M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur « les scénarios du rapport du Conseil d’orientation des infrastructures du 1er février 2018 au regard de l’avenir des lignes LGV et de l’aménagement du territoire ».
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Mise au point au sujet d’un vote
M. le président. La parole est à M. Claude Kern.
M. Claude Kern. Monsieur le président, lors du scrutin n° 77 du 27 mars 2018, sur l’ensemble de la proposition de loi d’orientation et de programmation pour une meilleure protection des mineurs victimes d’infractions sexuelles, notre collègue Dominique Vérien a été considérée comme s’étant abstenue, alors qu’elle souhaitait voter pour.
M. le président. Acte est donné de cette mise au point, mon cher collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.
Mes chers collègues, l’ordre du jour de cet après-midi étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures cinquante-cinq, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de Mme Marie-Noëlle Lienemann.)
PRÉSIDENCE DE Mme Marie-Noëlle Lienemann
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
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Ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs
Discussion d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi relative à l’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs, présentée par MM. Hervé Maurey et Louis Nègre (proposition n° 711 [2016-2017], texte de la commission n° 370, rapport n° 369).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Hervé Maurey, auteur de la proposition de loi.
M. Hervé Maurey, auteur de la proposition de loi. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le quatrième paquet ferroviaire, adopté en décembre 2016, a fixé des échéances très claires pour l’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs : le 3 décembre 2019 pour les services conventionnés, TER et TET ; le 14 décembre 2020 pour les services librement organisés, c’est-à-dire les TGV, avec une obligation de transposition de la directive d’ici au 25 décembre 2018.
Les échéances sont donc proches et l’expérience de la libéralisation du fret ferroviaire nous montre qu’il faut anticiper cette réforme le plus en amont possible.
C’est pour cela, mais aussi parce que nous pensons, Louis Nègre et moi-même, que l’ouverture à la concurrence peut et doit être une chance pour le secteur ferroviaire en général, la SNCF en particulier et surtout pour les usagers, que nous avons décidé de travailler à la rédaction d’une proposition de loi dès le début de l’année 2017. Qu’il me soit, à ce stade, permis de saluer le travail et l’engagement constant sur cette question de notre ancien collègue Louis Nègre, qui aime rappeler que l’on parle depuis 1991 de la libéralisation du transport ferroviaire, et qu’il est donc grand temps de passer de la parole aux actes.
Nous savions que l’ancien gouvernement ne se saisirait pas de ce dossier avant les échéances électorales et nous nous doutions que le gouvernement issu des élections du printemps aurait certainement d’autres urgences. Nous avons donc préparé cette proposition de loi en travaillant avec l’ensemble des parties prenantes : syndicats, usagers, régions, ARAFER, groupe public ferroviaire, nouveaux entrants et, bien sûr, ministères.
Dès votre nomination, madame la ministre, nous vous avons fait part de notre initiative, en vous indiquant que notre démarche visait non pas à gêner le Gouvernement, encore moins à le court-circuiter, mais, au contraire, à mettre à sa disposition notre travail, pour qu’il s’en saisisse le plus rapidement possible. Nous n’avons d’ailleurs pas manqué de vous alerter sur la nécessité de légiférer rapidement, pour définir les modalités de cette réforme d’ampleur.
Nous avons déposé notre texte le 6 septembre 2017 et nous vous l’avons présenté dans l’esprit de coconstruction qui était le nôtre. À votre demande, j’ai accepté de renoncer à l’inscription de ce texte à l’ordre du jour en janvier, comme cela était prévu, car vous souhaitiez attendre les conclusions de la mission de M. Spinetta. J’ai accédé à votre souhait, car vous m’aviez assuré que cette proposition de loi serait le véhicule législatif soutenu par le Gouvernement pour mener à bien sa réforme.
Profitant de ce délai supplémentaire pour conforter la qualité juridique du texte, le président du Sénat a saisi le Conseil d’État, comme la Constitution le lui permet depuis 2008. Celui-ci a rendu son avis le 22 février dernier. Je tiens à souligner le caractère tout à fait exceptionnel de cette démarche, puisque seules quatre propositions de loi d’initiative sénatoriale avaient été précédemment soumises au Conseil d’État.
