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État au service d'une société de confiance
Suite de la discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, pour un État au service d’une société de confiance.
Dans la discussion du texte de la commission spéciale, nous poursuivons, au sein du titre préliminaire, l’examen de l’article 1er et de son annexe.
TITRE PRÉLIMINAIRE (suite)
DISPOSITIONS D’ORIENTATION ET DE PROGRAMMATION
Article 1er et annexe (suite)
(Non modifié)
M. le président. Je rappelle que les six amendements faisant l’objet d’une discussion commune ont été présentés.
Quel est l’avis de la commission spéciale ?
Mme Pascale Gruny, rapporteur de la commission spéciale. Les six amendements en discussion commune ont pour objet de modifier ou de réécrire la stratégie nationale d’orientation de l’action publique annexée au projet de loi.
Notre position sur cette annexe reste celle que nous avons exprimée dans notre rapport et lors de l’examen du texte en commission.
Si personne ne peut contester le bien-fondé des principes et objectifs qui y sont présentés, force est de constater qu’ils sont bien trop nombreux pour être de véritables principes généraux, clairs et lisibles. Nous constatons également que cette annexe est dépourvue de portée normative ; nous nous interrogeons toujours, à ce titre, sur son utilité réelle.
Nous défendons donc une position de compromis : globalement favorables aux principes qui figurent dans cette annexe, nous ne souhaitons pas la supprimer, mais, ayant de très profonds doutes sur son utilité réelle, nous ne pensons pas nécessaire de la modifier.
De toute façon, l’adoption de cette annexe ne fera qu’ajouter une énième charte aux nombreuses déjà applicables dans chaque administration.
Comme lors de l’examen des amendements présentés en commission, nous demandons le retrait des amendements déposés à l’article 1er, cette annexe étant non normative ; à défaut, l’avis de la commission serait défavorable.
Plus spécifiquement, pour ce qui concerne l’amendement n° 74 rectifié de Sophie Taillé-Polian, cet avis est conforté par le fait que l’obligation tout à fait légitime de courtoisie des usagers semble en dehors du champ de la stratégie nationale, qui ne liste que des objectifs à destination de l’administration et de ses agents. Il serait bien dommage de devoir inscrire le respect au sein de cette annexe ; le respect, selon nous, a sa place dans la vie de tous les jours, et son apprentissage devrait faire partie de toute éducation digne de ce nom.
De la même manière, s’agissant de l’amendement n° 111 de notre collègue François Patriat, le principe d’autonomie qu’il défend semble déjà présent au quatrième alinéa de l’annexe visée.
Enfin, l’adoption de l’amendement n° 165 d’Élisabeth Lamure, tendant à conditionner l’entrée en vigueur d’une norme nouvelle applicable aux entreprises à la suppression d’une norme préexistante, semble poser un problème de constitutionnalité. Il s’agit en effet d’un principe ayant une véritable portée normative, mais qui restreint le champ de la loi et des règlements tels qu’ils sont respectivement définis aux articles 34 et 37 de la Constitution.
Comme je l’ai dit, la commission demande donc le retrait de ces amendements ; à défaut, l’avis serait défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État auprès du ministre de l’action et des comptes publics. Pour ce qui concerne l’amendement n° 131, il faut d’abord saluer le travail de synthèse et de concision qui a été le vôtre, monsieur Bocquet, pour reformuler de manière peut-être plus ramassée, parfois aussi plus théorique, les grandes orientations définies dans la stratégie nationale d’orientation de l’action publique.
Toutefois, la rédaction que vous nous proposez paraît oublier certaines orientations qui, à nos yeux, sont essentielles, s’agissant notamment de l’évaluation de l’action publique, de la conception de son efficacité en termes de délais et de coûts, ou encore de la dématérialisation.
L’avis du Gouvernement ne saurait donc être favorable sur votre amendement, quand bien même vous avez travaillé à une rédaction plus ramassée.
Concernant l’amendement n° 74 rectifié de Mme Taillé-Polian, nous reprenons à notre compte les arguments de Mme la rapporteur.
Le respect et la courtoisie semblent devoir s’imposer à tous – ce serait l’idéal ; ce n’est, effectivement, pas toujours le cas.
