs, dans quarante ou cinquante ans, souriront en voyant quelle attention le Sénat, en 2018, a portée à la répartition d’un temps de campagne télévisuelle qui est condamné à prendre de moins en moins d’importance dans le déroulement des campagnes électorales.
C’est ce que j’appellerai l’hystérésis du monde politique : nous avons tous tendance à nous intéresser aux phénomènes de communication que nous avons observés au cours des dix années passées, plutôt qu’à ceux qui se développeront au cours des dix années à venir.
Cela étant, le remède proposé par le docteur Grand est tout de même un peu radical, puisqu’il consiste à tuer le malade ! La commission n’a pu suivre une proposition si audacieuse, qui revient à renoncer à toute expression sur les médias publics. Elle a donc émis un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Monsieur Grand, l’amendement n° 16 rectifié est-il maintenu ?
M. Jean-Pierre Grand. Non, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 16 rectifié est retiré.
Je suis saisi de onze amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 3, présenté par M. Masson et Mmes Herzog et Kauffmann, est ainsi libellé :
Alinéas 3 et 4
Remplacer cet alinéa par un alinéa ainsi rédigé :
« II. – Une durée d’émission de deux heures est mise à la disposition de chacune des listes mentionnées au I. Elle est partagée à parts égales entre elles.
La parole est à Mme Claudine Kauffmann.
Mme Claudine Kauffmann. Le système proposé au travers de cet article offre un avantage injustifié aux partis en place et tend à bloquer l’émergence des petits partis qui leur font concurrence. Or le propre d’une élection vraiment démocratique est de traiter tous les candidats de manière égalitaire.
Il n’est pas démocratique de décider à l’avance que tel ou tel courant d’opinion a plus de chances de l’emporter qu’un autre et de lui accorder, sous ce prétexte, des moyens considérables, lui donnant parfois un avantage décisif. Si l’intéressé gagne les élections, c’est alors parce qu’il a disposé de davantage de moyens. C’est un reproche que l’on adresse généralement aux régimes autoritaires ou à certaines républiques exotiques.
Ce constat est d’autant plus vrai que l’effectif des groupes parlementaires n’est absolument pas représentatif de l’audience électorale. Par exemple, en 2012, au premier tour de l’élection présidentielle, le Front national a obtenu 6 421 426 voix, soit 17,90 % des suffrages. Mais, ensuite, il n’a pu faire élire que deux députés. Dans le même temps, les Verts, après avoir recueilli 828 345 voix, soit 2,31 % des suffrages, à l’élection présidentielle, ont finalement obtenu dix-sept sièges de député. Lors des élections législatives de 2017, des distorsions du même type ont été observées.
Compte tenu du scrutin majoritaire et des tractations politiciennes qu’il permet, il est donc évident qu’une répartition du temps de parole au prorata des groupes politiques du Parlement n’est pas du tout représentative de l’audience des divers courants d’opinion.
M. le président. L’amendement n° 72 rectifié, présenté par Mme Costes, MM. Arnell, Artano et A. Bertrand, Mme M. Carrère, MM. Castelli, Dantec, Gabouty, Gold et Guérini, Mmes N. Delattre et Jouve, M. Labbé, Mme Laborde et MM. Menonville et Requier, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Remplacer le mot :
trois
par le mot :
cinq
La parole est à Mme Josiane Costes.
Mme Josiane Costes. Par sa décision de mai 2017, faisant suite au recours déposé par l’association En Marche ! et qui est la matrice de l’article 2 de ce projet de loi, le Conseil constitutionnel a censuré le dispositif applicable aux élections législatives, au motif qu’il permettait une répartition du temps de parole « hors de proportion » avec l’état réel des forces politiques du pays, bouleversé par la percée du mouvement En Marche ! Cette expression a été intégrée à la rédaction de l’article 2 afin d’en garantir la constitutionnalité.
En adoptant une approche globale, nous considérons toutefois que ces précautions ne sont pas suffisantes, dès lors que la part minimale de temps de parole attribuée à chaque liste est considérablement réduite dans le cas des élections européennes. Sur l’initiative des députés, elle a été portée de deux minutes à trois minutes, contre sept minutes pour le premier tour des élections législatives et cinq minutes pour le second, comme prévu à l’article 2 bis du présent texte. Mais, en fonction des calculs établis par le Conseil supérieur de l’audiovisuel, dont les modalités restent à expliciter, les temps de parole vont considérablement varier d’une liste à l’autre. Cette situation pourrait alimenter le sentiment de censure chez une partie de nos concitoyens.
En outre, si ce dispositif renforce le poids du principe d’équité, il affaiblit celui du principe d’égalité devant le suffrage, puisque la durée des débats organisés sur le fondement de ce dernier pourrait être considérablement inférieure aux temps de parole répartis par les groupes parlementaires ou par le CSA.
Je comprends l’argument invoqué par M. le rapporteur, qui craint une multiplication des listes, en l’absence de parrainages. Toutefois, à mon sens, l’allongement des débats est préférable à une censure trop rigide des nouvelles formations politiques.
Plusieurs d’entre nous considèrent que les débats relatifs à l’Union européenne occupent une place trop marginale au regard du rôle désormais important que joue le Parlement européen dans l’équilibre institutionnel bruxellois. L’allongement de la durée minimale de temps de parole pourrait permettre aux citoyens de mieux juger de la qualité d’un programme et de l’aptitude au débat démocratique d’un candidat.
Dans ces conditions, nous proposons de porter à cinq minutes le temps de parole minimal pour chaque liste. Cela permettra non seulement de mieux respecter le principe d’égalité devant le suffrage et le pluralisme, mais aussi d’améliorer la qualité des débats.
M. le président. L’amendement n° 49, présenté par Mmes Assassi et Benbassa, MM. Collombat, Ouzoulias et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 4
Rédiger ainsi cet alinéa :
« III. – Une durée d’émission de trois heures est mise à la disposition des partis représentés à l’Assemblée nationale et au Sénat. Cette durée est répartie à parts égales entre les groupes.
II. – Alinéa 5
Compléter cet alinéa par les mots :
et permettent le respect du pluralisme
III. – Alinéas 6 à 9
Supprimer ces alinéas.
La parole est à M. Fabien Gay.
M. Fabien Gay. Cet amendement de repli tend à proposer d’autres règles de répartition du temps d’émission du service public de la communication audiovisuelle qui garantit l’expression pluraliste des opinions en France.
Comme nous l’énoncions en défendant notre amendement de suppression de l’article 2, la nouvelle répartition du temps d’antenne proposée par le Gouvernement, qui s’appuie sur un principe d’équité, ne nous paraît aucunement souhaitable, car elle contrevient à l’égalité des chances entre les candidats, tous également légitimes.
C’est pourquoi nous proposons de conserver les règles en vigueur actuellement, qui prévoient l’égalité de temps de parole, en portant la durée de la deuxième fraction de deux à trois heures. Ce temps serait mis à la disposition non pas des présidents des groupes parlementaires, mais des partis représentés au Parlement, ce qui semble plus démocratique, notamment dans le contexte électoral que connaît notre pays. Monsieur le rapporteur, vous le voyez, j’abonde dans votre sens !
En conséquence, nous proposons de supprimer les critères dont le Conseil supérieur de l’audiovisuel devrait tenir compte, aux termes de la rédaction actuelle du projet de loi, pour assurer le respect du principe d’équité. Rien ne justifie que les formations majoritaires soient favorisées – elles le sont déjà tout au long de l’année ! –, au détriment du nécessaire renouvellement du paysage politique français. Il nous faut au contraire encourager la diversité des listes électorales lors des élections européennes et ne pas nuire à la bonne information des électeurs sur les partis ou groupements politiques souhaitant accéder au Parlement européen.