Quelle ne fut donc pas notre surprise d’apprendre que le Gouvernement décidait finalement de procéder à la réforme du système ferroviaire par ordonnances ! Comment ne pas y voir un mépris absolu du travail du Sénat, du Parlement dans son ensemble et, au-delà, de nos compatriotes, car, sur un tel sujet, un vrai débat s’impose ?
La raison invoquée par le Gouvernement est qu’il faut aller vite. Tout à fait d’accord, mais pourquoi avoir attendu aussi longtemps avant de lancer les concertations ? Vous saviez, madame la ministre, que ces échéances existaient ; Louis Nègre et moi-même vous les avions rappelées à plusieurs reprises. Le Gouvernement a préféré prendre son temps, pour ne pas dire le perdre.
Aujourd’hui, la concertation avec les syndicats est une priorité, mais pourquoi, au nom de cette concertation, refuser le débat avec le Parlement ? Le Gouvernement ne serait-il pas plus fort s’il pouvait s’appuyer sur un soutien du Parlement ?
J’observe d’ailleurs avec étonnement que vous avez, depuis l’origine, voulu éluder le débat sur le sujet. Le transport ferroviaire a été écarté des Assises nationales de la mobilité, au motif qu’un expert aux compétences reconnues dans le secteur aérien allait nous expliquer comment sauver le secteur ferroviaire. L’avenir du système ferroviaire concerne tout de même, vous le savez mieux que quiconque, 3,2 millions de voyageurs par jour. Pourquoi avoir sacrifié le nécessaire débat, dans l’attente des oracles de M. Spinetta, devenu, en quelque sorte, le « gourou » du ferroviaire ?
Aujourd’hui, pour justifier les ordonnances, vous invoquez, après avoir perdu beaucoup de temps, la nécessité d’aller vite. Mais savez-vous, madame la ministre, qu’il faut en moyenne six mois pour examiner un projet de loi en procédure accélérée, alors que le délai moyen entre la demande d’habilitation par le Parlement et la signature de l’ordonnance est de dix-huit mois ? Ce n’est pas moi qui le dis, mais les statistiques qui l’attestent.
En l’espèce, nous avons, vous avez, une proposition de loi qui est prête, qui a été examinée par le Conseil d’État et qui, à la suite de cet avis du Conseil d’État, a été améliorée grâce au travail de notre rapporteur en commission. Vous avez donc, grâce à ce texte, la possibilité d’aller plus vite que par ordonnances, lesquelles, dans le meilleur des cas, ne seraient pas adoptées avant le mois de juin. En même temps, vous avez la possibilité de permettre un vrai débat parlementaire.
Madame la ministre, jamais une réforme d’une telle ampleur n’a été décidée par ordonnances, en demandant des habilitations aussi floues. Vous allez nous répondre qu’au fur et à mesure de l’examen de la loi d’habilitation vous introduirez des dispositions législatives définitives. Cette démarche pour le moins inédite, pour ne pas dire exotique, n’est pas de nature à nous rassurer, car les mesures que vous introduirez et qui porteront certainement sur des sujets majeurs n’auront pas été examinées préalablement par le Conseil d’État et ne le seront pas non plus, dans la mesure où il ne s’agira pas d’ordonnances, a posteriori.
Il y a également fort à parier que le Parlement sera, comme c’est souvent le cas, saisi tardivement et aura, de ce fait, peu de temps pour les examiner et mener les concertations nécessaires. L’expérience nous montre en effet que le Gouvernement nous saisit trop souvent au dernier moment de ses amendements, parfois même quelques heures avant l’ouverture de la séance.
Je voudrais, avant de conclure, évoquer deux points fondamentaux pour nous. Premièrement, l’ouverture à la concurrence doit se traduire non pas par une dégradation de la qualité du service offert aux clients, mais par une amélioration. Deuxièmement, l’ouverture à la concurrence ne doit pas se faire au détriment des territoires.
Nous sommes donc en désaccord total avec la position de M. Spinetta, préconisant de recentrer le ferroviaire sur « les dessertes à grande vitesse entre les principales métropoles françaises ». Cette position est en contradiction absolue avec le concept d’aménagement du territoire, auquel nous sommes particulièrement attachés. De même, nous ne sommes pas favorables à une ouverture à la concurrence des services TGV reposant exclusivement sur le libre accès au réseau, ce que l’on appelle l’open access, car elle aboutirait à la disparition de nombreuses liaisons, moins rentables ou déficitaires, mais pourtant indispensables à l’aménagement du territoire.
