Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty, pour explication de vote.
M. Jean-Marc Gabouty. Je n’entrerai pas dans le fond du sujet et je ne discuterai pas de l’utilité d’une réforme du code du travail. Je rappellerai juste que, même si je comprends les frustrations de certains de ne pas pouvoir discuter du contenu des ordonnances, nous avons déjà débattu de ces questions il y a un an pendant des centaines d’heures, en commission et en séance publique. Les réflexions qui ont alors été les nôtres nous seront utiles aujourd'hui pour faire des propositions complémentaires.
Notre groupe approuve la méthode des ordonnances, tout simplement parce qu’il est urgent de rendre la loi Travail, dite loi El Khomri, plus opérationnelle. Si cette loi prévoit un certain nombre d’orientations intéressantes, elle contient également des freins qui ne la rendent pas opérationnelle. Je pense notamment aux négociations et aux accords d’entreprise dans les TPE-PME, qui ont été largement ouverts, mais dont les modalités conduisent directement à un échec.
Nous approuvons également les orientations de ce projet de loi d’habilitation, ainsi que les infléchissements proposés par la commission des affaires sociales.
Parce que nous pensons que ce projet de loi est utile, nous nous opposons à cette motion, comme nous nous sommes opposés à la précédente.
Mme la présidente. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.
M. David Assouline. Un des enjeux des débats est de…débattre. Une des craintes suscitées par ce projet de loi d’habilitation est qu’il n’y ait pas de discussion parlementaire digne de ce nom sur une réforme considérée comme étant l’une des plus importantes du quinquennat et touchant à des sujets aussi sensibles que le dialogue social et le code du travail.
On sait combien ces sujets sont sensibles, car nous en avons déjà débattu sous le précédent quinquennat.
Sans passer par les ordonnances, le débat a alors eu lieu, au Parlement et dans le pays. On peut tenter de l’esquiver aujourd'hui au motif qu’il a déjà eu lieu, mais c’est tout simplement faire fi de la volonté, exprimée lors des élections, de nos concitoyens de participer au débat contradictoire qui devrait précéder le renouveau démocratique, volonté qui est foulée aux pieds par la méthode des ordonnances.
La question qui nous est posée en cet instant est donc la suivante : devons-nous débattre de ce projet de loi ? La réponse est, oui, nous devons le faire, d’autant que le Gouvernement ne souhaite pas véritablement que nous le fassions. La meilleure réponse que nous puissions lui apporter est de nous emparer du minimum qui nous est octroyé, sachant que, concrètement, les ordonnances seront rédigées au mois d’août et que nous n’aurons pas la possibilité de participer à la traduction concrète du texte examiné par l'Assemblée nationale et le Sénat, ce que je regrette profondément.
J’espère donc que le Sénat débattra des généralités qui sont mises sur la table aujourd'hui, qu’il ira le plus loin possible afin de montrer que les parlementaires sont là et que le recours aux ordonnances n’est pas approprié sur la question sociale.
Mme la présidente. La parole est à M. François Patriat, pour explication de vote.
M. François Patriat. Je comprends que certains veuillent un débat défensif ; pour ma part, je pense qu'il faut être offensif !
Sans doute le débat pourrait-il recommencer dans le pays, mais je crois surtout que la France n’attend pas, que les chômeurs n’attendent pas, que les salariés n’attendent pas, que les entreprises n’attendent pas ! La France a besoin d’un choc de croissance. Il faut le créer légalement, non pas dans la précipitation, mais dans des délais qui nous permettront d’obtenir rapidement des résultats, pour le plus grand intérêt du pays.
Telles sont les raisons pour lesquelles nous voterons contre cette motion.
Mme la présidente. Je mets aux voix la motion n° 53, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe CRC.
Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 126 :
Nombre de votants | 335 |
Nombre de suffrages exprimés | 328 |
Pour l’adoption | 20 |
Contre | 308 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Discussion générale (suite)
M. Guillaume Arnell. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, notre pays connaît depuis plus de trois décennies un chômage de masse et les politiques des différents gouvernements qui se sont succédé durant cette période n’ont eu qu’un impact marginal sur la courbe du chômage. Il est évident que nous devons entreprendre des réformes et adapter notre droit du travail aux nécessités de notre époque.