De notre point de vue, si l’administration doit faire preuve de savoir-vivre à l’égard des usagers, l’inverse aussi doit être exigé. Cependant, nous avons un peu de mal à voir la déclinaison juridique ou opérationnelle de la disposition proposée. Nous préférons donc à ce stade émettre un avis défavorable sur l’amendement.
Je le rappelle, l’amendement n° 57, présenté par le Gouvernement, a pour objet de traduire un des engagements du comité interministériel de la transformation publique, ou CITP, en matière de publication des résultats et d’un certain nombre d’indicateurs de qualité des services publics.
Le Gouvernement sollicite le retrait de l’amendement n° 111, faute de quoi l’avis serait défavorable : comme l’a souligné Mme la rapporteur, le premier volet, relatif à la promotion de l’autonomie des agents publics, est satisfait par l’alinéa 4 de la stratégie ; le second, relatif à la formation des agents, est, quant à lui, satisfait par l’alinéa 15. Nous faisons évidemment nôtres les objectifs, mais la rédaction actuelle du texte nous paraît satisfaisante.
Deux difficultés m’amènent à émettre un avis défavorable sur l’amendement n° 165.
D’une part, l’amendement nous paraît moins ambitieux que la circulaire et les instructions données par le Premier ministre visant à supprimer deux normes réglementaires pour la création d’une nouvelle. Les auteurs de l’amendement souhaitent limiter ce principe aux seules entreprises alors que la circulaire du Premier ministre vise tous les acteurs de la société civile. Au demeurant, l’amendement nous semble s’articuler difficilement avec l’autonomie du pouvoir réglementaire du Premier ministre.
D’autre part, le dispositif applicable aux normes législatives, qui sont également évoquées dans l’amendement, n’aurait pas de portée ; nous n’avons pas la possibilité de limiter ainsi l’initiative législative.
L’avis est également défavorable sur l’amendement n° 69 rectifié. En effet, si nous sommes tout aussi déterminés que Mme Préville à accompagner la dématérialisation des démarches administratives avec une politique d’inclusion numérique, l’affectation des économies réalisées à tel ou tel type d’opérations heurterait les règles et exigences budgétaires et comptables applicables en la matière.
M. le président. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian, pour explication de vote sur l’amendement n° 74 rectifié.
Mme Sophie Taillé-Polian. Je ne comprends pas bien la réponse de M. le secrétaire d’État, qui invoque le problème de la déclinaison juridique du concept d’exigence de respect et de courtoisie dans l’annexe. Comme Mme la rapporteur l’a souligné, on ne voit pas bien non plus la déclinaison juridique de l’annexe ! J’avoue ne pas saisir en quoi il serait problématique d’intégrer une notion dépourvue de portée juridique dans un texte qui n’en a pas non plus…
M. Julien Bargeton. Je retire l’amendement n° 111, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 111 est retiré.
Madame Lamure, l’amendement n° 165 est-il maintenu ?
Mme Élisabeth Lamure. Je regrette que l’on m’ait apporté une réponse simplement technique sur un amendement soulevant un problème de fond.
Monsieur le secrétaire d’État, contrairement à ce que vous indiquez, notre amendement va plus loin que la circulaire. Nous précisons bien que la création d’une charge supplémentaire n’est possible que sous réserve de la suppression d’une charge « au moins équivalente ». C’est ce qui fait toute la différence et permet à notre amendement d’aller plus loin que la circulaire !
Et je suis vraiment étonnée de l’argument que vous m’opposez sur la constitutionnalité de la mesure. Je vous rappelle deux événements.
D’une part, le Sénat avait adopté au mois de janvier 2016, une proposition de loi constitutionnelle prévoyant déjà d’assortir toute mesure législative de charges nouvelles de la suppression de charges équivalentes. Nous étions bien dans le même esprit.
D’autre part, la semaine dernière, lors de l’examen de la proposition de loi organique de notre collègue Franck Montaugé, M. Sueur, alors rapporteur, avait émis un avis de sagesse sur l’un de mes amendements, lequel était identique à l’amendement n° 165. Il avait d’ailleurs été adopté par le Sénat de manière assez transversale. Je suis donc extrêmement surprise qu’une mesure soit inconstitutionnelle aujourd’hui alors qu’elle ne l’était pas la semaine dernière !