Nous voulons éviter un tel écrémage, du type de celui qui est opéré par les opérateurs de téléphonie, et préserver la desserte des villes moyennes par les services TGV. Par ce texte, nous proposons donc une mesure forte, pour répondre à la nécessité de préserver l’aménagement du territoire, en prévoyant que l’État, en tant qu’autorité organisatrice de transport, conclura des contrats de service public pour les services TGV, en combinant, dans un même contrat, services rentables et services non rentables, dès lors, bien sûr, que ce sera nécessaire. Nous aurons l’occasion d’en reparler au cours du débat.
Madame la ministre, vous l’avez compris, nous sommes favorables à une réforme ambitieuse du système ferroviaire et de la SNCF, ainsi qu’à son ouverture à la concurrence, mais pas dans ces conditions. Grâce à cette proposition de loi, le débat que le Gouvernement voulait nous refuser aura lieu. Je remercie chaleureusement tous les groupes du Sénat qui ont souhaité ou accepté son inscription à l’ordre du jour de notre assemblée.
Nous ne sommes pas, sur ces travées, tous d’accord sur le texte que je présente ce soir. (Mme Éliane Assassi approuve.) Mais nous avons tous la volonté que le débat ait lieu. Nous sommes tous attachés à sauver le système ferroviaire et la SNCF. Nous voulons tous éviter que cela se fasse au détriment de la qualité du service et de la desserte équilibrée de nos territoires. C’est là tout l’enjeu de ce débat. Ces points essentiels constituent le socle commun aux membres de notre Haute Assemblée, dont vous mesurerez ce soir, une fois encore, l’engagement sur ces sujets. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-François Longeot, rapporteur de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, rien ne sert de courir, il faut partir à point.
M. Rémy Pointereau. Ah !
M. Jean-François Longeot, rapporteur. Comme le président Maurey, je m’interroge : pourquoi avoir tant tardé à s’emparer du sujet de l’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs ? Ce retard nous oblige, à quelques mois de la date butoir fixée par l’Union européenne, à légiférer par voie d’ordonnances, contribuant à nous priver d’un débat pourtant indispensable.
L’ouverture à la concurrence est une obligation européenne. Nous pouvons la transformer en opportunité pour nos transports ferroviaires, qui ont perdu de leur attractivité ces dernières années. Depuis 2011, la fréquentation des trains recule, alors que celle des autres modes de transport – voiture particulière, avion, autocar – progresse. Cette évolution va à l’encontre du modèle que nous devrions défendre pour protéger l’environnement. Elle est à l’opposé de ce qui s’observe chez nos voisins européens, où la part modale du train progresse. Nombre d’entre eux n’ont d’ailleurs pas attendu le quatrième paquet ferroviaire pour ouvrir leurs services à la concurrence, avec des effets positifs sur la qualité de service, sur la fréquentation, sur la réduction des coûts, au profit, bien entendu, des usagers.
C’est la raison pour laquelle nous soutenons, sur le fond, cette réforme, à la condition d’en définir correctement les modalités. Tel est l’objet de cette proposition de loi. Nous nous sommes d’ailleurs attachés, en commission, à clarifier et sécuriser plusieurs dispositions du texte sur le plan juridique, en prenant en compte les observations formulées par le Conseil d’État. C’était l’objectif de cette saisine.
Comme l’a indiqué le président Maurey, l’un des axes forts de la proposition de loi est de chercher à préserver les dessertes TGV considérées comme peu rentables ou même déficitaires, alors qu’une ouverture à la concurrence reposant exclusivement sur le libre accès au réseau prévu par l’Union européenne, l’open access, aboutirait à un écrémage des dessertes.
Aussi la proposition de loi prévoit-elle que l’État conclura des contrats de service public pour l’exploitation des services dits TGV, en combinant des liaisons rentables et des liaisons non rentables. Il s’agit, à ce jour, de la seule solution permettant de préserver de façon certaine des dessertes considérées comme non rentables dans le contexte de l’ouverture à la concurrence, sans rupture de charge pour les usagers. À l’inverse, un conventionnement des seules liaisons non rentables, notamment celles qui permettent de desservir les villes moyennes par des trains TGV, obligerait les usagers à changer de train pour commencer ou terminer leur trajet, ce qui réduirait d’autant l’attractivité du mode ferroviaire par rapport aux autres modes de transport.
