Sommaire
Présidence de M. David Assouline
Secrétaires :
Mme Jacky Deromedi, M. Joël Guerriau.
2. Communication d’un avis sur un projet de nomination
3. Candidatures à une commission mixte paritaire
4. Normes réglementaires relatives aux équipements sportifs. – Adoption d’une proposition de résolution
Discussion générale :
M. Dominique de Legge, auteur de la proposition de résolution
M. Michel Savin, auteur de la proposition de résolution
M. Christian Manable, auteur de la proposition de résolution
Mme Laura Flessel, ministre des sports
Clôture de la discussion générale.
Texte de la proposition de résolution
Adoption de la proposition de résolution.
5. Avenir des lignes LGV et aménagement du territoire. – Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains
M. Gérard Cornu, pour le groupe Les Républicains
Mme Denise Saint-Pé ; Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports.
M. Michel Dagbert ; Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports.
M. Daniel Chasseing, Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports.
M. Philippe Adnot, Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports.
M. Éric Gold ; Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports.
M. Philippe Paul ; Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports ; M. Philippe Paul.
M. Didier Rambaud ; Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports.
Mme Cécile Cukierman ; Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports.
Mme Valérie Létard ; Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports.
M. Olivier Jacquin, Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports.
M. Jean-Marc Boyer, Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports.
M. Didier Rambaud ; Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports.
M. Guillaume Gontard, Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports.
M. Vincent Delahaye, Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports.
Mme Angèle Préville, Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports.
Mme Dominique Estrosi Sassone ; Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports.
PRÉSIDENCE DE M. Thani Mohamed Soilihi
Mme Marie-Françoise Perol-Dumont ; Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports.
M. Jean-Marc Gabouty ; Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports.
M. Dominique de Legge ; Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports ; M. Dominique de Legge.
M. Michel Savin ; Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports.
M. Max Brisson ; Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports.
6. Mise au point au sujet d’un vote
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE Mme Marie-Noëlle Lienemann
7. Ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs. – Discussion d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Discussion générale :
M. Hervé Maurey, auteur de la proposition de loi
Motion n° 1 de Mme Éliane Assassi. – Mme Éliane Assassi ; M. Guillaume Chevrollier ; M. Jean-François Longeot, rapporteur ; Mme Élisabeth Borne, ministre ; M. Claude Bérit-Débat. – Rejet par scrutin public n° 78.
Clôture de la discussion générale.
Articles additionnels avant l’article 1er
Amendement n° 2 de Mme Éliane Assassi. – Rejet.
Amendement n° 3 de Mme Éliane Assassi. – Rejet.
Amendement n° 4 de Mme Éliane Assassi. – Rejet.
Amendement n° 9 de Mme Éliane Assassi. – Rejet.
Amendement n° 6 de Mme Éliane Assassi. – Rejet.
Amendement n° 7 de Mme Éliane Assassi. – Rejet.
Renvoi de la suite de la discussion.
Nomination de membres d’une commission mixte paritaire
COMPTE RENDU INTÉGRAL
Présidence de M. David Assouline
vice-président
Secrétaires :
Mme Jacky Deromedi,
M. Joël Guerriau.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Communication d’un avis sur un projet de nomination
M. le président. En application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, ainsi que de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 prises pour son application, la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable a émis un avis favorable - 24 voix pour, 4 voix contre et 2 bulletins blancs ou nuls - à la nomination de M. Christophe Béchu aux fonctions de président du conseil d’administration de l’Agence de financement des infrastructures de transport de France.
3
Candidatures à une commission mixte paritaire
M. le président. J’informe le Sénat que des candidatures ont été publiées pour siéger au sein de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte commun sur le projet de loi relatif à la protection des données personnelles.
Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
4
Normes réglementaires relatives aux équipements sportifs
Adoption d’une proposition de résolution
M. le président. L’ordre du jour appelle l’examen de la proposition de résolution tendant à mieux maîtriser le poids de la réglementation applicable aux collectivités territoriales et à simplifier certaines normes réglementaires relatives à la pratique et aux équipements sportifs présentée, en application de l’article 34-1 de la Constitution, par MM. Dominique de Legge, Christian Manable, Michel Savin et plusieurs de leurs collègues (proposition n° 255).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Dominique de Legge, auteur de la proposition de résolution.
M. Dominique de Legge, auteur de la proposition de résolution. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de résolution sur les normes sportives que nous examinons s’inscrit dans le cadre d’une réflexion plus globale voulue par le président du Sénat sur la simplification des normes applicables aux collectivités territoriales.
M. Charles Revet. Il y a du travail !
M. Dominique de Legge. Elle fait également suite à la mission d’information sur le sport professionnel et les collectivités territoriales présidée par notre collègue Michel Savin en 2014.
Quelle est la situation aujourd’hui ?
Selon l’Association nationale des élus en charge du sport, l’ANDES, les collectivités territoriales sont aujourd’hui les premiers financeurs du sport, puisqu’elles assurent un peu plus de 12 milliards d’euros de dépenses par an, soit 70 % des financements publics. Les normes sportives s’appliquent à quelque 250 000 équipements, espaces et sites sportifs, dont les collectivités territoriales sont propriétaires, et leur coût avoisinerait le milliard d’euros, toujours selon l’ANDES.
Si personne ne conteste les règles en matière de sécurité ou d’accessibilité, la multiplication, l’empilement, et l’application sans discernement de ces règles deviennent aujourd’hui insupportables, leur addition créant un environnement juridique potentiellement incertain et impactant lourdement les finances des collectivités.
L’élu local est ainsi confronté à une triple série de normes, à commencer par les normes générales, celles qui s’appliquent aux établissements recevant du public. L’élu local doit ensuite faire face aux normes réglementaires des fédérations sportives. Si l’on peut comprendre que ces dernières ont peu de marge s’agissant d’instructions d’ordre international, on peut en revanche être un peu plus critique lorsque ces recommandations sont dictées par des impératifs commerciaux. Je pense notamment à la « contenance minimale des espaces affectés à l’accueil du public », aux « dispositifs liés à la retransmission télévisée des compétitions », ou aux panneaux publicitaires.
L’élu local doit enfin faire face aux normes d’homologation : il y a celles qui sont délivrées par l’État, mais il y a également les normes AFNOR, qui touchent aux équipements, 370 étant recensées à ce jour dans le domaine du sport en général. Ces normes soulèvent une difficulté : si elles sont dites « volontaires », les juges les reconnaissent de plus en plus comme des obligations entraînant la responsabilité des gestionnaires en cas de difficultés.
Il n’y a donc pas un producteur unique de normes, mais, à un moment donné, au bout de la chaîne, il y a bel et bien un réceptacle unique : les élus locaux.
Mes collègues Michel Savin et Christian Manable développeront plusieurs points et pistes d’évolution. Pour ma part, je souhaite insister sur trois points.
Premièrement, nous devons passer d’une obligation de moyens à une obligation de résultat. Trop souvent, la norme est perçue comme une assurance pour se prémunir d’une action en responsabilité en cas d’accident, la réalité de l’usage des équipements et des publics qui les fréquentent étant reléguée au second plan.
Deuxièmement, les équipements sportifs sont composés de plusieurs parties, qui répondent à des fonctionnalités particulières et différentes. L’application de la norme doit se faire en tenant compte des usages réels de chacune de ces parties.
Troisièmement, toute activité humaine étant génératrice de risques, tout doit être fait pour les prévenir. La conception des équipements y contribue bien évidemment. Mais les comportements des usagers doivent être compatibles avec la finalité desdits équipements. De ce point de vue, les responsabilités doivent être mieux partagées, au risque de dissuader les acteurs locaux d’investir.
Mes collègues et moi-même avons souhaité adopter une approche pragmatique, en formulant des souhaits dont la réalisation dépendra d’un travail commun de l’administration, des fédérations et des élus locaux.
Nous comptons donc sur votre détermination, madame la ministre, pour engager, avec le Gouvernement, ce travail sans délai. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Michel Savin, auteur de la proposition de résolution.
M. Michel Savin, auteur de la proposition de résolution. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, comme l’a rappelé notre collègue Dominique de Legge, cette proposition de résolution est le fruit d’un travail commun.
C’est exact, nous avons tous à cœur de desserrer les contraintes et d’alléger les coûts qui pèsent sur les collectivités territoriales. Les élus locaux le réclament régulièrement et nous devons les entendre.
Nous le savons tous, les collectivités territoriales investissent chaque année près de 12 milliards d’euros au bénéfice des 36 millions de pratiquants de notre pays. Ces coûts induits sont surtout le résultat du dynamisme sportif des clubs, ce dont nous ne pouvons que nous féliciter.
Toutefois, les élus locaux ne comprennent pas toujours d’être sollicités pour investir dans des équipements qui ne sont plus aux normes en raison de nouvelles règles édictées par les fédérations sportives ou à la suite du passage d’un club ou d’une équipe d’une division à une autre, ce qui modifie le niveau d’homologation des équipements et impose des investissements importants pour appliquer les normes correspondantes.
Comme mon collègue Dominique de Legge, je pense que les élus locaux ne veulent pas forcément moins de normes, mais moins de normes inutiles ; ils veulent la bonne norme au bon endroit.
Depuis mars 2009, nous disposons d’une instance de concertation reconnue, légitime, efficace et, surtout, plébiscitée par tous les acteurs, à savoir la Commission d’examen des projets de règlements fédéraux relatifs aux équipements sportifs, la CERFRES, qui réunit l’État, les collectivités territoriales et le mouvement sportif. On ne peut plus dire que les normes sont « hors-sol » ou édictées au mépris de toute consultation des élus locaux.
Nous devons, je le dis devant Mme la ministre des sports, préserver cette instance de dialogue, tout en souhaitant la consolidation de ses prérogatives.
Il nous paraît surtout indispensable de changer l’approche entretenue à l’égard des normes, pour qu’elles s’adaptent mieux aux situations concrètes.
Selon nous, les normes doivent répondre à deux exigences.
Il s’agit tout d’abord d’une exigence de bon équilibre selon les équipements. Nous devons prévoir des normes qui soient fonction de l’usage réel d’un équipement. Cette exigence de bon équilibre des prescriptions s’appliquerait aussi selon qu’il s’agit de manifestations sportives locales, régionales ou nationales, de sport amateur et/ou professionnel.
Les normes doivent ensuite répondre à une exigence d’adaptabilité aux situations. On ne peut pas vouloir limiter les coûts sans envisager une utilisation pluridisciplinaire des équipements sportifs.
Nous invitons donc les fédérations à dialoguer davantage pour assurer la polyvalence et le partage de leurs équipements. Elles pourraient par exemple s’entendre sur des « guides d’utilisation communs » des salles et des équipements sportifs.
L’adaptation des normes commande ensuite à leur application. Les textes des fédérations sportives devraient se borner à fixer des objectifs à atteindre, à charge pour les collectivités territoriales d’en définir les modalités d’application pour y parvenir selon les réalités et les besoins locaux.
Elle commande enfin de prévoir une application différenciée des normes et règles d’homologation, selon les différents espaces d’une même infrastructure sportive, pour tenir compte de son usage réel.
Je conclurai cette présentation en soulignant que nous-mêmes, en tant que législateurs, devons être pleinement conscients des efforts de simplification que nous exigeons des autres producteurs de normes. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Christian Manable, auteur de la proposition de résolution.
M. Christian Manable, auteur de la proposition de résolution. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, au XVIIe siècle, La Bruyère écrivait : « Tout est dit, et l’on vient trop tard » ! J’aurais tendance à partager ce sentiment. Néanmoins, il me revient l’honneur de conclure cette présentation générale… (Sourires.)
Je rappellerai d’abord que cette proposition de résolution est le résultat de plusieurs mois de travail. Nous avons auditionné tous les acteurs concernés : les grandes fédérations sportives, bien sûr, les ligues professionnelles, les représentants des collectivités territoriales, l’administration des sports, les instances nationales spécialisées, et même les fabricants et équipementiers de l’industrie du sport.
Comme mes collègues viennent de le souligner, nous avons souhaité répondre à une demande forte et récurrente des élus des territoires, à savoir la simplification des normes sportives applicables aux collectivités territoriales.
C’est précisément l’objet de cette proposition de résolution. La matière étant essentiellement réglementaire, l’instrument de la résolution s’est effectivement imposé comme étant le plus adapté à nos propositions.
Dominique de Legge ayant rappelé la philosophie générale du texte et Michel Savin ayant présenté les deux exigences piliers de cette proposition, à savoir la proportionnalité et l’adaptabilité des normes, je me concentrerai sur les points plus techniques.
Depuis le 27 mars 2009, une commission d’examen des projets de règlements fédéraux relatifs aux équipements sportifs, la CERFRES, tente d’exercer, avec d’autres élus – les représentants de l’Association nationale des élus en charge du sport, l’ANDES, des départements et des régions – un contrôle sur la production normative des fédérations sportives. Formation restreinte du Centre national pour le développement du sport, le CNDS, la CERFRES est ainsi consultée sur tous les projets de norme nouvelle d’une fédération délégataire relative aux équipements sportifs requis pour accueillir les compétitions.
Si sa création a permis de circonscrire le champ de compétence des fédérations sportives, de responsabiliser celles-ci et de favoriser la concertation avec les collectivités territoriales maîtres d’ouvrage, des améliorations peuvent encore être envisagées.
C’est dans ce cadre, madame la ministre, que nous souhaiterions faire plusieurs propositions, neuf au total.
Première proposition, il convient d’allonger les délais d’examen des projets de règlements fédéraux de deux à trois mois, pour donner plus de temps aux différents acteurs. Il s’agit en particulier de permettre, aux fédérations, une « fertilisation croisée » des initiatives et, aux collectivités territoriales, une meilleure évaluation des impacts financiers des normes nouvelles.
Deuxième proposition, il nous paraît également important de sensibiliser les fédérations sportives à la nécessité de bien veiller à laisser aux collectivités territoriales un délai raisonnable pour la mise en conformité aux normes nouvelles de leurs équipements ou infrastructures. Il serait par exemple utile que les fédérations élaborent des échéanciers prévoyant une date butoir d’opposabilité des normes nouvelles, qui tiennent compte de la taille de la collectivité, des contraintes locales et des réalités territoriales. En somme, plus de progressivité et plus d’adaptabilité.
Troisième proposition, nous souhaiterons envisager, avec les associations d’élus concernées – AMF, AdF, Régions de France, notamment –, un élargissement de la composition de la CERFRES, afin de mieux prendre en compte le monde rural et les intercommunalités, de plus en plus nombreuses à exercer la compétence « sport ».
M. le président. Mon cher collègue…
M. Christian Manable. Mes chers collègues, M. le président me faisant comprendre qu’il faut abréger mon propos, vous serez donc frustrés du reste des neuf propositions que j’ai évoquées.
M. Charles Revet. Tout à l’heure ! Pendant le débat !
M. Christian Manable. Effectivement, j’y reviendrai peut-être tout à l’heure.
Avant d’interrompre mon propos,…
M. Charles Revet. C’est dommage !
M. Christian Manable. … je tiens simplement à rappeler que ce texte a fait l’objet d’un large consensus, au sein tant de la délégation aux collectivités territoriales que de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
M. Pascal Savoldelli. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le rôle et l’importance des collectivités territoriales dans le financement et le développement de la pratique sportive ne sont plus à prouver, les orateurs qui m’ont précédé l’ont très bien expliqué. Et les chiffres sont éloquents !
Le rôle dévolu aux collectivités pèse d’ailleurs tout particulièrement sur les communes, ce qui rappelle leur position privilégiée de proximité, notamment dans le cadre de l’activité sociale qu’est le sport. Ce rôle est cependant de plus en plus difficile à tenir, au vu, d’une part, de ressources à la baisse et, d’autre part, de la montée en charge des besoins. C’est vrai pour le sport, mais c’est vrai aussi pour d’autres activités.
Cela a déjà été dit, le Gouvernement ne pourra pas atteindre son objectif d’augmentation du nombre de pratiquants sportifs, 3 millions de personnes en plus d’ici aux jeux Olympiques de 2024, s’il continue à faire des économies sur le dos des collectivités et sur celui des associations, y compris des associations sportives. Cela est d’autant plus inquiétant que le sport amateur souffre bien plus que le sport professionnel, lequel bénéficie également de fonds publics.
La loi Bailly adoptée l’an dernier, et dont il faudra dresser un bilan précis, a tenté d’encadrer un certain nombre de pratiques. Le diptyque « mutualisation des dépenses-privatisation des profits » a tourné à plein régime via les partenariats public-privé, ces PPP mis en place pour faire sortir de terre… de véritables gouffres financiers pour les collectivités territoriales !
Permettez-moi de citer l’Allianz Riviera, à Nice, ou la MMArena, au Mans. Et même un stade comme le Groupama Stadium, à Lyon, a fait l’objet, au titre des infrastructures, d’un investissement public de 200 millions d’euros, dont les retombées pour la communauté nationale sont encore à prouver, d’autant que les sommes engagées pourraient être plus utiles dans d’autres chantiers à vocation sportive. Je pense tout particulièrement au sport amateur, exsangue aujourd’hui, car mis à mal par le désengagement de l’État. Et je ne parle pas de la non-compensation de la suppression de la réserve parlementaire, dont 10 millions d’euros allaient aux associations sportives !
L’importance des collectivités territoriales dans le dynamisme de la pratique sportive en France, avec toutes les vertus sociales, civiques, émancipatrices et économiques que cela comporte, c’est le premier constat que notre groupe partage avec les auteurs de la proposition de résolution.
Nous dressons un autre constat commun. Si la création de la CERFRES, en 2009, a permis d’amorcer un dialogue entre l’État, les collectivités territoriales et les fédérations sportives, il convient aujourd’hui de renforcer son rôle. En effet, les fédérations sportives nationales et internationales sont toujours décisionnaires, in fine, dans l’élaboration des normes.
Je le rappelle, ces dernières ont connu une inflation importante, avec 400 000 normes sportives, dont seulement un peu plus de 8 % sont des normes dites « AFNOR ». Une telle situation implique un coût important pour les collectivités propriétaires des installations et suscite des interrogations au sujet de sa légitimité.
Sans vouloir rogner les prérogatives des fédérations sportives, il faut tout de même rappeler que l’alignement décidé par la FFBB, la Fédération française de basket-ball, sur l’USAB, l’USA Basketball, a nécessité de modifier tous les parquets de basket du pays, pour un coût moyen unitaire de 20 000 euros. Voilà du concret ! L’exemple figure dans le rapport d’information sénatorial sur le sport professionnel et les collectivités territoriales.
De la même manière, et même si son périmètre sera plus restreint, la modification des règles de promotion/relégation décidée par la LFP, la Ligue de football professionnel, impliquera des coûts supplémentaires pour les communes concernées dans le cadre de l’organisation des matchs mais aussi de la maintenance des stades et des pelouses.
Venons-en au fond de la proposition de résolution. Comme je le disais à l’instant, le renforcement des rôles de la CERFRES recueille totalement notre assentiment. À ce titre, la question des « normes grises » devra faire l’objet d’un examen attentif.
Je suis toutefois un peu dubitatif sur le principe d’une participation financière des fédérations aux travaux de mise aux normes des équipements. En réalité, ce n’est pas le principe qui me pose problème, mais les conditions de sa mise en application.
Ma première interrogation concerne le rôle des ligues professionnelles dans le processus. Il ne s’agirait pas que les fédérations sportives se retrouvent à supporter le poids financier de normes édictées pour les ligues. Pour ne prendre qu’un exemple, ce sont ces dernières qui négocient les droits télévisés et font appliquer des normes à finalité commerciale et économique aux équipements, pour permettre la captation audio et vidéo des rencontres. Il s’agit d’un vrai questionnement.
Mon autre interrogation porte sur les mécanismes qu’une transcription législative de la résolution pourrait mettre en place, notamment pour s’assurer que le sport professionnel ne capte pas l’essentiel de la contribution financière des fédérations pour la normalisation des équipements.
J’en appelle donc à la vigilance s’agissant du volet « mutualisation et rationalisation » de la proposition de résolution. En effet, si je ne doute pas que certaines normes sont inadaptées et malvenues, je m’interroge sur la question des équipements, ou plutôt la nature de ces derniers.
Nos collègues le savent, les collectivités ont déjà lancé depuis plusieurs années des mutualisations en matière de gros équipements sportifs, notamment les patinoires et les piscines, dont les coûts de fonctionnement sont très importants pour les collectivités territoriales.
Cela permet justement de faire sortir de terre puis d’entretenir des équipements massifs, qu’une collectivité seule ne pourrait financer et « remplir » avec ses seuls administrés. Toutefois, je pense qu’il y a un point d’équilibre à trouver, surtout s’agissant des petits équipements, pour que chaque commune dispose des infrastructures nécessaires pour ses habitants, mais aussi pour ses écoles.
Concrètement, il ne faut pas que cette mutualisation conduise à une nouvelle raréfaction des équipements, ce qui serait préjudiciable à certaines disciplines, moins médiatisées que d’autres et faisant l’objet d’une moindre marchandisation, alors même que la problématique de l’accès au sport, pour lequel je connais votre attachement, madame la ministre, par le biais des associations sportives et l’éducation nationale, est centrale.
Mais mon temps est épuisé, et je dois terminer.
Mes chers collègues, malgré ces réserves, le groupe CRCE votera la proposition de résolution. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Claude Kern, pour le groupe Union Centriste.
M. Claude Kern. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je partirai d’un constat simple : trop de normes en matière sportive étouffent les élus locaux que nous avons été et que nous sommes encore, et deviennent la hantise des collectivités. Toutefois, la situation évolue et le travail visant à les rationaliser s’inscrit directement dans l’action, plus globale, de « chasse aux normes » appliquées aux collectivités territoriales que mène le Sénat, « lanceur d’alerte » en ce domaine depuis la XIIIe législature.
Il convient de saluer l’importante réflexion menée par plusieurs de nos collègues sur le sujet, dans un contexte d’érosion tendancielle des dotations versées par l’État aux collectivités. Le débat perdure et, pour revenir au sujet qui nous intéresse, les normes sportives, j’insisterai sur la qualité de l’ensemble des travaux, souvent menés en concertation au sein de notre Haute Assemblée.
Au-delà de l’image réductrice de « dépoussiérage » d’un corpus législatif et réglementaire pléthorique, résultat de la sédimentation d’une longue histoire juridique et d’une accumulation de textes foisonnants produits par de trop nombreux organismes, l’inflation normative et ses conséquences financières renvoient à une évolution sociétale induisant de nombreux facteurs de régulation.
C’est ainsi qu’en matière de pratiques et d’équipements sportifs les différents régimes juridiques mêlent normalisation, de type AFNOR, CEN ou ISO, et réglementation obligeant les collectivités à mettre en conformité les équipements avec les normes édictées par les fédérations sportives, qu’il s’agisse des dimensions du terrain, de l’éclairage, des vestiaires, des tribunes et que sais-je encore.
Je souhaite m’attarder sur la notion de « normes volontaires », au sens de normalisation, telle que définie par l’AFNOR, l’Agence française de normalisation, par le CEN, le Centre européen des normes, ou par l’ISO, l’International Organization for Standardization, des normes qui, non contraignantes, peuvent avant tout, si elles sont bien utilisées, être un outil de l’efficience législative et du choc de simplification.
Leur mode d’élaboration collectif leur confère un statut de règle de l’art tout à fait pertinent que nous nous devons d’exploiter, sans nous départir bien évidemment d’une certaine objectivité, dans la mesure où elles ne sont pas sans importance sur les obligations des collectivités.
Cet ajustement fait, l’action en faveur du contrôle des normes obligatoires relatives aux équipements sportifs des collectivités territoriales s’est améliorée, mais reste encore insuffisante. Ce contrôle est aujourd’hui devenu essentiel, car il n’est plus à démontrer l’impact négatif que le foisonnement normatif fait peser sur les collectivités en termes financiers, logistiques, voire en termes de responsabilité.
Quels sont les avantages à baisser les normes en matière de sport ?
L’avantage est d’abord logistique. Il devient ainsi nécessaire de clarifier et d’harmoniser l’enchevêtrement de normes complexes produites par des organismes trop nombreux et souvent peu coordonnés.
Très clairement, l’élu local doit aujourd’hui faire face à une pression normative sur laquelle il n’a que peu de prise, à savoir la norme générale, produite par l’exécutif ou le législateur, les normes réglementaires, produites, elles, par les fédérations sportives délégataires incluant exigence de pratiques sportives et recommandations d’ordre commercial non obligatoires, et les normes d’homologation.
Il est urgent de procéder à une rationalisation des normes, afin que celles-ci soient non plus additionnelles mais complémentaires et cessent de peser aussi lourdement sur le budget des collectivités territoriales.
L’avantage est également économique. N’oublions pas que les collectivités jouent un rôle déterminant dans la pratique du sport en France, puisqu’elles sont à la fois les principaux financeurs du milieu sportif et les plus grandes pourvoyeuses d’équipements sportifs. Or, eu égard au contexte budgétaire plus que contraint que nous connaissons aujourd’hui, nous ne pouvons faire l’économie d’un travail méticuleux de réduction des normes.
À ce titre, les projections de l’ANDES sont édifiantes : les économies potentiellement réalisées grâce aux actions entreprises sur seulement quatre règlements fédéraux et une norme sanitaire sont ainsi estimées entre 300 millions d’euros et un milliard d’euros !
Nous le savons tous, c’est bien le rapport financier qui compte à la fin. Or, aujourd’hui, celui qui décide n’est pas celui qui paye. C’est cela qu’il faut changer !
Bien évidemment, l’intensité du débat sur le poids financier des normes ne doit pas occulter la question fondamentale du bien-fondé des règles de sécurité.
J’en viens maintenant aux nécessaires améliorations à apporter dans ce domaine aux fins de pragmatisme et de rationalisation. Ainsi, pour les raisons que je viens d’énoncer, nous nous félicitons que les collectivités soient effectivement représentées au sein de la CERFRES et puissent ainsi faire légitimement entendre leur voix pour l’élaboration des réglementations édictées par les fédérations sportives.
Il faut cependant aller plus loin : des progrès restent à faire. Je n’énumérerai pas l’ensemble des propositions du texte en termes d’adaptabilité et de proportionnalité, mais j’insisterai sur certains points.
Il convient, en premier lieu, de renforcer la légitimité ainsi que l’importance de la CERFRES auprès des fédérations sportives, en rendant ses avis obligatoires et non plus consultatifs.
Il faut également lui laisser le temps nécessaire pour examiner les projets de règlement qui lui sont soumis et mener une analyse pertinente.
Il serait par ailleurs souhaitable que la CERFRES puisse être saisie de l’examen des projets des ligues professionnelles, qu’un système d’évaluation des normes a posteriori soit mis en place et que, plus généralement, l’ensemble des dispositions des fédérations et ligues présentant des conséquences financières et logistiques importantes pour les collectivités soient examinées par la commission.
Enfin, un constat s’impose : la CERFRES a très peu saisi le CNEN, le Conseil national d’évaluation des normes, pour faire entendre sa décision à une fédération qui irait à l’encontre de son avis. Faisons-en sorte qu’une telle possibilité devienne un réflexe.
Pour conclure, je forme le vœu que les mesures pratiques de simplification et de rationalisation préconisées par les auteurs de la proposition de résolution inspirent l’action du Gouvernement.
Gageons que notre volonté de pragmatisme – nous souhaitons que les normes édictées soient pertinentes pour la pratique du sport sans représenter une contrainte financière trop lourde pour les collectivités – trouvera un écho favorable auprès de vous, madame la ministre.
Enfin, je tiens à remercier et à féliciter les auteurs de cette proposition de résolution, nos collègues Dominique de Legge, Michel Savin et Christian Manable, pour l’excellent travail réalisé. (Applaudissements sur des travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Républicains, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe La République En Marche et du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Christian Manable, pour le groupe socialiste et républicain.
Mon cher collègue, vous pourrez ainsi surmonter la frustration exprimée tout à l’heure, en finissant de développer les neuf propositions annoncées ! (Sourires.)
M. Christian Manable. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, comme dans les feuilletons, il y a plusieurs épisodes. Voici le deuxième ! (Nouveaux sourires.)
N’ayant pas eu le temps, tout à l’heure, d’achever la présentation des neuf propositions contenues dans cette proposition de résolution, j’en reviens à la quatrième.
Il nous paraît indispensable de réfléchir à la création de groupes de travail qui associeraient en amont la CERFRES et les fabricants d’équipements sportifs, afin de bénéficier de leur expertise. C’est d’ailleurs, je dois le dire, une demande forte de la part de ces derniers, car ils sont prêts à jouer le jeu de la mutualisation et de la polyvalence des équipements sportifs.
Cinquième proposition : selon nous, la CERFRES devrait pouvoir se saisir des « normes grises », à mi-chemin entre la norme obligatoire et la norme non obligatoire. Je pense, par exemple, à tous les labels d’ordre commercial des ligues professionnelles, qu’il s’agirait ainsi de mieux réguler.
Sixième proposition : la CERFRES devrait se voir reconnaître un pouvoir d’avis dès lors qu’une décision relative à la compétition a une conséquence directe sur l’exploitation d’un équipement.
Septième proposition : ses compétences d’évaluation mériteraient d’être consolidées, par exemple via la mise en place d’une révision régulière des normes tenant compte de l’expérience des collectivités territoriales.
Huitième proposition : nous appelons la CERFRES à réactiver la procédure existante de saisine du CNEN, afin que celui-ci puisse examiner tout projet de texte relatif à une norme fédérale avant que la commission rende son avis définitif. Cette faculté est aujourd’hui largement inutilisée, alors même que le CNEN plaide pour une meilleure articulation et un échange plus régulier entre ces instances.
Neuvième proposition, enfin : nous voudrions inciter la CERFRES à s’autosaisir, à la demande d’une collectivité territoriale, d’un problème rencontré concernant une norme fédérale.
Dans la deuxième partie de mon intervention, je voudrais évoquer les « sept péchés capitaux normatifs » des fédérations sportives.
Pour ce faire, je m’inspire de quelques exemples concrets issus des travaux et du rapport de la mission de lutte contre l’inflation normative conduite par MM. Boulard et Lambert en 2013-2014. Et vous allez voir, madame la ministre, mes chers collègues, que nous sommes parfois en plein royaume d’Ubu !
Premier péché capital : les coûts élevés.
Les coûts des équipements exigés par les fédérations et les ligues vont de plusieurs dizaines de millions d’euros, pour les stades de football de Ligue 1, à des sommes certes plus modestes, mais qui impactent néanmoins les budgets locaux.
Par exemple, la modification des tracés des terrains de basket-ball en fonction du niveau de jeu, qui était à réaliser avant 2015, a coûté 30 000 euros à la ville de Caen au titre de son palais des sports, sachant, comme le précise la ville, qu’il reste vingt-cinq gymnases à traiter sur le territoire communal.
Au Havre également, les changements des réglementations de la FFBB, la Fédération française de basket-ball, sont à l’origine des coûts importants. Un exemple : la modification des tableaux de score. La ville du Havre a été contrainte de remplacer lesdits tableaux lorsque les adaptations n’étaient pas possibles. Coût de l’opération pour la ville : 25 000 euros. Les modifications sur les tracés du jeu, quant à elles, ont touché quinze salles. Coût de l’opération : 15 000 euros.
Autre exemple : lors du passage d’une équipe de hockey sur glace en D2, la Fédération française impose d’augmenter le nombre de portes de piste – quatre portes de piste n’étaient pas suffisantes. Deux portes ont ainsi dû être ajoutées à Lille Métropole, en remplacement de panneaux de rambarde, pour un coût de 3 000 euros hors taxe.
Deuxième péché capital : l’instabilité normative.
Les fédérations ne cessent de perfectionner leurs normes, les modifiant sans s’interroger sur les conséquences de ces modifications sur les équipements existants.
En basket-ball, par exemple, la ligne des 3 points passe à 6,75 mètres, contre 6,25 mètres actuellement. Elle se rapproche ainsi de la ligne de la NBA, située à 7,23 mètres. La mise aux normes entraîne un coût compris entre 2 000 et 10 000 euros suivant les équipements – parquet, sol souple, etc. – et n’apporte pas la preuve d’une légitimité indéniable : il n’y a toujours pas d’uniformité mondiale – les tracés diffèrent selon les ligues et selon les pays. Cela signifie-t-il qu’un nouveau changement sera obligatoire dans le futur ?
Troisième péché capital : l’« aristocratie » normative.
Dans le monde des fédérations, l’aristocratie ne se manifeste pas par l’affichage de quartiers de noblesse, mais par la qualité des locaux d’accueil, qui varie selon les niveaux de jeu. Il en est ainsi de la taille des vestiaires réservés aux arbitres, qui augmente en fonction du classement sportif.
Malgré un investissement de 1 million d’euros pour la réalisation d’un terrain de football en revêtement synthétique dans son complexe sportif Maurice-Fouque, la ville de Caen voit ce même terrain déclassé par la Fédération française de football de la catégorie 4 à la catégorie 5, en raison de la dimension des vestiaires des arbitres. Si la ville n’avait pas réalisé de travaux sur l’aire de jeu et l’éclairage, le terrain serait resté en catégorie 4 jusqu’en 2020. Ce déclassement engendre pour elle une perte de 20 000 euros de subventions du FAFA, le Fonds d’aide au football amateur.
En handball, pour les compétitions de niveau « championnat de France », il est nécessaire de disposer d’un local antidopage, de quatre vestiaires et de deux vestiaires « arbitres » – 1 500 euros d’amende par match sont prévus si la salle n’est pas conforme.
Autre péché capital : l’obscurité des normes lumineuses, les fameux lux mesurés au sol. Les valeurs de référence vont de 200 à 500 lux selon les terrains de football, mais s’élèvent à 1 500 lux pour la télévision, qui fait en quelque sorte monter les enchères. Si cette dernière valeur n’est pas atteinte, la télévision ne retransmet pas le match. Les puissances exigées sont donc déniées, sans prise en compte des préoccupations d’économie d’énergie et de développement durable. Il en est de même des obligations de chauffage des pelouses en cas de gel.
Les normes fixent l’éclairement, mesuré sur un plan horizontal, à un niveau compris entre 200 et 500 lux, selon la catégorie. En revanche, pour la télévision, cette norme ne fixe pas de niveau précis, mesuré sur un plan vertical, applicable au cas où il est nécessaire de filmer des actions au ralenti. La règle FFN fixe un minimum de 600 lux pour les virages et les départs – mesure horizontale –, mais recommande 1 500 lux pour la télévision, étant sous-entendu que cette dernière mesure est verticale. Il n’est donc pas simple de définir le niveau d’éclairement à prescrire pour un équipement de haut niveau – telle est la difficulté qu’a rencontrée Lille Métropole.
Autre exemple relatif à l’éclairage des terrains de football – c’est l’article 1.1.1 du règlement de l’éclairage des terrains et installations sportives : la mesure de l’éclairage se fait par l’intermédiaire de points disposés sur l’aire de jeux ; or ces zones doivent être plus ou moins éclairées suivant le classement de l’équipement.
Cette réglementation engendre une augmentation de la puissance électrique exigée. Le dispositif technique est difficile à installer lorsque la structure de base ne comporte pas de mâts assez grands ou le câblage nécessaire ; en cas d’accession à une compétition nationale, aucune dérogation ne peut pourtant être accordée. Dans ce cas, le club doit chercher un nouveau stade.
Toujours au chapitre des péchés capitaux, j’en viens aux incompatibilités normatives.
L’absence de toute forme d’harmonisation entre les normes émises par les différentes fédérations rend très difficile l’usage polyvalent d’un même équipement.
Ainsi, le basket-ball, le handball et le volley-ball ont des exigences différentes et souvent incompatibles, mais le summum du ridicule, nous l’avons rencontré, lors de notre enquête, lorsque, dans une même salle où l’on pratique le badminton, le volley-ball et le tennis, nous avons constaté que les normes en vigueur exigeaient la présence de chaises d’arbitre de trois hauteurs différentes ! Ou bien on réduit la taille des arbitres, ou bien on trouve une solution technique pour créer une chaise adaptable ! (Rires.)
Je conclurai mon propos, mes chers collègues, en évoquant les contradictions normatives.
Les fédérations produisent des normes souvent contradictoires avec celles d’autres émetteurs de normes, en matière de handicap ou en matière d’économie d’énergie.
Des normes sportives peuvent ainsi aller à l’encontre des dispositions de la loi Handicap ou de la loi Grenelle II.
Le code du sport impose une pente des sols de 3 % à 5 % pour éviter les stagnations d’eau, et donc les problèmes d’hygiène et de sécurité afférents ; or le Conseil national consultatif des personnes handicapées impose un dévers de 2 % maximum pour les personnes à mobilité réduite, une personne en fauteuil circulant difficilement lorsque le dévers est important.
Voici, madame la ministre, les différentes préconisations que nous souhaitons promouvoir au titre de cette proposition de résolution. Nul doute que vous saurez entendre un cri unanime des élus locaux en faveur de la traduction prochaine de ces propositions dans une loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe La République En Marche, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe Union Centriste. – M. Jean-Raymond Hugonet applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Claude Malhuret, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.
M. Claude Malhuret. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avec plus de 250 000 équipements sur leurs territoires, les collectivités locales sont les premiers propriétaires d’espaces dédiés au sport. À ce titre, elles sont soumises à l’application de plus de 400 000 normes, réglementations et prescriptions, relatives aux capacités d’accueil des équipements, à la forme des chaises d’arbitre, dont vous parliez à l’instant, mon cher collègue, à la disposition des terrains, au confort des installations, à l’éclairage et à beaucoup d’autres choses – je ne saurais épuiser cette liste, qui est presque une litanie.
L’application d’un tel stock normatif, en constante augmentation, n’est pas sans conséquence sur les finances locales, d’autant plus que ces normes réglementaires s’appliquent aussi bien aux plus petites communes rurales qu’aux grandes métropoles.
L’Association nationale des élus en charge du sport a chiffré le coût induit par ces normes à 6 milliards d’euros pour les collectivités entre 2008 et 2014. Selon l’OCDE, le fardeau normatif de la France, tous secteurs confondus, s’élève à 60 milliards d’euros par an.
La simplification normative est donc, entre autres, un enjeu de compétitivité pour les territoires. Dans un contexte de raréfaction des ressources budgétaires, cette proposition de résolution représente une libération réglementaire et budgétaire pour les élus locaux.
Pour cette raison, je tiens à saluer le travail d’audition et de concertation mené pendant des mois par Dominique de Legge, Christian Manable et Michel Savin au sein du groupe de travail sur les normes sportives applicables aux collectivités territoriales, travail qui aboutit aujourd’hui à l’examen de cette proposition de résolution dont ils sont les auteurs.
Au-delà des enjeux financiers, il s’agit également d’améliorer la lisibilité, l’accessibilité et la sécurité de notre édifice normatif. La lutte contre l’inflation normative est une nécessité de longue date. Le stock du droit national applicable en France a augmenté de 50 % en vingt ans. Or, comme le disait Montesquieu, « les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires » – cette formule me paraît s’appliquer aussi aux normes réglementaires.
Face à des contraintes de plus en plus nombreuses, nous appelons de nos vœux une révolution réglementaire. Il faut absolument privilégier la qualité, la souplesse et l’adaptabilité du droit par rapport à l’amoncellement de normes inapplicables ou inutiles. C’est là, au sein de l’État de droit qui est le nôtre, une condition indispensable pour bâtir la nouvelle société de confiance, laquelle reposera, comme cette proposition de résolution, sur les principes de responsabilité, de concertation et de subsidiarité.
Pour cette raison, notre groupe votera avec enthousiasme en faveur de cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires et sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe La République En Marche, du groupe Union Centriste et du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme Mireille Jouve, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
Mme Mireille Jouve. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le texte qui est soumis ce jour à l’approbation de notre Haute Assemblée résulte du travail conjoint de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation et de la commission de la culture. Il illustre bien la façon dont le Sénat peut œuvrer, au service de nos territoires, dépassant les clivages partisans.
Le Sénat s’est saisi du champ de la simplification des normes applicables aux collectivités, remplissant ainsi la fonction que lui assigne le quatrième alinéa de l’article 24 de notre Constitution.
La présente proposition de résolution porte spécifiquement sur les normes applicables en matière de pratique et d’équipements sportifs.
Celles et ceux d’entre nous qui ont été maire ou adjoint aux sports ont immanquablement été confrontés à cet enchevêtrement réglementaire, à son instabilité, à ses paradoxes voire à ses contradictions, qu’il s’agisse des mesures de sécurité, d’accessibilité, de respect de l’environnement ou de l’ensemble des règles encadrant une discipline et ses compétitions.
Certains exemples quasi kafkaïens pourraient prêter à sourire – je pense aux règles applicables à la vidange des piscines ou aux nouveaux tracés des terrains de basket-ball, évoqués tout à l’heure – s’ils n’avaient un coût non négligeable pour nos collectivités, et donc pour nos concitoyens.
Ce coût, l’ANDES l’évalue à 6 milliards d’euros sur la période 2008-2014.
Comme le souligne l’exposé des motifs, les normes émanent certes de l’exécutif et du législateur, mais sont aussi le fait des fédérations sportives délégataires.
Nos anciens collègues Alain Lambert et Jean-Claude Boulard avaient déjà pointé, il y a cinq ans, dans leur premier rapport, « les sept péchés normatifs des fédérations sportives ».
Ils qualifiaient de « dangereuse » la distinction entre le pouvoir normatif des fédérations et l’obligation de payer des collectivités territoriales.
Il pourrait donc être légitime de réfléchir à des aménagements de ce pouvoir normatif accordé aux fédérations sportives, portant sur les aires de jeu, mais également sur les espaces dédiés aux sportifs.
Aujourd’hui, il est vrai que les collectivités ont peu de prise sur la réglementation applicable à l’immense majorité des 330 000 équipements, espaces et sites dont elles sont pourtant propriétaires.
En outre, si le pouvoir réglementaire des fédérations ne concerne pas les demandes d’ordre commercial, il n’est pas rare que les ligues professionnelles édictent des prescriptions qui débordent du cadre prévu par la loi : ce sont les fameuses « normes grises ». Il faut aussi, à cet égard, souligner le rôle et les demandes des diffuseurs.
