M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, sur l’article.
Mme Laurence Cohen. J’ai exprimé hier, lors de la discussion générale, notre opposition de fond à ce projet de loi. Aujourd’hui, je vais axer mon propos sur l’article 1er du point de vue des travailleurs en situation de handicap.
Alors que les entreprises de plus de vingt salariés sont dans l’obligation de recruter 6 % de travailleurs en situation de handicap, les chiffres sont accablants : entre 2011 et 2016, le nombre de personnes en situation de handicap au chômage a bondi de 65 % ; le taux de chômage de cette catégorie dépasse désormais la barre des 20 %. Pire, ces travailleurs restent en moyenne 200 jours de plus sans emploi que les personnes n’étant pas en situation de handicap.
Nous parlons tout de même ici d’une moyenne de 755 jours, soit plus de deux ans ! Au vu de la situation financière de l’AGEFIPH par rapport aux besoins réels, on peut légitimement s’interroger sur l’effectivité du versement obligatoire par les employeurs ne respectant pas leur obligation légale de recrutement.
Si certains éléments extérieurs comme l’âge moyen des travailleurs en situation de handicap ou le niveau de qualification plus faible en moyenne peuvent expliquer cette persistance d’un chômage de masse, les préjugés vis-à-vis de ces travailleurs ont encore, hélas, la vie dure.
Crainte d’une mise en accessibilité coûteuse des locaux, crainte devant une adaptation nécessaire du poste de travail, appréhension face à une plus faible efficacité présumée des travailleurs en situation de handicap : les freins à l’insertion professionnelle sont encore nombreux. La situation est grave, alors que le handicap concerne plus de 12 millions de personnes dans le pays.
Le projet que vous nous présentez va-t-il créer les conditions pour dépasser les difficultés que je viens de pointer, alors qu’il permettrait un nouvel affaiblissement des obligations des entreprises en rognant sur les prérogatives de la branche, pourtant plus protectrice, et surtout en capacité de raisonner à l’échelle de tout un secteur ?
Comment ne pas voir que la primauté accordée à l’accord d’entreprise va permettre à des entreprises de s’exonérer de leurs obligations ? Parce que les préjugés sont encore forts, parce qu’un certain nombre d’employeurs craindront qu’une politique inclusive de leur part leur fasse prendre du retard sur leurs concurrents directs, parce que la mise en accessibilité de leurs locaux constituera à leurs yeux un investissement déraisonnable : les raisons seront nombreuses, et vous participez indirectement à leur légitimation avec cet article 1er.
À nos yeux, l’accord de branche constitue l’échelon de négociation le plus propre à faire obstacle au dumping social, même si cela reste insuffisant, comme le montrent les chiffres que j’ai donnés.
En tout cas, nous sommes persuadés que la situation sera bien pire si nous donnons la primauté à l’accord d’entreprise, et nous ne pouvons souhaiter cela pour les travailleurs en situation de handicap, comme pour l’ensemble des salariés. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme Annie David, sur l’article.
Mme Annie David. Tous les employeurs ne cherchent pas à brader leur entreprise ni à priver les salariés de leurs droits. Les 36 000 accords d’entreprise signés chaque année démontrent que les salariés, par l’intermédiaire de leurs représentants syndicaux, sont prêts au dialogue social.
Nous ne vivons pas dans un monde idyllique…
M. André Trillard. Oh non !
Mme Annie David. … et, dans la vraie vie, les salariés sont souvent confrontés à des situations dans lesquelles les intérêts financiers de leur direction sont davantage pris en compte.
J’en veux pour preuve le cas de l’entreprise Isochem, en Isère, classée parmi les leaders mondiaux de la filière agrochimique, chimique et pharmaceutique. Aujourd’hui, un énième plan vient menacer les derniers emplois restants et l’équilibre de toute la plateforme chimique de Pont-de-Claix, qui a vu se succéder, depuis 1980, les plans de restructuration, les plans de sauvegarde, les plans de départ volontaire dans une pure stratégie financière laissant sur le carreau des milliers de salariés.
Au fil du dépècement de l’entreprise historique, Rhône-Poulenc, puisque c’est d’elle qu’il s’agit, les conditions de travail des salariés se sont détériorées, alors qu’ils n’ont eu de cesse de défendre leurs emplois et la pérennité de leur site.
