M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour le groupe Union Centriste.
Mme Nathalie Goulet. Comme le dit très bien notre ancien collègue Jean Arthuis, l’Europe ne parle pas aux Européens. En vous écoutant, madame la ministre, on peut même dire que la priorité est aux marchés financiers.
Pour ma part, je voudrais parler de l’Europe qui est inaudible face aux barbaries. On a vu ce qui s’est passé avec le drame des yézidis et des Syriens. Je voudrais aujourd’hui évoquer le Yémen, pays qui traverse une crise ancienne.
Depuis 2015, l’Europe a fourni à hauteur de 200 millions d’euros d’aide. Il me semble qu’elle devrait également apporter une assistance technique pour permettre aux populations de recevoir cette aide.
Lors de la dernière conférence des donateurs à Genève, l’Arabie saoudite a proposé plus de 1 milliard d’euros, après avoir déjà versé un autre milliard. Les Émirats et d’autres pays veulent aussi aider les populations yéménites. Toutefois, l’aide n’arrive jamais à l’endroit où elle est supposée arriver. Cet argent pourrait très bien tomber entre de mauvaises mains et servir à leurs adversaires dans des pays voisins. L’Europe, qui dispose d’une technocratie que le monde entier lui envie, pourrait assister ces pays pour qu’ils dirigent au mieux l’aide humanitaire, alimentaire, médicale et financière.
Ma question est simple : pensez-vous que l’Europe puisse également proposer une aide technique au Yémen pour permettre à l’aide financière de parvenir effectivement à ces populations dramatiquement touchées ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Madame la sénatrice Goulet, le Yémen vit une tragédie, qui tient au fait – vous n’en avez pas véritablement fait état – qu’un conflit dure depuis des années dans ce pays. À ce stade, nous réclamons la possibilité pour l’aide humanitaire d’entrer dans un pays où les aéroports sont détruits, où les installations portuaires sont occupées, où les convois humanitaires ne peuvent pas circuler. Comme vous le savez, des membres de l’organisation Médecins sans frontières ont même été pris pour cible au Yémen.
L’urgence est de mettre fin aux activités militaires, de trouver une forme de règlement politique et, évidemment, de travailler pour les populations à une reconstruction du Yémen. Il n’est pas anormal que les pays du Golfe, compte tenu de leur responsabilité dans la situation actuelle, soient loin devant pour participer à la reconstruction de ce pays. Ce n’est pas nous qui avons participé à sa destruction.
M. le président. La parole est à M. André Reichardt, pour le groupe Les Républicains.
M. André Reichardt. L’approfondissement de l’union économique et monétaire sera au menu du sommet de la zone euro de vendredi. En la matière, la proposition phare d’Emmanuel Macron est la création d’un parlement de la zone euro, qui aurait notamment vocation à contrôler l’exécution d’un budget autonome devant atteindre plusieurs points de PIB, soit un montant se chiffrant en centaines de milliards d’euros.
D’ores et déjà, l’idée d’un parlement spécifique semble devoir connaître le même sort que la proposition de listes transnationales pour les élections européennes, enterrée le mois dernier par le Parlement européen et les chefs d’État ou de gouvernement.
Quant au budget de la zone euro, la réalité politique rattrape ce projet du Président de la République. La Commission européenne n’a ainsi pas jugé bon d’aller au-delà de la proposition d’une simple ligne budgétaire intégrée au budget général de l’Union.
Par ailleurs, les pays d’Europe du Nord ont adressé le 6 mars une fin de non-recevoir catégorique à cette idée, arguant, non sans raison à mon sens, que l’avenir de la zone euro passait avant tout par la remise en ordre des politiques économiques et budgétaires nationales.
Quant au partenaire allemand, il risque bien d’être difficile à convaincre. L’accord de coalition conclu entre la CDU-CSU et le SPD, qui place l’Europe au cœur de son projet, ignore totalement cette proposition.
Madame la ministre, dans ces conditions, ma question est simple : la création d’un budget autonome de la zone euro est-elle encore vraiment une proposition officiellement soutenue par la France et qu’en est-il de la feuille de route que la France discutera prochainement avec Berlin en vue du Conseil européen de juin ? Si vous répondez par l’affirmative à cette première question, pouvez-vous nous en dire plus sur le montant et l’affectation de ce budget ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Monsieur le sénateur Reichardt, permettez-moi tout d’abord de rappeler que dans le contrat de coalition signé entre les partis qui constituent aujourd’hui le gouvernement allemand figure précisément le renforcement de la zone euro.
