M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, au cours de ces derniers mois, le contexte économique au Royaume-Uni, en Allemagne ou encore en Italie, ainsi que les divergences, toujours aussi profondes, entre les États membres sur l’avenir de la zone euro ont pu éloigner la perspective d’un Conseil européen ambitieux.
Néanmoins, concernant le Brexit, l’accord trouvé lundi dernier sur la période de transition va permettre d’enrichir considérablement les échanges entre les États membres et d’ouvrir le début des discussions relatives aux relations futures entre l’Union européenne et le Royaume-Uni. Plus précisément, après avoir ouvert la seconde phase de négociations en décembre dernier, les vingt-sept États membres devront adopter les orientations présentées par le président Tusk au début du mois et relatives au cadre des relations futures avec le Royaume-Uni.
La question de l’inclusion des services financiers dans le futur accord de libre-échange cristallise les tensions. Le projet d’orientation, qui devait être initialement présenté au Conseil européen, les en écartait. Toutefois, les ministres des affaires étrangères et européennes des vingt-sept États membres ont approuvé hier, cela a été dit, un projet incluant les services financiers dans une annexe.
Comme je l’avais déjà rappelé en décembre, notre commission des finances a estimé, dans le cadre de ses travaux sur la compétitivité des places financières, qu’un accord couvrant l’ensemble des services financiers ne s’imposait pas. Le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, a évoqué la mobilisation des régimes d’équivalence existants. Notre commission des finances a souhaité appeler votre attention l’année dernière sur la nécessité de rendre plus exigeants ces régimes d’équivalence, afin d’éviter les risques de divergence réglementaire. Cela pourrait se traduire par l’introduction d’un mécanisme de réexamen régulier des décisions d’équivalence ainsi que par une obligation de réciprocité.
Madame la ministre, pouvez-vous nous confirmer que les services financiers seront bien inclus dans les négociations à venir sur l’accord de libre-échange avec le Royaume-Uni ? Si tel est le cas, compte tenu des risques que je viens de rappeler, je souhaiterais souligner qu’il est préférable que les services financiers soient soumis à des régimes d’équivalence renforcés plutôt qu’à un régime ad hoc propre au Royaume-Uni.
Par ailleurs, concernant l’accord de transition, l’impasse politique semble résolue. En achevant la période de transition le 31 décembre 2020, la question de la participation du Royaume-Uni au prochain cadre financier pluriannuel est donc tranchée.
Madame la ministre, bien que ce point ne soit pas spécifiquement inscrit à l’ordre du jour du Conseil européen, je me permets de souligner que les discussions portant sur le prochain cadre financier pluriannuel soulèvent des inquiétudes quant à l’avenir des politiques communes. Nous souhaiterions donc une clarification de la position française, notamment au sujet du financement de la politique agricole commune, dans un contexte où le retrait du Royaume-Uni devrait se traduire par une perte d’au moins 10 milliards d’euros pour le budget de l’Union européenne.
J’en reviens à l’ordre du jour du Conseil européen, car de nombreux autres points intéressent notre commission des finances.
S’agissant tout particulièrement du sommet de la zone euro, les propositions avancées par la Commission européenne en décembre dernier s’avéraient plus pragmatiques que celles qui étaient défendues par le Président de la République. Toutefois, aucune mise en œuvre concrète n’est envisagée et les blocages politiques demeurent, comme l’a souligné le refus de huit pays d’Europe du Nord, y compris les Pays-Bas, de mener des réformes « ambitieuses ». Le seul point d’accord est celui de la mise en place d’un Fonds monétaire européen, un FME, qui servirait de prêteur en dernier ressort au Fonds de résolution unique, appelé plus communément FRU, en cas de défaillance bancaire. Je me réjouis de cette avancée, mais je tiens également à réaffirmer la nécessité, pour le futur Fonds monétaire européen, de voir sa responsabilité engagée devant les parlements nationaux.
Dans ce contexte, il semble que la consolidation de la zone euro devra encore attendre le sommet de juin prochain. La publication d’une feuille de route franco-allemande sera sans doute nécessaire pour avancer. Certes, nous sommes a priori moins pressés, compte tenu de l’embellie économique constatée au sein de la zone euro. Néanmoins, il semble plus que jamais opportun de renforcer la résilience de notre système bancaire et la convergence des économies nationales.