M. le président. L’amendement n° 4, présenté par M. Masson et Mmes Herzog et Kauffmann, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Rédiger ainsi cet alinéa :
« III. - Une durée d’émission de deux heures est mise à la disposition des listes mentionnées au I. Elle est répartie entre elles au prorata du nombre de députés et de sénateurs qui déclarent leur apporter leurs parrainages dans des conditions définies par décret en Conseil d’État.
La parole est à Mme Claudine Kauffmann.
Mme Claudine Kauffmann. Le mécanisme du scrutin majoritaire et les tractations politiciennes lors du second tour ont pour conséquence que les résultats des élections législatives, en nombre de sièges, ne reflètent ni les résultats en nombre de suffrages obtenus ni l’audience réelle des courants d’opinion exprimés lors du scrutin.
La constitution des groupes politiques aggrave encore ce constat. Prendre en compte ces derniers revient purement et simplement à rayer d’un trait de plume les partis dont les parlementaires ne sont pas assez nombreux pour constituer un groupe. Après avoir été victimes du scrutin majoritaire, ces partis sont victimes de la priorité donnée aux groupes, ce qui constitue une caricature de démocratie.
M. le président. L’amendement n° 37, présenté par M. Assouline, Mmes Blondin et Lepage, MM. Magner et Manable, Mmes Monier et S. Robert, MM. Leconte, Marie et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 4, première phrase
Remplacer les mots :
de deux heures
par les mots :
d’une heure et demie
II. - Alinéa 5
Supprimer les mots :
à une heure
La parole est à M. David Assouline.
M. David Assouline. Nous disposons désormais d’une jurisprudence constitutionnelle permettant de clarifier la méthode que le législateur doit employer pour répartir le temps de parole durant les campagnes audiovisuelles officielles précédant les élections.
Le Conseil constitutionnel a estimé, dans sa décision du 31 mai 2017, que le législateur ne peut pas octroyer aux partis et groupements politiques non représentés à l’Assemblée nationale « un temps d’antenne manifestement hors de proportion avec leur représentativité ». Cela méconnaîtrait l’obligation constitutionnelle de maintien du pluralisme et de participation équitable des partis et groupements à la vie démocratique de la Nation.
Vraisemblablement, l’équilibre entre les deuxième et troisième fractions, tel que prévu dans le projet de loi, ne répond pas à cet objectif, dans la mesure où deux heures sont octroyées aux grands partis représentés nationalement, à charge pour le CSA de répartir l’heure restante entre tous les autres candidats.
Nous avons constaté avec satisfaction que M. le rapporteur partageait nos préoccupations quant au déséquilibre induit par les différentes fractions. La solution qu’il propose, et qui a été adoptée par la commission des lois, constitue une légère avancée, puisqu’elle permettra au CSA de disposer de plus de souplesse et de davantage de temps de parole à distribuer pour corriger les inégalités.
Néanmoins, cela n’est pas suffisant. Les deux heures destinées aux partis représentés au Parlement national aboutiront à conférer un avantage disproportionné aux grands partis, compte tenu du fait qu’elles seront réparties par les présidents de groupe, vraisemblablement au prorata des effectifs des groupes.
Il nous semblerait préférable de prévoir que la deuxième et la troisième fractions soient d’une heure trente chacune. Cette solution permettrait de répondre parfaitement à l’exigence exprimée par le Conseil constitutionnel d’une participation équitable des partis et groupements non représentés au Parlement national à la vie démocratique de la Nation.
M. le président. L’amendement n° 30 rectifié ter, présenté par MM. Brisson et Retailleau, Mmes Estrosi Sassone et Bonfanti-Dossat, M. de Nicolaÿ, Mme Renaud-Garabedian, MM. Bansard, Savary, Lefèvre, Savin, Revet, Paccaud et Piednoir, Mmes Puissat et Bruguière, M. Laménie, Mme Lanfranchi Dorgal, MM. Mayet et Gremillet et Mme Deroche, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 4
1° Première phrase
Après le mot :
disposition
rédiger ainsi la fin de cette phrase :
des listes soutenues par les partis et groupements politiques représentés à l’Assemblée nationale, au Sénat ou au Parlement européen.
2° Seconde phrase
Remplacer cette phrase par deux phrases ainsi rédigées :
Cette durée est répartie entre ces listes au prorata du nombre de députés, de sénateurs et de représentants français au Parlement européen ayant déclaré être inscrits ou se rattacher aux partis et groupements politiques qui soutiennent ces listes. Les conditions d’inscription et de rattachement des députés, des sénateurs et des représentants français au Parlement européen aux partis et groupements politiques sont fixées par décret en Conseil d’État.
II. – Alinéa 15, première phrase
Supprimer les mots :
à plusieurs présidents de groupe parlementaire à l’Assemblée nationale ou au Sénat en application du III ou
La parole est à M. Max Brisson.
M. Max Brisson. Cet amendement vise à modifier les règles de répartition de la section de deux heures d’émission de campagne officielle entre les listes soutenues par les partis et groupements politiques représentés à l’Assemblée nationale, au Sénat ou au Parlement européen.
Il est proposé de prendre en compte les représentants français au Parlement européen pour la répartition du temps d’antenne, ainsi que le préconise le Conseil d’État dans son avis sur le projet de loi.
L’amendement tend également à attribuer un temps d’émission à chaque parlementaire et à supprimer les références aux groupes parlementaires, afin de garantir un plus grand pluralisme, puisque les parlementaires n’appartenant pas à un groupe seraient, eux aussi, pris en considération, et une meilleure représentativité, puisque tous les parlementaires bénéficieront du même poids dans le calcul de la répartition.
Enfin, l’adoption de cette rédaction permettrait de faciliter l’application des dispositions faisant référence aux notions de « partis et groupement politiques » et « d’inscription et de rattachement », qui ne sont pas définies juridiquement et peuvent prêter à confusion.
C’est pourquoi nous proposons de préciser par décret en Conseil d’État les conditions d’inscription et de rattachement des députés, des sénateurs et des représentants français au Parlement européen aux partis et groupements politiques.
M. le président. L’amendement n° 38, présenté par M. Assouline, Mmes Blondin et Lepage, MM. Magner et Manable, Mmes Monier et S. Robert, MM. Leconte, Marie et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 4, première phrase
Après le mot :
disposition
insérer les mots :
des chefs de délégation française de chaque groupe représenté au Parlement européen,
La parole est à M. David Assouline.
M. David Assouline. Cet amendement est inspiré par la même préoccupation que celui qui vient d’être exposé, que je trouve très intéressant.
Il est surprenant que, s’agissant de la diffusion de la campagne audiovisuelle en vue de l’élection des représentants français au Parlement européen, les principaux intéressés, à savoir les chefs de délégation de chaque groupe représenté au Parlement européen, ne participent pas à la répartition du temps de parole, celle-ci étant confiée aux présidents de groupe de l’Assemblée nationale et du Sénat.
Cette négociation entre les présidents des groupes parlementaires nationaux pour la répartition de la fraction de deux heures est calquée sur ce qui a déjà cours pour les élections législatives.
Cette solution, adaptée à ce type d’élection nationale, présente, pour celle des représentants au Parlement européen, plusieurs défauts majeurs, dont je m’étonne qu’ils aient échappé au Gouvernement : elle exclut de la négociation les responsables des partis non représentés nationalement ; elle interdit le soutien à plusieurs listes qui pourraient être issues d’un même groupe parlementaire « national » ; elle favorise ainsi, de fait, l’expression des grands partis ; enfin, la répartition étant effectuée loin des instances européennes, elle ne constitue pas la solution la mieux à même de garantir la transparence.
