M. le président. Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.
Question préalable
M. le président. Je suis saisi, par M. Watrin, Mmes Cohen et Assassi, MM. Bocquet et Collombat, Mme Cukierman, MM. Foucaud, Gay et Gontard, Mme Gréaume, MM. P. Laurent et Ouzoulias, Mme Prunaud et M. Savoldelli, d’une motion n° 178.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, ratifiant diverses ordonnances prises sur le fondement de la loi n° 2017-1340 du 15 septembre 2017 d’habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social (n° 195, 2017-2018).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à Mme Laurence Cohen, pour la motion.
Mme Laurence Cohen. Madame la ministre, monsieur le président, mes chers collègues, nous arrivons au terme de ce processus assez complexe, plutôt illisible, abscons, technocratique, des ordonnances, qui ne permet en aucun cas un large débat, une appropriation collective par les premiers concernés, les salariés.
Tel est bien évidemment le but : il s’agit d’éviter que l’on aborde le fond de votre projet, à savoir la poursuite et l’amplification de la démolition du code du travail. La mise en scène très théâtralisée de la signature de ces ordonnances par le président Macron ne leur confère pas, pour autant, un caractère plus populaire.
Ainsi donc, le Gouvernement a décidé de contourner le Parlement en démultipliant le recours aux ordonnances. Aujourd’hui, les ordonnances sont utilisées pour réformer le code du travail, mais, demain, le Gouvernement a l’intention d’y avoir recours pour mettre à mal les centres de santé en les transformant en centres lucratifs, pour réformer le logement social ou encore le secteur agricole, à la suite des états généraux de l’alimentation, cette liste n’étant pas exhaustive. Le Gouvernement souhaite passer en force sur des sujets aussi importants ; nous nous y opposons, car, pour nous, madame la ministre, cela remet en cause le contrôle par la représentation du peuple.
Ce caractère antidémocratique se ressent bien évidemment jusque dans notre assemblée, puisque notre pouvoir d’intervention est plus que restreint. Le principe des ordonnances est l’octroi d’un blanc-seing au Gouvernement, ce qui remet profondément et dangereusement en cause notre droit d’élaboration de la loi.
De plus, mes chers collègues, en toute honnêteté, lequel d’entre nous peut prétendre maîtriser à 100 % le contenu très technique de ces cinq ordonnances ? C’est, je le redis avec gravité, un vrai problème démocratique que de ratifier un texte dont on ne maîtrise pas totalement les tenants et les aboutissants et que l’on ne peut pas modifier.
Que l’on me permette de citer un extrait du rapport du président Alain Milon, présenté en juillet dernier, à l’occasion de la discussion du projet de loi d’habilitation : « Votre rapporteur considère que le recours aux ordonnances, s’il est prévu par la Constitution, ne permet pas en l’espèce la tenue d’un débat satisfaisant au Parlement, compte tenu notamment de l’ampleur des thèmes traités. »
Mais venons-en au fond.
La réduction des droits collectifs des salariés est le premier grand chantier de votre quinquennat. Cela s’inscrit, hélas, dans le droit fil de l’action du gouvernement précédent, au nom d’une prétendue modernisation du code du travail. L’angle d’attaque, non avoué bien sûr, des lois ANI, Rebsamen, Macron ou El Khomri, est toujours le même, et il ne va pas dans le sens du progrès social, tant s’en faut !
Un bilan de la mise en œuvre de ces précédentes lois, somme toute récentes, a-t-il été dressé ? Non. Ainsi, on enchaîne les projets de loi, sans procéder à aucune évaluation. Peu importent les résultats en matière d’emploi, finalement, tant que les grands patrons peuvent engranger plus de profits et licencier avec plus de souplesse.
Nous l’avons rappelé lors des débats sur le projet de loi d’habilitation, en juillet dernier : toutes les études conduites par l’OCDE, l’Organisation internationale du travail, la Banque mondiale et l’INSEE démontrent qu’il n’y a pas de lien entre l’abaissement des droits et des garanties collectives, d’une part, et un meilleur taux d’emploi, une baisse du chômage, d’autre part.