L’objectif est non pas de couvrir tous les services TGV par des contrats de service public, mais de faire coexister, dans un système équilibré, des services librement organisés, en open access, et des services conventionnés, comprenant des services à grande vitesse. Il reviendra à l’État, en tant qu’autorité organisatrice, de prendre ses responsabilités dans ce domaine, en déterminant les dessertes qu’il souhaite préserver et en concluant les contrats de service public correspondants.
Les autres dispositifs de la proposition de loi visent à lever les obstacles à une ouverture effective à la concurrence.
Le premier sujet, primordial, est la question des données, car les autorités organisatrices ne parviennent pas, aujourd’hui, à obtenir de l’opérateur historique les informations dont elles ont besoin pour exercer leurs missions.
Pour y remédier, l’article 7 crée un dispositif contraignant, imposant à SNCF Mobilités et SNCF Réseau de transmettre aux autorités organisatrices les informations indispensables à l’exercice de leur mission, dispositif assorti d’une possibilité de sanction par l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières, l’ARAFER, en cas de manquement. Les autorités organisatrices devront, quant à elles, fournir aux candidats aux appels d’offres les informations nécessaires à la préparation de leur candidature, comme le prévoit l’article 2. Dans les deux cas, un décret en Conseil d’État, pris après avis de l’ARAFER, déterminera un socle minimal d’informations à transmettre pour fixer un cadre homogène et éviter que des contestations ne bloquent la transmission de ces données.
Le deuxième sujet, c’est celui du transfert de personnels entre entreprises ferroviaires.
L’article 8 de la proposition de loi fixe, de manière précise et détaillée, le régime applicable au transfert des salariés, ce qui lui confère une garantie juridique forte et limite les incertitudes qui résulteraient d’un dispositif trop flou. Ce dernier laisserait des marges d’interprétation et, donc, des possibilités de contentieux au moment du transfert. L’article prévoit que le périmètre des salariés à transférer est arrêté par les autorités organisatrices de transport et communiqué aux opérateurs souhaitant candidater aux appels d’offres. Le transfert s’effectuera prioritairement sur la base du volontariat, puis sur décision de l’entreprise ferroviaire sortante si le nombre de volontaires est inférieur au périmètre arrêté par les autorités organisatrices.
L’article 8 détermine ensuite le socle de droits sociaux garantis aux salariés de SNCF Mobilités transférés, ce que l’on appelle parfois le « sac à dos social » : l’ensemble des salariés conserveront un niveau de rémunération identique à celui qui aura été perçu lors des douze derniers mois précédant le transfert, ainsi que le bénéfice des facilités de circulation ; en outre, les salariés sous statut garderont leur affiliation au régime spécial de retraite de la SNCF et les droits à pension qui en découlent, ainsi que la garantie de l’emploi. À l’issue d’un premier transfert, les salariés qui seraient amenés à rejoindre de nouveau SNCF Mobilités pourront réintégrer le statut s’ils en bénéficiaient initialement. S’ils sont transférés à un nouvel opérateur, leurs droits garantis seront maintenus.
En ce qui concerne les matériels roulants, les autorités organisatrices seront libres de déterminer l’option la plus adaptée : elles pourront avoir recours à une société de location, demander aux entreprises d’apporter leurs propres matériels, ou récupérer la propriété des matériels de SNCF Mobilités pour les mettre à la disposition de l’entreprise remportant le marché. De la même façon, en vue de faciliter l’accès des entreprises ferroviaires aux ateliers de maintenance, les autorités organisatrices pourront en récupérer la propriété.
Pour ce qui est des gares, l’ouverture à la concurrence impose de séparer le gestionnaire des gares de l’opérateur historique de transport, SNCF Mobilités, afin de garantir aux entreprises ferroviaires un accès transparent et non discriminatoire aux gares de voyageurs. À cette fin, l’article 11 prévoit la transformation, au 1er janvier 2020, de Gares & Connexions en société anonyme à capitaux publics, filiale de l’établissement public « de tête » SNCF.