Il peut être facile de signer une lettre dans un journal quand tout va bien, quand la zone euro est en croissance, indiquant qu’on se préoccupera de son renforcement plus tard… Mais quand ? Quand tout ira mal ? Quand on devra, comme on a dû le faire voilà quelques années, agir dans la précipitation, quand il faudra rendre des comptes aux populations – ce qui n’a guère été fait d’ailleurs pendant la gestion de la crise financière ?
Le contrôle démocratique des décisions prises dans la zone euro est indispensable, car c’est précisément ce contrôle qui a cruellement manqué lors du traitement de la crise grecque. C’est ce qui explique aujourd’hui le désamour vis-à-vis de l’Union européenne d’une partie de l’Europe du Sud, région la plus favorable pourtant à la construction européenne autrefois.
On peut décider de ne rien faire, d’attendre que tout aille encore plus mal, que les populistes progressent davantage à chaque échéance électorale… ou on peut décider, à l’inverse, de prendre ses responsabilités. Il ne suffit pas d’appeler à plus de rigueur et à faire le ménage chez soi ; la prévention et le partage des risques sont également des notions importantes, qui apparaissent comme la conséquence normale de la monnaie commune. Nous avons besoin de l’union bancaire et de l’union des marchés de capitaux, qui sont favorables à la croissance et à l’emploi dans l’Union européenne.
C’est pourquoi, comme vous l’avez très justement rappelé, nous travaillons, notamment avec l’Allemagne, à la rédaction d’une feuille de route d’ici au mois de juin. Quelques jours seulement après la constitution du gouvernement allemand, vous me permettrez néanmoins de ne pas vous communiquer immédiatement les résultats des premiers entretiens du Président de la République avec Mme Merkel et de Bruno Le Maire, Jean-Yves Le Drian et moi-même avec nos homologues.
M. le président. La parole est à Mme Sylvie Robert, pour le groupe socialiste et républicain.
Mme Sylvie Robert. M. Vaugrenard ne pouvant malheureusement pas être présent parmi nous cet après-midi, il m’a chargée de vous poser la question qu’il voulait soulever, madame la ministre.
Je souhaiterais aborder la question des droits sociaux, notamment les dernières propositions de la Commission européenne sur la mise en œuvre du socle européen des droits sociaux. Il s’agit du projet de création d’une autorité européenne du travail ainsi que d’une initiative visant à garantir l’accès à une protection sociale pour tous les travailleurs salariés et non salariés.
Aujourd’hui, ceux qui travaillent à temps partiel dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée ou ceux qui travaillent sans être salariés représentent près de 40 % de ceux qui occupent un emploi. Ces personnes n’ont pas toujours une bonne couverture sociale, ne bénéficient pas systématiquement d’une assurance chômage et n’ont pas obligatoirement accès à des droits à pension. La proposition de la Commission vise donc à fixer un cap aux États membres afin de favoriser l’accès à la protection sociale pour tous les travailleurs, salariés ou non. Il est également prévu de publier une analyse des mesures prises et des progrès réalisés au niveau national en matière d’emploi, ainsi que dans le domaine social.
Ces initiatives vont dans le bon sens, mais force est de constater, trop souvent, la lenteur des prises de décision et de leur application. Les discussions à Vingt-Sept sont en effet particulièrement complexes. Ne serait-il pas temps de modifier la lourdeur des procédures européennes et de rendre possibles des prises de décision à la majorité, voire à moins ?
Dans le contexte international que nous traversons, l’Europe ne pourra peser que si elle accepte d’agir sans être obligatoirement et systématiquement d’accord à l’unanimité. Il s’avère donc nécessaire et urgent de réfléchir à la remise en cause de la règle absolue de l’unanimité. Pouvez-vous, madame la ministre, me donner la position du Gouvernement sur cette ambition de décision à géométrie variable, selon les sujets évoqués, notamment sociaux ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Madame la sénatrice Robert, en matière d’Europe sociale, le sommet de Göteborg a été un moment important, car il a permis de proclamer un socle de droits sociaux dans l’Union européenne. Il nous faut maintenant traduire cette déclaration d’intention en projet législatif européen, un objectif auquel nous sommes attachés. Je vous parlais moi-même, tout à l’heure, de notre soutien de principe à la création d’une autorité européenne du travail.