C’est également vrai à l’échelle européenne avec les « minijobs » à l’allemande, les contrats « zéro heure » à l’anglaise, le Jobs Act à l’italienne ou encore les « reçus verts », comme au Portugal. Ces dispositifs ont peut-être permis de dégonfler artificiellement les statistiques du chômage, mais ils ont précarisé les travailleuses et les travailleurs en plongeant nombre d’entre elles et eux dans la misère, sans produire aucun effet réel et durable sur l’emploi.
Afin d’éviter un débat de fond, on nous reproche souvent, à nous parlementaires communistes, d’être caricaturaux, voire binaires, mais, malheureusement, nous ne décrivons que des faits bien réels, que tout un chacun peut vérifier.
Les salariés de notre pays vivent de plus en plus mal et se rendent compte quotidiennement de la précarisation de leur emploi. Ils sont aussi conscients que les instances représentatives du personnel, les IRP, qui étaient là, avec les syndicats, pour les défendre, les protéger, sont, elles aussi, attaquées, au travers de leur fusion ou de la mise en œuvre d’un référendum à l’initiative de l’employeur.
Dans les faits, madame la ministre, vous contournez les syndicats, instances démocratiques qui, bien que leurs pouvoirs soient de plus en plus restreints, étaient en mesure de résister aux attaques patronales. Les justifications que vous avancez – les syndicats ne sont pas présents partout, le taux de syndicalisation recule, il faut redonner la parole aux salariés – ne tiennent pas à l’épreuve de la réalité des rapports de force dans les entreprises.
Sans entrer dans le détail des ordonnances, car mon collègue Dominique Watrin le fera tout à l’heure si cette motion est rejetée – mais on peut toujours rêver à son adoption, surtout en cette période des vœux ! –, je veux redire ici que les principales mesures que le Gouvernement est en train de mettre en œuvre vont conduire à un véritable dumping social.
Vous êtes en train de créer une société de l’individualisation, où tout se négociera, où rien ne sera plus garanti : primes d’ancienneté, de panier, de nuit, pour ne citer que quelques exemples, ne seront plus sanctuarisées.
Sur tous les sujets qui ne seront pas mentionnés explicitement dans le code du travail, l’accord d’entreprise prévaudra sur l’accord de branche, même lorsqu’il est moins favorable aux salariés : niveau de prise en charge des arrêts maladie au-delà des minima sociaux, congés exceptionnels pour événement familial, pour enfant malade ou maternité au-delà des minima légaux.
Ce sont autant de remises en cause de droits conquis, qui vont affecter négativement les conditions de travail de tous les salariés, et singulièrement des femmes. De plus, vous supprimez l’une des rares avancées à mettre au crédit du précédent gouvernement, à savoir le compte de prévention de la pénibilité.
Vous prétendez vouloir renforcer le dialogue social, comme l’indique l’intitulé du projet de loi, permettre à l’échelon le plus local, à savoir l’entreprise, de définir ce qui est bon pour lui, mais c’est nier totalement, nous n’avons eu de cesse de le répéter, le rapport de force, le lien de subordination, la hiérarchie qui existent au sein de toute entreprise, pour tout contrat de travail.
La loi est justement là pour protéger, fixer un cadre général, éviter les abus. Avec votre réforme, vous abrogez purement et simplement les principes fondamentaux de notre code du travail. Au lieu de l’égalité devant les droits, inscrite dans notre Constitution, vous mettez en place une variabilité des droits, une inégalité entre les salariés. Pourtant, vous continuez à assurer que les salariés seront mieux protégés grâce à vous, que leurs conditions de travail s’amélioreront.
Comment, dès lors, expliquer que le MEDEF soit si satisfait de votre beau projet et que votre texte ait été largement soutenu par la majorité à l’Assemblée nationale, comme il va l’être également par la majorité sénatoriale ?
Nous ne prétendons pas que, à l’heure actuelle, avec le droit existant, le monde du travail soit un paradis. Loin de là ! Les burn-out, le mal-être au travail, les suicides sont de plus en plus fréquents, mais, sans être alarmistes ni devins, nous pouvons affirmer que les choses ne vont faire qu’empirer avec votre politique. Sachez-le, madame la ministre, nous aimerions avoir tort !
