M. le président. La parole est à M. Sébastien Meurant, pour le groupe Les Républicains.
M. Sébastien Meurant. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, comme Benoît Huré, je suis très inquiet du devenir de l’Union européenne.
De quelle Europe parlons-nous ? Où ses frontières s’arrêtent-elles ? L’Union européenne est perçue par les peuples comme étant très éloignée de leurs préoccupations et, au fil des élections, nous voyons progresser ceux que j’appellerai, pour simplifier, les europhobes.
Ma première question concerne la Turquie, ce drôle d’allié qui occupe le nord de Chypre depuis plus de quarante ans, qui se permet aujourd’hui d’occuper une partie de la Syrie, qui massacre nos alliés objectifs contre Daech et qui a exporté du pétrole pour le compte de ce groupe terroriste. Quelle est la position de l’Union européenne à l’égard de la Turquie ? (Mme Catherine Procaccia applaudit.)
Ma deuxième question porte sur le Brexit. Le général de Gaulle disait de l’Angleterre qu’elle choisirait toujours le grand large. De fait, le Royaume-Uni a gagné ! L’Europe est un continent où s’exacerbent les divergences sociales et fiscales, où prospèrent les pratiques d’optimisation fiscale, par exemple via la constitution de holdings. La France, ses entreprises et ses travailleurs en sont les premières victimes.
Ma troisième et dernière question a trait à l’espace Schengen. Mes chers collègues, je vous invite à consulter le texte n° E 12809 relatif à l’application, par la France, de l’acquis de Schengen. Notre pays, en 2016, était bien loin de répondre aux souhaits des institutions européennes, qui ne souhaitaient déjà pas grand-chose… La France est notamment incapable d’assurer la sécurité intérieure en contrôlant correctement les entrées sur son territoire, en particulier à Roissy. Madame la ministre, quelles sont les mesures prises par la France pour respecter les « acquis » de Schengen ?
M. Ladislas Poniatowski. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Monsieur le sénateur, il s’agit là plus de remarques que de questions…
La Turquie est un partenaire indispensable dans la lutte contre le terrorisme. Nous lui devons de pouvoir identifier et contrôler les apprentis djihadistes français qui se rendent en Syrie ou en Irak en passant par son territoire. Ne l’oublions pas !
C’est aussi un partenaire difficile. Je me suis exprimée hier, ici au Sénat, sur l’offensive menée par la Turquie en Syrie. Nous comprenons que la Turquie se préoccupe de la sécurité de sa frontière, mais pas qu’elle pénètre profondément dans le territoire syrien et cause des déplacements de populations aggravant une situation humanitaire déjà dramatique. Nous lui demandons de laisser passer l’aide humanitaire et de permettre aux citoyens syriens de rentrer chez eux.
Concernant les divergences fiscales et sociales que l’on constate au sein de l’Union européenne, le Président de la République considère que le projet européen ne peut aujourd’hui s’approfondir que si l’on travaille à renforcer la convergence sociale et fiscale. Sans cela, le fait d’avoir une monnaie unique ne suffira pas à promouvoir l’Europe en tant que puissance économique. C’est la raison pour laquelle, en matière fiscale, nous plaidons par exemple pour la mise en place d’un « corridor » de taux d’impôt sur les sociétés et nous sommes favorables à ce que le versement de certains fonds européens soit conditionné au respect de la convergence fiscale et sociale.
Enfin, en ce qui concerne l’espace Schengen, nous considérons que l’heure n’est pas venue de l’élargir, même si certains États membres sont candidats. Il convient au préalable de le réformer et de le renforcer, en particulier en travaillant à un meilleur contrôle des frontières extérieures de l’Union européenne. Pour cela, il faut accroître les moyens et les effectifs. Nous nous y sommes engagés. Nous travaillons aussi à une meilleure interopérabilité des systèmes d’information entre États membres de l’Union européenne. Ce sont là des enjeux que nous prenons très au sérieux.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Je voudrais remercier Mme la ministre de s’être prêtée à cet exercice, qui n’est pas toujours facile.
Les questions de nos collègues m’ont semblé traduire l’inquiétude que ressentent nos concitoyens. Nous vivons dans un monde qui n’a jamais été aussi incertain, et les Françaises et les Français souhaitent une Europe qui protège – je n’ai pas dit « protectionniste ».