Toutefois, je ne vous le cache pas, le climat n’est pas simple, pour une raison assez facile à comprendre. D’un côté, les pays du nord de l’Europe ont peur que tout travail d’harmonisation sociale dans l’Union européenne se fasse en dégradant leur modèle social. De l’autre, les pays de l’est de l’Europe considèrent que leur croissance économique repose sur le dumping social.
Aujourd’hui, pour pouvoir avancer, il nous semble nécessaire, dans le prochain budget européen, de conditionner les fonds de la politique de cohésion à la convergence sociale, afin que l’on ne puisse pas financer une politique de travailleurs low cost par des fonds européens. Il nous paraît essentiel de nous faire entendre sur ce point.
S’agissant du mode de décision et, éventuellement, de l’idée de recourir à une Europe différenciée, je nous mets en garde s’agissant de l’Europe sociale. Il est possible qu’une avant-garde puisse avoir des projets plus ambitieux, mais nous risquons d’entretenir une concurrence interne à l’Union européenne, alors même que, dans le climat économique et commercial du moment, nos concurrents sont surtout en dehors de l’Union européenne. Nous devons donc renforcer notre cohésion entre États membres et travailler à une plus grande convergence sociale.
M. le président. La parole est à Mme Denise Saint-Pé, pour le groupe Union Centriste.
Mme Denise Saint-Pé. La semaine dernière, à l’occasion des trente ans du GIEC et de sa quarante-septième assemblée plénière à l’UNESCO, des scientifiques et économistes européens ont avancé des propositions pour un « pacte finance-climat » ambitieux.
Dans un contexte international houleux, où les États-Unis se désengagent de l’accord de Paris, mais laissent entendre un éventuel retour négocié dans l’accord, l’Union européenne doit afficher une volonté ferme de conduire la transition énergétique et de sauver le climat.
Madame la ministre, dans la perspective du cadre financier pluriannuel post-2020, l’énergie sera-t-elle une priorité politique ? La France va-t-elle impulser une dynamique auprès de l’Union pour que l’Europe reprenne le leadership en matière de finance-climat ? S’achemine-t-on vers la création d’un vrai budget climat européen permettant d’investir massivement dans la recherche, dans la transition énergétique et de financer le développement durable des continents voisins avant que les migrations climatiques ne secouent l’Europe encore davantage ?
Oui, l’enjeu est grand, comme l’a déclaré le Président de la République, et le défi reste à relever !
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Madame la sénatrice Saint-Pé, nous avons défini un ambitieux cadre énergie-climat pour 2030 dans l’Union européenne, qui repose sur trois grands objectifs : au moins 40 % de réduction des gaz à effet de serre par rapport à nos émissions de 1990, au moins 27 % d’énergies renouvelables dans le mix énergétique européen et au moins 30 % d’efficacité énergétique.
Nous sommes en train de négocier les législations qui déclinent ces objectifs de manière opérationnelle. Le travail est déjà accompli aux deux tiers, et l’on peut espérer qu’il sera terminé à la fin de cette année.
Du côté du climat, nous venons de rénover le marché du carbone et les politiques de réduction des émissions hors marché du carbone.
Du côté de l’énergie, nous achevons la négociation du paquet « Une énergie propre pour tous les Européens » de novembre 2016, composé de huit directives et règlements sur l’énergie. Il y a deux enjeux majeurs : mettre en place une gouvernance européenne des politiques énergétiques, en demandant à chaque État membre de se doter d’un plan national énergie-climat concourant à l’atteinte des objectifs européens ; adapter le fonctionnement du marché de l’électricité aux caractéristiques particulières des nouvelles sources d’énergies renouvelables, souvent intermittentes, pour leur permettre progressivement de trouver à se financer sur le marché.
M. le président. La parole est à M. Michel Canevet, pour le groupe Union Centriste.
M. Michel Canevet. Nous pouvons nous réjouir des avancées constatées dans la construction d’une Europe plus intégrée et plus harmonieuse. Il n’en demeure pas moins qu’un certain nombre de difficultés persistent, en particulier dans le secteur primaire.
Dans ce secteur, où les politiques européennes sont importantes, on constate un certain nombre de distorsions de concurrence. Je pense notamment aux secteurs du porc et du lait, pour lesquels le Gouvernement est en train de chercher des solutions permettant de rémunérer correctement les producteurs. Dans le domaine porcin, par exemple, on s’aperçoit que les exploitations allemandes sont indûment aidées par les pouvoirs publics. Aux Pays-Bas, on a identifié un certain nombre d’exploitations fantômes, et l’on s’étonne ensuite de dénombrer 360 000 tonnes de poudre de lait stockées au niveau européen, qu’il faudrait pouvoir évacuer au plus vite !