Je maintiens mon amendement.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 165.
(L’amendement est adopté.) – (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian, pour explication de vote sur l’amendement n° 69 rectifié.
Mme Sophie Taillé-Polian. Monsieur le secrétaire d’État, je suis tout de même un peu étonnée, voire choquée ! Comment pouvez-vous, dans ce débat qui commence sur la société de confiance, arguer que le déblocage de moyens pour permettre l’accès au service public des personnes qui en sont éloignées et rencontrent des difficultés avec les procédures dématérialisées se heurte aux orientations budgétaires ?
Puisque vous prétendez vouloir vous attaquer aux problèmes qui existent entre l’administration et les usagers – et le Défenseur des droits ne cesse de souligner que les procédures dématérialisées ont du mal à atteindre tous les publics –, il faut tout de même, me semble-t-il, prendre certaines situations en compte et mobiliser des moyens à la hauteur des enjeux !
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État. Madame la sénatrice, vous rappelez que nous sommes dans un « débat qui commence ». Or, dans un débat qui débute, on en fixe les conditions ; les mots ont un sens. Nous n’avons parlé ni de « déblocage de moyens » ni d’« orientations budgétaires ».
L’amendement n° 69 rectifié vise en fait l’affectation des résultats ; en termes comptables, cela a une signification. Je le répète, une telle disposition est contraire aux exigences et règles budgétaires, en particulier la non-affectation et la non-spécialisation des recettes.
M. le président. Je mets aux voix, modifié, l’ensemble constitué par l’article 1er et l’annexe.
(L’article 1er et l’annexe sont adoptés.)
Article additionnel après l’article 1er
M. le président. L’amendement n° 95 rectifié ter, présenté par Mme Lamure, MM. D. Laurent et Forissier, Mme Eustache-Brinio, MM. Pellevat, Mouiller et Nougein, Mmes Di Folco, M. Mercier et Puissat, MM. Danesi, Magras et Guené, Mme Bruguière, M. Bouchet, Mmes Lassarade et Troendlé, MM. Leleux, Revet et Savary, Mme Dumas, M. Lefèvre, Mme Morhet-Richaud, MM. de Nicolaÿ, Milon et Saury, Mme Estrosi Sassone, M. Chaize, Mme Berthet, MM. Daubresse et Rapin, Mmes Imbert, Deromedi et Canayer, MM. Cuypers et Bazin, Mme Deroche, M. Brisson, Mme Bonfanti-Dossat et MM. Perrin, Raison, Grand et Kennel, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Les dispositions de simplification et de réduction des délais administratifs ne sont traitées que dans le cadre d’un texte sectoriel ; aussi, chaque texte sectoriel est assorti d’un volet dédié à la réduction de ces délais.
La parole est à Mme Élisabeth Lamure.
Mme Élisabeth Lamure. Cet amendement vise à mettre fin aux textes de simplification, qui ont trop souvent pour conséquence d’éclater les problématiques des secteurs concernés. Il s’agit donc de traiter le volet simplification et réduction des délais administratifs dans le cadre exhaustif et cohérent des textes sectoriels.
M. le président. Quel est l’avis de la commission spéciale ?
Mme Pascale Gruny, rapporteur. Cet amendement tend à préciser que les dispositions visant à réduire les délais administratifs ne doivent être prises que dans des textes sectoriels et que chaque texte sectoriel doit en comporter.
Je partage la volonté de ne prendre que des mesures adaptées à chaque secteur concerné pour éviter l’éclatement des problématiques. Mais nous constatons que l’amendement présenté pose des problèmes, notamment d’ordre constitutionnel ; j’en suis désolée, madame Lamure. (Sourires.)
Pour les dispositions réglementaires applicables en matière de droit des entreprises, l’adoption de cet amendement aurait pour conséquence de restreindre le champ du pouvoir réglementaire tel qu’il est défini à l’article 37 de la Constitution, ce qui semble inconstitutionnel.