Il existe enfin une troisième source réglementaire : les normes d’homologation, par exemple celles de l’AFNOR, l’Association française de normalisation.
Sans remettre en cause leur bien-fondé, nous constatons que ces dernières sont souvent considérées par le juge comme des normes impératives, ce qui peut être de nature, en cas d’accident, à engager la responsabilité pénale des élus et des collectivités.
Or nous savons – et la consultation récemment menée par la délégation aux collectivités territoriales sur le statut de l’élu nous le confirme – que la question de la responsabilité des élus est un motif d’inquiétude, voire un frein à l’engagement municipal.
Compte tenu des contraintes toujours plus lourdes qui pèsent sur nos collectivités, les auteurs de ce texte appellent donc de leurs vœux une évolution du cadre existant.
Cette évolution passerait, tout d’abord, par un renforcement des prérogatives de la CERFRES. Depuis sa création, en 2009, cette instance collégiale réunissant État, collectivités et mouvement sportif a conduit un travail minutieux contre la surinflation normative. Cette dynamique doit être encouragée et approfondie, en allongeant les délais de consultation, ou en permettant à la CERFRES de s’autosaisir. La composition de la commission pourrait aussi être revue pour mieux prendre en compte le monde rural et les intercommunalités.
Par ailleurs, une meilleure articulation avec les travaux conduits par le CNEN, telle qu’évoquée dans la proposition de résolution, ne pourrait être que bénéfique.
La production normative des fédérations sportives doit également évoluer. En la matière, les auteurs de la proposition de résolution développent deux exigences, de proportionnalité et d’adaptabilité, qui sont empreintes de bon sens. Doit-on avoir les mêmes exigences pour un championnat régional et pour une compétition internationale ? Évidemment, non ! Doit-on encourager le multiusage des équipements par une harmonisation des normes ? À l’évidence, oui.
Enfin, le texte – c’est une de ses principales innovations – propose d’associer les fédérations sportives au financement de certaines modifications induites par les changements réglementaires qu’elles imposent, selon le principe du « prescripteur-payeur ».
L’aggravation des contraintes qui pèsent sur nos collectivités appelle l’intervention du législateur et de l’exécutif.
Souvenez-vous, madame la ministre, mes chers collègues, le précédent quinquennat avait vu la mise en œuvre du « choc de simplification », avec des avancées en définitive bien réelles, mais largement insuffisantes. L’actuel gouvernement a lancé son propre plan, comme en témoigne la règle du « deux pour un » ou le programme Action publique 2022.
Je relève néanmoins un aveu, fait par Alain Lambert lors de son audition, à la mi-janvier, par la délégation aux collectivités territoriales. Il soulignait une « volonté politique sincère », mais redoutait « un sentiment de l’administration centrale considérant que le système ne fonctionne “ pas si mal ”, et qu’il semble inopportun de changer un système assez équilibré ».
Dans ce contexte, la présente proposition de résolution est donc opportune et utile, car elle se fait l’écho des difficultés rencontrées dans nos villes et dans nos villages. L’ensemble du groupe du RDSE y souscrit pleinement.
Nous invitons désormais le Gouvernement à s’emparer de ces travaux pour, à son tour, permettre une évolution des pratiques et de la réglementation en vigueur. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et sur des travées du groupe La République En Marche, du groupe socialiste et républicain, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Cyril Pellevat, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Cyril Pellevat. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le texte qui nous réunit aujourd’hui est un texte de simplification normative.
Depuis quelques années, et davantage encore ces derniers mois, sous l’impulsion du président Gérard Larcher, le Sénat travaille à la simplification des normes applicables aux collectivités territoriales.
Les élus locaux réclamaient cet élan depuis longtemps : une simplification des normes dans le domaine de l’urbanisme ou dans celui du service public d’eau potable, entre autres. Mais le domaine que nous traitons aujourd’hui est celui du sport, domaine qui me tient à cœur.
La commission de la culture, de l’éducation et de la communication et la délégation aux collectivités territoriales se sont engagées dans le processus de simplification des normes sportives il y a un an. Elles ont constitué un groupe de travail, et je remercie les rapporteurs de ce groupe, MM. Dominique de Legge, Christian Manable et Michel Savin.
À la suite des tables rondes organisées avec des représentants de fédérations sportives, d’associations d’élus locaux, d’administrations de l’État et d’équipementiers, la proposition de résolution que nous examinons cet après-midi a été élaborée. Elle vise à mieux maîtriser le poids de la réglementation applicable aux collectivités territoriales et à simplifier certaines normes réglementaires relatives à la pratique et aux équipements sportifs.
Nous ne pouvons qu’unanimement approuver ce texte.
Comme nous le savons, on ne compte plus les normes, réglementations et prescriptions applicables aux quelque 250 000 équipements, espaces et sites sportifs dont les collectivités territoriales sont propriétaires. Soulignons que les collectivités territoriales sont aujourd’hui les premiers financeurs du sport, assurant 70 % des financements publics, et surtout les premiers propriétaires d’infrastructures sportives en France.
Sur le terrain, les normes pleuvent. Les élus locaux sont souvent submergés. Nous devons agir pour faire en sorte de diminuer cette pression normative.
La volonté parlementaire de simplification des normes applicables aux collectivités territoriales est partagée par le Gouvernement. À ce titre, le Premier ministre a demandé à MM. Alain Lambert et Jean-Claude Boulard d’identifier, en coordination avec les ministères, des simplifications du stock de normes applicables aux collectivités.
Le programme Action publique 2022 comporte par ailleurs un chantier de simplification.
Plusieurs travaux récents recommandent d’agir pour une simplification dans le domaine du sport. Je citerai notamment le rapport de MM. Alain Lambert et Jean-Claude Boulard sur la lutte contre l’inflation normative, remis en mars 2013, le rapport d’avril 2014 de la mission commune d’information du Sénat sur le sport professionnel et les collectivités territoriales, présidée par notre collègue Michel Savin, et un rapport publié en 2015 par l’Inspection générale de l’administration, l’IGA, et l’Inspection générale des affaires sociales, l’IGAS.
Dans ce domaine du sport, les élus locaux se trouvent constamment face à des normes nouvelles, normes issues des fédérations sportives, du Gouvernement, du Parlement, normes d’homologation du type AFNOR, toutes issues, donc, de producteurs autonomes de normes.
Je me félicite de l’existence de la Commission d’examen des projets de règlements fédéraux relatifs aux équipements sportifs, qui exerce un contrôle sur la production normative des fédérations sportives. Cette commission est à consolider. Il s’agit de l’unique instance de dialogue associant élus et représentants des fédérations sportives. Les auteurs du texte qui nous est soumis proposent de renforcer la composition et les attributions de la CERFRES.
L’allongement des délais d’examen des projets de règlements fédéraux me semble également une aide nécessaire aux collectivités. Les fédérations doivent veiller à laisser du temps à ces dernières pour qu’elles s’adaptent à une norme nouvelle.
Comme cela a été rappelé – c’est un point majeur de ce texte –, la proposition de résolution vise également à encadrer la production normative des fédérations sportives selon des principes de proportionnalité et d’adaptabilité.
Je citerai un problème récurrent : les changements de divisions ou de catégories sportives pour les clubs. Lorsqu’une équipe change de division, les normes qui s’appliquent au club deviennent différentes et la collectivité doit alors fournir de nombreux investissements pour s’y conformer, dans des délais contraints. Ces évolutions sont très difficiles à assumer financièrement, en particulier pour les petites collectivités.
Pour que la norme sportive réponde à un souci d’adaptabilité, il serait nécessaire que les infrastructures soient multiusage et non réservées à un sport unique. L’exemple du nombre de chaises d’arbitre aussi élevé que le nombre de sports pratiqués dans le gymnase est aberrant.
Il arrive même que les normes s’avèrent contradictoires. Les fédérations sportives doivent donc dialoguer, afin d’harmoniser leurs normes. Le futsal a, par exemple, su s’adapter, en reprenant certaines lignes du terrain de handball. L’usage polyvalent d’un même équipement est certes parfois difficile, mais il reste, en la matière, beaucoup d’efforts à faire.
Les fédérations sportives sont exigeantes ; nous ne pouvons le leur reprocher. Mais, en raison de leur caractère évolutif, les normes sont instables. Encourageons donc une meilleure adaptabilité.
Concernant le nécessaire dialogue entre les fédérations, je souhaite saluer la démarche du Comité international olympique s’agissant de la nouvelle procédure de candidature, applicable aux jeux Olympiques d’hiver de 2026. Cette procédure s’appuie désormais sur un dialogue approfondi entre le CIO, les villes et les comités nationaux olympiques, et prévoit d’importantes réductions budgétaires. Le dialogue porte ses fruits. Il devient urgent de l’encourager, notamment en faveur des collectivités locales.
Un mot, enfin, sur l’état des finances de nos collectivités locales. Les normes sportives impactent encore un peu plus ces finances déjà mises à mal – nos collectivités subissent en effet, malheureusement, les politiques successives des gouvernements qui aggravent leur état de santé financière.
Une majorité d’entre nous, sur ces travées, dénonce les 13 milliards d’euros d’économies imposées aux collectivités sur cinq ans, l’abandon brutal de 120 000 emplois aidés, la fin annoncée de la taxe d’habitation, qui affectent durement la santé financière des collectivités territoriales et mettent en péril leurs projets locaux.
Ce texte va dans le sens d’une aide apportée à nos collectivités ; il constitue un pas supplémentaire dans le processus de simplification. Nous devons poursuivre cette dynamique. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe La République En Marche. – M. Jean-Jacques Lozach applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Abdallah Hassani, pour le groupe La République En Marche.
M. Abdallah Hassani. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd’hui se situe dans la continuité des travaux engagés par le Sénat pour lutter contre l’inflation des normes. Faisant suite à des propositions de résolution dédiées aux entreprises, à l’urbanisme et à la construction, à l’agriculture, à la gestion de l’eau et à la vie économique, cette proposition de résolution traite des normes liées à la pratique et aux équipements sportifs.
Il s’agit, là encore, de simplifier, d’harmoniser, de mutualiser, d’évaluer, de ne garder que le nécessaire et l’utile, dans un esprit de maîtrise des coûts.
Nos collectivités territoriales sont en effet impactées au quotidien par le poids de ces règles de toute nature : plus de 400 000 normes pour 250 000 équipements, espaces et sites sportifs dont elles sont propriétaires.
L’obscurité, l’incompatibilité, l’obsolescence des contraintes normatives dans le domaine du sport, ainsi que la pression d’intérêts commerciaux, ont été souvent dénoncées, notamment par le Conseil national d’évaluation des normes, qui avait consacré un chapitre, dans son rapport de 2013, aux excès normatifs des fédérations sportives.
Une volonté d’agir pour y remédier s’est souvent manifestée. Mais le tri n’est pas facile, et la tâche est complexe, pour ne garder que la bonne norme, à sa juste place, au moment adéquat.
Le Gouvernement, pour sa part, s’y est attelé sans tarder. Dès juillet 2017, le Premier ministre a décidé que, pour toute nouvelle norme, deux seraient supprimées. Dans le cadre d’un programme de transformation de l’action publique, il a confié au président du Conseil national d’évaluation des normes, Alain Lambert, et à notre ancien collègue Jean-Claude Boulard une mission sur l’évaluation du stock de normes, l’objectif étant de limiter l’impact réglementaire sur les collectivités. Les règles relatives aux équipements sportifs font partie du champ de cette mission.
Le comité de pilotage sur la gouvernance du sport contribue aussi à cette réflexion. Installé par Mme la ministre des sports à l’occasion du dernier congrès des maires et des présidents d’intercommunalité, il réunit les acteurs de la vie sportive pour imaginer un nouveau cadre institutionnel et organisationnel du sport en France.
Par ailleurs, depuis le 1er janvier, les préfets de certains départements peuvent, à titre expérimental, déroger pendant deux ans à des normes dans plusieurs domaines, dont le bâtiment et les activités sportives. C’est le cas pour mon département, Mayotte. Cette initiative est particulièrement bienvenue : alors que plus de la moitié de notre population a moins de vingt ans, les équipements sportifs sont quasi inexistants sur notre île. De tels équipements doivent pouvoir être construits rapidement et simplement, être utiles au plus grand nombre et adaptés au climat tropical.
Les recommandations proposées à notre vote se veulent pragmatiques et concrètes. Elles visent essentiellement à renforcer le rôle de la Commission d’examen des projets de règlement fédéraux relatifs aux équipements sportifs, la CERFRES.
Il s’agit de conforter son rôle central d’instance de concertation entre l’État, les élus et le monde sportif, en améliorant son fonctionnement et en élargissant son champ de compétences.
S’agissant du fonctionnement, les auteurs du texte envisagent d’élargir le collège pour mieux prendre en compte le monde rural et les intercommunalités, d’allonger de deux mois à trois mois les délais d’examen des projets de règlement fédéraux et de réactiver la procédure de saisine du Conseil national d’évaluation des normes, le CNEN. Ils proposent de réfléchir à la création de groupes de travail associant en amont la Commission et les fabricants d’équipements sportifs, afin que ceux-ci puissent apporter leur expertise.
S’agissant du champ de compétences, les auteurs du texte souhaitent que la CERFRES puisse procéder à une révision régulière des normes tenant compte des collectivités territoriales, ainsi qu’à une autosaisine concernant les « normes grises », en principe non obligatoires, mais qui ont de fait un impact sur l’exploitation de l’infrastructure.
La proposition de résolution vise également à encadrer la production normative des fédérations sportives, selon les principes de proportionnalité, d’adaptabilité et de mutualisation. Elle insiste sur la nécessité de laisser aux collectivités un délai raisonnable pour la mise en conformité des équipements.
Soucieux de ne pas altérer le développement de l’offre sportive, tout en préservant les finances locales, les auteurs de la proposition de résolution respectent donc l’esprit de la démarche générale de simplification et la volonté du Gouvernement de réduire l’impact des normes sur les collectivités locales.
Toutefois, le sujet des « normes grises » n’a, semble-t-il, pas encore été discuté avec le mouvement sportif. Il nécessiterait donc une concertation préalable.
Il est un autre sujet qui mériterait un débat plus approfondi, et sur lequel nous émettons donc des réserves. Je pense à la demande d’ajout d’une nouvelle norme : celle du prescripteur-payeur, qui vise les fédérations. En fait, elle s’applique déjà en partie dans le cadre des conventions de mise à disposition des équipements entre les propriétaires et les utilisateurs. Il nous semble important au préalable d’en circonscrire le champ d’application en l’envisageant notamment pour les « normes grises » et de réfléchir aux modalités de sa mise en œuvre.
Pour ces raisons, le groupe La République En Marche s’abstiendra.
M. Dominique de Legge. C’est bien dommage !
M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)
Mme Colette Mélot. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je me joins à notre président de groupe, Claude Malhuret, pour remercier les auteurs de cette proposition de résolution, Dominique de Legge, Michel Savin et Christian Manable.
Ce texte cible plus particulièrement les recommandations édictées par les fédérations et propose de renforcer les prérogatives de contrôle de la Commission d’examen des projets de règlements fédéraux relatifs aux équipements sportifs.
Dans un contexte d’inflation normative et de restriction budgétaire, il s’agit en effet de mieux discerner les normes véritablement utiles des contraintes coûteuses et inadaptées aux situations locales, ces « normes grises » produites par les fédérations sportives et dont il convient d’encadrer la prolifération.
Cela implique, d’une part, d’encadrer la production normative des fédérations selon un principe de proportionnalité et, d’autre part, d’instaurer une exigence d’adaptabilité des normes, afin d’autoriser une certaine souplesse dans leur application, selon les contraintes locales. Le besoin d’espaces sportifs polyvalents est, par exemple, une demande forte des élus locaux. Enfin, la règle du « prescripteur-payeur » est intéressante dans la mesure où elle inviterait les fédérations à la modération normative et allégerait les charges pesant sur les finances locales. Il s’agit évidemment non pas de ne plus réglementer, mais de mieux réglementer, en évaluant systématiquement l’impact de chaque nouvelle norme à l’aune des bénéfices apportés aux utilisateurs et des charges financières induites.
Il est proposé de renforcer la composition et les attributions de la Commission. À ce titre, il me paraît tout à fait pertinent d’étendre sa composition aux intercommunalités et aux associations d’élus ruraux, afin qu’elle reflète davantage les réalités locales de gestion des établissements sportifs. Il s’agirait également de renforcer la portée du contrôle et le pouvoir d’autosaisine de la Commission en étendant son champ d’action aux recommandations non obligatoires, dites « normes grises », et aux décisions relatives aux compétitions sportives susceptibles d’impacter l’exploitation d’un équipement.
Ces différents éléments amènent le groupe Les Indépendants à apporter tout son soutien à cette proposition de résolution, qui s’inscrit pleinement dans le projet d’une nouvelle société de confiance. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Raymond Hugonet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’article 24 de notre Constitution dispose que le Sénat « assure la représentation des collectivités territoriales de la République ».
Notre Haute Assemblée est donc bien dans son rôle aujourd’hui en soutenant avec force une légitime demande émanant depuis de nombreuses années des élus locaux : la simplification des normes réglementaires applicables aux collectivités territoriales, notamment dans le domaine de la pratique et des équipements sportifs !
La proposition de résolution consensuelle que nous examinons aujourd’hui a pour origine un questionnaire diffusé en 2014, lors du Congrès des maires. Ce questionnaire, corroborant le constat du rapport de la mission de lutte contre l’inflation normative, rédigé par Alain Lambert et Jean-Claude Boulard, a fait apparaître l’absurdité dans certains cas du mécanisme des dépenses à finalité sportive. Force est de constater que le sujet des normes relatives aux équipements sportifs des collectivités est devenu de plus en plus délicat à gérer pour nombre d’élus locaux.
La multiplication de ces normes conduit en effet les collectivités à ne plus pouvoir distinguer les mesures utiles des contraintes coûteuses et sans objet. Par ailleurs, elle impacte lourdement les finances communales ou intercommunales, alors même que nous sommes en pleine période de disette budgétaire.
Quel que soit le problème soulevé, on ne se pose pas de question : l’administration opte toujours pour le degré le plus contraignant ! Mais la culture du parapluie coûte cher, car chaque norme a un prix.
Du côté des activités sportives, les aberrations ne manquent pas. Notre collègue Christian Manable en a énuméré quelques-unes tout à l’heure ; je ne serais pas redondant en dressant un inventaire à la Prévert, mais les exemples sont nombreux !
Bien entendu, aucun élu ne remettra en cause les exigences de sécurité et d’accessibilité dans les pratiques sportives. Mais il est aujourd’hui évident que les limites sont dépassées. Il est grand temps de remettre les choses à plat. Ajouter les textes les uns aux autres sans jamais s’interroger sur la cohérence de l’ensemble conduit à des situations kafkaïennes. Un peu de bon sens aboutirait sans aucun doute au même résultat tout en permettant de réaliser de substantielles économies.
Et, du bon sens, nous n’en manquons pas au Sénat ! C’est même ce qui irrigue cette proposition de résolution, déposée par nos collègues Dominique de Legge, Christian Manable et Michel Savin, proposition à laquelle je m’associe bien volontiers.
Je souhaite également rappeler ici quelques préalables incontournables pour aboutir. Il est en effet indispensable que chaque partie au dossier contribue à son propre niveau à la dynamique d’ensemble et cesse de travailler en silo ! Par exemple, les fédérations doivent effectivement dialoguer entre elles. Bon nombre de celles-ci y sont prêtes. En revanche, ce dialogue doit être entrepris sous l’égide du ministère des sports, à qui il revient de l’organiser.
Bien sûr, le rôle central joué par la CERFRES doit être renforcé. La proposition de résolution le recommande, et c’est une excellente chose.
Permettre également la possibilité d’autosaisine de la CERFRES est une bonne idée, sous réserve toutefois que l’ensemble des fédérations sportives lui soumettent leur règlement. Et c’est là que le bât blesse, car rien ne les y oblige !
Pour mettre fin à la gabegie d’argent public, il n’y a pas d’autre moyen que de responsabiliser, y compris financièrement, les acteurs. La mise à contribution des fédérations et des ligues selon le principe du « prescripteur-payeur » est la mesure qui s’impose. Imputer pour moitié tout surcoût financier aux fédérations sportives qui en seraient à l’origine les inciterait sans aucun doute à la modération.
Cette mesure est déjà en place depuis plusieurs années à la Fédération française de football, via le fonds d’aide au football amateur, le FAFA, qui aide la création ou la mise en conformité d’installations sportives. Elle produit de bons résultats. Généralisons-la !
L’adaptabilité, la mutualisation et la proportionnalité recommandées dans cette proposition de résolution sont des critères incontournables.
Aussi, madame la ministre, je suis certain que vous aurez à cœur de vous attaquer avec pragmatisme à une situation qui pénalise nos collectivités et nuit au développement de la pratique sportive.
Faire un état des lieux exhaustif des textes actuels pour détecter les incohérences, les doublons et les mesures inutiles est la première des priorités ; responsabiliser financièrement les acteurs, la seconde. On agirait ainsi sur le stock et sur le flux, ce qui, chacun d’entre nous le sait, est la seule méthode valable lorsque l’on veut simplifier les règles en vigueur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à Mme Pascale Bories, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Pascale Bories. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je ne suis pas cosignataire de cette proposition de résolution. Pourtant, au regard de son contenu, j’aurais évidemment pu la soutenir dès le début ; je ne manquerai d’ailleurs pas de le faire dans quelques minutes, en l’adoptant.
En effet, sans être une spécialiste du sport, je suis, comme une grande partie d’entre vous, une élue locale qui assiste à de très nombreuses manifestations sportives. Je dirais même que le sport est devenu, dans les territoires ruraux, comme dans les communes plus importantes, notamment celles contenant des zones urbaines sensibles, un élément fédérateur qui rassemble la population sans distinction.
Le sport crée un creuset social indispensable à la vie et au développement de tous les territoires de la République. Pour ce faire, les élus locaux, au premier rang desquels les maires, sont des moteurs.
La création d’un espace sportif, comme un stade de football ou un terrain de pétanque, est un des moments forts de la concrétisation de la vie municipale ou intercommunale. Cette étape demande du temps, notamment consacré à la concertation avec les clubs sportifs, et de l’argent ; beaucoup d’argent !
Car, pour établir les devis, les élus doivent respecter non seulement la réglementation nationale – et c’est normal ! –, mais aussi les normes des fédérations. Cette addition d’obligations, ce millefeuille de normes, a pour conséquence d’alourdir le coût et l’entretien de ces équipements, d’autant plus que l’argent de l’État, via le Centre national du sport, se raréfie sensiblement.
L’État, la région et, de plus en plus souvent, le département consacrent leurs aides aux projets dits « structurants », mais pas forcément au fonctionnement. Bref, nous, élus locaux, sommes coincés par une équation de plus en plus insoluble avec, d’un côté, le renforcement des coûts et, de l’autre, la baisse des aides, notamment de l’État.
Demain, avec la baisse des dotations et le renforcement des normes, seuls quelques équipements régionaux pourront prétendre à accueillir des compétitions sportives et à être éligibles aux aides publiques. Je ne peux pas accepter cette vision d’une centralisation sportive.
Bien entendu, nous devons faire respecter des normes, et en premier lieu les normes sécuritaires, notamment face aux potentielles attaques terroristes, comme notre pays en a malheureusement connu ces derniers jours, mais aussi aux débordements de certains publics. Un terrain de tennis ou une salle de judo, ce n’est pas un hôpital ! Nous devons faire preuve de bon sens et de mesure dans les normes demandées.
D’ailleurs, la décision ne peut pas être univoque ; elle doit bien être le fruit d’un dialogue, avec, pour les collectivités, un poids dans la discussion.
La commune ou l’EPCI, maître d’ouvrage et principal financeur du projet, doit pouvoir, avec le comité ou la ligue de la fédération compétente, trouver des moyens d’éviter les coûts inutiles. Comment accepter des normes de confort alors que nos collectivités ont parfois du mal à mobiliser de l’agent public pour l’aide sociale d’urgence ? En effet, comment envisager que les normes lumineuses, par exemple, soient les mêmes à Brest ou à Tourcoing que dans le sud de la France, où l’ensoleillement est plus important, et nier parallèlement les exigences environnementales en matière d’éclairage nocturne ? Il serait d’ailleurs nécessaire de mettre en adéquation ces normes avec les normes environnementales, comme cela avait d’ailleurs été évoqué dans le cadre de la Stratégie nationale de transition écologique vers un développement durable, qui avait été adoptée en 2011 sous la présidence de M. Sarkozy. L’éclairage est, par exemple, une exigence qui peut être adaptée.
Comme cela a été souligné, la montée en ligue supérieure d’un club de football est souvent synonyme d’accroissement de subventions de fonctionnement, mais aussi, et surtout, d’aménagements de terrains, salles ou équipements et de capacités d’accueil du public plus nombreux, sans compter les exigences des fédérations et des médias.
Ainsi, comme le préconise la proposition de résolution, il faut distinguer clairement les prescriptions obligatoires des demandes dites « de confort ». Dans ce dernier cas, l’idée de prévoir une participation financière des fédérations est une piste intéressante, qui atténuera sûrement les prescriptions inutiles.
Parallèlement, donner un rôle accru à la CERFRES est une démarche cohérente. Il apparaît nécessaire que les élus locaux puissent avoir un certain poids dans l’établissement des normes.
La volonté, portée notamment par l’ANDES, d’adapter et d’ajuster les dispositions en fonction du territoire et de leur besoin me semble sage. D’ailleurs, je tiens à relayer les récentes critiques de cette association concernant les projets disproportionnés des ligues professionnelles de basket-ball et volley-ball pour renforcer la publicité dans les salles lors des matchs.
Néanmoins, notre objectif doit être non pas d’entrer dans un rapport de force avec les fédérations, mais plutôt d’approfondir le dialogue pour définir les nouvelles dispositions à appliquer.
Je tiens à saluer et à remercier mes collègues auteurs de cette proposition de résolution. Le texte permettra, j’en suis certaine, une prise de conscience, notamment de la part des fédérations, car nous devons faire des collectivités des acteurs, et non plus de simples payeurs, de la création et de l’entretien des équipements sportifs. Je soutiendrai donc cette résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Laura Flessel, ministre des sports. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, dans sa philosophie générale, la présente proposition de résolution est plus que bienvenue au regard des 400 000 normes qui s’imposent, entre autres, aux collectivités territoriales et qui régissent les 250 000 équipements sportifs qui maillent notre territoire.
Dès 2013, Jean-Claude Boulard et Alain Lambert avaient été chargés d’une mission sur la lutte contre l’inflation normative par le gouvernement de l’époque. Leurs travaux ont souligné la préoccupation des collectivités face à la multiplication des normes auxquelles elles doivent se conformer. Le rapport de la mission commune d’information du Sénat sur le sport professionnel et les collectivités territoriales, présidée par Michel Savin, ainsi qu’un rapport de l’IGAS datant de 2015 arrivaient à un constat voisin.
Les collectivités territoriales sont de très loin les premiers financeurs du sport ; je sais l’importance qu’accordent nos élus aux problématiques de sécurité et d’accessibilité. Mais, parallèlement, je n’ignore pas que ce corpus normatif n’est pas sans poser de problèmes et est généralement vécu comme une contrainte, du point de vue tant de la compétitivité que de la mise aux normes.
Une consolidation apparaît donc nécessaire ; je pense que nous nous entendons parfaitement sur ce point.
Conscient de l’impact de certaines règles édictées par les fédérations et à l’écoute de la préoccupation des élus territoriaux, le ministère des sports a déjà renforcé le rôle de la CERFRES, en affermissant celui des collectivités territoriales. Aujourd’hui, la CERFRES est ainsi composée d’un tiers de représentants des collectivités territoriales, d’un tiers de représentants de l’État et d’un tiers de représentants du mouvement sportif. Son président est par ailleurs élu au sein des membres du collège des collectivités territoriales.
Aujourd’hui, dans le projet de résolution qu’il présente, le Sénat entend renforcer le rôle de la CERFRES, en préconisant simultanément des améliorations de son fonctionnement, mais aussi un renforcement de son champ de compétences. Ces propositions d’évolution sont pertinentes. Elles correspondent aux évolutions discutées et souhaitées au sein même de cette commission.
Il est à noter que cette proposition de résolution s’inscrit pleinement dans la démarche du Gouvernement. Comme vous le savez, le Premier ministre a confié, au début de 2018, à MM. Lambert et Boulard une nouvelle mission relative à la simplification des normes et les règles relatives aux équipements sportifs seront évaluées.
Les propositions contenues dans cette résolution sénatoriale consolident donc la démarche générale de simplification, fondée sur une évaluation partagée avec l’ensemble des parties prenantes. Je souscris à la philosophie des propositions d’ordre réglementaire. Je souhaite qu’elles inspirent la réforme que nous conduirons dans cette matière.
Plus précisément, concernant le fonctionnement de la CERFRES, intégrer des élus d’intercommunalités et de communes rurales au sein du collège des élus permettra en effet d’en renforcer la représentativité et de mieux prendre en compte les différentes spécificités territoriales.
L’allongement de deux mois à trois mois du délai d’examen des projets de règlement permettra de consolider les échanges entre les différents acteurs et facilitera la prise en compte de l’avis des élus quant à l’impact des règles proposées.
La procédure d’articulation entre le CNEN et la CERFRES a été mise en place dès 2013, à la suite du premier rapport Boulard-Lambert, mais il n’a pas été nécessaire de l’activer. Cela tend à démontrer la réussite de la concertation entre les différents acteurs au sein de la CERFRES. Il est par ailleurs important de rappeler que, en sus de l’existence de cette procédure, un membre du CNEN participe aux travaux de la commission et que la CERFRES présente annuellement un rapport devant le CNEN.
Concernant le renforcement du champ de compétences de la CERFRES, la possibilité de réexaminer des règlements fédéraux après un délai de mise en œuvre, afin d’en faire l’évaluation et de pouvoir tenir compte de l’expérience des collectivités territoriales, reprend l’une des réflexions menées lors de la réunion de cette commission au mois de décembre 2017. La mise en œuvre de cette procédure permettrait en effet, en prenant en compte l’expérience du terrain, de réévaluer l’impact d’un règlement et, potentiellement, d’en rediscuter la mise en œuvre avec la fédération émettrice.
Le pouvoir d’autosaisine de la commission est aussi une piste de réflexion souhaitée au sein de CERFRES. Celle-ci, qui regroupe les différents acteurs concernés, semble en effet le lieu de concertation privilégié pour discuter d’évolutions réglementaires pouvant avoir un impact positif sur le fonctionnement des équipements sportifs. Il est à noter que la CERFRES a déjà été à l’initiative de deux modifications réglementaires récentes ayant eu un impact significatif sur les finances locales : la diminution du nombre de vidanges obligatoires dans les bassins de natation et la modification du décret « buts ».
Permettre à la CERFRES de se saisir systématiquement des labels d’ordre commercial des ligues professionnelles et autres recommandations, les « normes grises », ou de toute règle ayant un impact sur l’exploitation des équipements va aussi dans le sens d’une démarche générale de simplification fondée sur une évaluation partagée avec l’ensemble des parties prenantes, et notamment de la prise en compte des propriétaires des équipements.
Ce sujet n’a cependant pas été discuté à ce stade avec le mouvement sportif et nécessiterait une concertation préalable.
La disposition relative à la règle « prescripteur-payeur », envisagée, mais sans être proposée dans le projet de résolution, s’applique déjà en partie dans le cadre des conventions de mise à disposition des équipements entre les propriétaires et les utilisateurs. Pour éviter un risque de blocage du développement et de la sécurisation des activités sportives, il semblerait au préalable important d’en circonscrire le champ d’application en l’envisageant notamment pour les « normes grises ».
La proposition de résolution sénatoriale s’inscrit donc pleinement dans la démarche générale de simplification et dans la volonté du Gouvernement de réduire l’impact des normes sur les collectivités locales. Elle rejoint également les évolutions qui étaient souhaitées par les acteurs de la CERFRES pour le renforcement de son action, soucieux de ne pas altérer le développement de l’offre de pratique sportive tout en préservant les finances locales.
En outre, les mesures de renforcement préconisées pourraient également associer le positionnement de la CERFRES, intégrée comme sous-commission du Conseil national du sport depuis 2013. En effet, alors que l’avenir du CNS est en débat, notamment dans le cadre des réflexions lancées par le ministère des sports, le Comité national olympique et sportif français, le CNOSF, ainsi que les collectivités territoriales sur la gouvernance du sport, la CERFRES pourrait gagner en visibilité par un renforcement de son autonomie ou encore un rapprochement du CNEN.
Mesdames, messieurs les sénateurs, les propositions formulées dans cette proposition de résolution vont dans le bon sens, celui du dialogue et de la coconstruction nécessaires entre fédérations et collectivités.
Le Gouvernement est très sensible à cette méthode. C’est aussi dans cette optique que le Premier ministre a lancé un groupe de travail Lambert-Boulard sur la maîtrise des normes applicables aux collectivités territoriales. Je suis persuadée qu’il saura prendre en compte vos propositions dans ses travaux. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous allons procéder au vote sur la proposition de résolution.
proposition de résolution tendant à mieux maîtriser le poids de la réglementation applicable aux collectivités territoriales et à simplifier certaines normes réglementaires relatives à la pratique et aux équipements sportifs
Le Sénat,
Vu l’article 34-1 de la Constitution,
Considérant la nécessité de simplifier l’édifice normatif applicable aux collectivités territoriales afin de desserrer les contraintes et alléger les coûts pesant sur elles,
Considérant que les collectivités territoriales sont aujourd’hui garantes du dynamisme sportif dans les territoires et les principaux financeurs du milieu sportif avec chaque année près de 13 milliards d’euros investis dans le sport pour 36 millions de pratiquants dans notre pays,
Considérant, selon le recensement des équipements sportifs (RES) réalisé par les services du Ministère des Sports, que les collectivités territoriales sont propriétaires de 80 % des 330 000 équipements sportifs en France,
Considérant que les collectivités territoriales mettent ces infrastructures à la disposition des clubs et doivent faire face aux travaux d’entretien ou de rénovation, voire de construction de nouveaux équipements, et que ces charges sont largement impactées par l’activité réglementaire exercée par les fédérations sportives,
Considérant que les exigences formulées par les fédérations sportives, parfois pour des motifs d’ordre commerciaux, sont jugées de plus en plus excessives par les collectivités territoriales,
Considérant qu’il existe 400 000 normes, réglementations et prescriptions applicables aux équipements sportifs des collectivités territoriales, dont 33 000 normes AFNOR,
Considérant que le coût induit par ces normes entre 2008 et 2014 s’est élevé à 6 milliards d’euros (selon l’ANDES) pour les collectivités territoriales,
Considérant la nécessité de faire preuve d’engagements financiers raisonnables, y compris pour faire vivre le mouvement sportif, dans un contexte de raréfaction des ressources publiques,
Considérant que dans le contexte d’efforts demandés aux collectivités territoriales pour réduire leurs dépenses, il est important que celles-ci soient bien associées en amont de toutes les mesures ayant un impact sur leur financement,
Estime nécessaire de :
– Préserver la Commission d’examen des projets de règlements fédéraux relatifs aux équipements sportifs (CERFRES) dans son rôle d’instance de concertation privilégiée entre les collectivités territoriales, l’État et le monde sportif, en envisageant un renforcement de ses prérogatives ;
– Allonger les délais d’examen des projets de règlements fédéraux de deux à trois mois pour la phase de consultation de la notice d’impact produite par la fédération sportive concernée à l’appui de toute norme nouvelle ; cet allongement des délais devrait permettre aux différents acteurs de bénéficier d’un temps supplémentaire pour effectuer une analyse plus approfondie et, en particulier, permettre aux fédérations une fertilisation croisée des initiatives et aux collectivités territoriales une meilleure évaluation des impacts financiers des normes nouvelles ;
– Sensibiliser les fédérations sportives sur la nécessité de bien veiller à laisser aux collectivités territoriales un délai raisonnable pour la mise en conformité de leurs équipements ou infrastructures aux normes nouvelles ; un tel principe doit pouvoir guider les fédérations lors de l’élaboration des notices d’impact ; en particulier, inciter les fédérations à élaborer des échéanciers prévoyant une date butoir d’opposabilité des normes nouvelles, tenant compte par exemple de la taille de la collectivité ; la progressivité dans la mise aux normes doit être fixée selon les contraintes locales et les réalités territoriales ;
– Envisager, avec les associations d’élus concernées (Association des maires de France, l’Assemblée des départements de France, Régions de France, France urbaine, l’Assemblée des communautés de France), un élargissement de la composition de la CERFRES afin de mieux prendre en compte le monde rural ainsi que les intercommunalités de plus en plus nombreuses à exercer des compétences en matière de sport ;
– Réfléchir, avec les représentants actuels (État, collectivités, monde sportif), à la création de groupes de travail associant en amont la CERFRES et les fabricants d’équipements sportifs, afin de bénéficier de leur expertise mais sans que ceux-ci ne participent aux délibérations de cette instance ;
– Permettre à la CERFRES de se saisir des « normes grises », à mi-chemin entre la norme obligatoire et non obligatoire, que constituent les labels d’ordre commerciaux des ligues professionnelles et autres recommandations non obligatoires des fédérations sportives ressenties comme une pression par les élus locaux ;
– Reconnaître à la CERFRES un pouvoir d’avis dès lors qu’une décision relative à la compétition a une conséquence directe sur l’exploitation d’un équipement ;
– Rappeler la nécessité que les avis rendus par la CERFRES soient effectivement appliqués par les fédérations pour préserver une régulation souple ;
– Renforcer les compétences d’évaluation de la CERFRES en prévoyant, par exemple, une révision régulière des normes tenant compte de l’expérience des collectivités territoriales ;
– Encourager la CERFRES à réactiver la procédure existante de saisine du Conseil national d’évaluation des normes (CNEN) afin qu’il puisse examiner tout projet de texte d’une norme fédérale, avant que celle-ci rende son avis définitif ; un usage plus systématique de cette faculté aujourd’hui largement inutilisée autoriserait une meilleure articulation et un échange plus régulier entre ces instances ;
– Veiller à ce que les fédérations sportives adaptent leurs normes à l’usage réel d’un équipement en s’assurant en particulier d’une proportionnalité des prescriptions selon qu’il s’agisse de manifestations sportives locales, régionales ou nationales, de sport amateur et/ou professionnel ;
– Réaliser un classement des équipements sportifs au niveau national afin de permettre une mutualisation au bénéfice des collectivités territoriales, tous les équipements n’ayant pas vocation à accueillir des rencontres internationales ou de haut niveau ;
– Encourager les fédérations à dialoguer et à s’entendre sur l’utilisation d’un même équipement, à travers, par exemple, la rédaction de « guides d’utilisation commune » des salles et des équipements sportifs ; confrontés à des problèmes de moyens, les collectivités territoriales doivent être en mesure de rendre les infrastructures ou les équipements sportifs « multiusages », c’est-à-dire accessibles à plusieurs types d’utilisateurs ;
– Mettre en œuvre le principe de subsidiarité dans l’application des normes, en prévoyant que les textes des fédérations sportives se bornent à fixer des objectifs à atteindre, à charge pour les collectivités territoriales d’en définir les modalités d’application pour y parvenir ; les collectivités doivent définir les moyens selon les besoins locaux et les réalités territoriales ;
– Envisager une application différenciée des normes et règles d’homologation selon les différents espaces (hall d’accueil, vestiaires, tribunes, espace de restauration, terrain, etc.) d’une même infrastructure sportive pour tenir compte de son usage réel. Un équipement sportif n’étant pas homogène, une forme de « zonage » doit pouvoir être envisagée afin d’appliquer la norme de façon intelligente en fonction des besoins. S’agissant par exemple des normes handicap, il ne s’agit en aucun cas de remettre en cause l’effort nécessaire pour renforcer l’accessibilité des équipements, mais de privilégier une programmation locale souple priorisant les investissements à réaliser plutôt que l’application « automatique » de normes conçues pour l’ensemble des bâtiments accueillant du public ;
– Réfléchir à la mise en place d’une contribution financière des fédérations sportives à l’impact des règlements qu’elles édictent selon une règle du « prescripteur-payeur » ; prévoir que tout surcoût financier pour les collectivités territoriales imputables aux fédérations sportives soit partagé avec ces dernières ;
– Inciter la CERFRES à s’auto-saisir à la demande d’une collectivité territoriale d’un problème rencontré concernant une norme fédérale.
Vote sur l’ensemble
M. le président. Mes chers collègues, je rappelle que la conférence des présidents a décidé que les interventions des orateurs valaient explication de vote.
Je mets aux voix la proposition de résolution.
(La proposition de résolution est adoptée.)
M. le président. Je constate que la proposition de résolution a été adoptée à l’unanimité des présents. (Applaudissements.)
5
Avenir des lignes LGV et aménagement du territoire
Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains, sur « les scénarios du rapport du Conseil d’orientation des infrastructures du 1er février 2018 au regard de l’avenir des lignes LGV et de l’aménagement du territoire ».
Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
Je vous rappelle que l’auteur du débat disposera d’un temps de parole de dix minutes, y compris la réplique, puis le Gouvernement répondra pour une durée équivalente.
Dans le débat, la parole est à M. Gérard Cornu, pour le groupe auteur de la demande.
M. Gérard Cornu, pour le groupe Les Républicains. Je me réjouis de l’initiative du groupe Les Républicains qui permet de débattre sereinement des conclusions du Conseil d’orientation des infrastructures, le COI, sur un sujet caractérisé depuis trop longtemps, il faut oser le dire, par les annonces et la fuite en avant, et par une technique bien connue en politique et bien éprouvée, qui veut que les promesses n’engagent que ceux qui les reçoivent !
La mission confiée au COI consistait donc à évaluer les besoins en termes de mobilité, à étudier les projets de transport sur tout le territoire et à les prioriser selon une grille comportant six critères d’évaluation : environnement, mobilité pour tous-solidarité, qualité de vie-efficience, sécurité et sûreté, aménagement du territoire, enfin création de valeur socio-économique. Il s’agissait aussi de trouver des pistes de financement associées, en fonction des différents scénarios.