Mes chers collègues, si nous avons déposé cette motion tendant à opposer la question préalable, ce n’est pas parce que nous refusons de débattre, de confronter les points de vue, bien au contraire ! Vous connaissez notre goût du débat et notre volonté constructive de faire des propositions alternatives chaque fois que cela est possible. Mais l’examen de ce projet de loi de ratification est l’exemple même d’un simulacre de débat orchestré par le Gouvernement.
Ainsi, certaines ordonnances sont déjà entrées en application, sans l’aval du Parlement. Dès lors, à quoi bon débattre ? Même si le Parlement ne les ratifiait pas, les ordonnances s’appliqueraient sous forme réglementaire. Cela amène à s’interroger sur le rôle du Parlement.
Par ailleurs, si les partenaires sociaux ont effectivement été consultés, aucune des organisations de salariés n’a validé ces ordonnances. Cela n’a-t-il donc aucune importance pour vous ? Vous consultez pour la forme, puis vous agissez comme prévu : drôle de conception du dialogue social !
De même, madame la ministre, vous vous êtes vantée d’avoir rencontré, depuis la publication des ordonnances, plus de 3 000 chefs d’entreprise, et, avec votre équipe, plus de 5 000 directeurs des ressources humaines, ce qui vous aurait permis de constater l’effet psychologique réel produit par les ordonnances sur les PME. C’est une bonne chose que de consulter, mais avez-vous également pris le temps de rencontrer autant de salariés pour leur demander ce qu’ils pensaient de vos ordonnances, pour voir quel effet psychologique elles produisaient sur eux ? (Mme la ministre acquiesce.)
Notre groupe a déposé cette motion parce que nous rejetons les principes qui sous-tendent ce projet de loi de ratification des ordonnances réformant le code du travail. Nous aurions souhaité avoir un débat de qualité sur la modernisation du droit du travail, mais le recours aux ordonnances ne le permet pas.
Aussi utilisons-nous les outils parlementaires qui restent à notre disposition avant la suppression du droit d’amendement en séance publique. La motion tendant à opposer la question préalable étant débattue avant la discussion générale, nous pouvons comprendre que certains de nos collègues soient réticents à voter en faveur de son adoption, mais nous ne sommes pas maîtres du règlement du Sénat. Je rappellerai enfin à celles et ceux qui nous reprochent de recourir à la motion tendant à opposer la question préalable que la majorité sénatoriale l’a utilisée lors de l’examen du projet de loi de finances rectificative pour 2017 et lors de la seconde lecture du PLFSS pour 2018.
Parce que le Gouvernement a, en réalité, refusé le débat sur ces ordonnances, parce que le Gouvernement affirme que l’égalité entre les femmes et les hommes sera une priorité du quinquennat, mais supprime les CHSCT au moment même où des milliers de femmes dénoncent le harcèlement sexuel, notamment sur leur lieu de travail, parce que le Gouvernement ne fait rien pour redonner des moyens à l’inspection et à la médecine du travail, parce que le Gouvernement ne prend pas en compte les dégâts engendrés par l’ubérisation de la société, parce que le Gouvernement a rejeté toutes nos propositions pour un code du travail du XXIe siècle, parce que, enfin, comme l’a dit mon ami et collègue député Pierre Darrhéville, il a fallu dix-sept ans de travail législatif pour édifier le code du travail, quand, un siècle plus tard, madame la ministre, il vous a fallu dix-sept semaines pour en faire une passoire, je vous invite, mes chers collègues, à voter notre motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. Alain Milon, rapporteur. L’avis est défavorable.
Je suis contre l’adoption de cette motion tendant à opposer la question préalable, car je considère que, sur la forme, le recours aux ordonnances est justifié quand il faut agir rapidement sur des sujets techniques.
J’ajoute que le Parlement n’est pas totalement dessaisi de ses prérogatives en cas de recours aux ordonnances, car c’est lui qui fixe le champ de l’habilitation, qui doit être précis, et le délai pour déposer le texte de ratification. De plus, lorsqu’il examine, comme nous le faisons aujourd’hui, le projet de loi de ratification, il peut approuver les dispositions des ordonnances, les modifier, voire les supprimer. Ce pouvoir du Parlement n’est pas remis en cause par la publication des textes réglementaires d’application.