Pour reprendre vos propos, madame la ministre, lors de votre audition devant la commission des affaires sociales, il faut « libérer la dynamique de création d’emplois, tout en confortant les protections des salariés, réformées pour correspondre au monde d’aujourd’hui et de demain ».
Les différents gouvernements, de droite comme de gauche, étaient bien sûr tous convaincus qu’ils détenaient la solution. Il faut avouer qu’ils ont rivalisé d’imagination pour mettre fin à ce fléau. Pourtant, force est de constater qu’ils n’ont pas réussi. Je pense tout particulièrement à mon île et à l’ensemble des territoires ultramarins, où le taux de chômage avoisine 25 %.
Peut-être est-il temps d’observer chez nos voisins ce qui fonctionne.
Vous avez également déclaré, madame la ministre, que vous recourriez aux ordonnances parce qu’elles articulent la démocratie politique – grâce au débat au Parlement sur les projets de loi d’habilitation puis de ratification –, et la démocratie sociale, ce qui est bien le moins pour un projet de loi dont l’objet est de renforcer la démocratie sociale.
Je me félicite bien évidemment que vous ayez respecté l’article L. 1 du code du travail, cher au président Larcher, concernant les modalités de concertation des partenaires sociaux sur toute réforme, contrairement à votre prédécesseur !
Je ne peux cependant pas en dire de même concernant votre choix de recourir aux ordonnances, a fortiori sur un texte de cette importance, d’abord par principe. Les ordonnances constituent une forme de « législation déléguée » qui affaiblit le rôle du Parlement, au même titre qu’une interprétation trop restrictive du droit d’amendement ou le recours systématique à la procédure accélérée. Ce faisant, elles renforcent les postures manichéennes au lieu d’exploiter la force de proposition des parlementaires. Ce n’est pas notre vision du travail législatif.
Chacun devrait se rappeler que les ordonnances étaient à l’origine une procédure exceptionnelle destinée à faire face à une situation urgente et pour un délai limité seulement, comme le soulignait l’avant-projet constitutionnel en date du 29 juillet 1958.
En 2005, dans un retentissant article, dont chacun se souvient, intitulé L’été des ordonnances, le professeur Delvolvé avait à juste titre critiqué un « dérèglement juridique et politique » s’étant progressivement étendu à des pans entiers du droit, en premier lieu au droit de l’outre-mer. Année après année, nous constatons que ces mauvaises habitudes estivales ont la vie dure ! Nous voyons ainsi d’un mauvais œil le fait que le Gouvernement y ait recours dès ses premières semaines au pouvoir, sans que l’urgence soit véritablement caractérisée.
Dans le cas particulier de dispositions sur les conditions de travail, nous pensons que cela conduit à remplacer la démocratie parlementaire par la démocratie sociale, plutôt que de les articuler entre elles.
Certes, ce projet de loi d’habilitation est conforme à l’engagement pris pendant la campagne du Président de la République qui souhaitait légiférer par ordonnances « pour des raisons d’efficacité et de rapidité ». Pour autant, et le rapporteur l’a très justement rappelé, le champ de ce projet de loi d’habilitation est extrêmement vaste et certains aspects auraient pu être traités ultérieurement, et non dans des délais particulièrement courts alors même que la concertation avec les partenaires sociaux doit se poursuivre au moins jusqu’à la fin du mois de septembre.
Les membres du RDSE, comme sinon l’ensemble du moins la majorité des sénateurs, sont réticents au fait de signer un chèque en blanc au pouvoir exécutif, quel qu’il soit, s’agissant surtout d’une réforme d’une telle ampleur. Pour obtenir le feu vert du Parlement, le Gouvernement se doit d’être plus précis. Aussi, j’espère, madame la ministre, que vous comprendrez la nécessité d’apporter des précisions au cours de nos débats.
J’aborderai maintenant quelques points en particulier.
J’évoquerai d’abord le compte pénibilité.