Madame la ministre, mes chers collègues, je terminerai en abordant la question de la fiscalité du numérique, qui, vous le savez, intéresse particulièrement la commission des finances du Sénat.
Sur ce sujet, la Commission européenne a présenté ce matin trois textes différents pour mettre en œuvre une taxation des entreprises du secteur numérique dans les pays où elles réalisent leurs activités. À court terme, il s’agirait d’instaurer une taxe de 3 % sur les recettes brutes de certaines activités numériques.
Dans une perspective de plus long terme, la Commission présentera une proposition de directive visant à taxer non plus le chiffre d’affaires, mais le bénéfice, grâce à la notion de « présence numérique significative », appréhendée par des critères tels que l’utilisation des données personnelles. Je tiens à saluer ces propositions, qui s’inscrivent dans le sillage des recommandations de la France et qui vont, évidemment, dans le bon sens. Comme vous le savez, la commission des finances du Sénat travaille depuis plusieurs années sur la fiscalité du numérique, et ce dans le cadre d’un groupe de travail.
Toutefois, il est à craindre que cette méthode graduée ne permette pas pour autant d’aboutir à des résultats aussi probants que souhaités avant longtemps. À cet égard, je rappelle que notre commission des finances avait déjà regretté cette approche graduée de la Commission européenne, notamment en matière d’assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés, plus communément appelée ACCIS. On a vu aujourd’hui les limites d’une telle approche.
Madame la ministre, j’espère que la France encouragera ses partenaires européens à prendre une décision en matière de taxation des entreprises du secteur numérique, pour prolonger l’initiative à laquelle elle a participé l’année dernière. C’est un enjeu absolument majeur, au regard du faible taux d’imposition auquel sont aujourd’hui soumises les entreprises connues sous l’appellation GAFA et les enjeux que cela représente. Pas plus tard que ce matin, la commission des finances a organisé une nouvelle table ronde sur ce sujet, qui, comme de nombreux autres dans des domaines variés, retient particulièrement son attention. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe La République En Marche et du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de vos interventions. Si je me permettrai de me concentrer sur les remarques qui relèvent directement de l’ordre du jour du Conseil, je reviendrai tout de même rapidement, après vous avoir entendus, messieurs Menonville et Ouzoulias, sur la lecture que l’on peut faire du résultat des élections italiennes.
Je partage le point de vue exprimé, selon lequel les électeurs italiens ont regretté non pas trop d’Europe, mais plutôt pas assez, au moment où l’Italie avait le plus besoin que nous exprimions notre solidarité à son endroit, qu’il s’agisse des conséquences de la crise financière ou de l’afflux massif de migrants auxquels elle a eu à faire face.
MM. Jean-Yves Leconte et Gilbert Roger. Il faut le dire à votre collègue ministre de l’intérieur !
Mme Nathalie Loiseau, ministre. Nous devons avoir tout cela à l’esprit au moment où nous travaillons sur la réforme de l’Union européenne, comme nous l’avons pleinement au moment où nous travaillons sur celle du régime de l’asile et des migrations, y compris sur le plan national, puisque le projet de loi Asile et immigration vise précisément à pouvoir davantage harmoniser l’examen des demandes d’asile à travers l’Union européenne, ce qui est directement inspiré des pratiques, notamment, de nos voisins allemands.
J’en viens à l’ordre du jour du Conseil.
Vous avez été nombreux à évoquer le Brexit. Je vous en remercie, monsieur le président Bizet, monsieur le rapporteur général, madame Keller, messieurs Gattolin et Menonville, car vous me donnez l’occasion de revenir sur ce sujet important.
Oui, monsieur Gattolin, oui, monsieur le président Bizet, le mode de règlement de la question irlandaise est encore flou, je vous le concède bien volontiers, et cela constitue un objet de préoccupation pour nous. Éclaircir cette question avant octobre est une priorité. Il reste, malgré tout, que l’accord exprimé par les Britanniques sur ce qu’on appelle le back stop, ce qui revient à ce que, faute de mieux, l’Irlande du Nord reste, de fait, dans l’union douanière, constitue un petit progrès.