Pour ce qui est des dispositions législatives, l’amendement serait inopérant, puisque n’importe quelle loi postérieure pourrait y déroger.
La commission demande donc le retrait de cet amendement. À défaut, l’avis serait défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État. Le Gouvernement demande également le retrait de l’amendement ou, à défaut, émettra un avis défavorable, pour les mêmes raisons que la commission.
Madame Lamure, dans la discussion générale, j’ai souligné la volonté du Gouvernement d’accompagner chaque texte sectoriel d’un volet simplification. Nous partageons donc les mêmes objectifs. Mais je souscris aux arguments de Mme la rapporteur sur la rédaction de l’amendement proposé.
M. le président. Madame Lamure, l’amendement n° 95 rectifié ter est-il maintenu ?
Mme Élisabeth Lamure. Monsieur le secrétaire d’État, j’ai bien entendu votre volonté d’inclure des mesures de simplification dans chaque texte. J’espère qu’il s’agit d’un engagement de votre part. En tout cas, je le prends comme tel, ce qui me permet de retirer mon amendement.
M. le président. L’amendement n° 95 rectifié ter est retiré.
TITRE Ier
UNE RELATION DE CONFIANCE : VERS UNE ADMINISTRATION DE CONSEIL ET DE SERVICE
Chapitre Ier
Une administration qui accompagne
Article 2
I. – Le code des relations entre le public et l’administration est ainsi modifié :
1° L’intitulé du titre II du livre Ier est ainsi rédigé : « Les procédures préalables à l’intervention de certaines décisions » ;
2° Le même titre II est complété par des chapitres III et IV ainsi rédigés :
« CHAPITRE III
« Droit à régularisation en cas d’erreur
« Art. L. 123-1. – Une personne ayant méconnu pour la première fois une règle applicable à sa situation ou ayant commis une erreur matérielle lors du renseignement de sa situation ne peut faire l’objet, de la part de l’administration, d’une sanction, pécuniaire ou consistant en la privation de tout ou partie d’une prestation due, si elle a régularisé sa situation de sa propre initiative ou après avoir été invitée à le faire par l’administration, qui y est tenue, dans le délai que celle-ci lui a indiqué.
« La sanction peut toutefois être prononcée, sans que la personne en cause ne soit invitée à régulariser sa situation, en cas de mauvaise foi ou de fraude.
« Les premier et deuxième alinéas ne sont pas applicables :
« 1° Aux sanctions requises pour la mise en œuvre du droit de l’Union européenne ;
« 2° Aux sanctions prononcées en cas de méconnaissance des règles préservant directement la santé publique, la sécurité des personnes et des biens ou l’environnement ;
« 3° Aux sanctions prévues par un contrat ;
« 4° Aux sanctions prononcées par les autorités de régulation à l’égard des professionnels soumis à leur contrôle.
« Art. L. 123-2. – Au sens du présent titre :
« 1° Est de mauvaise foi, toute personne ayant délibérément méconnu une règle applicable à sa situation ;
« 2° A procédé à des manœuvres frauduleuses, toute personne ayant délibérément méconnu une règle applicable à sa situation et mis en œuvre des procédés destinés à masquer cette méconnaissance ou à la présenter sous la forme d’une opération régulière, dans le but de faire obstacle au pouvoir de contrôle et de vérification de l’administration.
« En cas de contestation, la preuve de la mauvaise foi et de la fraude incombe à l’administration.
« CHAPITRE IV
« Droit au contrôle et opposabilité du contrôle
« Art. L. 124-1. – Sans préjudice des obligations qui lui incombent, toute personne peut demander à faire l’objet d’un contrôle prévu par les dispositions législatives et réglementaires en vigueur. La demande précise les points sur lesquels le contrôle est sollicité.
« L’administration procède à ce contrôle dans un délai maximum de six mois, sauf en cas de mauvaise foi du demandeur, de demande abusive ou lorsque la demande a manifestement pour effet de compromettre le bon fonctionnement du service ou de mettre l’administration dans l’impossibilité matérielle de mener à bien son programme de contrôle.