Pour ces raisons, la solution retenue par le texte me semble être de nature à porter atteinte au principe constitutionnel de maintien du pluralisme au sein des médias.
Notre amendement vise donc à permettre aux chefs des délégations françaises au Parlement européen de participer à la répartition de la deuxième fraction du temps de campagne audiovisuelle publique, au même titre que les présidents de groupe des deux assemblées nationales.
M. le président. L’amendement n° 61, présenté par M. Bizet, n’est pas soutenu.
L’amendement n° 5, présenté par M. Masson et Mmes Herzog et Kauffmann, est ainsi libellé :
Alinéa 4, seconde phrase
Rédiger ainsi cette phrase :
Dans des conditions définies par décret en Conseil d’État, chaque groupe attribue la durée d’émission mise à sa disposition à l’une des listes mentionnées au I.
La parole est à Mme Claudine Kauffmann.
Mme Claudine Kauffmann. Les tractations politiciennes menant aux alliances du second tour dans le cadre du scrutin majoritaire, puis les tractations liées à la constitution des groupes politiques au sein du Parlement pervertissent l’expression du suffrage universel.
Si ce type d’organisation est l’expression d’une cohérence politique, comme certains le prétendent, alors il faut aller jusqu’au bout de la logique. Dans ces conditions, un groupe politique ne peut pas sérieusement prétendre qu’il est légitime qu’il soutienne simultanément plusieurs listes. Dans son avis sur le projet de loi, le Conseil d’État a d’ailleurs lui-même demandé l’application de la règle selon laquelle chaque parti ou groupement politique ne peut soutenir qu’une seule liste.
M. le président. L’amendement n° 67 rectifié, présenté par Mme Costes, MM. Arnell, Artano et A. Bertrand, Mme M. Carrère, MM. Castelli et Dantec, Mme N. Delattre, MM. Gabouty, Gold et Guérini, Mme Jouve, M. Labbé, Mme Laborde et MM. Menonville et Requier, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
La répartition des durées respectivement attribuées est rendue publique.
La parole est à Mme Josiane Costes.
Mme Josiane Costes. Depuis la dernière élection présidentielle, nous avons entendu de nombreuses critiques envers les médias, accusés d’utiliser leur pouvoir d’influence pour peser en faveur de tel ou tel candidat.
L’affaire du rôle présumé joué par les sociétés Facebook et Cambridge Analytica lors des élections américaines et du référendum sur le Brexit renforce les suspicions du public à l’encontre des nouveaux géants médiatiques.
Dans ce contexte, afin de couper court à toute théorie du complot, nous souhaitons que la répartition des temps de parole lors des prochaines élections européennes se déroule dans les conditions le plus transparentes possible.
Tel est l’objet du présent amendement, qui vise à ce que la répartition des temps de parole opérée par les groupes parlementaires soit rendue publique.
M. le président. L’amendement n° 68 rectifié, présenté par Mme Costes, MM. Arnell, Artano et A. Bertrand, Mme M. Carrère, MM. Castelli et Dantec, Mme N. Delattre, MM. Gabouty, Gold et Guérini, Mme Jouve, M. Labbé, Mme Laborde et MM. Menonville et Requier, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Remplacer les mots :
ne soient pas hors de proportion avec
par les mots :
soient représentatives du pluralisme des idées et opinions animant la société française, dans une proportion raisonnable au regard de
La parole est à Mme Josiane Costes.
Mme Josiane Costes. Aux termes de l’article 4 de notre Constitution, la loi « garantit les expressions pluralistes des opinions et la participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique de la Nation ».
L’objet de cet amendement est d’inscrire cet objectif constitutionnel d’expression du pluralisme dans le dispositif de répartition du temps de parole géré par le Conseil supérieur de l’audiovisuel, afin qu’il ne soit pas trop défavorable aux formations politiques non représentées au Parlement.
En l’état actuel du texte, les critères de répartition sont assez flous, notamment en ce qui concerne la mention relative aux instituts de sondage. Cela pourrait renforcer la dimension de prophétie autoréalisatrice des débats ainsi organisés.
Il s’agit également de ne pas assujettir le débat relatif aux élections européennes aux mêmes contingences que les campagnes des élections nationales, en cohérence avec notre volonté de promouvoir le développement de listes transnationales.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Richard, rapporteur. L’amendement n° 3 nous paraît malheureusement contradictoire avec la décision rendue par le Conseil constitutionnel l’année dernière, lequel a posé le principe qu’il fallait tenir compte des différences de représentativité entre les listes de candidats au vu d’un ensemble de critères, qu’il a strictement énumérés. L’égalité complète ne nous paraît donc plus constituer une solution légalement soutenable. L’avis de la commission sur cet amendement est défavorable.
L’amendement n° 72 rectifié présenté par Mme Costes nous semble quelque peu inflationniste. Accorder un droit d’expression sur plusieurs médias publics à des moments de grande écoute incitera à la multiplication des listes. En attribuant cinq minutes de temps de parole à chacune d’entre elles, on risque d’aboutir à des « tunnels » assez redoutables, susceptibles de rebuter les auditeurs.
La durée de trois minutes constitue déjà un compromis, puisque nous étions partis de deux minutes. La commission a préféré en rester à ce chiffre.
À ce sujet, monsieur Grand, si la charge logistique d’imprimer et de diffuser les bulletins et les professions de foi sans certitude d’être remboursé est bien sûr lourde, beaucoup de listes ne l’assumeront pas, car elles se présenteront uniquement pour bénéficier de la campagne télévisuelle. Cela fut le cas en Île-de-France en 2014 : sept ou huit listes sur les vingt-sept en présence n’avaient même pas distribué de bulletins de vote ; leur seule aspiration était de pouvoir s’exprimer à la télévision.
Craignant une inflation du nombre de listes, la commission a donc émis un avis défavorable sur l’amendement n° 72 rectifié.
L’objection opposée à l’amendement n° 3 vaut aussi pour l’amendement n° 49 : l’égalité pure n’est plus conforme à la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
L’amendement n° 37 présenté par David Assouline tend à transférer à la fraction corrective à la disposition du CSA trente minutes affectées aux groupes parlementaires. Adopter une telle mesure ne nous semble pas le meilleur facteur d’équilibre. La commission a certes voté un allongement de trente minutes du temps mis à la disposition du CSA pour procéder aux rééquilibrages, mais cet allongement ne doit pas se faire, pour nous, au détriment du temps d’expression accordé aux formations politiques déjà représentées au Parlement.
L’avis est défavorable, de même que sur l’amendement n° 38.
Le fait que les parlementaires européens ne soient pas pris en compte pour la répartition des temps de parole, parce que le Gouvernement a choisi de faire prévaloir la décision des présidents de groupe, nous ennuyait, mais l’amendement n° 30 rectifié ter présenté par Max Brisson nous donne la solution : plutôt que de confier la répartition des temps de parole aux présidents de groupe, il est proposé d’attribuer sept secondes vingt et un centièmes à chacun des 925 parlementaires nationaux et des 74 parlementaires européens, charge à eux de décider à quelle liste ce temps de parole sera affecté. Il suffit ensuite de faire l’addition pour chaque liste. Cette solution permet à la fois de prendre en compte les parlementaires européens et de régler le problème des non-inscrits.