Le capital social de Gares & Connexions pourra être ouvert à d’autres investisseurs, afin de contribuer au développement et à la modernisation des gares, l’État devant, en tout état de cause, demeurer l’actionnaire majoritaire. L’État conclura avec Gares & Connexions un contrat pluriannuel fixant des objectifs de gestion des gares, notamment en matière de trajectoire financière, de qualité de service et d’aménagement du territoire. Afin d’assurer l’indépendance des dirigeants de Gares & Connexions à l’égard des entreprises ferroviaires, plusieurs garanties sont prévues, sur le modèle de ce qui existe actuellement pour SNCF Réseau.
Enfin, pour faciliter l’information aux voyageurs et la vente des billets dans le contexte de l’apparition de nouveaux opérateurs, l’État pourra imposer aux entreprises ferroviaires de participer à un système commun d’information des voyageurs et de vente des billets.
Pour conclure, je veux me réjouir que nous puissions, ici, au Sénat, avoir un débat sur un sujet aussi important, qui a des impacts, on l’a vu, sur les usagers, comme sur les territoires.
Le texte que nous examinons aujourd’hui a été préparé très en amont, après de nombreuses consultations. Il constitue un dispositif équilibré, dont nombre de mesures sont partagées par plusieurs acteurs du secteur. Mes chers collègues, comme le disait Gérard Cornu en commission, saisissons-nous de ce dossier relatif à l’aménagement du territoire et à la desserte de l’ensemble du territoire par les transports ! Je vous invite donc à soutenir cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Madame la présidente, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, alors que nous ouvrons ce débat, je voudrais partager avec vous une conviction forte.
Face aux transformations politiques, économiques et sociales qui bouleversent notre société, nos concitoyens, nos territoires ont besoin de mobilité. Car une société mobile, c’est une société capable à la fois de s’adapter aux défis qui se présentent à elle et de se rassembler autour d’objectifs communs.
Ces mobilités – professionnelle, culturelle ou sociale – dont notre société a tant besoin ont un préalable : la mobilité physique. Force est de constater qu’aujourd’hui les Français ne sont pas égaux face à la mobilité. L’absence de solutions de mobilité est encore trop souvent un frein pour l’accès à l’éducation ou à l’emploi. Elle alimente un sentiment d’assignation à résidence chez certains de nos concitoyens et d’abandon dans de trop nombreux territoires.
Je ne peux m’y résoudre. Peut-on accepter que, dans notre pays, une personne sur quatre ait refusé un emploi ou une offre de formation en raison de difficultés de déplacement ?
L’objectif du Président de la République et du Gouvernement est d’accompagner tous nos territoires, de répondre aux préoccupations premières de nos concitoyens et aux besoins des entreprises : les transports du quotidien, la lutte contre la congestion des grandes agglomérations, l’accès à l’emploi et aux services dans les territoires, l’optimisation de nos systèmes logistiques. Dès lors, mon rôle, en tant que ministre des transports, ne se réduit pas à proposer une évolution, ici, du train, là, de la route ou bien des voies fluviales. Mon ambition consiste à redonner à nos politiques de mobilité un objectif très simple : répondre aux besoins de mobilité des Français.
Mesdames, messieurs les sénateurs, ces besoins, quels sont-ils ? Ce sont ceux qui sont exprimés par nos concitoyens, à Aurillac, à Prades, en passant par Strasbourg, lors des Assises nationales de la mobilité. Ce sont ceux que vous entendez à Ornans, à Bernay, à Chartres,…
M. Rémy Pointereau. À Vierzon !
M. Michel Canevet. À Quimper !
Mme Élisabeth Borne, ministre. … et dans chacun des territoires que vous représentez.
Nos concitoyens nous le disent : « Nous voulons des transports quotidiens efficaces. » Pour répondre à ce besoin vital, le système ferroviaire a toute sa place. Il joue, depuis bientôt deux siècles, un rôle central dans les déplacements de nos concitoyens, dans l’attractivité économique de notre pays et dans l’aménagement de nos territoires, dont il a largement contribué à redessiner la géographie.