« Art. L. 124-2. – Sous réserve des droits des tiers, toute personne contrôlée peut opposer les conclusions expresses d’un contrôle effectué en application de l’article L. 124-1 à l’administration dont elles émanent, dès lors que celle-ci a pu se prononcer en toute connaissance de cause.
« Ces conclusions expresses cessent d’être opposables :
« 1° En cas de changement de circonstances de droit ou de fait postérieures de nature à affecter leur validité ;
« 2° Lorsque l’administration procède à un nouveau contrôle donnant lieu à de nouvelles conclusions expresses.
« Les dispositions qui précèdent ne peuvent faire obstacle à l’application des dispositions législatives ou réglementaires préservant directement la santé publique, la sécurité des personnes et des biens ou l’environnement.
« Lorsque l’administration constate, à l’issue de son contrôle, une méconnaissance des règles applicables à la situation de la personne contrôlée, celle-ci peut régulariser sa situation dans les conditions prévues aux articles L. 123-1 et L. 123-2. » ;
3° Après la quatorzième ligne du tableau constituant le second alinéa des articles L. 552-3, L. 562-3 et L. 572-1, sont insérées trois lignes ainsi rédigées :
« |
L. 123-1 |
Résultant de la loi n° … du … pour un État au service d’une société de confiance |
|
L. 123-2 |
Résultant de la loi n° … du … pour un État au service d’une société de confiance |
||
L. 124-1 et L. 124-2 |
Résultant de la loi n° … du … pour un État au service d’une société de confiance |
» |
II. – (Non modifié) L’article L. 124-2 du code des relations entre le public et l’administration est applicable aux contrôles initiés à compter de la publication de la présente loi.
M. le président. La parole est à M. Julien Bargeton, sur l’article.
M. Julien Bargeton. Nous voici parvenus au cœur du réacteur ! S’il ne restait qu’un article dans ce texte, je voterais celui-là : c’est celui qui instaure le droit à l’erreur.
Il s’agit, je le pense, d’un vrai changement dans la conception entre les citoyens et l’administration. C’est l’idée que l’on peut évidemment commettre une erreur de bonne foi. La charge de la preuve est en quelque sorte inversée ; c’est à l’administration de dire que l’erreur a été commise de mauvaise foi, et l’usager n’encourt pas systématiquement une sanction pour un manquement commis de bonne foi. Cela me paraît extrêmement important.
Mais nuançons ! Certains champs, comme la sécurité ou l’environnement, sont exclus du dispositif. Ce sont, vous le savez, des champs extrêmement importants. Cela permet d’encadrer ce changement.
Je salue d’ailleurs l’amendement adopté à l’Assemblée nationale sur l’initiative du groupe La France insoumise qui précise que le droit à l’erreur s’applique seulement pour la première fois. Cela me paraît de bon aloi ; il ne s’agit évidemment pas d’accepter des erreurs répétitives dans le même secteur. Les erreurs concernées sont des erreurs susceptibles d’être corrigées et régularisées.
C’est pourquoi mon groupe soutient très fortement cet article, ainsi que la vision qui le sous-tend.
M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger, sur l’article.
Mme Patricia Schillinger. À l’occasion de la discussion et du vote de l’article qui consacre le droit à rectification d’une erreur auprès de l’administration, je tiens à évoquer la situation particulière des travailleurs frontaliers, notamment ceux qui exercent en Suisse.
La législation encadrant leur situation et leur statut est particulièrement complexe. Elle fait intervenir le droit français, le droit suisse, ainsi que le droit international et européen. Ces travailleurs sont donc, par nature, exposés à un risque élevé de commettre des erreurs dans leurs rapports avec les administrations françaises.
La ministre des solidarités et de la santé a d’ailleurs porté devant la Cour de cassation une procédure pour statuer sur les conflits d’affiliation aux organismes de sécurité sociale ; nous attendons sous peu l’arrêt de la Cour.
Avec ce nouveau droit à l’erreur, permettez-moi d’espérer que les frontaliers bénéficieront de toute la bienveillance de l’administration et que la recherche de solutions amiables guidera plus que jamais à l’avenir l’action des services concernés par ces questions techniquement complexes, mais qui plongent les personnes dont il s’agit dans des situations humainement inacceptables.