La commission a émis un avis favorable sur l’amendement n° 30 rectifié ter.
L’amendement n° 67 rectifié de Mme Costes nous paraît implicitement satisfait, dans la mesure où la décision récapitulative du CSA est publiée au Journal officiel. Cela étant, la décision prise par chaque parlementaire en matière d’attribution du temps d’émission n’est, elle, pas publiée. Cet amendement me semble donc, à titre personnel, avoir sa justification, même si la commission avait émis un avis défavorable.
Enfin, par l’amendement n° 68 rectifié, Mme Costes propose d’inscrire dans le dispositif l’objectif de représentation du pluralisme. Cela nous a semblé redondant au regard du principe constitutionnel qu’elle a évoqué. Je suggère donc le retrait de cet amendement ; à défaut, la commission émettra un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Le Gouvernement est défavorable à l’amendement n° 3.
S’agissant de l’amendement n° 72 rectifié, la durée forfaitaire de trois minutes doit être mise en perspective avec les durées attribuées au titre des deux autres fractions, qui permettent d’aboutir à un juste équilibre. Je tiens à rappeler que, lors de l’examen du texte à l’Assemblée nationale, le Gouvernement a déjà accepté de porter le forfait de deux à trois minutes.
Je suggère donc le retrait de cet amendement ; à défaut, l’avis serait défavorable.
La mise en œuvre du dispositif présenté au travers de l’amendement n° 49 soulèverait plusieurs difficultés, dès lors que la deuxième fraction serait attribuée à des partis politiques, tandis que la première et la troisième reviendraient aux listes de candidats. En effet, la fraction de correction n’a de sens que si elle s’applique aux bénéficiaires des deux premières.
L’avis est défavorable.
Concernant l’amendement n° 4, en mettant les deux heures de la deuxième fraction à disposition des présidents de groupe, le Gouvernement a souhaité s’en remettre à la sagesse de ces derniers et à celle des groupes parlementaires. Mettre en œuvre cette répartition est également plus simple qu’organiser un système complexe de parrainage de plusieurs centaines de parlementaires.
L’avis est défavorable.
En ce qui concerne l’amendement n° 37, le dispositif que propose le Gouvernement vise à maintenir une durée plus importante de temps d’antenne pour les listes soutenues par des formations représentées au Parlement. Cette prime donnée à la représentation parlementaire existait précédemment et n’a pas été censurée par le Conseil constitutionnel. Le Gouvernement n’a pas souhaité revenir sur ce principe. Pour que ce mécanisme correctif fonctionne, il ne doit pas conduire à attribuer une même durée d’émission que le mécanisme principal, fondé sur la représentation parlementaire.
L’avis est défavorable.
Le Gouvernement n’est pas favorable à l’amendement n° 30 rectifié ter, dans la mesure où il remet en cause le rôle des groupes parlementaires dans la répartition des temps d’antenne.
S’agissant de la prise en compte des représentants français au Parlement européen comme déterminant de la répartition des temps d’antenne, je tiens à préciser que cela est d’ores et déjà prévu au travers de la troisième fraction. Parmi les critères que le CSA devra considérer pour répartir les temps de parole au titre de celle-ci figurent en effet les résultats obtenus aux dernières élections générales au Parlement européen. Il n’en est tenu compte qu’au travers du mécanisme de correction de la troisième partie parce que ces résultats ne permettent pas de donner une image suffisamment actualisée des rapports de force politiques, les dernières élections européennes ayant eu lieu en 2014. Par ailleurs, un dispositif consistant, si j’ai bien compris, à attribuer sept secondes de temps d’antenne à chaque parlementaire semble plus complexe à mettre en œuvre que celui que défend le Gouvernement. Avis défavorable.
S’agissant de l’amendement n° 38, l’intervention conjointe des chefs de délégation française de chaque groupe du Parlement européen et des présidents de groupe à l’Assemblée nationale et au Sénat viendrait complexifier l’économie du projet.
En outre, les personnes qui seront candidates aux élections européennes de 2019 ne l’étaient pas nécessairement lors du précédent scrutin européen ; dans ce cas, il sera impossible de prendre en compte leurs résultats de 2014. Il en irait ainsi, par exemple, des listes de La République en Marche et de La France insoumise.
M. Alain Richard, rapporteur. Ce n’est pas de nature à faire changer d’avis M. Assouline !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Le Gouvernement émet un avis défavorable sur l’amendement n° 38.
Le Gouvernement n’est pas favorable à l’amendement n° 5, dont l’adoption risquerait de priver certains présidents de groupe de la possibilité de soutenir également des listes représentant des courants d’opinion émergents.
Sur l’amendement n° 67 rectifié, le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat. (Ah ! sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
Enfin, madame Costes, concernant l’amendement n° 68 rectifié, l’objectif de promouvoir l’expression du pluralisme des idées et des opinions correspond à la mission fondamentale du CSA, qui, en application de la loi de 1986 relative à la liberté de communication, assure le respect de l’expression pluraliste des courants de pensée et d’opinion. Le rappeler dans le présent projet de loi n’apporterait pas de précisions quant à la répartition à effectuer. Au contraire, la formulation proposée à l’article 2 s’inspire directement de la décision du Conseil constitutionnel et me semble plus précise. En effet, elle indique clairement que l’objectif de la fraction de correction est d’éviter l’attribution à certaines listes de temps d’antenne hors de proportion avec la participation des partis et groupements politiques qui les soutiennent à la vie démocratique de la Nation.
Pour ces raisons, le Gouvernement vous suggère de retirer cet amendement ; à défaut son avis serait défavorable.
M. le président. Madame Costes, l’amendement n° 68 rectifié est-il maintenu ?
Mme Josiane Costes. Non, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 68 rectifié est retiré.
Je mets aux voix l’amendement n° 3.
(L’amendement n’est pas adopté.)
M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote sur l’amendement n° 37.
M. David Assouline. Je ne comprends pas très bien l’argument de M. le rapporteur.
En résumé, la deuxième fraction comprend deux heures à répartir entre les quelques formations représentées au Parlement. Chacune d’entre elles bénéficiera donc d’un temps d’expression assez important à ce titre. Si l’on en reste à la version du Gouvernement, le CSA aura une heure à répartir entre les nombreuses listes non représentées au Parlement.
Pour trouver un équilibre, j’estimais que l’on pouvait envisager de porter le temps d’expression à attribuer au titre de cette troisième fraction à une heure et demie, afin que chacune des listes en question dispose d’un minimum de temps d’antenne. Je souhaitais en outre conserver la même enveloppe globale, parce que les chaînes publiques constatent souvent, lors de la diffusion des campagnes audiovisuelles officielles, un décrochage massif de l’audience au bénéfice des chaînes privées, qui ne sont pas soumises aux mêmes obligations. Il convient donc, à mon sens, de ne pas allonger la durée de la campagne audiovisuelle officielle. C’est pourquoi je propose de prendre la demi-heure ajoutée à la troisième fraction sur le temps d’antenne attribué aux grands partis, qui sont déjà plutôt bien servis par ailleurs.
M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote sur l’amendement n° 30 rectifié ter.
M. David Assouline. Cet amendement va plus loin, en termes de prise en compte de la représentation au Parlement européen, que mon amendement n° 38, qui vise, de façon plus restreinte, à associer à la répartition du temps d’antenne les chefs des délégations françaises des groupes représentés au Parlement européen. Si l’amendement de M. Brisson, dont le dispositif constitue un ensemble plus cohérent, était adopté, le mien, qui représente une solution de repli, deviendrait sans objet.