Car avec une dette publique établie à 2 500 milliards d’euros à la fin de l’année 2017, soit plus de 95 % de notre PIB, il est plus que temps de céder enfin au réalisme, d’en finir avec les promesses qui n’engendrent que frustrations et déceptions, et donc de tenir compte de la contrainte financière. C’est également ce que préconise le rapport Spinetta, qui ne fait que renforcer les conclusions du COI.
Partageant a priori cette approche faite de rigueur et de pragmatisme, j’ai accepté d’être membre du COI, composé de dix élus locaux, nationaux et européens de différentes sensibilités politiques, et de six personnalités qualifiées. J’ai d’ailleurs eu le plaisir de retrouver deux collègues sénateurs, Hervé Maurey et Michel Dagbert, ainsi que notre ancien collègue Louis Nègre, spécialiste de ces sujets. Le rapport du COI s’intitule Mobilité du quotidien : répondre aux urgences et préparer l’avenir. On ne saurait mieux dire !
Certaines réactions à ce rapport ont été vives, ce n’est pas une surprise. Je le comprends d’ailleurs, d’autant que le rôle des élus, notamment des sénateurs, est de défendre ardemment leur territoire. Ils le font avec pugnacité et compétence, ce que nul ne peut leur reprocher.
Cependant, ce rapport est guidé par une logique forte, qui vise à transformer en actes les intentions affichées. Si l’expression des politiques générales est admise par tous, en tirer les conséquences concrètes, en rupture avec les habitudes antérieures, est forcément plus délicat.
Il n’est pas question de délaisser le ferroviaire ni de se désengager des territoires ruraux, comme on a pu l’entendre dire depuis la parution du rapport.
Il n’est pas question non plus de ne maintenir que les lignes qui seraient considérées comme rentables ou susceptibles de l’être.
Il est question, simplement, de mieux prioriser les dépenses de l’État : le transport ferroviaire doit répondre à des besoins effectifs. Si l’on estime que l’on ne peut plus se permettre de maintenir un trafic qui ne serait pas suffisamment utile, il est bien évident qu’il faut trouver des modes alternatifs de transport permettant aux habitants de circuler le plus facilement possible.
Le travail du COI a donc consisté à analyser une série de projets et leur coût, face aux crédits disponibles – j’insiste bien sur ce dernier point.
Depuis octobre 2017, de multiples auditions, réunions et déplacements ont eu lieu. Plus de quarante projets ont été passés en revue, dont une demi-douzaine de LGV et une quinzaine de tronçons autoroutiers, sans oublier les projets fluviaux.
Nous avons discuté, fait des choix et proposé au Gouvernement trois scénarios, construits à partir du périmètre actuel des transports de l’État, dans tous les modes, excepté l’aérien qui sera traité dans le cadre des Assises de l’aérien.
Trois scénarios donc, l’un à 48 milliards d’euros, l’autre à 60 milliards d’euros et enfin le dernier à 80 milliards d’euros. C’est-à-dire que le COI a fait le choix de repousser plus ou moins loin dans le temps les grands travaux en les découpant, dans certains cas, en phases successives.
Le premier scénario est celui de l’orthodoxie financière. Il prévoit sans ressources supplémentaires d’accorder 2,4 milliards d’euros par an à l’Agence de financement des infrastructures de transport de France, l’AFITF, soit 48 milliards d’euros en vingt ans, ce qui laisse très peu de marges de manœuvre et oblige à une pause de cinq à dix ans pour les grands projets. Ce scénario repousse autour de 2050 l’ambition de les avoir achevés. C’est finalement un scénario « au fil de l’eau », qui s’éloigne assez peu de la politique qui a toujours prévalu jusqu’à présent. Il n’a pas ma préférence, même s’il a le mérite d’avoir été mis noir sur blanc.
Le deuxième scénario prévoit 60 milliards d’euros en vingt ans pour l’AFITF, soit 3 milliards d’euros de dépenses par an – 55 % au-dessus des dépenses 2012-2016. Il s’agit de consentir un effort accru, considérable et soutenu dans la durée pour affecter 600 millions d’euros supplémentaires à l’AFITF à partir de recettes existantes ou de nouvelles recettes à trouver. Ce scénario permet d’avancer les premières phases des grands projets les plus utiles et de réduire la saturation des principaux nœuds ferroviaires. Les projets sont ensuite poursuivis de façon progressive.
L’effort est encore accru avec le troisième scénario, qui prévoit 80 milliards en vingt ans pour l’AFITF, soit 3,5 milliards d’euros par an à court terme d’ici à 2022, puis 4,4 milliards d’euros par an durant les dix années suivantes, et ensuite 4 milliards d’euros par an. Ce scénario, qui conduit à doubler pendant au moins dix ans la dépense, précise les possibilités concrètes pour accélérer telle ou telle opération. Néanmoins, d’après le COI, un tel niveau semble difficile à atteindre, d’une part, pour les collectivités territoriales appelées à cofinancer, d’autre part, pour l’État supposé être en mesure de dégager des moyens accrus.
Cela étant, j’assume, quel que soit le scénario qui sera finalement retenu par le Gouvernement, la priorité accordée dans le rapport à la résorption des nœuds ferroviaires, car ceux-ci sont à l’origine de nombreux dysfonctionnements. J’assume également le choix de la rénovation des trains du quotidien au détriment de la création de lignes nouvelles, dont les financements sont de toute façon impossibles à identifier, du côté de l’État comme des collectivités locales.
Oui, il est absolument fondamental de traiter prioritairement les nœuds ferroviaires afin de rendre les gares plus efficaces et fiables, de décongestionner les accès aux principales gares et de préparer la création de lignes nouvelles, sous peine de contribuer encore plus à leur saturation. C’est une urgence et une priorité absolue.
Les usagers ne savent pas toujours qu’un train à l’arrêt n’est pas forcément en panne et qu’il peut tout simplement être obligé d’attendre son tour. S’agissant des TGV, cet engorgement, ces retards ne sont pas admissibles. Il n’est pas non plus admissible que les TGV soient trop souvent contraints de ralentir à l’approche des gares, alors qu’ils sont conçus pour rouler à une vitesse bien plus élevée. La résorption des nœuds ferroviaires permettra aux TGV circulant de conserver leur vitesse optimale. À quoi sert-il d’avoir construit des lignes spécifiques si les TGV sont obligés d’y rouler à la vitesse de TER à cause des nœuds ferroviaires ?
Les nœuds ferroviaires franciliens qui perturbent l’accès aux grandes gares franciliennes doivent être prioritairement décongestionnés, et pas seulement à Paris. On parle trop souvent – à tort selon moi– de Paris, qui aurait été privilégié.
Il faut également traiter le nœud ferroviaire lyonnais, qui présente le plus grand caractère d’urgence. Mais aussi traiter les nœuds ferroviaires du nord de Toulouse et du sud de Bordeaux, Marseille et Nice, sans oublier – le rapport le précise d’ailleurs – d’agir rapidement sur des nœuds de plus petite ampleur.
La prochaine ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs est devenue inéluctable depuis l’adoption du quatrième « paquet ferroviaire » en décembre 2016. Nous en discuterons tout à l’heure lors de l’examen de la proposition de loi d’Hervé Maurey, président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable du Sénat, et de Louis Nègre, notre ancien collègue sénateur. Cette ouverture impose la mise à niveau de notre patrimoine ferroviaire, qui a commencé à se déliter avec la priorité accordée à la création de nouvelles lignes de TGV.
C’est pourquoi le COI a insisté, au-delà des nœuds ferroviaires, sur le maillage du territoire, en préconisant la régénération des lignes de trains du quotidien et la rénovation des lignes ferroviaires existantes.
Pour conclure, est-ce la fin de l’histoire pour les projets qui ne sont pas retenus par le Conseil d’orientation des infrastructures ? Bien sûr que non ! Le COI a rejeté très peu de projets. Dans la plupart des cas, il a simplement considéré que tel ou tel projet était moins prioritaire et pouvait attendre. Ces projets pourront donc être réexaminés dans le cadre d’une clause de revoyure.
Le COI a fait des propositions en vue d’une programmation qui a vocation à être inscrite dans la loi d’orientation sur les mobilités. Il appartient maintenant au Gouvernement de décider des suites qu’il entend donner à ces propositions, puis de les traduire dans un projet de loi soumis à la représentation nationale. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
M. le président. Je vous remercie, mon cher collègue, d’avoir strictement respecté les dix minutes imparties. Néanmoins, comme vous avez totalement épuisé votre temps de parole, vous n’aurez plus aucune possibilité de répondre à la fin du débat.
La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, lors de son discours du 1er juillet à Rennes, le Président de la République a souhaité que la politique des mobilités se recentre sur les préoccupations premières de nos concitoyens et de nos entreprises : les transports du quotidien, la lutte contre la congestion des grandes agglomérations, l’accès à l’emploi et aux services dans les territoires, l’optimisation de nos systèmes logistiques. Il a voulu également que cette réforme s’engage dès le début du quinquennat.
Les besoins de nos territoires, de nos concitoyens, de nos entreprises, évoluent, vous le savez, rapidement, et le secteur des transports doit contribuer activement à la transition écologique, dans un contexte marqué par les contraintes qui pèsent sur les capacités financières des pouvoirs publics : sur celles de l’État et, j’en suis consciente, sur celles des collectivités.
L’État et les collectivités territoriales doivent donc anticiper et accompagner ces évolutions en révisant en profondeur leurs stratégies et leurs modes d’action.
En effet, pour ne prendre que l’exemple du ferroviaire qui sera au cœur de nos échanges pendant les prochains jours, si l’inauguration de quatre lignes à grande vitesse au cours des deux dernières années peut être un légitime motif de satisfaction, voire de fierté, qui peut se satisfaire de la dégradation continue de nos infrastructures de transports, des 5 300 kilomètres de notre réseau ferré sur lesquels nos trains circulent au ralenti et ne sont plus à même de répondre aux besoins des usagers ?
Il y a donc urgence à revisiter nos choix d’investissement et, là où des promesses non financées ont longtemps créé de faux espoirs, abîmé la confiance de nos concitoyens dans les engagements de l’État, nourri le sentiment d’abandon de nombreux territoires, nous voulons leur proposer un nouveau cadre d’action et de programmation tourné vers les besoins du quotidien, équilibré en ressources et en dépenses.
Ce besoin de changement, votre Haute Assemblée l’appelle de ses vœux depuis plusieurs années.
Ce besoin de changement, nos concitoyens l’ont exprimé avec impatience dans les ateliers territoriaux des Assises nationales de la mobilité.
Cette impatience, celle dont vous êtes également les témoins dans vos territoires, je la comprends, je la partage et je mesure l’urgence de lui apporter une réponse, au risque de voir se creuser les fractures sociales et territoriales.
Le Gouvernement s’est donc employé à ouvrir une page nouvelle, faite d’écoute, de cohérence et de sincérité.
C’est le sens de la mise en place en septembre dernier du Conseil d’orientation des infrastructures, présidé par Philippe Duron. Ce conseil, je l’ai souhaité composé de femmes et d’hommes en prise directe avec les besoins des territoires et de nos concitoyens. J’ai souhaité qu’il représente la diversité des collectivités territoriales. J’ai souhaité que ses travaux puissent s’enrichir de la diversité des horizons tant professionnels que politiques de ses membres.
Permettez-moi de saluer, devant vous, l’engagement de vos collègues qui ont activement contribué aux travaux du COI : Hervé Maurey, président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable du Sénat, Gérard Cornu, que je remercie d’être à l’initiative de ce débat, et Michel Dagbert. La mission confiée était ardue, ils n’ont ménagé ni leur temps ni leurs efforts pour réussir cette ambition collective.
Au final, c’est bien à l’unanimité des membres du COI que le rapport qui m’a été remis le 1er février dernier a été adopté. Il débouchera, vous le savez, sur une loi de programmation qui vous sera présentée dans les prochaines semaines, et répondra ainsi à la première recommandation formulée par la commission des finances du Sénat en septembre 2016 dans son rapport Infrastructures de transport : sélectionner rigoureusement, financer durablement. Celui-ci préconisait d’« adopter, au début de chaque législature, une loi de programmation des infrastructures de transport, établissant une liste hiérarchisée des grands projets et une programmation financière pluriannuelle, sur la base des travaux d’une commission permanente composée d’élus nationaux, locaux et d’experts, qui sera ensuite chargée d’examiner tous les ans l’avancement des projets programmés et de proposer, le cas échéant, des ajustements ». Cette recommandation ne restera pas lettre morte.
C’est l’objectif même de la démarche dans laquelle le Gouvernement s’est engagé.
C’est l’exercice courageux auquel se sont employés les membres du COI durant quatre mois d’un travail considérable qui fera date, ponctué par plus de cinq cents auditions.
Ce rapport réinterroge de fond en comble notre politique d’investissements dans les infrastructures, en repartant d’une question simple et primordiale : à quels besoins devons-nous répondre en priorité ?
Il propose trois scénarios. C’est là aussi le caractère inédit de ce travail : les membres du COI ont placé les besoins d’investissements face aux réalités des moyens que nous devons y consacrer.
Le scénario n° 1, à ressources constantes, permet juste de satisfaire les besoins d’entretien du patrimoine existant. Il fait donc preuve de sincérité en montrant ce qu’il est possible de faire à ressources constantes.
Le scénario n° 2 permet de répondre aux priorités fixées par le Président de la République et nécessite d’affecter au secteur des transports des moyens supplémentaires significatifs, à hauteur de 600 millions d’euros par an.
Le scénario n° 3 correspond à l’accélération des projets du scénario n° 2 pour mieux répondre aux attentes des territoires. Cependant, il mobilise environ 80 milliards d’euros en vingt ans en direction de l’AFITF, soit un doublement des dépenses par rapport à la période 2012-2016, et ce pendant au moins dix ans.
Les trois scénarios, je le répète, ont le mérite de la cohérence. Ils mettent tout le monde face à la complexité et à la réalité de l’équation qui s’impose à nous.
Quel que soit le scénario que nous choisirons, le rapport nous recommande un certain nombre de priorités. Je dois dire que j’y ai retrouvé beaucoup de mes convictions ! Elles répondent en effet toutes au cœur du combat que je mène pour les transports du quotidien.
Il préconise tout d’abord l’entretien et la régénération des réseaux existants. Chacun a en tête les innombrables exemples d’un réseau, qu’il soit ferroviaire, routier ou fluvial, qui marque des signes de fatigue par manque d’entretien. Ce n’est tout simplement plus tenable. Il s’agit là d’un besoin que je qualifierai d’élémentaire, de vital !
L’autre priorité mise en avant, à laquelle je sais que vous êtes particulièrement attentifs, est le désenclavement de tous nos territoires. Voilà un exemple d’une politique d’infrastructures qui ne tourne plus rond : c’est ce que je me dis quand, dans mes déplacements, je suis confrontée à des habitants, à des élus, qui désespèrent de voir la modernisation de certains axes routiers repoussée de contrat de plan en contrat de plan, de décennie en décennie, alors que ces chantiers sont pourtant indispensables ! Il ne s’agit pas de grands travaux, mais de contournements de bourgs, d’aménagements de sécurité, de créneaux de dépassement, indispensables pour relier correctement tout notre territoire.
Je l’ai indiqué, je suis convaincue que ce désenclavement routier peut être achevé en l’espace d’une décennie. Voilà une belle ambition, une ambition utile !
De la même façon, le ferroviaire doit pleinement s’adapter à l’émergence des métropoles où nous devons renforcer la place du train pour transporter beaucoup de voyageurs. Il nous faut en effet, comme vous l’avez souligné à juste titre, monsieur Cornu, traiter les nœuds ferroviaires pour rendre nos plus grandes gares pleinement efficaces et fiables.
La place du ferroviaire reste naturellement essentielle dans le désenclavement des territoires au travers des « petites lignes », terme impropre pour qualifier des lignes souvent essentielles aux besoins de mobilité de nombreux territoires.
La dernière priorité est celle des mobilités douces, dont le vélo, bien sûr. Je me suis réjouie que le COI ait fait de ce mode de transport propre, extrêmement pertinent sur de nombreux trajets du quotidien, un élément central d’une politique d’équipement. Cela participe d’une prise de conscience en faveur de laquelle je milite beaucoup.
Quant aux projets d’infrastructures tant discutés, le COI a apporté au débat une vision nouvelle, qui me semble extrêmement novatrice et utile. En effet, sur bon nombre de projets, le débat ne peut se résumer à la question de faire ou de ne pas faire. Le rapport souligne parfaitement qu’un grand projet peut très bien se réaliser et répondre à nos priorités, selon le rythme et le phasage qu’on lui donne.
Le rapport du COI ouvre, je le souhaite, une nouvelle page et une nouvelle approche dans nos choix d’investissement. Il nous donne les outils nécessaires pour sortir des impasses financières et politiques sans renoncer à notre ambition collective de répondre aux besoins de mobilité de nos concitoyens.
En effet, il ne s’agit pas de dépenser moins, de faire des économies. Nous aurons même à investir plus, à engager davantage de moyens pour nos infrastructures ! Mais l’enjeu est aussi et d’abord d’investir mieux, c’est-à-dire de faire des choix pertinents pour nos concitoyens, de répondre à leurs besoins, de telle sorte que chaque euro investi soit le plus utile possible.
Le Gouvernement fera bientôt connaître ses choix. Il vous appartiendra de débattre de ces investissements et d’une programmation sincère de nos infrastructures pour les prochaines années, à la fois pour améliorer le quotidien de chacun, mais aussi pour la crédibilité de la parole publique.
Ce débat, nous l’engageons aujourd’hui, et je m’en réjouis, car je suis convaincue qu’il viendra très utilement compléter les nombreuses consultations que j’ai engagées depuis le mois de février et qui m’ont permis d’échanger directement avec certains d’entre vous.
À l’aune de ce débat, consciente que de vos travées trouveront à s’exprimer les légitimes attentes des territoires que vous représentez, je veux vous rendre attentifs au défi que nous avons à relever ensemble, celui de définir une stratégie ambitieuse, réaliste et cohérente, car, pour reprendre les propos de vos collègues Hervé Maurey et Louis-Jean de Nicolaÿ dans leur rapport de mai dernier, « si chacun de ces projets, pris individuellement, peut paraître fondé, leur agrégation ne répond à aucun moment à une stratégie d’ensemble véritablement réfléchie et intégrée ». C’est cette stratégie que je souhaite pouvoir construire avec vous ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
Débat interactif
M. le président. Je rappelle que les auteurs des questions disposent de deux minutes au maximum, y compris la réplique. Le Gouvernement a la possibilité d’y répondre pour une durée équivalente.
Dans le débat interactif, la parole est à Mme Denise Saint-Pé.
Mme Denise Saint-Pé. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, 105 kilomètres, c’est la distance de la ligne LGV Bordeaux-Dax que le rapport Duron condamne.
Ce projet, qui avait été étudié et débattu dans le cadre du Grand projet du Sud-Ouest, le GPSO, a été repoussé à un horizon incertain, alors qu’il avait été validé par le territoire.
Il ne s’agit pas d’une discussion technocratique, car le GPSO bénéficie d’un important soutien populaire, comme l’atteste un récent sondage IFOP Sud-Ouest : 80 % des sondés en Nouvelle-Aquitaine sont favorables à la ligne Bordeaux-Toulouse et 78 % à la ligne Bordeaux-Dax.
Cette ligne Bordeaux-Dax est le maillon essentiel de l’axe ferroviaire du sud-ouest de l’Europe ; c’est « le » premier maillon de la future connexion du réseau ferré français au réseau espagnol.
Qu’on ne s’y trompe pas, l’axe ferroviaire Paris-Bordeaux-Valladolid-Madrid est considéré comme l’un des axes stratégiques du réseau européen pour relier la péninsule ibérique au reste de l’Europe par la façade atlantique, tant pour le fret que pour le trafic voyageurs.
Les temps de parcours compétitifs, l’augmentation du nombre de dessertes ferroviaires constituent de réels gains de performances. À l’échelle de la France, GPSO place Pau sous la barre des 4 heures pour rallier Paris, seuil essentiel pour le report modal de plus de la moitié des passagers de l’avion vers le rail.
D’autant plus que la ligne Dax-Espagne est envisagée comme une solution de transport écologique et durable en réponse au trafic de poids lourds et aux 44 millions de tonnes de marchandises qui franchissent chaque année la frontière entre la France et l’Espagne.
Seule la ligne complémentaire à l’offre TER au sud de Bordeaux rendra possible l’augmentation de capacité nécessaire au développement du fret ferroviaire de Bordeaux à Hendaye.
M. le président. Veuillez conclure !
Mme Denise Saint-Pé. Madame la ministre, quelles perspectives envisagez-vous dans la future loi d’orientation sur les mobilités pour la ligne LGV Bordeaux-Dax ? (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste. – Mme Florence Lassarade applaudit également.)
M. le président. J’invite les différents orateurs à respecter strictement les temps de parole.
La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Madame la sénatrice, je mène un dialogue permanent avec les collectivités de Nouvelle-Aquitaine, notamment avec le président du conseil régional, Alain Rousset. J’ai encore échangé récemment avec une délégation d’élus conduite par ma collègue Geneviève Darrieussecq.
Le COI souligne que le GPSO représente un coût très important eu égard aux trajectoires financières et aux ressources disponibles.
En outre, de façon très lucide, le COI indique qu’il est nécessaire, quel que soit le phasage du projet, de commencer par la désaturation des nœuds ferroviaires de Bordeaux et de Toulouse. C’est une priorité, et ce quel que soit le phasage. Il est donc important que l’ensemble des partenaires se mobilisent autour de cet objectif.
S’agissant plus précisément du trajet Bordeaux-Dax, le COI a proposé de différer le financement de la ligne à une étape ultérieure, mais également de sécuriser le tracé prévu, qui a fait l’objet d’une déclaration d’utilité publique. Sans attendre la réalisation de ce projet, il convient aussi d’étudier avec SNCF Réseau les améliorations concrètes pouvant être apportées aux lignes existantes, les reports modaux, notamment pour les poids lourds, ne devant pas attendre la mise en service de la future ligne à grande vitesse.
Comme vous le savez, les collectivités territoriales ont également proposé de travailler sur des sources de financement complémentaires. Nous sommes en train d’étudier toutes les propositions. C’est en intégrant ces sources de financement complémentaire à l’échelle des régions Nouvelle-Aquitaine et Occitanie que nous présenterons à votre assemblée, dans le cadre de la loi de programmation, un phasage complet du projet GPSO.
M. le président. La parole est à M. Michel Dagbert.
M. Michel Dagbert. Madame la ministre, vous ne serez pas étonnée de m’entendre saluer le travail réalisé par le Conseil d’orientation des infrastructures.
En effet, il était plus qu’utile de lister de la manière la plus exhaustive possible l’ensemble des infrastructures dont certaines sont légitimement attendues par les territoires, par nos concitoyens et par les élus qui les portent.
Le COI propose trois hypothèses faisant chacune apparaître le besoin de financement en regard du scénario retenu.
Pour autant, nos concitoyens sont habitués à ce qu’on leur donne à fois la température qu’il fera demain et la température ressentie ! (Sourires.) Une fois de plus, le constat est amer pour les élus des territoires à la suite de la publication du rapport, puisque nous pourrions superposer plusieurs cartes : celle des déserts médicaux, celle des fermetures de classes dans les secteurs ruraux, celle des fermetures de services publics et, enfin, celle des lignes dites « non rentables » qui pourraient être appelées à disparaître !
Mon intervention vise une fois de plus à vous alerter sur l’indispensable desserte des villes moyennes par le rail.
Nos collègues élus en charge des collectivités autorités organisatrices de transport s’attachent à maintenir un maillage territorial digne de ce nom : ce serait un très mauvais signal que de venir fragiliser leurs efforts visant à assurer la mobilité pour tous.
Cela peut se traduire de différentes manières. J’en veux pour exemple le renoncement à l’électrification de la ligne Rang-du-Fliers-Amiens ou encore la menace d’une moindre desserte TGV des villes de Lens et de Béthune dans mon département.
Madame la ministre, comment faire pour que nos villes moyennes bénéficient, demain encore, d’une connexion au réseau grande vitesse qui fait la fierté de la France ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Monsieur le sénateur, la préoccupation sur laquelle vous avez mis l’accent est précisément la mienne. C’est également celle du Conseil d’orientation des infrastructures.
Soyons clairs : les politiques en matière d’infrastructures menées au cours des dernières années, en privilégiant les lignes à grande vitesse et la réalisation de nouvelles lignes à grande vitesse, accentuent la métropolisation de notre pays. Elles ont laissé de côté de vastes parties de notre territoire dans lesquelles les citoyens et les entreprises se sentent abandonnés.
Ce rapport, qui présente une vision globale, est très important. Il accorde la priorité à l’entretien et à la modernisation des réseaux existants, au maillage et au désenclavement routier du territoire, au maintien d’un réseau ferroviaire dit « classique » de qualité et, bien sûr, à la poursuite du développement des lignes à grande vitesse, mais selon un calendrier cohérent et compatible avec les ressources que l’on pourra ou que l’on voudra y consacrer.
Dans ce cadre du développement des lignes à grande vitesse, il n’est en aucun cas question de modifier le modèle du TGV.
J’ai déjà eu l’occasion de le dire, depuis le lancement de l’aventure qu’est le TGV, le modèle qui a été retenu dans notre pays est celui d’un TGV non seulement qui dessert les métropoles reliées par les lignes à grande vitesse, mais aussi qui poursuit son parcours pour assurer la desserte des villes moyennes.
Le maintien de ce modèle – un TGV qui assure la desserte de nos territoires, y compris les villes moyennes – sera au cœur de nos réflexions, notamment lorsque nous évoquerons l’ouverture à la concurrence du ferroviaire. Nous y reviendrons ultérieurement au cours de notre débat.
Mme Fabienne Keller. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing.
M. Daniel Chasseing. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les problèmes que rencontre la SNCF sont récurrents. Est-ce une question de technologie, de gestion de l’entreprise ou de pression des gouvernements successifs pour imposer le tout-TGV et négliger totalement, depuis des années, les TER et Intercités ?
Ces dernières années, en effet, la SNCF a investi en crédits d’études beaucoup de temps et d’argent sur des projets de LGV, dont certains ne sont pas financés – je pense à la ligne Limoges-Poitiers – et ne se réaliseront malheureusement jamais, au détriment des trains en activité. Je peux en témoigner à titre personnel comme d’autres qui, deux fois par semaine, utilisent la ligne Intercités POLT, Paris-Orléans-Limoges-Toulouse, laquelle impacte directement 32 départements et 5 millions de Français. Elle était la ligne la plus rapide de France il y a quarante ans, reliant Limoges à Paris en 2 heures 50 ; elle est aujourd’hui l’une des plus lentes, sinon la plus lente, avec en moyenne 3 heures 30 de trajet. Je pourrais dire la même chose de la ligne Paris-Clermont, ou d’autres lignes.
Je veux surtout retenir de ce débat son aspect relatif à l’aménagement du territoire, qui demeure essentiel à mes yeux. Dans cette perspective, il faut sûrement optimiser le fonctionnement des LGV. Mais faut-il ouvrir de nouvelles lignes – à l’exception peut-être, dans un premier temps, de quelques-unes, comme celle de Nantes qui doit être aménagée en contrepartie de l’abandon de Notre-Dame-des-Landes, voire celle de Toulouse – ou privilégier la rénovation des TER et Intercités, indispensables au maintien de la vie et de l’activité de nos territoires ?
Élu de l’ancienne région Limousin, je préconise la seconde solution, plus empirique, plus pragmatique à mettre en œuvre. Pour assurer la continuité entre Paris et les territoires, je pense qu’il faut trouver un équilibre entre notion de service public et rentabilité, mais en tenant compte des nécessités de l’aménagement du territoire, et en procédant à une large concertation, non pas seulement entre l’État et la SNCF, mais aussi avec les collectivités territoriales.
C’est pourquoi, madame la ministre, je souhaite, au-delà de ce débat, que la réforme de la SNCF annoncée par le Gouvernement réussisse et permette de maintenir les TER et les Intercités. Ne laissons pas mourir ce patrimoine qui constitue le maillon fort du désenclavement, de l’aménagement du territoire, et revitalisons-le dans l’intérêt de la Nation.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Votre question est pleine de sagesse, monsieur le sénateur.
Cette question, politique, est au cœur de mes préoccupations. Il s’agit de savoir quelle France nous voulons dessiner aujourd’hui pour les générations futures. Pour y répondre, il faut faire en sorte que les transports ferroviaires demeurent une chance dans tous les territoires.
C’est tout le sens des deux lois que je propose parallèlement, car pour moi elles forment un tout cohérent. La réforme ferroviaire est partie intégrante de la stratégie de mobilité pour notre pays, au même titre que la loi d’orientation des mobilités, avec une priorité : la qualité du service rendu aux usagers et aux territoires.
Oui, il faut le dire, nous avons délaissé des pans entiers de notre réseau ferroviaire classique, parfois dans l’espoir de voir arriver une ligne à grande vitesse, nécessairement à long terme. Je vous le confirme, nous souhaitons inverser cette tendance. Par exemple, la ligne POLT, qui vous est chère, bénéficiera dans les décennies à venir de très lourds investissements pour régénérer l’infrastructure, renouveler le matériel roulant, ce qui permettra de proposer à l’ensemble des voyageurs de l’axe une desserte de qualité en termes de régularité et de temps de parcours.
Il est essentiel que de telles lignes puissent renouer avec la noblesse qui était la leur à une époque où le Capitole était le train le plus rapide de France.
Il faut absolument sortir d’un schéma dans lequel les lignes se dégradent ; sinon, on ne fera que rêver de lignes à grande vitesse, lesquelles ne pourront voir le jour qu’à très long terme.
Je puis vous assurer que, dans le cadre de la loi de programmation des infrastructures que je présenterai dans quelques semaines, comme dans celui de la réforme ferroviaire, ma priorité est bien que notre système ferroviaire réponde d’abord aux besoins de transports du quotidien de nos concitoyens.
M. le président. La parole est à M. Philippe Adnot.
M. Philippe Adnot. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, j’ai deux minutes pour vous dire l’incompréhension, la surprise, voire la colère, de notre population devant les conclusions du rapport Duron, aux termes desquelles il n’est pas nécessaire de tenir les engagements qui ont été signés.
Je rappelle qu’en septembre 2016, l’État, la SNCF, la région Île-de-France, la région Grand Est, le département de l’Aube et les villes de ce département qui sont traversées par une ligne ferroviaire ont signé un protocole et commencé à financer les travaux.
Madame la ministre, si vous deviez suivre ce rapport, alors même que vous n’y êtes pas tenue, on pourrait se demander ce que vaut la signature de l’État. Si les travaux devaient s’arrêter à Nogent, alors le Grand Est et le département de l’Aube auraient financé des aménagements situés en Île-de-France qui ne les concerneraient pas ? Est-ce possible ? Qu’en découlerait-il ? Un rapport a-t-il vocation à donner un avis sur un engagement qui a été signé, acté et dont la mise en œuvre a commencé ?
Pour conclure, quelle est la nature de l’engagement du Président de la République en faveur d’un aménagement du territoire équilibré ? La ville de Troyes est la seule agglomération qui n’est pas raccordée par un train électrifié !
Pour tenir compte de cette situation, des crédits ont été engagés par le ministre de l’aménagement du territoire. Que signifie cette contradiction ?
Pour en revenir au sujet, que vaudrait demain la parole de l’État si l’on peut se permettre de remettre en cause ce qui a été commencé, engagé, financé et signé dans le cadre de chaque procédure passée avec l’État ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Monsieur le sénateur, c’est bien pour sortir de cette situation que la démarche du COI m’est apparue indispensable. Je rappelle que les engagements pris dépassent de 10 milliards d’euros les ressources disponibles sur ce quinquennat et que 36 milliards d’euros représentant de nouvelles lignes ferroviaires ont été promis, naturellement sans les financements correspondants.
Pour sortir de l’incompréhension et de la colère suscitées par cette situation, nous avons donc souhaité mener ce travail de sincérité. Je souhaite de nouveau remercier tous ceux qui ont contribué à l’élaboration de ce rapport, qui ne fait que chiffrer les engagements et demander, en cohérence, que ceux-ci soient confirmés à la hauteur des ressources que nous pourrons dégager.
Pour ce qui concerne les électrifications, vous aurez noté que, de façon générale, le COI s’est interrogé sur l’intérêt de les poursuivre, en notant que de nouvelles technologies allaient se développer. Notre grand constructeur ferroviaire national propose ainsi des locomotives à hydrogène. Il existe par ailleurs des automoteurs bimodes qui peuvent assurer, sans rupture de charge, des trajets sur des lignes électrifiées et non électrifiées.
Tel est le sens, je pense, des interrogations formulées par le COI. Pour autant, comme vous l’avez souligné, un engagement a bien été pris dans le cadre du protocole entre l’État et les collectivités en septembre 2016, et une première phase a été engagée dans le cadre du contrat de plan État-région.
Je peux vous confirmer que ces engagements seront tenus. Nous les aurons bien en tête lorsque seront examinées les propositions du COI relatives aux futurs contrats de plan.
Nous ferons cet exercice pour l’ensemble des engagements qui ont été pris sans que des financements permettent de les crédibiliser.
M. Philippe Adnot. Monsieur le président, il me reste 17 secondes de temps de parole !
M. le président. Pas du tout ! Je tiens le chronomètre, mon cher collègue : il ne vous restait que 2 secondes ; or, en deçà de 5 secondes, je ne peux pas vous donner la parole.
M. Philippe Adnot. Madame la ministre, il faut savoir tenir sa parole quand on la donne !
M. le président. La parole est à M. Éric Gold.
M. Éric Gold. Monsieur le président, madame la ministre, la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable a déjà pu entendre M. Duron sur les scénarios du rapport du Conseil d’orientation des infrastructures.
En termes d’aménagement, de maillage et de desserte du territoire, je voudrais juste partir d’un cas particulier pour mieux montrer l’attente de certains départements en matière d’équité territoriale et de désenclavement.
Certaines agglomérations bénéficient d’un statut de métropole de premier plan avec un TGV qui dessert la capitale. Pour d’autres, la réalité des temps de trajet ne cesse de se dégrader.
Si je prends l’exemple de la zone du grand Massif central, et plus particulièrement de Clermont-Ferrand, le parcours en train aujourd’hui dure entre 3 heures 30 et 4 heures quand tout va bien. Mais les différents aléas que vivent les usagers montrent que ça ne va pas toujours bien…
Sur une carte isochrone, Clermont se retrouve au sud de Marseille, ce qui en fait la métropole la plus éloignée de la capitale !
Sur la ligne Paris-Clermont, les derniers travaux d’entretien importants datent de 1990, avec l’électrification de la ligne. On en mesure aujourd’hui les carences et les conséquences, que ce soit en matière de temps de parcours, de régularité ou de confort à l’intérieur du train. Ce mode de transport souffre d’une absence de communication quant aux programmes et calendriers de travaux en cours et à venir sur ces lignes d’équilibre du territoire. On nous parle depuis longtemps déjà d’un changement possible de matériel ou de temps de parcours améliorés, mais nous avons toujours l’impression de décisions repoussées.
Par ailleurs, la mobilisation pour un TGV Paris-Orléans-Clermont-Ferrand-Lyon, dit POCL, destiné avant tout à anticiper l’éventuelle saturation de la ligne Paris-Lyon, a pendant un certain temps capté l’attention et les efforts, et a mis de côté les nécessaires entretiens ou améliorations des lignes structurantes.
Ma question est donc double. Quelles sont les améliorations qui peuvent être envisagées rapidement sur cette ligne d’équilibre du territoire, en termes de fiabilité et de temps de parcours ?
Le projet de TGV POCL a-t-il encore un avenir aux yeux l’État, de façon à ce que le Massif central, notamment, ne soit pas l’éternel oublié en matière de transport ?
Mme Cécile Cukierman. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Monsieur le sénateur, je veux réaffirmer l’importance que j’accorde, à la fois, à la desserte de l’axe Paris-Orléans-Limoges-Toulouse et à celle de l’axe Paris-Clermont-Ferrand.
Vous l’avez souligné, la perspective de réalisation de la ligne POCL a pu conduire à différer les travaux ou, en tout cas, les études nécessaires à l’amélioration de la ligne classique.
Les dernières études qui ont été menées sur la ligne POCL montrent que la saturation de l’axe Paris-Lyon, qui contribue fortement à l’intérêt socio-économique de cette nouvelle ligne, interviendra beaucoup plus tard que ce qui était envisagé grâce aux performances permises par les nouveaux systèmes de signalisation – je pense au système européen de gestion du trafic ferroviaire, l’ERTMS – et à l’utilisation de rames à deux niveaux sur la ligne Paris-Lyon.
Les réflexions menées dans la perspective de l’ouverture de la ligne POCL ne doivent pas être abandonnées, comme je l’ai dit aux élus que j’ai rencontrés. Je leur ai confirmé que nous allions mener à son terme la contre-expertise tierce sur les deux scénarios, « ouest » et « médian », qui avaient été proposés pour la réalisation de cette ligne.
Il est très important que, sans attendre – or c’est bien l’exemple d’une ligne où l’on a trop attendu les TGV –, des améliorations substantielles puissent être apportées sur la ligne classique. Des programmes de régénération considérables seront engagés par SNCF Réseau, à hauteur de 750 millions d’euros d’ici à 2025. Les matériels doivent être renouvelés. Les offres pour ces nouveaux matériels nous ont été remises le 15 mars dernier, dans le cadre de l’appel d’offres lancé par l’État, et nous allons étudier les propositions qui nous ont été adressées. La couverture numérique de la ligne doit également être améliorée dans les meilleurs délais, donc au cours de l’année 2018.
Je peux donc vous assurer que ces travaux d’amélioration rapide de la ligne existante seront bien pris en compte et programmés en donnant de la lisibilité et de la visibilité à l’ensemble des élus et des citoyens intéressés par sa modernisation.
M. le président. Pourriez-vous essayer, vous aussi, madame la ministre, de ne pas dépasser votre temps de parole de deux minutes, d’autant que vous disposez de vingt et une fois deux minutes ? (Sourires.)
La parole est à M. Philippe Paul.
M. Philippe Paul. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, confirmée lors du comité interministériel d’aménagement et de développement du territoire du 18 décembre 2003, voici donc bientôt quinze ans, l’impérieuse nécessité de placer Brest et Quimper à 3 heures de Paris par liaison ferroviaire constitue un enjeu majeur d’un aménagement équilibré du territoire.
Ce que demandent les Finistériens, c’est de disposer de conditions de transport qui les rapprochent des principaux centres de décision nationaux et européens, et qui permettent à la pointe bretonne de se développer.
Contrairement à ce que semblent penser les membres du Conseil d’orientation des infrastructures, la Bretagne ne se résume pas à un axe Rennes-Nantes. Alors, après avoir rapproché Rennes de Paris grâce à la nouvelle ligne à grande vitesse, il faut maintenant rapprocher Brest et Quimper de Rennes.
Pour apaiser la légitime colère des Finistériens après la publication de ce rapport qui les oublie, et à la suite de l’abandon du projet d’aéroport de Notre-Dames-des-Landes, le Gouvernement a confié une mission – encore une ! – à M. Rol-Tanguy, cette fois sur les mobilités du Grand Ouest.
Je forme le vœu, madame la ministre, que cette mission ne soit pas une nouvelle manœuvre dilatoire, mais qu’elle permette au contraire au Gouvernement de concrétiser enfin cet objectif crucial des 3 heures en train entre Brest et Quimper, d’une part, et Paris, d’autre part, objectif encore rappelé par les collectivités territoriales bretonnes dans le pacte d’accessibilité de la Bretagne qu’elles proposent à l’État.
Mme Maryvonne Blondin. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Je rappelle que la mise en service de la ligne Le Mans-Rennes a certes rapproché Rennes de Paris, mais qu’elle a également fait gagner 45 minutes entre Paris et Brest, d’une part, et Paris et Quimper, d’autre part. C’est tout de même une avancée, et elle date de l’été dernier. (Maryvonne Blondin acquiesce.)
Je rappelle, également, que la réalisation complète de la ligne Liaisons nouvelles Ouest Bretagne-Pays de la Loire, dite LNO-BPL, permet une amélioration supplémentaire d’une dizaine de minutes. Pour autant, le rapport du COI a été rendu avant que n’intervienne la décision sur Notre-Dame-des-Landes, et le Président de la République a eu l’occasion de souligner que cette nouvelle situation devait être prise en compte.
Je me suis rendue à Brest le 4 janvier dernier et j’ai rencontré les élus bretons, à Rennes, le 27 janvier. Vous l’avez rappelé, une mission a été confiée à M. Rol-Tanguy pour soutenir les collectivités locales dans la préparation d’une stratégie de desserte du Grand Ouest, en tenant notamment compte des enjeux de desserte au sein de la Bretagne.
Cette stratégie qui sera présentée avant l’été, comme s’y est engagé le Premier ministre, prendra en compte les différentes échelles – interrégionale, régionale et métropolitaine – et visera à répondre aux attentes de l’ensemble des territoires bretons.
M. le président. La parole est à M. Philippe Paul, pour la réplique.
M. Philippe Paul. Je vous remercie de votre réponse, madame la ministre, même si je ne suis pas complètement tranquillisé.
J’ai évoqué l’abandon de Notre-Dame-des-Landes qui est, plus qu’on ne le croit, une punition pour les Bretons et la Bretagne. Je veux aussi rappeler que les lignes d’avion les plus chères de France sont celles qui relient Paris à Quimper et à Brest. C’est une autre punition. Enfin, 3 heures 40 pour rejoindre Paris en TGV, c’est beaucoup trop long ; 3 heures, ce serait mieux.
M. le président. La parole est à M. Didier Rambaud.
M. Didier Rambaud. Madame la ministre, les réponses de court et moyen termes proposées par ce rapport sont précieuses, nul ne peut le contester. Toutefois, elles suscitent certaines interrogations, voire l’incompréhension des élus locaux, notamment dans mon département, l’Isère, au sein de la métropole grenobloise.
