compte rendu intégral
Présidence de Mme Jacqueline Gourault
vice-présidente
Secrétaires :
M. Serge Larcher,
M. Philippe Nachbar.
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Procès-verbal
Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
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Candidatures à un organisme extraparlementaire
Mme la présidente. Je rappelle que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation d’un sénateur appelé à siéger au sein du conseil de surveillance et de deux sénateurs appelés à siéger au sein du comité stratégique de la société du canal Seine-Nord Europe.
La commission de l’aménagement du territoire et du développement durable a proposé la candidature de M. Jérôme Bignon, pour le conseil de surveillance, et celles de M. Jacques Legendre et Mme Nelly Tocqueville, pour le comité stratégique.
Ces candidatures ont été publiées et seront ratifiées, conformément à l’article 9 du règlement, s’il n’y a pas d’opposition à l’expiration du délai d’une heure.
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Rappel au règlement
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour un rappel au règlement.
M. Jean Louis Masson. Madame la présidente, je veux intervenir sur un problème d’actualité, lié à une loi que nous avons adoptée récemment.
Voilà environ six mois, nous avons voté une réforme du mode d’élection du Président de la République, le principal parti de la droite parlementaire et le principal parti de la gauche parlementaire agissant en connivence en la matière. Ostensiblement, le but était d’étouffer les candidatures concurrentes, en modifiant non seulement le parrainage des maires, mais aussi le principe démocratique fondamental de l’égalité de traitement des candidats.
Nous avons découvert hier la première des conséquences scandaleuses de cette réforme, puisque la principale chaîne de télévision française vient de sélectionner un certain nombre de futurs candidats, laissant les autres de côté.
Or, dans un régime qui prétend être véritablement démocratique, tous les candidats à une élection, surtout lorsqu’il existe une sélection par le biais des parrainages des maires, doivent être traités sur un pied d’égalité.
Je proteste contre ce dévoiement de la démocratie. Certes, je suis très minoritaire dans cette assemblée, et je sais que la loi est faite par ceux qui détiennent le pouvoir. Or, en la matière, les partis dominants, de droite comme de gauche, arrivent toujours à s’entendre. Malgré tout, je tiens à le dire solennellement, il s'agit d’un véritable scandale pour la démocratie.
Mme la présidente. Acte vous est donné de votre rappel au règlement, mon cher collègue.
4
Lutte contre l'exposition aux perturbateurs endocriniens
Adoption d'une proposition de résolution
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle l’examen, à la demande du groupe écologiste, de la proposition de résolution visant à renforcer la lutte contre l’exposition aux perturbateurs endocriniens présentée, en application de l’article 34-1 de la Constitution, par Mme Aline Archimbaud et les membres du groupe écologiste (proposition n° 236).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Marie-Christine Blandin, auteur de la proposition de résolution.
Mme Marie-Christine Blandin, auteur de la proposition de résolution. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, si la France a quelque avance sur l’Union européenne dans la lutte contre l’exposition aux perturbateurs endocriniens, nous le devons aux chercheurs, qui ont fait valoir la notion d’« exposome », à la mobilisation, dès 2002, du Comité de la prévention et de la précaution, à six ministres de la santé et dix ministres de l’écologie, mais aussi à nos collègues : je pense à la proposition de loi tendant à interdire le bisphénol A dans les biberons, déposée par Yvon Collin en 2009.
Nous devons aussi cette avance au rapport rédigé par Gilbert Barbier en 2011, dans le cadre de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, au rapport d’information sur les pesticides de Mme Bonnefoy en 2013, et à la proposition de résolution européenne présentée tout récemment par Mme Patricia Schillinger et M. Alain Vasselle sur les critères d’identification des perturbateurs endocriniens. Au même moment, le député Jean-Louis Roumégas se livrait au même exercice à l’Assemblée nationale, en prenant en compte, outre les perturbateurs « avérés » et « présumés », les perturbateurs « suspectés ».
La proposition de résolution déposée par notre groupe sur l’initiative d’Aline Archimbaud est une invitation à poursuivre ces efforts, car la Commission européenne est aujourd’hui un frein, et les lobbies tentent de faire passer leurs intérêts avant la santé publique et l’environnement. Ici, une plainte de la filière des plastiques ou d’une organisation agricole provoque l’annulation par le Conseil d’État de l’arrêté encadrant l’utilisation des pesticides. À Bruxelles, les fabricants usent de tout leur poids pour empêcher une définition large indispensable aux nouvelles règles. Nous ne pouvons en rester là !