La seule réponse que vous leur apportez est celle du MEDEF : hausse du temps de travail, baisse des rémunérations, souplesse des licenciements, suppression des indemnités sans moyen de recours.
C’est la même solution que vous apportez d’ailleurs aux salariés de Schneider Electric, où tous les accords ont été annulés en application de la loi El Khomri, ou encore aux salariés de General Electric Hydro, auxquels la direction vient d’annoncer un plan social, avec la suppression de 345 emplois, c’est-à-dire la moitié des effectifs du site, ce qui signifie, à très court terme, l’arrêt de la conception, de la fabrication et de l’entretien des turbines pour les barrages EDF, au profit des marchés asiatique et américain. Il s’agit d’un plan social réduit au minimum, qui ne prévoit la prise en compte ni de l’ancienneté, ni de la haute qualification des personnels, ni du préjudice subi, bien sûr. Des accords avaient pourtant été trouvés par M. Macron, alors ministre de l’économie de François Hollande pour non seulement créer des emplois, mais aussi assurer la pérennité du site.
Votre texte est à l’image de ces accords passés : du vent, du bon vent dans les voiles du patronat pour lui permettre de gonfler ses profits, au détriment des salariés, pour qui ce vent est bien aigre. De plus, cela va à l’encontre des intérêts industriels et économiques de notre pays, ce que ni les salariés ni les parlementaires communistes ne peuvent l’accepter. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, sur l’article.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, à mon tour, je vous adresse tous mes vœux empreints d’estime et de respect.
L’article 1er de ce texte vise à donner une place centrale à l’accord d’entreprise, et va donc renforcer le dumping social dans notre pays. Jusqu’à présent, les domaines où l’accord d’entreprise pouvait déroger à l’accord de branche en fixant des règles moins favorables aux salariés étaient lissés et précisés.
Le projet de loi d’habilitation prévoit d’inverser la règle en établissant la liste des domaines où l’accord de branche continue de primer sur l’accord d’entreprise. Par défaut, dans tous les autres domaines non précisés, c’est l’accord d’entreprise qui primera.
C’est un formidable recul pour les droits des salariés qui s’opère grâce à un véritable tour de passe-passe. Avec cette inversion, demain, le renvoi au niveau de l’entreprise de la négociation sur la rémunération semble pouvoir autoriser les employeurs à négocier les primes d’ancienneté ou le treizième mois, entraînant ainsi un dumping social et économique.
Le représentant de la CFE-CGC, auditionné par la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, a d’ailleurs averti que les PME sous-traitantes de grandes entreprises seraient soumises à de très fortes pressions pour baisser leurs coûts, donc pour baisser la rémunération des salariés.
Je rappelle que nous avions combattu ici une telle mesure lors des débats sur la loi El Khomri, même si nous étions relativement peu nombreux à le faire, y compris sur les travées de la gauche.
La boîte de Pandore a été ouverte, permettant l’inversion de la hiérarchie et des normes et la suppression du principe de faveur, entraînant un dumping social aggravé dans notre pays. Sous prétexte que la mondialisation de l’économie impose aux entreprises françaises d’être réactives, vous décidez de revenir sur cent ans de luttes sociales !
Le droit au travail est un droit évolutif et les contraintes que vous critiquez résultent, en réalité, du nombre croissant de dérogations aux droits des salariés ouvertes aux entreprises. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny, sur l’article.
M. Yves Daudigny. Monsieur le président, je veux vous adresser à mon tour un message d’amitié.
L’article 1er traite d’une nouvelle articulation entre l’accord d’entreprise et l’accord de branche, ainsi que du champ de la négociation collective.
Si l’idée forte retenue est celle de la primauté de l’accord d’entreprise, la branche est renforcée – je veux le souligner – dans un rôle essentiel de régulation des conditions de concurrence et de définition des garanties économiques et sociales.
Mme Nicole Bricq. C’est vrai !
M. Yves Daudigny. Je veux être plus précis : pour les salaires, les classifications, la mutualisation des financements paritaires, l’égalité professionnelle, la gestion et la qualité de l’emploi – un item récemment apparu qui vise la durée minimale du temps partiel et les compléments d’heures, la nouvelle régulation des contrats courts, les conditions de recours au CDI de chantier –, les accords d’entreprise ne pourront pas déroger aux accords de branche.
L’articulation est ainsi construite sur trois blocs de compétences, avec l’affirmation que les acteurs de l’entreprise ou de la branche sont suffisamment matures pour construire du droit applicable au sein de celle-ci.