Cette incompréhension, je ne suis pas loin de la partager, surtout après les engagements pris lors des Assises nationales de la mobilité, de prioriser les mobilités du quotidien et, notamment, de doter les aires métropolitaines « d’un réseau ferroviaire capable d’apporter une réponse à la saturation et à la congestion routière ».
Or ce rapport témoigne, je dois le dire, d’une absence totale de prise en considération des enjeux s’attachant, en particulier, à la desserte ferroviaire de l’aire métropolitaine grenobloise.
Les enjeux de cette aire sont pourtant multiples. Tout d’abord, il faut répondre aux objectifs d’attractivité et de rayonnement d’un territoire qui est le deuxième pôle de recherche scientifique à l’échelle nationale. Par ailleurs, ce sont 750 000 habitants et 320 000 emplois qui souffrent d’une réelle insuffisance de l’offre ferroviaire et d’une qualité de service dégradée, caractérisée notamment par un manque de fiabilité qui pèse sur le quotidien des usagers, tout particulièrement sur la ligne Grenoble-Lyon, première liaison ferroviaire de la région en termes de nombre de voyageurs et qualifiée de « malade » dès 2011 par Guillaume Pepy.
Le développement de la desserte ferroviaire de l’aire métropolitaine grenobloise s’inscrit donc aujourd’hui comme une nécessité impérieuse à un double titre : premièrement, l’amélioration de la liaison ferroviaire Grenoble-Lyon et, par là même, de la ligne Grenoble-Paris, cette liaison ayant vocation à s’inscrire dans le cadre des « grands projets de liaisons entre métropoles », un des objectifs stratégiques identifiés par le rapport ; deuxièmement, l’identification de l’étoile ferroviaire grenobloise comme territoire prioritaire et volontaire de développement d’un « RER » métropolitain.
Aussi, madame la ministre, nous souhaiterions être éclairés sur la manière dont le Gouvernement entend répondre à ces enjeux dont j’espère avoir suffisamment souligné l’importance capitale pour la métropole grenobloise, le département de l’Isère et, au-delà, la région Auvergne-Rhône-Alpes.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. S’il est vrai que rapport ne mentionne pas l’étoile ferroviaire, je vous confirme que j’y attache une grande importance. Sa situation est tout à fait au cœur des priorités affirmées dans le rapport du COI, c’est-à-dire l’amélioration, la modernisation, une meilleure robustesse et le traitement des nœuds ferroviaires.
Je suis bien consciente que la ligne Grenoble-Lyon, l’une des plus fréquentées de notre réseau en région, est aussi l’une des plus malades. Cette situation s’explique notamment par la saturation des nœuds ferroviaires lyonnais et grenoblois, par le nombre et la diversité des circulations – TER, TGV, trains de fret –, et par les caractéristiques techniques de la ligne, avec un temps de parcours qui ne peut clairement pas être considéré comme satisfaisant.
Une première enveloppe de 20 millions d’euros est prévue dans le contrat de plan 2015-2020 entre l’État et la région Auvergne-Rhône-Alpes pour réaménager le plan de voies à Saint-André-le-Gaz, qui constitue un point névralgique du réseau. Cela permettra d’améliorer, à la fois, les liaisons Lyon-Grenoble et Lyon-Chambéry.
Plus généralement, la situation de Grenoble doit être prise en compte dans les priorités transversales du rapport. Je peux vous confirmer mon engagement en faveur du développement du ferroviaire, et de l’équipement de nos métropoles avec de véritables RER, à l’instar de ceux qui existent en région parisienne, avec des trains cadencés à la hauteur des besoins de nos territoires.
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le rapport du COI a élaboré trois scenarii concernant l’effort de financement des infrastructures, et dresse toute une série de constats et de propositions.
Parmi les constats figure celui du sous-investissement des pouvoirs publics qui, depuis trop longtemps, a conduit à l’obsolescence d’une partie du réseau et à des ralentissements portant atteinte à la performance même du service public. La concurrence voulue par les ordonnances n’est, à ce titre, aucunement une réponse, puisque la qualité du service proposé dépend principalement, aujourd’hui, de l’état des infrastructures.
Si le rapport reconnaît que les sources de financement se sont raréfiées, il ne promet comme solutions nouvelles que celle qui consiste à faire payer davantage les usagers, ainsi qu’une reventilation de l’affectation des taxes, notamment la taxe intérieure sur la consommation des produits énergétiques, la TICPE.
La troisième priorité d’action définie par ce rapport est l’aménagement du territoire et la lutte contre les inégalités.
À ce propos, la LGV Paris-Orléans-Clermont-Ferrand-Lyon est un véritable enjeu pour l’ouverture des territoires du Centre, du Massif central, du Roannais. Elle permettrait aussi de rapprocher Saint-Étienne de Paris avec une régularité améliorée et un allégement du trafic sur la ligne, actuellement saturée, reliant Lyon et Paris.
Vous le savez, plus ce projet sera repoussé, plus les travaux le seront aussi. Ce n’est pas acceptable, car les femmes, les hommes et les entreprises n’ont pas besoin d’une chimère, mais d’une véritable ligne structurante pour leur territoire.
Ce rapport se borne à proposer des trajectoires financières peu ambitieuses dans un contexte budgétaire particulièrement contraint. S’il faut en finir avec le tout-TGV, certains projets demeurent néanmoins utiles et nécessaires au désenclavement et à l’ouverture des territoires de l’ensemble du Massif central.
Enfin, dans un rapport qui s’intitule pourtant Mobilités du quotidien : répondre aux urgences et préparer l’avenir, aucun objectif ne va en ce sens, ce qui conforte l’idée d’une France à deux vitesses.
Madame la ministre, pouvez-vous prendre un engagement quant à la réalisation de cette ligne, un projet utile pour les habitants et nécessaire à l’ouverture de nos territoires ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Je ne partage pas votre lecture du rapport, dont je veux souligner combien il est ambitieux. Il prévoit, y compris dans son scénario le plus bas, de consacrer davantage de ressources à nos infrastructures que ce qui était fait dans le passé.
Mme Cécile Cukierman. Dans vingt ans !
Mme Élisabeth Borne, ministre. Je souligne, à cet égard, que les ressources de l’AFITF ont d’ores et déjà augmenté cette année. Le rapport évoque 40 milliards, 60 milliards ou 80 milliards d’euros. Je ne pense pas que l’on puisse dire que cette approche est étriquée ou prend mal en compte les besoins des territoires !
Mme Cécile Cukierman. Cela dépend des territoires !
Mme Élisabeth Borne, ministre. Ce rapport affirme une priorité à l’entretien et à la modernisation de nos réseaux, c’est-à-dire aux transports de la vie quotidienne de nos concitoyens. Nous devrions tous pouvoir nous retrouver autour de cette priorité. C’est en tout cas ce que nos concitoyens attendent de nous…
Mme Cécile Cukierman. Oui, sur l’affichage !
Mme Élisabeth Borne, ministre. … et c’est ce qu’ils m’ont dit lors des Assises nationales de la mobilité.
Contrairement à ce que l’on a pu faire par le passé, vous aurez noté qu’il s’agit de préparer une loi de programmation des infrastructures qui prévoit des ressources et des engagements sur plusieurs années. Précisément, ce n’est pas de l’affichage !
Vous dites qu’il s’agit de faire payer davantage les usagers. Quant à moi, je connais deux sources de financement : les usagers ou le contribuable. Le rapport identifie les deux pistes ; ce sera au Parlement de décider.
Mme Cécile Cukierman. Il y en a d’autres, madame la ministre ! Au moins une troisième, que vous connaissez aussi…
Mme Cécile Cukierman. Non, pas la dette ; on peut taxer les grandes fortunes !
M. le président. La parole est à Mme Valérie Létard.
Mme Valérie Létard. Madame la ministre, je souhaite vous interpeller sur l’organisation de la desserte TGV, et affirmer à cette occasion mon attachement à l’offre de liaisons cadencées à grande vitesse dans les Hauts-de-France, l’un des piliers de l’aménagement de notre territoire.
La desserte TGV constitue une véritable colonne vertébrale en termes de dynamique et de maillage territoriaux, qu’il convient de conforter tant pour la métropole lilloise que pour les autres grandes agglomérations de la région Hauts-de-France.
Dans ce cadre et à la suite de la remise du rapport Duron, j’ai deux questions à vous poser.
La première porte sur la liaison Roissy-Picardie.
La construction de cette nouvelle ligne ferroviaire de 6 kilomètres, inscrite au contrat de plan État-région, doit permettre de raccorder la ligne Amiens-Creil-Paris à la LGV vers Roissy. C’est un projet essentiel pour la mobilité, l’attractivité et le développement économique du territoire.
Alors qu’un certain nombre de projets sont reportés sine die, le rapport Duron confirme l’intérêt de cette liaison et différents scénarios de réalisation y sont proposés.
Madame la ministre, quel scénario allez-vous privilégier, et selon quel calendrier ?
Ma deuxième question porte sur la desserte en TGV des gares dites « autres gares desservies par le TGV » dans les Hauts-de-France… Je pense à Arras, Béthune, Dunkerque, Douai, mais aussi à Valenciennes, dont vient de parler Michel Dagbert.
Aujourd’hui, force est de constater que le service et le cadencement sont dégradés. Faute d’investissements, notamment sur la mise en sécurité – je pense, par exemple, à la suppression des passages à niveau –, nous sommes passés à un temps de trajet d’environ 1 heure 30 pour relier Paris à Valenciennes il y a une dizaine d’années, à près de 2 heures aujourd’hui. Le risque est évidemment de décourager les voyageurs et, faute de voyageurs, de justifier la fermeture de ces lignes.
Madame la ministre, quelle est la stratégie du Gouvernement pour cette desserte des capitales infrarégionales des Hauts-de-France ? Pouvez-vous nous confirmer le maintien de ces lignes TGV pour les villes moyennes ? Enfin, vous l’avez compris, il conviendra d’engager rapidement des travaux qui devront permettre de retrouver un cadencement acceptable. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Madame la sénatrice, la liaison Roissy-Picardie est identifiée par le COI comme étant l’une des liaisons prioritaires. Dans le contrat de développement de l’Amiénois, l’État s’était engagé à lancer la première phase du projet.
Le montant nécessaire pour réaliser ce projet est d’environ 160 millions d’euros, quel que soit le scénario retenu. Le Conseil d’orientation des infrastructures souligne l’intérêt de ce projet. Dans le cadre des débats que nous aurons prochainement, l’intérêt du projet, sa réalisation et le calendrier des travaux pourront être confirmés. L’enquête, qui devait être lancée, mais avait été suspendue dans l’attente des réflexions sur la programmation des infrastructures, pourra être conduite, une fois levées les quelques incertitudes sur les paramètres économiques du projet.
En ce qui concerne la desserte des villes, je voudrais vous redire mon attachement et celui du Gouvernement à un modèle de TGV qui non seulement dessert les métropoles reliées par des lignes à grande vitesse, mais a bien une vocation d’irrigation de notre territoire.
Je suis un peu surprise par la dégradation des temps de parcours que vous avez mentionnée. Nous allons donc nous adresser à SNCF Réseau pour obtenir des explications. Je pourrais vous dire qu’il est toujours un peu contrariant de devoir investir pour retrouver les temps de parcours qu’on connaissait précédemment. Qu’il puisse y avoir des défauts d’entretien et de modernisation, je peux le comprendre, mais qu’il faille dépenser plus pour avoir le même temps de parcours peut nous conduire à nous interroger. Néanmoins, je vais demander à SNCF Réseau de me donner des explications, dans l’objectif de retrouver une desserte performante de ce territoire.
M. le président. La parole est à M. Olivier Jacquin.
M. Olivier Jacquin. Madame la ministre, lors de l’ouverture de la ligne à grande vitesse Grand Est en 2007, après de longs débats, la gare de Lorraine a été finalement implantée au milieu des champs, à Louvigny. Elle est surnommée par les Lorrains la gare « colza » ou « betteraves » – selon les goûts ! – en raison de son emplacement, certes équidistant de Metz et de Nancy, mais surtout déconnecté de toute liaison avec le réseau régional, notamment la ligne TER nord-sud entre Nancy et Metz, qui est structurante pour le sillon lorrain tout entier jusqu’à Luxembourg.
La semaine dernière encore, j’étais en réunion à Nancy avec un intervenant de Poitiers, très heureux des 3 heures 10 de trajet entre Poitiers et la gare de Lorraine, mais désolé de l’heure et demie – retard inclus – d’autocar pour parcourir les 36 kilomètres restants jusqu’à Nancy. Ces situations sont également fréquentes dans d’autres lieux où les gares ne sont pas connectées au réseau TER.
Maintenir cette gare à Louvigny relèverait d’une conception passéiste des lignes à grande vitesse, à l’heure où les transports doivent être envisagés, comme le COI et vous-même le proposez d’ailleurs, dans une logique de complémentarité et d’intermodalité des liaisons. Ainsi, l’ancienne région Lorraine est la seule des trois composantes de la nouvelle région Grand Est à ne pas avoir de gare TGV interconnectée à son réseau régional.
En 2014, Christian Eckert, alors secrétaire d’État chargé du budget et des comptes publics, a permis qu’une part non négligeable de ressources issues de la TICPE, estimée à 20 millions d’euros par an, soit fléchée à l’échelle régionale pour financer ce projet, profitant d’un dispositif européen qui le permet. Pourtant, la majorité régionale, très discrète sur le sujet, semble vouloir privilégier d’autres projets ferroviaires sans rapport avec une LGV.
Madame la ministre, je souhaiterais connaître vos intentions sur ce sujet et savoir si la modification de l’implantation de la gare pourrait être confirmée dans la loi de programmation, afin que les financements envisageables soient enfin affectés à ce projet nécessaire aux mobilités du XXIe siècle dans le Grand Est.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Vous le savez, monsieur le sénateur, l’ensemble du foncier nécessaire à la réalisation de la gare et de ses accès a été acquis, et des mesures conservatoires ont été prises lors de la réalisation de la première phase de la LGV est-européenne. Compte tenu de cette maîtrise foncière, la déclaration d’utilité publique n’a pas été prolongée.
Le coût de cet équipement est évalué entre 140 millions et 150 millions d’euros. Il a été décidé que le conseil régional de Lorraine, en lien avec SNCF Réseau, assurerait la maîtrise d’ouvrage de la gare TER-TGV de Vandières. La part attendue de l’État s’élève à 30 millions d’euros dans le cadre de la convention de la deuxième phase de la LGV Est. Mais, à ce jour, aucun crédit n’a été budgété en ce sens.
Le projet a fait l’objet – je veux le rappeler – d’un référendum régional organisé en février 2015 par le conseil régional de Lorraine, qui a conduit à un rejet. Je tiens à vous redire que le foncier est là et qu’il est disponible, mais qu’il revient aux collectivités de décider de l’intérêt ou non de réaliser cette gare, en tenant compte du résultat du référendum qui avait été organisé sur ce sujet.
Du point de vue de l’État, c’est vraiment une initiative qui doit relever des collectivités locales.
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Boyer.
M. Jean-Marc Boyer. Madame la ministre, le rapport Duron ne semble pas prêt à ouvrir les portes de l’avenir au territoire dont je vais vous parler.
Il s’agit du Grand Centre Auvergne Massif central. Ce territoire, qui compte 17 millions d’habitants, soit 25 % de la population française, ne cesse d’attendre… que ses besoins en mobilité soient pris en compte.
Vous avez reçu une délégation d’élus et de parlementaires, dont le président de l’association TGV Grand Centre Auvergne, Rémy Pointereau, et je vous en remercie en leur nom. Nous vous avons fait part de cette attente, à la suite du dernier rapport Duron qui semble vouloir prolonger encore celle-ci en mettant à mal le projet POCL qui doit relier Paris, Orléans, Clermont-Ferrand et Lyon.
Nous vous avons rappelé l’importance de cette ligne pour la desserte et le désenclavement de notre territoire. Je tiens de nouveau à rappeler, comme cela vous a déjà été dit, que Clermont-Ferrand est la capitale régionale la plus éloignée de Paris en temps de transport ferroviaire. Contrairement aux affirmations de M. Duron, la population de la métropole clermontoise augmente régulièrement et son dynamisme économique est à l’image de celui de l’entreprise Michelin.
À la suite de nos échanges, madame la ministre, vous avez été rassurante. Vous nous avez certes rappelé que la rentabilité socio-économique du projet POCL était étroitement liée au doublement de la ligne Paris-Lyon. Toutefois, vous nous avez aussi dit que rien ne sera fait qui puisse rendre le projet POCL impossible à moyen et à long termes, et que vous alliez demander à la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer, la DGITM, de se pencher sur la question des réserves foncières de Vitry et d’Ivry.
Vous nous avez aussi annoncé que vous étiez favorable à la tierce expertise et que vos services allaient contacter les trois régions concernées afin de faire le point sur le plan de financement. Je vous confirme ici, dans cet hémicycle, que les trois présidents de région tiennent fortement à ce projet.
Vous nous avez également informés que vous étiez pour la poursuite des travaux de l’observatoire de la saturation ferroviaire de la ligne Paris-Lyon et que, dès à présent, la ligne SNCF actuelle serait améliorée et rénovée afin que, de Paris, l’on puisse rejoindre Clermont-Ferrand en moins de 3 heures.
Pourriez-vous, madame la ministre, nous confirmer ces points essentiels ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Monsieur le sénateur, j’ai rencontré la délégation dont vous faisiez partie et qui était conduite par votre collègue Rémy Pointereau le 14 mars dernier. Nous avons pu faire ensemble le constat que le COI avait fait un lien entre l’intérêt de la ligne POCL et les enjeux de saturation de la ligne à grande vitesse Paris-Lyon. Aujourd’hui, les évaluations dont nous disposons permettent d’envisager cette saturation à un horizon lointain, grâce à la nouvelle signalisation ERTMS qui est mise en place et à un nouveau matériel plus capacitaire.
Mais j’ai pu vous confirmer, et je peux le refaire, que je suis favorable à la poursuite des travaux de l’observatoire de la saturation ferroviaire de la LN1, Paris-Lyon. Je vous ai aussi annoncé qu’il était nécessaire de terminer la tierce expertise des deux scénarios « médian » et « ouest », et donc de poursuivre la réflexion sur le projet.
J’ai également dit qu’il ne fallait pas obérer l’avenir et se priver de la capacité de réaliser ultérieurement ce projet. Mais j’ai insisté, et je veux le répéter ici, sur le fait que ces réflexions ne doivent pas nous faire oublier la nécessité d’améliorer rapidement la ligne existante entre Paris et Clermont-Ferrand, ce qui sera le cas avec la livraison du nouveau matériel qui équipera cette ligne.
Je le disais, les offres nous ont été remises le 15 mars dernier, avec l’objectif d’une couverture numérique de cette ligne dans les meilleurs délais, donc d’ici à la fin de 2018, au travers d’un schéma directeur en cours de discussion qui permettra de recenser les aménagements d’infrastructures utiles pour améliorer la performance du service ferroviaire sur cet axe. J’attends ce schéma directeur dans les prochaines semaines, au plus tard avant l’été. Par ailleurs, il faut savoir que SNCF Réseau consacrera 750 millions d’euros au financement de la régénération d’ici à 2025, ce qui permettra de remettre en état cet axe.
M. le président. La parole est à M. Didier Rambaud.
M. Didier Rambaud. Madame la ministre, je pose cette question au nom de ma collègue Patricia Schillinger, qui souhaitait vous interroger sur la réalisation de la desserte ferroviaire de l’EuroAirport Bâle-Mulhouse. Ce raccordement vise à assurer un accès direct à l’aéroport par les trains régionaux avec, aux heures de pointe, six trains par heure en provenance et à destination de Bâle, et quatre trains par heure en provenance et à destination de Mulhouse.
En plus de renforcer l’attractivité de l’EuroAirport, ce raccordement offrira une alternative à la route et contribuera à désengorger l’A35, qui connaît une forte fréquentation aux heures de pointe.
Alors que ce projet a connu des avancées récentes avec la signature d’une déclaration d’intention commune entre la région Grand Est et les cantons de Bâle-Ville, de Bâle-Campagne et de Soleure, laissant présager un début de travaux à l’horizon 2020, le rapport du Conseil d’orientation des infrastructures semble remettre en cause ce projet dans au moins deux des trois scénarios envisagés. En effet, dans deux d’entre eux, l’État ne participerait pas au financement de l’infrastructure, ce qui compromettrait l’équilibre financier du projet et sa réalisation à terme.
Si nous comprenons la nécessité budgétaire qui conduit l’État à faire des choix répondant aux urgences du quotidien, il ne faut pas négliger ce projet qui présente à la fois un intérêt environnemental, en permettant de proposer une alternative à la route, et une dynamique transnationale de développement économique.
Du côté suisse, la phase de consultation pour l’étape d’aménagement de l’infrastructure ferroviaire 2030-2035, en cours, a bien pris en considération le raccordement ferroviaire. Alors qu’il appartiendra au Parlement fédéral de confirmer cet engagement, il est capital pour la poursuite du projet que l’État français donne des garanties sur ses engagements et envoie, dès aujourd’hui, un signal fort à la Confédération helvétique en confirmant sa volonté de terminer les études et l’enquête publique d’ici à 2021 et de réaliser le projet sur la période 2022-2027.
Madame la ministre, quel avenir, quel calendrier et quel financement par l’État envisagez-vous pour la desserte ferroviaire de l’EuroAirport ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Effectivement, le projet de desserte de l’aéroport de Bâle-Mulhouse est un projet estimé à environ 220 millions d’euros que le COI n’a pas jugé prioritaire à court terme.
Je sais l’attachement des élus à ce projet transfrontalier, de même que celui des autorités suisses. Il va donc de soi que son avenir doit se décider entre ces différentes parties. Le président de la région Grand Est a sollicité une rencontre avec les élus concernés. Je suis tout à fait prête à recevoir une délégation pour échanger sur l’intérêt de ce projet.
Nous attendons, à l’heure actuelle, une étude socio-économique pour apprécier les gains de chacun des acteurs, à la fois en France, en Suisse et en Allemagne, liés à la réalisation de ce projet, ce qui pourrait préfigurer des clés de financement pour la réalisation ultérieure du projet.
Continuons à discuter avec les autorités suisses et les élus concernés pour voir dans quelle mesure, dans le cadre des contraintes financières qui sont les nôtres, nous pouvons envisager la réalisation de cette infrastructure dont je suis consciente qu’elle est attendue localement.
M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard.
M. Guillaume Gontard. Madame la ministre, je tiens d’abord à saluer le riche travail du Conseil d’orientation des infrastructures.
Pour cause de financement multipartite, le rapport ne s’est pas saisi du projet Lyon-Turin. Cependant, il se prononce tout de même sur la partie française, c’est-à-dire les liaisons entre Lyon et Saint-Jean-de-Maurienne : « la démonstration n’a pas été faite de l’urgence d’engager ces aménagements dont les caractéristiques socio-économiques apparaissent à ce stade clairement défavorables » et « ces travaux […] seront à engager après 2038 ». Cette date est postérieure à la durée maximale de validité de la déclaration d’utilité publique, soit août 2028…
Ce faisant, les constats officiels franco-italiens reconnaissent que les prévisions de fret routier ont été largement surévaluées. Ainsi, on constatait en 2017 moins de la moitié du volume prévu en 2006. De même, les circulations de fret ferroviaire franco-italiennes ont été divisées par six depuis trente ans, malgré 1 milliard d’euros d’investissements entre Lyon-Dijon et Turin.
Les analyses démontrent d’ailleurs que le réseau ferré existant offre la possibilité, moyennant quelques investissements, d’accroître considérablement cette offre de fret. Le rail pourrait ainsi accueillir les marchandises d’un million de poids lourds par an dans les Alpes.
Pourtant, après la pause décrétée au début de l’été, le Gouvernement, soufflant le chaud et le froid, a prorogé la déclaration d’utilité publique de cinq années. Nous peinons donc à comprendre s’il souhaite ou non engager la réalisation de ce tunnel, dont chaque kilomètre coûtera 150 millions d’euros.
Cela est d’autant moins compréhensible que, sans les accès français et italiens, il est impossible de rentabiliser un tel ouvrage dont le modèle économique est déjà plus qu’incertain. J’aurais tendance à dire que l’on met la charrue avant les bœufs.
Enfin, alors que l’incertitude politique italienne pèse également sur le tunnel, ce double discours paraît d’autant plus curieux. Si la finalité est l’abandon du projet, autant éviter d’enfouir 10 milliards d’euros dans 57 kilomètres de galeries sous les Alpes !
Madame la ministre, pourriez-vous nous préciser la logique sur laquelle s’appuierait le maintien d’un tel projet ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Monsieur le sénateur, il y a effectivement deux sujets distincts : la réalisation du tunnel lui-même et l’aménagement éventuel des accès.
S’agissant du tunnel, je voudrais rappeler qu’il a fait l’objet d’un traité, qui a été ratifié par le Parlement en France comme en Italie. Les travaux de reconnaissance de la section internationale sont désormais réalisés à plus de 75 %, avec plus de 23 kilomètres percés à ce jour. Les travaux définitifs du tunnel devraient être lancés au cours de l’année 2018.
Je rappelle aussi que, en raison de son caractère binational, le projet dispose d’un plan de financement tout à fait spécifique, puisqu’il est financé à 40 % par l’Union européenne et à 35 % par l’Italie. La France porte ce projet à hauteur de 25 %, ce qui n’est pas rien pour un projet de 2,5 milliards d’euros.
J’ai eu l’occasion de le dire, l’enjeu est bien que la réalisation du projet ne vienne pas peser sur les ressources de l’AFITF, au détriment des projets d’une dimension plus « habituelle » ou, en tout cas, des projets qui sont utiles pour le quotidien de nos concitoyens.
C’est dans cet état d’esprit qu’une réflexion a été engagée avec nos collègues italiens pour mettre en place une société de projet, qui tirerait ses ressources notamment des tarifications applicables sur les autoroutes et ne viendrait pas obérer les capacités de financement pour les autres projets.
S’agissant des accès, nous faisons le constat que les lignes actuelles ont supporté par le passé un trafic qui correspondait au triple de ce qu’il est aujourd’hui. Il est préférable d’attendre de constater la réalité de la remontée du trafic avant d’engager des travaux coûteux pour l’aménagement des accès.
Le tunnel de base fait bien l’objet d’un traité international au titre duquel il est soumis à un traitement spécifique. Les éventuels accès supplémentaires seront réalisés dans la mesure où les lignes actuelles ne permettraient pas d’assurer un accès satisfaisant au tunnel.
M. le président. La parole est à M. Vincent Delahaye.
M. Vincent Delahaye. Madame la ministre, mes chers collègues, le 1er février dernier, le Conseil d’orientation des infrastructures faisait des propositions sur l’ampleur des investissements envisageables en matière de transports. Il réalisait alors une revue des projets, en oubliant néanmoins d’étudier certains projets d’envergure, je pense en particulier au Grand Paris Express.
Mais toujours est-il que ce rapport accordait une place de choix aux projets de lignes à grande vitesse, les LGV.
Selon lui, trois scénarios seraient envisageables. Le premier prévoit de ne pas affecter de ressources supplémentaires significatives à ces projets, et donc de maintenir la pause annoncée par le Président de la République en la matière. Les deux autres préconisent, à différents degrés, un accroissement des dépenses pour accélérer leur réalisation.
Le 15 février dernier était présenté le rapport Spinetta adoptant des conclusions quelque peu différentes. Il préconisait, entre autres, la fermeture des petites lignes et l’arrêt du développement du réseau TGV. Il avançait alors que le réseau TGV pouvait être aujourd’hui considéré comme abouti et que la construction de toute nouvelle ligne serait donc contre-productive.
Par ailleurs, la Cour des comptes soulignait déjà en 2014 que le modèle français du ferroviaire à grande vitesse était devenu non soutenable.
Madame la ministre, au regard de ces deux rapports et de la position de la Cour des comptes, opterez-vous pour le choix du développement continu des grands projets de LGV ou confirmerez-vous la pause annoncée par le Président de la République ?
Qu’en est-il notamment de certains grands projets, tels que l’interconnexion des LGV entre Massy et Valenton, indispensable au bon fonctionnement de l’interconnexion des TGV autour de Paris et aussi à celui du RER C ?
Cette interconnexion, alliée la réalisation de la ligne 18 du Grand Paris Express, permettra une plus grande efficience de la gare TGV de Massy, ainsi qu’un lien facile entre celle-ci et l’aéroport d’Orly.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Monsieur le sénateur, vous soulignez le fait qu’il y a eu deux rapports. Ceux-ci sont complémentaires : dans un cas, la question posée concernait une réflexion globale sur nos infrastructures routières, ferroviaires et fluviales, avec l’ambition de dessiner une stratégie pour les prochaines années ; dans l’autre, était soulevée la question du modèle économique du ferroviaire, avec une triple interrogation : quelle place pour le ferroviaire dans notre politique de mobilité, comment remettre sur pied le modèle économique du ferroviaire, comment préparer une ouverture réussie à la concurrence ?
Les deux rapports traitent de sujets disjoints. Les réflexions de Jean-Cyril Spinetta sur les petites lignes ferroviaires n’ont pas vocation à être reprises, le Gouvernement ayant largement fait savoir qu’il ne suivrait pas ces recommandations. Les réflexions sur les projets de lignes à grande vitesse sont étudiées à la fois du point de vue de leur phasage et de leurs modalités de financement, sur la base des travaux du Conseil d’orientation des infrastructures.
Dans ce cadre, je voudrais tout de même souligner que les scénarios ne se distinguent pas seulement par les rythmes de réalisation des lignes à grande vitesse, mais aussi par leur capacité à répondre aux priorités qui ont été affirmées : l’entretien et la modernisation des réseaux, la désaturation des nœuds ferroviaires et le maillage du territoire, au travers notamment de la réalisation et de la mise à niveau de nos infrastructures routières.
Selon les cas, des lignes à grande vitesse, dont certaines sont fortement attendues dans les territoires, peuvent être réalisées de façon phasée. Je peux vous confirmer l’importance, du reste pointée par le rapport, d’améliorer l’interconnexion des TGV. C’est ce qu’attendent notamment les élus du Grand ouest. C’est ce qui pourrait également être attendu autour de la gare de Massy.
Ce dossier, qui a un « certain âge », pose des problèmes d’insertion, notamment environnementale, mais sur lequel il est utile de reprendre les travaux pour trouver une solution. Il pose un enjeu de connexion de tous nos territoires sans passer par Paris. Ce projet figurera en bonne place dans la loi de programmation que je serais amenée à présenter prochainement.
M. le président. La parole est à Mme Angèle Préville.
Mme Angèle Préville. Madame la ministre, la ligne à grande vitesse devant relier Toulouse à Bordeaux a été jugée prioritaire, et je m’en réjouis. Nous sommes pourtant loin de la mise en service prévue par le projet initial GPSO.
Selon les scenarii envisagés, la durée des travaux pourrait varier entre dix et vingt ans. Même dans le scénario n° 1, le plus contraint, seule la section Agen-Toulouse serait réalisée. Si une chose est pourtant évidente, c’est bien que la région Occitanie ne peut pas attendre vingt ans. L’enjeu de la mise en service de la ligne Toulouse-Bordeaux est bien celui de sa temporalité.
L’aire urbaine de Toulouse comporte 1,2 million d’habitants et accueille le siège mondial d’Airbus. Elle est la quatrième plus grande aire urbaine du territoire, avec une croissance de 1,5 % par an. À ce titre, je rappellerai une récente enquête de l’URSSAF qui montre que notre région a créé 28 000 emplois sur les cinq dernières années, soit quatre fois plus que la moyenne nationale.
Cette attractivité indéniable se heurte pourtant à certains freins : un corridor routier saturé, des petites lignes menacées dans toute la région et le manque effectif d’une ligne à grande vitesse. Au travers de ce projet de ligne à grande vitesse, il est question d’équité territoriale et d’un aménagement du territoire équilibré, afin qu’une région dynamique et vivante puisse continuer à se développer sans des freins qui finiraient par lui être préjudiciables.
Malgré la LGV Paris-Bordeaux, le temps de trajet actuel entre Paris et Toulouse dépasse largement 4 heures, puisqu’il est au mieux de 4 heures 20. Comment admettre que Toulouse soit la seule grande capitale régionale qui ne soit pas reliée à Paris par une ligne à grande vitesse ? Il est clair que, face à de tels enjeux économiques et démographiques, le rail est une des clés du désenclavement de nos territoires.
Les perspectives du scénario n° 3 interrogent sur les dépenses à prévoir dans un cadre financier et budgétaire restreint. Pour atteindre ce scénario, qui est – vous vous en doutez – celui que nous appelons de nos vœux, et pour mieux répondre aux attentes des territoires, quels financements peut-on imaginer ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Les infrastructures attendues en Occitanie sont nombreuses. Vous avez mentionné le projet GPSO, mais on pourrait aussi parler de la ligne Montpellier-Béziers-Perpignan et de l’autoroute Toulouse-Castres. C’est l’ensemble de ces besoins qu’il nous faut analyser.
Tout l’intérêt du travail réalisé par le Conseil d’orientation des infrastructures est d’apporter cette vision globale à la fois des lignes à grande vitesse qui sont attendues, en l’occurrence deux pour la région Occitanie, et des besoins de désenclavement des territoires. Je pense au cas de Castres, où le maintien d’entreprises importantes sur ce territoire est conditionné à l’amélioration de la desserte routière et à la remise à niveau des infrastructures nécessaires pour les trains du quotidien.
C’est bien l’ensemble de ces besoins qu’il nous faut prendre en compte, et c’est tout le sens de la démarche du Conseil d’orientation des infrastructures.
Vous l’avez rappelé, selon les scénarios, les horizons de réalisation de la liaison Bordeaux-Toulouse sont naturellement différents. Néanmoins, quel que soit le scénario, l’importance de commencer par « désaturer » les nœuds de Bordeaux et de Toulouse est soulignée. L’idée est de ne pas reproduire ce que nous avons pu connaître à la gare Montparnasse à la fin de l’année dernière – le « branchement » de deux lignes à grande vitesse sur une gare qu’on avait oublié de moderniser ou, en tout cas, qui n’avait pas été modernisée dans les temps.
Le calendrier qui sera finalement retenu fait l’objet de travaux avec les collectivités concernées des régions Nouvelle-Aquitaine et Occitanie, qui ont réfléchi à de nouvelles sources de financement, à l’instar de ce qui peut exister en Île-de-France avec la Société du Grand Paris.
Nous sommes en train de travailler avec les régions et les métropoles concernées pour trouver le meilleur calendrier, dans le cadre des contraintes financières rappelées dans le rapport du Conseil d’orientation des infrastructures.
M. le président. La parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone.
Mme Dominique Estrosi Sassone. Madame la ministre, ma question porte sur la réalisation de la ligne nouvelle Provence-Côte d’Azur pour relier les trois métropoles régionales Marseille, Toulon et Nice.
L’unique ligne ferroviaire existante, créée en 1860, souffre de son ancienneté, avec des problèmes d’infrastructures vieillissantes et des flux tendus permanents, puisque l’ensemble des trains y circulent sans itinéraire alternatif en cas de problème technique.
Des nœuds ferroviaires à Marseille ou Nice congestionnent le trafic avec des retards fréquents.
Dans les Alpes-Maritimes, la ligne nouvelle Provence-Côte d’Azur est très attendue par les collectivités locales, les opérateurs économiques et les usagers. Elle contribuera à ouvrir la région Provence-Alpes-Côte d’Azur sur les autres régions françaises, à désenclaver l’est de ce territoire et à poursuivre la réalisation de l’arc ferroviaire méditerranéen de Barcelone à Gênes.
Le rapport du Conseil d’orientation des infrastructures a pris la mesure des problématiques ferroviaires en retenant la ligne nouvelle Provence-Côte d’Azur dans les cinq grands projets prioritaires nationaux.
Toutefois, madame la ministre, le rapport précise que les parts respectives des contributions de l’État et des collectivités resteraient similaires à celles actuellement pratiquées, c’est-à-dire des cofinancements proches de la parité pour la plupart des grands projets. Compte tenu de la réforme de la fiscalité locale amorcée avec la suppression de la taxe d’habitation, pouvez-vous garantir aux élus et aux usagers que les décisions que prendra le Gouvernement en matière ferroviaire ne seront pas revues à la baisse en raison d’une réforme ultérieure sur le pacte financier entre l’État et les collectivités ?
De plus, le rapport prévoit également que « d’autres marges de manœuvre budgétaires sont envisageables ». Lors d’une interview accordée à l’occasion du lancement des Assises nationales de la mobilité à l’automne, vous aviez envisagé de déléguer aux régions la gestion d’une taxe sur les poids lourds étrangers en transit en France, notamment pour les régions frontalières. Cette mesure pourrait-elle voir le jour dans la loi d’orientation des mobilités et vous semble-t-elle toujours cohérente pour permettre un appui budgétaire supplémentaire aux régions dans le cadre de ces grands projets ferroviaires ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
(M. Thani Mohamed Soilihi remplace M. David Assouline au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Thani Mohamed Soilihi
vice-président
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Comme vous le soulignez, madame la sénatrice, le rapport du Conseil d’orientation des infrastructures a bien mis en évidence l’importance de ce projet de modernisation globale de l’axe Provence-Alpes-Côte d’Azur et donc de cette ligne nouvelle Provence-Côte d’Azur.
Le Conseil propose de phaser ce projet – ce qui permet de l’inscrire dans une programmation pluriannuelle – en commençant par le décongestionnement des gares de Marseille-Saint-Charles et de Nice, notamment grâce aux nouvelles possibilités qu’offre la signalisation ERTMS.
Nous avons discuté du financement avec les collectivités territoriales, au premier rang desquelles la région. Bien évidemment, le Gouvernement permettra à ces mêmes collectivités d’inscrire les cofinancements qu’il propose dans le cadre des pactes qu’il signe avec elles.
S’agissant des ressources complémentaires, j’ai évoqué l’intérêt d’une meilleure contribution des poids lourds, notamment ceux en transit, au financement de nos infrastructures. Il s’agit d’une réflexion en cours.
L’une des difficultés tient à la part des réseaux concédés et non concédés, très différente selon les régions. En l’occurrence, 80 % du réseau routier de Provence-Alpes-Côte d’Azur est concédé, ce qui laisse assez peu de marge de manœuvre pour dégager une ressource locale assise sur la taxation des poids lourds hors réseau concédé.
Nous sommes en train de travailler sur ces questions. Vous aurez compris que le premier scénario n’a pas ma préférence. Nous réfléchissons donc à de nouvelles ressources, notamment en faisant davantage contribuer les poids lourds au financement des infrastructures.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Françoise Perol-Dumont.
Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. Nul ne peut nier, madame la ministre, qu’une réflexion de fond et une action déterminée et ambitieuse sont nécessaires pour remettre à niveau notre service public ferroviaire auquel nous sommes nombreux, dans cet hémicycle, à être particulièrement attachés.
Nous regrettons que trop de gouvernements de diverses obédiences aient laissé s’installer, au-delà de mesures souvent conjoncturelles, une situation délétère.
Pour autant, il ne faudrait pas que la réforme que vous allez engager impose à certains une triple peine. Et c’est bien ce que nombre de territoires, dont celui que je représente, peuvent craindre : en effet, la décision du Président de la République de bloquer la construction de toute nouvelle ligne TGV durant ce quinquennat va, de fait, écarter sine die ces territoires de tout accès à la grande vitesse.
Il s’agit d’une première lourde peine : dans un contexte de compétition toujours plus exacerbée entre les territoires, cette situation va dramatiquement obérer leur développement économique.
Deuxième peine : ces mêmes territoires sont aujourd’hui desservis par des trains archaïques, les Intercités. Beaucoup de matériels roulants ont plus de quarante ans, circulent sur un réseau vétuste à des vitesses très inférieures à celles de 1968 et offrent aux usagers des conditions de transport inacceptables – les utilisant chaque semaine, je peux vous faire un retour d’expérience des plus objectif. Vous évoquiez à bon droit la comparaison avec – hélas ! – feu le Capitole…
Troisième peine : selon les préconisations d’un rapport qui vous a été remis, ces territoires verraient nombre de leurs lignes secondaires supprimées au mépris de toute logique d’aménagement du territoire et de respect du service dû aux usagers, où qu’ils résident, ce alors même que ces territoires participent – c’est un comble ! – par l’impôt au désendettement de la SNCF, dont les comptes sont plombés par des investissements effectués antérieurement au profit des territoires les plus peuplés, les plus dynamiques économiquement et aujourd’hui très bien dotés en termes d’infrastructures de transport.
Aussi, madame la ministre, j’espère vivement – et je n’en doute pas – que vous aurez à cœur de ne pas associer votre nom à la funeste perspective ouverte par certaines des préconisations de ces deux rapports que vous saurez considérer avec toute la distance et la vision d’ensemble inhérentes à votre fonction.
Votre réponse est très attendue, singulièrement dans tout l’espace central français dont un simple coup d’œil à une carte ferroviaire permet de comprendre les inquiétudes quant à la nécessité de ne pas subir cette triple peine. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Jean-Marc Gabouty applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Le président de la République n’a pas dit qu’aucune ligne à grande vitesse ne serait réalisée au cours du quinquennat ; il a fait l’annonce courageuse d’arrêter de promettre des infrastructures qui ne seraient pas financées.
M. Michel Savin. Très bien !
Mme Élisabeth Borne, ministre. Je rappelle qu’ont été promises des créations de lignes, dans tout le territoire, pour un montant de 36 milliards d’euros qui n’est pas financé – pour ce seul quinquennat, les investissements promis antérieurement dépassent de 10 milliards d’euros les ressources dont nous disposons. Nous voulons sortir de ces promesses non financées qui ôtent toute confiance dans la parole de l’État.
M. Michel Savin. Voilà qui change du quinquennat de François Hollande !
Mme Élisabeth Borne, ministre. C’est dans cet esprit qu’ont été lancés les travaux du Conseil d’orientation des infrastructures qui nous a remis son rapport. Nous nous appuierons sur les préconisations du Conseil et sur le projet de loi de programmation dont nous débattrons prochainement pour retenir les futurs projets d’infrastructures.