Madame la ministre, vous vous opposez à ces deux amendements en faisant valoir un argument que je ne comprends pas. Vous affirmez que la prise en compte de la représentation au Parlement européen pour la répartition du temps d’expression est déjà prévue au travers de la troisième fraction. Cependant, vous précisez que les chefs des délégations françaises des groupes représentés au Parlement européen n’ont pas voix au chapitre : c’est d’une incohérence totale, madame la ministre ! On ne peut justifier l’exclusion de ces personnalités de la commission chargée de répartir les temps d’antenne au titre de la troisième fraction.
Par conséquent, si l’amendement de M. Brisson devait être repoussé, je maintiendrais le mien.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Alain Richard, rapporteur. Les dispositions que l’amendement de M. Brisson tend à introduire nous semblent apporter non pas une, mais deux améliorations.
Premièrement, cet amendement vise à prendre en compte la représentation parlementaire dans les trois assemblées, de façon certes pondérée puisque les Français sont représentés par 925 parlementaires nationaux et par seulement 74 représentants au Parlement européen.
Deuxièmement, la rédaction proposée par M. Brisson permet de régler un autre problème. La rédaction initiale prévoit que les présidents des groupes parlementaires issus d’une précédente consultation répartissent les temps d’antenne. Or certains groupes parlementaires se formant par coalitions de personnes qui n’étaient pas nécessairement issues de la même organisation politique, ces modalités de répartition ne me semblent pas d’une grande transparence.
La rédaction proposée par M. Brisson prévoit que le temps d’antenne soit réparti, non pas entre les chefs de groupe parlementaire, mais entre des listes de candidats soutenues par les parlementaires eux-mêmes. Ces listes ne recouvriront pas forcément les clivages antérieurs et seront « parrainées » pour l’attribution du temps d’antenne par les parlementaires qui, en conscience, ont décidé d’apporter leur contribution au temps de parole sans passer par l’intermédiaire des présidents de groupe.
Par ailleurs, monsieur Assouline, si, depuis une époque récente, les présidents de groupe parlementaire sont mentionnés dans des textes législatifs, en revanche les « chefs » de délégations nationales au sein des groupes du Parlement européen n’ont dans notre droit aucune existence.
M. le président. En conséquence, les amendements nos 38 et 5 n’ont plus d’objet.
Je mets aux voix l’amendement n° 67 rectifié.
(L’amendement est adopté.)
M. le président. Madame la ministre, mes chers collègues, il est un peu plus de minuit. Je vous propose de prolonger notre séance jusqu’à zéro heure trente afin d’avancer dans l’examen de ce texte.
Il n’y a pas d’opposition ?…
Il est ainsi décidé.
Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 39, présenté par M. Assouline, Mmes Blondin et Lepage, MM. Magner et Manable, Mmes Monier et S. Robert, MM. Leconte, Marie et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 10, première phrase
Remplacer les mots :
chaque service
par les mots :
tout service à vocation généraliste
La parole est à M. David Assouline.
M. David Assouline. J’aimerais que chacun prête attention à cet amendement, car il y a peut-être eu un malentendu.
En l’état actuel du droit, l’obligation de diffusion audiovisuelle des campagnes électorales s’impose aux trois grandes sociétés nationales de programmes de l’audiovisuel public, à savoir France Télévisions, Radio France et France Médias Monde. Il revient au CSA de déterminer lesquels des services de ces sociétés assument cette obligation de diffusion, en tenant compte de leur format et en concertation avec les présidents des trois sociétés. Tel est le système en vigueur.
L’Assemblée nationale a adopté un amendement du Gouvernement – celui-ci nous expliquera sans doute pourquoi il a déposé un amendement à son propre texte – tendant à étendre l’obligation de diffusion audiovisuelle des campagnes électorales à chacun des services des trois sociétés que j’ai citées. La portée de cette obligation s’en trouve considérablement étendue – potentiellement, car le CSA pourra en décider autrement –, puisque ces services sont au nombre de seize : France 2, France 3, France 4, France 5, France O et Réseau France Outre-Mer pour France Télévisions ; France Inter, France Info, France Bleu, France Culture, France Musique, le Mouv’ et FIP pour Radio France ; France 24, RFI et Monte Carlo Doualiya pour France Médias Monde. Pour ne prendre que l’exemple de Radio France, je rappelle que, à l’heure actuelle, l’obligation de diffusion ne concerne que France Inter et les programmes télévisuels de France Info.
Par ailleurs, le coût de la diffusion de la campagne officielle pour l’État augmenterait considérablement, alors même que l’on demande au service public de dépenser moins.
Enfin, je ne parle pas du ridicule d’interrompre pendant deux heures les programmes de France Musique ou de FIP pour diffuser les spots électoraux…
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. David Assouline. Je propose donc de circonscrire le champ de l’obligation de diffusion de la campagne officielle aux services « à vocation généraliste ».
M. le président. L’amendement n° 46 rectifié, présenté par MM. Leleux et Hugonet, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 10, première phrase
Remplacer les mots :
service des sociétés nationales de programme mentionnées
par les mots :
société nationale de programme mentionnée
II. – Alinéa 13
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Il veille à ce que le choix des services chargés de diffuser les émissions permette de s’adresser à l’ensemble des électeurs.
La parole est à M. Jean-Pierre Leleux.
M. Jean-Pierre Leleux. Les motivations du présent amendement sont similaires à celles de l’amendement présenté à l’instant par M. Assouline, mais son dispositif est différent.
Dans sa rédaction initiale, l’article 2, conformément à la pratique en vigueur, visait les trois sociétés nationales de programmes de l’audiovisuel public – France Télévisions, Radio France et France Médias Monde –, et non chacune de leurs seize antennes.
J’imagine que c’est afin de promouvoir un débat plus large que le Gouvernement a déposé à l’Assemblée nationale un amendement ayant pour objet d’étendre l’obligation de diffusion à l’ensemble des services des trois sociétés nationales de l’audiovisuel public.
Si l’on peut partager l’objectif de rendre plus dynamique et plus large le débat précédant les élections européennes, la rédaction retenue par les députés pose néanmoins des difficultés pratiques au regard de la ligne éditoriale des différents services, d’autant que le projet de loi précise qu’il s’agira du même texte pour toutes les chaînes de télévision ou de radio, sans possibilité d’adaptation aux formats des différentes antennes. Ainsi, un texte de nature politique conçu pour des citoyens majeurs et électeurs devra être diffusé sur France 4, dont les programmes sont destinés aux enfants dans la journée, ou sur la radio arabophone Monte Carlo Doualiya, alors qu’il sera nécessairement en français… Je pourrais également évoquer le cas de la radio le Mouv’, dédiée aux musiques actuelles.
La rédaction que je propose vise à concilier l’objectif du Gouvernement et le respect de la ligne éditoriale des différents services, en confiant au CSA la mission de veiller à ce que la définition du champ de l’obligation de diffusion permette de s’adresser à l’ensemble des électeurs sans nécessairement concerner l’ensemble des services.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Richard, rapporteur. Les jours de mauvaise humeur, certains collègues estiment que la commission des lois exerce une grande influence, et qu’elle prétend pouvoir présenter des opinions sur des sujets très variés.
En l’occurrence, nous montrons nos limites, car la commission des lois a quelque peu « séché » sur ce sujet, et même après avoir entendu deux de ses meilleurs connaisseurs, nous demeurons perplexes.
Je vais donc modestement essayer de décoder le débat. L’obligation de diffusion devrait concerner France 2, France 3, France Info, France O, Réseau France Outre-Mer, France Inter, France 24 et RFI.