Cet article dessine le profil d’une entreprise où le principe de subordination n’est pas nié, mais où, à la culture des rapports de force et de l’affrontement conflictuel, se substituerait une culture du compromis résultant du diagnostic partagé, du dialogue, de la négociation, qui pourrait peut-être conduire, à terme, à la situation allemande de la codétermination.
L’article 1er rouvre donc le débat sur l’inversion de la hiérarchie des normes. Il nous remémore, mes chers collègues, le long chemin parcouru depuis une ordonnance Auroux du 16 janvier 1982, prise par le gouvernement Mauroy II, qui permettait aux partenaires sociaux de conclure des accords collectifs, avec la possibilité de réduire les droits des salariés. Cette ordonnance procédait à l’époque à une véritable révolution normative, qui n’est donc pas récente.
Lors de la rupture du contrat de travail en cas de refus par le salarié des modifications résultant d’un accord collectif, un point d’alerte porte sur le type de licenciement, ses modalités et le montant des indemnités de licenciement.
Le point le plus sensible réside, à mes yeux, dans la situation des petites entreprises qui ne disposent pas de délégués syndicaux et pour lesquelles le système du mandatement ne fonctionne pas. La question centrale est celle de l’exclusivité syndicale dans la négociation d’entreprise. La remettre en cause serait franchir une ligne rouge. Le renforcement du dialogue social que vous souhaitez, madame la ministre, ne peut devenir réalité que s’il est accompagné, en parallèle, du renforcement de la présence syndicale, ce qui signifie des syndicats dotés de moyens, formés à la négociation.
Ainsi, l’article 1er jette les bases d’un droit nouveau, différent, se caractérisant par un équilibre entre, d’une part, la loi, qui continue de fixer les principes fondamentaux de l’ordre public – droits à la formation, à la protection chômage, égalité entre la femme et l’homme, interdiction des discriminations, mais aussi SMIC, durée légale du travail à 35 heures – et, d’autre part, des négociations de branche et d’entreprise qui fixent les règles communes et de proximité du monde du travail. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme Nicole Bricq. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Jacky Deromedi, sur l’article.
Mme Jacky Deromedi. Le Sénat a beaucoup travaillé sur ces sujets depuis trois ans, notamment à l’occasion de la loi Macron et de la loi El Khomri. Il l’a fait avec le souci de favoriser le dialogue social à tous les niveaux par une meilleure articulation des conventions collectives au niveau national, conventions de branches et, surtout, accords d’entreprise, car c’est au sein de l’entreprise que les relations sociales se développent d’abord.
J’adhère, pour ma part, pleinement aux lignes directrices adoptées par nos commissions compétentes. Je tiens à rendre un hommage appuyé à notre rapporteur, M. Alain Milon, et au rapporteur général de la commission des finances, M. Albéric de Montgolfier, pour leur excellent travail, en particulier sur l’article 1er tel qu’il nous est soumis, qui donne au débat un cadre sérieux et légitime.
Il serait très regrettable que le Gouvernement et l’Assemblée nationale n’en tiennent aucun compte, se bornant à revenir purement et simplement au texte initial, comme c’est en ce moment le cas sur le texte « rétablissant la confiance dans l’action publique ».
De plus, je voudrais attirer l’attention du Gouvernement sur la situation de nos compatriotes résidant à l’étranger qui vont subir de plein fouet les mesures diverses d’augmentation de la CSG ou de suppression de la réserve parlementaire, cette dernière contribuant à financer certains équipements nécessaires, en particulier pour l’amélioration de la vie scolaire et les Alliances françaises.
Il nous a été dit que ce gouvernement souhaitait confier à de « hauts fonctionnaires » les décisions d’attribution, alors qu’ils n’ont pas une connaissance suffisante du terrain et des besoins spécifiques de chaque pays que les parlementaires, eux, connaissent parfaitement pour les visiter « physiquement » régulièrement.
Enfin, il faudra que les gouvernements se souviennent, « hors des périodes électorales », que les Français résidant à l’étranger qui les ont élus sont des Français comme les autres et qu’ils ont droit à la même considération du Gouvernement que les Français de métropole et d’outre-mer.(Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty, sur l’article.
M. Jean-Marc Gabouty. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, l’article 1er est bien le cœur de ce projet de loi d’habilitation dans la mesure où il réaffirme et précise la primauté des accords d’entreprise, mais aussi l’équilibre et l’articulation entre accords de branche et accords d’entreprise.