Sur le contenu des ordonnances, je dirai simplement qu’elles donnent une place non pas aux décisions unilatérales de l’employeur, mais à l’accord d’entreprise.
La commission a donc émis un avis défavorable sur cette motion.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Muriel Pénicaud, ministre. Même avis !
Je voudrais rappeler que la Constitution a prévu le recours aux ordonnances. Il y a d’ailleurs eu de nombreux cas dans l’histoire sociale de notre pays ; je vous y renvoie.
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 178, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
(La motion n’est pas adoptée.)
Discussion générale (suite)
M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Claude Malhuret, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.
M. Claude Malhuret. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président-rapporteur de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, nous sommes réunis pour prendre acte d’une des grandes orientations du quinquennat : la réforme du dialogue social, au travers de cinq ordonnances, en vue de transformer le marché de l’emploi et de relancer notre économie. C’est une démarche ambitieuse, que nous sommes aujourd’hui appelés à approuver.
Afin que le projet de loi fasse l’objet d’un vrai débat, l’Assemblée nationale a souhaité le réorganiser pour que chaque segment de la réforme mise en œuvre au travers de ces ordonnances puisse être pleinement discuté. Je souhaite préciser la position du groupe Les Indépendants - République et Territoires sur les grandes orientations de ces ordonnances.
Le Gouvernement a d’abord défini le principe de la primauté de l’accord d’entreprise, afin de faciliter la négociation collective dans toutes les entreprises, plus particulièrement dans les plus petites d’entre elles. C’est la première fois qu’une réforme du code du travail donne la priorité aux TPE et PME. Cela mérite d’être souligné. Elles pourront désormais conclure un accord collectif, même en l’absence de délégué syndical. Il faut savoir que 4 % seulement des PME disposent d’un délégué syndical.
Cette simplification de la vie quotidienne des TPE et PME passe par une série de mesures attendues de longue date : réforme des règles de licenciement, nouveau barème des dommages et intérêts et suppression des contraintes administratives inapplicables, notamment. Ces ordonnances clarifient les règles, tout en favorisant l’instauration d’un climat serein entre le chef d’entreprise et les salariés. Elles nous semblent susceptibles de redonner confiance en donnant les moyens d’anticiper et de s’adapter aux nouvelles contraintes de la vie économique et financière.
Pour atteindre ces objectifs, le Gouvernement a proposé la fusion des instances d’information et de consultation en une nouvelle structure, le conseil social et économique. Simplicité, efficacité, rapidité : tels sont les mots d’ordre.
Je ne reviendrai pas dans le détail sur toutes les mesures figurant dans ces textes, mais je souhaite insister sur le fait que, si elles visent à aider les entreprises à relever les défis de l’économie du XXIe siècle, elles ouvrent aussi de nouveaux droits pour les salariés et consacrent de nouvelles garanties pour les syndicats et les élus du personnel.
Je crois qu’il faut donner au Gouvernement les chances de changer les choses, de mettre fin à l’inertie du marché de l’emploi en France et de prendre des mesures concrètes pour lutter contre le chômage. Bien sûr, ces ordonnances peuvent être complétées. Notre collègue Daniel Chasseing fera part des propositions de notre groupe sur ce point.
Cependant, ces ordonnances ne sont qu’une pierre d’un vaste édifice. Cette réforme du dialogue social devra s’accompagner d’une réforme de l’apprentissage et de la formation professionnelle, adossée à un grand plan d’investissement en faveur du développement des compétences et de la formation.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, faisons de la ratification de ces ordonnances une perspective de redressement pour la France. Nous soutenons ce texte qui apportera aux 18 millions de salariés, aux 3 millions d’entreprises et aux 2,6 millions de demandeurs d’emploi que compte notre pays plus de liberté, de protection et d’égalité des chances. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
M. Jean-Marc Gabouty. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président-rapporteur de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, avec l’examen de ce projet de loi de ratification des ordonnances relatives au renforcement du dialogue social, nous arrivons au terme d’un processus qui, à l’origine, avait soulevé pas mal de critiques ou de craintes de la part des partenaires sociaux et du Parlement. Il convient aujourd’hui de reconnaître que cette procédure, annoncée par le candidat devenu Président de la République, s’est déroulée dans des conditions assez satisfaisantes d’échange et de dialogue entre, d’une part, le Gouvernement, et, d’autre part, les partenaires sociaux et les assemblées parlementaires.