Ces substances restent trop présentes, la question des liens entre santé et environnement est encore trop marginale dans les politiques publiques, au point que le ministère de la santé se cantonne à la gestion et aux soins, tandis que la santé environnementale a trouvé refuge au ministère de l’écologie.
La crise sanitaire est silencieuse, mais elle blesse et tue. Ainsi, dans le monde, deux décès sur trois sont le fait de maladies chroniques. En France, ces dernières progressent quatre à cinq fois plus vite que le changement démographique. Le cancer touche un homme sur deux et deux femmes sur cinq.
Il aura fallu du temps pour bien identifier les mécanismes des perturbateurs endocriniens, ces petites molécules contenues dans de nombreux produits d’usage ou de consommation courante migrent et pénètrent nos organismes, modifiant les messages normaux de nos hormones, qu’il s’agisse des hormones de croissance, de déterminisme sexuel, de l’adolescence, de la satiété et de régulations diverses de notre métabolisme.
On mesure tous les dangers liés à l’exposition de bébés en formation, si leur mère respire des solvants ou des pesticides.
Il serait inimaginable de laisser sévir un mécanicien qui remplacerait les freins d’une voiture par un accélérateur ou de permettre à un hacker de communiquer des messages erronés, à la place de la tour de contrôle. Toutefois, on accepte que des substances chimiques viennent brouiller la formation de l’appareil urogénital du fœtus, imprégner les organismes, programmer des cancers du sein de la petite fille à naître, fausser la communication interne de nos organes, au risque de dysfonctionnements profonds et de maladies graves.
L’UFC-Que choisir ? vient de publier une liste de 400 cosmétiques avec perturbateurs. Messieurs, votre gel douche aux parabènes et alkyphénols ne mérite pas de compromettre votre fertilité et de saboter votre descendance. Mesdames, les phtalates de votre vernis ou le benzophénone de votre teinture ne valent pas la puberté de votre fille. Bricoleurs, la rénovation de votre intérieur à grands coups de solvants ne mérite pas que vous risquiez un cancer, comme c’est le cas pour de trop nombreux paysans, premières victimes des produits phytosanitaires.
Après le phénoxyéthanol dans les lingettes, révélé par l’Institut national de la consommation, voici la dioxine, le glyphosate, des pesticides, des hydrocarbures aromatiques polycycliques et des cancérogènes probables dans douze types de couches pour bébé ! Ils sont « Probables », seulement… Néanmoins, je ne pense pas que vous accepteriez de monter dans un avion classé « crash probable » ! (M. Jean Desessard applaudit.)
En attendant l’interdiction, il faut au moins un étiquetage informatif, comme nous aurions pu et dû le faire depuis un an pour les tampons et serviettes hygiéniques.
Les plus jeunes sont parmi les plus exposés : crèches et écoles devraient être des zones exemptes de tout perturbateur et de tout pesticide, tant dans les meubles, l’alimentation et les produits d’hygiène que dans les jouets.
Le rapport de l’ANSES sur l’exposition professionnelle aux pesticides en agriculture de juillet 2016 et celui de l’INSERM sur les effets des pesticides sur la santé de juin 2013 ont établi les risques importants que fait peser l’usage des pesticides sur la qualité des eaux et de l’air, donc sur la santé publique.
Or le bilan dressé en novembre 2015 par le Conseil général de l’environnement et du développement durable sur la qualité des eaux de notre pays fait état d’une contamination généralisée par les pesticides : dans 92 % des points de surveillance, la présence d’au moins un pesticide a été détectée et, en moyenne, 15 pesticides différents ont été recensés sur chaque point de mesure.
Cela justifie l’instauration par la loi d’une zone non traitée d’au moins cinq mètres autour des points d’eau, sans qu’une dérogation soit possible, mais aussi autour des fossés, qui jouent un rôle déterminant dans le transfert des pesticides vers les cours d’eau. Par la proposition de résolution, il est demandé cette même prévention aux abords des zones d’habitation et des écoles.