Nous devons absolument sortir d’une vision binaire selon laquelle il n’est d’autre choix qu’entre une ligne de réseau classique qui se dégrade et une ligne à grande vitesse qui ne peut être réalisée rapidement.
J’accorderai la priorité, comme le préconise le Conseil, à la modernisation et à l’entretien des infrastructures. C’est bien ce que nous démontrons avec les travaux de renouvellement de la ligne POLT, à hauteur de 1 milliard d’euros entre 2015 et 2025, financés par SNCF Réseau. Un schéma directeur me sera remis prochainement pour améliorer les performances et les caractéristiques de la ligne et mettre en œuvre le renouvellement du matériel roulant.
Je veux enfin dire que le Gouvernement ne suivra pas les préconisations du rapport de M. Spinetta sur les « petites lignes » – expression qui me semble d’autant plus impropre qu’il s’agit de lignes très importantes pour beaucoup de nos concitoyens. L’État tiendra ses engagements sur la modernisation de ces lignes et notamment sur le financement de 1,5 milliard d’euros prévu dans le contrat de plan État-région.
M. le président. Avant de poursuivre, madame la ministre, mes chers collègues, je vous invite à bien vouloir respecter le temps de parole de deux minutes qui vous est imparti.
La parole est à M. Jean-Marc Gabouty.
M. Jean-Marc Gabouty. Madame la ministre, je vais aborder la même question, sous une forme quelque peu différente.
Le développement des lignes LGV a suscité dans notre pays beaucoup d’espoirs pour le désenclavement des territoires. Pour les liaisons intermétropolitaines et l’accès aux territoires éloignés, voire enclavés, la grande vitesse ferroviaire constitue une alternative pertinente en termes écologiques et économiques aux modes de transport routier et aérien.
Le choix du Gouvernement de ralentir, voire de différer ou même d’abandonner, la réalisation d’un certain nombre de grands projets LGV au profit des transports du quotidien peut présenter à court terme une option compréhensible compte tenu des contraintes financières qu’impliquent de tels projets.
Bien évidemment, comme vous l’avez souligné à l’instant, madame la ministre, l’amélioration ou la simple mise à niveau du réseau ferroviaire existant constituent une priorité qui n’est pas contestable.
Néanmoins, peut-on envisager raisonnablement, dans les dix, quinze ou vingt prochaines années, de compléter le réseau LGV en tenant compte d’impératifs d’aménagement du territoire ?
Si le rapport Duron préconise la réalisation à court ou moyen terme, selon les scénarios financiers, des liaisons Bordeaux-Toulouse et Montpellier-Perpignan, il renvoie à beaucoup plus tard l’achèvement de la liaison LGV Rhin-Rhône et la prolongation, à partir de Bordeaux, de la LGV en direction de Dax et de l’Espagne.
Par ailleurs la LGV Paris-Orléans-Clermont-Ferrand-Lyon, dite POCL, serait abandonnée et il n’est pas envisagé de reprendre le projet de LGV Poitiers-Limoges se raccordant à l’axe Paris-Bordeaux dont la déclaration d’utilité publique a été annulée par le Conseil d’État.
Ainsi, un immense espace central, entre Paris et Toulouse, du nord au sud, et entre Lyon et Bordeaux, d’est en ouest, serait définitivement exclu de l’accès à la grande vitesse.
Si vous réalisiez une carte de France non pas en fonction des distances, mais en fonction des temps de parcours ferroviaire, en prenant Paris et Marseille comme points fixes, Limoges et Clermont-Ferrand seraient au milieu de la Méditerranée et Aurillac proche de la Sicile… Ce n’est qu’une autre manière de concevoir la géographie… (Sourires.)
Pensez-vous, madame la ministre, que cette perspective puisse, dans le cadre d’une politique volontariste d’aménagement du territoire, soucieuse de réduire les fractures territoriales et de préserver les chances de développement économique de ces régions, être, à terme, corrigée ? (Mme Françoise Laborde et M. Éric Gold applaudissent.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Je voudrais redire que le sens du travail conduit par le Conseil d’orientation des infrastructures et celui du projet de loi de programmation que je présenterai d’ici à quelques semaines est bien de tenir pleinement compte de ces enjeux d’équité territoriale et d’aménagement du territoire.
Nous ne voulons pas laisser de vastes pans de notre pays à l’écart de liaisons de qualité, notamment des lignes à grande vitesse. Mais cela passe aussi par les préconisations du Conseil sur l’entretien et la modernisation des réseaux, sur le maillage du territoire, sur le maintien des lignes, notamment régionales ou secondaires.
Il est très important de ne pas différer les travaux et les mises à niveau sur les lignes existantes dans l’attente d’éventuels projets de ligne à grande vitesse qui ne pourront se réaliser rapidement. L’ambition n’est pas de ralentir la réalisation de ces projets, mais de dire ce qui est possible, en fonction des ressources dont nous disposons et des choix que nous ferons.
Je pense important de faire émerger une offre de trains de qualité sur les axes Paris-Orléans-Limoges-Toulouse et Paris-Clermont-Ferrand sans attendre la réalisation de lignes à grande vitesse.
C’est toute l’ambition que je porte au travers de la régénération des lignes et des deux schémas directeurs en cours d’étude par SNCF Réseau qui permettront toutes sortes d’améliorations : réduction des temps de parcours, robustesse accrue, mise en place de nouveaux matériels. L’État a prévu d’investir sur ces deux axes : les offres viennent de nous être remises et sont en cours d’analyse…
M. le président. Veuillez conclure, madame la ministre.
M. le président. La parole est à M. Dominique de Legge.
M. Dominique de Legge. Madame la ministre, je me réjouis de la mise en service de la ligne LGV Bretagne au mois de juillet dernier, même si le contrat initial qui consistait à mettre Brest et Quimper à 3 heures de Paris n’est pas encore atteint.
Lors de cette mise en service, élus et riverains ont constaté que de nombreuses nuisances avaient été sous-estimées. Une étude a donc été lancée afin de réaliser les mesures sonores qui s’imposent et de trouver des solutions techniques ou d’établir un mécanisme de compensation.
Quelle n’a pas été la stupéfaction d’un certain nombre de maires de recevoir, voilà quelques jours, un courrier de la direction générale des finances publiques, la DGFiP, les incitant à opérer des abattements sur la taxe d’habitation et sur la taxe foncière sur les propriétés bâties.
Toute infrastructure publique doit tenir compte des riverains. Je vous poserai donc trois questions simples, madame la ministre : pensez-vous que ce soit aux communes impactées par le tracé du TGV de faire les frais du financement des compensations financières ? Pensez-vous qu’une réduction de 5 % sur un montant de taxe d’habitation de 500 euros en moyenne, c’est-à-dire une somme de 25 euros par an, soit à la hauteur du préjudice subi ? Pensez-vous sérieux de compenser un préjudice subi par quelques-uns par un abattement sur une taxe que le Gouvernement se propose de supprimer pour tous ?
Je tiens ce courrier de la DGFiP à votre disposition, madame la ministre.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Je ne suis pas au courant de cette initiative de la direction générale des finances publiques. Mon ministère n’en a pas fait la demande et je doute que M. Darmanin en soit à l’origine. Nous allons essayer de tirer cela au clair.
J’attends la remise des études acoustiques en cours. Ces nuisances sonores supplémentaires concernent 500 foyers sur la ligne Sud-Europe-Atlantique et 600 sur la ligne Bretagne-Pays de la Loire.
Des mesures sont nécessaires pour vérifier si les concessionnaires ont bien respecté la réglementation acoustique. Il est possible qu’ils l’aient fait et que les riverains se plaignent malgré tout : dans le domaine ferroviaire, la réglementation se fonde sur un bruit moyen qui ne tient pas compte des pics sonores subis par les riverains…
Nous disposerons de ces résultats dans les prochaines semaines. Que les concessionnaires l’aient ou non respectée, nous aurons sans doute à revoir cette réglementation qui ne traduit pas la gêne ressentie par les riverains.
Nous devrons, avec l’ensemble des partenaires concernés, chercher des solutions pour répondre aux difficultés des riverains… sans passer par la direction générale des finances publiques. Encore une fois, monsieur le sénateur, je suis étrangère à cette initiative.
M. le président. La parole est à M. Dominique de Legge, pour la réplique.
M. Dominique de Legge. Merci de votre réponse, madame la ministre.
Ce courrier, que je vous ai fait transmettre hier, n’a pas été envoyé sur l’initiative du Gouvernement. J’en prends acte, même s’il provient bien de la direction générale des finances publiques.
Nous sommes sur la même longueur d’onde : attendons le résultat des études en cours.
M. le président. La parole est à M. Michel Savin.
M. Michel Savin. Avant toute chose, je tiens à saluer l’intérêt, mais aussi la difficulté, de l’exercice mené par la commission Duron pour cadrer la définition d’une stratégie d’investissement pluriannuelle dans les infrastructures de transport. Toutefois, nombre des conclusions qu’elle présente méritent d’être discutées et critiquées.
Certes, d’importants investissements doivent être prioritairement consacrés à l’entretien, à la modernisation et à la régénération des réseaux existants, mais il est essentiel de préserver une part des investissements pour les nouvelles infrastructures qui dynamisent l’économie et préparent l’avenir, dans un contexte de plus en plus concurrentiel avec nos voisins. Il s’agit d’une question de curseur et de volonté politique.
À cet égard, les recommandations du rapport Duron concernant les voies d’accès de la liaison Lyon-Turin relèvent du non-sens économique, écologique et géostratégique.
Le rapport recommande en effet de repousser les travaux d’aménagement des accès français au-delà de 2038. Or le Lyon-Turin constitue un ensemble cohérent, qu’il s’agisse des accès ou des tunnels. Cette infrastructure répond à toutes les priorités affichées par votre gouvernement : transition écologique via le report modal, compétitivité des entreprises dans les échanges internationaux, relance de la dynamique européenne…
Il s’agit aussi de soutenir la mobilité du quotidien, de Lyon vers les métropoles du sillon alpin. C’est notamment le cas de Grenoble, onzième métropole française avec 450 000 habitants, qui reste, une fois de plus, à l’écart des projets d’aménagement structurants du territoire français.
La ligne Lyon-Saint-André-le-Gaz-Grenoble a beau être un point noir connu et reconnu de notre réseau ferroviaire, emprunté chaque jour par des dizaines de milliers d’usagers, rien n’est fait pour la soutenir. Le report au-delà de 2038 est une entrave forte et durable à la mobilité qui se traduira par un enclavement de la métropole grenobloise.
Madame la ministre, le Lyon-Turin est une occasion historique de développer et de moderniser le réseau ferroviaire du sillon alpin. Le Gouvernement envisage-t-il de remettre à niveau et d’améliorer la desserte de la métropole grenobloise ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Il faut bien distinguer la réalisation du tunnel de base Lyon-Turin et de ses accès, d’une part, et la performance des liaisons TER, des trains de la vie quotidienne, sur les axes Lyon-Grenoble et Lyon-Chambéry, d’autre part.
On ne facilite pas la prise de décision en agrégeant des problématiques différentes. Au regard de ce qu’est aujourd’hui le trafic de fret ferroviaire dans le tunnel existant, il paraît raisonnable de réaliser le tunnel de base pour redynamiser ce même trafic et « jouer dans la même cour » que nos voisins, qui ont creusé deux tunnels entre l’Italie et la Suisse et un tunnel entre l’Italie et l’Autriche.
Toutefois, sauf à imaginer une croissance spectaculaire du trafic de fret – on peut l’espérer, mais il est préférable de s’appuyer sur des perspectives crédibles –, les lignes actuelles permettent l’accès du fret ferroviaire à ce tunnel.
Pour autant, nous ne devons pas sous-estimer les besoins des liaisons Lyon-Chambéry et Lyon-Grenoble qui ont été quelque peu occultés dans cette approche d’ensemble. Ces besoins, qui ont été identifiés, doivent être traités indépendamment de la question des accès du fret ferroviaire au Lyon-Turin.
Nous allons faire avancer les études dans cette direction. Je suis consciente de la nécessité d’améliorer la performance des liaisons de la vie quotidienne, et notamment de celles entre Lyon et Grenoble.
M. le président. La parole est à M. Max Brisson.
M. Max Brisson. Madame la ministre, GPSO, c’est Bordeaux-Toulouse et Bordeaux-Espagne. Où en est la liaison Bordeaux-Espagne ?
Premièrement, le rapport Duron repousse au-delà de 2038, c’est-à-dire aux calendes grecques, la construction d’une ligne nouvelle Bordeaux-Dax-Espagne, alors que les Espagnols construisent, eux, le « Y basque » Madrid-Bilbao-Saint-Sébastien pour 2023.
Deuxièmement, oubliant que les collectivités du sud aquitain ont payé pour la LGV du nord, certains membres du Conseil d’orientation des infrastructures vont plus loin et considèrent que le gain de temps serait identique en réalisant des travaux sur la ligne actuelle.
Troisièmement, le Conseil, dans son ensemble, n’envisage la construction d’une ligne nouvelle qu’au moment où la ligne actuelle sera saturée.
Quatrièmement, nous savons aussi qu’il n’existe pas d’acceptabilité sociétale et économique pour la ligne nouvelle en Pays basque français.
Dans ces conditions, la construction d’une ligne nouvelle est bel et bien durablement reportée, ce que je regrette vivement.
Dans l’attente, une solution alternative doit être trouvée. Vous l’avez esquissée voilà quelques instants, il reste à la préciser. Elle passe par des travaux de régénération de la ligne actuelle Bordeaux-Facture-Dax.
Ces travaux doivent être programmés d’ici à 2023 pour améliorer la desserte du sud des Landes, du Pays basque, de Pau et du Béarn. Cela serait d’autant plus opportun que SNCF Réseau a d’ores et déjà programmé des travaux pour la partie Bayonne-Hendaye.
Cette alternative, à défaut de la création d’une ligne nouvelle, permettra au moins une amélioration substantielle du temps de parcours et pourra être réalisée dans des délais et à des coûts acceptables à la fois pour les usagers et pour nos partenaires espagnols.
Elle seule peut rendre plus ou moins acceptable le report du projet de ligne nouvelle à un horizon postérieur à 2038.
Ce report, madame la ministre, ne peut signifier l’absence de travaux d’amélioration sur les lignes Bordeaux-Dax-frontière et Bordeaux-Dax-Pau. Il nous faut des garanties, nous ne pouvons subir une double peine ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Le rapport a le mérite de mettre sur la table le coût de ce projet. Eu égard aux ressources disponibles, sauf à augmenter considérablement les moyens consacrés aux infrastructures de transport, il n’est pas possible de réaliser ce projet à court terme.
J’ai régulièrement des échanges très nourris avec les élus de Nouvelle-Aquitaine, et notamment avec le président Alain Rousset. J’ai également reçu une délégation, conduite par ma collègue Geneviève Darrieussecq, pour évoquer cette question.
Cette ligne a fait l’objet d’une déclaration d’utilité publique, ce qui permet de préserver l’avenir et de prendre en compte cette future infrastructure dans les documents d’urbanisme. Il s’agit d’un point important.
Par ailleurs, les collectivités des régions Occitanie et Nouvelle-Aquitaine ont proposé de réfléchir à des ressources financières locales supplémentaires, comme pour la Société du Grand Paris en Île-de-France.
Nous sommes en train de mener ces travaux avec les collectivités concernées. Nous verrons, compte tenu des ressources disponibles de l’AFITF et des éventuelles ressources complémentaires qui pourraient être dégagées, quel sera le meilleur calendrier de réalisation de cette ligne.
Monsieur le sénateur, je vous confirme que la perspective de cette ligne nouvelle ne devrait pas avoir de conséquence sur la réalisation des travaux d’entretien, de modernisation et d’amélioration de la ligne existante.
Dans de nombreux territoires, la construction d’une ligne à grande vitesse a trop souvent conduit à négliger l’entretien et la modernisation de la ligne existante. Nous rencontrons très fréquemment cette difficulté aujourd’hui et c’est justement ce que nous voulons éviter à l’avenir.
M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur « les scénarios du rapport du Conseil d’orientation des infrastructures du 1er février 2018 au regard de l’avenir des lignes LGV et de l’aménagement du territoire ».
6
Mise au point au sujet d’un vote
M. le président. La parole est à M. Claude Kern.
M. Claude Kern. Monsieur le président, lors du scrutin n° 77 du 27 mars 2018, sur l’ensemble de la proposition de loi d’orientation et de programmation pour une meilleure protection des mineurs victimes d’infractions sexuelles, notre collègue Dominique Vérien a été considérée comme s’étant abstenue, alors qu’elle souhaitait voter pour.
M. le président. Acte est donné de cette mise au point, mon cher collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.
Mes chers collègues, l’ordre du jour de cet après-midi étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures cinquante-cinq, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de Mme Marie-Noëlle Lienemann.)
PRÉSIDENCE DE Mme Marie-Noëlle Lienemann
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
7
Ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs
Discussion d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi relative à l’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs, présentée par MM. Hervé Maurey et Louis Nègre (proposition n° 711 [2016-2017], texte de la commission n° 370, rapport n° 369).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Hervé Maurey, auteur de la proposition de loi.
M. Hervé Maurey, auteur de la proposition de loi. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le quatrième paquet ferroviaire, adopté en décembre 2016, a fixé des échéances très claires pour l’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs : le 3 décembre 2019 pour les services conventionnés, TER et TET ; le 14 décembre 2020 pour les services librement organisés, c’est-à-dire les TGV, avec une obligation de transposition de la directive d’ici au 25 décembre 2018.
Les échéances sont donc proches et l’expérience de la libéralisation du fret ferroviaire nous montre qu’il faut anticiper cette réforme le plus en amont possible.
C’est pour cela, mais aussi parce que nous pensons, Louis Nègre et moi-même, que l’ouverture à la concurrence peut et doit être une chance pour le secteur ferroviaire en général, la SNCF en particulier et surtout pour les usagers, que nous avons décidé de travailler à la rédaction d’une proposition de loi dès le début de l’année 2017. Qu’il me soit, à ce stade, permis de saluer le travail et l’engagement constant sur cette question de notre ancien collègue Louis Nègre, qui aime rappeler que l’on parle depuis 1991 de la libéralisation du transport ferroviaire, et qu’il est donc grand temps de passer de la parole aux actes.
Nous savions que l’ancien gouvernement ne se saisirait pas de ce dossier avant les échéances électorales et nous nous doutions que le gouvernement issu des élections du printemps aurait certainement d’autres urgences. Nous avons donc préparé cette proposition de loi en travaillant avec l’ensemble des parties prenantes : syndicats, usagers, régions, ARAFER, groupe public ferroviaire, nouveaux entrants et, bien sûr, ministères.
Dès votre nomination, madame la ministre, nous vous avons fait part de notre initiative, en vous indiquant que notre démarche visait non pas à gêner le Gouvernement, encore moins à le court-circuiter, mais, au contraire, à mettre à sa disposition notre travail, pour qu’il s’en saisisse le plus rapidement possible. Nous n’avons d’ailleurs pas manqué de vous alerter sur la nécessité de légiférer rapidement, pour définir les modalités de cette réforme d’ampleur.
Nous avons déposé notre texte le 6 septembre 2017 et nous vous l’avons présenté dans l’esprit de coconstruction qui était le nôtre. À votre demande, j’ai accepté de renoncer à l’inscription de ce texte à l’ordre du jour en janvier, comme cela était prévu, car vous souhaitiez attendre les conclusions de la mission de M. Spinetta. J’ai accédé à votre souhait, car vous m’aviez assuré que cette proposition de loi serait le véhicule législatif soutenu par le Gouvernement pour mener à bien sa réforme.
Profitant de ce délai supplémentaire pour conforter la qualité juridique du texte, le président du Sénat a saisi le Conseil d’État, comme la Constitution le lui permet depuis 2008. Celui-ci a rendu son avis le 22 février dernier. Je tiens à souligner le caractère tout à fait exceptionnel de cette démarche, puisque seules quatre propositions de loi d’initiative sénatoriale avaient été précédemment soumises au Conseil d’État.
Quelle ne fut donc pas notre surprise d’apprendre que le Gouvernement décidait finalement de procéder à la réforme du système ferroviaire par ordonnances ! Comment ne pas y voir un mépris absolu du travail du Sénat, du Parlement dans son ensemble et, au-delà, de nos compatriotes, car, sur un tel sujet, un vrai débat s’impose ?
La raison invoquée par le Gouvernement est qu’il faut aller vite. Tout à fait d’accord, mais pourquoi avoir attendu aussi longtemps avant de lancer les concertations ? Vous saviez, madame la ministre, que ces échéances existaient ; Louis Nègre et moi-même vous les avions rappelées à plusieurs reprises. Le Gouvernement a préféré prendre son temps, pour ne pas dire le perdre.
Aujourd’hui, la concertation avec les syndicats est une priorité, mais pourquoi, au nom de cette concertation, refuser le débat avec le Parlement ? Le Gouvernement ne serait-il pas plus fort s’il pouvait s’appuyer sur un soutien du Parlement ?
J’observe d’ailleurs avec étonnement que vous avez, depuis l’origine, voulu éluder le débat sur le sujet. Le transport ferroviaire a été écarté des Assises nationales de la mobilité, au motif qu’un expert aux compétences reconnues dans le secteur aérien allait nous expliquer comment sauver le secteur ferroviaire. L’avenir du système ferroviaire concerne tout de même, vous le savez mieux que quiconque, 3,2 millions de voyageurs par jour. Pourquoi avoir sacrifié le nécessaire débat, dans l’attente des oracles de M. Spinetta, devenu, en quelque sorte, le « gourou » du ferroviaire ?
Aujourd’hui, pour justifier les ordonnances, vous invoquez, après avoir perdu beaucoup de temps, la nécessité d’aller vite. Mais savez-vous, madame la ministre, qu’il faut en moyenne six mois pour examiner un projet de loi en procédure accélérée, alors que le délai moyen entre la demande d’habilitation par le Parlement et la signature de l’ordonnance est de dix-huit mois ? Ce n’est pas moi qui le dis, mais les statistiques qui l’attestent.
En l’espèce, nous avons, vous avez, une proposition de loi qui est prête, qui a été examinée par le Conseil d’État et qui, à la suite de cet avis du Conseil d’État, a été améliorée grâce au travail de notre rapporteur en commission. Vous avez donc, grâce à ce texte, la possibilité d’aller plus vite que par ordonnances, lesquelles, dans le meilleur des cas, ne seraient pas adoptées avant le mois de juin. En même temps, vous avez la possibilité de permettre un vrai débat parlementaire.
Madame la ministre, jamais une réforme d’une telle ampleur n’a été décidée par ordonnances, en demandant des habilitations aussi floues. Vous allez nous répondre qu’au fur et à mesure de l’examen de la loi d’habilitation vous introduirez des dispositions législatives définitives. Cette démarche pour le moins inédite, pour ne pas dire exotique, n’est pas de nature à nous rassurer, car les mesures que vous introduirez et qui porteront certainement sur des sujets majeurs n’auront pas été examinées préalablement par le Conseil d’État et ne le seront pas non plus, dans la mesure où il ne s’agira pas d’ordonnances, a posteriori.
Il y a également fort à parier que le Parlement sera, comme c’est souvent le cas, saisi tardivement et aura, de ce fait, peu de temps pour les examiner et mener les concertations nécessaires. L’expérience nous montre en effet que le Gouvernement nous saisit trop souvent au dernier moment de ses amendements, parfois même quelques heures avant l’ouverture de la séance.
Je voudrais, avant de conclure, évoquer deux points fondamentaux pour nous. Premièrement, l’ouverture à la concurrence doit se traduire non pas par une dégradation de la qualité du service offert aux clients, mais par une amélioration. Deuxièmement, l’ouverture à la concurrence ne doit pas se faire au détriment des territoires.
Nous sommes donc en désaccord total avec la position de M. Spinetta, préconisant de recentrer le ferroviaire sur « les dessertes à grande vitesse entre les principales métropoles françaises ». Cette position est en contradiction absolue avec le concept d’aménagement du territoire, auquel nous sommes particulièrement attachés. De même, nous ne sommes pas favorables à une ouverture à la concurrence des services TGV reposant exclusivement sur le libre accès au réseau, ce que l’on appelle l’open access, car elle aboutirait à la disparition de nombreuses liaisons, moins rentables ou déficitaires, mais pourtant indispensables à l’aménagement du territoire.
Nous voulons éviter un tel écrémage, du type de celui qui est opéré par les opérateurs de téléphonie, et préserver la desserte des villes moyennes par les services TGV. Par ce texte, nous proposons donc une mesure forte, pour répondre à la nécessité de préserver l’aménagement du territoire, en prévoyant que l’État, en tant qu’autorité organisatrice de transport, conclura des contrats de service public pour les services TGV, en combinant, dans un même contrat, services rentables et services non rentables, dès lors, bien sûr, que ce sera nécessaire. Nous aurons l’occasion d’en reparler au cours du débat.
Madame la ministre, vous l’avez compris, nous sommes favorables à une réforme ambitieuse du système ferroviaire et de la SNCF, ainsi qu’à son ouverture à la concurrence, mais pas dans ces conditions. Grâce à cette proposition de loi, le débat que le Gouvernement voulait nous refuser aura lieu. Je remercie chaleureusement tous les groupes du Sénat qui ont souhaité ou accepté son inscription à l’ordre du jour de notre assemblée.
Nous ne sommes pas, sur ces travées, tous d’accord sur le texte que je présente ce soir. (Mme Éliane Assassi approuve.) Mais nous avons tous la volonté que le débat ait lieu. Nous sommes tous attachés à sauver le système ferroviaire et la SNCF. Nous voulons tous éviter que cela se fasse au détriment de la qualité du service et de la desserte équilibrée de nos territoires. C’est là tout l’enjeu de ce débat. Ces points essentiels constituent le socle commun aux membres de notre Haute Assemblée, dont vous mesurerez ce soir, une fois encore, l’engagement sur ces sujets. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-François Longeot, rapporteur de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, rien ne sert de courir, il faut partir à point.
M. Rémy Pointereau. Ah !
M. Jean-François Longeot, rapporteur. Comme le président Maurey, je m’interroge : pourquoi avoir tant tardé à s’emparer du sujet de l’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs ? Ce retard nous oblige, à quelques mois de la date butoir fixée par l’Union européenne, à légiférer par voie d’ordonnances, contribuant à nous priver d’un débat pourtant indispensable.
L’ouverture à la concurrence est une obligation européenne. Nous pouvons la transformer en opportunité pour nos transports ferroviaires, qui ont perdu de leur attractivité ces dernières années. Depuis 2011, la fréquentation des trains recule, alors que celle des autres modes de transport – voiture particulière, avion, autocar – progresse. Cette évolution va à l’encontre du modèle que nous devrions défendre pour protéger l’environnement. Elle est à l’opposé de ce qui s’observe chez nos voisins européens, où la part modale du train progresse. Nombre d’entre eux n’ont d’ailleurs pas attendu le quatrième paquet ferroviaire pour ouvrir leurs services à la concurrence, avec des effets positifs sur la qualité de service, sur la fréquentation, sur la réduction des coûts, au profit, bien entendu, des usagers.
C’est la raison pour laquelle nous soutenons, sur le fond, cette réforme, à la condition d’en définir correctement les modalités. Tel est l’objet de cette proposition de loi. Nous nous sommes d’ailleurs attachés, en commission, à clarifier et sécuriser plusieurs dispositions du texte sur le plan juridique, en prenant en compte les observations formulées par le Conseil d’État. C’était l’objectif de cette saisine.
Comme l’a indiqué le président Maurey, l’un des axes forts de la proposition de loi est de chercher à préserver les dessertes TGV considérées comme peu rentables ou même déficitaires, alors qu’une ouverture à la concurrence reposant exclusivement sur le libre accès au réseau prévu par l’Union européenne, l’open access, aboutirait à un écrémage des dessertes.
Aussi la proposition de loi prévoit-elle que l’État conclura des contrats de service public pour l’exploitation des services dits TGV, en combinant des liaisons rentables et des liaisons non rentables. Il s’agit, à ce jour, de la seule solution permettant de préserver de façon certaine des dessertes considérées comme non rentables dans le contexte de l’ouverture à la concurrence, sans rupture de charge pour les usagers. À l’inverse, un conventionnement des seules liaisons non rentables, notamment celles qui permettent de desservir les villes moyennes par des trains TGV, obligerait les usagers à changer de train pour commencer ou terminer leur trajet, ce qui réduirait d’autant l’attractivité du mode ferroviaire par rapport aux autres modes de transport.
L’objectif est non pas de couvrir tous les services TGV par des contrats de service public, mais de faire coexister, dans un système équilibré, des services librement organisés, en open access, et des services conventionnés, comprenant des services à grande vitesse. Il reviendra à l’État, en tant qu’autorité organisatrice, de prendre ses responsabilités dans ce domaine, en déterminant les dessertes qu’il souhaite préserver et en concluant les contrats de service public correspondants.
Les autres dispositifs de la proposition de loi visent à lever les obstacles à une ouverture effective à la concurrence.
Le premier sujet, primordial, est la question des données, car les autorités organisatrices ne parviennent pas, aujourd’hui, à obtenir de l’opérateur historique les informations dont elles ont besoin pour exercer leurs missions.
Pour y remédier, l’article 7 crée un dispositif contraignant, imposant à SNCF Mobilités et SNCF Réseau de transmettre aux autorités organisatrices les informations indispensables à l’exercice de leur mission, dispositif assorti d’une possibilité de sanction par l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières, l’ARAFER, en cas de manquement. Les autorités organisatrices devront, quant à elles, fournir aux candidats aux appels d’offres les informations nécessaires à la préparation de leur candidature, comme le prévoit l’article 2. Dans les deux cas, un décret en Conseil d’État, pris après avis de l’ARAFER, déterminera un socle minimal d’informations à transmettre pour fixer un cadre homogène et éviter que des contestations ne bloquent la transmission de ces données.
Le deuxième sujet, c’est celui du transfert de personnels entre entreprises ferroviaires.
L’article 8 de la proposition de loi fixe, de manière précise et détaillée, le régime applicable au transfert des salariés, ce qui lui confère une garantie juridique forte et limite les incertitudes qui résulteraient d’un dispositif trop flou. Ce dernier laisserait des marges d’interprétation et, donc, des possibilités de contentieux au moment du transfert. L’article prévoit que le périmètre des salariés à transférer est arrêté par les autorités organisatrices de transport et communiqué aux opérateurs souhaitant candidater aux appels d’offres. Le transfert s’effectuera prioritairement sur la base du volontariat, puis sur décision de l’entreprise ferroviaire sortante si le nombre de volontaires est inférieur au périmètre arrêté par les autorités organisatrices.
L’article 8 détermine ensuite le socle de droits sociaux garantis aux salariés de SNCF Mobilités transférés, ce que l’on appelle parfois le « sac à dos social » : l’ensemble des salariés conserveront un niveau de rémunération identique à celui qui aura été perçu lors des douze derniers mois précédant le transfert, ainsi que le bénéfice des facilités de circulation ; en outre, les salariés sous statut garderont leur affiliation au régime spécial de retraite de la SNCF et les droits à pension qui en découlent, ainsi que la garantie de l’emploi. À l’issue d’un premier transfert, les salariés qui seraient amenés à rejoindre de nouveau SNCF Mobilités pourront réintégrer le statut s’ils en bénéficiaient initialement. S’ils sont transférés à un nouvel opérateur, leurs droits garantis seront maintenus.
En ce qui concerne les matériels roulants, les autorités organisatrices seront libres de déterminer l’option la plus adaptée : elles pourront avoir recours à une société de location, demander aux entreprises d’apporter leurs propres matériels, ou récupérer la propriété des matériels de SNCF Mobilités pour les mettre à la disposition de l’entreprise remportant le marché. De la même façon, en vue de faciliter l’accès des entreprises ferroviaires aux ateliers de maintenance, les autorités organisatrices pourront en récupérer la propriété.
Pour ce qui est des gares, l’ouverture à la concurrence impose de séparer le gestionnaire des gares de l’opérateur historique de transport, SNCF Mobilités, afin de garantir aux entreprises ferroviaires un accès transparent et non discriminatoire aux gares de voyageurs. À cette fin, l’article 11 prévoit la transformation, au 1er janvier 2020, de Gares & Connexions en société anonyme à capitaux publics, filiale de l’établissement public « de tête » SNCF.
Le capital social de Gares & Connexions pourra être ouvert à d’autres investisseurs, afin de contribuer au développement et à la modernisation des gares, l’État devant, en tout état de cause, demeurer l’actionnaire majoritaire. L’État conclura avec Gares & Connexions un contrat pluriannuel fixant des objectifs de gestion des gares, notamment en matière de trajectoire financière, de qualité de service et d’aménagement du territoire. Afin d’assurer l’indépendance des dirigeants de Gares & Connexions à l’égard des entreprises ferroviaires, plusieurs garanties sont prévues, sur le modèle de ce qui existe actuellement pour SNCF Réseau.
Enfin, pour faciliter l’information aux voyageurs et la vente des billets dans le contexte de l’apparition de nouveaux opérateurs, l’État pourra imposer aux entreprises ferroviaires de participer à un système commun d’information des voyageurs et de vente des billets.
Pour conclure, je veux me réjouir que nous puissions, ici, au Sénat, avoir un débat sur un sujet aussi important, qui a des impacts, on l’a vu, sur les usagers, comme sur les territoires.
Le texte que nous examinons aujourd’hui a été préparé très en amont, après de nombreuses consultations. Il constitue un dispositif équilibré, dont nombre de mesures sont partagées par plusieurs acteurs du secteur. Mes chers collègues, comme le disait Gérard Cornu en commission, saisissons-nous de ce dossier relatif à l’aménagement du territoire et à la desserte de l’ensemble du territoire par les transports ! Je vous invite donc à soutenir cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Madame la présidente, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, alors que nous ouvrons ce débat, je voudrais partager avec vous une conviction forte.
Face aux transformations politiques, économiques et sociales qui bouleversent notre société, nos concitoyens, nos territoires ont besoin de mobilité. Car une société mobile, c’est une société capable à la fois de s’adapter aux défis qui se présentent à elle et de se rassembler autour d’objectifs communs.
Ces mobilités – professionnelle, culturelle ou sociale – dont notre société a tant besoin ont un préalable : la mobilité physique. Force est de constater qu’aujourd’hui les Français ne sont pas égaux face à la mobilité. L’absence de solutions de mobilité est encore trop souvent un frein pour l’accès à l’éducation ou à l’emploi. Elle alimente un sentiment d’assignation à résidence chez certains de nos concitoyens et d’abandon dans de trop nombreux territoires.
Je ne peux m’y résoudre. Peut-on accepter que, dans notre pays, une personne sur quatre ait refusé un emploi ou une offre de formation en raison de difficultés de déplacement ?
L’objectif du Président de la République et du Gouvernement est d’accompagner tous nos territoires, de répondre aux préoccupations premières de nos concitoyens et aux besoins des entreprises : les transports du quotidien, la lutte contre la congestion des grandes agglomérations, l’accès à l’emploi et aux services dans les territoires, l’optimisation de nos systèmes logistiques. Dès lors, mon rôle, en tant que ministre des transports, ne se réduit pas à proposer une évolution, ici, du train, là, de la route ou bien des voies fluviales. Mon ambition consiste à redonner à nos politiques de mobilité un objectif très simple : répondre aux besoins de mobilité des Français.
Mesdames, messieurs les sénateurs, ces besoins, quels sont-ils ? Ce sont ceux qui sont exprimés par nos concitoyens, à Aurillac, à Prades, en passant par Strasbourg, lors des Assises nationales de la mobilité. Ce sont ceux que vous entendez à Ornans, à Bernay, à Chartres,…
M. Rémy Pointereau. À Vierzon !
M. Michel Canevet. À Quimper !
Mme Élisabeth Borne, ministre. … et dans chacun des territoires que vous représentez.
Nos concitoyens nous le disent : « Nous voulons des transports quotidiens efficaces. » Pour répondre à ce besoin vital, le système ferroviaire a toute sa place. Il joue, depuis bientôt deux siècles, un rôle central dans les déplacements de nos concitoyens, dans l’attractivité économique de notre pays et dans l’aménagement de nos territoires, dont il a largement contribué à redessiner la géographie.
Parce que je suis convaincue que ce rôle doit rester au cœur de notre politique de mobilité, doit perdurer en se renouvelant, j’ai souhaité présenter une stratégie d’ensemble de refonte de notre système ferroviaire. En effet, alors que le système ferroviaire est, en quelque sorte, un ADN commun à tous les Français, force est de constater qu’il est à bout de souffle. Vous le savez, depuis une trentaine d’années, priorité a été donnée à la grande vitesse, incontestable succès technique et commercial, les statistiques de trafic pour 2017 le prouvent encore. Si la fonction d’aménagement du territoire de ces lignes à grande vitesse ne doit pas être minimisée, il subsiste pour autant de nombreux besoins insuffisamment satisfaits. Ces derniers étaient d’ailleurs au cœur de nos échanges cet après-midi.
Par ailleurs, le transport ferroviaire de marchandises est en crise, avec des trafics inférieurs de 40 % à ceux du début des années 2000. C’est une situation dont toute une économie pâtit et à laquelle il faut une meilleure réponse.
Enfin, le déséquilibre économique et financier du système non seulement pèse sur les finances publiques, mais menace également l’avenir du système ferroviaire ; je pense en particulier à la question de la dette.
Vous le reconnaîtrez comme moi, tout ne marche donc pas au mieux dans notre système ferroviaire actuel. Comment produire des mobilités vertueuses et efficaces quand les vitesses de circulation sont actuellement ralenties sur plus de 20 % du réseau, soit deux fois plus qu’il y a dix ans ? Et que penser alors de la dette que je viens d’évoquer, qui se creuse de 3 milliards d’euros chaque année, pour atteindre 50 milliards d’euros aujourd’hui ?
M. Rémy Pointereau. Faire comme en Allemagne !
Mme Élisabeth Borne, ministre. Aussi, le Président de la République et le Gouvernement portent un projet ambitieux pour notre système ferroviaire français : cette réforme globale doit construire les bases durables d’un meilleur service public ferroviaire ; en d’autres termes, l’objectif est d’avoir un meilleur service public, au meilleur coût, pour les voyageurs et les contribuables.
Concrètement, cela veut dire : pour les voyageurs, des trains plus ponctuels, plus de trains là où il y en a besoin, avec plus de services, et en toute sécurité ; pour la SNCF, un modèle économique enfin équilibré, une entreprise publique plus forte, avec tous les atouts pour faire face à la concurrence ; pour les cheminots, une vision claire de l’avenir, avec des métiers attractifs et une reconnaissance de leur rôle ; pour les contribuables, la garantie que chaque euro pour le service public ferroviaire est dépensé efficacement.
Afin d’y parvenir, nous devons mener une réforme cohérente, articulée sur deux engagements forts de l’État. Le premier, celui d’investir plus qu’il ne l’a jamais fait pour le ferroviaire : 36 milliards d’euros dans les dix prochaines années pour les infrastructures, soit 50 % de plus que sur la dernière décennie. Le second, celui de donner un nouveau cadre au ferroviaire, pour une ouverture à la concurrence réussie et stimulante pour la SNCF. En cela, la question de la transformation en société nationale à capitaux publics ne doit pas être un tabou. Je m’engage de nouveau solennellement sur ce sujet devant la Haute Assemblée : la SNCF est une entreprise publique, et elle le restera.
Dans le même temps, la SNCF doit conduire sa réforme, au travers d’un nouveau projet d’entreprise, pour mieux répondre aux attentes de ses clients voyageurs et fret, en proposant un cadre social motivant pour les cheminots. Et c’est bien parce qu’elle doit avoir toute sa part dans notre nouvelle politique de mobilité qu’il est nécessaire de refonder la SNCF sur des bases modernes, agiles, unifiées, afin de préparer l’entreprise publique à relever ces nouveaux défis.
Je veux dès maintenant le préciser : accompagner la SNCF dans le XXIe siècle, c’est également pour moi la conforter dans son rôle fondateur, au service de l’aménagement durable des territoires. Vous l’aurez compris, il n’est donc pas question de supprimer, comme j’ai pu l’entendre ici ou là, les lignes de maillage et d’intérêt local, improprement appelées « petites lignes ». Il s’agira, au contraire, de faire en sorte que ces lignes puissent retrouver leur attrait et soient en mesure de répondre aux besoins.
De même, le modèle d’un TGV assurant une desserte des villes moyennes au-delà des lignes à grande vitesse doit être conforté par la réforme. Là encore, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux être claire : personne ne remet en cause ce modèle. Nous pourrons débattre de la méthode retenue dans la proposition de loi et des alternatives possibles.
Dans le cadre de cette réforme, la question de l’ouverture à la concurrence est naturellement essentielle. La proposition de loi que nous nous apprêtons à examiner la soulève avec une juste acuité.
Je voudrais saluer la qualité des travaux engagés de longue date par votre Haute Assemblée sur cette question, par votre commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, son président, son rapporteur et votre ancien collègue Louis Nègre. Effectivement, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui rejoint, sur certains points, les thèmes que le Gouvernement entend traiter dans le projet de loi pour un « nouveau pacte ferroviaire ».
Pour autant, vous le savez, la concurrence n’est qu’un des éléments du projet présenté le 26 février dernier par le Premier ministre.
Parce qu’elle repose sur une volonté forte, celle de répondre aux besoins de nos concitoyens et de nos entreprises, parce qu’elle ne refuse pas de prendre à bras-le-corps les difficultés que rencontre notre système ferroviaire, parce qu’elle entend répondre aux inquiétudes exprimées par les cheminots, vous l’aurez compris, l’ambition du Gouvernement de remettre sur pied notre système ferroviaire ne se réduit pas à l’ouverture à la concurrence.