Le Gouvernement doit faire en sorte que les conditions de concurrence soient les mêmes sur l’ensemble du territoire européen, de façon à ne pas désavantager nos producteurs.
On peut également se réjouir qu’un accord puisse être trouvé dans le cadre du Brexit. J’appelle toutefois l’attention du Gouvernement sur la situation de nos marins pêcheurs.
La France est la deuxième puissance mondiale si l’on considère l’étendue de son domaine maritime. Mais on sait que les zones de pêche sont pour l’essentiel dans les eaux britanniques. Il importe que nos professionnels ne soient pas laissés pour compte et que, dans l’accord avec les Britanniques, le Gouvernement prenne effectivement en compte cette question des zones de pêche.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Monsieur le sénateur Canevet, vous avez raison, la politique agricole commune est historiquement l’une des premières politiques intégrées de l’Union européenne, l’une des plus importantes aussi, pas seulement en termes de crédits alloués, mais aussi parce qu’elle permet la souveraineté alimentaire de l’Union européenne. Cette politique souffre toutefois de défauts et, lorsque nous appelons à sa réforme et à sa rénovation, c’est pour mieux traiter les sujets que vous avez mentionnés, en particulier pour mieux encourager l’organisation et la « durabilité » de nos filières.
C’est justement pour éviter ce risque de distorsion que nous sommes défavorables à la renationalisation de la politique agricole commune – les modèles agricoles risqueraient alors de diverger bien plus encore. Nous sommes aussi très attentifs à ce que la politique agricole commune puisse mieux prendre en charge la prévention et la gestion des crises auxquelles les filières agricoles sont confrontées.
Vous avez parlé de la situation des marins pêcheurs dans le contexte du Brexit. Comme je l’indiquais précédemment, nous avons obtenu, contrairement aux déclarations politiques un peu rapides de certains hommes politiques britanniques, que l’accès aux eaux britanniques pour les marins pêcheurs européens soit maintenu durant la période de transition. Il est évident que l’accès des produits de la mer issus de la pêche britannique au marché unique européen ne se fera pas sans conditions. Ce sera un aspect important de la négociation de la relation future avec le Royaume-Uni, et je vous assure que le négociateur européen, Michel Barnier, est particulièrement sensibilisé à cette question.
M. le président. La parole est à M. Benoît Huré, pour le groupe Les Républicains.
M. Benoît Huré. Le projet des pères fondateurs de l’Europe est dangereusement fragilisé. Pourtant, il a permis, entre autres réalisations, de vivre en paix pendant plus de soixante-dix ans, du jamais vu sur ce continent.
Pour relancer ce projet d’Union sur le continent européen, il faut renforcer les coopérations économiques, sociales, diplomatiques et militaires, en y consacrant les moyens nécessaires.
Les autorités européennes doivent être fermes sur le respect des conditions de coopération, mais elles ne doivent pas donner l’impression de vouloir enrégimenter les pays membres en les privant de toute expression, particulièrement sur les aspects spécifiques de leur identité et leur manière de vivre ensemble. L’union, dans ces domaines, ne peut s’imposer ni se décréter – il faut laisser le temps au temps –, et je pense que les générations Erasmus y contribueront efficacement.
Les pays de l’Union doivent plus et mieux se parler, s’expliquer, se rassurer. Les échanges entre parlements nationaux peuvent y contribuer, mais il faut les amplifier. Ces démarches et initiatives parlementaires doivent aller de pair avec toutes les autres actions visant à combattre l’euroscepticisme, voire l’europhobie.
Le temps presse : les années 2019 et 2020 vont être déterminantes. Notre responsabilité à l’égard des générations suivantes, comme du monde, est grande.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Monsieur le sénateur Huré, je partage votre vision selon laquelle nous devons entendre les préoccupations des États membres. C’est ce que fait le Président de la République depuis son élection et c’est ce que je fais à ses côtés.
Nous nous sommes rendus dans un très grand nombre d’États membres de l’Union européenne et avons reçu l’ensemble de nos homologues, en plus des contacts que nous avons à Bruxelles. Nous dialoguons avec tout le monde, en étant fermes sur nos convictions, mais dans le respect des préoccupations de nos partenaires. Nous n’aurions d’ailleurs pas réussi à obtenir la révision de la directive sur les travailleurs détachés, dont on nous avait annoncé qu’elle serait emblématique d’une division entre l’est et l’ouest de l’Europe, si nous n’avions pas adopté une telle démarche.