Il est certes important de simplifier un dispositif dont l’application risque d’entraîner, il faut bien le reconnaître, quelques difficultés, mais qui représente un progrès social majeur pour les salariés exposés à des travaux pénibles. Pour autant, nous déplorons la démarche qui est la vôtre et qui consiste à associer la pénibilité à une réparation. En effet, le projet de loi d’habilitation n’autorise que le départ en préretraite des salariés déjà malades, dont le taux d’invalidité est au moins de 10 %. Ce n’est pas acceptable. Madame la ministre, nous devons absolument nous fixer pour un objectif de permettre aux salariés exposés à des travaux pénibles de partir en retraite en bonne ou assez bonne santé !
Par ailleurs, comme l’a rappelé Gilbert Barbier en commission, « la lettre du Premier ministre aux partenaires sociaux atteste de ce manque de prise en compte de la prévention des risques. Se contenter d’une visite médicale en fin de carrière pour évaluer les droits du salarié est un peu rapide ».
J’évoquerai maintenant les autres dispositions du texte.
Si un certain nombre de sénateurs du groupe du RDSE sont favorables au texte adopté par l’Assemblée nationale, la majorité de notre groupe ne pourra apporter son entier soutien à la version présentée par notre commission des affaires sociales, qui marque, il nous semble, un recul pour les droits des salariés.
Je pense en premier lieu aux modifications apportées à l’article 1er, et principalement à la représentation des salariés dans les petites entreprises, notamment celles de moins de cinquante salariés. Vous l’avez rappelé devant la commission, « sous ce seuil, où travaillent 55 % des salariés, seulement 4 % des entreprises disposent de délégués syndicaux ou de représentants du personnel mandatés par une organisation syndicale, ce qui revient à dire que le dialogue social ne peut aboutir à des accords d’entreprise, alors qu’on a particulièrement besoin de souplesse dans ces entreprises ».
Je regrette également la version adoptée en commission, qui prévoit notamment de contourner les organisations syndicales en permettant aux employeurs dans les entreprises de moins de cinquante salariés dépourvues de délégué syndical de conclure des accords collectifs directement avec les représentants du personnel et, en leur absence, directement avec le personnel.
Le texte dont nous allons débattre est un projet de loi d’habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social.
Or, monsieur le rapporteur, selon nous, la version que vous nous proposez porte atteinte au dialogue social et à la présence des syndicats dans les petites entreprises.
Nous savons, madame la ministre, que vous recherchez des solutions pour permettre à ces salariés d’avoir accès au dialogue social. Je pense qu’il faut vous laisser le temps de trouver un dispositif qui réponde aux spécificités des petites entreprises.
Concernant l’article 3, relatif à la sécurisation des relations de travail, la commission des affaires sociales a adopté plusieurs modifications qui ne nous semblent pas aller dans le bon sens, telles l’instauration du droit à l’erreur au bénéfice de l’employeur pour lui permettre de rectifier des irrégularités en matière de motivation dans la lettre de licenciement ou la réduction à six mois du délai de recours sur la régularité ou la validité d’un licenciement pour motif économique.
Madame la ministre, vous l’aurez compris, les sénateurs du RDSE seront particulièrement attentifs aux débats et détermineront leur vote final au regard des modifications qu’aura apportées la Haute Assemblée. (Applaudissements sur certaines travées du groupe La République en marche.)
Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Cadic.
M. Olivier Cadic. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, depuis mon entrée au Sénat, en 2014, j’ai vu arriver le compte pénibilité, le compte personnel d’activité, la commission paritaire régionale interprofessionnelle, les accords de prévention et de développement de l’emploi, et tout un ensemble d’autres inventions administratives.
Le code du travail n’a cessé d’enfler… Cela me désespère. Les entrepreneurs, eux, sont exaspérés. Parfois, ils sont contraints de trouver des accords avec leurs salariés en dehors de la loi… jusqu’au jour où ces derniers changent d’avis. Ils se retrouvent alors seuls pour affronter l’insécurité juridique qui découle de leur décision. Certains, découragés, abandonnent leur projet ou vendent leur entreprise. En France, les statistiques le démontrent, nous sommes plus « start » que « up ».