Le pacte ferroviaire porté par le Gouvernement se place dans une vision plus large des mobilités au service du pays. Il s’inspire de la richesse des échanges des Assises nationales de la mobilité et de la rigueur des travaux du Conseil d’orientation des infrastructures. Il s’inscrit dans une démarche globale permettant, trente-six ans après la loi d’orientation sur les transports intérieurs, de redéfinir l’ensemble des outils de notre politique de transport. Je pense, par exemple, à la constitution d’autorités organisatrices dans les territoires qui en sont actuellement dépourvus, à la création de leviers pour encourager toutes les initiatives pertinentes et efficaces permettant de proposer des solutions de mobilité ou à la programmation sincère de nos investissements en termes d’infrastructures.
J’en viens à la méthode choisie par le Gouvernement. Elle a, je le sais, suscité des interrogations auxquelles l’inscription de cette proposition de loi me donne opportunément l’occasion de répondre.
Le projet de loi que je porte n’entame pas le temps du dialogue social, bien au contraire. J’ai engagé un processus de concertation et de négociation avec l’ensemble des parties prenantes, qu’il s’agisse des organisations syndicales, bien sûr, mais également des représentants des usagers, des entreprises ou encore des collectivités concernées.
Cette réforme suscite, vous le savez, de légitimes interrogations chez les cheminots. C’est dans la concertation et par le dialogue que nous pourrons y répondre.
J’ai démarré cette concertation voilà quatre semaines. Nous avons déjà tenu plus de quarante réunions, près de soixante-dix sont d’ores et déjà prévues, et elles sont indispensables.
Le projet de loi que je porte n’entame pas non plus le temps du débat parlementaire. Comme je m’y suis engagée, il sera enrichi des concertations en cours afin qu’elles puissent être débattues et votées au Parlement. À cet effet, chaque fois que nous aurons suffisamment avancé dans la concertation, nous introduirons, par voie d’amendement, les dispositions correspondantes à la place des ordonnances.
Le Parlement ne sera pas privé d’un débat de fond, au fond ou plutôt à la hauteur des enjeux de cette réforme. La richesse des échanges que nous aurons ce soir, qui se poursuivront demain et dans les prochains jours sur le projet de loi que je vous présenterai, en portera témoignage.
Alors que les discussions avec les organisations syndicales et patronales ne sont pas encore terminées – je suis convaincue de votre attachement au dialogue social –, vous comprendrez que le Gouvernement ne puisse se prononcer aujourd’hui sur l’ensemble de cette proposition de loi. Cela étant, je ne doute pas que plusieurs dispositions de la présente proposition de loi viendront enrichir le texte que je porterai au cours de la navette.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la SNCF a quatre-vingts ans cette année. Vous êtes, comme chaque Français et comme moi-même, attachés à cette belle entreprise qui fait partie de notre patrimoine national ; un patrimoine vivant de l’engagement quotidien des femmes et des hommes qui y travaillent avec passion : les cheminots. Cet héritage commun, ce bien public, je souhaite non seulement le préserver, mais également le conforter, pour répondre aux légitimes attentes de nos concitoyens et des territoires. C’est mon ambition et, je n’en doute pas, c’est aussi la vôtre. (Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.
Question préalable
Mme la présidente. Je suis saisie, par Mme Assassi, M. Gontard et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, d’une motion n° 1.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur la proposition de loi relative à l’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs (n° 711, 2016-2017).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à Mme Éliane Assassi, pour la motion.
Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, quelques jours après la première grande manifestation à Paris pour la défense du service public, nous engageons, avec l’examen de cette proposition de loi, la première étape parlementaire de la réforme ferroviaire.
Je le dis d’emblée, les sénatrices et sénateurs de mon groupe soutiennent tous les agents du service public, qui œuvrent chaque jour, et même chaque nuit, pour que notre droit à la mobilité soit garanti. Ces agents exigent, avec dignité, le respect du dialogue social et la préservation de leur outil de travail. Nous serons donc à leurs côtés dans toutes les actions collectives qu’ils décideront de mener pour s’opposer à la casse du service public ferroviaire.
Venons-en à cette proposition de loi.
Le Gouvernement, qui fait peu de cas des institutions démocratiques, dont le Parlement, a fait le choix de passer son « nouveau pacte ferroviaire » par ordonnances et dans la précipitation. Pour répondre à cette provocation, la conférence des présidents du Sénat a fait le choix d’inscrire à notre ordre du jour, en urgence également, la présente proposition de loi, pour qu’elle devienne le support législatif de ce nouveau pacte ferroviaire. Nous sommes tous d’accord ici pour dire que le ferroviaire est un sujet trop structurant pour nos territoires pour le laisser à la seule discrétion du pouvoir exécutif. La représentation nationale doit pouvoir exercer ses prérogatives.
Cette posture gouvernementale se double d’une certaine idée du dialogue social, cette méthode étant utilisée comme un moyen de faire pression sur les partenaires sociaux. Le chantage est le suivant : soit vous êtes raisonnables et l’on transforme progressivement les ordonnances en dispositions législatives ordinaires, soit vous vous obstinez, et tout vous échappera.
Nous partageons donc pleinement la volonté du Sénat de signifier au Gouvernement notre refus de légiférer par ordonnances sur un tel sujet, notre refus de voir le dialogue social si malmené. Nous exprimons aussi l’idée qu’il faut donner le temps nécessaire au travail législatif. Cependant, sur ce point, nous sommes un peu gênés : même si nous comprenons l’urgence d’une réponse rapide du Sénat, celle-ci conduit dans les faits à malmener les droits des parlementaires. La proposition de loi ayant été inscrite à l’ordre du jour voilà deux semaines, il est impensable de demander aux parlementaires, a fortiori à ceux des petits groupes, un travail législatif rigoureux dans des délais si contraints. Ces délais contraints se conjuguent en outre avec un déficit d’information. Sur un tel sujet, il nous semble indispensable de disposer d’une étude d’impact et de l’avis du Conseil d’État. Or nous n’avons eu connaissance de l’avis du Conseil d’État que lundi, et nous attendons toujours l’étude d’impact.
Nous nous trouvons donc dans une situation où nous partageons le message envoyé au Gouvernement, tout en ne partageant pas le message envoyé aux sénatrices et sénateurs appelés à adopter cette proposition de loi comme un élément de contestation, mais sans avoir à se prononcer sur son contenu. Or, sur le fond, nous nous trouvons face à une variation sur un même thème, celui du quatrième paquet ferroviaire, qui entérine l’ouverture à la concurrence des transports de voyageurs, lignes à grande vitesse comme trains régionaux.
Les sénateurs du groupe CRCE sont radicalement opposés à cette démarche qui condamne le service public ferroviaire. En effet, il est illusoire de penser que l’on peut marier une politique d’aménagement du territoire avec la libéralisation du rail, qui conduit à des politiques de court terme, centrées sur la rentabilité de l’offre. Nous y opposons l’intérêt général, la réponse aux besoins exprimés en termes d’aménagement du territoire, de droit à la mobilité ou de transition environnementale. Nous considérons ainsi – c’est ce qui motive cette motion – que cette proposition de loi ne doit pas être le support de la réforme ferroviaire.
En premier lieu, nous estimons que les directives européennes sont faites pour être révisées si elles ne répondent pas à leur postulat de départ, en l’occurrence une amélioration du service. Nous estimons ainsi que la France, forte de son expérience en matière d’ouverture à la concurrence du fret ferroviaire, laquelle s’est traduite par un recul du rail au profit de la route, une rétraction du réseau – et même son abandon parfois – ainsi que la fermeture de triages, devrait pouvoir demander la renégociation de l’ensemble des paquets ferroviaires.
En deuxième lieu, les expériences étrangères nous démontrent que cette voie n’est pas souhaitable pour les usagers. En effet, les tarifs explosent, comme on le voit en Grande-Bretagne, sans compter les aspects de sécurité ferroviaire, celle-ci étant bien plus difficile à obtenir avec la multiplication des opérateurs.
Par ailleurs, la proposition de loi comporte des éléments particulièrement inquiétants, qui vont plus loin que les exigences du quatrième paquet ferroviaire. Tout d’abord, elle anticipe les dates d’ouverture à la concurrence des transports conventionnés. Ensuite, le droit européen est muet sur le régime de propriété des entreprises qui assument un service public.
Il n’est aucunement exigé par le droit européen que Gares & Connexions change de statut. C’est une décision purement idéologique, partagée d’ailleurs par le Gouvernement, qui souhaite changer le statut de l’ensemble de l’entreprise publique. Pour notre part, nous sommes opposés à tout changement de statut. Nous considérons que la forme publique est la plus adaptée à l’exercice du service public. En l’occurrence, les gares sont des structures d’aménagement du territoire qui ne doivent appartenir qu’à la puissance publique, sous une forme garantissant cette pleine maîtrise publique.
Il s’agit enfin d’une transposition particulièrement défavorable au service public, puisque les exceptions d’ouverture à la concurrence ouvertes par le règlement sur les obligations de service public, ou règlement OSP, sont directement refermées par cette proposition de loi, qui interdit de les utiliser pour maintenir en certains lieux le monopole de la SNCF. Nous nous trouvons, là aussi, face à une posture idéologique. Même le projet gouvernemental est plus souple, en retardant l’ouverture en Île-de-France du fait de la densité des réseaux. Nous pensons, pour notre part, que ces exceptions pourraient être invoquées pour l’ensemble des régions.
Concernant les modalités d’ouverture à la concurrence, j’entends l’argument selon lequel la proposition de loi vise à définir des lots de lignes et qu’une telle démarche assurerait mieux l’aménagement du territoire pour l’offre à grande vitesse. Certes, c’est mieux que l’open access prévu par le Gouvernement, mais nous restons dubitatifs. Pouvez-vous réellement nous assurer que, malgré ce redécoupage, certaines lignes ne seront pas purement et simplement abandonnées ? De plus, quelles que soient les modalités choisies, c’est bien la cohérence globale de l’offre de transport qui perd du sens et de la pertinence. Avec un service qui sera à géométrie variable en fonction de la région habitée, des territoires entiers regarderont passer les trains…
Cette ouverture à la concurrence sous toutes ses formes ouvre donc bien la voie à la balkanisation du service public ferroviaire et de la SNCF, une posture fortement accidentogène qui va perturber la cohérence du système ferroviaire.
Concernant le statut des cheminots, l’attaque est moins frontale que celle du rapport Spinetta, mais elle est pernicieuse. Le transfert des salariés aux autres entreprises ferroviaires n’est pas encadré. Aucune obligation préalable n’incombe à la SNCF en matière de reclassement. Une sorte de portabilité des droits est mise en place, mais comment la garantir sur le long terme par des entreprises privées ? La possibilité de licencier un cheminot qui refuserait son transfert est incompatible avec le statut des cheminots, qui garantit la continuité du service public, et donc de l’emploi.
Au final, il existe plusieurs points communs entre toutes ces propositions, projets de loi et rapports. Deux constantes peuvent être relevées : l’ouverture à la concurrence et l’idée qu’il faut en finir avec toute notion publique dans les transports ferroviaires.
Nous nous inscrivons en faux contre cette vision qui se place d’un strict point de vue organisationnel, structurel et financier. Nous considérons que, pour faire une réforme efficace, il convient d’abord de prendre en compte les besoins. Or les usagers n’ont pas besoin d’avoir le choix, ils ont besoin d’avoir des trains qui fonctionnent, qui soient ponctuels, en nombre suffisant et en tous points du territoire. Pour cela, il faut s’atteler aux véritables maux qui affectent le service public ferroviaire : le sous-financement chronique des infrastructures, la charge de la dette, qui obère les capacités d’investissement, l’abandon de certaines dessertes ou de certaines activités sur des critères comptables, ou encore l’avantage concurrentiel de la route.
Aujourd’hui, il nous semble important de soutenir le service public ferroviaire, en trouvant de nouvelles sources de financement, en retrouvant une politique de massification et de développement de l’offre et en supprimant les avantages pour la route, notamment par le retour d’une écotaxe poids lourds.
Il nous semble nécessaire de s’intéresser aux politiques d’aménagement pour éviter de créer toujours de nouveaux besoins de mobilité par l’étalement urbain et de réfléchir à de nouvelles complémentarités entre les différents modes de transport.
Il convient de renforcer les péréquations au lieu d’organiser la balkanisation des opérateurs et des territoires. La régionalisation, renforcée par ce projet de loi, est une impasse, y compris pour les régions elles-mêmes, qui se trouvent lestées d’une charge trop lourde et souffrent du renoncement à une politique ferroviaire de dimension nationale, laquelle ne peut se limiter à l’offre grande vitesse et aux rescapés des trains d’équilibre du territoire.
Il s’agit aussi, en soutenant le service public ferroviaire, de promouvoir la transition environnementale et de se doter des outils permettant de réduire les émissions de gaz à effet de serre pour respecter les engagements de l’accord de Paris. Autant de problématiques absentes de cette proposition de loi ! Voilà les raisons qui nous ont conduits à déposer cette motion. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Chevrollier, contre la motion.
M. Guillaume Chevrollier. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je prends la parole contre cette motion, car il me paraît incompréhensible de fustiger la volonté du Gouvernement de légiférer par ordonnances sur la réforme de notre système ferroviaire, ce qui empêche toute discussion au Parlement, et de refuser dans le même temps tout débat par le biais d’une question préalable déposée sur une proposition de loi traitant du même sujet.
Mme Éliane Assassi. Nous ne refusons pas le débat : nous contestons le contenu de ce texte !
M. Guillaume Chevrollier. Ce refus de débat est préjudiciable à l’expression démocratique et à la Haute Assemblée, qui utilise pleinement le pouvoir d’initiative donné aux parlementaires par la réforme constitutionnelle de 2008, laquelle a vraiment renforcé le pouvoir du Parlement.
La proposition de loi que nous examinons a été préparée par le président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, Hervé Maurey, et notre ancien collègue, Louis Nègre, grand spécialiste des questions relatives aux transports, au cours de l’année 2017. Elle a pour objet de définir un cadre juridique adapté à la réforme ferroviaire, sans en anticiper les échéances.
À l’origine, cette initiative visait à permettre aux parties prenantes de se préparer en amont, alors que l’insuffisante préparation de la libéralisation du fret ferroviaire a eu, nous le savons tous, des conséquences très négatives, surtout pour l’opérateur historique.
Pour préparer ce texte, les auteurs ont recueilli, lors de plusieurs dizaines d’heures d’auditions, les positions des différents acteurs concernés : les usagers, les syndicats, les régions, l’ARAFER, l’Autorité de la concurrence, le groupe public ferroviaire, les nouveaux entrants, les ministères concernés. Ils ont aussi entendu des universitaires et ont ensuite procédé à une consultation par voie écrite.
Cette proposition de loi a été déposée le 6 septembre 2017. À la demande du président du Sénat, elle a fait l’objet d’un avis du Conseil d’État, rendu le 22 février 2018 et publié, ce qui est rare. Cette procédure a permis d’identifier les améliorations possibles du texte sur le plan juridique.
Le travail en commission, avec l’adoption d’amendements inspirés de l’avis du Conseil d’État, nous a permis d’aboutir à un texte juridiquement solide. Il nous paraît donc important que nous puissions examiner cette proposition de loi, afin d’avoir un vrai débat parlementaire, chose que le projet de loi d’habilitation du Gouvernement à légiférer par ordonnances, je le répète, ne nous permettra pas.
Mes chers collègues, par de nombreux aspects, notre système ferroviaire a été une réussite : un vaste réseau, une grande vitesse très développée, un transport régional et local dense. Et nous savons combien le transport ferroviaire peut être facteur de compétitivité, d’attractivité pour nos territoires et gage de mobilité pour tous ! Malheureusement, à la veille de l’ouverture à la concurrence, les performances de notre système ferroviaire apparaissent clairement insuffisantes et nécessitent modernisation et adaptation.
La qualité de service s’est dégradée au fil des années et plusieurs accidents majeurs ont également terni l’image du groupe public ferroviaire en matière de sécurité. Le réseau demeure vieillissant, malgré les travaux de régénération.
Après vingt ans de réformes successives, notre système ferroviaire ne semble toujours pas prêt pour la concurrence. Pourtant, il y a urgence. Le quatrième paquet ferroviaire, adopté en deux temps dans le courant de l’année 2016, généralise le droit d’accès au réseau, jusqu’à présent réservé aux services internationaux de transport de voyageurs et aux dessertes intérieures effectuées dans le cadre de ces services, à l’ensemble des services de transport de voyageurs à partir du 1er janvier 2019, pour une application effective à partir du 14 décembre 2020, soit au début de l’horaire de service 2021. De plus, ce texte européen enjoint les États membres à en assurer la transposition au plus tard le 25 décembre 2018.
Il est donc urgent de fixer le cadre juridique de l’ouverture à la concurrence des services ferroviaires, conventionnés ou non, non seulement pour respecter les échéances européennes, mais aussi pour permettre aux différentes parties prenantes, y compris l’opérateur historique, de s’y préparer dans des conditions convenables, tant pour ses personnels que pour les usagers. Nous ne pouvons plus faire la « politique de l’autruche » en nous focalisant sur des dérogations ou en feignant de ne pas voir que, si la concurrence progresse partout en Europe sur le trafic intérieur des États membres, la France ne pourra rester isolée, a fortiori lorsque la SNCF opère sur les marchés étrangers en étant compétitive !
Nous le savons bien, cette ouverture à la concurrence sera sans doute limitée et progressive, mais la prudence et la lucidité obligent tous les opérateurs à s’y préparer. La concurrence de sociétés privées sur le marché ferroviaire ouvert aura des conséquences pour la SNCF, mais il n’y a pas de raison pour que la SNCF ne profite pas, à son tour, de l’ouverture, en assurant des dessertes intérieures dans d’autres pays.
Par ailleurs, si le réseau à grande vitesse est d’ores et déjà ouvert à la concurrence sur les lignes internationales depuis plusieurs années, qu’il s’agisse de Paris-Bruxelles ou de Paris-Londres, aucun concurrent ne s’est manifesté… L’ouverture du marché peut donc être source de gains si l’entreprise SNCF fait valoir ses atouts.
On le voit, tous les pays qui ont mené des ouvertures à la concurrence réussies ont, en parallèle, mis en place les conditions d’un équilibre économique global du système ferroviaire et ont renforcé sa gouvernance. La France n’a toujours pas effectué cette nécessaire « remise à plat », avec une dette ferroviaire qui continue d’augmenter, un effort de modernisation qui reste insuffisant et des services qui pourraient être renforcés dans certaines zones. Cette nouvelle réforme du système ferroviaire français semble donc plus que nécessaire.
L’ouverture à la concurrence, que nous appelons de nos vœux, permettra, nous en sommes convaincus, de renforcer la compétitivité de l’opérateur historique et sera également bénéfique aux usagers du transport ferroviaire comme aux contribuables français.
Pour toutes ces raisons, nous désapprouvons cette motion de procédure, qui marque le refus de poursuivre le débat sur un sujet essentiel pour notre pays. En conséquence, le groupe Les Républicains votera contre la motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-François Longeot, rapporteur. Cette motion tend à opposer la question préalable sur cette proposition de loi.
Pour notre part, nous estimons indispensable d’avoir un débat parlementaire sur la mise en œuvre de l’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs, une réforme majeure ayant des impacts sur les personnels, les usagers et les territoires. En effet, on ne peut pas à la fois dénoncer le choix du Gouvernement de recourir à des ordonnances et refuser le débat qu’autorise cette proposition de loi, même si nous avons des divergences sur le fond.
Cette discussion offre l’opportunité de prendre des positions fortes en faveur de l’aménagement du territoire. Je vous remercie d’ailleurs, madame la présidente Assassi, de reconnaître la pertinence de notre proposition de traiter ensemble les lignes rentables et non rentables. Le Sénat joue pleinement son rôle en prenant cette initiative. Nous devons conserver le maillage du territoire en préservant les dessertes menacées.
Au-delà de ce sujet, d’autres questions importantes doivent être traitées. Les conditions de transfert des personnels en cas de changement d’opérateur – nous examinerons à ce propos un amendement présenté par notre collègue Gérard Cornu à l’article 8 –, la gestion des gares, les conditions de transmission des informations nécessaires aux autorités organisatrices, la propriété des matériels roulants et des ateliers de maintenance, la vente des billets ainsi que l’information aux voyageurs sont autant de points qui méritent débat.
C’est pourquoi la commission a émis un avis défavorable sur cette motion.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Élisabeth Borne, ministre. Comme je l’ai indiqué, le Gouvernement propose une réforme ambitieuse. Le projet de loi, qui a été présenté en conseil des ministres le 14 mars dernier, fait actuellement l’objet de concertations.
Cette réforme globale et cohérente repose sur quatre axes : améliorer le service public, avec un programme d’investissements massifs pour remettre à niveau un réseau qui souffre de décennies de sous-investissement ; préparer une ouverture progressive à la concurrence des TER et des TGV ; mettre en place un cadre social protecteur et équitable, pour tenir compte de l’ouverture à la concurrence ; donner tous les atouts à la SNCF pour réussir dans ce nouveau contexte d’ouverture à la concurrence, grâce notamment à une organisation plus unifiée, plus efficace et un modèle économique équilibré.
Le Gouvernement aborde ce débat avec une volonté d’écoute et d’échanges, mais il ne pourra pas se prononcer sur l’ensemble de la proposition de loi.
Dans ces conditions, je m’en remets à la sagesse du Sénat sur la motion présentée.
Mme la présidente. La parole est à M. Claude Bérit-Débat, pour explication de vote.
M. Claude Bérit-Débat. Le groupe socialiste s’abstiendra lors du vote de la motion tendant à opposer la question préalable. Nous n’approuvons pas pour autant les dispositions de cette proposition de loi, mais nous souhaitons saisir l’opportunité de son examen pour nous exprimer sur la situation du transport ferroviaire et sur les propositions que le Gouvernement entend mettre en œuvre par voie d’ordonnances. Olivier Jacquin interviendra dans quelques minutes pour expliciter les points que nous souhaitons défendre.
Mme la présidente. Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet de la proposition de loi.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable et que le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 78 :
Nombre de votants | 345 |
Nombre de suffrages exprimés | 266 |
Pour l’adoption | 15 |
Contre | 251 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Discussion générale (suite)
Mme la présidente. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Olivier Jacquin, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Olivier Jacquin. Madame la présidente, madame la ministre, chers collègues, je voudrais commencer par remercier les auteurs de ce texte de nous donner l’occasion de débattre de ce sujet si important pour notre pays : le train, la SNCF, ce monument des services publics qui a tant fait pour notre République, notamment pour son unité, grâce à son réseau en étoile. Merci, donc, à MM. Maurey et Nègre, que je salue, d’avoir su préparer une réflexion qui a de l’intérêt et qui anticipe efficacement l’échéance du 25 décembre 2018.
Le premier mérite de ce texte est de nous permettre de débattre du ferroviaire. Ce débat a été confisqué par le Premier ministre, le 26 février, lorsqu’il a annoncé que le Gouvernement recourrait aux ordonnances, alors même que, contrairement à la réforme du code du travail, le Président de la République n’en avait pas parlé lors de sa campagne présidentielle. Je m’interroge quant à ce contournement délibéré des chambres…
Conséquence directe de cela, madame la ministre, vous nous avez conduits à agir en urgence, comme vient de le dire Hervé Maurey, alors que cette proposition de loi était prête fin 2017 et que cette échéance de fin 2018 est connue depuis deux ans. Je note par ailleurs que la réforme de 2014 a été utile, appréciée, et même salutaire, et qu’elle n’a pas eu besoin d’ordonnances. Nous pourrions apporter les améliorations aujourd’hui nécessaires de cette même manière.
Votre intention de départ était pourtant louable. Vous nous proposiez, en juillet, une belle et grande loi sur les mobilités, à la hauteur de la LOTI de 1982, consacrant la nouvelle logique de mobilités, plutôt que de transports, et proposant l’intermodalité, l’interconnexion et la conjugaison des modes afin que nos concitoyens puissent relier efficacement et écologiquement un point A à un point B. Vous nous aviez d’ailleurs mis l’eau à la bouche avec les intéressantes Assises nationales de la mobilité.
La SNCF et le ferroviaire ont besoin d’un véritable débat démocratique et non pas de concertations en marge d’ordonnances.
M. Yves Daudigny. Eh oui !
M. Olivier Jacquin. Vous vous attaquez là à une institution totémique, au patrimoine commun des Français. Pis, le Premier ministre a voué la SNCF et les cheminots aux gémonies, mettant le mythique statut en pâture, faisant croire qu’il serait le problème.
Le problème, nous le savons, il réside aujourd’hui pour l’essentiel dans cette dette considérable, cette dette qui n’est pas celle des cheminots, mais bien davantage celle des différents gouvernements, qui, depuis des décennies, envoient des injonctions contradictoires à la SNCF, lui intimant plus d’économies et, en même temps, plus d’investissements pour les LGV, et ce au détriment de l’entretien des réseaux.
Le problème, il est aussi dans le financement des infrastructures et de la tarification usager du ferroviaire, qui intègre dans le prix du billet le paiement du réseau, sans comprendre, à aucun moment, les externalités positives du ferroviaire. Ce réseau est un héritage et un patrimoine considérables ; nous ne pouvons l’évaluer à l’aune des seules annualités budgétaires. Nous devons prendre en compte la transition écologique, la pollution, les congestions automobiles et l’ensemble des services rendus.
Enfin, il y a aussi l’aménagement du territoire, puisque c’est aussi et presque surtout de cela qu’il s’agit. Si les régions sont les chefs de file incontestés en matière de transport depuis la loi NOTRe, c’est bien par elles que passera le développement des offres de mobilités de demain. Votre volonté de leur confier la gestion des lignes de catégorie 7 à 9 sans imaginer, pour le moment, les moyens financiers pour les faire vivre revient de fait à les condamner. Nous ne pouvons pas nous résoudre à abandonner la ruralité en sacrifiant les gares après les bureaux de poste !
J’en viens à la proposition de loi sur laquelle nous allons être amenés à nous prononcer. Elle a le mérite, je le répète, d’ouvrir la discussion sur le sujet du ferroviaire, mais elle a le défaut de nous propulser dans une situation d’urgence pire encore que celle des ordonnances. Nous avons eu à peine quinze jours entre son inscription à l’ordre du jour et le début de l’examen en séance. Dont acte ! Banco ! Nous jouons le jeu, car nous préférons le débat, et nous profitons de cette occasion avant l’examen des ordonnances.
Madame la ministre, si un débat permet de mettre en avant les points d’accord, il nous faut également parler des désaccords.
Aujourd’hui, la question n’est plus de savoir si nous sommes pour ou contre l’ouverture à la concurrence. Le quatrième paquet ferroviaire l’a tranchée.
Mme Éliane Assassi. Normal, vous l’avez votée !
M. Olivier Jacquin. La question est bien de savoir si nous abordons ce dossier de manière dogmatique, en préconisant d’ouvrir au maximum et le plus rapidement possible à toute concurrence, quitte à surtransposer la directive européenne – c’est un risque !
Il y a une autre solution : pour notre part, nous sommes favorables à une ouverture raisonnée et maîtrisée, qui préserve l’opérateur historique. Nous préférons dynamiser plutôt que dynamiter !
Je ne tiendrai pas un discours manichéen sur le sujet de l’ouverture à la concurrence. En effet, elle a pu bien fonctionner dans certains pays et être catastrophique dans d’autres, l’un des pires exemples étant la libéralisation du fret ferroviaire dans notre pays en 2006, mal préparée, mal évaluée, mal anticipée. Résultat : un effondrement du volume de transport et une explosion du nombre de camions sur nos routes, déjà trop nombreux à l’époque. Pas de dogme, donc, en la matière !
La SNCF a d’ailleurs anticipé l’ouverture à la concurrence en augmentant et en diversifiant son offre de transport, notamment au travers de Ouigo, et en proposant des services renforcés à des prix parmi les plus faibles d’Europe, il faut le répéter, bien que ceux-ci restent trop élevés pour la moyenne de nos concitoyens.
Autre constat qui montre que tout n’est pas noir : depuis 2004 et la régionalisation, le nombre de passagers des TER a augmenté de 44 % et l’offre a été décuplée, et ce malgré un dialogue parfois difficile entre nos collègues élus régionaux, la SNCF et ses différentes composantes.
Une fois que la loi sera votée, il faudra du temps aux acteurs, aux autorités organisatrices et aux opérateurs pour bien préparer l’ouverture raisonnée à la concurrence. C’est pourquoi il nous semble primordial de garder 2023 comme date limite d’ouverture à la concurrence pour les régions tant les situations sont diverses. Surtout, gardons-nous de surtransposer en retenant l’hypothèse la plus rapide proposée par la Commission européenne !
Pour cette ouverture à la concurrence, le mode opératoire sera déterminant. C’est pourquoi nous serons nuancés et prudents devant votre proposition reprenant le principe dominant des franchises, philosophiquement intéressant, mais dans les faits difficile à mettre en œuvre, aux niveaux tant de la répartition des lots que des continuités de service entre eux. Il pourrait également impacter fortement l’opérateur actuel. Le libre accès, pour autant, nécessite de très fortes régulations, qui restent encore à imaginer, pour éviter l’écrémage. Il y aura certainement des candidats pour reprendre le Paris-Nancy, mais qui voudra de son prolongement vers Mirecourt, voulu par les élus locaux et le président Poncelet ?
Concernant le personnel, cette proposition de loi a été rédigée avant que le Premier ministre n’annonce la fin du statut pour les nouveaux recrutements. Il y aura à dire ! Je note que, s’agissant des mouvements entre opérateurs, il est proposé ici de garantir les conditions d’origine au-delà du premier transfert, là où le rapport Spinetta ne parle que du premier transfert. En revanche, nous nous inquiétons du durcissement de la législation actuelle, qui est inscrite à l’article 8. Si le mythique statut prémunit les cheminots contre le licenciement économique, ils peuvent d’ores et déjà être licenciés en cas de refus de mobilité, mais seulement au bout du troisième refus. Nous ne pouvons donc accepter une disposition visant à mettre fin au contrat de travail dès le premier refus.
Vous proposez également de rendre publiques les données de la SNCF, y compris celles qui seraient couvertes par le secret industriel ou commercial. Nous présenterons un amendement dont l’adoption permettrait, je pense, de mieux garantir le risque de fuites de données essentielles vers les concurrents de notre opérateur actuel.
Il en va de même concernant le matériel roulant ou les ateliers de maintenance. Il conviendra de veiller à un meilleur équilibre entre deux risques : celui qui verrait la SNCF devoir gérer seule les parties les moins intéressantes et celui qui verrait les nouvelles autorités organisatrices hériter d’une charge trop lourde. Nous avons besoin d’approfondir la question.
Je terminerai par un dernier sujet, et pas des moindres : les gares. Nous nous inquiétons de la volonté de transformation de l’entité Gares & Connexions en société anonyme. Nous plaidons résolument pour le maintien de la maîtrise publique des gares. Elles font partie du patrimoine national.
Madame la ministre, chers collègues, vous l’aurez compris, nous sommes heureux d’entamer ce débat, qui nous offre la possibilité de nous exprimer sur le ferroviaire, mais nous le voyons comme un hors-d’œuvre, un galop d’essai avant d’aborder le contenu des futures ordonnances et des textes importants à venir en matière de mobilité. En effet, c’est bien ainsi qu’il faut aborder la question : sortir de la logique des transports pour entrer dans celle des mobilités du XXIe siècle. Sur ces sujets, nous nous positionnerons selon trois axes de progrès.
D’abord, il y a l’aménagement du territoire et la poursuite de la décentralisation. Ces réformes doivent permettre plus d’égalité entre les hommes et entre les territoires, car il n’y a pas de petits territoires : il y a la République française !
Ensuite, il convient de respecter les cheminots et les travailleurs des transports. Alors que certains rêvent de précarisation et de dumping social, nous pensons qu’il doit y avoir une véritable continuité dans la protection des travailleurs des transports, qu’ils soient dans un train, un tram, un bus. Je vous pose la question, chers collègues : pourquoi ne pas imaginer une convention collective des transports terrestres ?
Enfin, nous nous battrons pour conserver une maîtrise publique des services publics : pas question de brader au plus offrant notre patrimoine commun !
Alors, je vous le répète, il nous faut dynamiser, sans dynamiter ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Jean-Marc Gabouty applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Emmanuel Capus, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.
M. Emmanuel Capus. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, il y a quatre-vingts ans, un peu plus même, le 1er septembre 1937, la presse française annonçait fièrement la création prochaine de la Société nationale des chemins de fer français, la SNCF. Créée par un décret-loi du Front populaire et effectivement mise en place en janvier 1938, cette société fusionnait les activités et le personnel de l’État, les grandes compagnies ferroviaires privées et les réseaux d’Alsace-Lorraine administrés par l’État. L’aventure ferroviaire tricolore entrait dans une nouvelle ère de son histoire.
« La convention assurer une heureuse conciliation entre l’autorité de l’État et le maintien nécessaire des souples méthodes de gestion […] d’un grand service industriel et commercial », expliquait Camille Chautemps, chef du gouvernement, à L’Écho de Paris. Aujourd’hui, la convention semble définitivement remise en question. Le groupe est durablement endetté, la qualité de service fortement discutée et le grand public s’exaspère des grèves et de retards à répétition.
D’abord, le groupe ferroviaire est aujourd’hui dans une situation financière catastrophique. Si la SNCF a présenté d’excellents résultats en 2017, avec une hausse de 4,2 % de son chiffre d’affaires, à 33,5 milliards d’euros, et un bénéfice net de 1,33 milliard d’euros, la dette est abyssale : 46,6 milliards d’euros pour SNCF Réseau et 7,9 milliards d’euros pour SNCF Mobilités. Pour beaucoup d’analystes, cette dette constituerait même un risque pour le contribuable. Madame la ministre, comme vous l’avez dit, nous ne pouvons pas ignorer cet état de fait.
Ensuite, la situation de ce groupe ferroviaire n’est plus tenable. Le rapport Spinetta, remis au Gouvernement mi-février, tire la sonnette d’alarme sur des réformes nécessaires : fin du statut de cheminot et de ses avantages – garantie à vie de l’emploi, retraite anticipée, facilités de circulation, etc. – ; évolution du statut de la SNCF vers celui d’une société anonyme ; renforcement, enfin, des moyens de l’AFITF, dont un Angevin, Christophe Béchu, prendra prochainement la présidence, après un avis favorable de notre commission donné hier soir.
Surtout, la SNCF devra affronter demain l’ouverture à la concurrence du transport de voyageurs. Inutile de rappeler ce qu’un manque de préparation à l’ouverture à la concurrence signifierait pour ce secteur et pour la qualité du service, cela a déjà été fait lors d’un récent débat sur le secteur du fret ferroviaire. Nous sommes prévenus !
Le calendrier politique fait que l’examen de cette proposition de loi intervient quelques semaines avant le projet du Gouvernement. Devant l’urgence de la situation, il est essentiel que chacun prenne ses responsabilités pour débloquer la situation et envisager l’avenir du rail français. Pour s’adapter et ne pas disparaître, la SNCF devra irrémédiablement changer.
Alors, madame la ministre, mes chers collègues, pour paraphraser l’un des anciens présidents de la SNCF, Louis Armand, où en est le chemin de fer français ? Ce débat doit être l’occasion de poser de nouveaux jalons en prévision du projet de loi du Gouvernement.
La proposition de loi nous semble intéressante, perfectible. Il nous paraît ainsi nécessaire de prendre en compte le besoin de maintenir les petites lignes au nom de la vitalité de nos territoires.
En commission, sur proposition du rapporteur, notre collègue Jean-François Longeot, et avec un large soutien politique, nous avons introduit un nouveau mécanisme liant des contrats de lignes de TGV et des petites lignes. À l’avenir, cela doit être la norme. Oui à l’ouverture à la concurrence de nos lignes ! Oui, en même temps, à la continuité de nos politiques d’aménagement du territoire !
Notre groupe, vous le verrez, a d’ailleurs proposé un certain nombre d’amendements pour compléter cette proposition de loi. Ces amendements s’inscrivent dans une triple approche : protéger les territoires en introduisant dans la loi les dérogations autorisées par le règlement européen et en sollicitant l’avis de la Conférence nationale des territoires sur cette ouverture à la concurrence ; assurer une transition transparente et respectueuse de tous en privilégiant des politiques d’open data – le rapporteur en a parlé – et en programmant des points d’étape avec les représentants locaux ; enfin, saisir l’opportunité de réformer le régime ferroviaire en ne forçant pas les nouveaux entrants à reproduire les mécanismes aujourd’hui défaillants.
Tels sont, loin des caricatures, les trois piliers sur lesquels fonder la réforme du secteur ferroviaire. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Jean-Marc Gabouty applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Éric Gold, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
M. Éric Gold. Madame la présidente, madame la ministre, chers collègues, à la veille de l’examen du projet de loi pour un nouveau pacte ferroviaire, nous nous réunissons aujourd’hui pour débattre de l’ouverture à la concurrence du deuxième plus grand réseau ferré d’Europe, après celui de l’Allemagne.
Le Gouvernement propose de recourir aux ordonnances pour transposer le quatrième paquet ferroviaire et réformer la SNCF. La présente proposition de loi intervient donc à point nommé, car elle vient illustrer les vertus du bicamérisme, que le groupe du RDSE ne cessera de défendre, la qualité du travail sénatorial et la nécessité de garantir en toutes circonstances les pouvoirs du Parlement.
Une réforme aussi majeure que celle du transport ferroviaire mérite cette discussion de fond, qui intéresse nos concitoyens non seulement en tant qu’usagers, mais aussi en tant que contribuables. Nous saluons ainsi l’initiative conjointe de notre collègue Hervé Maurey et de Louis Nègre, ancien sénateur.
Mes chers collègues, il est bien question de réformer. D’une part, la France doit se mettre en conformité avec ses engagements européens ; dans ce domaine, mieux vaut anticiper que réagir aux événements. D’autre part, la SNCF est confrontée à une dette importante et croissante – elle accumule 2 milliards d’euros par an de déficit – ainsi qu’à une stagnation de la part modale du ferroviaire depuis 2010.
Nous préparons l’ouverture à la concurrence dans un contexte particulier : l’État stratège est totalement absent depuis plus de trente ans en ce qui concerne l’aménagement du territoire, que ce soit en matière de choix de dessertes ou de financement des infrastructures. Les inquiétudes des agents, des usagers, des territoires et des parlementaires que nous sommes sont donc pleinement justifiées. Des directives sont données, mais la feuille de route n’est pas toujours lisible. La priorité accordée par le passé au financement des lignes à grande vitesse a conduit à ce que des lignes moins importantes, qui structurent pourtant le territoire de la République, soient délaissées. Les défauts d’entretien font peser aujourd’hui de réelles menaces sur certaines dessertes.
Avec 13 milliards d’euros de dépenses publiques allouées chaque année au ferroviaire, nos collectivités territoriales et nos concitoyens sont en droit d’exiger un service complet et de qualité. Or le taux de retard demeure élevé par rapport aux autres pays européens.
Certes, la SNCF n’a pas vocation à être bénéficiaire, puisqu’elle remplit une mission de service public vitale pour l’accès de tous aux transports, la réduction des gaz à effet de serre et le maillage territorial. J’y suis particulièrement sensible, comme tous les membres de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Toutefois, j’ai la conviction qu’un tel service peut aller de pair avec une gouvernance efficace et des finances assainies.
L’achèvement de l’ouverture à la concurrence constitue l’occasion pour la France d’apporter les améliorations qui s’imposent à la gouvernance de notre système ferroviaire. Le législateur déterminera les modalités de cette libéralisation, mais nous pensons que ce débat aurait dû avoir lieu avant 2018, dernière année avant l’échéance fixée par le droit européen.
En l’état actuel, deux positions semblent se dessiner quant aux modalités de l’entrée des nouveaux opérateurs sur le marché des LGV : d’un côté, l’open access, permettant à toute entreprise d’accéder au réseau sans appel d’offres ; de l’autre, un système de franchises qui régulerait cet accès afin de ne pas remettre en cause la péréquation existant entre les lignes rentables et les lignes déficitaires, au détriment de l’aménagement du territoire. Les deux options comportent leurs avantages et leurs inconvénients. C’est la raison pour laquelle nos voisins européens ont procédé à une combinaison des deux.
Le rapport Abraham de 2011 évoquait de multiples possibilités entre les deux extrêmes. Les auteurs de la proposition de loi font le pari de la concurrence pour le marché pour certaines liaisons à côté des lignes en open access. Le Gouvernement semble préférer ce dernier, tout en envisageant d’imposer des obligations de service public, comme le propose le rapport Spinetta, qui évoque une taxe de péréquation afin d’éviter l’écrémage que les élus ruraux craignent à juste titre.
Mes chers collègues, il est extrêmement difficile d’anticiper les effets de la mise en concurrence ou d’établir des comparaisons au niveau européen tant les marchés diffèrent, la part modale du ferroviaire en Allemagne ou en Italie restant, pour le moment, inférieure à celle de la France. Si la concurrence peut être bénéfique en matière de qualité de service, nous nous interrogeons sur ses effets à l’égard des prix et de la préservation des lignes peu rentables. Élu d’une zone géographique où le mot « enclavement » a du sens, je ne peux que saluer cette volonté de maintenir les lignes secondaires et d’inciter les entreprises à les desservir.
La coordination de l’offre de transports sur l’ensemble de nos territoires doit également être assurée. L’usager doit rester au centre de l’organisation des dessertes sans pâtir de la multiplication des opérateurs. À cet égard, je salue la proposition de création par le texte d’un système commun d’information des voyageurs et de vente de billets.
Nombreux sont les points qui restent à trancher et qu’une proposition de loi ne peut avoir l’ambition de résoudre : avenir du statut du cheminot, du groupe ferroviaire intégré ; avenir des infrastructures et des financements, ou encore de la dette de SNCF Réseau. Cependant, l’aperçu de la réforme proposée par le projet de loi ne semble pas non plus régler cette question. La présente proposition de loi constitue un prélude à un débat éclairé au sein de la Haute Assemblée, alors que le champ d’habilitation proposé par le Gouvernement demeure à ce stade imprécis. Ainsi, nous ne disposons pas de tous les éléments, notamment du plus essentiel de tous : l’issue des concertations avec l’ensemble des parties prenantes. Or cette réforme historique ne peut faire l’économie d’un dialogue fondamental.