Les principes, les dispositions d’ordre public demeurent du niveau de la loi. Un certain nombre de compétences restent du domaine exclusif de la branche, d’autres peuvent être déléguées aux entreprises dans le cadre d’accords de branche et la souplesse dérogatoire s’applique au niveau de l’entreprise. En tout état de cause, la branche demeure un niveau supplétif incontournable.
Pour bien couvrir tout le champ des accords collectifs, il est nécessaire que la restructuration des branches professionnelles soit effective. À cet égard, j’exprimerai une petite nuance en termes de calendrier avec la position de la commission, car il me semble qu’un délai de dix-huit mois doit être suffisant pour la réorganisation des branches. En effet, dans beaucoup de domaines, nous préconisons plus de pragmatisme, plus de réactivité par la réduction des délais. Il n’y a pas de raison de ne pas demander cet effort aux branches professionnelles.
Mme Nicole Bricq. Absolument !
M. Jean-Marc Gabouty. Nous approuvons donc les orientations de cette loi et les inflexions adoptées par notre commission des affaires sociales sur cet article 1er, en espérant, madame la ministre, que vous retiendrez l’essentiel des propositions constructives émises par la commission.
L’une de ces dispositions, madame la ministre, constitue le marqueur essentiel de ce texte : celle qui doit permettre de multiplier les accords d’entreprise dans les PME et TPE.
La loi du 8 août 2016, qui avait pour objectif d’encourager ces accords d’entreprise, introduisait dans les PME et TPE un dispositif de conclusion des accords qui allait à l’encontre même de cet objectif en imposant soit la présence d’un délégué syndical – or, il n’y en a que dans 4 % des entreprises de cette taille –, soit une procédure de mandatement, contrainte inadaptée si l’on veut obtenir des résultats significatifs en termes de nombre d’accords conclus.
Je me félicite donc des dispositions différenciées pour les PME et TPE, en formulant cependant une remarque personnelle : pour définir des PME et TPE, nous ne pourrons pas effacer la notion de seuil, débat récurrent dans notre assemblée. Il me paraîtrait aujourd’hui raisonnable de remonter le seuil de 10 à 20 salariés, mais de conserver celui de 50 salariés, qui correspond à une définition européenne. Je veux souligner que la mise en place d’une instance unique de représentation du personnel est susceptible d’atténuer les préventions des chefs d’entreprises à franchir ledit seuil.
M. le président. La parole est à M. Martial Bourquin, sur l’article.
M. Martial Bourquin. Monsieur le président, permettez-moi de me joindre aux différentes congratulations exprimées par tous nos collègues sur l’ensemble des travées.
Madame la ministre, mon intervention se fera sur le principe même des ordonnances. Quelle urgence y a-t-il à légiférer par ordonnances, à légiférer pour 18 millions de salariés et modifier le code du travail, qui doit être protecteur ? Quelle urgence ?
J’ai vu que le Conseil d’État nous faisait part d’inquiétudes. Dans l’avis qu’il vous a remis, il constate en effet que le projet de loi contient un très grand nombre d’habilitations permettant au Gouvernement de prendre des ordonnances sur des sujets d’une portée et d’une complexité inégales. Il appelle l’attention du Gouvernement sur les conséquences d’un tel choix en termes de hiérarchie des priorités, de calendrier et de temps nécessaire à la préparation de ces différentes réformes.
Alors, quelle est l’urgence ? J’essaie de comprendre, car il y en a certainement une, n’est-ce pas ? L’urgence, c’est la volonté du Président de la République jupitérien. Voilà la vraie raison ! Grâce à cette urgence, on passe sous silence le fait que nous ne disposons d’aucune étude d’impact sur les différentes lois de flexibilité qui ont été votées.
Tout de suite, on engage la procédure des ordonnances. Cependant, permettez-moi de signaler que nous n’avons pas le texte, alors que plus de cinquante sujets sont abordés en matière de droit du travail. Nous ne disposons pas non plus d’une évaluation des conséquences économiques, sociales et environnementales, ainsi que des coûts et bénéfices financiers attendus des dispositions envisagées !