Mme Marie-Noëlle Lienemann et M. David Assouline. Très bien !
M. Alain Richard, rapporteur. Comment l’écrire dans la loi ? Nous avons cru comprendre que tel était l’objet de l’amendement présenté par le Gouvernement et adopté par l’Assemblée nationale. (Mme la ministre acquiesce.) Or nos collègues David Assouline et Jean-Pierre Leleux nous indiquent que la rédaction retenue renvoie à seize services.
Compte tenu de notre incertitude, la commission avait prévu de demander l’avis du Gouvernement, ce qui était moyennement courageux. Il me semble, à l’écoute de nos deux collègues, qu’il vaudrait mieux voter l’un des deux amendements afin de pouvoir retravailler cette rédaction à froid en vue de la commission mixte paritaire.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Le Gouvernement émet un avis de sagesse sur ces deux amendements. Oserai-je dire que nous préférons la rédaction proposée par M. Assouline, qui nous semble plus claire ? J’espère que vous ne m’en voudrez pas, monsieur Leleux !
M. Jean-Pierre Leleux. Si, beaucoup ! (Sourires.)
M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.
M. David Assouline. Monsieur Leleux, votre amendement tend à laisser au CSA le soin de déterminer quels sont les services à caractère généraliste. Or c’est précisément ce qu’il ne faut pas faire, car alors, potentiellement, jusqu’à seize services pourraient être concernés par l’obligation de diffusion.
Il convient à notre avis de circonscrire le champ des services parmi lesquels le CSA effectuera son choix, et la rédaction que je propose me semble à cet égard plus précise et plus satisfaisante. La retenir permettrait un dialogue apaisé entre le CSA et les sociétés de l’audiovisuel public.
Pour l’heure, c’est panique à bord à Radio France et à France Télévisions, où l’on ressentait déjà comme un boulet l’obligation de diffuser la campagne officielle, qui leur fait perdre de l’audience – il faut dire que les messages enregistrés par les partis sont assez rébarbatifs et repoussants. Demain, les sociétés publiques seront encore plus handicapées, par rapport à la concurrence des chaînes privées, si les programmes de leurs services non généralistes sont interrompus de manière incongrue.
Par ailleurs, circonscrire les services potentiellement concernés par l’obligation de diffusion permettra à l’État de faire des économies.
Je remercie de leurs avis la commission et le Gouvernement. Monsieur Leleux, je vous invite à vous rallier à l’amendement que j’ai présenté, qui deviendrait alors l’amendement Assouline-Leleux !
M. le président. Monsieur Leleux, l’amendement n° 46 rectifié est-il maintenu ?
M. Jean-Pierre Leleux. Je ne suis pas certain que l’expression « service à vocation généraliste » soit suffisamment claire. C’est pourquoi je souhaitais laisser au CSA le soin de répartir les temps de parole sur les différentes antennes en concertation avec les chaînes concernées.
Cela étant dit, je me rallie à l’amendement Assouline-Leleux et je retire l’amendement n° 46 rectifié.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Quelle élégance !
M. le président. L’amendement n° 46 rectifié est retiré.
La parole est à M. André Gattolin, pour explication de vote sur l’amendement n° 39.
M. André Gattolin. J’espère que le service public n’en profitera pas pour exclure aussi du champ de l’obligation de diffusion les services d’information, qui sont directement concernés par les campagnes électorales.
M. David Assouline. C’est le CSA qui décide, pas le service public !
M. André Gattolin. Soit, mais il me paraîtrait préférable de viser les services généralistes et d’information dans la rédaction de l’amendement, qui mériterait sans doute d’être retravaillée, le cas échéant, en commission mixte paritaire.
M. le président. Je mets aux voix l’article 2, modifié.
(L’article 2 est adopté.)
Article 2 bis
L’article L. 167-1 du code électoral est ainsi rédigé :
« Art. L. 167-1. – I. – Pendant la campagne électorale, les émissions du service public de la communication audiovisuelle sont mises à la disposition des partis et groupements politiques dans les conditions prévues au présent article.
« II. – Pour le premier tour de scrutin, une durée d’émission de sept minutes est mise à la disposition de chaque parti ou groupement politique qui en fait la demande dès lors qu’au moins soixante-quinze candidats indiquent s’y rattacher dans des conditions définies par décret.
« Pour les émissions précédant le deuxième tour de scrutin, une durée d’émission de cinq minutes est mise à disposition des mêmes partis et groupements politiques selon les mêmes modalités.
« III. – Pour le premier tour de scrutin, une durée d’émission de deux heures est mise à la disposition des présidents des groupes parlementaires à l’Assemblée nationale au prorata de leur nombre de députés. Ces durées d’émission sont distribuées librement, dans des conditions définies par décret, par les présidents de groupe aux partis et groupements politiques bénéficiant d’une durée d’émission au titre du II.
« Pour les émissions précédant le deuxième tour de scrutin, une durée d’émission d’une heure est répartie selon les mêmes modalités.
« IV. – Pour le premier tour de scrutin, une durée d’émission supplémentaire d’une heure est répartie entre les partis et groupements politiques mentionnés au II afin que les durées respectives d’émission attribuées en application du présent article ne soient pas hors de proportion avec leur participation à la vie démocratique de la Nation.
« Pour la répartition prévue au présent IV, il est tenu compte de :
« 1° La répartition déjà effectuée au titre des II et III ;
« 2° La représentativité de ces partis ou groupements politiques, appréciée, en particulier, en fonction des résultats obtenus lors du dernier renouvellement général de l’Assemblée nationale et aux plus récentes élections par les candidats ou par les partis et groupements politiques auxquels ils ont déclaré se rattacher et en fonction des indications de sondages d’opinion ;
« 3° La contribution de chaque parti ou groupement politique à l’animation du débat électoral.
« Pour les émissions précédant le deuxième tour de scrutin, une durée d’émission supplémentaire d’une demi-heure est répartie entre les mêmes partis et groupements politiques selon les mêmes modalités.
« V. – Les durées d’émission prévues aux II, III et IV s’entendent pour chaque service des sociétés nationales de programme mentionnées à l’article 44 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication désigné par le Conseil supérieur de l’audiovisuel conformément à l’article 16 de la même loi. Les émissions doivent être diffusées dans le même texte pour les émissions de télévision et dans un texte similaire ou différent pour les émissions de radio.
« VI. – Le Conseil supérieur de l’audiovisuel constate l’attribution des durées d’émission prévues aux II et III et procède à la répartition de la durée d’émission prévue au IV.
« Il fixe les conditions de production, de programmation et de diffusion des émissions, après consultation des présidents des sociétés nationales de programme mentionnées au V.
« Les durées d’émission attribuées à plusieurs présidents de groupe parlementaire à l’Assemblée nationale en application du III ou à plusieurs partis ou groupements politiques peuvent être additionnées, à leur demande, en vue d’une ou plusieurs émissions communes. Ces demandes sont adressées, dans des conditions fixées par décret, au Conseil supérieur de l’audiovisuel.
« VII. – En ce qui concerne les émissions destinées à être reçues en dehors de la métropole, le Conseil supérieur de l’audiovisuel tient compte des délais d’acheminement et des différences d’heures.
« VIII. – Les dépenses liées à la campagne audiovisuelle officielle sont à la charge de l’État. »
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 17 rectifié est présenté par MM. Grand et Lefèvre, Mme Garriaud-Maylam et MM. Magras et Le Gleut.
L’amendement n° 50 est présenté par Mmes Assassi et Benbassa, MM. Collombat, Ouzoulias et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Jean-Pierre Grand, pour présenter l’amendement n° 17 rectifié.