Le groupe du RDSE, tout en reconnaissant la qualité de la proposition de loi, s’abstiendra toutefois sur ce texte.
Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Cornu, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Gérard Cornu. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le groupe les Républicains se réjouit de l’inscription à l’ordre du jour de la Haute Assemblée de la proposition de loi relative à l’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire. Ce texte est le fruit d’un important travail de fond mené pendant plusieurs mois en 2017 par le président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, Hervé Maurey, et notre ancien collègue, Louis Nègre. Je les félicite pour la grande qualité de leur travail, qui s’inscrit dans une tradition sénatoriale qui compte des noms prestigieux comme ceux de François Gerbaud ou d’Hubert Haenel. Le ferroviaire et cette grande et belle entreprise qu’est la SNCF ont toujours fait l’objet d’un grand intérêt au Sénat.
La proposition de loi a pour objet de définir un cadre juridique adapté à la réforme ferroviaire, sans en anticiper les échéances. À l’origine, cette initiative visait à permettre aux parties prenantes de se préparer en amont, alors que l’insuffisante préparation de la libéralisation du fret ferroviaire a eu, nous le savons tous, des conséquences négatives. Elle va surtout nous permettre d’avoir un vrai débat au Sénat sur notre système ferroviaire, un débat que le projet de loi d’habilitation du Gouvernement n’autorisera pas.
En dépit de réelles réussites et de profondes transformations opérées ces dernières années, la SNCF fait face à des difficultés structurelles importantes : infrastructures vieillissantes, exploitation complexe, qualité de service insatisfaisante ou modèle économique déséquilibré.
Au-delà des moyens financiers nécessaires pour maintenir ce patrimoine ferroviaire, le moderniser, nous devons avoir une vision pour notre entreprise publique. Compte tenu de l’ouverture prochaine du marché du transport ferroviaire de voyageurs à la concurrence et face à l’attente légitime de nos concitoyens, la SNCF doit impérativement se réinventer. Elle doit continuer de remplir la mission de service public qui lui est confiée et, plus généralement, faciliter la mobilité de tous les Français. J’y insiste, de tous les Français ! J’ai d’ailleurs déposé un amendement visant à préserver les dessertes directes des villes moyennes par des services de TGV ; je présenterai également un amendement tendant à renforcer le pouvoir de l’ARAFER dans l’obligation de transparence pour la transmission de données.
Dans le cadre de cette réforme, les efforts devront être partagés. En effet, l’État doit prendre sa part de responsabilité afin d’assurer la viabilité économique du système ferroviaire. Trop souvent, par le passé, l’État a fait supporter à la SNCF l’insuffisance des financements publics, ce qui a provoqué un endettement colossal de cette entreprise publique.
Cette reprise de la dette sera un point crucial lors de l’ouverture à la concurrence. Aussi, madame la ministre, nous aimerions vous entendre sur ce sujet très important.
L’ouverture à la concurrence peut être l’occasion d’optimiser le système de transport ferroviaire de voyageurs en s’inspirant de la réussite d’une telle réforme dans d’autres pays européens. Cette proposition de loi est donc une véritable occasion à saisir pour le Gouvernement. Elle présente deux avantages : légiférer plus rapidement et permettre un véritable débat parlementaire.
Pour toutes ses raisons, le groupe Les Républicains votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Frédéric Marchand, pour le groupe La République En Marche.
M. Frédéric Marchand. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, Victor Hugo a un jour déclaré : « Je suis réconcilié avec le chemin de fer, c’est décidément très beau. »
S’il est une ambition que nous partageons tous dans cet hémicycle, c’est bien de parvenir à cette réconciliation et de pouvoir, collectivement, écrire l’avenir de notre chemin de fer. Car, oui, le chemin de fer est une partie intégrante de l’histoire de notre pays ! Il a apporté une contribution éclatante à l’aménagement de notre territoire national, du nord au sud et de l’est à l’ouest. Notre imaginaire collectif y est à jamais associé grâce à Émile Zola, à Jean Renoir ou à cette image inoubliable de Jean Gabin dans La Bête humaine, sans oublier Claude Monet et ses versions de la gare Saint-Lazare. Le rail, les gares, le train, voilà bien ce qui forge notre ADN collectif, voilà le ciment de notre grand roman national !
Avec près de 29 000 kilomètres de lignes exploitées – sans intégrer les 2 800 kilomètres de ligne à grande vitesse – et près de 3 000 gares, notre réseau ferroviaire se classe en deuxième position en Europe. Pourtant, mes chers collègues, nous partageons sur ces travées le même constat : notre système ferroviaire est malade, encalminé, et il est essentiel qu’il se réinvente et se régénère pour être un acteur du formidable chantier des mobilités du quotidien qui s’ouvre devant nous.
Madame la ministre, vous avez fait de la lutte contre « l’assignation à résidence » une priorité. Nous partageons tous, ici, cette volonté, qui doit être un marqueur fort de ce quinquennat. Ce combat est celui de tous les acteurs de la mobilité et, au premier rang d’entre eux, du service public ferroviaire, à la seule condition qu’il soit à la hauteur du rendez-vous.
Tel est bien là l’objectif premier que poursuit le Gouvernement avec le projet de loi pour un nouveau pacte ferroviaire, présenté le 15 mars dernier. Cela nous donne l’occasion de mettre un terme au débat qui agite une partie des élus de notre assemblée quant à la confiscation du débat parlementaire qui en serait la conséquence.
N’ayons pas la mémoire courte, mes chers collègues. Rappelons que de grandes réformes sociales, porteuses de progrès, ont emprunté le même chemin. La sécurité sociale en 1945, ou bien encore le temps de travail, l’établissement de l’âge de la retraite à soixante ans, la cinquième semaine de congés payés en 1982 en sont quelques exemples patents, mais il y en a d’autres.
Nous aurons un véritable débat, sans tabou aucun, sur l’avenir de notre service public ferroviaire, sans éluder aucune question, ce qui a été trop souvent le cas toutes ces dernières années. Le débat aura lieu, et je ne doute pas un seul instant que le Parlement saura faire entendre sa voix.
Dans ce contexte, nous pouvons donc nous interroger légitimement sur l’opportunité de l’examen de cette proposition de loi articulée autour de l’ouverture à la concurrence et qui laisse de côté bien des sujets essentiels pour l’avenir de notre service public ferroviaire. L’inscription rapide de ce texte à notre agenda peut être sujette, dans le contexte du moment, à bien des interprétations, mais je préfère m’en tenir au fond et ne pas entrer dans telle ou telle polémique stérile.
Sur le fond, soyons clairs, nous ne rejoignons pas forcément la position des auteurs de la proposition de loi, qui souhaitent accorder « des droits exclusifs aux entreprises ferroviaires pour l’exploitation des services de transport ferroviaire à grande vitesse, en contrepartie de la réalisation d’obligations de service public définies en fonction des besoins d’aménagement du territoire ». Comment imaginer qu’un cadre aussi contraignant garantisse un service de qualité aux usagers et un aménagement équilibré du territoire ferroviaire sans proposer des contreparties financières qui devraient être versées à un moment ou à un autre ? Qui plus est, sa faisabilité nécessiterait une mise en œuvre de moyens humains et financiers qu’il semble bien impossible de mobiliser. Il suffit, pour s’en convaincre, de regarder l’exemple britannique.
Nous partageons la volonté de mise en œuvre d’un modèle, d’un cercle vertueux, qui sera profitable aux usagers, aux entreprises ferroviaires, à l’État, aux collectivités territoriales et à l’aménagement du territoire. Le libre accès, ou open access, est une réponse qui peut paraître, de prime abord, déstabilisante, mais elle est surtout dynamisante. Chacun convient en effet de la nécessité d’instiller un aiguillon pour stimuler les exploitants et leur éviter de s’endormir sur leurs droits exclusifs.
Le libre accès relève d’un espace d’initiative et de liberté commerciale. Encore convient-il de le mettre en œuvre dans le cadre d’une refonte de la politique tarifaire des péages et d’un rôle conforté, voire accru, du régulateur qu’est l’ARAFER. En effet, nous parlons ici non de dérégulation sauvage, mais de prévisibilité tarifaire encadrée, qui permettra notamment aux opérateurs d’être des acteurs clés de la révolution et d’irriguer tout ou partie du territoire national à l’instar d’autres pays et du succès remporté sur des lignes pourtant condamnées si rien n’était fait.
Plus de trains qui roulent, plus de gares desservies, c’est à coup sûr renforcer l’offre des mobilités dans le pays, dans un cadre tarifaire supportable pour tous.
Le cadre tarifaire est une constante dans notre histoire nationale. Je ne résiste donc pas au plaisir de partager avec vous, mes chers collègues, ces mots d’Alphonse Allais : « Les tarifs des chemins de fer sont aménagés d’une manière imbécile. On devrait faire payer des suppléments pour les retours… puisque les gens sont forcés de revenir. » (Sourires.)
Au regard du formidable débat qui nous attend et de la concertation que vous avez initiée avec toutes les parties prenantes, madame la ministre, cette proposition de loi est comme ce voyageur sur le quai qui regarde partir le train qu’il vient de manquer. Nous avons en effet devant nous un défi immense.
Le débat sur l’avenir du service public ferroviaire, nous l’aurons. Nous y aborderons tous les points : la transformation souhaitée de l’EPIC, la gouvernance de la SNCF, le calendrier souhaitable de l’ouverture à la concurrence, ses conséquences sur le matériel, le devenir de nos gares, sans oublier la question du statut des cheminots et la nécessité que nous avons de travailler à son devenir avec les femmes et les hommes qui font notre système public ferroviaire.
Au final, parce que l’avenir de notre service public ferroviaire ne se résume pas à la seule question de l’ouverture à la concurrence, le groupe La République En Marche votera contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
M. Guillaume Gontard. Comme vous l’avez rappelé, madame la ministre, l’histoire du rail français fait partie intégrante de l’histoire de France. Il s’agit d’un patrimoine national, de ceux qui font la grandeur de notre pays, de ceux auxquels les Français sont particulièrement attachés.
De fait, notre système ferroviaire a toujours compté parmi les meilleurs au monde. Par son maillage extrêmement dense, il est un facteur essentiel d’égalité entre les citoyens et d’unité territoriale. Il assure tant la vitalité des territoires français que la cohésion du pays. Alors que la fracture territoriale et la transition écologique comptent parmi les défis majeurs du siècle, il est primordial de préserver notre réseau et notre excellence ferroviaires.
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui, dans la même veine que le projet d’ordonnances gouvernementales que nous examinerons demain, constitue un retour en arrière malvenu. En effet, il y a près de quatre-vingts ans, la SNCF a été créée pour pallier les difficultés d’investissements et d’organisation du secteur ferroviaire.
En 1937, pour mettre un terme à la myriade inopérante de petites compagnies privées, le Front populaire a décidé de les unifier en une seule compagnie nationale. Cette décision historique a conféré à la puissance publique un rôle essentiel de stratège qui permettra à la SNCF non seulement d’atteindre l’excellence, notamment avec la création du TGV, mais aussi d’achever le maillage du territoire et d’assurer une nécessaire péréquation entre les lignes rentables économiquement et les lignes rentables socialement.
Aujourd’hui, c’est tout cela que menace l’ouverture à la concurrence imposée par la délétère idéologie néolibérale de l’Union européenne. Non contente de répondre aux exigences de Bruxelles, cette proposition de loi fait du zèle. J’en veux pour preuve la privatisation des gares dont ce texte porte les germes, privatisation qui affaiblira, sans qu’il soit permis d’en douter, la densité du réseau.
Plus largement, selon une logique libérale bien connue de privatisation des profits et de socialisation des pertes, c’est tout le réseau secondaire qui restera à la charge du contribuable et est, à terme, menacé de disparition progressive. Une telle perspective est plus qu’alarmante quand on examine les nombreuses enquêtes d’opinion en France, aux États-Unis ou en Autriche, qui établissent une corrélation irréfutable entre l’éloignement d’une gare et le vote en faveur de l’extrême droite ou des populistes. Supprimer une gare, supprimer une ligne, c’est renforcer ce sentiment d’abandon qui mine la concorde nationale. Ainsi, on s’achemine plus vers le catastrophique modèle britannique de privatisation totale du système ferroviaire – sur laquelle veut revenir une grande majorité de la population de Grande-Bretagne – que vers les modèles japonais ou allemand, souvent pris en exemple d’une ouverture à la concurrence réussie. À y regarder de plus près, il faut souligner que, dans les deux cas, la puissance publique a conservé un rôle essentiel de stratège.
Au Japon, après un investissement public massif dans le réseau, la compagnie nationale a été divisée en six compagnies régionales. La dette a été répartie intelligemment entre l’État et les compagnies rentables. Le désengagement de l’État est tout à fait relatif, puisqu’il exerce toujours un strict contrôle sur les tarifs des billets et subventionne les compagnies déficitaires qui ont en charge les territoires les moins densément peuplés. Une réglementation claire et exigeante a été mise en place en cas de fermeture de ligne. De fait, la concurrence est limitée aux seules lignes extrêmement rentables de la mégalopole japonaise.
En Allemagne, l’ouverture à la concurrence s’est accompagnée de la prise en charge par l’État des 35 milliards de dette de la Deutsche Bahn et de 50 milliards d’investissements supplémentaires pour la rénovation du réseau. La Deutsche Bahn est restée une compagnie publique assurant une mission de service public.
On le voit, ces deux pays ont assumé la reprise de la dette ferroviaire et des investissements massifs dans leur réseau avant la mise en concurrence. Or ni cette proposition de loi ni le futur projet gouvernemental n’envisagent cela. Ils ne répondent donc pas aux deux problèmes structurels de la SNCF : sa dette colossale et la vétusté de son réseau, qui sont l’une et l’autre fruits de la stratégie du tout-TGV, lequel a trop longtemps mobilisé des financements massifs et obéré les besoins du réseau du quotidien.
Pour remédier à ces problèmes, notre groupe, en prenant toute sa place dans le débat, vous proposera des solutions concrètes, telle la renationalisation des autoroutes ou la mise en œuvre d’une écotaxe afin de dégager des ressources pérennes pour la SNCF. En effet, comme toujours, nous abordons ce débat à l’envers. À rebours d’un enjeu comptable, nous affirmons un enjeu de service public ; une mission de service public de proximité, assurée par des agents dévoués, qui ne sauraient être les épouvantails des difficultés de la SNCF et qui doivent, contrairement aux attaques pernicieuses que contient cette proposition de loi, être confortés dans leur statut. Loin d’être des privilèges, leurs acquis sociaux devraient être la norme pour toute travailleuse et tout travailleur de ce pays. En cette journée de célébration de l’héroïsme français, on rappellera opportunément que la convention collective des cheminots doit beaucoup à leur engagement fondamental dans la Résistance.
Pour conclure, je voudrais dire que la réflexion sur l’avenir de la SNCF doit partir des besoins et non des moyens : du besoin de mobilité de tous nos territoires, nous l’avons dit, et du besoin impérieux de transition écologique. Si l’on excepte le matériel vétuste, le ferroviaire est de très loin le mode de transport le moins émetteur de gaz à effet de serre. Deux ans après la signature de l’accord de Paris, comment peut-on encore envisager de remplacer des trains par des cars ? Comment peut-on encore envisager de remplacer des trains de fret par des poids lourds sur nos routes, conséquence systématique de la libéralisation du rail ?
Vous l’aurez compris, de notre point de vue, cette proposition de loi n’apporte aucune solution aux problèmes actuels du rail français. Pis, elle risquerait de les aggraver ! Sans surprise, le groupe CRCE ne la votera pas. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Nadia Sollogoub, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
Mme Nadia Sollogoub. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens, en préambule, comme les orateurs qui m’ont précédée, à remercier MM. Hervé Maurey et Louis Nègre, qui, par cette proposition de loi, nous placent dans une démarche vertueuse d’anticipation de l’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire français. Une attitude frileuse, une attitude de blocage ou un manque d’anticipation pourraient nous faire manquer ce qui doit être une opportunité. Si nous attendons en rentrant la tête dans les épaules une ouverture subie comme une contrainte, nous regarderons passer le train, ce qui est un jeu de mots facile…
Au contraire, et puisque nombre d’entre nous n’ont guère envie de plaisanter sur le sujet, il faut que cette ouverture à la concurrence conduise à une amélioration du service pour les usagers et à une réduction des coûts. Il faut que ce changement soit une stimulation positive et saine, y compris pour l’opérateur historique. Voilà le fond de ce texte, et il ne peut faire que l’unanimité !
Cela étant, nos débats posent une question de forme sur laquelle je souhaite revenir pour clarifier la position du groupe Union Centriste.
Le Gouvernement, qui invoque des arguments de calendrier, propose de légiférer par ordonnances. Or nous venons de perdre des mois précieux qui auraient dû être destinés à un travail de fond collectif sur ce sujet capital. La proposition de loi d’Hervé Maurey et de Louis Nègre a en effet été déposée au mois de septembre. Il s’agit d’un texte abouti, qui a d’ores et déjà recueilli un avis favorable du Conseil d’État. Ce texte n’est pas concurrent de la loi sur les mobilités, il est concurrent des ordonnances.
Nous ne remettons pas en cause le principe du recours à l’ordonnance, c’est une modalité constitutionnelle de législation qui est encadrée. D’ailleurs, nous sommes probablement nombreux dans cet hémicycle à avoir soutenu, au moins une fois, un gouvernement qui se proposait de légiférer par ordonnance. La question, c’est l’opportunité d’utiliser ce procédé sur ce sujet particulier. Ce qui est choquant, c’est de réformer le système ferroviaire par ordonnances. Nous sommes les représentants des territoires. Nous avons trop à dire sur ce sujet stratégique d’aménagement du territoire. Nous ne pouvons pas être privés de ce débat !
Les Assises nationales de la mobilité ont exclu le sujet du ferroviaire au motif que des rapports importants étaient attendus. Et maintenant, il serait trop tard ? C’est la mission du Sénat de faire entendre la voix des territoires. Le Gouvernement ne peut pas se priver de ses contributions, vous l’avez dit vous-même, madame la ministre, le débat doit porter ses fruits et nourrir la réforme. Il doit avoir lieu, et il s’engage ce soir, grâce au texte de Louis Nègre et d’Hervé Maurey.
Sur le fond, les ordonnances gouvernementales semblent devoir ne proposer qu’une transposition sèche du droit européen. Or ce serait purement et simplement rééditer la même erreur que nous avons commise en matière de couverture numérique du territoire et que nous ne cessons de payer et d’essayer de réparer.
Voici la principale divergence entre les ordonnances et notre texte : tandis que les rapports Borne et Spinetta préconisent une ouverture à la concurrence en open access pur, nous proposons des « packages territoriaux », des « lots ». Autrement dit, il ne faut pas mettre sur le marché les lignes les plus rentables que tout le monde voudra, sans contrepartie de desserte territoriale. Ce que propose le présent texte est de n’attribuer les lignes rentables qu’en contrepartie d’engagements d’exploitation et de desserte du réseau secondaire sur une zone géographique donnée.
Nous sommes à l’heure où la logique comptable étouffe les territoires ruraux, à l’heure où, en brandissant une implacable calculette, on nous explique qu’il n’y a pas d’autre choix que de fermer des écoles et des classes, de fermer des services hospitaliers et des maternités, de fermer des trésoreries et des bureaux de poste, et même de diminuer le nombre de parlementaires ! Faisons le choix, pour une fois, de protéger sciemment certains services « non rentables », en les considérant comme des éléments structurants indispensables des territoires ruraux. Faisons ce choix avant que les lignes secondaires n’aient disparu !
Madame la ministre, entendez notre inquiétude. Nous connaissons bien, nous qui sommes élus ruraux, le sens du terme « redéploiement », qui ne signifie, dans nos campagnes, que fermetures et éloignement des services. Nous n’en pouvons plus ! Les électeurs perdent patience et confiance !
Cette réforme pose d’autres problèmes sur lesquels nous allons nous pencher : celui, bien évidemment, des modalités de transfert des salariés, celui de l’accès aux données de l’opérateur historique, celui du degré d’exigence en termes de normes environnementales, celui du transfert des gares et du matériel, celui de la dette chronique et croissante de SNCF Réseau. Mais le seul cap que nous devons avoir, c’est l’amélioration du service aux usagers, à l’occasion de ce qui doit être une impulsion nouvelle. Le groupe Union Centriste votera donc la proposition de loi Maurey-Nègre, qui est, pour une fois, un vrai texte d’aménagement du territoire.
Je souhaite, pour conclure, citer notre auteur nivernais, Jules Renard, qui disait, au début du XXe siècle : « Le train, l’automobile du pauvre. Il ne lui manque que de pouvoir aller partout. » (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Fabienne Keller, pour le groupe Les Républicains.
Mme Fabienne Keller. Madame la présidente, madame la ministre, chers collègues, je tiens à remercier notre collègue Hervé Maurey et notre ancien collègue Louis Nègre du travail qu’ils ont accompli dans le cadre de cette proposition de loi pour anticiper, préparer la mise en œuvre de l’ouverture à la concurrence. Je veux aussi saluer les objectifs qui ont guidé ce travail, qui sont les mêmes que les vôtres, madame la ministre : améliorer la qualité et réduire le coût du service, plaçant ainsi l’usager, le voyageur au cœur de nos préoccupations.
Deux sujets parmi tant d’autres qui pourraient être traités ont particulièrement retenu mon attention.
Le premier, c’est l’aménagement du territoire. L’article 4 introduit très clairement cette notion d’autant plus importante qu’elle est trop souvent mise de côté – nous l’avons tous affirmé – au profit de logiques financières ou économiques. Afin d’éviter la disparition de liaisons dites « déficitaires », mais indispensables à l’aménagement du territoire, le texte prévoit – je cite l’exposé des motifs, parce qu’il est important sur ce point – que « L’État accordera aux entreprises ferroviaires des droits exclusifs pour l’exploitation des services de transport ferroviaire de voyageurs à grande vitesse, en contrepartie de la réalisation d’obligations de service public définies en fonction des besoins d’aménagement du territoire ».
Une telle disposition répond aux préoccupations que j’ai pu moi-même, comme d’autres, exprimer dans cet hémicycle à plusieurs reprises. La desserte fine de nos territoires par le TGV ne doit pas être remise en cause. La logique purement financière ne doit pas se substituer à l’aménagement du territoire. Je le dis avec d’autant plus de force que les 230 dessertes de TGV actuelles sont bien souvent le résultat d’accords entre, d’une part, l’État et, d’autre part, la SNCF et les collectivités qui ont cofinancé ces lignes de TGV, comme dans le cas qui m’est cher, celui du TGV Est.
Madame la ministre, vous m’aviez assurée, lors d’un précédent débat, qui a eu lieu le 16 janvier, et vous l’avez redit tout à l’heure, que ces dessertes ne seraient pas remises en cause. Toutefois, dans le cadre de l’ouverture à la concurrence, il est important que des mesures soient prévues pour garantir le maintien de ces dessertes. Telles sont les raisons pour lesquelles je soutiendrai l’article 4, tout en vous demandant si vous êtes favorable à cette mesure. Dans le cas contraire, qu’êtes-vous prête à mettre en place pour garantir le maintien de l’ensemble des dessertes de TGV ?
Le deuxième sujet concerne les fameuses petites lignes, très souvent évoquées dans nos débats. Ce qui nous inquiète, c’est, bien sûr, le maillage de nos territoires par les trains régionaux qui relient les territoires les uns aux autres. Je pourrais citer l’exemple de la liaison Strasbourg-Saint-Dié, laquelle est une ville moyenne importante. Cette liaison, qui passe par la Vallée de la Bruche, permet de désenclaver et d’irriguer tout un territoire.
Si les petites lignes relèvent certes des compétences régionales, nous savons néanmoins que SNCF Réseau assure leur entretien et participe très souvent aux investissements de régénération. Il est donc important d’encadrer l’ouverture à la concurrence afin d’éviter que, là aussi, la logique financière ne domine.
Vous avez affirmé que vous étiez opposée à cette fermeture des « petites lignes », une expression que vous n’aimez pas, vous avez tenu à le rappeler. Une expression, il est vrai, particulièrement malvenue, car il n’y a pas de petites lignes, toutes les lignes sont importantes. Je vous pose donc la question : qu’êtes-vous prête à mettre en place pour garantir leur survie après l’ouverture à la concurrence ?
Madame la ministre, chers collègues, la proposition de loi est examinée dans un contexte particulier, puisque nous en discutons quelques semaines après la présentation du projet de loi « pour un nouveau pacte ferroviaire » et en plein mouvement social – j’ai envie de dire « dans l’œil du cyclone » – des cheminots.
Le texte du Gouvernement que vous portez, madame la ministre, a également pour objectif de préparer l’ouverture à la concurrence, en application du quatrième paquet ferroviaire adopté par l’Union européenne. La méthode n’est pas la même, mais ces deux textes partagent des objectifs communs. Je formule donc le vœu, madame la ministre, que les discussions qui vont avoir lieu, aujourd’hui et demain, dans le cadre de cette proposition de loi seront prises en compte à l’avenir. Je pense en particulier aux deux points que j’ai évoqués, notamment l’aménagement du territoire, qui, pour l’instant, ne figure pas dans votre texte. Êtes-vous prête à prendre en compte cet aspect, qui nous semble essentiel, dans la future organisation ferroviaire française ? Je vous pose la même question sur les petites lignes : quels engagements êtes-vous prête à prendre dans le cadre du projet de loi d’habilitation à légiférer par ordonnances ?
Madame la ministre, notre équilibre du territoire et la desserte des villes moyennes, comme des petites villes, méritent tout votre engagement ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste. – M. Emmanuel Capus applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Cyril Pellevat, pour le groupe Les Républicains.
M. Cyril Pellevat. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le réseau ferroviaire de notre pays s’étend sur une longueur totale de près de 30 000 kilomètres, ce qui en fait le deuxième réseau ferroviaire d’Europe. Il a également été reconnu comme étant le cinquième meilleur réseau du monde, derrière la Suisse, le Japon, Hong Kong et Singapour. Malgré cela, des défaillances sont régulièrement constatées, et les récents incidents nourrissent une appréciation mitigée des Français envers l’opérateur historique.
Si la qualité du service doit être améliorée, l’ouverture à la concurrence constitue l’opportunité pour l’opérateur historique d’aller dans ce sens. Celle-ci est une obligation européenne depuis l’adoption du quatrième paquet ferroviaire, comme cela a été rappelé. Ce corpus de textes européens impose l’ouverture à la concurrence des TER et des trains d’équilibre du territoire dès le 3 décembre 2019. Pour les services commerciaux, c’est-à-dire les TGV, cette libéralisation devra être prévue par la loi à partir du 1er janvier 2019, pour une application effective à partir du 14 décembre 2020.
La proposition de loi de notre collègue et président de commission Hervé Maurey et de l’ancien sénateur Louis Nègre, dont nous débutons l’examen ce soir, est le fruit de nombreuses auditions et consultations. Elle vise à mettre en œuvre cette ouverture à la concurrence et à garantir son effectivité.
Les Français regardent outre-Manche et aspirent à une concurrence différente de celle qui a été instaurée au Royaume-Uni, pays qui ne brille pas par son transport ferroviaire. Regardons plutôt chez nos voisins italiens, allemands ou suédois et voyons ce qui marche.
Il faut s’y prendre tôt pour réussir cette transformation, mais les craintes sont nombreuses, les freins aussi. Le texte que nous abordons tend à lever les obstacles à une ouverture effective du transport ferroviaire à la concurrence, en ce qui concerne notamment l’accès des entreprises ferroviaires aux données nécessaires à la préparation des candidatures aux appels d’offres et à l’exploitation des services, sans oublier le transfert du personnel, la propriété des matériels roulants, l’accès aux ateliers de maintenance et aux gares.
Je n’entrerai pas dans le détail des dispositions de cette proposition de loi, car cela a été fait avant moi. Je tiens néanmoins à rappeler la problématique de l’aménagement du territoire.
Certes, certaines lignes sont rentables et d’autres le sont beaucoup moins. Mais nous devons veiller à toujours maintenir ces lignes, comme vous l’avez rappelé, madame la ministre, même si elles sont déficitaires, pour ne pas abandonner le milieu rural. L’activité économique, la vitalité des territoires ruraux en dépendent.
La desserte des territoires ruraux doit continuer à être effectuée. Dans le cas contraire, si les lignes étaient amenées à disparaître, certains départements verraient leur population décroître progressivement.
Si l’amélioration des lignes existantes constitue un objectif, il n’est jamais question des projets de réouverture de ligne. Or ces projets doivent être encouragés par l’État. Dans mon département, la Haute-Savoie, la croissance démographique explose. Avec 820 000 habitants, la population haut-savoyarde a augmenté de plus de 20 % en moins de dix ans.
Madame la ministre, je reparlerai d’un projet qui m’est cher, mais qui n’a toujours pas eu de réponse de votre part : la réouverture de la ligne du Tonkin ou RER Sud-Léman. Il s’agit d’un projet franco-suisse. La ligne ferroviaire d’Évian-les-Bains à Saint-Gingolph est le dernier maillon dans la boucle ferroviaire du lac Léman, en continuité du Léman Express, qui verra le jour en décembre 2019.
SNCF Réseau a donné son feu vert à ce projet de réouverture aux voyageurs, qui permettra de désenclaver l’est du Chablais. Il est soutenu par les collectivités françaises et suisses. La région a reconfirmé son engagement. Considérant l’importance de ce projet pour notre territoire, la réaffirmation des soutiens du côté français – je pense surtout à celui du Gouvernement – serait un bon signal envoyé à nos voisins suisses à l’heure où ils choisissent leurs orientations ferroviaires 2030 via l’appel à projets PRODES, programme de développement stratégique de l’infrastructure ferroviaire.
En tant que président du comité de pilotage ferroviaire, je suis évidemment fier de ce projet que nous portons avec Marion Lenne, députée du Chablais, mais également avec les élus français et suisses et les associations. Il est fondamental de penser à la mobilité du futur.
Sur le plan écologique, soulignons aussi que, si le rail reste l’un des modes de transport les plus écologiques, les usagers s’en détournent aujourd’hui peu à peu en raison du coût élevé, des retards et, désormais, des grèves. Ils ont d’autres options à leur disposition : le transport par bus, le covoiturage en sont quelques-unes. La libéralisation me semble indispensable à la survie du transport ferroviaire de voyageurs, face à la concurrence exacerbée des autres modes de transport.
Je voterai en faveur de cette proposition de loi. C’est pourquoi je souhaite à mon tour remercier notre collègue rapporteur, Jean-François Longeot, pour la qualité de son travail.
Pour conclure, je rappellerai que supprimer le monopole de la SNCF ne signifie pas s’opposer à cette entreprise. Je tiens, au passage, à saluer l’investissement des femmes et des hommes qui y travaillent. L’arrivée de nouvelles entreprises ferroviaires sur le marché doit certes permettre l’émergence de nouveaux services, de meilleure qualité et à un moindre coût, mais elle doit aussi encourager l’opérateur historique à offrir des services plus performants. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre. Monsieur le sénateur Jacquin, personne ne met en cause les cheminots, dont je connais l’attachement à leurs missions de service public.
M. Martial Bourquin. Alors, gardez leur statut !
Mme Élisabeth Borne, ministre. J’y reviendrai, monsieur le sénateur Bourquin.
Je le répète, personne ne met en cause les cheminots,…
M. Martial Bourquin. Leur statut, si !
Mme Élisabeth Borne, ministre. … dont nous connaissons tous l’attachement à leurs missions de service public.
M. Martial Bourquin. Ils sont attaqués !
Mme Élisabeth Borne, ministre. Nous sommes d’ailleurs tous attachés au service public ferroviaire et à notre grande entreprise nationale. Dans le même temps, je pense qu’on peut tous faire le constat que nous sommes aujourd’hui face à des impasses, qui sont d’autant plus complexes qu’on a trop tardé. Par exemple, quand le quatrième paquet ferroviaire a été adopté – cela ne date pas d’hier, puisque cela remonte à 2015 –, on aurait pu se préoccuper de préparer l’ouverture à la concurrence. On aurait pu aussi se préoccuper par le passé de traiter le modèle économique du système ferroviaire.
Je rappelle que, jusqu’à présent, aucun gouvernement n’avait considéré que la dette du ferroviaire était un problème. Je rappelle aussi que le précédent gouvernement a même remis un rapport au Parlement expliquant que la dette n’était pas un problème. C’est pourquoi, aujourd’hui, le Gouvernement doit conduire une réforme globale, dont je redis qu’elle passe par un investissement massif destiné à remettre à niveau un réseau qui souffre de décennies de sous-investissement, par une ouverture à la concurrence progressive et respectueuse des enjeux d’aménagement du territoire et par une modernisation sociale du secteur ferroviaire dans une logique d’équité…
M. Martial Bourquin. C’est la pensée unique !
Mme Élisabeth Borne, ministre. … vis-à-vis de tous les salariés et de toutes les entreprises qui auront demain les mêmes métiers, ce qui renvoie à l’enjeu d’une convention collective du secteur. Enfin, cette réforme passe par la mise en place d’un nouveau cadre donnant à la SNCF tous les atouts, en particulier une trajectoire financière soutenable et équilibrée dans la durée, ce qui pose de fait la question de la dette.
Il me paraît par ailleurs souhaitable d’éviter les faux procès et les faux débats, qui ont trop souvent servi à justifier l’immobilisme.
Personne ne parle de privatisation de l’entreprise ou des lignes de transport du quotidien. Rappelons que ces dessertes sont réalisées sous la responsabilité des régions. Dans le passé, leur définition était confiée à la SNCF, mais aujourd’hui comme demain ce sont les régions qui définissent et définiront les dessertes, les horaires et les prix des billets.
M. Fabien Gay. Avec quel argent ?
M. Martial Bourquin. Eh oui !
Mme Élisabeth Borne, ministre. Je ne comprends même pas le concept de ligne de TER rentable ou pas. Je vous rappelle que le voyageur paie en moyenne 25 % du prix réel du billet. Ces lignes sont donc des services publics largement subventionnés par des régions qui conserveront la responsabilité de définir les services nécessaires à leurs habitants et à leurs entreprises.
Je voudrais également redire qu’il n’est pas question de régionaliser les lignes UIC 7 à 9. Ce serait, dit-on, l’intention du Gouvernement. Là encore, c’est un faux débat ! Parlons plutôt de la vraie réforme proposée par le Gouvernement, car jamais nous n’avons parlé de régionaliser les lignes UIC 7 à 9. Ces lignes recouvrent des réalités très différentes : certaines sont des capillaires fret – elles représentent 30 % à 40 % du trafic de fret ferroviaire et sont à ce titre essentielles au transport de fret – ; certaines sont des grandes lignes d’aménagement du territoire, telle la ligne Nantes-Bordeaux, qui représente clairement un enjeu national ; d’autres, enfin, sont des lignes d’intérêt plus local. Quant à ces dernières, je répète que le Gouvernement s’est engagé aux côtés des régions, dans le cadre des contrats de plan actuels, à hauteur de 1,5 milliard d’euros et qu’il respectera cet engagement.
Je voudrais aussi redire que le transport ferroviaire n’a été exclu ni des Assises nationales de la mobilité ni des travaux du Conseil d’orientation des infrastructures. Le modèle économique du transport ferroviaire et la soutenabilité de sa trajectoire financière n’ont effectivement pas été traités dans le cadre des Assises nationales de la mobilité, parce que ce n’est pas forcément, selon moi, un sujet dont nos concitoyens souhaitent débattre. En revanche, nous avons clairement examiné dans le cadre des Assises nationales de la mobilité la mise en place, dans tous les territoires, d’autorités organisatrices chargées d’organiser des rabattements de transports vers les gares, qui ont vocation, demain plus qu’aujourd’hui, à être les nœuds et même le cœur de notre système de mobilité.
Ce sujet a été au cœur des Assises nationales de la mobilité, de même que la responsabilité globale des régions dans la coordination de la mobilité sur leur territoire par des systèmes d’information multimodale et des billettiques intégrées. On a donc bien traité dans ce cadre des enjeux du transport ferroviaire. De même, on a vu cet après-midi que les propositions du Conseil d’orientation des infrastructures traitent bien d’enjeux du transport ferroviaire tels que la désaturation des nœuds ferroviaires.
Je terminerai mon propos sur un point de méthode.
J’ai bien entendu, mesdames, messieurs les sénateurs, votre questionnement au sujet des ordonnances. Je voudrais redire que la concertation nous permettra d’écrire le projet de loi qui pourra être débattu sur le fond à l’Assemblée nationale et dans votre assemblée. J’ai eu l’occasion d’indiquer aux organisations syndicales et aux représentants des entreprises et des régions que je souhaitais pouvoir, dans les prochains jours, tirer parti de cette concertation pour que l’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire soit examinée dans le cadre du projet de loi et non de futures ordonnances.
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi relative à l’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs
Chapitre Ier
Dates et modalités de l’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs
Articles additionnels avant l’article 1er
Mme la présidente. L’amendement n° 2, présenté par Mme Assassi, M. Gontard et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Avant l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
La France, par l’intermédiaire de la ministre chargée des transports, demande aux instances européennes la réalisation d’un bilan contradictoire sur l’impact en termes d’emplois, d’aménagement du territoire et de la qualité du service rendu de la libéralisation du transport ferroviaire.
La ministre demande également la réalisation d’un bilan carbone des politiques de libéralisation du transport ferroviaire.
La parole est à M. Fabien Gay.
M. Fabien Gay. Par cet amendement, et les neuf qui viennent à sa suite, notre groupe entend faire entendre des propositions. À travers celui-ci, nous souhaitons porter une idée simple : la France ne peut pas être simplement l’exécutant zélé de la Commission européenne.
Alors que les paquets ferroviaires se succèdent depuis des décennies, il est selon nous plus que temps de faire un bilan des politiques de libéralisation tant des transports de marchandises que des transports de personnes. Les monopoles ont été brisés et les marchés ouverts à la concurrence sans qu’aucun bénéfice puisse être mis en exergue pour les usagers ou pour la société dans son entier. L’Europe du rail est encore un vœu pieux.
Partout en Europe, ces recettes produisent la disparition de lignes, l’explosion des prix, la vétusté des installations et des trains, la disparition du fret et la diminution du nombre de cheminots. En Angleterre, les tarifs ont explosé. En Italie, l’ouverture à la concurrence s’est traduite par une multiplication des accidents. En France, l’ouverture à la concurrence du fret ferroviaire a conduit à une réduction de l’offre, à des infrastructures laissées à l’abandon et à une activité abandonnée, car jugée trop peu rentable.
C’est toute la population qui paie triplement l’addition : financièrement, d’abord, mais aussi par l’inégalité territoriale induite et par l’altération de sa santé du fait de la pollution générée. Les camions remplacent les trains qui ne roulent plus, et la pollution aux particules fines cause 48 000 morts par an. Pouvons-nous réellement continuer comme cela ?
Nous estimons donc qu’il convient que la France propose à ses homologues européens, avant toute nouvelle législation en la matière, la réalisation d’un bilan contradictoire sur l’impact de la libéralisation du transport ferroviaire en matière d’emplois, d’aménagement du territoire et de qualité du service rendu. Nous souhaitons également la réalisation d’un bilan carbone des politiques de libéralisation du transport ferroviaire. En effet, tout report sur la route a des conséquences désastreuses. Les transports sont l’un des secteurs les plus émissifs. Il s’agit donc d’un véritable levier pour donner du sens aux engagements européens en faveur du report modal et d’une baisse globale des émissions de gaz à effet de serre, conformément aux accords pris dans le cadre de la COP 21.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-François Longeot, rapporteur. Cet amendement vise à adresser une injonction au Gouvernement, ce qui est contraire au principe de séparation des pouvoirs. Dès lors, notre commission n’a pu émettre qu’un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Élisabeth Borne, ministre. Je voudrais, pour ma part, vous confirmer, monsieur le sénateur, qu’une étude d’impact a bien été réalisée à l’échelon européen avant l’adoption du quatrième paquet ferroviaire. Par ailleurs, les régions demandent cette ouverture à la concurrence. L’enjeu est donc bien de permettre à la SNCF, aux cheminots et aux régions de se préparer pour une ouverture à la concurrence réussie.
L’avis du Gouvernement sur cet amendement est donc défavorable.
Mme la présidente. La parole est à M. Fabien Gay, pour explication de vote.
M. Fabien Gay. C’est un amendement d’appel. En effet, il me semble quand même qu’à un moment donné il faut s’interroger. Nous avons vécu vingt ans de privatisations et de libéralisation dans plein de domaines : non seulement les transports, mais aussi l’énergie ou les télécoms. Nous sommes un certain nombre, ici, à avoir connu et à nous rappeler l’époque où des entreprises publiques à 100 % détenaient des monopoles, qu’il s’agisse de France Télécom, de GDF ou d’EDF.
Les privatisations et la libéralisation ont-elles conduit à un plus pour les consommateurs et les consommatrices ? J’ai posé une question similaire, il y a dix jours, à la présidente de l’Autorité de la concurrence, lors de son audition par la commission des affaires économiques : « Puisque vous représentez les consommatrices et les consommateurs, pouvez-vous me dire quel est le bilan, après vingt ans, des privatisations intervenues dans un certain nombre de domaines ? » Je vous avoue qu’elle a été bien embêtée pour me répondre. Elle a simplement pu me dire que, pour ce qui est des télécoms, on peut dire qu’il y a eu un plus, mais que, pour le reste, le bilan était mitigé et que le temps lui manquait pour répondre de manière plus détaillée.
Pour ma part, je pense qu’il est grand temps que nous ayons un débat de fond. Prenons le cas de l’électricité : depuis qu’EDF n’est plus un monopole détenu à 100 % par le public, le prix de l’électricité a explosé de 42 %, alors qu’on nous avait vendu cette privatisation en affirmant que la concurrence et la libéralisation allaient faire baisser les prix. C’est faux ! Les chiffres le montrent !
Quant au transport ferroviaire, les chiffres seront les mêmes : c’est un véritable désastre partout en Europe où l’on a privatisé. On nous dit d’aller voir en Italie. Eh bien, j’ai moi-même pris le train en Italie, et c’est pire que le RER B, que j’emprunte tous les matins ! Permettez-moi de vous dire, madame la ministre, que je n’ai pas envie que le rail français devienne le rail italien !