Parce que je suis convaincue que ce rôle doit rester au cœur de notre politique de mobilité, doit perdurer en se renouvelant, j’ai souhaité présenter une stratégie d’ensemble de refonte de notre système ferroviaire. En effet, alors que le système ferroviaire est, en quelque sorte, un ADN commun à tous les Français, force est de constater qu’il est à bout de souffle. Vous le savez, depuis une trentaine d’années, priorité a été donnée à la grande vitesse, incontestable succès technique et commercial, les statistiques de trafic pour 2017 le prouvent encore. Si la fonction d’aménagement du territoire de ces lignes à grande vitesse ne doit pas être minimisée, il subsiste pour autant de nombreux besoins insuffisamment satisfaits. Ces derniers étaient d’ailleurs au cœur de nos échanges cet après-midi.
Par ailleurs, le transport ferroviaire de marchandises est en crise, avec des trafics inférieurs de 40 % à ceux du début des années 2000. C’est une situation dont toute une économie pâtit et à laquelle il faut une meilleure réponse.
Enfin, le déséquilibre économique et financier du système non seulement pèse sur les finances publiques, mais menace également l’avenir du système ferroviaire ; je pense en particulier à la question de la dette.
Vous le reconnaîtrez comme moi, tout ne marche donc pas au mieux dans notre système ferroviaire actuel. Comment produire des mobilités vertueuses et efficaces quand les vitesses de circulation sont actuellement ralenties sur plus de 20 % du réseau, soit deux fois plus qu’il y a dix ans ? Et que penser alors de la dette que je viens d’évoquer, qui se creuse de 3 milliards d’euros chaque année, pour atteindre 50 milliards d’euros aujourd’hui ?
M. Rémy Pointereau. Faire comme en Allemagne !
Mme Élisabeth Borne, ministre. Aussi, le Président de la République et le Gouvernement portent un projet ambitieux pour notre système ferroviaire français : cette réforme globale doit construire les bases durables d’un meilleur service public ferroviaire ; en d’autres termes, l’objectif est d’avoir un meilleur service public, au meilleur coût, pour les voyageurs et les contribuables.
Concrètement, cela veut dire : pour les voyageurs, des trains plus ponctuels, plus de trains là où il y en a besoin, avec plus de services, et en toute sécurité ; pour la SNCF, un modèle économique enfin équilibré, une entreprise publique plus forte, avec tous les atouts pour faire face à la concurrence ; pour les cheminots, une vision claire de l’avenir, avec des métiers attractifs et une reconnaissance de leur rôle ; pour les contribuables, la garantie que chaque euro pour le service public ferroviaire est dépensé efficacement.
Afin d’y parvenir, nous devons mener une réforme cohérente, articulée sur deux engagements forts de l’État. Le premier, celui d’investir plus qu’il ne l’a jamais fait pour le ferroviaire : 36 milliards d’euros dans les dix prochaines années pour les infrastructures, soit 50 % de plus que sur la dernière décennie. Le second, celui de donner un nouveau cadre au ferroviaire, pour une ouverture à la concurrence réussie et stimulante pour la SNCF. En cela, la question de la transformation en société nationale à capitaux publics ne doit pas être un tabou. Je m’engage de nouveau solennellement sur ce sujet devant la Haute Assemblée : la SNCF est une entreprise publique, et elle le restera.
Dans le même temps, la SNCF doit conduire sa réforme, au travers d’un nouveau projet d’entreprise, pour mieux répondre aux attentes de ses clients voyageurs et fret, en proposant un cadre social motivant pour les cheminots. Et c’est bien parce qu’elle doit avoir toute sa part dans notre nouvelle politique de mobilité qu’il est nécessaire de refonder la SNCF sur des bases modernes, agiles, unifiées, afin de préparer l’entreprise publique à relever ces nouveaux défis.
Je veux dès maintenant le préciser : accompagner la SNCF dans le XXIe siècle, c’est également pour moi la conforter dans son rôle fondateur, au service de l’aménagement durable des territoires. Vous l’aurez compris, il n’est donc pas question de supprimer, comme j’ai pu l’entendre ici ou là, les lignes de maillage et d’intérêt local, improprement appelées « petites lignes ». Il s’agira, au contraire, de faire en sorte que ces lignes puissent retrouver leur attrait et soient en mesure de répondre aux besoins.
De même, le modèle d’un TGV assurant une desserte des villes moyennes au-delà des lignes à grande vitesse doit être conforté par la réforme. Là encore, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux être claire : personne ne remet en cause ce modèle. Nous pourrons débattre de la méthode retenue dans la proposition de loi et des alternatives possibles.