S’agissant des services financiers, nous avons rappelé que le Royaume-Uni ne pouvait plus bénéficier des passeports financiers, la Première ministre britannique l’ayant elle-même reconnu. Nous avons insisté pour que les services financiers soient traités en dehors de l’accord de libre-échange, par des mécanismes d’équivalence renforcée définis unilatéralement par l’Union européenne. J’espère ainsi avoir répondu à votre préoccupation, monsieur le rapporteur général.
Monsieur le sénateur André Gattolin, vous avez rappelé la gravité de ce qui vient de se passer à Salisbury, au Royaume-Uni. Nous avons exprimé notre totale solidarité à l’égard de notre voisin, partenaire et allié britannique. Qu’il reste dans l’Union européenne ou qu’il la quitte ne change rien à ce voisinage, à ce partenariat et à cette alliance. Le Conseil européen reviendra sur la question jeudi soir et s’exprimera sans doute fortement. La double tentative d’assassinat intervenue à Salisbury est en effet le premier exemple, depuis 1945, d’utilisation, sur le sol européen, d’un agent neurotoxique prohibé ; c’est donc une affaire particulièrement sérieuse.
Plusieurs d’entre vous ont également souhaité revenir sur les sujets relatifs à la zone euro. Monsieur le rapporteur général, mesdames Keller et Mélot, croyez bien que nous sommes pleinement mobilisés à travailler au renforcement de la zone euro, à la finalisation de l’union bancaire, au renforcement du mécanisme européen de stabilité ou bien encore à la création d’une capacité budgétaire de la zone euro, afin de faire face aux prochains chocs économiques et de pouvoir maintenir le niveau d’investissement. C’est précisément au moment où la croissance est revenue dans la zone euro que nous sommes en situation de travailler à ces sujets. Il y a évidemment des nuances dans les positions des différents États membres, des sujets techniques qu’il faut surmonter les uns après les autres. Nous progressons, je l’ai dit précédemment, puisque nous nous sommes engagés à présenter conjointement une feuille de route avec l’Allemagne pour le prochain Conseil européen de juin.
J’ai bien noté, madame la sénatrice Keller, votre intérêt pour un contrôle parlementaire accru, intérêt que je ne saurais contester ici, en ces lieux, et que nous partageons. J’oserai tout de même dire qu’aujourd’hui la priorité est à la finalisation de l’union bancaire, à l’union des marchés de capitaux et à la mise en place d’une capacité budgétaire. C’est petit à petit que nous progresserons dans le renforcement de la zone euro.
Vous l’avez signalé s’agissant du semestre européen, madame la sénatrice Mélot, la sortie de la France de la catégorie des déséquilibres excessifs est une bonne nouvelle. Nous ne devons pas pour autant relâcher nos efforts : la reprise est là, elle doit encore être soutenue, notamment par des réformes structurelles. C’est également indispensable pour garantir la soutenabilité de nos finances publiques. À ce titre, pour 2017, pour la première fois depuis dix ans, notre déficit public passera sous la barre des 3 % du PIB.
S’agissant du budget européen, monsieur le rapporteur général, monsieur Menonville, madame Robert, il nous faut aborder la négociation du prochain cadre financier pluriannuel en étant cohérents avec nos ambitions pour l’Union européenne. Il y a un consensus, d’une part, pour considérer que de nouvelles priorités doivent être traitées au niveau de l’Union européenne et, d’autre part, pour ne pas sacrifier les politiques traditionnelles. De ce point de vue, notre détermination à poursuivre les politiques historiques, en priorité la PAC, est totale. Nous sommes d’ailleurs clairement opposés, je vous rassure, monsieur Menonville, à toute renationalisation de la PAC, et donc à tout cofinancement national du premier pilier. Cela signifie qu’il faut d’abord fixer nos priorités avant de définir l’enveloppe du budget européen.
Je relaie, madame Robert, votre encouragement à explorer de nouvelles ressources propres. Un gros travail de réflexion a été accompli dans ce domaine ; je pense en particulier au groupe de haut niveau présidé par Mario Monti. En matière de nouvelles ressources propres pour le budget de l’Union européenne, il n’est plus temps d’en faire l’objet de colloques et de discussions intellectuelles, il s’agit de traduire, dans les faits, ce sur quoi nous pouvons nous mettre d’accord. J’ajouterai que, au moment où le Royaume-Uni quitte l’Union européenne, l’heure est venue de mettre fin à toutes les formes de rabais qui avaient été négociés et adoptés au fur et à mesure des années et qui n’ont plus leur place, aujourd’hui, dans le budget européen.