Mme la présidente. L’amendement n° 3, présenté par Mme Assassi, M. Gontard et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Avant l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Avant la première phrase du sixième alinéa du II de l’article 11 de la loi n° 2009-967 du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement, est insérée une phrase ainsi rédigée : « Afin de répondre à la demande de trafic ferroviaire par wagons isolés, ce système de production est déclaré d’intérêt général. »
La parole est à Mme Michelle Gréaume.
Mme Michelle Gréaume. Nous souhaitons, par les amendements que nous avons déposés, proposer la voie d’une autre réforme ferroviaire, d’une réforme qui réponde à l’intérêt général. En ce sens, nous considérons qu’il convient d’agir par tous les moyens pour le rééquilibrage modal, notamment dans le domaine du transport de marchandises.
Les transports sont l’un des modes les plus émissifs de gaz à effet de serre. Ce secteur représente plus de 30 % de ces émissions pour la France. Les émissions ont même augmenté de 0,9 % en 2015 en France, selon les derniers chiffres dont nous disposons. Pis, deux ans après la signature de l’accord de Paris sur le climat, les résultats sont décevants : selon ces chiffres provisoires, publiés par le ministère de la transition écologique, en 2016, la France aurait émis 463 millions de tonnes de gaz à effet de serre, en hausse par rapport à 2015.
Il nous semble dès lors qu’il est plus que temps que les pouvoirs publics interviennent et créent un cadre juridique qui permette de limiter ces émissions.
Dans ce cadre, le développement du fret ferroviaire est un levier important. En effet, alors que le Grenelle de l’environnement souhaitait porter la part du fret non routier à 25 % à l’horizon de 2022, chaque année le fret ferroviaire perd des parts de marché. Aujourd’hui, il représente moins de 10 % du fret global.
Alors que le réseau routier s’est largement développé en trente ans, le réseau ferroviaire, lui, a régressé. Cette situation est la conséquence directe des politiques de désengagement de l’État de ce secteur d’intérêt général. La politique de volume a été remplacée par la volonté de développer uniquement les autoroutes ferroviaires, au détriment de l’activité du wagon isolé.
À l’inverse, nous proposons de longue date de déclarer le fret d’intérêt général. Nous l’avons encore proposé au Sénat en décembre dernier au travers d’une proposition de résolution. Une telle démarche permettrait son subventionnement direct sous forme d’aide publique et, ainsi, son développement. D’autres pays européens s’engagent dans cette voie. La décision récente de la Commission européenne sur le cas italien crée ainsi un précédent bienvenu pour investir dans le rail sans risque de distorsion de concurrence.
La France, qui a accueilli la COP 21, se doit d’être exemplaire dans ses politiques environnementales. Pour cela, il convient de déclarer le fret ferroviaire d’intérêt général.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-François Longeot, rapporteur. Madame la sénatrice, vous proposez, dans cet amendement, de reconnaître le transport de marchandises par wagon isolé comme un service d’intérêt général. Or il s’agit d’un service commercial et non d’un service public. (Exclamations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Mme Éliane Assassi. Ça, c’est fort ! Au moins, la chose est dite !
M. Jean-François Longeot, rapporteur. L’avis de la commission est donc défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Élisabeth Borne, ministre. Je partage tout à fait votre ambition, madame la sénatrice, de voir le fret ferroviaire assumer une part plus importante du transport de marchandises. J’estime néanmoins que cela s’accomplira, non pas par des déclarations de principes ou par des objectifs de part de marché, mais bien par des actions concrètes. Il faudrait notamment restaurer une concurrence plus loyale de la part du transport routier, ce qui passe notamment par le paquet mobilité et par l’application de la directive Travailleurs détachés au transport routier. C’est l’un des enjeux du Conseil Transports du mois de juin prochain.
Cela passe aussi par une plus grande participation des poids lourds qui transitent sur notre territoire au financement des infrastructures. Cela permettra d’avoir une concurrence plus équitable entre le rail et la route.
Cela passe en outre par des investissements qui puissent garantir des sillons de qualité. C’est tout le travail qui a été fait dans le cadre du Conseil d’orientation des infrastructures.
Cela passe enfin par une politique de péages pour le fret ferroviaire et par le maintien d’une politique d’aide au transport combiné.
Voilà donc des sujets importants dont nous aurons à débattre, notamment dans le cadre de la concertation que j’ai engagée pour la préparation du projet de loi pour un nouveau pacte ferroviaire. Une réunion sera consacrée à ce sujet.
Je le répète, j’estime que cette ambition ne passe pas par des déclarations de ce type. Le Gouvernement est donc défavorable à votre amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. Marc Laménie, pour explication de vote.
M. Marc Laménie. Je peux tout à fait comprendre cet amendement, qui a trait au fret ferroviaire. Nous avons souvent évoqué ce problème. J’aurais bien voté cet amendement du groupe CRCE – une fois n’est pas coutume –, d’autant que j’ai déjà voté certains amendements de ce groupe relatifs au transport ferroviaire, domaine qui me passionne, comme beaucoup de nos collègues.
Il est vrai, certes, que l’objet de ce texte est le transport ferroviaire de voyageurs, mais il est important de faire le parallèle avec le fret. L’ouverture du fret ferroviaire à la concurrence remonte à 2003, et l’on assiste malheureusement depuis lors à une chute du trafic dans ce secteur. Les problèmes que rencontre le fret capillaire, notamment sur les petites lignes, sont aussi graves : maintenant, seul le service de trains complets est assuré ; il n’y a plus de wagons isolés. Cela est particulièrement dommageable.
C’est pourquoi je peux vraiment comprendre l’objet de cet amendement. J’ai en mémoire une proposition de loi sur le transport ferroviaire régional que nous avions examinée en décembre 2015 sur l’initiative de Mmes Beaufils et Didier. Il est vrai qu’alors aussi les collègues du groupe CRC avaient soulevé des problèmes très importants et sur lesquels je partageais leur préoccupation.
Sur cet amendement, je m’abstiendrai.
Mme la présidente. La parole est à M. Fabien Gay, pour explication de vote.
M. Fabien Gay. Madame la ministre, vous avez raison : il faut des actes. Je veux vous donner un chiffre ; dites-moi si je me trompe. Selon plusieurs rapports, le volume de marchandises à transporter devrait être multiplié par trois au cours des quinze prochaines années. On assistera donc, globalement, à une explosion du transport de marchandises. Or, aujourd’hui, le fret ferroviaire ne représente que 10 % de ce trafic, alors qu’on avait fixé un objectif général de 25 %. Pour l’atteindre, il faut donc des actes !
Alors, comment faire ? Voilà la véritable question ! On nous dit souvent qu’il faut aller voir ce que font les pays d’Europe du nord ; je suis donc allé voir ce qui s’y fait. Ils ont une approche très concrète : ils relient leurs ports au réseau ferroviaire. Or quand je me suis rendu, il y a un mois, à Saint-Nazaire, où j’ai rencontré la direction du port et beaucoup de syndicalistes des docks, mes interlocuteurs m’ont expliqué qu’ils voudraient faire du fret ferroviaire, mais que la voie ferrée est à 100 mètres. Il n’y aurait que 100 mètres supplémentaires de voie à construire, mais on ne le fait pas. Voilà un exemple très concret, madame la ministre ! Va-t-on s’engager dans cette direction ? Va-t-on, entre autres choses, relier tous nos ports et docks au réseau ferroviaire ?
Il se pose par ailleurs une véritable question sur le ferroutage.
Vous le voyez, nous faisons de vraies propositions. Des questions de moyens se posent, mais il existe des actions très concrètes qu’on pourrait faire tout de suite et qui ne coûteraient pas des centaines de millions d’euros. C’est sur de telles propositions qu’il faut que le débat se tienne, notamment autour du fret ferroviaire, parce que c’est une question économique, sociale, mais aussi écologique, et vous savez combien notre groupe est attaché à cet enjeu.
Mme la présidente. La parole est à M. Martial Bourquin, pour explication de vote.
M. Martial Bourquin. La question du fret ferroviaire est essentielle. Pourquoi ? Nos routes, nos autoroutes sont engorgées. Ça ne peut pas continuer ainsi ! Certains pays, comme la Suisse ou l’Autriche, ont pris le problème à bras-le-corps et ont mis en place des politiques en faveur du ferroutage : les transporteurs, au-delà d’une certaine distance, ont obligation d’employer la voie ferrée. Pourquoi ne nous posons-nous pas ces questions en France ?
La vraie démarche à prendre, si nous voulons améliorer la qualité de l’air, est de mettre en place une politique de ferroutage, de mettre au gabarit européen certains tunnels par lesquels les conteneurs ne peuvent passer et de faire en sorte qu’on réhabilite les voies ferrées pour qu’on puisse ainsi traverser la France. Nous avons l’infrastructure, mais elle n’est pas au gabarit européen dans beaucoup de domaines. Nous avons donc besoin de rénovations et d’investissements lourds, mais ça en vaut la peine ! Combien a coûté la privatisation des autoroutes ?
Mme Éliane Assassi. Eh oui ! Et combien ça rapporte !
M. Martial Bourquin. À aucun moment ce problème n’a été posé avant qu’on ne prenne la décision de les privatiser.
Quand on reconstruit l’ensemble des routes de France pour que des millions de camions les empruntent, on ne parle pas de la dette. Il faut payer, et c’est l’État qui s’en charge, ainsi que les régions et les départements ! Comment se fait-il que, lorsqu’on évoque la SNCF et, plus largement, le chemin de fer, on parle de dette ?
Je vous le dis franchement, madame la ministre, je ne pense pas comme vous : j’estime qu’un jour ou l’autre cette dette devra être épongée par l’État, parce qu’en réalité ce n’est pas une dette. En effet, il existe entre l’infrastructure routière et l’infrastructure ferrée une inégalité profonde et anormale. Pourquoi existe-t-elle ? Quand on transporte des marchandises par chemin de fer, on paie l’infrastructure, alors que, sur la route, on ne la paie pas. Quand fera-t-on payer les camions qui traversent la France par milliers ? Ça a été essayé en Bretagne, mais on a vite reculé : c’était une erreur ! (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mais si ! Ce sont de vraies questions. Quand fera-t-on tout ça ? Dernière chose… (Marques d’impatience sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe Union centriste.)
Mme la présidente. Veuillez terminer rapidement, mon cher collègue !
M. Martial Bourquin. Vous pourrez me répondre, mes chers collègues, je n’attends que ça !
Madame la ministre, la dette de la SNCF, c’est l’équivalent de dix ans d’ISF. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.) Or, sur ce sujet, vous avez décidé d’ouvrir la bourse : vous y êtes même allés très fort !
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Gremillet, pour explication de vote.
M. Daniel Gremillet. Au travers de cet amendement, c’est une question de fond qui est posée.
Madame la ministre, je vous ai entendue, lors de votre réponse à la fin de la discussion générale, expliquer qu’il n’y avait pas de souci, parce que les régions ont aujourd’hui la capacité entière de décider de l’organisation territoriale des dessertes ferroviaires. Vous savez pourtant que les petits ruisseaux font les grandes rivières. Or, aujourd’hui, les petits ruisseaux ont été complètement abandonnés.
Je suis un élu de la Lorraine et donc, aujourd’hui, de la région Grand Est. Notre région a acheté un matériel roulant performant, qui aurait pu permettre d’apporter un service plus rapide et de meilleure qualité. Toutefois, comme les petites lignes – ces petits ruisseaux – n’ont pas été entretenues, ce matériel n’est pas exploité aujourd’hui à sa hauteur. Somme toute, les TER qui circulent actuellement vont moins vite que les locomotives à vapeur de jadis et même, dans certains secteurs, parfois moins vite que des vélos électriques !
Nous avons donc un vrai souci, qui concerne aussi le dossier du fret ferroviaire, puisque les mêmes petites lignes voient circuler à la fois des trains de voyageurs et des convois de marchandises.
Je suis élu d’un petit département, les Vosges, qui est l’un des départements les plus désindustrialisés par rapport à sa population : nous sommes de ce point de vue le quatrième département de France. J’y constate, année après année, le recul quotidien de la livraison de fret par la SNCF, alors même que nous disposions d’un réseau absolument formidable qui irriguait nos territoires. Et cela se produit tout simplement parce que ces petits ruisseaux, ces petites lignes ne sont aujourd’hui plus en mesure effective d’absorber, au vu du temps requis et de la vitesse possible, à la fois le trafic de voyageurs et le transport de marchandises. Or vous n’ignorez pas, madame la ministre, combien le temps s’est aujourd’hui raccourci pour les entreprises : la gestion des stocks a été complètement modifiée, on doit assurer les livraisons en flux tendu. C’est pourquoi il est nécessaire que le fret ferroviaire ait la capacité de répondre en temps et en heure à la demande. Or l’arrosage territorial ne permet plus aujourd’hui de le faire.
Il s’agit donc bien d’un vrai sujet, et l’État ne pourra pas abandonner nos territoires. Oui, certaines choses peuvent être faites avec les régions, mais il faut au préalable que l’État assume sa responsabilité de remettre en état les petits ruisseaux pour en faire de grandes rivières ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste. – M. Jean-Marc Gabouty applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Yves Daudigny, pour explication de vote.
M. Yves Daudigny. Je ne sais pas si la solution proposée par les auteurs de l’amendement n° 3 – déclarer le fret ferroviaire d’intérêt général – est la bonne. Je ne sais pas si l’adoption de cet amendement permettrait de régler le problème, mais la question posée n’en est pas moins réelle, importante et essentielle. Madame la ministre, nous demandons au Gouvernement d’y consacrer le plus d’attention possible.
Je voudrais illustrer cette importance à travers deux exemples. J’évoquerai en premier lieu une usine chimique d’un grand groupe allemand située dans un bourg de 2 000 habitants du département de l’Aisne. Pendant très longtemps, cette usine recevait d’Allemagne ses matières premières par wagon isolé. Certes, le service n’était pas totalement performant, et l’usine ignorait parfois où se trouvait le wagon, mais, dans la très grande majorité des cas, il finissait par arriver. Il a fallu se battre à un certain moment pour le maintenir, puis il y a eu une seconde attaque, et ce service a disparu. Aujourd’hui, ces matières, qui sont dangereuses, sont transportées par camion : c’est une aberration !
En second lieu, dans le même département, une communauté de communes, devenue communauté d’agglomération, a réalisé une zone de développement économique qui est reliée à la voie ferrée. Les travaux de raccordement sont réalisés, et l’entreprise qui s’installerait là n’aurait qu’à faire rouler ses wagons et à terminer la voie ferrée jusqu’à ses bâtiments. Or, en une dizaine d’années, la collectivité n’a reçu aucune proposition d’entreprises intéressées par ce raccordement au réseau ferré, tout simplement parce que le service rendu n’est pas de qualité.
Alors, je ne sais pas si je voterai pour cet amendement. Je ne le ferai peut-être pas, parce que la déclaration d’intérêt général n’est pas la bonne solution, mais le problème qui est soulevé par nos collègues du groupe CRCE est un vrai problème d’avenir, qui s’inscrit bien dans la modernisation du fonctionnement de nos transports et, en même temps, dans la modernisation de notre économie.
Mme la présidente. Madame la ministre, mes chers collègues, il est minuit. Je vous propose de prolonger nos travaux jusqu’à zéro heure trente, afin que nous allions plus avant dans l’examen du texte.
Il n’y a pas d’opposition ?…
Il en est ainsi décidé.
L’amendement n° 4, présenté par Mme Assassi, M. Gontard et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Avant l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après le deuxième alinéa de l’article L. 3221-1 du code des transports, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« – des charges d’entretien des infrastructures et des coûts externes ; ».
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Je trouve dommage, madame la ministre, que vous n’ayez pas répondu aux différentes questions relatives au fret, qui est un sujet structurant pour nos territoires comme pour nos entreprises. À ce titre, il mérite un véritable débat et, surtout, des réponses, et non de simples formules comme « il faut passer à l’action ». Justement, quels sont les actes que le Gouvernement nous propose en la matière ?
J’en viens à l’amendement n° 4.
Dans le même esprit que l’amendement précédent, nous souhaitons tracer les lignes d’une politique des transports permettant d’engager notre pays dans la voie du service public et de l’intérêt général. Dans ce cadre, comme nous l’avons déjà évoqué, la question du report modal de la route vers le rail semble centrale, afin de limiter les émissions de gaz à effet de serre.
Ce rééquilibrage est rendu aujourd’hui difficile du fait que le transport routier bénéficie, je le répète, d’un environnement législatif, réglementaire et fiscal largement favorable par rapport au rail. Il n’est qu’à prendre ce simple exemple : les opérateurs du rail participent au financement des infrastructures par le paiement de redevances à SNCF Réseau. Il n’en est pas ainsi pour la route, dont l’usage, hors autoroute concédée, est purement gratuit et totalement financé par les pouvoirs publics.
Cet amendement, reprenant une proposition que nous avons formulée dans la proposition de loi permettant la relance du secteur public ferroviaire pour le droit à la mobilité et la transition écologique déposée en 2012, tend à prévoir que toute opération de transport routier de marchandises doit aussi prendre en compte les coûts d’entretien des infrastructures, qui sont aujourd’hui supportés par les seules collectivités, et les coûts externes. Je précise que les coûts externes sont les coûts des effets négatifs du transport qui ne sont pas payés par les usagers eux-mêmes. Il en est ainsi des coûts du changement climatique, du coût de la pollution et de ses conséquences sanitaires, du bruit, de l’encombrement, autant d’éléments qu’il convient de prendre en compte dans la tarification des transports routiers.
Dans le même sens, la Commission européenne estime qu’un consensus se dégage parmi les scientifiques sur le fait que les coûts externes du transport peuvent être mesurés via des approches axées sur les meilleures pratiques et que des chiffres sont prêts pour être utilisés à des fins politiques. Ainsi, voilà presque vingt ans, en 2006, il avait déjà été calculé que les coûts externes relatifs aux transports représentaient 300 milliards d’euros par an, soit le PIB d’un pays comme la Suède.
Nous pouvons donc instaurer un véritable outil de rééquilibrage entre les différents modes de transport, en faveur du fret ferroviaire, en intégrant les coûts externes du transport routier dans sa tarification. Cela permettrait également de lutter contre le dumping social, qui se traduit souvent par une sous-tarification du service.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-François Longeot, rapporteur. Cet amendement vise à inclure les charges d’entretien des infrastructures et les coûts externes dans le prix du transport public routier de marchandises. Cette question est tout à fait intéressante, mais reste très éloignée de l’objet de la proposition de loi, à savoir le transport ferroviaire de voyageurs. Par conséquent, la commission a émis un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Élisabeth Borne, ministre. Je tiens à vous rassurer, madame la présidente Assassi, un débat sur le fret ferroviaire est prévu au sein de cette assemblée le 3 avril prochain. Nous pouvons donc nous concentrer aujourd’hui sur le transport de voyageurs, puisque nous aurons l’occasion de parler du fret ferroviaire la semaine prochaine.
Au demeurant, je suis tout à fait d’accord sur le fait qu’il est souhaitable que le transport routier paye davantage ses coûts d’entretien et ses coûts externes. Toutefois, il est ici proposé de faire payer les chargeurs, alors qu’il s’agirait de faire payer les camions. Pour cette raison, le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. L’amendement n° 9, présenté par Mme Assassi, M. Gontard et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Avant l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’État, majoritairement représenté au conseil de surveillance de la SNCF, propose au directoire, et notamment au vice-président représentant SNCF Réseau, l’instauration d’un moratoire sur la fermeture des gares de triages, les points de desserte fret et la suppression des effectifs à Fret SNCF.
La parole est à M. Guillaume Gontard.
M. Guillaume Gontard. Nous proposons un moratoire sur la fermeture des gares de triage, qui sont essentielles pour le maintien et le développement du fret ferroviaire, pilier de la transition écologique. On rappellera une nouvelle fois cet objectif d’intérêt général ainsi que les engagements de la France lors des accords de Paris. Comment comptons-nous mettre en œuvre cette transition si nous laissons le fret ferroviaire perdre du terrain face au fret routier ?
Le développement du fret est un outil indispensable pour diminuer la circulation massive des poids lourds et la pollution, ainsi que la gêne qu’elles engendrent. Ainsi, nous proposons un moratoire sur la fermeture des gares de triage, dont la résorption est un non-sens écologique. Nous étions presque unanimes sur ce point lors de l’examen de la proposition de résolution de notre groupe voilà à peine trois mois.
Nous vous invitons donc, chers collègues, à voter cet amendement, en cohérence avec nos positions antérieures.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-François Longeot, rapporteur. Comme à l’amendement n° 2, il s’agit là d’une injonction adressée au Gouvernement, ce qui n’est pas conforme au principe de séparation des pouvoirs.
Mme Éliane Assassi. Elle est bien bonne, celle-là !
M. Jean-François Longeot, rapporteur. Qui plus est, cet amendement porte sur le fret, qui n’est pas l’objet de la proposition de loi. L’avis est donc défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Élisabeth Borne, ministre. Je tiens à préciser qu’il n’y a pas de projet de fermeture d’installations ferroviaires. L’enjeu premier, c’est que des entreprises de fret ferroviaire utilisent ces installations. Le second enjeu, c’est l’état de ces installations : il faut notamment prévoir des investissements sur des voies de service. Je vous rassure, dans le cadre de la trajectoire financière de SNCF Réseau à laquelle nous sommes en train de travailler, ces besoins d’investissement seront bien pris en compte.
Par conséquent, le Gouvernement demande le retrait de l’amendement ; à défaut, il émettra un avis défavorable.
Mme la présidente. L’amendement n° 6, présenté par Mme Assassi, M. Gontard et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Avant l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le réseau ferroviaire est propriété de la Nation.
La parole est à M. Fabien Gay.
M. Fabien Gay. Par cet amendement simple, nous souhaitons affirmer une position de principe, qui tend à être mise à mal par les réformes successives.
Nous estimons que le réseau ferré national, construit principalement grâce à l’impôt de nos concitoyens, doit être exclusivement détenu par la puissance publique, afin d’affirmer non seulement sa cohérence et sa pertinence, mais aussi son unicité, qui garantit l’accès au service public des transports, donc au droit de toutes et tous à la mobilité.
Nous ne partageons évidemment pas l’idée confortée par le rapport Spinetta qu’il faudrait se dessaisir des petites lignes, sacrifiant ainsi près de 9 000 kilomètres de réseau.
Nous ne souhaitons pas non plus, comme veut l’organiser le gouvernement auquel vous appartenez, madame la ministre, le transfert de charge sur les régions, contraintes de reprendre certaines liaisons pour éviter leur abandon par l’État, comme cela a été le cas pour certains trains Intercités, devenus des TER.
Le nouveau pacte ferroviaire, comme cette proposition de loi qui organise la concurrence pour les TER, Intercités et autres TGV, risque, sous couvert de mise en concurrence, de renforcer ce mouvement.
Les régions se voient attribuer, réforme après réforme, des compétences nouvelles, y compris par cette proposition de loi, qui prévoit de confier aux régions la propriété du matériel roulant et des ateliers de maintenance. Elles ne peuvent assumer un tel transfert de charge sans les moyens qui vont avec. Le succès de la décentralisation des TER s’est faite au prix que cette charge devienne le premier poste de budget des régions.
Le succès a tenu également aux relations tripartites entre l’État, les régions et la SNCF. La multiplication des opérateurs altérera la cohérence globale de l’offre interrégionale et renforcera les fractures territoriales.
Par ailleurs, nous nous opposons à cette balkanisation du système ferroviaire et à sa privatisation rampante, comme le prévoit le projet gouvernemental. Nous savons ce que prépare le changement de statut des trois EPIC en SA, nous en avons déjà l’expérience. Certes, l’État ne cédera pas d’actions, mais il existe d’autres façons de privatiser, par exemple en augmentant le capital, donc le nombre d’actions.
À notre sens, le changement de statut de SNCF Réseau serait dangereux. Le réseau national, structurant et stratégique, ne peut être dévolu aux intérêts privés.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-François Longeot, rapporteur. Cet amendement vise à affirmer que le réseau ferroviaire est la propriété de la Nation. Or le code des transports prévoit déjà que SNCF Réseau est le propriétaire unique de l’ensemble des lignes du réseau ferré national. SNCF Réseau est un établissement public de l’État, qui gère par conséquent ces lignes pour le compte de l’État. Une telle précision ne semblant pas nécessaire, la commission a émis un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Élisabeth Borne, ministre. Depuis 1997, le réseau ferré est la propriété de SNCF Réseau, qui est une structure publique et qui a vocation à le rester. Par ailleurs, le réseau ferré national fait partie du domaine public ferroviaire ; à ce titre, il est incessible.
Par conséquent, le Gouvernement demande le retrait de cet amendement ; à défaut, il émettra un avis défavorable.
Mme la présidente. L’amendement n° 7, présenté par Mme Assassi, M. Gontard et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Avant l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le Gouvernement remet au Parlement avant le 31 juin 2018 un rapport sur l’opportunité et les modalités de création d’une structure d’amortissement de la dette ferroviaire.
La parole est à Mme Michelle Gréaume.
Mme Michelle Gréaume. Nous arrivons, avec cet amendement, à une question qui nous semble centrale, celle de la dette ferroviaire, qui plombe le service public depuis de trop nombreuses années, obérant les capacités d’investissement non seulement pour les nouveaux projets, mais également pour les travaux d’entretien et de rénovation des lignes du quotidien. Cette dette colossale représente 54,5 milliards d’euros, avec l’accroissement pour unique perspective.
Cette situation est très étroitement liée aux injonctions de la directive de 1991, à savoir inviter les États à réduire l’endettement des compagnies ferroviaires. Dès cette période, l’État français, à l’image de ce qui s’est opéré en Allemagne, aurait pu faire le choix de reprendre l’ensemble de la dette à son compte. Malheureusement, ce n’est pas la voie qui a été choisie. Le gouvernement de l’époque a préféré cacher sous le tapis la misère en créant RFF.
Aujourd’hui, nous devons apporter de véritables réponses, puisque nous savons que cette situation ne fera que s’accentuer. En effet, les ressources de SNCF Réseau sont, par nature, inférieures aux dépenses. Nous proposons donc, à l’instar du principal syndicat du secteur, la création d’une structure de défaisance, caisse d’amortissement de la dette ferroviaire qui serait financée par le produit des concessions autoroutières, dont nous préconisons par ailleurs la nationalisation.
Le seul obstacle à la reprise de la dette par l’État est le respect des règles de Maastricht concernant le déficit public. Il faut pourtant pouvoir s’en affranchir pour le bien de la Nation et des usagers du service public ferroviaire. Nous estimons en effet que les intérêts de la dette, qui représentent chaque année 1,7 milliard d’euros, seraient bien plus utiles au financement des infrastructures qu’à celui des banques.
Le Gouvernement a fait des annonces sur une reprise totale ou partielle de la dette. Celles-ci sont particulièrement floues et hypothétiques, puisqu’elles sont liées à de possibles gains de productivité opérés par la SNCF.
Pour notre part, nous demandons non seulement un rapport…
M. Gérard Cornu. Un rapport, pour quoi faire ?
Mme Michelle Gréaume. … – c’est le maximum que nous puissions faire –, mais aussi des engagements clairs du Gouvernement sur cette question centrale pour l’avenir du système ferroviaire national.
M. Jean Bizet. Il n’y a pas d’argent !
Mme Éliane Assassi. Mais si, il y en a de l’argent !
M. Fabien Gay. On en a bien trouvé pour supprimer l’ISF !
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-François Longeot, rapporteur. L’ISF n’est pas le sujet…
Par cet amendement, ma chère collègue, vous abordez un sujet fondamental pour l’avenir du système ferroviaire, celui de la dette du gestionnaire du réseau, qui a atteint 46,6 milliards d’euros en 2017 et croît chaque année de 2 milliards à 3 milliards d’euros.
Dans le cadre de la loi portant réforme ferroviaire de 2014, le Parlement avait déjà demandé au gouvernement un rapport sur la dette et les solutions qui pourraient être mises en œuvre, notamment la création d’une caisse d’amortissement de la dette ferroviaire. Ce rapport a bien été rendu en 2016, mais il n’a absolument pas résolu la question, la renvoyant au gouvernement suivant.
Mme Éliane Assassi. Quand il n’y a pas de volonté, il n’y a pas de volonté !
M. Jean-François Longeot, rapporteur. Je n’étais pas au gouvernement. (Sourires.)
Aujourd’hui, sur ce sujet, plus qu’un rapport, il nous faut des solutions concrètes.
M. Jean Bizet. Absolument !
M. Jean-François Longeot, rapporteur. C’est pourquoi, madame la ministre, je profite de l’examen de cet amendement pour vous demander ce que le Gouvernement compte faire dans ce domaine.
En attendant, la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement. Nous devons aller beaucoup plus loin.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Élisabeth Borne, ministre. Je vous confirme que le Gouvernement a souhaité engager une réforme globale, qui vise notamment à remettre à l’équilibre la trajectoire financière du secteur ferroviaire. Dans ce cadre, comme le Premier ministre a eu l’occasion de l’indiquer, le Gouvernement considère que la dette qui pèse sur le secteur ferroviaire est un problème – c’est même une menace pour le système ferroviaire.
Le Gouvernement a donc clairement indiqué qu’il prendra ses responsabilités au cours du quinquennat. Un travail est en cours pour s’assurer qu’il est possible de construire une trajectoire financière qui ne conduise pas à recréer de la dette. Chacun peut comprendre que, si nous sommes amenés à traiter ce sujet aujourd’hui, il serait regrettable d’avoir à le refaire dans dix ans. C’est tout l’objet du travail en cours.
Je le répète, pour le Gouvernement, cette dette est un problème et même une menace. C’est pourquoi il prendra ses responsabilités au cours du quinquennat.
Par conséquent, le Gouvernement émet un avis défavorable sur cette demande de rapport. Le temps n’est plus aux rapports, mais à l’action.
M. Jean Bizet. Très juste !
Mme Éliane Assassi. C’est le seul levier que l’on ait !
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.
M. Hervé Maurey, président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Madame la ministre, comme l’a dit le rapporteur, la question de la dette du système ferroviaire est fondamentale. Or, sur ce point précis, le Gouvernement est un peu court en termes d’information. Le Premier ministre n’en dit pas grand-chose, vous non plus. Vous nous dites simplement que le Gouvernement prendra ses responsabilités dans les cinq ans qui viennent. On aimerait en savoir un peu plus !
Mme Éliane Assassi. Ah oui !
M. Hervé Maurey, président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Cinq ans, c’est assez long. Comment les choses vont-elles s’organiser ? Qu’est-ce qui est envisagé ?
Si je pose ces questions, c’est non pas par curiosité malsaine, mais parce que, de leurs réponses dépendent un certain nombre de points, et vous le savez très bien, notamment la transformation de SNCF Réseau en société anonyme. On sait très bien que cette transformation est inenvisageable avec une telle dette.
Nous discuterons demain du devenir de Gares & Connexions. Je n’anticiperai pas ce débat, mais on sait très bien que mettre Gares & Connexions, comme vous l’envisagez, dans SNCF Réseau sera compliqué, voire impossible, si la question de la dette n’est pas réglée.
Je pense également, comme l’ont dit certains orateurs, notamment le rapporteur, que le précédent gouvernement – je le dis à mes collègues et amis socialistes – a eu une attitude vraiment coupable vis-à-vis de la SNCF en 2016. On a commencé par couper les pattes à une réforme sociale qui était à peu près aboutie…
M. Gérard Cornu. Eh oui !
M. Hervé Maurey, président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. … afin de ne pas déclencher de mouvements sociaux au moment de l’Euro de football, mais aussi parce que le projet de loi El Khomri avait commencé à créer quelques remous.
Le Premier ministre de l’époque a déclaré à l’Assemblée nationale qu’il ne fallait pas s’inquiéter – de mémoire, cela devait être au mois de juin –, car, en contrepartie, le problème de la dette allait être réglé. Puis, au mois de septembre, il nous a dit que, non, il n’y avait pas de problème de dette… Loin de moi l’idée de polémiquer sur ce sujet, mais la part de responsabilité du précédent gouvernement est colossale et terrifiante.
Ce n’est pas une raison pour reporter cette question à dans cinq ans. Nous avons besoin d’être un peu plus éclairés que nous ne le sommes aujourd’hui sur ce sujet. Il y a deux grands points d’interrogation dans les déclarations du Gouvernement : quand et comment ?
Mme la présidente. La parole est à M. Marc Laménie, pour explication de vote.
M. Marc Laménie. Cet amendement soulève le problème, essentiel, de la dette. Cela me rappelle que nous avons adopté la loi portant réforme ferroviaire du 4 août 2014, dont Michel Teston était le rapporteur au Sénat. À l’époque, on parlait de RFF, devenue SNCF Réseau. Le groupe SNCF comprend également SNCF Mobilités et Gares & Connexions.
Le problème du financement des infrastructures et le poids de la dette sont évoqués chaque année en commission des finances au moment de l’examen du projet de loi de finances.
Une réforme est nécessaire, c’est sûr, comme Mme la ministre l’a rappelé. On comprend tout à fait que, sans réforme, la dette, qui est de l’ordre de 50 milliards d’euros aujourd’hui, pourrait être de 20 milliards d’euros de plus en 2025. Le président de la commission, Hervé Maurey, nous alerte, et il a parfaitement raison, car la question de la dette est cruciale pour l’avenir.
Des investissements ont été faits par SNCF Réseau, même si l’État et les collectivités territoriales sont intervenus à un titre ou à un autre. Mais le poids de la dette est très fort, pour ne pas dire inquiétant. Nous devons disposer de bonnes informations à ce sujet. Je voterai donc l’amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Jacquin, pour explication de vote.
M. Olivier Jacquin. Cet amendement vise à demander un rapport au Gouvernement sur la question de la dette, qui est tout à fait essentielle.
Je trouve mon collègue Hervé Maurey assez sévère avec le précédent gouvernement. Je rappelle, et M. Maurey le sait, qu’une réforme de l’organisation de la SNCF a été réalisée en 2014 et qu’elle a permis d’aboutir à des résultats très positifs. La création de SNCF Réseau et de SNCF Mobilités fut une étape importante. Souvenez-vous de la confusion qui régnait auparavant. La règle d’or a également été instaurée, même si elle est encore insuffisamment appliquée.
En tout cas, je n’entends personne ici dire, comme on peut l’entendre dans d’autres sphères, que la dette serait celle des cheminots. C’est un point heureux de cette discussion. La dette est surtout le résultat des injonctions contradictoires auxquelles l’opérateur a dû céder depuis des décennies. D’un côté, on lui demandait de faire plus d’économies chaque année, de l’autre d’investir beaucoup dans les lignes à grande vitesse. En conséquence, aujourd’hui, nous héritons d’un excellent réseau de lignes à grande vitesse et d’une dette absolument considérable.
Cette question a été évoquée dans le rapport Spinetta, intéressant à bien des égards : comment mettre l’opérateur à l’abri des demandes parfois contradictoires du Gouvernement ? Afin d’éviter ces déséquilibres permanents, il faut renforcer l’autonomie de l’opérateur.
Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Cornu, pour explication de vote.
M. Gérard Cornu. Désormais, à chaque fois qu’on légifère, on demande des rapports. C’est une maladie ! Franchement, un rapport ne nous apporterait pas grand-chose.
Mme Éliane Assassi. On demande des rapports pour ne pas tomber sous le coup de l’article 40 !
M. Gérard Cornu. En revanche, la dette est un vrai sujet. Pour compléter ce qu’ont dit le rapporteur et le président de la commission, je tiens à dire que la responsabilité de l’État est réelle. Elle ne date pas d’aujourd’hui, elle ne date pas d’hier, elle date aussi d’avant-hier !
M. Olivier Jacquin. Absolument !
M. Gérard Cornu. Quelle que soit la couleur politique du gouvernement, la SNCF a connu de nombreuses injonctions : on lui demandait de réaliser des équipements, mais les crédits de l’État pour les financer étaient insuffisants. Cela a créé la dette, laquelle est aujourd’hui incontournable.
M. Olivier Jacquin. Voilà !
M. Gérard Cornu. Madame la ministre, vous êtes bien consciente qu’une réforme globale de la SNCF est nécessaire, et j’en suis tout à fait d’accord, mais, ce qui me gêne, c’est le délai que vous évoquez concernant la dette. Il ne faut pas oublier l’ouverture à la concurrence. Or on ne peut pas ouvrir le transport de voyageurs à la concurrence et faire supporter à SNCF Réseau une dette aussi importante. Pour résorber cette dette, SNCF Réseau serait en effet obligée de facturer des péages encore plus importants, ce qui rendrait la concurrence assez difficilement supportable.
Dire qu’on va peut-être faire quelque chose pour la dette dans un délai, excessif, de cinq ans me semble dangereux pour l’avenir de cette belle entreprise qu’est la SNCF. Le dossier de la dette est crucial. Nous le verrons lorsque nous aborderons d’autres sujets, comme le rattachement des gares. C’est un problème sérieux dont il faut absolument se préoccuper très vite.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre. Je relisais les débats sur la création de l’EPIC SNCF : le ministre de l’époque évoquait déjà l’endettement excessif de la SNCF. Ce problème ne date donc pas d’hier. Reste qu’il faut le traiter rapidement.
Sachez simplement que, aujourd’hui, l’endettement croît de 3 milliards d’euros par an, dont 1,5 milliard d’euros de frais financiers.
M. Hervé Maurey, président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Eh oui !
Mme Élisabeth Borne, ministre. Même sans frais financiers, la dette continuerait à augmenter de 1,5 milliard d’euros par an. C’est cette équation que nous devons résoudre, en travaillant avec l’entreprise. Personne ne comprendrait qu’on s’empare aujourd’hui du sujet de la dette tout en reconstituant une dette qui croîtrait de nouveau de 1,5 milliard d’euros par an.
M. Gérard Cornu. On est d’accord !
Mme Élisabeth Borne, ministre. Nous devons traiter cette question rapidement et de façon durable. C’est bien ce à quoi travaille le Gouvernement.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty, pour explication de vote.
M. Jean-Marc Gabouty. Permettez-moi d’intervenir quelques instants ce soir, madame la présidente, car il ne me sera pas possible de le faire demain matin, étant donné que je serai à votre place.
Si je partage la ligne directrice du projet du Gouvernement, et si cette proposition de loi contient des choses intéressantes, je pense qu’il faut aller au-delà et analyser les raisons pour lesquelles nous en sommes arrivés là aujourd’hui en termes de dette et de dégradation du réseau. Il faut accepter que des gouvernements différents, comme cela vient d’être dit, de sensibilités variées, aient pu effectivement inciter la SNCF à commettre un certain nombre d’erreurs.
Pour ma part, je dis oui au changement de statut pour l’avenir, mais j’appelle votre attention sur un point : le statut n’est pas responsable de tout. On ne peut pas tout expliquer par cela ni même par la structuration juridique de la SNCF.
Je tiens à vous sensibiliser au problème de gouvernance de la SNCF. Dans certains domaines, elle travaille à flux tendu, comme le faisaient les grands groupes privés dans les années quatre-vingt, lesquels en sont très vite revenus, car ils se sont aperçus que le flux tendu fragilisait considérablement leur fonctionnement. Je pense ainsi à des constructeurs automobiles, qui, dès qu’il neigeait, recouraient immédiatement au chômage technique. La SNCF travaille à flux tendu, car elle n’a plus de matériel. Et je ne parle pas uniquement d’un problème de wagons, lesquels, du reste, ne sont pas aussi inconfortables qu’on le dit.
À titre d’exemple, sur la ligne Paris-Toulouse, il n’y a pas de matériel de rechange dans un rayon de 250 kilomètres en cas de panne de locomotrice. C’est là un véritable problème de gouvernance et d’organisation de la SNCF.
Madame la ministre, je rebondis sur ce que vous venez de dire : si les intérêts de la dette s’élèvent à 1,5 milliard d’euros, pour une dette de 50 milliards d’euros, je vous invite à inciter les dirigeants de la SNCF à renégocier leur dette, car le taux d’intérêt me paraît un peu excessif !
Aujourd’hui, seuls les pompiers peuvent dépanner une locomotive ayant un problème métallique – pas mécanique : métallique, un chasse-pierres tordu – à 10 kilomètres d’Orléans. La SNCF n’en a plus les moyens ! Ceux qui prennent le train toutes les semaines pourraient remplir un livre avec des exemples comme celui-là.
Je pense donc qu’il y a un véritable problème d’organisation interne et de gouvernance au sein de la SNCF, en dehors des problèmes de statuts et d’endettement. Une réflexion en profondeur doit être conduite sur cette grande entreprise qu’est la SNCF, qui remporte de grands succès, mais qui a aussi de graves lacunes.
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous avons examiné 6 amendements au cours de la soirée ; il en reste 61.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
8
Ordre du jour
Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, jeudi 29 mars 2018, à dix heures trente, à quinze heures quinze et le soir :
Suite de la proposition de loi relative à l’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs (n° 711, 2016-2017) ;
Rapport de M. Jean-François Longeot, fait au nom de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable (n° 369, 2017-2018) ;
Texte de la commission (n° 370, 2017-2018).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée le jeudi 29 mars 2018, à zéro heure trente.)
nomination de membres d’une commission mixte paritaire
La liste des candidats établie par la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale pour faire partie de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la protection des données personnelles a été publiée conformément à l’article 12 du règlement.
Aucune opposition ne s’étant manifestée dans le délai prévu par l’article 9 du règlement, cette liste est ratifiée. Les représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire sont :
Titulaires : M. Philippe Bas, Mmes Sophie Joissains, Jacky Deromedi, Jacqueline Eustache-Brinio, MM. Jérôme Durain, Jean-Yves Leconte, Arnaud de Belenet ;
Suppléants : Mmes Esther Benbassa, Maryse Carrère, M. Mathieu Darnaud, Mme Catherine Di Folco, M. Christophe-André Frassa, Mme Marie-Pierre de la Gontrie, M. Loïc Hervé.
Direction des comptes rendus
GISÈLE GODARD