M. le président. La parole est à M. Olivier Cadic, sur l’article.
M. Olivier Cadic. La fiscalité française est à la fois incohérente, arbitraire et inique. Ce n’est pas nouveau. Notre prix Nobel d’économie Maurice Allais fustigeait déjà en 1977 le « pouvoir réellement exorbitant des administrations technocratiques », en regrettant que la fiscalité « échappât au contrôle démocratique du Parlement ».
Nous sommes désormais face à l’extrême complexité du maquis fiscal, source d’insécurité juridique.
Qui veut s’en convaincre n’a qu’à consulter ces énormes volumes ! (L’orateur brandit plusieurs ouvrages.) Et encore : je n’en ai amené qu’un échantillon ; il faudrait faire de la musculation pour pouvoir tous les porter !
Afin de ne pas faire d’erreur, un contribuable peut solliciter l’administration fiscale pour valider un montage. L’administration a trois mois pour répondre. Si elle ne le fait pas, cela n’a aucune conséquence. Le problème reste entier pour le contribuable. J’avais proposé un amendement pour le résoudre : si l’administration fiscale ne répondait pas au bout de trois mois, comme prévu par les textes, cela valait accord ; le contribuable pouvait alors agir en confiance et en sécurité.
Mon amendement a été déclaré irrecevable au motif que son adoption « créerait une contrainte supplémentaire pour l’administration qui n’est pas absorbable à effectif constant ». Il ne sera donc pas discuté en vertu de l’article 40 de la Constitution, et au prétexte que son adoption créerait une charge supplémentaire pour l’État. J’y vois d’abord une énième atteinte à l’exercice du droit d’initiative parlementaire et au principe de la légalité fiscale, qui, par application de l’article XIV de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, voudrait que le Parlement dispose d’une compétence exclusive en matière fiscale.
Si je vous suis bien, vous n’avez pas assez d’effectifs pour répondre dans les trois mois aux contribuables qui vous sollicitent, mais vous en avez suffisamment pour les contrôles fiscaux a posteriori ! Vous en avez même tellement que vous proposez de vous limiter à neuf mois de contrôle fiscal pour une PME tous les trois ans. Après vingt et un ans d’exercice au Royaume-Uni, je n’ai eu qu’un contrôle pour ma PME, et il a duré une journée !
Pour créer une société de confiance, il aurait fallu que l’État choisisse de prévenir les erreurs plutôt que de les provoquer en entretenant une fiscalité incompréhensible.
Ce que nous faisons actuellement ici ne saurait créer les conditions d’une société de confiance. Cela participe plutôt au harcèlement textuel (Exclamations.) qui alimente une société de défiance. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. le président. L’amendement n° 138, présenté par MM. Bocquet, Collombat et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Alinéa 10
Compléter cet alinéa par les mots :
, le respect des normes internationales et des dispositions d’ordre public du droit du travail
La parole est à M. Éric Bocquet.
M. Éric Bocquet. Il convient, selon nous, de délimiter les conditions d’application du droit à l’erreur avec le maximum de précision, ainsi que d’en fixer les usages.
Le projet de loi prévoit une série d’exceptions à la règle. Ainsi en est-il du droit de l’Union européenne ou de la sécurité des personnes et des biens.
Par cohérence avec l’état actuel du droit, nous proposons d’ajouter à la liste des infractions n’ouvrant pas droit à l’exercice du droit à l’erreur celles qui concerneraient les atteintes, parfois commises de manière intentionnelle, aux droits tout à fait élémentaires des salariés. Il est vrai que les avancées en matière de droit du travail ont été pour le moins limitées ces derniers temps…
Prenons un exemple concret : un exploitant agricole n’aurait ainsi pas le droit à l’erreur quand il s’agirait de remplir un dossier de subvention au titre de la politique agricole commune, mais il pourrait être considéré comme fautif de bonne foi pour peu qu’il ait omis de déclarer correctement quelques-uns des travailleurs saisonniers qui l’auraient aidé, par exemple pour la récolte.
M. le président. Quel est l’avis de la commission spéciale ?