L’Union européenne n’avait pas été conçue en fonction d’une vague migratoire de l’ampleur de celle que nous avons connue. L’espace Schengen et l’agence Frontex n’avaient pas été dimensionnés pour y faire face. L’Union européenne réagit à sa vitesse, qui est celle des vingt-sept États membres. Notre collègue Sylvie Robert s’est demandé pourquoi il fallait toujours que les règles soient adoptées à l’unanimité. Or celle-ci est surtout requise quand il s’agit de questions financières ; dans d’autres domaines, c’est la majorité qualifiée qui prévaut, laquelle n’est pas non plus toujours facile à réunir.
Sur le plan des marchés de capitaux, après la chute de Lehman Brothers, en 2008, l’Union européenne a fini par constituer un corpus réglementaire très solide, mais cela a pris du temps.
Une Europe qui protège, c’est aussi une Europe qui, au travers de la coopération structurée permanente, élabore tout doucement une défense européenne ; là encore, il y faut du temps.
Une Europe qui protège, c’est enfin une Europe qui essaie de sanctionner les fraudes, les dérives constatées dans certains États, tels que l’Allemagne, où la filière porcine s’est livrée à des pratiques frauduleuses en matière de TVA, ou les Pays-Bas. J’ai adressé à Mme la ministre un courrier portant sur ce point précis. Il n’est pas normal qu’existent de telles distorsions au sein même de l’Union européenne. Les divergences seront corrigées, c’est ainsi que fonctionne l’Europe.
Pour conclure, je dirai qu’il faut trouver un juste équilibre entre les coopérations renforcées, qui nous permettent d’aller plus vite – sans aller jusqu’à créer une Europe à double vitesse, peut-être faut-il des « premiers de cordée » –, et le maintien de la cohésion de l’Europe des Vingt-Sept, de l’Europe des valeurs qu’appelle de ses vœux notre collègue Benoît Huré. La construction de l’Europe n’aura jamais de fin, parce qu’elle est toujours à parfaire.
M. le président. Nous en avons terminé avec le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 22 et 23 mars 2018.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures quinze, est reprise à dix-sept heures trente.)
M. le président. La séance est reprise.
4
Protection des données personnelles
Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d’un projet de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la protection des données personnelles (projet n° 296, texte de la commission n° 351, rapport n° 350, rapport d’information n° 344).
Dans la discussion du texte de la commission, nous poursuivons, au sein du chapitre IV du titre II, l’examen de l’article 12.
TITRE II (suite)
MARGES DE MANŒUVRE PERMISES PAR LE RÈGLEMENT (UE) 2016/679 DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL DU 27 AVRIL 2016 RELATIF À LA PROTECTION DES PERSONNES PHYSIQUES À L’ÉGARD DU TRAITEMENT DES DONNÉES À CARACTÈRE PERSONNEL ET À LA LIBRE CIRCULATION DE CES DONNÉES, ET ABROGEANT LA DIRECTIVE 95/46/CE
Chapitre IV (suite)
Dispositions relatives à certaines catégories particulières de traitements
Article 12 (suite)
L’article 36 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 précitée est ainsi modifié :
1° Au premier alinéa, les mots : « historiques, statistiques ou scientifiques » sont remplacés par les mots : « archivistiques dans l’intérêt public, à des fins de recherche scientifique ou historique ou à des fins statistiques » ;
2° Les deuxième et cinquième alinéas sont supprimés ;
3° Sont ajoutés deux alinéas ainsi rédigés :
« Lorsque les traitements de données à caractère personnel sont mis en œuvre par les services publics d’archives à des fins archivistiques dans l’intérêt public conformément à l’article L. 211-2 du code du patrimoine, les droits prévus aux articles 15 et 18 à 21 du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 précité ne s’appliquent pas dans la mesure où ces droits rendent impossible ou entravent sérieusement la réalisation de ces finalités. Un décret en Conseil d’État, pris après avis motivé et publié de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, détermine les conditions d’application du présent alinéa, ainsi que les garanties appropriées pour les droits et libertés des personnes concernées et les limitations à apporter à la diffusion des données traitées.