Si la ligne directrice de ces ordonnances est restée ferme et cohérente, des infléchissements et des améliorations ont pu être introduits tout au long du cheminement de ce texte. J’espère, madame la ministre, que cela pourra encore être le cas lors de la discussion qui s’engage aujourd’hui au Sénat.
La plupart des propositions constructives consistent en des amendements de précision ou de simplification, inspirés par la volonté d’élaborer le texte le plus abouti possible.
Ces ordonnances s’inscrivent dans le prolongement de la loi du 8 août 2016, dite « loi El Khomri » avec un champ d’intervention plus restreint, mais des dispositions nettement plus réformatrices, notamment en ce qui concerne l’organisation du dialogue social. La démarche globale inclura aussi – il faut mettre ces éléments en perspective – les réformes de l’apprentissage, de la formation professionnelle, de l’assurance chômage et des retraites.
C’est à l’issue de ce parcours réformateur qu’il conviendra d’évaluer le nouvel équilibre qui aura été trouvé entre libéralisation et protection, moyennant sans doute quelques compléments souhaitables concernant les travailleurs détachés, les nouveaux emplois indépendants ou le renforcement de l’intéressement financier des salariés aux résultats des entreprises.
Les principales orientations qui sous-tendent ces ordonnances nous paraissent bien adaptées, notamment en ce qui concerne les modes de conclusion des accords d’entreprise, qui permettront d’en augmenter le nombre dans les PME et TPE en ouvrant ces accords, en l’absence de délégués syndicaux, aux délégués du personnel et, en dernier ressort, à une consultation directe des salariés, le périmètre à prendre en considération pour évaluer les difficultés d’une entreprise, les contrats de chantier ou d’opération à durée indéterminée, la fusion des instances de représentation des salariés, qui va atténuer l’effet dissuasif de seuil pour les entreprises dont l’effectif atteint 50 salariés, la fixation d’un barème obligatoire pour les dommages et intérêts alloués en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, mais assortie d’une majoration de 25 % des indemnités de licenciement de base jusqu’à dix ans d’ancienneté – cela représentera une masse financière beaucoup plus importante, pour les salariés, que le rabotage éventuel des dommages et intérêts –,le traitement différencié des PME et TPE pour certaines mesures.
Cette modification significative du code du travail, en allégeant les contraintes supportées par les entreprises et en réorganisant les outils du dialogue social, stimulera le désir d’entreprendre et d’investir dans notre pays, et favorisera ainsi le développement des entreprises, de l’activité économique et de l’emploi.
Compte tenu de ces éléments, une très large majorité du groupe du RDSE apportera son soutien à ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi que sur des travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger, pour le groupe La République En Marche.
Mme Patricia Schillinger. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président et rapporteur de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, six mois, presque jour pour jour, après l’examen du projet de loi d’habilitation, notre assemblée se prononce sur la ratification des cinq ordonnances « pour le renforcement du dialogue social » prises par le Gouvernement le 22 septembre dernier.
Six mois pour réformer ce qu’on disait irréformable : ce n’est pas un mince succès. Il n’y aura pas de pause dans les réformes d’ampleur dont notre pays a besoin pour retrouver confiance en l’avenir. Le Gouvernement a déjà mis sur le métier de nombreux sujets, notamment celui de la formation et de l’apprentissage, avec la même volonté de concertation et de dialogue.
En effet, madame la ministre, tant durant la discussion du projet de loi d’habilitation à légiférer par ordonnances qu’après son adoption, vous avez consacré, avec le Premier ministre, près de 300 heures à la consultation des organisations syndicales. C’est l’un des rares moments de notre histoire où démocratie sociale et démocratie politique ont marché de concert pour, au final, au travers de ces ordonnances, confier à la société civile un réel pouvoir de fixer des règles du jeu au plus près des réalités des entreprises.
Cette méthode a porté ses fruits, puisque l’été et l’automne, que l’on nous prédisait « chauds », furent en réalité plutôt cléments.