Dans le cadre de cette réforme, la question de l’ouverture à la concurrence est naturellement essentielle. La proposition de loi que nous nous apprêtons à examiner la soulève avec une juste acuité.
Je voudrais saluer la qualité des travaux engagés de longue date par votre Haute Assemblée sur cette question, par votre commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, son président, son rapporteur et votre ancien collègue Louis Nègre. Effectivement, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui rejoint, sur certains points, les thèmes que le Gouvernement entend traiter dans le projet de loi pour un « nouveau pacte ferroviaire ».
Pour autant, vous le savez, la concurrence n’est qu’un des éléments du projet présenté le 26 février dernier par le Premier ministre.
Parce qu’elle repose sur une volonté forte, celle de répondre aux besoins de nos concitoyens et de nos entreprises, parce qu’elle ne refuse pas de prendre à bras-le-corps les difficultés que rencontre notre système ferroviaire, parce qu’elle entend répondre aux inquiétudes exprimées par les cheminots, vous l’aurez compris, l’ambition du Gouvernement de remettre sur pied notre système ferroviaire ne se réduit pas à l’ouverture à la concurrence.
Le pacte ferroviaire porté par le Gouvernement se place dans une vision plus large des mobilités au service du pays. Il s’inspire de la richesse des échanges des Assises nationales de la mobilité et de la rigueur des travaux du Conseil d’orientation des infrastructures. Il s’inscrit dans une démarche globale permettant, trente-six ans après la loi d’orientation sur les transports intérieurs, de redéfinir l’ensemble des outils de notre politique de transport. Je pense, par exemple, à la constitution d’autorités organisatrices dans les territoires qui en sont actuellement dépourvus, à la création de leviers pour encourager toutes les initiatives pertinentes et efficaces permettant de proposer des solutions de mobilité ou à la programmation sincère de nos investissements en termes d’infrastructures.
J’en viens à la méthode choisie par le Gouvernement. Elle a, je le sais, suscité des interrogations auxquelles l’inscription de cette proposition de loi me donne opportunément l’occasion de répondre.
Le projet de loi que je porte n’entame pas le temps du dialogue social, bien au contraire. J’ai engagé un processus de concertation et de négociation avec l’ensemble des parties prenantes, qu’il s’agisse des organisations syndicales, bien sûr, mais également des représentants des usagers, des entreprises ou encore des collectivités concernées.
Cette réforme suscite, vous le savez, de légitimes interrogations chez les cheminots. C’est dans la concertation et par le dialogue que nous pourrons y répondre.
J’ai démarré cette concertation voilà quatre semaines. Nous avons déjà tenu plus de quarante réunions, près de soixante-dix sont d’ores et déjà prévues, et elles sont indispensables.
Le projet de loi que je porte n’entame pas non plus le temps du débat parlementaire. Comme je m’y suis engagée, il sera enrichi des concertations en cours afin qu’elles puissent être débattues et votées au Parlement. À cet effet, chaque fois que nous aurons suffisamment avancé dans la concertation, nous introduirons, par voie d’amendement, les dispositions correspondantes à la place des ordonnances.
Le Parlement ne sera pas privé d’un débat de fond, au fond ou plutôt à la hauteur des enjeux de cette réforme. La richesse des échanges que nous aurons ce soir, qui se poursuivront demain et dans les prochains jours sur le projet de loi que je vous présenterai, en portera témoignage.
Alors que les discussions avec les organisations syndicales et patronales ne sont pas encore terminées – je suis convaincue de votre attachement au dialogue social –, vous comprendrez que le Gouvernement ne puisse se prononcer aujourd’hui sur l’ensemble de cette proposition de loi. Cela étant, je ne doute pas que plusieurs dispositions de la présente proposition de loi viendront enrichir le texte que je porterai au cours de la navette.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la SNCF a quatre-vingts ans cette année. Vous êtes, comme chaque Français et comme moi-même, attachés à cette belle entreprise qui fait partie de notre patrimoine national ; un patrimoine vivant de l’engagement quotidien des femmes et des hommes qui y travaillent avec passion : les cheminots. Cet héritage commun, ce bien public, je souhaite non seulement le préserver, mais également le conforter, pour répondre aux légitimes attentes de nos concitoyens et des territoires. C’est mon ambition et, je n’en doute pas, c’est aussi la vôtre. (Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)