D’autres entrepreneurs, comme moi, veulent une vie simple et sereine. Ils préfèrent s’affranchir de toutes les règles franco-françaises et d’un coût du travail qu’ils jugent exorbitant. Ils font le choix d’entreprendre ailleurs. (M. Éric Jeansannetas s’exclame.)
Il y a deux ans, je proposais, via un amendement au projet de loi dit Macron, de modifier l’article L. 1 du code du travail pour inverser la hiérarchie des normes. À l’époque, alors que l’on me demandait de retirer mon amendement en séance, j’avais déclaré que je voulais qu’il soit mis aux voix « pour l’histoire ». Je refusais un droit du travail qui allait à contre-courant de ce qui est la norme des pays performants. Nous n’avions été que deux – mon collègue Michel Canevet et moi-même – à voter cet amendement. Cela m’avait valu de nombreux commentaires moqueurs émanant d’un certain côté de l’hémicycle…
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Ah, ces communistes ! (Sourires sur les travées du groupe CRC.)
M. Olivier Cadic. Un an plus tard, soit l’année dernière, le rapport de M. Combrexelle a fait admettre la nécessité de cette inversion.
Dans tous les pays qui ont une compétitivité forte, le code du travail est réduit et la place de la négociation collective est prépondérante. La loi El Khomri a engagé le retournement que j’avais préconisé.
Madame la ministre, je me réjouis des perspectives tracées dans votre projet de loi, qui me permettent d’espérer que vous allez poursuivre dans cette voie ; j’y reviendrai. Quel dommage que, à l’époque, le ministre Emmanuel Macron n’ait pas fait adopter mon amendement : nous aurions gagné beaucoup de temps…
Faut-il aujourd’hui une nouvelle réforme du droit du travail ? Oui, car le chômage est toujours aussi important et la relance économique encore timide. Il est urgent de donner du souffle au monde du travail et de libérer les énergies. Notre droit du travail est devenu obsolète : il faut l’adapter aux nouveaux enjeux d’une économie mondialisée et dématérialisée, en donnant aux salariés les moyens de faire évoluer leur carrière tout en protégeant les plus fragiles.
La méthode des ordonnances est-elle pertinente ? Madame la ministre, je vous le dis dès à présent : le groupe Union Centriste vous soutient dans votre démarche, y compris sur la méthode.
Voilà maintenant un an, à la même époque, nous venions de terminer deux semaines de discussion du projet de loi El Khomri : plus de 1 000 amendements déposés, des jours et des nuits en séance à nous opposer ; au même moment, dans la rue, les manifestations et violences épuisaient nos concitoyens. La majorité sénatoriale avait proposé une version plus ambitieuse d’un texte qui, dès le départ, n’avait pas été pensé et présenté pour réussir. Si le gouvernement d’alors avait voulu l’échec de sa réforme, il ne s’y serait pas pris autrement…
Le recours aux ordonnances se justifie : au Parlement de donner un périmètre, au Gouvernement de concrétiser cette réforme. La discussion du projet de loi de ratification sera l’occasion de vérifier que le périmètre a été respecté. Il faut aller vite afin que les effets apparaissent.
En parallèle, le Gouvernement paraît vouloir corriger les erreurs de son prédécesseur, lequel n’avait pris le temps ni la peine de présenter sa réforme et de négocier avec les partenaires sociaux. Beaucoup ici, sur les travées de la gauche, avaient alors justifié cette façon de procéder.
Rien de tout cela aujourd’hui. Les nombreux rendez-vous pris entre vous, madame la ministre, et les partenaires sociaux témoignent d’une volonté d’associer ces derniers aux réformes.
Vous aurez ici, au Sénat, l’occasion de débattre, de coconstruire pour enrichir le texte voté à l’Assemblée nationale, où les discussions ont semblé bien timides aux observateurs.
Nous soutenons le principe du recours aux ordonnances en matière de droit du travail, car nous l’envisageons comme la première étape d’une série de réformes nécessaires et urgentes anticipées par le Gouvernement, portant sur la formation professionnelle, l’assurance chômage, les retraites.
Les ordonnances sur le droit du travail ont pour objectif de flexibiliser le marché du travail en donnant plus de place à la négociation d’entreprise. Le volet relatif à la protection et à la sécurité des salariés devra principalement se retrouver dans les réformes à venir : celles de la formation professionnelle pour adapter ses compétences et de l’assurance chômage pour les phases de transition. Cette vision d’ensemble conforte notre soutien.