« Un décret en Conseil d’État, pris après avis motivé et publié de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, détermine dans quelles conditions et sous réserve de quelles garanties il peut être dérogé en tout ou partie aux droits prévus aux articles 15, 18 et 21 du même règlement, en ce qui concerne les autres traitements mentionnés au premier alinéa du présent article. »
M. le président. Je suis saisi de quatorze amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 46 rectifié, présenté par M. Patient et les membres du groupe La République En Marche, est ainsi libellé :
Alinéa 5
1° Première phrase
Après la référence :
15
insérer la référence :
, 16
2° Seconde phrase
Remplacer cette phrase par deux phrases ainsi rédigées :
Les conditions et garanties appropriées prévues à l’article 89 du même règlement sont déterminées par le code du patrimoine et les autres dispositions législatives et réglementaires applicables aux archives publiques. Elles sont également assurées par le respect des normes conformes à l’état de l’art en matière d’archivage électronique.
La parole est à M. Arnaud de Belenet.
M. Arnaud de Belenet. Georges Patient propose de rétablir l’alinéa 5 dans sa rédaction d’origine. Il rappelle que l’article 89 du règlement général sur la protection des données, le RGPD, permet des dérogations à certains droits en matière d’archives.
M. le président. Les amendements nos 40,42, 53,60, 90, 136 et 149 rectifié bis sont identiques.
L’amendement n° 40 est présenté par Mmes M. Carrère et Costes.
L’amendement n° 42 est présenté par M. Schmitz.
L’amendement n° 53 est présenté par M. L. Hervé.
L’amendement n° 60 est présenté par M. Mazuir.
L’amendement n° 90 est présenté par le Gouvernement.
L’amendement n° 136 est présenté par Mmes S. Robert et Van Heghe, MM. Durain, Féraud et Fichet et Mme Blondin.
L’amendement n° 149 rectifié bis est présenté par MM. Delcros, Kern, Henno, Janssens et Laugier, Mme Vermeillet, M. Bonnecarrère, Mme Billon, MM. Mizzon, Longeot et Canevet, Mme Férat, M. Détraigne, Mme Loisier et MM. Bockel et Cigolotti.
Ces sept amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 5, première phrase
Après la référence :
15
insérer la référence :
, 16
La parole est à Mme Josiane Costes, pour défendre l’amendement n° 40.
Mme Josiane Costes. L’introduction d’un droit de rectification des archives, en apparence anodine, soulève plusieurs questions qui méritent d’être débattues ici. Je me réjouis qu’elles aient trouvé tant d’écho dans notre chambre.
Il y a tout d’abord la question, d’ordre scientifique, de l’authenticité des archives. Peut-on altérer des documents à valeur historique en vertu d’un droit de rectification accordé à nos contemporains au nom de la mémoire de leurs aïeux ou de tel ou tel argument ? Ne s’agit-il pas là d’une pratique qui risque de nuire aux débats scientifiques de chercheurs s’efforçant de déterminer des vérités historiques ou sociales selon des règles déontologiques qui leur sont propres ? Même les erreurs révèlent une part de vérité. En outre, les rectifications sont déjà possibles par le biais de publications commentant les archives.
Il y a, ensuite, la question plus prosaïque de la charge de travail que ces modifications impliqueront pour les archivistes, largement sous-estimée ici.
Madame la rapporteur, nous saluons votre effort pour trouver un compromis, mais nous considérons que la rédaction que vous proposez reste insuffisamment protectrice. Le principe d’authenticité des archives ne peut s’accommoder de nuances.
M. le président. La parole est à M. Alain Schmitz, pour présenter l’amendement n° 42.
M. Alain Schmitz. Il est nécessaire que les traitements mis en œuvre par les services publics d’archives dérogent au droit de rectification. Les traitements visés par l’article 12 ne portent que sur les archives « définitives » ou « historiques », et en aucun cas sur les archives « courantes » et « intermédiaires », également appelées « archives vivantes », qui sont, quant à elles, bel et bien soumises au droit de rectification.
Les deux principes importants de l’archivistique sont l’intégrité et l’authenticité.