M. Jean-Pierre Grand. Introduit par voie d’amendement gouvernemental en séance publique à l’Assemblée nationale, le présent article vise à tirer les conséquences d’une question prioritaire de constitutionnalité relative à la durée des émissions de la campagne électorale en vue des élections législatives.
Dans sa décision, le Conseil constitutionnel a fixé au 30 juin 2018 la date de l’abrogation de ces dispositions, afin de laisser au législateur le temps de les remplacer. Il est apparu opportun au Gouvernement d’utiliser le présent vecteur législatif pour se conformer à cette décision dans ce délai et éviter ainsi l’apparition d’un vide juridique.
Or le présent projet de loi relatif à l’élection des représentants au Parlement européen ne visait initialement que la loi du 7 juillet 1977, et nullement le code électoral.
Conformément à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, il est proposé de supprimer cet article, qui est à l’évidence un cavalier législatif.
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour présenter l’amendement n° 50.
Mme Éliane Assassi. Je dirai d’abord un mot sur la méthode.
Tout le monde conviendra que l’organisation de la campagne radiotélévisée officielle des élections législatives, moment fort du débat démocratique, n’est pas une mince affaire. C’est une question très complexe sur le plan technique et qui peut avoir de lourdes conséquences politiques.
Comment accepter, dans ces conditions, qu’une telle disposition soit introduite par la voie d’un amendement déposé de façon inopinée par le Gouvernement à l’Assemblée nationale ? Il est pour le moins incongru que ce soit le Sénat, qui a priori n’est pas directement concerné, qui soit amené à examiner ce dispositif avec la sérénité et le sérieux requis.
Une telle méthode, selon nous, n’est pas respectueuse du Parlement, d’autant qu’elle devient la méthode du Gouvernement puisque Mme Borne, ministre chargée des transports, a « dégainé » hier en séance publique un amendement visant à rien de moins que la transformation de la SNCF en société anonyme !
Ces amendements gouvernementaux inopinés, véritables mini-projets de loi, ne sont pas accompagnés d’études d’impact. Ils représentent un véritable contournement de la Constitution. Leur développement, conjugué au recours de plus en plus fréquent aux ordonnances ou à la procédure accélérée, à la multiplication des déclarations d’irrecevabilité à l’encontre d’amendements, sonne comme l’oraison funèbre des droits du Parlement.
Cet article 2 bis est un cavalier législatif inséré dans un texte relatif à l’élection des représentants au Parlement européen. Son adoption est de plus précipitée puisque les prochaines élections législatives n’auront lieu qu’en 2022. Nous savons qu’elle répond à une injonction du Conseil constitutionnel en date du 30 novembre 2017.
Par ailleurs, sur le contenu de cet article, beaucoup a déjà été dit à l’occasion de l’examen de l’article précédent. Je n’y reviendrai pas, sauf pour souligner à nouveau le véritable scandale démocratique que représente la substitution du principe d’équité au principe d’égalité dans les règles de calcul du temps de parole.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Richard, rapporteur. La commission est défavorable aux deux amendements identiques en observant des injonctions constitutionnelles contradictoires.
Le Conseil constitutionnel, dans une décision du 31 mai 2017, a censuré les dispositions organisant la répartition du temps de parole sur les médias publics lors des élections législatives en cours, à une quinzaine de jours du premier tour. Faisant un travail presque administratif, il a décidé un dispositif provisoire, en conférant une part importante de la responsabilité au CSA, lequel a adopté le schéma de campagne télévisuelle le 1er juin. Comme il le fait depuis quelques années, sur le modèle du Conseil d’État, il a indiqué que l’abrogation définitive de ces dispositions ne prendrait effet que le 30 juin 2018.
Madame la présidente Assassi, si tout se passe normalement, il est vrai qu’il n’y aura pas d’élections législatives avant plusieurs années. Mais des marges d’appréciation, des possibilités de décision sont possibles, dont la dissolution de l’Assemblée nationale – je ne suis d’ailleurs pas sûr que vous y seriez forcément défavorable ! (Mme Éliane Assassi sourit.) À partir du 30 juin 2018, aucune disposition n’encadrera donc la campagne télévisuelle et radiophonique des élections législatives. Il est donc sage de remédier à cette situation.
Il est vrai que cela s’est décidé en peu de temps. Le Gouvernement avait cette injonction de faire depuis plusieurs mois. L’Assemblée nationale, qui est directement intéressée par cette question, a adopté ce projet. Nous avons eu le temps –nous en avons longuement discuté en commission – d’y réfléchir et de suivre la ligne de l’Assemblée nationale. Comme vous l’avez relevé à juste titre, un usage immémorial dans notre République veut que chaque assemblée n’entre pas trop dans le détail du dispositif électoral applicable à l’autre assemblée.
Aussi, le Gouvernement nous propose de calquer – les principes de répartition ont été très fermement affirmés par le Conseil constitutionnel – le schéma général de répartition du temps de parole pour les législatives sur celui que nous venons d’adopter pour les élections européennes et de laisser l’Assemblée nationale procéder aux éventuelles adaptations ultérieurement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Comme l’a rappelé le rapporteur, ce dispositif a été adopté par l’Assemblée nationale et il ne s’agit donc pas d’un amendement que le Gouvernement aurait déposé devant le Sénat.
Mme Éliane Assassi. C’est un peu facile !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. C’est la vérité !
Par ailleurs, ce dispositif n’est pas non plus sans lien avec le texte débattu aujourd’hui. Je tiens à préciser que, dès lors qu’une disposition ainsi introduite présente un lien même indirect avec l’objet du texte, ce qui est le cas ici, celle-ci est admise par le Conseil constitutionnel. J’en veux pour preuve sa décision du 21 avril 2016 relative à la loi de modernisation de diverses règles applicables aux élections.
En conclusion, l’avis est défavorable.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 17 rectifié et 50.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. L’amendement n° 40, présenté par M. Assouline, Mmes Blondin et Lepage, MM. Magner et Manable, Mmes Monier et S. Robert, MM. Leconte, Marie et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 5, première phrase
Remplacer les mots :
de deux heures
par les mots :
d’une heure et demie
II– Alinéa 6
Remplacer les mots :
d’une heure
par les mots :
de trois quarts d’heure
III. - Alinéa 7
Après le mot :
heure
insérer les mots :
et demie
IV. – Alinéa 12
Remplacer les mots :
d’une demi-heure
par les mots :
de trois quarts d’heure
La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Concernant la campagne officielle des élections législatives, nous proposons, comme nous l’avons fait précédemment à l’article 2, une légère modification de la répartition du temps d’expression entre les différentes fractions.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Richard, rapporteur. L’avis de la commission est défavorable pour le motif que je viens d’exposer dans ma réponse à Mme la présidente Assassi.
Le schéma général est identique pour les temps de parole en campagne législative à celui qui a été adopté pour les élections européennes. Nous avons légèrement modifié celui-ci avec l’adjonction d’une demi-heure supplémentaire à la disposition du CSA. Si l’on doit faire évoluer le dispositif, il semble à la commission que la décision doit revenir à l’Assemblée nationale, suivant en cela la tradition républicaine très ancienne de réserve d’une assemblée pour statuer sur les détails de l’élection de l’autre assemblée.
C’est la raison pour laquelle nous avons écarté cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 51, présenté par Mmes Assassi et Benbassa, MM. Collombat, Ouzoulias et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 7
Compléter cet alinéa par les mots :
tout en respectant le pluralisme
II. – Alinéas 8 à 11
Supprimer ces alinéas.