Une classe d’insecticides couramment utilisée pourrait affecter les performances cognitives d’enfants qui en ont absorbé. On a évalué à 14 millions le nombre de points de QI perdus à la suite d’une exposition à ces produits. Nos enfants ont droit à un meilleur héritage !
Pour ne rien faire, l’argument du dommage économique pour l’industrie et les distributeurs est souvent brandi. Mais pense-t-on, au-delà des douleurs des personnes atteintes, aux dommages financiers ? Selon les économistes Julia Ferguson et Alistair Hunt, le coût des cinq catégories de troubles ou de maladies liés à des déséquilibres hormonaux est en France de 82 milliards d’euros annuels, sans compter les coûts induits comme l’absentéisme.
Sauf à compter sur davantage de malades, donc davantage de dépenses de santé pour relancer la croissance, il faut mettre un terme à cette absurdité.
Dès lors, comment agir vis-à-vis de Bruxelles ? Sans critères de définition des perturbateurs endocriniens, l’Europe ne possède pas l’outil conceptuel nécessaire pour organiser la révision de sa réglementation et agir pour la santé et la biodiversité. Elle en est réduite à des mesures de sauvegarde, qui sont certes nécessaires dans l’immédiat, mais tout à fait insuffisantes pour prendre le problème à bras-le-corps.
Parce qu’elle a repoussé l’élaboration de ces critères de façon dilatoire, la Commission européenne a été condamnée le 16 décembre dernier. Sous l’influence de l’EFSA, l’Autorité européenne de sécurité des aliments, hélas secouée par des conflits d’intérêts, et contre l’avis de l’OMS, la Commission travaille aujourd’hui à une orientation minimale : un champ réduit – phytosanitaires et biocides sont au programme, mais pas les autres secteurs, comme les cosmétiques – et une approche fondée sur le danger, ce qui nécessite un niveau de preuve très élevé et laisse passer le risque de contaminants repérés comme probablement dangereux. Cela revient à ne pas prendre en compte le principe de précaution européen.
Or, si elle ne change pas d’orientation, l’Union européenne menace la légitimité des interdictions françaises.
Comme les rapporteurs de la proposition de résolution européenne, nous disons la nécessité, face aux lobbies, d’un groupe international de scientifiques indépendants et de haut niveau pour une bonne instruction, par la recherche publique, du dossier européen.
Il faut que les perturbateurs soient un thème de recherche prioritaire dans le cadre du programme-cadre pour la recherche et le développement. En effet, si l’on doit saluer le travail associatif et ses salutaires alertes, il est paradoxal que ce dernier, qui agit à titre bénévole, informe plus vite que les instances officielles de recherche et d’évaluation.
Mes chers collègues, parce que les perturbateurs restent omniprésents et dangereux, parce que la France doit rester ferme, parce que ce sujet nous rassemble, je vous invite à voter cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Gilbert Barbier.
M. Gilbert Barbier. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui une proposition de résolution présentée par notre collègue Aline Archimbaud. Celle-ci fait suite au rapport parfaitement argumenté de l’agence Santé publique France. Après un certain nombre de considérants évidents à ce jour, cette proposition invite, souhaite, estime, considère, s’oppose, souligne.
La semaine dernière, devant la commission des affaires sociales, nos collègues Patricia Schillinger et Alain Vasselle ont présenté une autre proposition de résolution, au nom de la commission des affaires européennes, sur les perturbateurs endocriniens dans les produits phytopharmaceutiques et les biocides, laquelle déplore, regrette, estime souhaite, encourage.
Il s’agit, dans un cas comme dans l’autre, d’un langage propre aux résolutions. Pourtant, permettez-moi d’être un peu perplexe sur la portée de ces textes. Cherche-t-on un effet politique ou s’agit-il simplement être dans l’air du temps ? Aujourd’hui, en effet, tout le monde semble découvrir ce dossier : articles de presse et émissions télévisées se multiplient. Bref, c’est un peu l’actualité du moment. Tant mieux, dirons-nous.
Voilà six ans, à la suite de l’adoption de la proposition de loi du RDSE interdisant la commercialisation des biberons produits à base de bisphénol A, j’ai réalisé un rapport sur la question des perturbateurs endocriniens. À l’époque, la terminologie elle-même était pratiquement inconnue pour nombre de nos concitoyens. Pourtant, les perturbations du système endocrinien par des substances ou des mélanges exogènes existent depuis la nuit des temps dans le milieu naturel.