Les informations contenues dans les archives historiques sont souvent périmées et incomplètes du seul fait de leur ancienneté. Elles comportent parfois des inexactitudes et des erreurs volontaires. Accorder un droit de rectification de ces archives historiques reviendrait à porter atteinte à leur authenticité, notion qui est à distinguer de celle de véracité. Or la mission de l’archiviste est, bien entendu, de garantir l’authenticité des documents.
Comme vient de le dire notre collègue, ce droit à rectification des archives historiques engendrerait, de surcroît, une charge de travail extrêmement lourde : songeons aux kilomètres de linéaires que peuvent occuper des archives, qu’elles soient nationales, départementales ou communales.
M. le président. La parole est à M. Loïc Hervé, pour présenter l’amendement n° 53.
M. Loïc Hervé. Il est défendu.
M. le président. L’amendement n° 60 n’est pas soutenu.
La parole est à Mme la garde des sceaux, pour présenter l’amendement n° 90.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Cet amendement a pour objet de rétablir la rédaction initiale de l’article 12 du projet de loi, qui prévoyait une dérogation au droit de rectification pour les traitements à des fins archivistiques dans l’intérêt public. Cette dérogation ne vise que les archives dites historiques, qui sont déjà anciennes et conservées par les services publics d’archives, et non les archives vivantes, effectivement soumises, quant à elles, au droit de rectification. Elle garantit leur intégrité et leur authenticité au regard de l’histoire.
S’agissant des archives historiques, il convient de distinguer le caractère original et authentique des documents de la véracité de l’information qu’ils contiennent. Les services d’archives ont pour mission de conserver des documents authentiques. Il revient aux chercheurs, aux historiens d’apprécier, éventuellement, la véracité des informations que ceux-ci contiennent.
Par ailleurs, la rectification de documents vieux de vingt, trente, quarante ans ou plus constituerait, me semble-t-il, une charge démesurée pour les services publics d’archives, qui conservent des kilomètres d’archives et des centaines de téraoctets de données. L’exercice de ce droit se révélerait en réalité impossible, en raison de l’extrême difficulté, pour ces services, de vérifier l’exactitude des informations demandées.
M. le président. La parole est à Mme Sylvie Robert, pour présenter l’amendement n° 136.
Mme Sylvie Robert. Il est défendu.
M. le président. La parole est à M. Bernard Delcros, pour présenter l’amendement n° 149 rectifié bis.
M. Bernard Delcros. Il me paraît extrêmement important de rétablir cette dérogation au droit de rectification, lequel continuerait bien entendu à valoir pour les archives vivantes.
Il faut protéger les archives historiques. Elles contiennent des données qui sont exactes au regard de la réalité des faits de l’époque, d’autres qui sont inexactes. Ces inexactitudes sont parfois volontaires et répondent à des préoccupations très précises : nous avons tous en tête des exemples concernant les périodes les plus tragiques du XXe siècle. Il est donc essentiel que les historiens et les chercheurs puissent disposer de toutes les données, qu’elles soient exactes ou inexactes, parce qu’elles permettent de comprendre ce qui s’est passé, en vue d’écrire l’histoire. Ne pas protéger les archives historiques serait une erreur.
M. le président. L’amendement n° 152, présenté par Mme Joissains, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 5, après la première phrase
Insérer une phrase ainsi rédigée :
En outre, par dérogation à l’article 16 du même règlement, lorsqu’un document conservé par un service public d’archives comprend des données à caractère personnel inexactes, la personne concernée a le droit d’obtenir de ce service qu’il soit fait mention de cette inexactitude, soit en marge du document, soit dans un document spécialement annexé à cet effet.
La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Sophie Joissains, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Depuis la fin des années soixante-dix, l’articulation entre les principes régissant respectivement la conservation des archives, l’accès aux documents administratifs et la protection des données à caractère personnel a fréquemment soulevé des difficultés.
Je tiens d’abord à dissiper quelques malentendus. Le droit en vigueur ne prévoit aucune dérogation au droit de rectifier des données personnelles inexactes au bénéfice des services publics d’archives. Il prévoit seulement une dérogation à la durée normale de conservation des données, une dérogation aux obligations de confidentialité, une dérogation au droit d’accès des personnes physiques aux données personnelles qui les concernent tel qu’il est défini par la loi relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, une dérogation au droit d’opposition à voir ces données traitées.