Pourquoi est-il incontournable de rénover notre droit du travail ?
Il n’a échappé à personne – quoique, pour certains, j’en doute ! – que l’économie a changé depuis le tournant du siècle. Nous sommes au début d’une ère numérique, à l’aube de la troisième révolution industrielle, dans laquelle coexisteront et se développeront les biotechs, nanotechs, medtechs et autres cleantechs.
Ces nouvelles technologies transforment les métiers. Il faut cultiver des compétences transversales au cœur de métiers hybrides. Les collaborateurs devront être autonomes grâce à un travail en parallèle et interactif, s’affranchissant du temps et de l’espace.
Cette révolution numérique se fait au cœur d’une économie mondialisée. Les échanges sont globaux, de plus en plus rapides, les frontières disparaissent.
Puisque je suis un sénateur-entrepreneur, je partagerai mon expérience personnelle. Toutes les personnes qui contribuent à mon entreprise établie au Royaume-Uni sont des travailleurs indépendants : elles m’offrent leurs compétences depuis leur domicile, elles sont localisées aux quatre coins de la planète, elles s’organisent comme bon leur semble, travaillent au moment où elles le souhaitent. Plus jamais on ne me demande si elles peuvent partir en vacances ou quand. Seul le résultat compte. Vouloir être libre, c’est vouloir les autres libres.
Nous devons faire émerger un nouveau droit du travail qui encourage le dialogue social et économique,…
M. Didier Guillaume. Ce n’est pas celui-là que nous voulons !
M. Olivier Cadic. … un droit qui prenne en compte les nouvelles formes de télétravail, ces exigences d’autonomie, ces parcours individualisés.
Si nous voulons attirer les entrepreneurs qui vont quitter le Royaume-Uni à la faveur du Brexit, il va falloir révolutionner notre système ! Il va falloir replacer le droit du travail au cœur des besoins des entreprises et de leurs salariés. Il va falloir libérer les énergies !
Ce sont ces objectifs qui doivent guider votre réforme, madame la ministre. Vous devez aller vite, mais vous devez surtout aller loin.
Les ordonnances vont vous permettre d’aller vite, mais nous sommes nombreux – je remercie Alain Milon d’avoir animé cette réflexion au sein de la commission des affaires sociales – à nous demander jusqu’où vous irez.
Jusqu’où irez-vous pour placer le dialogue social au plus près des salariés et de leur entreprise ?
L’article 1er de votre projet consacre une nouvelle fois l’inversion de la hiérarchie des normes que j’ai évoquée. Irez-vous jusqu’au bout ou allez-vous prévoir tellement d’exceptions que ce sera une nouvelle réforme pour rien ?
Vous devez replacer à l’échelon de l’entreprise, du groupe ou de la branche l’ensemble des règles applicables en matière de droit du travail et de formation professionnelle. La France est, avec la Belgique, l’Espagne et la Grèce, l’un des derniers pays à accorder une place prépondérante à l’État dans le dialogue social. Vous devez faire confiance aux partenaires sociaux en choisissant de les responsabiliser. De ce point de vue, vos propos m’ont réjoui.
Quant à la loi, son rôle s’inscrira dans le cadre strict de l’article 34 de la Constitution : le législateur continuera de fixer les principes fondamentaux du droit du travail, du droit syndical et de la protection sociale.
Jusqu’où irez-vous pour améliorer le dialogue social dans les entreprises ?
La généralisation proposée d’une instance unique de représentation des salariés sera une excellente avancée.
Mme Éliane Assassi. Ben voyons !
M. Olivier Cadic. Mais oserez-vous faire encore plus confiance aux salariés, en leur permettant de négocier directement dans certaines entreprises ?
La France est l’un des derniers pays de l’Union européenne pour le taux de syndicalisation. Maintenir à ce point le monopole des syndicats dans le dialogue social se justifie-t-il ? (Exclamations sur les travées du groupe CRC. –Mme Évelyne Yonnet s’exclame également.) Permettez aux entreprises de dialoguer directement avec leurs salariés ; ils ont un destin commun.