S’agissant de la politique de cohésion, je voudrais aussi vous dire dans quel état d’esprit nous abordons la négociation. Selon nous, celle-ci doit être conditionnée au respect des valeurs de l’Union européenne et, donc, en particulier, de l’État de droit, ainsi qu’aux efforts de convergence fiscale et sociale, qui sont le gage de la cohésion.
Vous avez été nombreux à parler de fiscalité du numérique. Monsieur le rapporteur général, monsieur Menonville, mesdames Keller et Mélot, il s’agit d’un des défis majeurs de notre temps. Nous sommes, à ce titre, déterminés à aboutir à une juste taxation des géants du numérique au niveau européen, sans attendre qu’un accord soit trouvé à l’échelon international. Nous voulons une Europe de l’équité et de la justice fiscales. Bien entendu, le sujet est complexe, mais le statu quo ne peut perdurer. Nos concitoyens attendent des résultats, et nous sommes, de ce point de vue, pleinement en phase avec la proposition présentée aujourd’hui par la Commission, qui fera demain l’objet d’un débat lors du dîner du Conseil.
Vous avez également mentionné, madame la sénatrice Keller, monsieur le rapporteur général, les discussions sur l’ACCIS, qui, vous le savez, au sein du Conseil, ne progressent pas. Nous le regrettons, et nous sommes déterminés à avancer sur une harmonisation de l’assiette de l’impôt sur les sociétés au niveau franco-allemand. À cet égard, le travail a repris avec la nomination d’un nouveau gouvernement allemand, et nous allons essayer d’aller de l’avant, en bilatéral, afin que la France et l’Allemagne, dirais-je, donnent l’exemple, pour faire en sorte que ce qui est faisable entre Paris et Berlin s’élargisse à l’ensemble de l’Union européenne.
En matière d’Europe sociale, mesdames Mélot et Robert, la Commission vient de présenter son projet d’autorité européenne du travail, que nous sommes en train d’examiner en détail. L’enjeu est important, puisqu’il s’agit de lutter contre les fraudes et de nous donner les moyens, collectivement, de faire respecter nos règles du jeu communes. L’absence d’une telle autorité explique une partie des fraudes au détachement des travailleurs. Sur ce dernier sujet, vous l’avez évoqué, l’accord intervenu permet d’encourager la mobilité des travailleurs tout en convergeant vers le haut, en avançant vers une Europe qui protège mieux ses citoyens.
Sur les Balkans occidentaux, messieurs les présidents Cambon et Bizet, je partage votre point de vue. Fixer une échéance théorique pour l’adhésion de nouveaux membres de l’Union européenne est artificiel et n’a pas de sens en soi. À sa décharge, ce n’est pas exactement ce que fait la Commission. Le président Juncker a été très clair publiquement sur le caractère impératif des critères à remplir pour les pays candidats. Nous serons fermes sur le respect de ces critères, y compris pour l’Albanie et l’Ancienne République yougoslave de Macédoine. Ceux-ci, de notre point de vue, ne paraissent pas aujourd’hui en situation de les remplir dans un délai rapproché, ce qui ne permet pas d’ouvrir les négociations.
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. Très bien !
Mme Nathalie Loiseau, ministre. Il est également indispensable, et vous le soulignez à raison, monsieur le président Bizet, de continuer à travailler étroitement avec ces pays, en particulier dans le domaine de l’État de droit, où il reste encore beaucoup à faire, mais aussi pour promouvoir des politiques en faveur, par exemple, de la jeunesse, de la sécurité, d’une intégration plus forte dans le secteur des transports ou des télécommunications. C’est l’objet non seulement du sommet de Sofia du 17 mai prochain, mais également des échanges bilatéraux que nous avons avec ces pays. L’Union européenne doit impérativement renforcer son partenariat avec les Balkans, pour ne pas laisser le champ libre à la Turquie, à la Chine, à la Russie ou à d’autres pays dont les logiques et les intérêts diffèrent des nôtres.