Le droit de rectification est strictement encadré par le droit français et communautaire. Comme l’a confirmé le Contrôleur européen de la protection des données, il ne s’applique qu’aux données objectives et factuelles, pas aux déclarations subjectives, qui, par définition, peuvent être erronées d’un point de vue factuel.
La CNIL, la Commission nationale de l’informatique et des libertés, nous a assuré que cette interprétation étroite du principe d’exactitude correspondait en tous points à sa pratique.
Le droit de rectification n’implique pas d’effacer des données inexactes. Il peut y être fait droit, par exemple, en apposant une mention en marge du document ou en ajoutant au dossier des pièces complémentaires. Comme tous les droits reconnus aux personnes physiques sur leurs données personnelles, ce droit s’éteint au décès de l’intéressé et n’est pas transmissible aux héritiers, comme c’était le cas jusqu’en 2004.
Ces mises au point étant faites, la question demeure : faut-il introduire une nouvelle dérogation au droit de rectification au bénéfice des services publics d’archives ?
Une telle dérogation pourrait être justifiée d’une part par la nécessité de maintenir l’intégrité des archives, d’autre part par les règles de communication des archives publiques, qui protègent, dans une certaine mesure, les personnes vivantes contre les atteintes à la vie privée, puisqu’elles prévoient des délais de communication plus ou moins longs. Néanmoins, ces délais n’empêchent pas que les documents soient communiqués, voire largement diffusés, avant la mort des intéressés ; tel est bien le problème.
En outre, les archives peuvent, dans certains cas, être communiquées avant l’expiration des délais légaux, et l’administration des archives conserve le droit d’ouvrir des fonds d’archives, à tout moment, avec l’accord de l’administration dont elles émanent.
La semaine dernière, la commission des lois a estimé légitime qu’une personne vivante ayant connaissance du fait qu’un document d’archives publiques la concernant contient des informations inexactes puisse en obtenir la rectification. Il convient d’opérer une juste conciliation entre les objectifs d’intérêt général des services publics d’archives et la protection des droits des personnes sur leurs données.
On ne saurait ignorer le préjudice que pourrait causer à ces personnes la publicité donnée à des informations factuellement erronées. J’aimerais mentionner un exemple de nature à nourrir notre réflexion sur ce sujet délicat : en 2013, les ministères de la défense et de la culture ont demandé à la CNIL l’autorisation de procéder à la numérisation, à l’indexation et à la diffusion sur internet des registres matricules du recrutement militaire des soldats ayant participé à la Première Guerre mondiale. Ces registres matricules comprennent, notamment, des données sensibles issues du dossier militaire des soldats : blessures, état général, santé, maladies, contaminations… Par conséquent, il avait été prévu d’étendre à tout internaute – ce qui est exceptionnel – le droit de demander la rectification des données inexactes des bases de données d’indexation et des registres matricules numérisés. La CNIL avait alors souligné l’intérêt d’une telle disposition, relevant qu’aucune analyse de l’exactitude des données n’avait été préalablement menée et que les pratiques suivies pour constituer un registre matricule variaient d’un bureau de recrutement à un autre.
Bien sûr, en 2013, il n’y avait plus beaucoup de combattants de cette guerre encore en vie ! Pour autant, ces soldats auraient-ils voulu que des informations fausses les concernant soient diffusées auprès du plus large public, même après leur mort ? Et que dire de leurs enfants ou de leurs petits-enfants, qui pouvaient voir la mémoire de leur père ou de leur grand-père injustement abîmée ?
Afin d’apaiser ces inquiétudes, je propose, par l’amendement n° 152, d’expliciter dans la loi que l’exercice du droit de rectification n’implique pas d’effacer des données inexactes, mais qu’il peut y être fait droit soit en apposant une mention rectificative en marge du document, soit en y annexant un document rectificatif.