Madame la ministre, avez-vous consulté les rapports de l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail, l’ANACT ? Avez-vous pris connaissance des avertissements qu’ils nous livrent sur les burn-out, sur les troubles musculo-squelettiques, sur les problèmes de la santé au travail ? Que fait-on de tout cela ? Réponse : flexibilité, flexibilité ! Certains économistes nous disent pourtant que bien vivre avec une bonne santé au travail est certainement le meilleur facteur de productivité.
Sur toutes ces questions, vous ne nous répondez pas ! Le texte que vous nous avez donné n’est pas sérieux et c’est la raison pour laquelle il faut abandonner cette idée d’ordonnances sur le droit du travail. La méthode retenue pour mettre de côté le travail parlementaire est assez scandaleuse ! (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste et républicain et sur les travées du groupe CRC.)
Mme Nicole Bricq. Qu’est-ce qu’on fait en ce moment ?
M. le président. La parole est à M. Jérôme Durain, sur l’article.
M. Jérôme Durain. Monsieur le président, comme la tonalité du jour est phocéenne, j’ai choisi d’aller droit au but ! (Sourires.)
Je souhaitais intervenir sur cet article pour rappeler que le contexte idéologique qui sous-tend le projet de loi que nous discutons aujourd’hui n’est pas neutre. J’irai même jusqu’à dire qu’il est discutable et discuté ! Je me permets ces rappels de base, après avoir écouté avec étonnement quelques affirmations sur ce texte et sur le code du travail, ces derniers jours.
Madame la ministre, vous avez affirmé hier que notre droit du travail était devenu progressivement inadapté à l’économie de notre temps, non pas dans ses principes, mais dans ses détails. Peut-être cette inadaptation progressive est-elle due aux nombreuses réformes – dix-sept de 2000 à 2013, d’après Les Économistes atterrés ! – visant à libéraliser le marché du travail ces dernières années, autant de réformes qui n’ont pourtant pas réussi à créer des emplois pérennes en nombre suffisant.
Constatant les échecs passés, vous vous préparez à utiliser la même méthode : légiférer vite, sans même attendre le bilan complet des réformes du précédent quinquennat ; légiférer vite, et sans doute mal, pour éviter que nos concitoyens ne s’approprient un débat qui n’a pas été tranché lors de l’élection présidentielle ; légiférer vite, en utilisant des exemples européens bien peu convaincants. Ainsi, il est souvent de bon ton d’appeler la France à se réformer sur le modèle de l’Italie ou de l’Espagne, autant de pays où le taux de chômage est encore supérieur à celui de la France, malgré une démographie largement différente, mais il faut copier Renzi, il faut imiter Rajoy !
Aujourd’hui, madame la ministre, vous souhaitez légitimement soutenir la ligne défendue par le Président de la République : réformons pendant que la cote de popularité est élevée, pendant la torpeur de l’été, pendant que l’ancien monde politique est encore tétanisé !
Mais il reste dans ce pays quelques millions de personnes qui estiment que cette philosophie de la dérégulation n’est pas pertinente socialement et qu’elle n’est pas efficace économiquement, parce qu’elle n’a pas fait la preuve de son efficacité ailleurs, parce que, en France, comme l’indique l’OCDE, les rigidités alléguées du marché du travail ne sont étayées ni en matière de licenciement individuel ni en matière de licenciement collectif, parce que ces dérégulations ont des effets pervers sur le travail des femmes, sur la précarisation de l’emploi, sur l’incitation des employeurs à toujours préférer la réduction des coûts à l’investissement.
C’est pour ces raisons, sur la forme et sur le fond, que je m’opposerai à ce texte. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste et républicain et sur les travées du groupe CRC.)
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Philippe Adnot, sur l’article.
M. Philippe Adnot. Je voulais, tout d’abord, saluer le travail de la commission et dire que je soutiendrai toutes les prises de position qui seront exprimées en son nom.
Si j’ai demandé la parole, monsieur le président, c’est surtout pour que les non-inscrits puissent s’associer officiellement au concert de louanges qui vous a été adressé et qui est parfaitement justifié. En effet, tout au long de ces années, vous avez présidé nos séances avec pertinence et bonhomie, tout en veillant au respect des diverses expressions.
Je voudrais vous demander une faveur : accepteriez-vous de partager une petite parcelle de la formidable ovation qui vous a été adressée avec tous nos collègues que nous ne reverrons plus, parce qu’ils sont touchés par cette loi absurde qui interdit le cumul des mandats ? (M. le président fait un geste de remerciement. – Applaudissements sur certaines travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste et du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Dominique Gillot, sur l’article.