Aussi, évitons les caricatures qui amènent certains à évoquer un « coup d’État social », et reconnaissons que ce texte est inspiré par une philosophie progressiste.
Le 24 juillet dernier, à cette tribune, notre regrettée collègue Nicole Bricq, avec son habituelle acuité, soulignait en ces termes l’enjeu des ordonnances : « Cette réforme de fond du dialogue social participe d’une bataille culturelle, voire idéologique ; nous savons tous que les batailles de ce genre sont les plus difficiles à mener, parce qu’il faut passer d’une culture conflictuelle à une culture du dialogue. Celui-ci n’exclut pas les confrontations, mais il recherche les points de passage d’accords collectifs. »
Pour gagner cette bataille culturelle, il nous faut parier sur l’intelligence collective des entreprises, des syndicats, des salariés et de leurs représentants. C’est pourquoi le cœur de la réforme dont nous sommes saisis donne à la négociation collective, notamment dans l’entreprise, une place sans précédent dans notre histoire sociale.
Comme le soulignait Michel Rocard en 2012, « en France, l’essentiel du progrès social doit se faire et s’est toujours fait par la loi. Rien n’est contractuel. » Il ajoutait : « Cela correspond aussi à l’esprit jacobin, qui considère que tout est politique. La société civile disparaît et la société française est obligée d’avancer par coups de sang. Ce qui est très mauvais. »
Avec le Président de la République, le Gouvernement et la majorité, nous affirmons que notre République sociale est mûre pour accorder une place beaucoup plus importante à la société civile et au droit « négocié ».
Les quatre premiers articles du projet de loi, enrichis par le travail parlementaire, contiennent de grandes avancées pour vivifier le dialogue social.
Ainsi, ils établissent une nouvelle architecture conventionnelle afin d’accorder plus de place à l’accord d’entreprise et de renforcer la branche dans son rôle de définition des conditions de travail, tout en prenant en compte les spécificités des entreprises de moins de 50 salariés.
La périodicité et le contenu des consultations et des négociations obligatoires de branche et d’entreprise sont refondus afin de ménager plus de souplesse et de mieux les adapter aux spécificités du secteur d’activité ou de l’entreprise.
La possibilité encadrée d’adopter des accords dans les entreprises de 11 à 50 salariés en l’absence de mandatement est désormais ouverte.
La création du comité social et économique, issu de la fusion de trois instances de représentation du personnel, permettra la mise en place d’un dialogue social à la fois plus stratégique, plus concret et moins formel.
Ce comité social et économique pourra être transformé en conseil d’entreprise doté de la compétence de négociation. C’est une première étape vers ce qui pourrait représenter un modèle de codécision à la française.
Enfin, les parcours syndicaux sont valorisés, avec l’ouverture de la possibilité, pour les titulaires d’un mandat syndical, de bénéficier d’un recensement des compétences acquises et le renforcement de l’obligation de formation.
Le travail en commission a permis de progresser encore sur de nombreux points. Néanmoins, nous restons en désaccord avec le rapporteur sur certaines dispositions, en particulier la suppression des observatoires départementaux d’analyse et d’appui au dialogue social. Nous présenterons également deux amendements visant à adapter aux réalités du terrain la règle de limitation dans le temps des mandats des élus.
Outre ces mesures de renforcement du dialogue social, ces ordonnances contiennent des mesures de sécurisation, de flexibilité et de simplification. Nous y reviendrons au fil de l’examen des articles. Ces dispositions, que je n’énumérerai pas, sont créatrices de nouvelles sécurités et de nouveaux droits pour les salariés comme pour les employeurs.
Bien sûr, nombre de ces mesures cristallisent les oppositions, parfois sur fond de procès d’intention… Mais là encore, mes chers collègues, gardons-nous de la désinformation : la flexibilité à tout crin ne constitue pas la philosophie de cette réforme, qui n’est pas inspirée par le credo trompeur selon lequel la complexité et la rigidité du droit du travail seraient les principales responsables de tous nos maux, à commencer par le chômage qui frappe notre pays.
Cela ne doit cependant nullement nous empêcher de simplifier, de sécuriser ou d’adapter des mécanismes et des dispositifs qui permettent de pérenniser et de soutenir les entreprises quand la reprise est là. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)