Dans le même temps, il y a des éléments communs aux États membres de l’Union européenne. L’Union n’est pas seulement un marché unique, ni un carnet de chèques. Adhérer à l’Union européenne, c’est adhérer à ses valeurs fondamentales, notamment en matière d’État de droit, de séparation des pouvoirs et de valeurs démocratiques. Les pays qui ont rejoint l’Union à la suite des membres fondateurs l’ont fait en sortant d’années de dictature ou du joug soviétique. C’est justement parce qu’ils aspiraient à rejoindre ses valeurs qu’ils sont venus dans l’Union européenne. Nous ne l’oublions pas, et ces pays ne doivent pas l’oublier non plus.
S’agissant des progrès que nous pouvons accomplir aujourd’hui dans le fonctionnement de l’Union européenne, nous considérons que l’Europe différenciée n’est pas un gros mot. Sur certains sujets, ceux qui veulent aller de l’avant doivent pouvoir le faire, sans forcer ceux qui ne sont pas prêts ou qui n’en ont pas la volonté, mais sans être bloqués par eux non plus.
M. le président. La parole est à Mme Gisèle Jourda, pour le groupe socialiste et républicain.
Mme Gisèle Jourda. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, j’aborderai la question du Brexit sous l’angle de la politique de sécurité de l’Union européenne, et plus particulièrement des répercussions qu’entraînera le retrait du Royaume-Uni de celle-ci en matière de coopération policière et judiciaire.
Promouvoir la sécurité au sein de l’Union européenne a toujours été d’une importance cruciale. Le traité de Lisbonne a donné un nouveau souffle à ce combat en octroyant de nouvelles compétences à Eurojust et à Europol, qui sont donc des acteurs clés en matière non seulement de sécurité intérieure, mais aussi de sécurité extérieure, puisque ces agences coopèrent, au-delà des frontières de l’Union, avec Frontex, des partenaires extérieurs et des États tiers.
Il n’est un secret pour personne que nous vivons dans un monde globalisé, où les activités criminelles ne s’arrêtent pas aux frontières ni ne se limitent à un territoire de l’Union. Terrorisme, trafic de drogue, blanchiment d’argent, trafic d’êtres humains, contrefaçons, et j’en passe, sont autant de menaces criminelles qui transcendent les frontières étatiques.
Aussi est-il essentiel que le Royaume-Uni, malgré son retrait, puisse continuer à coopérer avec Europol et Eurojust, agences au sein desquelles il a joué un rôle déterminant. Le directeur actuel d’Europol est anglais, et le Royaume-Uni contribue ardemment à alimenter la base de données de cette agence. De plus, la sortie de ce pays d’Eurojust aurait des conséquences lourdes, notamment en ce qui concerne la reconnaissance des décisions de justice et la mise en œuvre du mandat d’arrêt européen.
Le Brexit constitue donc un défi majeur pour Europol et Eurojust, alors même qu’une régression de la sécurité des citoyens de l’Union est inenvisageable.
Dès lors, madame la ministre, j’aimerais connaître les modalités de coopération qui peuvent être développées entre le Royaume-Uni et ces agences afin de continuer, à l’avenir, le travail entrepris, et savoir où en sont les négociations dans ce domaine.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Madame la sénatrice, je partage votre analyse : en matière de criminalité et de lutte contre le terrorisme, les frontières n’existent pas. On ne peut, de ce point de vue, que regretter le départ du Royaume-Uni. S’il a, jusqu’à présent, largement contribué à Europol, dont la nouvelle directrice exécutive, que je viens de rencontrer, est belge, il en a aussi énormément bénéficié.
Ce mépris des frontières de la part des réseaux criminels ou terroristes est une autre raison de renforcer notre partenariat avec les pays des Balkans, dont je parlais tout à l’heure, puisque les enjeux de la lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée concernent aussi ces États tiers, qui sont proches.
En ce qui concerne le Royaume-Uni, il est évident que les Vingt-Sept sont déterminés à maintenir un partenariat étroit avec les Britanniques en matière de justice et d’affaires intérieures, qu’il s’agisse de coopération judiciaire ou de coopération policière. Ces aspects seront pris en compte dans la définition de la relation future entre l’Union et le Royaume-Uni. Ils sont d’ailleurs clairement mentionnés dans les directives de négociation qui vont être données à Michel Barnier après le Conseil européen des 22 et 23 mars.