Certes, le développement des sciences – chimie, physique, pharmacologie, biologie – fait que, chaque jour, arrivent sur le marché de nouvelles molécules, dont les effets ne peuvent être appréciés rapidement. Pour certaines de ces nouvelles molécules, nous ne pouvons connaître d’emblée les effets nocifs dits « CMR », c'est-à-dire cancérigènes, mutagènes et reprotoxiques. Il faut garder à l’esprit que, pour évaluer par exemple l’incidence cancérigène d’une molécule avec une certaine crédibilité scientifique, il faut une étude de cohorte, menée a minima sur une génération.
Les auteurs de chacune de ces deux résolutions affirment, probablement à juste titre, que le principe déjà ancien selon lequel « la dose fait poison » n’est plus de mise. Pourtant, les études en laboratoire montrent des effets en courbe de Gauss pour certaines molécules, mais non pas, certes, d’une manière générale. Il faut laisser du temps aux chercheurs. Selon moi, il serait parfois beaucoup plus dangereux d’interdire là où on n’a pas la certitude d’un produit de remplacement reconnu inoffensif dans la durée.
Au chapitre des avancées, il faut citer une science récente, la métabolomique, qui étudie l’ensemble des métabolites – sucres, acides aminés et autres composants –, dans une approche impliquant soit un criblage ciblé large spectre des molécules, soit une recherche de molécules inattendues à partir de leur masse moléculaire. Avec l’arrivée sur le marché de spectromètres de masse à ultra-haute définition, la détection des polluants présents, par exemple dans l’eau, est faite à des doses bien inférieures au seuil réglementaire d’un microgramme par litre.
Un autre point qui soulève problème est celui de la classification des substances perturbantes entre un effet néfaste supposé, suspecté ou avéré, sachant que l’évaluation évolue en permanence au cours de l’étude du produit et que les résultats ne sont pas toujours concordants selon les équipes.
Je voudrais souligner l’importance de la prise en compte de la recherche scientifique mondiale sur ce dossier qui est ô combien difficile et dont l’impact économique est considérable.
Depuis 1997, l’OCDE a déjà défini une dizaine de lignes directrices, afin de prendre en compte les effets mesurables des substances perturbatrices. D’autres lignes sont à définir. Elles doivent fixer un cadre permettant d’affirmer qu’une substance possède ou ne possède pas une action perturbatrice. Cela peut paraître simple, mais la réalité est tout autre selon le niveau d’informations fourni ou le niveau de complexité biologique.
Des mécanismes d’action autres qu’œstrogéniques, androgéniques ou thyroïdiens sont possibles. L’effet « cocktail » est aujourd’hui avéré. Qu’en sera-t-il demain de l’action des nanoparticules et des biosimilaires ? Qu’en est-il de la valeur prédictive des méthodes de screening largement utilisées aujourd’hui ?
Un point essentiel du débat porte sur le degré des connaissances connues sur un produit donné, le découvreur ayant théoriquement l’obligation de fournir toutes les études de toxicité conduites dans ses laboratoires. Le rôle des agences de contrôle est donc capital pour suivre ces dossiers.
Au niveau européen, je le reconnais, les choses évoluent lentement et les tergiversations sont nombreuses. Quelle direction doit intervenir ? La réglementation REACH, pour Registration, Evaluation, Autorisation of Chemical products, s’applique progressivement sur les substances existantes ; elle est obligatoire pour tout produit entrant sur le marché.
Enfin, qu’en est-il dans notre pays ? Chacun ici connaît mon positionnement politique Je voudrais pourtant décerner un satisfecit au Gouvernement, en particulier à Mme la ministre de l’environnement, pour son engagement dans la stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens. Ce plan est bien fait : investissement dans la recherche, définition des grands axes de protection des populations les plus fragiles, renforcement de la réglementation européenne. Certes, il manque peut-être des moyens financiers suffisants.
Sans doute pourrions-nous parler d’une même voix en soutenant ce plan d’action du Gouvernement. Je dois le dire, cette proposition de résolution me paraît un peu dissonante. Aussi, à titre personnel, je m’abstiendrai sur ce texte, au risque de fâcher son auteur, à qui je pose une question subsidiaire : êtes-vous bien sûre que le cannabis ne soit pas lui-même un perturbateur endocrinien ? (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
M. Jean Bizet. Excellente question !
Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Roche.