Bon nombre d’entre vous sont revenus sur les annonces du Président Trump en matière commerciale, qui ont fait l’actualité. Nous le savons tous, une guerre commerciale avec les États-Unis sur l’acier et sur l’aluminium ne ferait que des victimes, et des victimes très concrètes, puisqu’il s’agirait des producteurs européens. Face aux mesures américaines, messieurs Bonnecarrère et Menonville, l’Union européenne doit donc réagir dans l’unité. Nous cherchons, en priorité, à en être exemptés. Le temps presse. En cas d’échec, notre réaction devra être forte et respectueuse du multilatéralisme. Nous nous y préparons, c’est ce que la Commission fait avec notre appui.
Je terminerai en disant un mot de la Turquie.
Monsieur le président Cambon, monsieur Ravier, je vous confirme que nous trouvons parfaitement naturel de dialoguer avec la Turquie, voisine géographique de l’Union européenne, partenaire difficile, mais essentiel, dans la lutte contre le terrorisme ou dans la réponse aux défis migratoires, qui vous préoccupent tant, monsieur Ravier. Mais nul ne songe à poursuivre les négociations d’adhésion avec la Turquie, dont nous constatons le blocage dû à des choix politiques opérés par Ankara, qui l’éloignent, chaque jour davantage, des valeurs de l’Union européenne. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Très juste !
Débat interactif et spontané
M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif et spontané, dont la durée a été fixée à une heure par la conférence des présidents.
Je vous rappelle que chaque sénateur peut intervenir pour deux minutes maximum. S’ils sont sollicités, la commission des affaires européennes ou le Gouvernement pourront répondre pour deux minutes également.
Dans le débat interactif et spontané, la parole est à M. Pascal Allizard, pour le groupe Les Républicains.
M. Pascal Allizard. Madame la ministre, vous l’avez précisé, à l’agenda de ce prochain Conseil, les sujets ne manqueront pas. Il s’ouvrira, une nouvelle fois, sur une Europe en crise, aux prises avec des menaces intérieures comme extérieures, qui mettent en péril son avenir. Parmi les plus grands dangers, je pense au populisme, à la division et, au final, au risque de désintégration de l’Union européenne. Le Royaume-Uni a déjà un pied dehors, les pays du groupe de Visegrád marquent souvent leur différence, voire leur défiance, et l’Italie, cela a été rappelé aussi, vient d’envoyer un message politique très clair.
Cette montée des populismes, à laquelle la France n’échappe pas, n’est pas apparue ex nihilo. Elle a des causes profondes et multiples. Il y a, évidemment, le terrorisme, qui continue d’inquiéter sur le Vieux Continent, l’avenir de la zone euro, les tensions toujours fortes avec la Russie, la concurrence économique mondiale exacerbée. Mais je crois que le point de jonction de tous les eurosceptiques est sans doute la crise migratoire, celle que l’Union européenne a gérée maladroitement, dans l’urgence, en laissant notamment l’Italie en première ligne trop longtemps. On en mesure aujourd’hui les conséquences.
Lors d’un déplacement à Bruxelles, voilà quelques jours, consacré à la politique migratoire, j’ai été particulièrement choqué par ce verbiage technocratique et condescendant de fonctionnaires européens à l’égard de ceux qui, prétendument, pensent mal ou ne comprennent rien, ces citoyens européens en plein désarroi, auxquels nous, sénateurs, nous nous adressons au quotidien dans nos territoires. Ils ont besoin d’actions, d’explications, de gestes qui rassurent, et pas de stigmatisation. Il est toujours plus commode de montrer du doigt de prétendus égarés que de s’attaquer réellement au problème.
Madame la ministre, dans ce contexte que j’estime dangereux, quelles leçons la France tirera-t-elle du scrutin italien et quelle politique migratoire défendra-t-elle auprès des instances européennes ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Monsieur le sénateur Allizard, comme je l’ai dit précédemment, nous considérons que les électeurs italiens ont adressé un message clair : l’Europe n’a pas été assez présente pour les aider à faire face aux défis migratoires qu’ils devaient relever.
C’est la raison pour laquelle, depuis l’été dernier, la France s’attache à traiter la dimension externe de la crise migratoire, d’une part, en travaillant davantage avec les pays d’origine des migrations, notamment en orientant plus systématiquement l’aide au développement vers la formation et l’emploi des jeunes, en particulier en Afrique subsaharienne, et, d’autre part, en travaillant à la stabilisation politique des pays de transit. Nous avons tous en mémoire les horreurs que subissent les candidats aux migrations lorsqu’ils traversent la Libye. Nous cherchons également à ce que les demandes d’asile puissent être examinées dans des pays comme le Niger ou le Tchad. Nous encourageons les autres pays européens à faire de même.