M. le président. La parole est à M. Olivier Cadic, pour le groupe Union Centriste.
M. Olivier Cadic. Madame la ministre, j’ai été quelque peu surpris par les réserves que vous avez émises concernant l’objectif d’adhésion à l’Union européenne de certains États des Balkans. Il me semblait pourtant que M. Macron, lors du discours qu’il a prononcé à la Sorbonne, avait donné à entendre que l’adhésion de la Serbie et du Monténégro, par exemple, pourrait intervenir dans un avenir proche.
David Davis et Michel Barnier se félicitent de s’être accordés sur la question des citoyens lundi dernier. Étant l’un de ceux-ci, je m’en réjouis. J’ai ici un recueil de témoignages poignants d’Européens qui vivent au Royaume-Uni. (L’orateur brandit un livre.) J’espère, monsieur le président Bizet, que nous aurons un jour l’occasion d’entendre leurs représentants en commission.
Selon la formule employée par Donald Tusk dans sa lettre au Conseil en date d’hier, les 3 millions de ressortissants européens installés au Royaume-Uni et le million de Britanniques résidant dans les autres pays membres de l’Union européenne ne ressentiront pas les effets du Brexit. Les personnes concernées ne partagent pas cet optimisme. J’assistais lundi à une journée de conférences organisée à Londres sous l’intitulé Should I stay or should I go ? Pour avoir longuement parlé avec des représentants des associations de citoyens The3million et British in Europe, je puis vous dire que celles-ci ont l’impression qu’un accord se fait sur leur dos.
Les ressortissants européens au Royaume-Uni devront se soumettre à une procédure de demande de statut migratoire, celui-ci étant destiné à remplacer leur statut actuel dérivé du droit européen. Ils n’ont pas de certitude de succès, car la procédure n’est pas déclaratoire comme c’est actuellement le cas, et certains droits seront perdus. La jeunesse européenne en fera les frais. Par exemple, un jeune Français de Londres ne pourra pas faire venir sa future femme selon les règles du regroupement familial, passée une date butoir.
Pour les Britanniques installés en France et dans les autres pays membres, le problème est différent. Ils perdront leur liberté de circulation et seront obligés de rester dans leur pays d’accueil actuel. Cela semble être, là encore, une discrimination.
La France est-elle prête à soulever ces questions et à exiger que les réserves des associations de citoyens soient prises en compte ? (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Monsieur le sénateur, l’accord auquel l’Union européenne des Vingt-Sept et le Royaume-Uni sont parvenus au mois de décembre et qui trouve aujourd’hui sa traduction dans le projet d’accord de retrait prend en compte la situation des citoyens européens au Royaume-Uni, de même que celle des citoyens britanniques résidant dans l’Union européenne.
En vertu de cet accord, les Européens pourront continuer à résider, à étudier et à travailler au Royaume-Uni dans les mêmes conditions qu’actuellement. Ils continueront à bénéficier de la même protection sociale, par exemple en termes d’accès aux soins. C’est un élément essentiel, auquel nous avons été extrêmement attentifs. Nous avons également obtenu que les citoyens européens arrivant au Royaume-Uni pendant la période de transition ne soient pas discriminés par rapport à ceux qui s’y trouvaient avant le 29 mars 2019, ce qui n’était pas acquis au départ. Ce succès est à mettre au crédit de la négociation menée par Michel Barnier.
Nous allons continuer à être extrêmement attentifs à la situation des Européens, et en particulier de nos 300 000 compatriotes, vivant au Royaume-Uni. Notre consulat à Londres est en contact étroit avec les associations qui les représentent. Les autorités britanniques multiplient les réunions d’information concernant la situation future des ressortissants européens.
Cela étant, je suis d’accord avec vous sur un point : devenant un État tiers, le Royaume-Uni n’accordera pas à ceux qui le rejoindront après la fin de la période de transition les mêmes avantages que ceux qui sont consentis aux ressortissants de l’Union européenne actuellement. C’est une des raisons qui nous font regretter le vote intervenu en faveur du Brexit, mais il s’agit là d’une décision souveraine du peuple britannique, dont nous avons réussi à accompagner les effets de la meilleure manière possible. Nous resterons quoi qu’il en soit très attentifs, je le répète, à la situation de nos compatriotes résidant au Royaume-Uni.