M. Gérard Roche. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, avant toute chose, je veux remercier notre collègue Aline Archimbaud de son initiative. Mettre à l’ordre du jour de notre assemblée des sujets aussi importants que celui des perturbateurs endocriniens est utile pour la poursuite et l’enrichissement du débat. Néanmoins, ces remerciements ne s’accompagneront pas d’un soutien unanime de mon groupe à cette proposition de résolution.
La santé des Français est au cœur de nos préoccupations. C’est pourquoi nous devons naturellement nous inquiéter des effets de telle ou telle substance contenue dans les produits du quotidien. La proposition de résolution fait notamment référence aux phtalates des jouets ou des dispositifs médicaux. Les produits chimiques pulvérisés dans les champs sont également en cause.
Devons-nous, au moindre soupçon, faire jouer automatiquement le principe de précaution ? Certes, il convient d’être prudent. Toutefois, nous devons surtout faire preuve de bon sens. Le développement de produits utiles, voire nécessaires au quotidien ne peut pas se faire au détriment de la santé et de la sécurité des consommateurs ou bénéficiaires.
Nous ne pouvons pas faire aveuglément confiance aux industries qui développent de tels produits, c’est une évidence. Si l’immense majorité d’entre elles poursuivent leurs objectifs avec conscience et prudence, tel n’est pas le cas de quelques-unes, pour qui la recherche du profit passe avant toute autre considération.
Toutefois, nous ne pouvons pas non plus tout interdire sur le simple soupçon d’un risque pour la santé ou la sécurité des consommateurs ou usagers. Sinon, plus de recherche, plus de développement, plus d’innovation ! Il ne resterait alors que la crainte de faire des erreurs, ce qu’on appelle en d’autres termes l’immobilisme. Une telle situation n’est pas non plus souhaitable.
Aussi, que faire ? Je sais que l’on attend beaucoup des parlementaires, mais pouvons-nous réellement nous permettre d’interdire purement et simplement tel ou tel produit ? Oui, mais sous condition. Il s’agit principalement de laisser les scientifiques nous guider, en nous démontrant la dangerosité de ces produits.
Si un paragraphe nous paraît très pertinent dans la proposition de résolution de notre collègue Aline Archimbaud, c’est celui qui concerne la recherche scientifique. Il faut effectivement développer la recherche sur les perturbateurs endocriniens et lui allouer des moyens financiers et humains pérennes. La coordination internationale est également essentielle à la poursuite de cet objectif.
Cette recherche doit être la plus indépendante possible, car chacun ici sait à quel point l’influence de lobbies divers s’exerce par la publication de recherches scientifiques aux résultats opportunément favorables. La constitution d’un groupe international de scientifiques indépendants et de haut niveau est donc indispensable.
Ce n’est qu’après la publication d’études scientifiques que le législateur peut et doit intervenir. La commission sénatoriale des affaires européennes, dans son excellent rapport sur les perturbateurs endocriniens dans les produits phytopharmaceutiques et les biocides, n’a d’ailleurs pas manqué de le rappeler.
Quant à la Commission européenne, elle a même dépassé ses compétences réglementaires en la matière, en établissant des critères de dangerosité très restrictifs et un niveau de preuve très élevé, notamment s’agissant des produits phytopharmaceutiques. Il nous paraît sage et suffisant d’appuyer les recommandations faites au Gouvernement par la commission sénatoriale des affaires européennes, à savoir le maintien d’un niveau de vigilance important dans l’élaboration de la réglementation européenne, afin d’assurer la définition de critères d’identification satisfaisants sur de nombreux produits.
Mes chers collègues, nous ne voudrions pas que le trop soit l’ennemi du bien en matière de principe de précaution. Soyons donc vigilants, guidons notre action grâce au bon sens, en nous aidant des travaux menés par la recherche. Ne soyons ni hâtifs ni naïfs.
Parce qu’il respecte la liberté des votes individuels, notre groupe n’a pas émis de consignes de vote. Je crois savoir qu’un certain nombre d’entre nous s’abstiendra sur cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de saluer notre collègue Aline Archimbaud, auteur de la proposition de résolution qui nous réunit aujourd’hui. Pour des raisons indépendantes de sa volonté, elle ne pourra pas être présente parmi nous pour défendre son texte. Je ne puis qu’imaginer sa déception, tant elle s’est battue sur les questions de santé environnementale depuis son élection.