Sur la réforme du régime européen de l’asile, nous n’avons pas beaucoup avancé, même si l’on note des progrès sur certains aspects. Il faudra à l’évidence, une fois le nouveau gouvernement constitué à la suite des dernières élections, dialoguer avec l’Italie, un partenaire important, particulièrement impacté par l’immigration.
Évitons de blâmer la technocratie de Bruxelles. Ce dont l’Italie a le plus souffert, c’est du manque de solidarité de certains États membres, qui veulent bien recevoir des crédits européens, mais pas de demandeurs d’asile !
M. André Reichardt. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour le groupe socialiste et républicain.
M. Jean-Yves Leconte. Je souhaite exprimer deux convictions avant de poser ma question.
La première est qu’on ne peut pas opposer élargissement et approfondissement de l’Union européenne. Historiquement, soit on a fait l’un et l’autre en même temps, soit on n’a fait ni l’un ni l’autre, par manque de courage.
Ma deuxième conviction est que, si l’Union préfère la stabilité à la défense de ses valeurs, elle perdra sa stabilité et n’aura plus de valeurs. C’est la raison pour laquelle je salue l’évolution du président Jean-Claude Juncker sur la question des Balkans. En 2014, au moment de sa prise de fonction, il indiquait qu’il n’y aurait pas d’élargissement au cours de son mandat. En 2017, il avançait l’idée d’une feuille de route crédible et, le 2 février 2018, il a offert cette feuille de route, indispensable selon moi.
Les conséquences des fausses négociations actuelles, qui ont transformé une perspective européenne en état de négociations, sont dramatiques. Dans la plupart de ces pays, l’État de droit est dans une situation préoccupante, les trafics criminels se développent et les conditions économiques et sociales incitent à l’immigration massive, contrairement à ce que l’on constate en Europe centrale, où il y a plutôt une embellie économique.
Enfin, nous sommes préoccupés par la conclusion d’accords d’investissement extraterritoriaux entre la plupart de ces pays et les Émirats, l’Arabie saoudite, le Qatar ou la Chine.
En laissant prospérer cette instabilité et ces menaces à nos frontières, c’est l’ensemble de l’Union européenne que nous menaçons.
L’Allemagne a bien compris ces enjeux. Malheureusement, la position de la France est plus ambiguë, comme en témoignent vos réponses, madame la ministre, et l’intervention du président de la commission des affaires étrangères. Il est triste que, cent ans après le front d’Orient, essentiel pour l’image et la présence de la France dans cette région, le rôle de la France se réduise aujourd’hui à une place sur l’étagère de la nostalgie.
Quelles initiatives la France entend-elle prendre pour ne pas être à la remorque de l’Allemagne sur cette question majeure de l’élargissement aux Balkans ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Monsieur le sénateur Leconte, comme je l’ai indiqué précédemment, nous avons intérêt à un partenariat étroit entre les Balkans et l’Union européenne. Nous avons une histoire commune, une géographie commune et, donc, un destin commun. Si l’Union européenne ne s’intéresse pas aux Balkans, d’autres le feront à sa place – certains le font déjà.
C’est la raison pour laquelle, à l’occasion du sommet de Sofia du 17 mai, nous promouvrons un agenda positif à destination des pays des Balkans, qu’il s’agisse de venir en aide à leur jeunesse, notamment en développant les mobilités étudiantes vers les universités de l’Union européenne – nous devons toutefois prendre garde de ne pas alimenter la fuite des cerveaux dont ces pays sont victimes –, ou de soutenir la mise en place d’infrastructures de transports et de télécommunications leur permettant d’être mieux équipés et mieux intégrés sur le plan régional.
Tendre la main aux Balkans, c’est aussi rendre service aux réformistes et aux progressistes de ces pays en les aidant à pousser un agenda de réformes indispensables, à adopter, mais surtout à mettre en œuvre, qu’il s’agisse de l’État de droit ou de la lutte contre la corruption et le crime organisé.
Ces pays ont encore beaucoup à faire. Nous sommes prêts à les aider, mais il serait irresponsable de leur faire miroiter une adhésion à l’Union européenne tant qu’ils ne se seront pas davantage rapprochés de ses valeurs.