Comme nous l’avons observé lors du déplacement à Londres de la délégation sénatoriale aux entreprises, 83 % des salariés britanniques ne dépendent d’aucune convention collective. Le marché du travail est si tendu dans ce pays que les employeurs font le maximum pour conserver leurs collaborateurs.
Il faut également et impérativement s’attacher à supprimer les effets de seuils, qui posent un vrai problème aux entreprises de notre pays. Ces seuils ne créent pas uniquement des difficultés en matière de mise en place des délégués du personnel avec les obligations qui en découlent, ils augmentent aussi fortement les coûts pour les TPE. Il faut au minimum relever les seuils fixés à 10 et à 50 salariés. J’avais proposé de nous en tenir aux seuils européens de 50 et 250 salariés.
Ces mesures sont compatibles avec l’instauration d’un dialogue social au plus près des salariés, directement, sans intermédiaire, comme nous le souhaitons. Je rappelle que, dans certains pays européens, il n’y a pas de seuils, et la démocratie y existe malgré tout !
À la lecture de votre projet de loi, madame la ministre, Jean-Marc Gabouty et moi-même avons regretté que vous n’abandonniez pas les commissions paritaires régionales interprofessionnelles. Une telle organisation, que le Sénat avait rejetée, nous semble totalement inutile pour les TPE. On ne peut pas vouloir simplifier nos structures et poursuivre dans cette voie, le taux de participation aux élections ayant été inférieur à 10 %.
Justement, madame la ministre, jusqu’où irez-vous dans la simplification administrative et la réforme du rôle de l’administration ?
La délégation sénatoriale aux entreprises, présidée par ma collègue Élisabeth Lamure, a formulé de nombreuses propositions sur le sujet. Chez nos voisins d’Europe du Nord, la simplification est un objectif politique transpartisan. Elle répond à une méthodologie rigoureuse, qui repose sur des objectifs et sur le suivi d’indicateurs. En Allemagne, aux Pays-Bas et en Suède, un organe indépendant contrôle la qualité des études d’impact. Pourquoi ne pas s’inspirer de leur exemple ?
Les entreprises étouffent sous le poids des procédures administratives : plus personne n’y comprend rien. C’est la conséquence de l’inflation de normes, qui noie les entreprises !
Certains affirment que c’est ce cadre contraignant qui protège les salariés. Je prendrai un exemple, qui me semble des plus parlants : la législation applicable aux raffineries est plus sévère en France que dans le reste de l’Europe. Pourtant, notre industrie du raffinage connaît plus d’accidents que la moyenne européenne : les raffineries françaises concentrent 26 % des accidents en Europe, alors qu’elles ne représentent que 10 % des sites.
Comment ne pas évoquer ici la médecine du travail ? À l’heure actuelle, environ 80 % des salariés travaillent dans le secteur tertiaire. Leur médecin traitant, qui les connaît depuis des années, ne serait-il pas compétent pour juger s’ils peuvent travailler assis derrière leur bureau ? (Mme Évelyne Yonnet proteste.) Pourquoi vouloir maintenir une médecine administrative ? Le médecin du travail serait-il un spécialiste de toutes les maladies que l’on peut attraper en travaillant ?
Nous devons nous demander si ce système est encore adapté à la grande majorité des salariés et s’il les protège réellement. En tout cas, l’éducation nationale semble avoir répondu à la question, elle qui s’en est affranchie.
Quant à l’administration, l’inspection du travail par exemple, elle devrait être au service des entreprises. Elle devrait les conseiller, et non être uniquement chargée de les contrôler.
Jusqu’où irez-vous pour flexibiliser le marché du travail ?
Vous proposez de fixer un barème des dommages et intérêts, ce qui est déjà une bonne nouvelle. Comment justifier, en effet, qu’il y ait, pour un même préjudice, des différences aussi importantes entre deux conseils de prud’hommes ? Comment justifier que le licenciement d’un salarié puisse, à lui seul, mettre en péril une entreprise, tant les indemnités demandées sont parfois colossales ? Pense-t-on aux autres salariés ? J’avais déposé des amendements visant à plafonner ces indemnités.