Plusieurs amendements de nos collègues visent aussi à supprimer le renvoi à un décret en Conseil d’État, ajouté par la commission des lois pour tenir compte des observations de la CNIL. En effet, le RGPD prévoit que la loi nationale peut déroger au droit reconnu aux personnes physiques sur leurs données en ce qui concerne les traitements à des fins archivistiques dans l’intérêt public, mais ces dérogations ne sont permises que sous réserve de garanties appropriées et dans la mesure où ces droits risqueraient de rendre impossible ou d’entraver sérieusement la réalisation des finalités spécifiques de ces traitements.
Il convient donc de préciser par décret en Conseil d’État la portée de ces dérogations, les garanties offertes aux personnes concernées et les limitations à apporter à la diffusion des données traitées, notamment en ce qui concerne l’indexation de ces données sur les moteurs de recherche.
Je demande, au nom de la commission, que l’amendement n° 152 soit mis aux voix par priorité.
M. le président. Les amendements nos 41,43, 61, 91 et 135 rectifié sont identiques.
L’amendement n° 41 est présenté par Mmes M. Carrère et Costes.
L’amendement n° 43 est présenté par M. Schmitz.
L’amendement n° 61 est présenté par M. Mazuir.
L’amendement n° 91 est présenté par le Gouvernement.
L’amendement n° 135 rectifié est présenté par Mmes S. Robert et Van Heghe, MM. Durain, Féraud et Fichet et Mme Blondin.
Ces cinq amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 5, seconde phrase
Remplacer cette phrase par deux phrases ainsi rédigées :
Les conditions et garanties appropriées prévues à l’article 89 du même règlement sont déterminées par le code du patrimoine et les autres dispositions législatives et réglementaires applicables aux archives publiques. Elles sont également assurées par le respect des normes conformes à l’état de l’art en matière d’archivage électronique.
La parole est à Mme Josiane Costes, pour présenter l’amendement n° 41.
Mme Josiane Costes. Il est défendu.
M. le président. La parole est à M. Alain Schmitz, pour défendre l’amendement n° 43.
M. Alain Schmitz. L’article 89 du RGPD permet aux traitements à des fins archivistiques dans l’intérêt public de déroger à certains droits en contrepartie de conditions et garanties appropriées. Cette disposition ne concerne que les archives définitives ou les archives historiques, et seulement les traitements des services publics d’archives qui ont pour mission de collecter les archives publiques à l’issue de leur durée d’utilité administrative.
Or la gestion de ces archives est encadrée par un ensemble de textes législatifs et réglementaires très dense – plus de 150 dispositions inscrites dans le code du patrimoine, des dizaines de dispositions figurant dans d’autres textes, notamment dans le code des relations entre le public et l’administration, et plus d’une centaine d’instructions ministérielles.
Toutes les étapes de la chaîne archivistique – tri, sélection, traitement, conservation et communication – sont ainsi juridiquement très encadrées. Ce corpus législatif et réglementaire et le respect des normes en matière d’archivage électronique apportent des garanties fortes et suffisantes. Dès lors, instaurer une nouvelle couche de droits ne semble pas nécessaire. Cela créerait de surcroît une complexité inutile.
Par ailleurs, le décret d’application de l’article 6 de la loi pour une République numérique, dont la parution, après avis de la CNIL, devrait intervenir prochainement, déterminera précisément les conditions de diffusion sur internet des documents d’archives et de leurs instruments de recherche. Des dispositions réglementaires supplémentaires sont donc inutiles en ce qui concerne les traitements archivistiques mis en œuvre par les services publics d’archives.
M. le président. L’amendement n° 61 n’est pas soutenu.
La parole est à Mme la garde des sceaux, pour présenter l’amendement n° 91.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Cet amendement vise à rappeler que seules les finalités définies à l’article 89 du RGPD permettent de déroger à certains droits des personnes concernées.
Le RGPD n’interdit pas de procéder à des traitements de données archivées à d’autres fins que les fins archivistiques dans l’intérêt public, les fins de recherche scientifique ou historique ou les fins statistiques. Néanmoins, les traitements en question sont soumis au régime de droit commun du RGPD et de la loi relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés. Ces traitements ne bénéficient pas des dispositions spécifiques attachées aux traitements précités.
La nouvelle rédaction de l’alinéa, qui impose certaines conditions spécifiques, n’est pas conforme au RGPD. Le présent amendement a donc pour objet de revenir à la rédaction initiale du projet de loi.