III. – Alinéa 12
Supprimer les mots :
selon les mêmes modalités
La parole est à M. Fabien Gay.
M. Fabien Gay. Cet amendement de repli vise à écarter, pour la répartition des temps de parole lors des campagnes radiotélévisées des élections législatives, la prise en compte de critères relevant d’un principe d’équité d’ordre subjectif. Nous préférons à celui-ci le principe d’égalité, qui prévalait auparavant.
La troisième fraction du temps de parole serait répartie en fonction de la participation des partis et groupements politiques à l’animation du débat électoral. La représentativité de ces derniers serait appréciée à partir des résultats obtenus lors des dernières élections législatives générales et des plus récentes élections – à notre étonnement, un tel principe avait été retenu en 2016 en vue de l’organisation de la campagne de l’élection présidentielle – et, surtout, des indications des sondages et des enquêtes d’opinion.
Nous l’avons déjà dit, cette répartition s’effectuerait donc en fonction de la capacité à accéder aux médias, critère d’animation d’une campagne, et à susciter la bienveillance des instituts de sondage. Or nombre de chaînes d’information et d’instituts de sondage sont aux mains des puissances financières, ce qui engendre un doute sérieux sur leur objectivité.
Nous vous proposons donc, au travers de cet amendement, de supprimer une disposition dangereuse pour le pluralisme.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Richard, rapporteur. L’avis est défavorable, parce que nous ne travaillons plus sur un champ de complète liberté du Parlement. Je rappelle de temps en temps, de façon un peu fastidieuse, que le Parlement n’est pas au-dessus de l’État de droit : il est dedans. Par conséquent, lorsque les principes supérieurs ont été énoncés ou rappelés par le Conseil constitutionnel, ils s’imposent à nous.
Au regard de plusieurs litiges intervenus sur ce sujet, le Conseil constitutionnel a énoncé un équilibre dans lequel figure en effet l’ensemble des élections antérieures. Cela signifie, par exemple, qu’une organisation politique comptant de nombreux représentants lors des élections locales verra cet avantage pris en compte dans la répartition si elle n’est pas suffisamment représentée dans les autres fractions.
Par ailleurs, le système des enquêtes d’opinion est régulé ; nous avons d’ailleurs légiféré sur cette question pour faire en sorte que ces dernières présentent des garanties en termes d’objectivité et de rigueur.
Enfin, un nouveau facteur est à prendre en compte : les réseaux sociaux. Il nous oblige d’ailleurs à recadrer un peu notre discussion : le nombre de personnes en train d’échanger en ligne, notamment sur les réseaux sociaux, pour comprendre ce qui se passe dans la campagne officielle, sera sans doute un multiple du nombre de personnes assises devant leur téléviseur ou en train d’écouter la radio. Les chiffres sont mesurables et vérifiables ; des techniques existent à cet effet.
Au contraire, la commission estime que les critères sont assez objectifs et équilibrés et qu’ils permettent au CSA de faire cette compensation de manière très guidée et très encadrée.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Le Gouvernement est défavorable à cet amendement visant à supprimer les critères encadrant le rôle du CSA pour ce qui concerne la répartition de la fraction corrective. Le CSA est bien évidemment une autorité indépendante, mais il n’empêche que le législateur doit fixer un cadre. Ne pas le faire reviendrait à donner au CSA une marge d’appréciation trop importante, ce qui serait de nature à entraîner un risque de censure du Conseil constitutionnel pour incompétence négative du législateur.
M. le président. La parole est à M. Fabien Gay, pour explication de vote.
M. Fabien Gay. Un débat s’ouvre sur les instituts de sondage. Je n’ignore pas que l’on a légiféré sur les enquêtes d’opinion, monsieur le rapporteur, mais chacun sait ici que les cinq principaux instituts de sondage appartiennent à des puissances financières, comme le groupe Bolloré ou des fonds de pension américains. De surcroît, neuf milliardaires possèdent 90 % des médias. Cela représente une vraie menace pour le pluralisme. Il nous faut avoir un débat de qualité sur ce sujet.
Quant aux réseaux sociaux, ils jouent en effet aujourd’hui un rôle dans le débat démocratique, mais ce rôle demeure limité. Pour ma part, je n’ai jamais eu un vrai débat sur les réseaux sociaux. En outre, on peut acheter des followers ou des « J’aime », sponsoriser une publication pour grimper au « hit-parade ». Voilà qui pose aussi problème au regard de la démocratie : les candidats qui pourront s’appuyer sur les puissances financières disposeront là encore de davantage de moyens d’expression que les autres. Il faut y être attentif.
Vous l’aurez compris, il s’agit là d’une sorte d’amendement d’appel visant à engager un débat qui devra se prolonger dans les mois à venir.
M. Alain Richard, rapporteur. Très juste !
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 41, présenté par M. Assouline, Mmes Blondin et Lepage, MM. Magner et Manable, Mmes Monier et S. Robert, MM. Leconte, Marie et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 13, première phrase
Remplacer les mots :
chaque service
par les mots :
tout service à vocation généraliste
La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Il s’agit ici, en quelque sorte, du jumeau de l’amendement Assouline-Leleux adopté précédemment.
En dépit du respect dû à la seconde assemblée, affirmons cette volonté de viser les services « à vocation généraliste » jusqu’à la réunion de la commission mixte paritaire, de manière à permettre aux deux jumeaux de prospérer ensemble !
M. le président. L’amendement n° 76, présenté par MM. Leleux et Hugonet, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 13, première phrase
Remplacer les mots :
service des sociétés nationales de programme mentionnées
par les mots :
société nationale de programme mentionnée
II. – Alinéa 15
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Il veille à ce que le choix des services chargés de diffuser les émissions permette de s’adresser à l’ensemble des électeurs.
La parole est à M. Jean-Pierre Leleux.
M. Jean-Pierre Leleux. Par cohérence avec la position que j’ai adoptée tout à l’heure concernant la campagne des élections européennes, je retire cet amendement, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 76 est retiré.
Quel est l’avis de la commission sur l’amendement n° 41 ?
M. Alain Richard, rapporteur. Tout à fait logiquement, la commission adopte la même position que sur l’amendement n° 39.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Mes chers collègues, nous avons examiné 38 amendements au cours de la journée ; il en reste 36.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
12
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, mercredi 11 avril 2018, à quatorze heures trente et, éventuellement, le soir :
Nomination des vingt et un membres de la commission d’enquête sur les mutations de la haute fonction publique et leurs conséquences sur le fonctionnement des institutions de la République.
Nomination des vingt-sept membres de la mission d’information sur le développement de l’herboristerie et des plantes médicinales, des filières et métiers d’avenir.
Conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations (n° 353, 2017-2018).
Suite de la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à l’élection des représentants au Parlement européen (n° 397, 2017-2018) ;
Rapport de M. Alain Richard, fait au nom de la commission des lois (n° 396, 2017-2018) ;
Texte de la commission (n° 397, 2017-2018).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée le mercredi 11 avril 2018, à zéro heure trente-cinq.)
nomination d’un membre d’une mission d’information
Le groupe Les Républicains a présenté une candidature pour la mission d’information sur la réinsertion des mineurs enfermés.
Aucune opposition ne s’étant manifestée dans le délai prévu par l’article 8 du règlement, cette candidature est ratifiée : M. Jean-Marie Morisset est membre de la mission d’information sur la réinsertion des mineurs enfermés, en remplacement de Mme Corinne Imbert, démissionnaire.
Direction des comptes rendus
GISÈLE GODARD