En ce qui concerne les licenciements économiques, que le juge contrôle le périmètre des difficultés, mais en aucun cas l’opportunité de licencier ! Une entreprise est libre de décider de créer un département et de recruter une équipe pour lancer un nouveau produit ; elle doit être tout aussi libre de le fermer et de licencier en cas d’échec commercial. Le juge ne doit pas avoir la faculté d’apprécier cette décision et, éventuellement, de la remettre en question.
Mme Évelyne Yonnet. Mais bien sûr…
M. Olivier Cadic. Nous sommes tellement bavards en élaborant le code du travail, nous avons tellement le souci de tout prévoir que nous créons nous-mêmes les futures chausse-trappes en omettant des situations.
La liquidation judiciaire n’étant pas expressément visée par un article de la loi El Khomri, cela permet aux salariés de remettre en cause le motif économique de leur licenciement, quand bien même ce motif est lié à une décision du juge-commissaire ou du tribunal de commerce. Je ne sais pas si chacun a bien conscience du point où nous en sommes : une liquidation judiciaire n’interdit pas à un salarié de contester son licenciement économique. C’est le pays d’Ubu !
Je ne parle même pas de la longueur des procédures : pendant plusieurs mois, les entreprises sont contraintes de payer un salarié qui ne travaille déjà plus !
Il faut enfin aller beaucoup plus loin sur les modalités de recours aux CDD, en en allongeant la durée maximale, instaurer un CDI à droits progressifs et prévoir que celui-ci puisse prédéfinir les motifs et conditions de sa rupture.
Je suis convaincu qu’une réforme profonde du droit du travail, allant dans le sens d’une plus grande rapidité en matière d’embauche et de fin de contrat, aurait une incidence directe sur le nombre de défaillances d’entreprises dans notre pays, à conjoncture économique égale.
Des administrateurs judiciaires témoignent avoir vu nombre d’entreprises mourir de ne pouvoir mettre en place un plan social rapidement ou d’être confrontées à des procédures prud’homales hors de proportions avec leurs capacités, s’agissant en particulier des TPE. On peut même envisager qu’une telle réforme ait un impact positif sur la conjoncture elle-même !
Jusqu’où irez-vous pour simplifier l’organisation du travail ?
Vous proposez de réfléchir aux nouvelles formes de travail, en favorisant l’accès au télétravail et au travail à distance. C’est un objectif essentiel : vous devez assouplir au maximum les règles permettant aux salariés d’y recourir et ne surtout pas entrer dans un système de contrôle administratif impossible à mettre en œuvre.
Jusqu’où irez-vous, madame la ministre ?
À la fin des années quatre-vingt, le PDG de la société Sun Microsystems a demandé à ses ingénieurs de faire rentrer l’informatique des ordinateurs les plus puissants, qui occupait une armoire, dans un volume équivalent à celui d’une boîte à pizza. Il a révolutionné son industrie.
Nous avons besoin de révolutionner notre code du travail, de le rendre simple, lisible et compréhensible par tous. Un jour il faudra avoir l’audace de ramener notre énorme code du travail aux dimensions du code du travail suisse.
Madame la ministre, la tâche qui vous attend est immense, les attentes sont nombreuses. En recourant à des ordonnances, vous prenez la responsabilité entière des décisions à venir et de leurs conséquences pour les entreprises et notre économie.
Parce que, foi de Jupiter, Rome ne s’est pas faite en un jour, et parce que je pense que vos objectifs vont dans le bon sens, je redis ici ce que j’ai déjà dit lors de votre audition devant la commission des affaires économiques : à propos de ce projet de loi d’habilitation, j’ai décidé de vous faire un chèque en blanc, considérant que vous avez besoin d’être pleinement soutenue pour bénéficier des meilleures chances de succès. C’est pourquoi, au long de cette semaine, vous pourrez compter sur l’appui de nombreux sénateurs constructifs, dont je ferai partie. Au-delà de ce terme, nous nous bornerons à observer les conséquences de vos décisions : je ferai alors partie des sénateurs du groupe Union Centriste tendance « contemplatifs ». (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et sur quelques travées du groupe Les Républicains.)