Mme Dominique Gillot. Monsieur le président, je ne vais pas rajouter aux éloges qui vous ont été adressés… (Sourires.)
Je veux m’adresser à Mme la ministre, que j’ai écoutée avec attention hier. Après avoir relu votre intervention au compte rendu, je constate, madame la ministre, une grande absence dans votre dispositif, celle des travailleurs handicapés.
La loi du 11 février 2005 précise que les entreprises ont l’obligation de recruter ces personnes à hauteur de 6 % de leur effectif salarié. Laurence Cohen a bien décrit tout à l’heure la situation de ces travailleurs, soulignant les freins à leur recrutement, comme à leur maintien dans l’emploi. Je ne partage cependant pas tout à fait son appréciation ni ses conclusions.
Certes, les chefs d’entreprise peuvent effectivement craindre les coûts d’une insertion professionnelle obligatoire, les difficultés d’intégration d’un travailleur avec handicap. Toutes les observations montrent cependant qu’au sein d’une entreprise, quelle que soit sa taille, l’attention et la solidarité humaine et professionnelle sont bien aussi efficaces que les contraintes légales et financières pour faire place aux salariés avec handicap. Les outils existent, il faut savoir s’en saisir et c’est au cœur même de l’entreprise que cette conversion doit s’effectuer. C’est par l’expérience collective, au plus près de la pratique, que l’on garantit la meilleure reconnaissance de la place des personnes handicapées et la défense de leurs droits de travailleurs.
Nous saisissons l’occasion de cette loi d’habilitation à prendre par ordonnances des mesures pour le renforcement du dialogue social pour demander que le Gouvernement mène systématiquement des études d’impact des réformes envisagées sur l’emploi des personnes en situation de handicap et des proches aidants, tant en matière d’accès, d’évolution professionnelle que de maintien dans l’emploi, de façon à généraliser et rendre habituelle l’obligation de recrutement de 6 % de personnes handicapées dans les effectifs salariés, que l’entreprise soit publique ou privée.
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, sur l’article.
M. Jean Desessard. Monsieur le président, vous avez choisi d’exercer le mandat unique de maire de Marseille. À mon tour, monsieur le président, je déplore que vous ne soyez bientôt plus dans l’hémicycle, mais dans la mesure où je ne serai plus là en septembre, cela ne sera qu’un demi-dépit… (Sourires.)
Je n’avais pas prévu d’intervenir, mais comme tout le monde le fait – le groupe CRC, les socialistes revigorés… –, je sens une atmosphère combative. Je me suis dit que le groupe écologiste « honoraire » se devait de prendre la parole pour dire que les gouvernements se suivent et se ressemblent. (Exclamations sur les travées du groupe La République en marche.)
Eh oui ! On croit changer tout et on retrouve la même chose ! Cela vaut d’abord au niveau des personnes. Il en est certains qui font maintenant partie de La République en marche et que j’avais vus auparavant dans d’autres groupes politiques. Cela étant, peut-être y aura-t-il à l’automne, au Sénat, un renouvellement plus important, à l’instar de ce qui s’est passé à l’Assemblée nationale ?
Je le reconnais, le rythme est différent : les socialistes ont avancé à petits pas feutrés ; à côté d’eux, certains sont en marche ; la droite se prépare au galop ! Tout cela pour une réforme par ordonnances, qui vise à réduire le coût du travail. Sur le fond, c’est toujours la même chose !
À l’heure actuelle, on pourrait s’attendre à voir se manifester une volonté d’aller vers le progrès social, cherchant à obtenir pour les salariés un pouvoir d’achat plus important, de meilleures conditions de travail et un abaissement de l’âge de départ à la retraite… On pourrait penser qu’il y a suffisamment de richesses sur cette planète pour permettre l’émergence du progrès social.
Pourtant, que font la majorité des parlementaires ? Ils s’opposent catégoriquement au progrès social, qui coûterait trop cher, et ils proposent de revenir sur les conditions de travail, sur les salaires, bref, sur les droits acquis ! Tout cela pour nous aligner sur quoi ? Sur les conditions les plus déplorables de la planète !
Ne devrions-nous pas plutôt aspirer à être un exemple pour l’ensemble des pays du monde et à construire, de concert avec les autres, un progrès social à l’échelle internationale ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et républicain.)