Pour ma part, j’ai mené, depuis 2011, de nombreux combats au sein de la commission des lois pour que soient toujours protégés libertés individuelles et droits fondamentaux.
Ce qui nous réunit aujourd’hui n’est finalement pas si différent. Il s’agit de permettre à nos concitoyens d’être dûment informés des substances auxquelles ils sont exposés et de protéger la santé de toutes et tous, notamment des plus fragiles et des plus vulnérables.
Cela a été rappelé, en particulier dans l’exposé des motifs de la proposition de résolution, les perturbateurs endocriniens sont, selon la définition de l’Académie de médecine, des substances ou des mélanges exogènes qui modifient le fonctionnement du système endocrinien et provoquent des effets sanitaires nocifs dans un organisme intact et sa descendance. Ils sont suspectés de provoquer des cancers hormono-dépendants, d’être reprotoxiques, d’avoir des effets néfastes sur la thyroïde, sur le développement neurologique, sur le métabolisme et sur le système cardiovasculaire.
À la lecture de cette liste, on ne peut que percevoir l’immense enjeu de santé publique que constituent les perturbateurs endocriniens.
Le constat est alarmant : malgré l’annonce par l’Union européenne, en 1999, du lancement d’une stratégie commune sur les perturbateurs endocriniens, trop peu a été fait pour agir vraiment contre ce qui pourrait devenir l’une des plus grandes crises sanitaires de notre époque.
Bien sûr, l’inlassable action des lobbies industriels, notamment au niveau européen, est à combattre avec la plus grande énergie. Toutefois, d’autres perspectives concrètes peuvent, et doivent, être le plus rapidement possible, tracées.
Il est ainsi indispensable que la recherche universitaire sur les effets sanitaires des perturbateurs endocriniens soit plus amplement développée. Il faudrait, dès le doctorat, allouer d’importants moyens financiers et humains à la recherche publique, afin de lutter contre la désinformation propagée par les « marchands de doute » et de garantir que les décisions en matière de politique de santé publique puissent être prises en toute indépendance.
Il est également capital que les mécanismes de contrôle de la réglementation en vigueur soient efficaces ; pour ce faire, des moyens considérables sont derechef nécessaires. En effet, aussi insuffisante que soit la réglementation en la matière, il est indispensable qu’elle soit appliquée dans les faits. Il est tout à fait scandaleux que du bisphénol A, pourtant interdit en France depuis 2015, puisse être trouvé dans certaines canettes et boîtes de conserve ; telle est pourtant la conclusion d’une enquête de l’association Santé Environnement France.
De tels investissements sont indispensables pour l’avenir. Rappelons-le : les femmes enceintes et les jeunes enfants sont les premières victimes des perturbateurs endocriniens. À ce titre, les propositions formulées par le Réseau environnement santé en vue de l’élection présidentielle sont tout à fait intéressantes.
Les médecines de prévention, notamment la médecine scolaire et la protection maternelle et infantile, doivent être repensées pour faire face aux enjeux actuels, afin « qu’aucun bébé ne naisse prépollué ». Dans le même sens, la création d’un « chèque bio », qui favoriserait l’accès des femmes enceintes à l’alimentation biologique, constituerait sans doute une avancée.
Enfin, certaines mesures pourraient d’ores et déjà, sans attendre les avancées européennes, être mises en place en France : par exemple, l’interdiction de pulvériser des produits phytosanitaires, qui sont bien souvent des perturbateurs endocriniens, aux abords des zones d’habitation et des écoles. Les initiatives prises par les professionnels de la petite enfance pour faire des crèches et des lieux de garde des lieux exempts de substances toxiques devraient être encouragées. La formation et la sensibilisation des personnes travaillant au plus près des petits enfants devraient être des priorités.
Il ne s’agit pas ici d’hygiénisme ni d’une application exagérée du principe de précaution ; il s’agit plutôt, mes chers collègues, d’encourager l’élaboration d’une véritable politique de santé publique afin d’informer nos concitoyens, de soutenir les initiatives positives en la matière et, surtout, de protéger les générations à venir. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)